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Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 360–363 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Jurisprudence Jurisprudence récente sur les contaminations Hépatite C Anaïs Adergal (Doctorante en droit) 184, rue Garibaldi, 69003 Lyon, France Disponible sur Internet le 15 septembre 2011 Résumé La présomption de responsabilité instituée par la loi du 4 mars 2002, malgré les difficultés de mise en œuvre, s’avère d’un grand secours pour les patients contaminés à l’Hépatite C. © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. Le régime des contaminations transfusionnelles à l’Hépatite C repose sur la présomption légale instituée par l’article 102 de la loi n o 2002-303 du 4 mars 2002, mais tout n’est pas simple pour autant pour les personnes contaminées. La personne s’estimant victime ne doit pas seulement faire état d’une éventualité, mais elle doit apporter un faisceau d’éléments conférant à cette hypothèse un degré suffisamment élevé de vraisemblance. Si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le ou les défendeurs. 1. Le droit applicable 1.1. Le régime de responsabilité Aux termes de l’article 102 de la loi n o 2002-303 du 4 mars 2002 : « En cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de l’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une trans- fusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ – see front matter © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2011.07.030

Jurisprudence récente sur les contaminations Hépatite C

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Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 360–363

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Jurisprudence récente sur les contaminations Hépatite C

Anaïs Adergal (Doctorante en droit)184, rue Garibaldi, 69003 Lyon, France

Disponible sur Internet le 15 septembre 2011

Résumé

La présomption de responsabilité instituée par la loi du 4 mars 2002, malgré les difficultés de mise enœuvre, s’avère d’un grand secours pour les patients contaminés à l’Hépatite C.© 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.

Le régime des contaminations transfusionnelles à l’Hépatite C repose sur la présomption légaleinstituée par l’article 102 de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002, mais tout n’est pas simple pourautant pour les personnes contaminées. La personne s’estimant victime ne doit pas seulement faireétat d’une éventualité, mais elle doit apporter un faisceau d’éléments conférant à cette hypothèseun degré suffisamment élevé de vraisemblance. Si tel est le cas, la charge de la preuve contrairerepose sur le ou les défendeurs.

1. Le droit applicable

1.1. Le régime de responsabilité

Aux termes de l’article 102 de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 :

« En cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus del’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apportedes éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une trans-fusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Auvu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusionou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa convictionaprès avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.Le doute profite au demandeur.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2011.07.030

A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 360–363 361

Cette disposition est applicable aux instances en cours n’ayant pas donné lieu à unedécision irrévocable ».

Ainsi, il appartient aux demandeurs, non pas seulement de faire état d’une éventualité selonlaquelle la contamination par le virus de l’hépatite C proviendrait d’une transfusion, mais encored’apporter un faisceau d’éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les donnéesdisponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance. Si tel est le cas, la charge de la preuvecontraire repose sur le ou les défendeurs.

Ce n’est qu’au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par les parties,forme sa conviction, que le doute profite aux demandeurs. La présomption légale instituée par lesdispositions de l’article 102 de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 ne s’applique qu’à la relationde cause à effet entre une transfusion et la contamination par le virus de l’hépatite C ultérieure-ment constatée, et ne concerne pas l’existence même de la transfusion soupconnée d’avoir causécette contamination (Conseil d’État, 16 mars 2011, no 320734 ; CAA Nancy, 10 février 2010,no 08NC01743).

Ainsi, le demandeur doit établir l’existence de la transfusion qu’il prétend avoir subie selonles règles de droit commun gouvernant la charge de la preuve.

Cette preuve peut être apportée par tout moyen et est susceptible de résulter, notamment dansl’hypothèse où les archives de l’hôpital ou du centre de transfusion sanguine (CTS) ont disparu,de témoignages et d’indices concordants dont les juges du fond apprécient souverainement lavaleur (CAA Nancy, 7 janvier 2010, no 08NC01196).

Il incombe donc au demandeur d’établir l’existence de la transfusion qu’il prétend avoir subieselon les règles de droit commun gouvernant la charge de la preuve devant le juge administratif.

1.2. La collectivité responsable

L’établissement francais du sang (EFS) est venu aux droits et obligations du centre de transfu-sion de Marseille, fournisseur des produits sanguins administrés à l’intéressé en 1978. L’article67 de la loi no 2008-1330 du 17 décembre 2008 a ensuite confié à l’office national d’indemnisationdes accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), enlieu et place de l’EFS, l’indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contaminationpar le virus de l’hépatite C (VHC) causée par une transfusion de produits sanguins ou une injectionde médicaments dérivés du sang.

2. Cas de jurisprudence

2.1. Série de transfusions dans les années 1975–1976

Conseil d’État, 16 mars 2011, no 320734

2.1.1. Les faitsM. A. a été hospitalisé du 10 au 13 février 1976 à la clinique de La Plaine à Clermont-Ferrand,

puis du 14 février au 3 mars 1976 au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Clermont-Ferrand où il a subi des interventions chirurgicales avec anesthésie générale, plusieurs transfusionssanguines et des séances de dialyse. Imputant aux transfusions sanguines sa contamination parle virus de l’hépatite C, diagnostiquée en 1999, il a recherché la responsabilité du CHRU deClermont-Ferrand auquel l’EFS s’est substitué en cours d’instance.

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2.1.2. La procédurePar jugement du 5 décembre 2006, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a jugé que

les transfusions étaient à l’origine de la contamination et a condamné l’EFS à verser une indem-nisation.

La cour administrative d’appel a réformé ce jugement. Pour juger que M. A. ne pouvait pré-tendre à réparation, la cour s’est fondée sur la circonstance que M. A. a été exposé à d’autres sourcesde contamination que les transfusions de produits élaborés par le CTS de Clermont-Ferrand,relevant du CHRU de Clermont-Ferrand.

2.1.3. L’analyse du Conseil d’ÉtatIl ressort des pièces du dossier que ces autres sources de contamination en cause, et tout

particulièrement les séances de dialyses, correspondaient à des actes pratiqués au CHRU deClermont-Ferrand. Ainsi, à supposer qu’elle se soit produite à l’occasion d’un de ces actes, lacontamination de l’intéressé aurait en tout état de cause engagé la responsabilité de cet établisse-ment public, l’introduction d’un germe pathogène dans le corps du patient à l’occasion d’un acteinvasif révélant une faute dans l’organisation du service.

M. A. a recu, lors de ses hospitalisations en février et mars 1976 dix-sept produits sanguinsélaborés par le CTS de Clermont-Ferrand. Eu égard au caractère massif des transfusions opéréesde produits dont l’innocuité n’a pu être établie que pour deux d’entre eux, et à une époque reconnuecomme ayant été à haut risque, le tribunal administratif a pu estimer à bon droit que M. A. devaitêtre regardé comme apportant des éléments permettant de présumer que sa contamination par levirus de l’hépatite C a pour origine les transfusions réalisées en 1976.

Si l’EFS fait valoir qu’il ne peut être exclu que la contamination par le virus de l’hépatite Cait pu également se produire à l’occasion des interventions chirurgicales et des séances de dia-lyse subies par l’intéressé lors de son séjour au CHRU de Clermont-Ferrand, il n’identifie, dansl’histoire médicale de M. A, aucun signe clinique d’une infection nosocomiale et n’établit pasavec suffisamment de précision que sa contamination serait la conséquence d’un de ces actes.

Ainsi, l’EFS n’apporte pas la preuve contraire qui lui incombe.

2.2. Quatre transfusions en 1978

CAA Marseille, 15 avril 2011, no 08MA03235

2.2.1. Les faitsÀ la suite d’un accident de la circulation, un blessé a été admis le 3 juillet 1978 dans un hôpital

public pour subir une ostéosynthèse sur fracture du tiers supérieur du fémur. À la suite de ladécouverte en 1998 de sa sérologie positive au virus de l’hépatite C, il a recherché la responsabilitésolidaire de l’EFS et de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille en raison :

• s’agissant de l’EFS, de l’imputabilité de sa contamination à des transfusions sanguines quiauraient été réalisées lors de son séjour hospitalier en 1978 ;

• s’agissant de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP–HM), de la perte de chancede pouvoir prouver l’existence de ces transfusions et de cette imputabilité compte tenu de laperte selon lui fautive, de la part de l’administration hospitalière, de son dossier médical de1978.

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2.2.2. La perte du dossierLa circonstance que le dossier du patient ait été détruit lors d’un dégât des eaux n’est pas de

nature à l’exonérer de la charge d’établir l’existence de ladite transfusion.

2.2.3. La responsabilité du fait des produits transfusésLe centre transfusionnel de Marseille a fourni les 3 et 4 juillet 1978 à l’AP–HM quatre concen-

trés globulaires émanant de quatre donneurs distincts pour un patient, dénommé Thierry D., néle 2 octobre 1961, qui doit être regardé comme étant effectivement le requérant, Thierry A., né le2 octobre 1961, nonobstant l’erreur matérielle entachant son nom, compte tenu de la similitudedu prénom, de la date de naissance et de la coïncidence de la date de livraison avec le jour del’hospitalisation en litige.

Selon l’expert, une biopsie hépatique réalisée en 2000 a mis en évidence dans le sang dupatient la présence d’anticorps anti-Kell, dont l’origine chez l’homme est dans 95 % des casd’origine post-transfusionnelle. Le rapport d’expertise souligne qu’aucune transfusion n’a étérecensée avant ou après 1978. En outre, les opérations d’expertise ne relèvent aucun fait suscep-tible d’avoir contaminé l’intéressé depuis l’hospitalisation en litige jusqu’au jour de la découvertede sa sérologie positive au virus de l’hépatite C. Avant cette hospitalisation, le patient n’avaitsubi que deux gestes invasifs susceptibles de le contaminer, une extraction dentaire et un perce-ment de l’oreille, dont le pouvoir de contamination est marginal selon l’expert par rapport à unetransfusion sanguine. Enfin, même si l’intervention chirurgicale en litige n’était qu’une simpleostéosynthèse, le rapport d’expertise indique qu’il est concevable qu’il y ait eu une indication detransfusion sanguine d’autant qu’à l’époque des faits, selon l’expert, les transfusions sanguinesétaient facilement administrées.

Il résulte de ce qui précède, compte tenu notamment de la présence susmentionnée d’anticorpsanti-Kell :

• que la matérialité de la transfusion d’au moins un concentré globulaire lors du séjour hospitalierde l’appelant en 1978 doit être considérée comme établie de facon suffisamment sérieuse,nonobstant la perte du dossier médical de l’intéressé ;

• que le faisceau d’indices ressortant des éléments versés au dossier permet de retenir uneprésomption suffisante d’imputabilité de la contamination à la transfusion, nonobstant la cir-constance que la perte du dossier médical ne permette pas de connaître le nombre exact deconcentrés globulaires administrés.

Ni l’EFS, ni l’ONIAM ne renversent la charge de la preuve contraire qui leur incombe, dans lamesure où il n’est pas établi qu’aucun des quatre donneurs susmentionnés n’était pas porteur duvirus. Ainsi, le doute profitant à la victime, la responsabilité de l’ONIAM est engagée à l’égardde M. A.