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541.182.02 LA CONSTITUTION DES PARTICULES COLLO~DALES ET L'ADSORPTION PAR 1. DUCLAUX. Les proprietes colloidales des particules de petite dimension (ou micelles) sont attribuables a diverses causes. Elle peuvent Etre simplement la consequence de la grandeur smolkculaire (macromolecules de synthese, protkines) . Elles peuvent resulter d'une adsorption: par exemple, l'iodure d'argent peut Etre stabilise sous forme coiloldale par l'iodure de potassium adsorbe. I1 semble que beaucoup de chimistes veuillent faire entrer dans ce second type la plupart des colloides mineraux, qui sont decrits comme colloydes form& par adsorption. Mais une pareille generalisation n'est pas admissible, et est de nature 5 entraver la recher- che en dissimulant les difficultes. D'une facon generale, la conception de la particule formee par adsorption n'a de sens que si l'on peut definir separement, et isoler, la matiere qui forme le noyau de la particule et celle qui forme la couche peripherique adsorbee. Le noyau doit avoir la composition exacte, les propri6tes chimiques et le diagramme de rayons X d'une substance pure connue d'une autre maniere. Ces conditions sont ef fectivement remplies par l'iodure d'argent; il n'est cependant pas sfir qu'elles le seraient encore, si les methodes d'examen etaient plus precises. I1 faut ensuite que le produit fix6 par adsorption soit en equilibre d'adsorption avec le liquide intermicellaire, et que ses reactions chimiques ne soient pas modi- fiees par son &at adsorbe. On ne peut en effet admettre, par exemple, que CO Ca soit forme de CO, adsorbe sur CaO, ou Fe(CN),K, de KCN adsorbe sur he(CN)z. Or il existe, en chimie minerale, beaucoup de colloides (la plupart de ceux de G r a h a m ) dont les proprietes ne s'accordent pas avec ce schema d a d - sorption, et pour lesquels on est oblige d'admettre une constitution idifferente. Ces colloides sont justement ceux qui smanifestent les proprietes colloydales les plus nettes: floculation totale, pression osmotique notable, grande stabilite dans le temps montrant un equilibre parfait entre la micelle et le liquide intermicel- laire. Tels sont par exemple le sulfure d'arsenic, les hydroxydes de fer, chrome, thorium, les cyanures complexes ( ferro-, rutheno-, osmiocyanures ferrique, cuivrique, uranylique) . Les proprietes de ces colloides ne s'accordent pas avec la conception des particules formees par adsorption. Mais on ne peut s'en apercevoir que par le moyen d'analyses chimiques precises qui sont rarement faites; car les chimistes colloidistes n'ont jamais eu beaucoup de gotit pour les methodes d'analyse chimique. Le cas du sulfure d'arsenic est le plus connu, ayant et6 signal6 en 1904 1. On sait depuis P i c t o n et L i n d e r que sa composition comporte un ,,excCs" de H,S; ce qui engage a le considerer comme forme de As$, ayant adsorbe HzS. Mais cette hypothese simple n'est pas conforme aux faits. Quand on flocule par un sel, BaClz par exemple, un hydrosol prepare a la maniere ordi- naire et contenant un petit exces de H2S, le liquide qui surnage le precipite non l) J. D u c 1 a u X, These de doctorat, Paris 1904.

La Constitution des Particules Colloïdales et L'Adsorption

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541.182.02

LA CONSTITUTION DES PARTICULES COLLO~DALES ET L'ADSORPTION

PAR

1. DUCLAUX.

Les proprietes colloidales des particules de petite dimension (ou micelles) sont attribuables a diverses causes. Elle peuvent Etre simplement la consequence de la grandeur smolkculaire (macromolecules de synthese, protkines) . Elles peuvent resulter d'une adsorption: par exemple, l'iodure d'argent peut Etre stabilise sous forme coiloldale par l'iodure de potassium adsorbe. I1 semble que beaucoup de chimistes veuillent faire entrer dans ce second type la plupart des colloides mineraux, qui sont decrits comme colloydes form& par adsorption. Mais une pareille generalisation n'est pas admissible, et est de nature 5 entraver la recher- che en dissimulant les difficultes. D'une facon generale, la conception de la particule formee par adsorption n'a de sens que si l'on peut definir separement, et isoler, la matiere qui forme le noyau de la particule et celle qui forme la couche peripherique adsorbee. Le noyau doit avoir la composition exacte, les propri6tes chimiques et le diagramme de rayons X d'une substance pure connue d'une autre maniere. Ces conditions sont ef fectivement remplies par l'iodure d'argent; il n'est cependant pas sfir qu'elles le seraient encore, si les methodes d'examen etaient plus precises.

I1 faut ensuite que le produit fix6 par adsorption soit en equilibre d'adsorption avec le liquide intermicellaire, et que ses reactions chimiques ne soient pas modi- fiees par son &at adsorbe. On ne peut en effet admettre, par exemple, que CO Ca soit forme de CO, adsorbe sur CaO, ou Fe(CN),K, de KCN adsorbe sur h e ( C N ) z .

Or il existe, en chimie minerale, beaucoup de colloides (la plupart de ceux de G r a h a m ) dont les proprietes ne s'accordent pas avec ce schema dad- sorption, et pour lesquels on est oblige d'admettre une constitution idifferente. Ces colloides sont justement ceux qui smanifestent les proprietes colloydales les plus nettes: floculation totale, pression osmotique notable, grande stabilite dans le temps montrant un equilibre parfait entre la micelle et le liquide intermicel- laire. Tels sont par exemple le sulfure d'arsenic, les hydroxydes de fer, chrome, thorium, les cyanures complexes ( ferro-, rutheno-, osmiocyanures ferrique, cuivrique, uranylique) . Les proprietes de ces colloides ne s'accordent pas avec la conception des particules formees par adsorption. Mais on ne peut s'en apercevoir que par le moyen d'analyses chimiques precises qui sont rarement faites; car les chimistes colloidistes n'ont jamais eu beaucoup de gotit pour les methodes d'analyse chimique.

Le cas du sulfure d'arsenic est le plus connu, ayant et6 signal6 en 1904 1. On sait depuis P i c t o n et L i n d e r que sa composition comporte un ,,excCs" de H,S; ce qui engage a le considerer comme forme de As$, ayant adsorbe HzS. Mais cette hypothese simple n'est pas conforme aux faits. Quand on flocule par un sel, BaClz par exemple, un hydrosol prepare a la maniere ordi- naire et contenant un petit exces de H2S, le liquide qui surnage le precipite non

l) J. D u c 1 a u X, These de doctorat, Paris 1904.

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seulement ne contient plus de H,S, mais il contient de l’acide arsenieux. Divers auteurs ont cru expliquer ce fait par une hydrolyse de As,S,; cette explication est inadmissible, car s’il y avait hydrolyse le liquide devrait contenir en meme temps As,O, et H,S et il est facile de voir qu’il ne contient pas la moindre trace de H2S. 11 est certain qu’il se produit ‘dans la floculation une reaction chimique assez camplexe et que la composition de la particule ne peut pas etre representee par la formule [ R As,S,, H,S] . Elle contient necessairement de l’oxygene lie B l’arsenic sous une forme qui resiste a l’action de H2S, et dont la presence ne peut Etre un resultat d’adsorption puisque cette forme n’existe pas dans le liquide intermicellaire. On peut admettre une formule analogue a la suivante:

( SH ) 2 = A s - S A S ( OH ) -S-As ( OH ) 2

Le cas des cyanures complexes est plus net encore. Mis en lumiere en 1904, il a CtC etudie plus recemment par 0 u a n g 2 ) .

Quand on verse, en agitant, une solution diluee d’un sel cuivrique dans une solution diluee de Fe( C N ) 6K4, Je liquide idevient immediatement rouge, mais au debut aucun precipite ne se forme. Par dialyse ou ultrafiltration, on obtient un hydrosol rouge f o n d tres stable, pouvant Etre conserve sans alteration pendant au moins 40 ans.

Si I’on augmente la quantite de sel cuivrique, B un certain moment le colloide rouge flocule integralement et se separe d’une eau-mere qui ne contient pas trace de cuivre ni de ferrocyanure. A ce moment le precipitt n’a pas la formule Fe(CN),Cu,: il contient du potassium ,,en exces”, en quantite variable avec les conditions de l’experience et notamment les concentrations des solutions. D’apres 0 u a n g sa composition varie de Fe( C N ) 6C~1.55K0.9 a Fe ( CN)6C~1.45K0.3 B mesure que la dilution augmente. On peut la representer aussi par une formule du type [R Fe(CN),Cu,, Fe(CN),K,] qui met en evidence le ferrocyanure de potassium ,,en exces”.

Si, a ce moment, on continue a ajouter du sel cuivrique, une partie de ce sel deplace le potassium du precipite, tandis que l’autre reste libre. Mais le depla- cement n’esf que partiel; le precipite continue ti contenir du ferrocyanure de potassium ,,en exces” en presence d u n liquide intermicellaire qui contient du cuivre.

Ces faits sont incompatibles avec la conception d’une particule formee par adsorption, pour deux raisons. En premier lieu, si l’,,exc&s” de Fe(CN)6K4 resultait d’une adsorption, il devrait disparaitre au moment oh le liquide inter- micellaire ne contient plus de ferrocyanure, et 5 ce moment la particule devrait avoir exactement la composition Fe(CN)&u2; ce qui n’est pas.

En second lieu, dans la seconde partie de l’experience, lorsque nous sommes en presence d’un excts de cuivre, cet exc&s devrait reagir immediatement sur le ferrocyanure de potassium ,,aNdsorbe”, ce qui n’est pas. On constate bien une reaction, mais d’apres 0 u a n g elle est, 5 la temperature ordinaire, seulement

peu pres a moitit accomplie a p r b 134 jours et sa vitesse est alors tellement ralentie qu’elle ne pourrait gtre ac‘hevee (en supposant qu’elle s’acheve) qu’apres plusieurs annees, Or, au debut, la meme reaction est pratiquement instantanee sa duree etant certainement bien inferieure a 1/10 de seconde; sa

2, 0 u a n g C h o u H u i n, Thcse de doctorat, Paris 1940. J. chim. phys. 36, 62 (1939).

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vitesse est donc rkduite dans le rapport de 109 h 1. I1 est clair que ceci demande une explication.

O n pourrait dire que le cuivre diffuse trgs lentement h l'interieur de la particule. Le travail de 0 u a n g montre que cette explication n'est pas accep- table. En effet, un sel d'argent reagit sur le ferrocyanure de cuivre rouge en donnant du ferrocyanure d'argent blanc: la decoloration est instantanbe. Dans le meme temps trgs court, une partie du potassium est deplacee par l'argent. La diffusion de l'ion Ag dans la particule est donc tr&s,rapide: il serait invrai- sembable que celle de l'ion Cu fat 109 fois plus lente.

D'ailleurs le coefficient de temperature de la reaction de dkplacemeat de K par Cu est d'apres 0 u a n g tres fort, voisin de 23 pour loo, ce qui est la valeur caracteristique d'une reaction chimique et non d'une diffusion.

I1 n'y a donc pas de doute que dans la particule de ferrocyanure de cuivre le ferrocyanure de potassium ,,en exces" est lie chimiquement et non pas physiquement (ou par adsorption). Les faits sont les m@mes pour les autres cyanures complexes ktudies par 0 u a n g. On sait aussi que dans les particules du svlfure de cadmium colloTda1 il y a simultanement du S04Cd et du HZS qui ne reagissent pas l'un sur l'autre, alors que la reaction est instantanee en solution. #Mais dans ce cas les ,,excCs" sont si petits qu'il faut, pour les recon- naitre, des analyses chimiques tres precises.

La distinction entre la liaison chimique et la liaison physique n'est pas par elle m6me essentiene, et la question que nous traitons serait vaine si elle n'etait pas en rapport direct avec un autre probkme fondamental. Pourquoi certains composes donnent ils des hydrosols stables, alors que sd'autres tres voisins donnent des solutions moleculaires ou des precipitks? Cett'e question se pose en chimie organique; alors que la plupart des matieres colorantes synthetiques donnent des solutions moleculaires, certaines telles que le rouge Congo ont toutes les proprietes des colloydes, sans que leur composition chimique ou leur mode de preparation presente rien de particulier. Le m4me fait se presente en chimie minerale; pour ne parler que des oxydes ou hydrates, les uns sont tres solubles molkulairement, d'autres peu solubles ( Mg, Cu, Zn, Fell) tandis que d'autres ne paraissent pas exister h l'etat moleculaire (Fell', Th, Al) 'mais seulement h l'etat colloidal.

I1 faut expliquer ces differences. Quand on rapporte l'aptitude h former des hydrosols h l'insolubilite. on ne fait que constater un fait essentiel: on'ne 'donne pas une explication. Celle-ci doit ttre cherchee, suivant la theorie de W y r o u b o f f et V e r n e u i 1, dans l'aptitude h la reaction chimique de condensation. Ce sont seulement les corps chimiquement condenses qui peuvent donner des hydrosols stables. En g6neral la tendance h la condensation n'apparait que chez les ions polyvalents (ou radicaux polyvalents): rnais ce n'est pas une propriete necessaire car elle n'apparait pas chez beaucoup de ferrocyanures (Zn , Pb) ni chez les metaux du platine.

L'aptitude h la condensation est evidemment une proprikte electronique: c'est h dire que les corps collozdaux doivent ttre consideres comme des complexes electroniques et non comme des assemblages d'ions. C'est de cette maniere que l'on rend le mieux compte de leurs caractgres les plus curieux: leur couleur le plus souvent aberrante (sulfures, bleu de Prusse) et le fait, confirme par 0 u a n g, que leurs reactions ne sont pas du type ionique.

Notons en passant que l'aptitude h la condensation conditionne aussi

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l'aptitude ti l'hydrolyse, puisque la partie condensee est soustraite ti 1'Cquilibre de masses. En l'absence de condensation (Mg) l'hydrolyse ne peut etre que trks faible a la temperature ordinaire.

I1 y a naturellement, comme pour les complexes cristallisables, des formes intermediaires entre les formes parfaites et les formes labiles de complexes colloidaux: dans ces derniers les reactions ioniques peuvent subsister.

En resume, les complexes colloi'daux parfaits peuvent, comme tous les corps tres divises, Etres modifies par l'adsorption: mais ils ne Iui doioent pas leur exisfence. 11s la doivent a une particularite de leur couche electronique super- ficielle, qui facilite leur condensation; celle-ci se faisant prabablement sous la forme de reseau B trois dimensions.

P a r i s, Colkge de France. Laboratoire de Biologie gknerale, juillet 1946.

(Regu le 6 julliet 1946).