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Revue internationale du Travail, vol. 142 (2003), n o 4 Copyright © Organisation internationale du Travail 2003 La discrimination raciale: théories, faits, stratégies Marco FUGAZZA * L a Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée en 1965, propose une défi- nition globale et concrète de la discrimination. Dans cet instrument, l’expression «discrimination raciale» vise et englobe «toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique» (Nations Unies, 1965, article 1 (1)). La discrimination, qu’elle soit de type racial ou sexiste, est pré- sente dans toute situation d’interaction socio-économique. Cet article a pour objet de présenter quelques grandes études économiques suscep- tibles d’apporter un éclairage sur la discrimination. Comme l’a rappelé Arrow (1998), il est difficile d’imaginer que la science économique puisse, à elle seule, permettre de saisir toute la complexité d’un phéno- mène qui se manifeste à tous les niveaux de la sphère sociale. On observe cependant que de plus en plus d’études économiques, théori- ques ou empiriques, essaient de rendre compte des deux éléments suivants: d’une part, les prix ne reflètent pas nécessairement tous les aspects des interactions sociales; d’autre part, les théories classiques du marché ne permettent pas d’appréhender correctement les effets de la discrimination raciale ou sexiste. Le présent article porte essentiellement sur le marché du travail. Même s’il est improbable que ce dernier donne une image complète des effets des interactions socio-économiques, c’est un domaine sur lequel * Lorsqu’il a rédigé le document de travail dont le présent article est inspiré, l’auteur était chercheur au Centre d’enseignement en analyse socio-économique (CERAS), laboratoire de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, France; courriel: [email protected].

La discrimination raciale: théories, faits, stratégies

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Revue internationale du Travail,

vol. 142 (2003), n

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Copyright © Organisation internationale du Travail 2003

La discrimination raciale:théories, faits, stratégies

Marco FUGAZZA

*

L

a Convention internationale sur l’élimination de toutes les formesde discrimination raciale, adoptée en 1965, propose une défi-

nition globale et concrète de la discrimination. Dans cet instrument,l’expression «discrimination raciale» vise et englobe «toute distinction,exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur,l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou poureffet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissanceou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme etdes libertés fondamentales dans les domaines politique, économique,social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique»(Nations Unies, 1965, article 1 (1)).

La discrimination, qu’elle soit de type racial ou sexiste, est pré-sente dans toute situation d’interaction socio-économique. Cet article apour objet de présenter quelques grandes études économiques suscep-tibles d’apporter un éclairage sur la discrimination. Comme l’a rappeléArrow (1998), il est difficile d’imaginer que la science économiquepuisse, à elle seule, permettre de saisir toute la complexité d’un phéno-mène qui se manifeste à tous les niveaux de la sphère sociale. Onobserve cependant que de plus en plus d’études économiques, théori-ques ou empiriques, essaient de rendre compte des deux élémentssuivants: d’une part, les prix ne reflètent pas nécessairement tous lesaspects des interactions sociales; d’autre part, les théories classiques dumarché ne permettent pas d’appréhender correctement les effets de ladiscrimination raciale ou sexiste.

Le présent article porte essentiellement sur le marché du travail.Même s’il est improbable que ce dernier donne une image complète deseffets des interactions socio-économiques, c’est un domaine sur lequel

* Lorsqu’il a rédigé le document de travail dont le présent article est inspiré, l’auteur étaitchercheur au Centre d’enseignement en analyse socio-économique (CERAS), laboratoire del’Ecole nationale des ponts et chaussées, France; courriel: [email protected].

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on possède un nombre considérable d’informations. On y observenotamment que deux individus, présentant par ailleurs des caractéristi-ques identiques, peuvent avoir un statut totalement différent suivant lamanière dont ces caractéristiques sont perçues. Correctement évaluées,les situations observées sur le marché du travail devraient permettre decomprendre les mécanismes de la discrimination non seulement sur cemarché, mais également à d’autres niveaux de la sphère socio-économi-que. Un examen de ce type est en outre extrêmement utile lorsqu’ils’agit d’examiner les implications de la discrimination sous l’angle desorientations à définir.

Nous nous proposons ici, d’une part, de vérifier si les principauxacquis de la recherche théorique et empirique permettent de bien éva-luer l’ampleur des pratiques discriminatoires, d’autre part, partant deces acquis et, éventuellement, d’autres considérations extérieures àla sphère économique, de proposer un certain nombre d’orientationsstratégiques.

Cet article montre que, même si certains travaux théoriques ren-dent compte des divers aspects de la réalité socio-économique ainsi quedes nombreux mécanismes de reproduction des comportements entreles générations, et permettent de s’interroger sur les formes d’interven-tion possibles, il conviendrait d’accorder davantage de place à l’évalua-tion empirique. Toutes les études empiriques reconnaissent l’existencede disparités de revenus entre les groupes ethniques (et entre les hom-mes et les femmes). Etant donné la rareté des informations susceptiblesde garantir une évaluation correcte de ces disparités, l’interprétationdes données empiriques continue à susciter d’âpres controverses. Enparticulier, on ne s’accorde pas sur le point de savoir si certaines carac-téristiques, pertinentes mais non prises en compte, diffèrent d’ungroupe ethnique à l’autre, et si certaines des caractéristiques retenuessaisissent effectivement des différences individuelles, ou ne sont, fina-lement, que prétextes à discrimination. Ainsi, certains chercheurs con-sidèrent que les disparités actuellement observées reflètent ladiscrimination qui s’exerce aujourd’hui; pour d’autres, elles sont avanttout le vestige d’anciennes pratiques discriminatoires ou de déficits enressources humaines d’origine historique. L’opposition entre ces deuxpoints de vue influe également sur la conception des politiques. Pour lespremiers, il appartient aux décideurs d’intervenir sur le marché del’emploi pour réduire les écarts de revenus; pour les seconds, il est pré-férable d’intervenir en amont, lors des premières étapes du développe-ment de l’individu, afin de réduire les écarts de compétences avantl’entrée dans la vie active. Il semble également que la ségrégation fon-dée sur la zone de résidence joue un rôle important dans les écarts derevenus entre groupes ethniques. Ce type de ségrégation s’accompagnepar ailleurs de coûts substantiels pour les groupes qui en sont victimes.Il est également avéré que la discrimination joue un rôle essentiel dans

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les différences de salaire entre hommes et femmes. Il semble cependantque, dans les groupes ethniques désavantagés, les femmes soient moinsvictimes de la discrimination raciale que les hommes. Enfin, les don-nées empiriques montrent que la discrimination peut être perpétuéepar un racisme et une discrimination de type institutionnel, et cela mal-gré l’existence de législations et de politiques antidiscriminatoires.

Il s’agit donc d’intervenir à plusieurs niveaux. Les ressourcespubliques étant limitées, une telle intervention nécessite une mobilisa-tion de tous les acteurs sociaux.

Le présent article propose d’abord un tour d’horizon des principa-les théories, puis un examen de quelques études empiriques, et suggèreenfin un certain nombre d’orientations.

Théories de la discrimination

Nous allons examiner quatre approches théoriques de la discrimi-nation. Les deux premières abordent le phénomène sous l’angle despréférences individuelles et des préjugés d’ordre statistique. La troi-sième s’efforce de comprendre la permanence de la discriminationd’une génération à l’autre, la quatrième s’appuie sur des élémentsd’économie urbaine.

Discrimination fondée sur les préférences

Selon ce modèle, qui a été élaboré dans le sillage des travaux fon-dateurs de Becker (1957), certains agents économiques (employeurs,salariés, consommateurs appartenant au groupe majoritaire, etc.) sontporteurs de certaines préférences, d’origine exogène, qui les poussent àexercer une discrimination. Dans une situation de ce type, les individusappartenant à la minorité ne reçoivent pas le même salaire que leurscollègues du groupe majoritaire, ou ne bénéficient pas des mêmesconditions de prix sur le marché des biens ou sur celui des crédits. Si cesmarchés fonctionnaient parfaitement – et à condition également qu’ilexistât suffisamment d’agents qui ne soient pas enclins à la discrimina-tion –, alors la possibilité même d’un arbitrage dû aux différences detraitement entre les groupes disparaîtrait.

Dans le cas typique de discrimination exercée par l’employeur,celui-ci estime que le fait d’embaucher des travailleurs n’appartenantpas au groupe majoritaire entraîne un certain coût, qu’il cherche dèslors à compenser en versant à ces derniers un salaire moins élevé. Si,toutefois, une concurrence parfaite règne sur le marché du travail, lestravailleurs défavorisés peuvent offrir leurs services à un chef d’entre-prise qui n’est pas enclin à la discrimination et s’assurer de la sorte unemeilleure rémunération. Selon cette logique, les pratiques discrimina-toires sont, à long terme, vouées à disparaître, de même que sont con-

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damnées à l’échec les entreprises qui embauchent sur la base de critèresdiscriminatoires, quels que soient d’ailleurs les bénéfices qu’elles peu-vent initialement se procurer par ce biais.

En revanche, si le marché est imparfait, une discrimination persis-tante peut s’ensuivre. Black (1995) propose ainsi l’exemple d’un mar-ché du travail où les règles de la libre concurrence ne sont pasrespectées: quelques entreprises y détiennent un pouvoir de mono-psone en matière de fixation des salaires et la recherche – d’emploi oude travail – y est coûteuse, tant pour les travailleurs que pour lesemployeurs. Certaines entreprises sont en effet enclines à la discrimina-tion. Dès lors, les travailleurs qui subissent cette discrimination suppor-tent des frais de recherche d’emploi plus élevés, car commentpourraient-ils espérer être engagés par les entreprises qui nourrissentdes préjugés à leur encontre? En outre, lorsque le coût de la recherched’emploi est plus élevé, le salaire minimum accepté est ipso facto plusbas

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. Dans le modèle proposé par Black, où ce sont les entreprises quifixent les salaires, la rémunération proposée aux travailleurs correspon-dait au salaire minimum accepté. Il en résulte que les entreprisesdépourvues de préjugés accordent un salaire moins élevé aux tra-vailleurs qui sont l’objet d’une discrimination. Dans une situation de cegenre, on comprend que les préférences cessent d’être «neutres» à longterme.

Discrimination fondée sur les préjugés de nature statistique

Comme la précédente, cette théorie se fonde sur les éléments exo-gènes du comportement discriminatoire, même si elle prévoit, dans cer-tains cas, la possibilité pour l’individu de réagir contre un telcomportement. Dans ce modèle, ce ne sont plus les préférences discri-minatoires qui sont prises en considération, mais le fait que certainsagents économiques sont incités (par suite, pense-t-on généralement,d’une information imparfaite sur les caractéristiques antérieures àl’entrée sur le marché ou sans rapport avec lui) à exercer une discrimi-nation à l’encontre d’un groupe spécifique sur la base de spécificitéssans relation avec la productivité, telle que l’appartenance raciale. Onpeut observer des cas de persistance de ce comportement discrimina-toire, notamment lorsque l’on a affaire à des marchés non walrasiens,ou si l’on tient compte de décisions individuelles antérieures à l’entréesur le marché du travail.

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Globalement, le salaire minimum accepté, ou, d’une manière plus générale, la valeurminimale acceptée, correspond au niveau de salaire qu’un employé demandera pour accepter unemploi et correspond à la valeur attachée au fait d’être chômeur. Dans le cas qui nous occupe,cette valeur inclut les coûts afférents à la recherche d’emploi.

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La persistance de l’attitude discriminatoire est également fonctionde l’expérience de l’employeur. D’une manière générale, cette expé-rience est des plus limitées, ce qui explique que les idées préconçuespuissent subsister longtemps sans être véritablement remises en ques-tion. Si, par ailleurs, le jugement de l’employeur se fonde sur des élé-ments qui n’ont rien à voir avec la productivité, il y a de fortes chancespour que le travailleur désavantagé ne fasse pas l’investissement coû-teux nécessaire pour travailler et confirme ainsi les préjugés dont il estl’objet. Cette idée, d’abord formulée par Arrow (1973), a été approfon-die par Lundberg et Startz (1983).

Plus récemment, Coate et Loury (1993) ont élaboré un modèle quirepose sur cette forme particulière de discrimination statistique quesont les stéréotypes négatifs à l’encontre des travailleurs provenant dugroupe minoritaire. Ce modèle établit – et c’est là un de ses aspects lesplus intéressants – que les erreurs initiales d’information se traduisentmoins par des disparités salariales que par le fait que l’employeur amoins tendance à confier des tâches valorisantes au travailleur à l’en-contre de qui il nourrit des préjugés. L’employeur, qui n’est pas enmesure d’évaluer parfaitement les capacités individuelles du salariéen question, et qui s’attend d’autre part à ce que la productivité de cedernier corresponde à celle du groupe dont il fait partie, se trouve alorsconforté dans ses a priori et entre dans une logique qui est celle des pro-phéties autoréalisatrices.

Dans l’analyse proposée par Arcidiacono (2003), la discriminationstatistique intervient avant la détermination du salaire ou l’entrée enfonctions, c’est-à-dire au stade de la recherche d’emploi. Les entre-prises adoptent une attitude discriminatoire à l’égard du groupe mino-ritaire en réduisant le nombre d’avis de vacances de poste dans lessecteurs d’activité où se concentrent les membres du groupe minori-taire. Dans ce cas, soit les entreprises ne parviennent pas à coordonnerleurs décisions, soit, dans la logique des modèles présentés plus haut, lestravailleurs concernés vont réagir à la discrimination dont ils sontl’objet en réduisant leur efforts de formation. Une mauvaise coordina-tion a pour effet d’aggraver les conséquences de la discrimination.Néanmoins, même si les entreprises parviennent à coordonner parfai-tement leurs décisions, la discrimination qui touche le travailleur mino-ritaire à la recherche d’un emploi limite les chances de ce dernier etdiminue le rendement de l’investissement dans la formation, investisse-ment qui est censé précéder l’entrée sur le marché du travail et repré-senter un certain coût. Les membres du groupe minoritaire, démotivés,sont tentés de renoncer à se former. Les entreprises, quant à elles, hési-tent à prospecter dans les secteurs du marché où ils sont concentrés. Làencore, les prophéties deviennent autoréalisatrices. Dans les deux cas,les membres du groupe minoritaire se retrouvent dans une situationsans issue – un chômage élevé, et des perspectives de revenus étales.

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Persistance des effets de la discriminationd’une génération à l’autre

Dans des modèles comme ceux de Arcidiacono (2003) ou Antono-vics (2000), les effets de la discrimination sont voués à disparaître avecl’abandon des pratiques discriminatoires – étant entendu qu’un telrésultat ne saurait être atteint en l’espace d’une seule génération. Cer-tains chercheurs font cependant valoir que les effets de la discrimina-tion persistent même en l’absence de discrimination effective. Cephénomène s’explique principalement par le fait que les jeunes généra-tions dépendent, pour leur formation, de l’appui financier de leursparents et, pour leur comportement, de l’acquis collectif – dans le sensoù l’entendent Loury (1977) avec le concept de «capital social» ou Bor-jas (1992) avec celui de «capital ethnique»

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. Dans le cadre de cet article,le «capital social» fait référence au milieu communautaire, lequel peutcomporter plusieurs groupes ethniques.

Dans ses premiers travaux, Loury (1977) estime que la persis-tance, d’une génération à l’autre, des effets de la discrimination est dueau fait que, chez l’enfant, l’acquisition des compétences passe par lerelais de la famille et de la société. Sur la base de cette observation,l’auteur a noté que, si les individus se groupent par affinités ethniques,les différences de revenu entre groupes peuvent persister durablement,même si l’égalité des chances est officiellement garantie.

Borjas (1992) a élaboré un modèle simple fondé sur le paradigmede la «nouvelle» croissance. Comme le milieu familial, l’appartenanceethnique représente une externalité dans l’accumulation du capitalhumain. L’auteur montre que, si l’externalité «capital ethnique» est suf-fisamment importante, les différences entre groupes ethniques, en ter-mes de qualifications et d’accès au marché du travail, peuvent seperpétuer d’une génération à l’autre – il peut même arriver que ces dif-férences ne disparaissent jamais. En d’autres termes, les écarts quiséparent initialement les groupes ethniques sur le plan des ressourceshumaines peuvent se reproduire de génération en génération et consti-tuer une sérieuse menace sur la voie d’une croissance équilibrée.

Lundberg et Startz (1998) adoptent un modèle semblable à celuide Borjas (1992). D’une part, le niveau moyen du capital humain desadultes de la communauté a un effet – de signe positif – sur la produc-tivité de l’investissement des jeunes en capital humain (externalitédynamique), d’autre part, la plus grande productivité du capital humainsur le lieu de travail élève le niveau moyen des qualifications des collè-gues de travail (externalité statique). Les auteurs étudient divers degrésde ségrégation, au niveau des emplois et des communautés. Ils présen-tent la ségrégation comme le résultat d’une période d’oppression,

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Défini comme la qualification moyenne du groupe ethnique.

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laquelle correspond dans le modèle au fait que le coût de l’acquisitiondu capital humain est plus élevé pour la communauté minoritaire. Laségrégation devient moins forte (on parlera de «déségrégation») àmesure que les travailleurs du groupe minoritaire, moyennant desinvestissements plus ou moins coûteux selon les individus, parviennentà quitter les emplois peu qualifiés (ceux de la minorité) et à accéder àdes emplois requérant un niveau de qualification plus élevé (ceux de lamajorité). Lorsque la déségrégation affecte simultanément le mondedu travail et la collectivité, les membres les plus «doués» du groupeminoritaire (ceux dont le passage de la première à la seconde catégoriereprésente un coût peu élevé) quittent leur communauté d’origine, cequi a pour effet d’abaisser le niveau du capital humain du groupe mino-ritaire. Il en résulte une nouvelle vague d’émigration (externalité néga-tive statique) ainsi qu’un recul de l’investissement en capital humainchez les jeunes du groupe minoritaire (externalité négative dynnami-que). Ceux qui s’affranchissent de leur communauté d’origine accèdentà un statut plus enviable, mais les autres sont pris au piège d’une dyna-mique perverse qui se solde par une dégradation du niveau de vie. Ilsconstituent ce que Wilson (1987) appelle une sous-classe. Tant que laségrégation persiste au sein de la collectivité, il est difficile d’évaluerprécisément l’effet de la mobilité de la main-d’œuvre sur le niveaumoyen du capital humain du groupe minoritaire. Comme dans lemodèle de Borjas (1992), les disparités entre groupes peuvent persistermême en l’absence de pratiques discriminatoires actives. Dans le cadrede ces deux modèles, il est plus important, pour comprendre les dispa-rités, de replacer la discrimination dans une perspective historique quede s’attacher à ses manifestations actuelles.

Les pratiques discriminatoires qui sont à l’origine des inégalitésconstatées sur le marché de l’emploi sont censées se déployer sur cemarché ou en amont de celui-ci. Nous allons cependant présenter desmodèles qui prennent en considération des pratiques extérieures aumarché du travail.

Modèles fondés sur l’économie urbaine

L’économie urbaine nous enseigne que, lorsque les marchés sontconcurrentiels et les coûts de mobilité peu élevés, les différences quantau degré de proximité du lieu de travail (exprimé généralement encoûts de déplacement) doivent être compensées par des avantages entermes de coût de logement (ajusté en fonction de la qualité), d’aména-gements collectifs et de niveau salarial. Toutefois, dès lors qu’un ou plu-sieurs marchés ne sont pas de type walrasien, on doit s’attendre à desrépercussions négatives sur la qualité de la vie.

Lorsque la discrimination s’exerce sur le marché du logement ousur le marché hypothécaire, les membres du groupe touché par la

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ségrégation ne peuvent pas choisir le lieu d’habitation qu’ils considè-rent comme le mieux adapté à leurs besoins et risquent dès lors desubir de ce fait un préjudice important en termes de qualité de vie,comme le montre Yinger (1997). Ce préjudice est étroitement lié auxparamètres du domicile optimal. Il pourrait notamment s’agir d’unebaisse de revenu liée à une moindre mobilité. On peut en effet s’atten-dre à ce que la discrimination sur le marché du logement ou le marchéhypothécaire restreigne la mobilité des travailleurs visés par la discri-mination. Raphael et Riker (1999) montrent que, dans ce genre desituation, le salaire minimum pour lequel les travailleurs en questionacceptent de travailler est moins élevé que celui de travailleurs quipossèdent les mêmes caractéristiques en termes de productivité maisne sont pas l’objet d’une discrimination liée à la zone de résidence. Lepréjudice en termes de qualité de vie peut être encore plus grave si lespersonnes visées par la discrimination sont reléguées dans des zonesd’habitation pauvrement dotées en installations publiques et équipe-ments collectifs. C’est ce qui se produirait si les équipements collectifsétaient financés par la fiscalité locale. Par ailleurs, comme le fontremarquer Haggerty et Johnson (1995), les communautés indigenteset leurs administrations publiques locales pourraient être tentéesd’accepter les industries insalubres généralement refusées par les col-lectivités locales plus riches. Une telle situation pourrait nuire encoredavantage à la productivité des travailleurs du groupe minoritaire etsusciter des externalités négatives qui toucheront les jeunes généra-tions. C’est par de tels mécanismes que se perpétue le cercle vicieuxde la discrimination.

Aucun des modèles présentés plus haut ne prend en comptel’ensemble des domaines (des marchés) et des modalités d’interactionsusceptibles d’influer sur la polarisation du marché du travail quirésulte de la discrimination. Sur le plan des politiques, les conséquen-ces sont de trois ordres. En premier lieu, les recommandations quirésultent de l’analyse présentée plus haut doivent être considéréescomme visant un «équilibre partiel». Il conviendrait ensuite de s’atta-cher résolument à comprendre les interactions qui peuvent s’établirentre les diverses politiques: grosso modo, il s’agirait de réunir toutesles données concernant l’équilibre partiel et de définir certains méca-nismes de transmission, simples, mais cohérents, permettant de relierles sphères traitées au plan théorique. En d’autres termes, les autori-tés, conscientes des synergies qui s’établissent entre les différentsvolets de leur action, doivent élaborer une stratégie d’interventionmultidimensionnelle susceptible d’être mise en œuvre sur plusieursfronts. Enfin, il importerait de s’appliquer à comprendre, concrète-ment, l’origine des pratiques discriminatoires et l’importance desécarts entre les groupes ethniques sur le marché du travail.

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Données d’observation

Cette partie présente un échantillon d’études empiriques réaliséesdans plusieurs pays

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et porte essentiellement sur les effets de la discri-mination sur le marché du travail.

Ecarts de revenus selon l’appartenance raciale

Remarques générales

Aux Etats-Unis, on constate que le rapport entre le salaire moyendes Noirs et celui des Blancs est le même en 1990 qu’en 1980, quellesque soient les données utilisées pour le calcul. Sur la base des donnéesdu CPS, Chandra (2000) note que, pour la population masculine de latranche d’âge comprise entre 25 et 55 ans, le ratio avoisine 0,76 en 1980et 0,75 en 1990. S’appuyant sur les données de la sécurité sociale sur lesrevenus, Card et Krueger (1993) observent que, pour les hommes de 20à 69 ans, le ratio est identique (0,69) pour les deux années. Sur la based’échantillons représentatifs portant sur 1990 et 1991 provenant del’enquête NLSY, Neal et Johnson (1996) indiquent que, dans la popu-lation masculine, le revenu des Noirs correspond à peu près à 75 pourcent de celui des Blancs, alors que celui des Hispano-Américains atteint88,7 pour cent. Selon les données du CPS pour 1980, le rapport entre lesalaire moyen des Hispano-Américains et celui des Blancs est d’envi-ron 72 pour cent.

Des études récentes, fondées sur les données du CP pour lesannées 1980 et 1990 combinées avec celles du CPS et utilisant des méth-odes de décomposition salariale

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, montrent que pour la populationnoire la perte de revenus qui ne peut être imputée à des différences decompétences individuelles se situe entre 12 et 15 pour cent.

Au Royaume-Uni, les données du PSI indiquent qu’en moyennele rapport entre le revenu des minorités ethniques et celui des Blancsest d’environ 0,92 – salariés et travailleurs indépendants confondus. Le

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Les statistiques descriptives et les données empiriques concernant la situation aux Etats-Unis proviennent essentiellement de quatre sources d’informations, parfois combinées: le recen-sement de la population (données transversales), qui sera désigné par le sigle CP; l’enquête per-manente sur la population active (données longitudinales), désignée par le sigle CPS; l’enquêtelongitudinale nationale sur les jeunes (données longitudinales), désignée par le sigle NLSY, et lePanel Study of Income Dynamics (données longitudinales), désigné par le sigle PSID. En ce quiconcerne le Royaume-Uni, les statistiques récapitulatives et les estimations économétriques pro-viennent de la quatrième enquête du Policy Studies Institute (PSI) (données transversales), desenquêtes sur la population active (données longitudinales) et du recensement (données transver-sales). Les informations concernant la situation du Brésil proviennent du recensement de la popu-lation (données transversales), du Pesquisa Nacional por Amostra Domiciliar (PNAD) (donnéeslongitudinales), ainsi que de l’enquête effectuée par le Folha Instituto de Pesquisas (donnéestransversales). Les données relatives à l’Afrique du Sud sont tirées des October Household Survey(données transversales), de OHS et du recensement de la population d’Afrique du Sud.

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Une brève description de ces techniques figure dans l’annexe de Fugazza (2003).

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salaire des travailleurs chinois correspond en moyenne à 111 pour centde celui de leurs collègues blancs. Les Africains et les Asiatiquesgagnent en moyenne autant que les Blancs. Pour les Afro-Caribéens,les Indiens et les Pakistanais, ce chiffre passe, respectivement, à 94, 91et 69 pour cent.

Appliquant les méthodes de décomposition des salaires aux don-nées fournies par les enquêtes sur la population active pour les années1992-1995, Blackaby et coll. (1998) ont montré que, pour les minoritésde race blanche, l’écart salarial imputable à un traitement discrimina-toire se situe autour de 5 pour cent. Entre Noirs et Blancs, Blancs etPakistanais, Indiens et Blancs, cet écart est, respectivement, de 21, 48,et –45 pour cent.

Au Brésil, les données provenant du recensement de 1991 indi-quent que, chez les hommes, le salaire des métis et des Noirs corres-pond respectivement à 68 et 63 pour cent de celui des travailleurs blancs(Barros et coll., 1996). Telles et Lim (1998) présentent des estimationsdes inégalités salariales résultant de l’appartenance raciale ens’appuyant sur les données de l’enquête réalisée par le Folha Institutode Pesquisas. Contrairement à l’usage en vigueur pour les statistiquesofficielles, c’est l’enquêteur, et non pas la personne interrogée, qui défi-nit l’appartenance raciale. Après avoir examiné en détail les particula-rités individuelles et les caractéristiques du marché de l’emploi, lesauteurs ont établi que le salaire des Blancs était supérieur de 26 pourcent à celui des métis et que celui des Noirs était inférieur de 13 pourcent à celui des métis, sur la base de la classification opérée par lesenquêteurs. Lorsque les personnes interrogées ont elles-mêmes définileur appartenance ethnique, ces deux derniers chiffres sont passés res-pectivement à 17 et 12 pour cent.

En Afrique du Sud, le ratio entre le revenu moyen des Noirs etcelui des Blancs (pour la population masculine) est de 0,13 en 1980, 0,16en 1991 et 0,42 en 1994. Entre les populations de couleur et les Blancs,le ratio s’établit à 0,23 et 0,47, respectivement, pour ces mêmes années(Treiman et coll. (1996), Hinks (1999)). Fondées sur les données del’OHS pour 1995, les estimations de Sherer (2000) sont les suivantes:0,56 entre les Noirs et les Blancs, 0,24 entre les métis et les Blancs, 0,22entre les Asiatiques et les Blancs. A l’aide des techniques de décompo-sition salariale, Hinks (1999) indique que l’écart en défaveur des Afri-cains s’est réduit entre 1980 (15,9 pour cent) et 1994 (seulement 5,4pour cent). Pour les Asiatiques, cet écart est passé de 9,3 à 3,7 pour cent.En 1995, Sherer (2000) indique que le préjudice salarial subi par lesAfricains en raison de la discrimination dont ils font l’objet se situe dansune fourchette comprise entre 10 et 22 pour cent. Cette fourchette estcomprise entre 15 et 18 pour cent pour les Asiatiques, et entre 15 et 26pour cent pour les autres populations de couleur.

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Composantes et facteurs

Malgré toutes les études théoriques et empiriques consacrées àcette question depuis plusieurs dizaines d’années, un profond désac-cord règne encore quant à l’explication des écarts de salaire constatésentre groupes ethniques ou entre hommes et femmes. Ces écarts tradui-sent-ils une différence de productivité, ou sont-ils l’effet de la discrimi-nation actuelle? Résultent-ils d’une combinaison de ces deux facteurs,ou ont-ils une autre origine? Nous allons présenter ci-desssous quel-ques éléments d’information qui permettront peut-être de répondre àces questions.

Productivité

Dans la plupart des études empiriques, la productivité individuellen’est évaluée que de manière approximative, à l’aide de variablescomme l’éducation et l’expérience. Cependant, certaines données four-nissent des informations suffisamment détaillées pour permettre de lamesurer avec précision.

Aux Etats-Unis, la base de données de la Ligue nationale de bas-ketball (NBA) contient des informations détaillées sur les performan-ces de chaque joueur, ainsi que sur les équipes et les supporters. Cetimportant volume d’informations sur la productivité individuelle a per-mis de vérifier plusieurs hypothèses concernant la discrimination detype racial. Kahn et Sherer (1988), sur la base des données couvrant lessaisons de 1980 à 1986, constatent que, pour des performances identi-ques, les joueurs professionnels noirs touchent un salaire qui peut êtreinférieur de 20 pour cent à celui des Blancs. Les auteurs présentent cer-tains faits qui autorisent à penser que la discrimination serait le fait dessupporters. Selon leurs estimations la présence d’un joueur de raceblanche supplémentaire se traduit par une augmentation du nombre desupporters, de 8 000 à 13 000 personnes par saison.

S’appuyant sur les données du Worker-Establishment Character-istics Database (WECD)

5

, Hellerstein et coll. (1999) ont examiné lesfonctions de production et les équations de salaire au niveau de l’entre-prise, ce qui leur a permis de comparer le produit marginal relatif et lesalaire relatif de divers groupes de travailleurs, et, sur cette base, derechercher des indices de discrimination ou d’autres formes de dispari-tés entre les salaires et le produit marginal. La discrimination raciale estavérée dès lors que la différence de salaire entre groupes ethniques estplus importante que la différence de productivité. Les régressions sur lesalaire individuel font apparaître un écart salarial de 8 pour cent.Cependant, les résultats de l’estimation conjointe de la productivité(qui reposent sur des fonctions de production au niveau de l’entreprisequi posent que les travailleurs sont parfaitement substituables les uns

5

On trouvera dans Bayard et coll. (2000) une présentation détaillée de cette base.

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aux autres) et des équations de salaire ne conduisent pas à rejeterl’hypothèse d’égalité entre salaires relatifs et produit marginal relatifdes travailleurs noirs. Ainsi que le font remarquer les auteurs, le con-traste entre les régressions sur le salaire individuel et les résultats obte-nus au niveau de l’entreprise peut s’expliquer par une sous-représentation des travailleurs noirs dans l’échantillon considéré. Parailleurs, les données ne permettent pas de mesurer la différence de pro-ductivité des travailleurs au sein de l’entreprise, différence dont on peutsupposer qu’elle correspondrait davantage aux résultats des régressionssur le salaire individuel qu’à des différences entre les entreprises.

Qualité de l’enseignement

Selon certaines études, l’évolution des écarts de salaires entregroupes ethniques s’expliquerait partiellement par celle de la qualitérelative de l’enseignement reçu. Partant des données CPS sur des tra-vailleurs nés dans les Etats du Sud des Etats-Unis, Card et Krueger(1992) attribuent 15 à 25 pour cent de la réduction de l’écart de salaireentre Blancs et Noirs, entre 1960 et 1980, à l’amélioration de la qualitérelative des écoles noires (les indicateurs de remplacement de la qualitéétant le nombre d’élèves par maître, le revenu annuel moyen de ces der-niers et la durée de leur engagement). Ils attribuent le reste de la réduc-tion à une élévation générale du niveau d’instruction des Noirs entre1970 et 1980. Smith et Welch (1989) en sont venus à des conclusionscomparables à partir d’une série, plus large, de données CP. Ils ontappliqué une méthode de décomposition du salaire incorporant l’évo-lution dans le temps des caractéristiques et de leur rendement, ainsi quel’évolution relative de ce dernier. Les auteurs montrent que le rempla-cement des cohortes âgées par les jeunes se traduit par une augmenta-tion des salaires relatifs mesurés, observation associée à celle d’uneamélioration relativement plus forte de la qualité de l’enseignementreçu par les Noirs au cours de la première moitié du XX

e

siècle.

Rendement des qualifications

Un autre des arguments avancés pour expliquer les inégalités desalaire observées entre groupes ethniques repose sur l’évolution durendement des qualifications.

Juhn et coll. (1991) affirment que l’accroissement des écarts desalaire au sein des groupes ethniques et entre eux est dû à l’augmenta-tion du taux de rendement des qualifications, et ce parce que les Noirssont sur-représentés parmi les travailleurs les moins qualifiés. AuxEtats-Unis, cette hypothèse est généralement dite «de la qualité de lamain-d’œuvre». Cependant, si le niveau de rémunération inférieur desNoirs relève de la discrimination, il n’y a pas de raison particulière pourque l’accroissement de l’avantage salarial des travailleurs qualifiésmodifie l’écart de salaire entre Noirs et Blancs. Card et Lemieux (1994)

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ont établi, à partir de données de l’étude PSID, que l’évolution consta-tée de la structure salariale n’est pas pleinement compatible avec l’évo-lution de l’écart de salaire entre Noirs et Blancs. Les auteurs montrentainsi que, dans le cas des travailleurs noirs de sexe masculin, le rende-ment des caractéristiques individuelles, observées ou non observées,qui influent sur le niveau du salaire a augmenté de façon à peu près pro-portionnelle entre 1979 et 1985. Ils établissent aussi que l’écart desalaire entre Noirs et Blancs est resté relativement constant, ce qui tendà infirmer l’hypothèse de la qualité de la main-d’œuvre. Mason (2000),qui utilise des données de l’étude PSID mais applique des techniquesplus simples que les auteurs précédemment cités, présente lui aussi deséléments allant à l’encontre de l’hypothèse mentionnée.

Embauche

La discrimination peut se produire aux toutes premières étapes dela vie active. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il a été fait largementusage, pour évaluer la portée de la discrimination à l’embauche, d’étu-des reposant sur des tests en situation réelle («opérations-pièges»). AuxEtats-Unis, comme il apparaît dans Fix, Galster et Struyk (1993), cesétudes ont montré que, dans le cas des hommes, la candidature desNoirs était rejetée trois fois plus souvent que celle des Blancs et ontabouti à des chiffres comparables pour les candidats hommes d’originelatino-américaine. Heckman et Spiegelman (1993) analysent un peudifféremment les données en question. Ils montrent que le taux de trai-tement identique (les candidats de l’une et de l’autre catégorie obtien-nent un pourcentage donné d’emplois + aucun des candidats n’obtientun pourcentage donné d’emplois) peut être relativement élevé et queles éléments tendant à établir une inégalité à l’embauche (Blancs rete-nus et candidats issus de minorités rejetés plutôt que Blancs rejetés etcandidats issus de minorités retenus) permettent de conclure unique-ment à une légère préférence en faveur des candidats blancs par rap-port aux membres de minorités. En outre, pour plusieurs paires decandidats, c’est le membre de la minorité qui l’a emporté. AuRoyaume-Uni, la Commission for Racial Equality a organisé des testsde ce type en 1980 et 1994. Il s’agissait d’évaluer la discrimination àl’embauche à l’encontre de jeunes travailleurs issus de la seconde géné-ration de l’immigration. En 1980, comme il apparaît dans Hubbuck etCarter (1980), le candidat blanc a été invité à se présenter à un entretiendans 48 pour cent des cas. Ce n’est que dans 6 pour cent des cas que lecandidat originaire des Caraïbes ou d’Asie a été retenu pour un telentretien aux dépens de son concurrent. En 1994, selon Simpson et Ste-venson (1994), le candidat blanc avait deux fois plus de chances que lesautres candidats d’être retenu pour un entretien. L’intérêt d’un telrésultat est cependant relatif compte tenu du taux de réussite très faiblede l’ensemble des candidats, confrontés les uns comme les autres à des

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perspectives d’emplois limitées ou médiocres. D’autres études menéesau Royaume-Uni, dont celle utilisée par Wrench et Modood (2001),fournissent des informations complémentaires sur la façon dont lesemployeurs procèdent aux embauches. Il apparaît notamment que lesemployeurs peuvent exprimer des jugements stéréotypés sur les mino-rités ethniques, que certains éléments tendent à établir l’existenced’une discrimination par les collègues de travail et que l’appartenanceà des réseaux pourrait jouer un rôle essentiel dans l’accès aux emplois.

Ségrégation professionnelle

D’après certaines études menées récemment aux Etats-Unis àpartir de données appariées employeurs-salariés, la ségrégation racialeou ethnique serait limitée si l’on s’intéresse aux professions et aux bran-ches d’activité mais relativement marquée si l’on se place au niveau desétablissements et des métiers (définis comme l’ensemble des emploiséquivalents au sein d’une même société). Bayard et coll. (1999a), quiutilisent pour ce faire des données de la New Worker-EstablishmentCharacteristics Database (NWECD), montrent que la ségrégation auniveau des établissements et des métiers est la cause de la quasi-totalitéde l’écart de salaire entre Blancs et Latino-Américains dans le cas deshommes (soit 7 pour cent). Cependant, dans le cas des hommes tou-jours, l’écart de rémunération entre Blancs et Noirs (12 pour cent) resteimportant (entre 6 et 7 pour cent), même une fois exclue l’influence dela ségrégation. Cette étude donne la mesure de la ségrégation sur le lieude travail. Les auteurs affirment en outre que, une fois exclus les effetsde la race, de l’origine ethnique et d’autres facteurs individuels classi-ques, il apparaît que le salaire des travailleurs parlant mal anglais estinférieur de 16 à 30 pour cent à celui des autres

6

. Dans une étudepubliée récemment, Hellerstein et Neumark (2002) concluent quel’argument relatif aux coûts de transaction ne tient pas en se fondant surdes données du Decennial Employer-Employee Data set (DEED),nouvel ensemble de données appariées employeurs-salariés dont ilsn’utilisent que les informations portant sur la situation des salariésblancs ou d’origine latino-américaine

7

. Les auteurs concluent en effet àune inégalité de salaire importante, associée à une ségrégation liée àl’origine et aux aptitudes linguistiques. Ainsi, si, de deux travailleursd’origine latino-américaine, l’un parle l’anglais couramment et l’autrepas du tout, le différentiel de salaire entre l’un et l’autre sera de 34,5

6

Ces conclusions confirment dans une certaine mesure l’idée selon laquelle les travailleursqui ne dominent pas la langue majoritaire subissent un désavantage salarial supposé compenserles coûts de transaction plus élevés qu’ils font encourir dès lors qu’une interaction est inévitable.

7

L’ensemble de données DEED repose sur la base CP pour 1990 et la liste d’entreprisesSSEL. Il est cependant plus représentatif que d’autres ensembles de données constitués précédem-ment à partir des mêmes sources (la base NWECD notamment). Les auteurs présentent l’ensem-ble de données DEED de façon exhaustive et détaillée.

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pour cent. Cependant, les auteurs ne concluent pas à l’existence d’avan-tages ou de désavantages salariaux systématiques qui viendraient con-firmer l’hypothèse selon laquelle il est plus efficace de regrouper lestravailleurs présentant un niveau d’anglais similaire afin de réduire lescoûts relatifs à la communication. D’une part, un salarié blanc quittantun lieu de travail où la proportion de travailleurs d’origine latino-américaine parlant couramment anglais est élevée pour un autreprésentant une proportion considérable de salariés d’origine latino-américaine ne parlant pas l’anglais peut s’attendre à un avantage sala-rial de 2,2 pour cent seulement. D’autre part, les salariés d’originelatino-américaine parlant mal l’anglais seront pénalisés s’ils travaillentau sein d’une équipe constituée principalement d’autres salariés demême origine au niveau d’anglais également médiocre. Il semble endéfinitive que les données plaident davantage en faveur de l’idée selonlaquelle c’est bien la concentration des travailleurs d’origine latino-américaine dans un certain type d’emplois qui détermine le faibleniveau de salaire des intéressés.

«Capital ethnique»

Comme souligné précédemment, le «capital ethnique» et le fait derésider dans un quartier à forte composante ethnique sont deux élé-ments à prendre en compte si l’on veut expliquer les phénomènes dus àla discrimination et leur persistance.

A partir de données issues des enquêtes sociales générales (Gene-ral Social Surveys, ci-après «GSS») et de l’enquête NLSY, deux ensem-bles de données concernant les Etats-Unis, Borjas (1992) montre que lecapital ethnique a effectivement une influence considérable sur ledegré de formation au plan individuel, influence équivalant à celle qu’asur le niveau de qualification d’un individu le capital humain de sonpère. L’auteur souligne que, si les écarts de salaire découlent pourl’essentiel de différences à l’intérieur du groupe, les études portant surla mobilité intergénérationnelle ne tenant pas compte du capital ethni-que peuvent conclure à tort à une convergence négligeable. Dans unepublication portant sur le même sujet, Borjas (1994) se demande, enutilisant des données issues de la base CP et des enquêtes GSS, dansquelle mesure les inégalités de formation entre groupes ethniques ten-dent à diminuer sur le long terme après la grande migration de 1880-1910. Des études reposant sur des données observées montrent que lesdifférences de niveau de qualification entre groupes ethniques, si ellessont importantes à l’origine, ont tendance à perdurer pendant plus dequatre-vingts ans. Ainsi, l’écart de salaire entre deux groupes donnés,s’il est de 20 pour cent en 1919, sera de 12 pour cent en 1940 et de 5 pourcent en 1980. Dans Borjas (1995), on trouve une analyse du lien entrelieu de résidence et capital ethnique. L’auteur, qui exploite des donnéesissues de la base CP de 1970 (fichier sur le lieu de résidence, échantillon

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de 1 pour cent) et de l’enquête NLSY, parvient à la conclusion que laségrégation résidentielle et l’influence du capital ethnique sur le pro-cessus de mobilité intergénérationnelle sont deux aspects étroitementliés. Les conclusions formulées par l’auteur montrent que letaux moyen de convergence est d’autant plus fort pour les individusvivant dans des quartiers où la ségrégation est forte. Dans ce derniercas, le capital humain des individus dépend davantage de leur capitalethnique que du degré de qualification de leurs parents.

L’hypothèse de Borjas, à savoir que l’environnement ethnique estune externalité influant sur le capital humain, n’est pas la seule qui soitcompatible avec les données. D’autres facteurs tels que la discrimina-tion ou les restrictions dans l’accès à l’éducation, au crédit, aux marchésdu logement ou à d’autres institutions peuvent aussi entraîner une cor-rélation entre le niveau de qualification d’un individu et le niveau dequalification moyen de son père au sein d’un même groupe ethnique.

Discrimination fondée sur le sexe et discrimination fondéesur l’origine ethnique

Beaucoup d’études portant sur l’écart de salaire entre groupesethniques tiennent compte en outre du sexe. Leurs auteurs peuventainsi examiner le bien-fondé de l’hypothèse de la «double discrimina-tion» selon laquelle les femmes n’appartenant pas au groupe majori-taire seraient désavantagées à la fois par rapport aux hommes, àl’exemple des autres femmes, mais aussi par rapport aux femmes dugroupe majoritaire pour ce qui touche au revenu et à la mobilité profes-sionnelle.

En ce qui concerne les Etats-Unis, les publications aboutissenttoutes à la même conclusion, à savoir qu’en matière de salaire les fem-mes sont moins touchées que les hommes par la discrimination fondéesur l’origine ethnique. A partir de données issues de l’enquête CPS de1981, Cain (1986) établit que le salaire des Noirs représente 67 pourcent de celui des Blancs dans le cas des hommes mais 97 pour cent dansle cas des femmes, un pourcentage qui passe pour les travailleurs d’ori-gine latino-américaine à 72 pour cent pour les hommes et 90 pour centpour les femmes. La situation est comparable au Royaume-Uni. Lesdonnées issues de l’enquête effectuée par le PSI en 1994 indiquent ainsique les écarts de salaire entre groupes ethniques sont inférieurs dans lecas des femmes. Wrench et Modood (2001) établissent qui plus est quele salaire moyen des femmes issues de minorités ethniques, exceptionfaite toutefois de la minorité pakistanaise, est supérieur à celui des fem-mes blanches. Dans le cas du Brésil, il ressort des données issues durecensement de 1980, sans que ne soit exclue toutefois l’influenced’autres facteurs, que le rapport entre le revenu professionnel des Noirs

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et celui des Blancs est inférieur en moyenne pour les hommes (0,62) aurapport pour les femmes (0,68) (Lovell, 1994).

Aux Etats-Unis, Bayard et coll. (1999a) établissent à partir desdonnées de la base NWECD que les caractéristiques de la ségrégationprofessionnelle entre travailleurs d’origine latino-américaine et Blancs,plus marquée dans le cas des hommes que dans le cas des femmes,expliquent pour bonne part le fait que le différentiel de salaire entreLatino-Américains et Blancs soit supérieur dans le cas des hommes.Cependant, si la ségrégation intervient largement dans l’écart de salairerelatif entre hommes et femmes et entre Blancs et Noirs, cette inégalitédécoule probablement pour beaucoup, dans le cas des hommes, de pra-tiques discriminatoires. Dans une publication portant sur le même sujetet exploitant le même ensemble de données, Bayard et coll. (1999b)établissent que le différentiel de salaire lié au sexe découle certes engrande partie du fait que les femmes sont reléguées dans les profes-sions, branches d’activité, entreprises et métiers les moins bien rémuné-rés mais aussi pour beaucoup du seul sexe des intéressées. Les écarts desalaire liés au sexe concernent, pour un quart à la moitié d’entre eux,des hommes et des femmes occupant des postes équivalents.

Dans le cas du Royaume-Uni, l’existence d’une ségrégation pro-fessionnelle entre hommes et femmes est évidente. Cependant, les don-nées brutes n’établissent pas nettement qu’il y a aussi dans le cas desfemmes ségrégation selon l’origine ethnique. L’enquête effectuée parle PSI en 1994 tend à montrer que les écarts de niveau de poste entreindividus d’origine ethnique différente sont bien moins marqués dansle cas des femmes que dans le cas des hommes et qu’il n’y a pas de dif-férence entre les minorités (Wrench et Modood, 2001). L’étude menéepar Lovell (1994) à partir de données issues de recensements brésiliensmontre qu’en 1980, et par rapport à 1960, les femmes, mieux formées,ont plus facilement accès aux postes particulièrement recherchés (c’est-à-dire aux postes non manuels), mais qu’à niveau de qualification égalles Noires ont toujours moins de chances que les Blanches d’accéder àce type de poste. De plus, le différentiel de salaire moyen entre hommeset femmes de race blanche serait dû à 86 pour cent à la discriminationfondée sur le sexe. Dans le cas des Noirs hommes et femmes, ces pour-centages seraient de 24 et 51 pour cent, respectivement. Exprimé enunités monétaires, le désavantage salarial des Noires représente près dequatre fois celui des Noirs et 1,02 fois celui des Blanches.

A partir de données issues de l’étude PNAD pour 1999, Mezzera(2001) parvient à la conclusion qu’au Brésil les femmes blanches ont unsalaire moyen inférieur de 42 pour cent à celui des hommes blancs, maissupérieur de 16 pour cent à celui des hommes de couleur et équivalentà près de deux fois celui des femmes de couleur. Ces différences vien-nent de ce que les femmes blanches ont un niveau de formation moyensupérieur à celui des femmes et des hommes de couleur. Cependant, à

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niveau de formation égal, les femmes blanches gagnent moins que leshommes de couleur et le désavantage salarial des femmes de couleurdiminue nettement sans disparaître toutefois. L’auteur démontre enoutre que l’accès des travailleurs de couleur aux différentes professionsest inégal, une affirmation qui vaut notamment pour les femmes de cou-leur, qui sont très nombreuses à travailler comme employées de mai-son.

Discrimination sur le marché du logementet sur le marché hypothécaire

Les éléments théoriques et empiriques présentés précédemmentsemblent indiquer que les pratiques discriminatoires dans certainsdomaines affectent la mobilité des travailleurs et ont des conséquencesquant à la situation des intéressés sur le marché du travail.

Des tests en situation réelle mettant en scène des personnes à larecherche d’un logement ont été menés en vue d’étudier la portée de ladiscrimination sur le marché du logement. Aux Etats-Unis, l’étude de1989 sur la discrimination en matière de logement (Housing Discrimi-nation Study ou HDS) a montré que, par rapport aux candidats blancs,et pour un niveau de formation équivalent, le nombre de logementsproposés aux acquéreurs potentiels d’origine africaine ou latino-américaine était inférieur de 23,7 pour cent et 25,6 pour cent respective-ment (Yinger, 1995). De ce fait, par rapport aux candidats blancs, lesNoirs et les Latino-Américains mis en scène pour les besoins de l’étudedevaient se contenter de propositions moins adaptées à leurs besoins,renoncer à leur projet ou s’acquitter de frais de recherche supérieurspour un logement d’un niveau équivalent. Il ressort en outre de plu-sieurs études relatives au logement

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que les ménages qui cherchent unprêt hypothécaire mais sont issus de minorités ethniques reçoivent desprêteurs potentiels moins d’informations, moins d’encouragements etmoins d’aide que ce que recevraient des candidats du groupe majori-taire. L’étude HDS a montré que la probabilité qu’un agent immobilierpropose à son client de l’aider à obtenir un crédit était de 11 pour centinférieure dans le cas de candidats noirs plutôt que blancs. Il est apparuqui plus est que les personnes issues de minorités à la recherche d’unprêt hypothécaire risquaient davantage que les candidats blancs de voirleur demande rejetée. A partir de données recueillies par la Banquefédérale de réserve de Boston auprès de banques de Boston à la suitede la promulgation de la loi relative à la diffusion d’informations sur lesprêts hypothécaires, Munnell et coll. (1996) établissent ainsi que la pro-babilité qu’une demande de crédit soit refusée est de 10 pour cent dansle cas de candidats blancs présentant des caractéristiques moyennes

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Voir Galster (1990) et son analyse de la question.

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mais de 18 pour cent dans le cas de candidats comparables mais noirsou d’origine latino-américaine.

A partir de données de l’étude PSID et relatives à la période 1983-1986, Yinger (1997) a établi une estimation chiffrée du coût des prati-ques discriminatoires pour les acquéreurs potentiels qui les subissent.Ces pertes découlent à la fois des frais supplémentaires encourus lorsde la recherche du logement ou du prêt hypothécaire mais aussi dudésavantage salarial éventuel si le candidat renonce à déménager.L’auteur établit ainsi que les ménages noirs ou latino-américainsrecherchant activement un nouveau logement ou envisageant de lefaire doivent s’attendre à un surcoût de 4 000 dollars environ. Une ana-lyse plus poussée montre que l’abandon du projet de déménagemententre pour bonne part dans ce surcoût. Dans un cas moyen correspon-dant au chiffre mentionné plus haut, la proportion des ménages renon-çant à leur projet serait de 21 pour cent.

Dans un cas de figure différent, Raphael et Riker (1999) estimentl’influence de la mobilité potentielle sur le revenu à partir de donnéesissues de l’enquête CPS (informations sur les travailleurs licenciés) por-tant sur les années 1986, 1988 et 1990. Les auteurs établissent que lamobilité potentielle a une conséquence considérable sur le salaire (lestravailleurs les plus mobiles étant les mieux payés) et réduit l’écart derémunération résiduel entre groupes raciaux et ethniques. Ces conclu-sions corroborent les résultats d’études précédentes en confirmantqu’une mobilité réduite se traduit par un désavantage salarial.

Discrimination et racisme institutionnels

L’évolution de la situation aux Etats-Unis, et plus récemment enAfrique du Sud, semble indiquer que le caractère institutionnel de ladiscrimination et du racisme passés est un déterminant important desphénomènes de discrimination observés. Il apparaît en effet que lespratiques discriminatoires et la représentation négative des caractéris-tiques ethniques, lorsqu’elles ont eu cours pendant longtemps, devien-nent en quelque sorte des modèles de comportement pour les membresdu groupe favorisé.

Selon Hall (2000), la discrimination et le racisme institutionnels(qui ne se traduisent pas nécessairement par des pratiques racistesmanifestes) tendent bien davantage qu’une formation théorique ou desrèglements à conformer les pratiques des individus.

Aux Etats-Unis, il est communément admis que, dans les faits,l’écart salarial entre les Noirs et les Blancs a diminué depuis 1940, pourles hommes du moins, et ce malgré une période de stabilité entre 1980et 1990. Comme indiqué précédemment, Card et Krueger (1992) etSmith et Welch (1989) affirment que la réduction de l’écart entre lerevenu des Noirs et celui des Blancs est pour l’essentiel un effet de

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l’amélioration de la qualité relative des écoles noires. Card et Krueger(1993) affirment ainsi que la promulgation en 1964 de la loi sur lesdroits des minorités (Civil Rights Act) a joué un rôle clé dans le reculde l’écart de revenu entre Blancs et Noirs sur la période 1964-1975.Donohue et Heckman (1991) montrent que l’amélioration de la situa-tion économique des Noirs qui a caractérisé les années 1965-1975 con-cerne essentiellement les Noirs du sud du pays et que, sur la mêmepériode, l’action publique au niveau fédéral visait justement la régionen question. Reprenant pour leur compte l’argument présenté par Cardet Krueger (1993), les auteurs montrent que l’hypothèse dite de la qua-lité de l’instruction reçue ne suffit pas à expliquer l’amélioration du sta-tut relatif des Noirs du sud du pays sur la période considérée. Ilsaffirment en revanche que l’évolution, favorable aux Noirs, du marchédu travail découle principalement du rôle accru attribué à l’actionpublique en faveur des droits des minorités au niveau fédéral.

Cette amélioration s’est interrompue brusquement après 1975.Mason (2000) émet l’hypothèse, en se fondant pour cela sur les carac-téristiques et propriétés de sa théorie dite de la concurrence

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, que lerenforcement de la discrimination sur le marché du travail a été déclen-ché par la stagflation du milieu des années soixante-dix. En effet, cettestagflation aurait intensifié la concurrence entre groupes raciaux sur lemarché de l’emploi, une évolution renforcée plus tard par l’évolutiondes mesures de lutte contre la discrimination qui a caractérisé lesannées quatre-vingt.

Ces conclusions appellent une explication en deux volets. Ilapparaît tout d’abord que les mesures visant à promouvoir les droitsdes minorités tendent effectivement à faire disparaître la discrimi-nation lorsque celle-ci est manifeste. Cependant, il semble aussi que, sielles sont mises en œuvre sans conviction et par des acteurs en positionde faiblesse sur le plan politique, ces mesures peuvent déboucher sur denouvelles formes de discrimination, moins évidentes mais plus insi-dieuses.

Ainsi, Bisping et Fain (2000) affirment qu’aux Etats-Unis l’adop-tion de mesures dites d’action positive visant le marché du travail etdécoulant de la loi sur les droits des minorités de 1964 a modifié le clas-sement des candidats à l’embauche. Avant l’adoption de telles mesures,ces candidats étaient retenus dans l’ordre suivant: hommes blancs, fem-mes blanches, hommes de couleur et, enfin, femmes de couleur. Aprèsla mise en œuvre des mesures d’action positive, cet ordre est devenu lesuivant: hommes blancs, femmes blanches, femmes de couleur et, enfin,hommes de couleur. Toutes les femmes, quelle que soit leur origine, ontconnu une avancée par rapport aux Noirs de sexe masculin.

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On trouvera une présentation et une analyse succinctes de la théorie de Mason (1995)dans Fugazza (2003).

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Allanson et coll. (2000) présentent des données d’observationconcernant l’Afrique du Sud qui tendent à montrer que le racisme et ladiscrimination à l’encontre des Noirs ont toujours cours sous des for-mes voilées sur le marché du travail malgré la disparition récente del’apartheid. Contrairement au statut des Afro-Américains aux Etats-Unis, celui des Noirs d’Afrique du Sud n’a pas beaucoup évolué aprèsl’interdiction des pratiques et mesures ouvertement racistes. Allansonet coll. (2000) estiment qu’entre 1995 et 1997 la situation des tra-vailleurs noirs s’est dégradée alors que celle des travailleurs métis oublancs et des salariés d’origine asiatique s’améliorait. En 1995, lesNoirs, les métis, les personnes d’origine asiatique et les Blancs avaienten moyenne, et respectivement, un salaire de 25 pour cent inférieur, 25pour cent inférieur, 25 pour cent supérieur et 116 pour cent supérieur àla moyenne géométrique des salaires. En 1997, les pourcentages corres-pondants étaient les suivants: 27 pour cent de moins, 2,8 pour cent demoins, 44 pour cent de plus et 145 pour cent de plus. Il apparaît aussiqu’entre 1995 et 1997 l’écart de salaire dû à la discrimination a diminuéde façon limitée seulement dans le cas des travailleurs noirs – alors qu’ila presque disparu dans le cas des travailleurs métis, et que l’avantagesalarial dû à la discrimination est resté constant dans le cas des tra-vailleurs asiatiques mais a augmenté dans le cas des travailleurs blancs.

Tout compte fait, ces éléments semblent indiquer – conclusion quela Commission présidentielle sud-africaine (1996) fait sienne du reste –que l’héritage de l’apartheid est encore très présent dans la réalité poli-tique, sociale et économique de l’Afrique du Sud.

Orientations stratégiques

Dans un monde imparfait, la suppression de la discriminationpasse par une intervention des pouvoirs publics. Les responsables poli-tiques sont confrontés en la matière à trois impératifs. Il leur faut toutd’abord bien comprendre les racines de la discrimination et les méca-nismes qui favorisent son maintien. Il est apparu dans des sections pré-cédentes du présent article qu’une telle tâche n’était pas aisée, alorsmême que les informations disponibles sur cet aspect sont relativementabondantes. Les divergences restent importantes sur la conception desétudes empiriques et la façon d’interpréter les données observées. Cer-tains économistes et institutions estiment que les données d’observa-tion disponibles aujourd’hui permettent effectivement de conclure àl’existence de pratiques discriminatoires alors que, pour d’autres, lesfaits en question ne sont que des conséquences de la discrimination pas-sée. Ensuite, et si l’on admet que les phénomènes dus à la discrimina-tion sont interprétés correctement, les responsables politiques doiventchoisir un type d’intervention propre à favoriser le meilleur compromispossible entre efficacité et équité. Enfin, si les informations relatives à

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de tels phénomènes prêtent à controverse, manquent de précision oufont tout simplement défaut, l’intervention des pouvoirs publics devraitêtre conçue de sorte à n’introduire aucun déséquilibre entre efficacitéet équité.

Si certains éléments établissent de façon claire, sans controversepossible, qu’il y a discrimination dans les faits, l’action publique doitviser en premier lieu à venir à bout des pratiques discriminatoires. S’ila été établi que certains phénomènes sont dus à la discrimination (iné-galités) mais que l’existence de pratiques discriminatoires n’est pas clai-rement démontrée, les pouvoirs publics devraient axer leur action surl’intégration. En effet, même si les faits considérés ne permettent pas deconclure à une discrimination véritable, des attitudes assimilables à unetelle discrimination peuvent constituer la source des inégalités obser-vées. Les efforts d’intégration peuvent viser différents milieux: le lieude travail, les milieux fréquentés avant l’entrée sur le marché du travail(l’école par exemple), des domaines indirectement associés au marchédu travail (marché du logement ou urbanisme) ou encore la collectivité.

Eclairages théoriques

Il convient maintenant d’examiner, compte tenu des enseigne-ments théoriques présentés ci-dessus, l’efficacité relative de trois typesd’action publique: les mesures visant à assurer l’égalité des chances, lesmesures dites d’action positive en faveur des groupes désavantagés

10

et, enfin, le recours aux subventions.Par mesure visant à assurer l’égalité des chances on désigne

généralement les mesures de lutte contre la discrimination fondées surdes lois d’interdiction explicites. Les mesures dites d’action positive,mises en place en général en application de textes législatifs en faveurde l’égalité des chances, visent certaines catégories particulières et sontdéfinies par la Commission des Etats-Unis pour les droits des minorités(Civil Rights Commission) comme «les mesures autres que la simpleinterdiction des pratiques discriminatoires adoptées en vue de corrigerou compenser les effets de la discrimination passée et d’empêcher touterésurgence du phénomène» (United States Commission on CivilRights, 1977, p. 2)

11

.

10

La notion est désignée aux Etats-Unis par le terme

affirmative action

et par celui de

posi-tive action

au Royaume-Uni.

11

Voir Holzer et Neumark (2000a, pp. 484-492) pour une description des mesures et texteslégislatifs adoptés aux Etats-Unis en vue de lutter contre la discrimination. On trouvera dansWrench et Modood (2001, pp. 41-51) des informations sur les mêmes aspects mais pour leRoyaume-Uni.

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Lutte contre la discrimination au travail et mesures propicesà l’investissement dans le capital humain

Dans une économie au fonctionnement parfait fondée sur desmarchés concurrentiels, il est généralement considéré que l’interven-tion des pouvoirs publics assure le meilleur compromis possible entreéquité et efficacité, c’est-à-dire qu’elle garantit que l’amélioration de lasituation des uns ne se fera pas au détriment des autres. Même si le librejeu du marché débouche sur une répartition fortement inégalitaire durevenu (une situation qui n’est pas souhaitable sur le plan social), toutmécanisme de redistribution autre que la mise en place d’impôts et detransferts forfaitaires reste sans effet. C’est ce qui ressort généralementdes modèles reposant sur la notion de préférence, tels celui de Becker(1957), dans lesquels il apparaît que, tant qu’il n’y a pas consensusabsolu sur l’existence de préjugés chez les chefs d’entreprise existantsou potentiels, les signes de discrimination observés ne peuvent êtresupprimés que par le jeu du marché. Cependant, si des obstaclesjuridiques ou institutionnels ou des normes sociales discriminatoirespermettaient ou encourageaient la coalition des chefs d’entrepriseayant de tels préjugés, l’intervention des pouvoirs publics serait néces-saire pour garantir l’existence d’un marché concurrentiel

12

.Plusieurs modèles théoriques présentés ci-avant portent sur la

persistance des phénomènes dus à la discrimination. Une telle cons-tance peut découler d’un dysfonctionnement du jeu du marché ou defacteurs externes. Dans une telle situation, l’intervention des pouvoirspublics peut être satisfaisante sur le plan aussi bien de l’équité que del’efficacité, mais un problème essentiel demeure, à savoir la compré-hension des causes premières des phénomènes dus à la discriminationet des mécanismes qui assurent leur survivance dans le temps.

Si les statistiques sur le sujet tendent à établir que la persistance dela discrimination est due au fait que les individus investissent dans leurcapital humain conformément au rendement potentiel d’un tel investis-sement sur le marché du travail, l’inefficacité des politiques peut venirde ce que les travailleurs visés par la discrimination n’investissent passuffisamment dans leur capital humain. Dans ce cas, les mesures delutte contre la discrimination adoptées par les pouvoirs publics pour-raient avoir un rôle à jouer. Une telle intervention peut viser à influersur les décisions prises avant l’entrée sur le marché du travail ou à pré-venir les pratiques discriminatoires sur le marché en question. Si elle nevise que les décisions intervenant avant l’entrée sur le marché du tra-vail, l’intervention des pouvoirs publics risque de passer à côté des tra-vailleurs déjà en activité et de rester sans effet sur les préjugés desemployeurs et sur leur façon de filtrer les candidats à l’embauche. De

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Cet argument est repris notamment par Donohue et Heckman (1991).

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même, si les pouvoirs publics n’interviennent que sur le marché du tra-vail, les individus appartenant à des catégories défavorisées peuvent nepas investir davantage dans leur capital humain voire réduire encore leniveau de cet investissement.

Lundberg et Startz (1983) analysent les effets d’un programmepour l’égalité des chances faisant obligation aux employeurs de propo-ser à tous leurs employés la même grille de rémunération. Ils établissentque les travailleurs issus de minorités ont réagi au programme en inves-tissant davantage dans leur capital humain et que le produit social neta augmenté. Cependant, comme le souligne Lundberg (1991), lesemployeurs peuvent opérer une sélection en fonction d’autres caracté-ristiques certes liées à l’appartenance à une minorité mais non prises encompte par les responsables politiques. Dans un tel cas de figure,l’intervention des pouvoirs publics pourra ne produire aucun effet. Ilsemblera dès lors préférable d’adopter des mesures d’action positivefaisant obligation aux employeurs d’embaucher des travailleurs appar-tenant à des minorités en proportion de leur représentation au sein del’ensemble des travailleurs qualifiés pour chaque catégorie d’emploi etd’offrir à de tels travailleurs une rémunération identique à celle dessalariés appartenant au groupe majoritaire (sous réserve de résultatspositifs à un test qui devront pouvoir être observés facilement par lesentreprises et les autorités). En encadrant la façon dont les employeursutilisent les informations dont ils disposent sur les travailleurs, un légis-lateur même imparfaitement informé pourra imposer une égalité deschances véritable. De la sorte, des mesures d’action positive axées surles résultats pourront se révéler plus efficaces que des mesures visantl’égalité des chances axées sur les mécanismes mis en jeu.

Coate et Loury (1993) évaluent eux aussi l’efficacité des mesuresdites d’action positive. Dans leur modèle, où les employeurs n’ont quedeux possiblités (ils affectent les travailleurs à l’un ou l’autre de deuxpostes disponibles), l’action positive est conçue comme devant garan-tir qu’un pourcentage identique des travailleurs issus de minorités etde ceux du groupe majoritaire sont affectés au poste le mieux rému-néré. Les effets des mesures d’action positive dépendent de la valeurprise par divers paramètres et peuvent être opposés. D’une part, enaugmentant la probabilité qu’un travailleur appartenant à un groupeminoritaire soit affecté au poste le mieux rémunéré, les mesures misesen œuvre encouragent les individus du groupe minoritaire à investirdans leur capital humain et rendent le jugement de l’employeur plusimpartial. De ce fait, l’intervention des pouvoirs publics, qui génèreun équilibre anti-discrimination stable, n’a pas à être permanente.D’autre part, les mesures d’action positive peuvent placer l’économiedans une situation d’équilibre de type paternaliste dans laquelle lesemployeurs abaisseraient le niveau des exigences requises pourl’affectation aux postes les plus importants. Dès lors, l’effet sur l’inves-

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tissement dans le capital humain des individus issus de minorités seraitinverse, ce qui renforcerait encore les préjugés des employeurs àl’encontre des intéressés. Dans ce cas, il faut que les mesures d’actionpositive soient permanentes si l’on veut véritablement empêcher lesinégalités. Les auteurs examinent en outre deux solutions autres quel’action positive, à savoir l’octroi de subventions aux employeursaffectant des travailleurs issus de minorités aux postes les plus exi-geants, d’une part, et, aux travailleurs issus de minorités nommés à detels postes, de l’autre. Comme dans le cas des mesures d’action posi-tive, l’octroi de subventions aux employeurs peut affaiblir ou au contrairerenforcer les préjugés existants. En revanche, l’octroi de subventionsaux travailleurs contribue dans tous les cas à encourager l’investisse-ment dans le capital humain et à améliorer les résultats atteints par lestravailleurs visés.

Dans ce type de modèle, qui repose sur l’idée que la discriminationsur le marché du travail peut avoir des conséquences sur la propensiondes travailleurs à investir dans leur capital humain, toute politique delutte contre la discrimination doit tendre à égaliser cette propension,donc la productivité, voire à venir à bout des préjugés.

Encourager l’investissement dans le capital humainet l’intégration communautaire

Avec les modèles qui intègrent l’hypothèse d’une transmissionintergénérationnelle de l’inégalité des revenus, l’éventail des interven-tions utiles est plus large dans la mesure où ils n’excluent pas l’idéed’une interaction possible entre discrimination, d’une part, et ségréga-tion au travail ou communautaire, d’autre part.

Comme dans les modèles que nous avons évoqués jusqu’ici, prati-quement chaque fois qu’on amène des membres des groupes minoritai-res à investir davantage dans le capital humain il se produit un surcroîtde bien-être social. Toutefois, la question de l’intégration communau-taire ne doit pas être traitée à part, mais uniquement en relation avecles politiques d’intégration sur le marché du travail. On constate parailleurs que, sauf dans le modèle d’Antonovics (2000), les mesures decompensation financières qui se résument à un simple transfert ne par-viennent jamais à réduire les inégalités, ce qui n’a rien d’étonnant carelles n’incitent pas à investir dans le capital humain. Selon ce modèle,étant donné que les externalités intergénérationnelles relatives au capi-tal humain dépendent exclusivement d’une assistance financière, le trans-fert au profit des victimes peut entraîner une augmentation de l’assis-tance, et l’investissement dans le capital humain devient alors moinscoûteux pour la génération suivante. Cependant, l’impact en termes debien-être social n’est pas aussi clair qu’il y paraît. En effet, la redistribu-tion doit être financée par des membres de la communauté majoritaire,qui peuvent, du coup, réduire le montant de leur assistance.

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Avec Arcidiacono (2003), on voit que la fixation d’un quota pourle recrutement de travailleurs issus des minorités à des postes bienpayés, qui passe généralement pour une forme extrême d’action posi-tive, ne permet qu’une convergence graduelle des revenus des diffé-rents groupes d’individus, et risque à brève échéance de porterpréjudice aux travailleurs issus du groupe majoritaire. On y voit aussique l’intégration communautaire obtenue par l’octroi d’une subventionà des membres du groupe minoritaire par le groupe majoritaire a aucontraire pour effet d’accélérer la convergence, et de réduire les déficitsde bien-être à brève échéance.

Lundberg et Startz (1998) montrent bien que lorsque les externa-lités communautaires sont importantes il est peu probable que l’onpuisse combler l’écart de revenus entre communautés en se contentantd’un programme d’intégration sur le lieu de travail et d’un programmed’action positive. Il vaut mieux, dans ce cas, insister sur l’acquisitiond’un capital humain par la communauté défavorisée, étant bienentendu que l’efficacité des subventions à l’investissement dans le capi-tal humain dépend de la mobilité professionnelle et communautaire. Etce, d’autant plus que ce modèle est très sensible aux conditions initiales.Dans le cas où le coût de la mobilité est élevé, en subventionnantl’investissement dans le capital humain sans promouvoir l’intégrationcommunautaire, ni accroître les effets positifs induits de l’accumulationdu capital humain sur d’autres communautés, on ne peut que ralentirles migrations sélectives, sans empêcher pour autant le fossé entre com-munautés de se creuser. Si l’on veut que le mouvement de migration desmeilleurs éléments du groupe minoritaire s’arrête, il faut une subven-tion suffisamment importante pour amener le taux d’investissementdans le capital humain du groupe minoritaire à dépasser celui dugroupe majoritaire. Une subvention temporaire mais importante adonc plus de chances de produire ses effets qu’une subvention perma-nente mais faible. Le seul reproche que l’on peut faire à ce modèle estqu’il ne répond pas à la question de la forme que doit prendre cette sub-vention: prestation individualisée (subventions salariales ou boursesd’études) ou augmentation de l’offre des biens publics destinés à pro-duire du capital humain?

Il n’est pas facile pour les politiques de promouvoir l’intégrationentre communautés. Si l’on se contente d’imposer un mélange de com-munautés dans un même espace, par exemple avec un programmed’action positive, on court le risque d’obtenir non pas une améliorationde la situation (au sens de Pareto) mais au contraire un rejet, par cer-tains éléments du groupe majoritaire, des éléments du groupe minori-taire qui ont été «déplacés» et qui perdraient de ce fait tous lesavantages de l’appartenance à une communauté.

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Evaluations empiriques de l’action positiveLa plupart des études empiriques traitent des effets sur l’efficience

et la performance des politiques d’action positive sur le marché du tra-vail et dans le secteur de l’éducation aux Etats-Unis. Nous présenteronsci-dessous l’essentiel des résultats de l’importante étude menée parHolzer et Neumark (2000a).

Les études qui s’intéressent aux effets des mesures d’action posi-tive sur le marché du travail ne donnent pas de conclusions définitives,mais certaines constatations récurrentes nous permettront de tirerquelques conclusions. Pour ce qui est des effets sur la productivité, lesestimations des fonctions de production et de coûts ne donnent tou-jours pas de résultats concluants. D’après les études qui se fondent surune évaluation de la performance des salariés par les employeurs, lesqualifications des membres des minorités qui sont recrutés au bénéficed’un programme d’action positive seraient inférieures à celles desautres travailleurs. C’est le cas des études de Holzer et de Neumark(1999 et 2000b), qui montrent que les qualifications (le critère étant icile niveau d’éducation) des salariés issus des minorités dans les entrepri-ses qui pratiquent l’action positive sont inférieures à celles des salariésdes autres entreprises. Cette étude précise toutefois que, si l’on faitexception de la minorité hispanophone, les hommes et les femmes issusdes minorités ne sont pas moins qualifiés que leurs collègues blancs. Lesauteurs de ces études montrent aussi que c’est généralement dans lesentreprises qui adoptent un programme d’action positive pourl’embauche que cette performance est inférieure, par opposition à cel-les qui appliquent un tel programme dès les procédures de sélection descandidats. Il semblerait également que ces dernières offrent plus d’heu-res de formation et se fient davantage à une évaluation formelle de laperformance que les premières. Les études qui se réfèrent aux travauxsur la sélection du personnel qui sont résumés dans Campbell (1996)montrent aussi qu’un programme d’action positive réussi n’est pas for-cément synonyme de qualifications au rabais. Bien au contraire, un telprogramme suppose l’existence de critères très précis afin d’affecterchaque salarié au poste qui convient, ou de bien choisir la formation àoffrir en fonction des lacunes professionnelles observées.

Les études qui s’intéressent aux effets des mesures d’action posi-tive dans l’éducation sont tout aussi peu concluantes. Il est vrai que lestravaux sur le terrain sont relativement moins nombreux, de même queles travaux théoriques. Si l’on en croit différentes études, les taux deréussite des étudiants noirs seraient inférieurs à la moyenne. Toutefois,la différence constatée n’est pas plus grande dans les écoles les plusprestigieuses, et les Noirs qui y sont admis en tirent autant d’avantagesque les Blancs. Par conséquent, les programmes d’action positive pourl’admission dans les établissements les plus prestigieux ne sont pas aussi

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inadaptés qu’on le dit pour les étudiants noirs. Il est vrai qu’en méde-cine les étudiants qui ont bénéficié d’une admission préférentielleobtiennent de moins bons résultats que leurs camarades, mais ils ontaussi plus de chances d’avoir un jour comme patients des membres desminorités, ce qui peut produire une externalité positive notable. Cer-tains faits donnent également à penser que les collèges féminins et,depuis toujours, les collèges noirs ont une influence positive sur les fem-mes et les Noirs, respectivement, confirmant ainsi apparemment l’argu-ment selon lequel l’identification à un modèle jouerait un rôleimportant. Par contraste, il semblerait que la diversité qu’induit dans lecorps estudiantin un programme d’action positive n’ait pratiquementaucun effet positif sur les relations interraciales ou interculturelles.

DiscussionLes sections qui précèdent montrent bien que le mécanisme qui

sous-tend les différentiels de résultats entre minorités ethniques sur lemarché du travail est très probablement multidimensionnel, appelantde ce fait une action tout aussi multidimensionnelle. Au moment de lapréparation d’une telle action, on doit cependant éviter soigneusementque les différences de traitement entre ces différents aspects de la dis-crimination n’aient des effets contradictoires.

Lieu de travailL’existence d’une discrimination salariale appelle des mesures du

type «action positive». Abstraction faite des études théoriques qui met-tent en garde contre le risque d’équilibre de type paternaliste, avec lespertes d’efficience que cela suppose, il n’y a rien qui nous permette deconclure à l’existence d’effets pervers pour les politiques du type«action positive». Toutefois, comme le laissent penser les résultats del’étude de Bayard et coll. (1999a et b), ce type de démarche demande àêtre préparé plus soigneusement. Encore une fois, il n’est possibled’éradiquer les différences salariales entre minorités ou entre hommeset femmes au sein d’une même profession ou entreprise que si les cau-ses ont bien été identifiées. D’une part, lorsque les disparités salarialessont dues uniquement à une différence de race ou de sexe, une politi-que d’égalité des salaires peut facilement en venir à bout, et ce ne sontpas des mesures du type «action positive», qui ne prévoient pas explici-tement l’égalité des salaires, qui permettront de combler dans ce casl’écart entre les salaires. En fait, même si deux individus d’une mêmerace ou du même sexe se voient offrir les mêmes chances de travail etde promotion, un programme d’action positive ne sera d’aucune utilitési la productivité n’est pas le vrai motif de leur différence de rémunéra-tion. D’autre part, si l’écart salarial constaté s’explique pour l’essentielpar une ségrégation multiple, on ne pourra en venir à bout qu’avec des

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mesures d’égalité des chances en matière d’emploi et de promotion etavec des mesures d’action positive. Il ne suffit pas, pour affaiblir cetteségrégation, de prendre des dispositions prévoyant expressément l’éga-lité des salaires. C’est ainsi qu’il ne sert à rien de légiférer sur l’égalitédes salaires si le but recherché est de mettre un terme à des pratiquesdiscriminatoires qui se trouvent en amont des pratiques du travail sala-rié. Ce n’est pas en imposant l’égalité des salaires que l’on parviendra àéliminer la discrimination en matière d’embauche et de recrutement,d’affectation et de promotion. Bien évidemment, s’il s’agit de rétribuerdes caractéristiques égales il faudra bien légiférer en ce sens, mais si lebut recherché est d’éradiquer toutes les formes de discrimination celane suffira pas.

Les études théoriques montrent qu’une politique d’action positiveaxée sur les résultats est parfois préférable à des mesures de promotionde l’égalité des chances qui s’intéressent au processus proprement dit.Il y a deux raisons d’ordre théorique à cela. Tout d’abord, un pro-gramme d’action positive axé sur les résultats permettra d’empêchercertains employeurs de se livrer à des pratiques discriminatoires plusinsidieuses. Avec ce genre de programme, les dirigeants des servicessociaux et les autorités pourront avoir accès aux mêmes informationsque les employeurs. Quant aux employeurs, ils pourront jouir d’uneplus grande souplesse en matière de répartition des tâches tout en attei-gnant le but qu’ils se sont fixé, ce qui va dans le sens de l’effort de pré-vention des pratiques discriminatoires insidieuses. On mentionneraégalement ici une mesure qui a déjà été évoquée, et qui consiste àindexer la rétribution sur les résultats obtenus à un test qu’applique-raient aussi bien les entreprises que les pouvoirs publics et que l’onferait passer à tous les salariés. Les politiques devront cependant utili-ser ces instruments avec prudence. Ils doivent s’assurer que ce test n’estpas utilisé à d’autres fins que celle d’augmenter la rémunération dessalariés issus des minorités. Ils doivent donc commencer par mettre enplace un système de notation qui repose sur tous les indicateurs de com-pétences observables (comme les qualifications et l’expérience). Lesentreprises seraient ensuite invitées à indexer le salaire des travailleursissus des minorités sur la note la plus élevée qu’ils auraient obtenue àce test, et sur le salaire des travailleurs issus de la communauté majori-taire ayant subi le même type de test, sous réserve que ce salaire soitsupérieur. L’application d’une telle règle ne se fera probablement passans moyens financiers importants, mais elle apportera une contribu-tion aussi bien directe qu’indirecte à la lutte contre les pratiques discri-minatoires. En effet, les résultats de ces tests permettront au surplus dedéceler les lacunes en matière de compétences de chaque travailleur, etde prendre ainsi les mesures individualisées capables de combler toutdécalage qui aura pu être décelé entre les compétences des travailleursissus des minorités et celles des travailleurs issus de la communautémajoritaire.

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Différences de qualificationsLorsque les différences de qualifications sont la principale cause

des disparités salariales entre groupes ethniques (ou entre sexes), c’està ces différences-là que l’on doit s’attaquer en premier. On devra dansce cas soit faciliter l’accès des groupes défavorisés à une éducation dequalité, soit compenser a posteriori le différentiel de compétences, si cen’est les deux à la fois.

Les études aussi bien empiriques que théoriques que nous avonspassées en revue accordent très souvent une grande importance à l’édu-cation acquise au préalable. Elles montrent, par ailleurs, qu’il faut nonseulement faciliter l’accès à l’éducation mais aussi améliorer la qualitéde cette éducation si l’on veut réellement faire converger les résultatset les parcours des individus. En facilitant aux groupes défavorisésl’accès à une éducation de qualité, on a de bonnes chances d’obtenir desrésultats positifs quant aux effets intergénérationnels. Autrement dit,toute action des pouvoirs publics qui vise à relever le niveau moyen decompétences d’un groupe racial ou ethnique donné sur une générationdevrait permettre d’accroître sensiblement le bien-être de toutes lesgénérations suivantes et d’accélérer la convergence. Les études men-tionnées plus haut insistent aussi sur le fait que les efforts des pouvoirspublics doivent être à la fois importants et concentrés dans le tempss’ils veulent éviter une fuite communautaire des cerveaux, et, partant,l’émergence d’une nouvelle classe au sein du groupe défavorisé.Compte tenu de cette considération, les mesures qui sont prises pourpromouvoir l’investissement dans le capital humain (comme les me-sures d’action positive pour l’éducation, les bourses d’études et lesinvestissements dans l’infrastructure) doivent être suffisamment im-portantes pour rendre possible un véritable décollage du groupe défa-vorisé.

Il n’est évidemment pas question de contester ici l’utilité desmesures qui visent à faciliter l’accès à une éducation de qualité, mais s’ils’agit de combler le déficit en compétences du personnel en place cen’est pas avec ce type de mesures que l’on y parviendra. Seul un pro-gramme de formation ou d’amélioration des qualifications profession-nelles en serait capable. En règle générale, les programmes deformation et autres programmes du même genre semblent avoir peud’effets sur l’aptitude à l’emploi des participants, et pour un coût rela-tivement élevé 13. Aux Etats-Unis, les évaluateurs des programmes deformation destinés aux groupes ethniques expriment la même décep-tion. Les problèmes que pose un programme de ce genre sont: premiè-rement, une conception médiocre ou inadaptée, avec, par exemple, uneformation qui ne répond pas aux besoins de l’entreprise et très peud’interface entre la formation, la recherche d’un emploi et l’embauche;

13 Voir par exemple Meager (1998).

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deuxièmement, un glissement des avantages du programme versd’autres groupes que ceux qui étaient prévus, et donc une perte sèche;troisièmement, l’incapacité des administrateurs du programme dedéceler le déficit en compétences des participants; et enfin un effet dedéplacement lorsque le programme est destiné à un groupe défavorisédont les compétences ne sont que très légèrement inférieures à cellesd’un autre groupe défavorisé.

Les études empiriques montrent que les employeurs qui prati-quent l’action positive ont tendance à compenser les lacunes en matièrede compétences par un surcroît de communication et de formation. Ensubventionnant cette formation, on agit au mieux si cela incite l’entre-prise à recruter davantage de travailleurs issus des groupes défavorisés.Cela pourrait d’ailleurs s’avérer moins coûteux qu’un programme deformation public. L’inconvénient d’un tel système de subventions estqu’il peut renforcer les préjugés des employeurs, qui pourraient êtretentés de penser, par exemple, qu’un travailleur dont la formation estsubventionnée est forcément moins compétent qu’un autre. En outre,étant donné qu’une formation est déjà dispensée, une telle subventionpeut n’aboutir à rien, et ne pas profiter aux travailleurs les moins com-pétents. Nul n’est mieux placé que l’entreprise pour dire s’il vaut lapeine ou non, pour sa propre production, d’investir dans les compéten-ces d’un salarié, du moins dans son propre cas. En lui octroyant unesubvention, on lui permettra soit d’augmenter l’offre de formation quiest faite à chaque travailleur, qui aurait été sélectionné de toute façon,soit d’étendre la formation à des personnes qui n’avaient pas été rete-nues au départ. Même si elle choisit la deuxième solution ou une solu-tion intermédiaire, l’entreprise continuera probablement à considérercertains travailleurs (les moins compétents) comme inemployables.

Marchés connexesCertaines des études empiriques qui ont été mentionnées con-

cluent à l’existence probable d’une ségrégation spatiale qui serait dueaussi bien à une discrimination en matière de logement qu’à une discri-mination sur le marché hypothécaire. Ces études montrent égalementque les groupes qui subissent cette discrimination le paient très cher:difficulté d’accès à des emplois mieux rémunérés, déplacements trèscoûteux entre le domicile et le travail, infrastructures publiques qui lais-sent à désirer et environnement insalubre.

Cela a de fortes implications, du moins pour ce qui est des prati-ques discriminatoires. Aux Etats-Unis, la controverse sur les hypothè-ques qui a été évoquée dans les sections précédentes a conduit lesecteur bancaire à définir des conditions de garantie «plus souples». Onnotera toutefois que, comme pour les actions positives touchant aumarché du travail, cela risque de renforcer parmi les banquiers certainspréjugés à l’égard des débiteurs appartenant à une minorité, car cela

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voudrait dire, pour eux, qu’il est risqué de prêter à ces derniers aux con-ditions habituelles. De plus, il n’est pas certain que l’on parvienne,même en assouplissant les conditions d’octroi des prêts, à arracher àleur environnement les éléments les moins capables du groupe défavo-risé. Il reste la solution des subventions à la mobilité. La sélection desbénéficiaires se ferait en fonction de leur lieu de résidence, et ces sub-ventions pourraient prendre différentes formes. Les bénéficiairesobtiendraient soit une aide en espèces soit une aide à la recherche d’unlogement. La première solution ne permettra pas vraiment d’améliorerl’accès à des zones d’habitation mieux loties. Il est vrai que cette sub-vention peut aider certains à quitter leur lieu d’habitation, mais tantque les pratiques discriminatoires n’auront pas disparu du marché dulogement et du marché hypothécaire cela se résumerait à quitter unezone défavorisée pour une autre zone défavorisée. Une aide à la recher-che d’un logement pourrait, au contraire, empêcher la discriminationen la matière, et permettre aux bénéficiaires d’accéder plus facilementà des zones plus favorisées. On peut même envisager un système quileur permettrait de se faire aider personnellement par des administra-teurs issus du groupe majoritaire dans leur recherche d’un logement etdans leurs visites. L’avantage d’un tel système est que, grâce à unemeilleure connaissance du secteur du logement, ces administrateurspourraient aider à mettre en place une interface équitable entre les par-ticuliers et les agents immobiliers ou propriétaires, et éventuellementles prêteurs.

En général, pour contrer les mécanismes de pauvreté ou de ségré-gation, il ne suffit pas de promouvoir un meilleur fonctionnement desmarchés financiers et immobiliers. Il faut aussi garantir leur bon fonc-tionnement. Aussi faudrait-il non seulement faciliter l’accès des grou-pes défavorisés aux ressources financières et immobilières, mais aussi«niveler le terrain» en investissant dans les infrastructures publiques demanière à abaisser le coût de la ségrégation en matière de logement.

Il peut paraître contradictoire de promouvoir d’un côté la mobilitéspatiale et de l’autre l’investissement dans l’infrastructure publique deszones défavorisées. En principe, on devrait voir disparaître les zonesdéfavorisées rien qu’en facilitant la mobilité en matière de logement.C’est toutefois sous-estimer l’importance de certains obstacles à lamobilité, comme un faible niveau de qualifications ou l’effet intergéné-rationnel d’une mobilité incomplète. Même s’il leur est donné de pou-voir envisager enfin de quitter leur zone d’habitation pour une autre,les individus les moins qualifiés ne pourraient pas se le permettre sileurs perspectives professionnelles ailleurs ne sont pas suffisammentbonnes. Par conséquent, seuls les plus qualifiés quitteraient les zonesd’habitation défavorisées, réduisant probablement d’autant la propen-sion à l’accumulation du capital humain de la communauté. Les étudesthéoriques qui ont été menées jusqu’ici montrent que si l’on veut qu’il

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y ait accumulation de capital humain dans une communauté donnée uninvestissement dans les infrastructures et la scolarisation pourrait êtrepréférable à un investissement dans la mobilité.

En règle générale, une intervention sur un marché donné ne peutaboutir que si elle est coordonnée avec les interventions faites surd’autres marchés. Si l’on veut que l’intervention projetée dans le mar-ché du logement réussisse pleinement on doit commencer par éliminertoute forme de discrimination (autre que la ségrégation en matière delogement) existant sur le marché du travail.

Effets sur la communautéLes études tant théoriques qu’empiriques montrent à l’évidence

l’importance de certains effets liés à la communauté tels que le «capitalsocial» et la «réputation du groupe», ce aussi bien pour la discrimina-tion que pour les incitations anciennes à la discrimination. Les mécanis-mes du marché ne peuvent pas expliquer à eux seuls toutes lesinteractions sociales ayant des répercussions économiques. Au con-traire, une interaction sociale est probablement le résultat des effetscumulés des choix individuels. Les croyances et préférences des agentspourraient bien être le produit de certaines interactions sociales qui nes’expliquent ni par les prix ni par les marchés. Il existerait donc desmécanismes de réactions en chaîne qui feraient que le comportementdes individus influe sur les attributs d’une communauté et que les attri-buts d’une communauté influent sur les chances et les motivations desindividus. Cette réaction dépend à son tour de l’image que le marché sefait des attributs de la communauté, ce qui détermine la réputation decette dernière. Une intervention ne peut donc aboutir que si l’on saittrès bien comment fonctionnent les réactions en chaîne qui font inter-venir le capital social et la réputation du groupe.

Ainsi qu’il a été précisé plus haut, une intervention peut aider àchanger l’image d’un groupe sur le marché une fois que les résultats surce marché ont été bien identifiés. Si elle est associée à des mesuresvisant à réduire d’éventuels différentiels de compétences entre groupesethniques, cette intervention permettra aux marchés de s’adapter plusrapidement à l’ajustement des qualifications des travailleurs. Pour lechoix des éléments à retenir dans la définition du capital social d’unecommunauté, il faudra probablement faire appel à des spécialistes deplusieurs domaines. On devra également se poser la question de savoircomment délimiter la communauté. Compte tenu de ce qui précède, onpourrait, pour des raisons pratiques, s’en tenir à une définition géogra-phique. Il semblerait que les voisinages reposent souvent sur une ségré-gation par communauté. Si pour les améliorations du capital socialpouvant découler d’une amélioration des infrastructures publiques etdu cadre de vie de la communauté une telle solution peut être parfaite,en revanche s’il s’agit de lutter contre des pratiques discriminatoires

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individuelles mieux vaut s’y prendre autrement. Comme le montrentles résultats des études précédentes, une fois qu’on a délimité la com-munauté, il reste à identifier les agents dont les décisions vont proba-blement influencer sensiblement le niveau de son capital social. En fait,une mesure ne sera véritablement efficace que si elle influe sur la moti-vation de ces agents. Il est généralement admis que ceux-ci font trèssouvent partie de la classe moyenne d’une communauté. Par consé-quent, et les ressources étant limitées, il risque d’y avoir arbitrage entreles services fournis aux plus pauvres et les services, tels que les infras-tructures publiques, qui sont recherchés par la classe moyenne.

Ici intervient une autre question: quel avantage y a-t-il à mettre enavant l’élément race plutôt que le revenu? L’argument en faveur d’unepolitique de lutte contre la discrimination raciale renvoie une fois deplus à l’hypothèse d’une interaction entre le capital social et la réputa-tion d’un groupe. Une mesure efficace est une mesure qui influe sur lesexternalités qui engendrent ou perpétuent les inégalités. Ces externali-tés ont généralement une origine communautaire. Lorsqu’on est face àune communauté où la ségrégation raciale est très importante, il fautdes mesures qui mettent l’accent sur le facteur racial, et non sur le fac-teur communautaire. D’ailleurs, le fait de mettre en avant l’élémentrevenu risquerait de gêner l’interaction communautaire en excluantune partie de la communauté. Cet argument renvoie à l’argument surles agents qui jouent un rôle déterminant dans la communauté.

Lutte contre la discrimination raciste ou sexiste?L’appartenance sexuelle est une autre dimension que l’on doit

absolument prendre en compte dans la lutte contre la discrimination.Les pratiques discriminatoires continuent de jouer un rôle importantdans le différentiel de revenus constaté entre hommes et femmes. S’ilsconstatent l’existence d’une double discrimination, les décideursdevront s’assurer que leurs politiques prennent bien ce fait en considé-ration. Ils devront dans ce cas s’attacher à concevoir des mesures pourlutter à la fois contre la discrimination raciale et contre la discrimina-tion fondée sur le sexe. Sur le marché du travail, il peut arriver que lesfemmes d’un groupe ethnique favorisé se retrouvent dans une bienmeilleure position que celles qui n’en font pas partie. On a affaire dansce cas à une discrimination découlant d’une politique spécifique. Pouréviter cela, il faut d’abord que les autorités puissent définir et quantifiercorrectement les sources de discrimination, qu’elles soient fondées surla race ou sur le sexe. Elles doivent ensuite faire un choix entre diffé-rentes options. Pour éviter ces deux formes de discrimination, on peutdécider de les combattre en même temps pour chaque individu, mais lerisque est grand dans ce cas d’obtenir l’effet inverse de l’effet souhaité,même si toutes les précautions mentionnées ci-dessus sont prises.Autrement, les décideurs pourraient opter pour un principe simple qui

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serait appliqué à tous les domaines socio-économiques. Dans ce cas, onalignerait le traitement de toutes les femmes présentant les mêmescaractéristiques socio-économiques (qualifications, situation familiale,type de logement, etc.) mais appartenant à d’autres groupes ethniques,sur celui des femmes qui bénéficient des plus grands avantages dans lecadre de ces mesures. Toutefois, si la race joue un rôle important dansla situation économique des femmes, ce n’est pas avec ce type de poli-tique que l’on pourra rétablir l’égalité de traitement entre femmes. Onpeut également décider de tout miser sur le facteur de discriminationprédominant. Par exemple, si pour les femmes les différences de traite-ment sont dues plus à l’appartenance sexuelle qu’à l’appartenance eth-nique (pas de double discrimination), les mesures prises devraient êtreles mêmes pour toutes les femmes, indépendamment de la race. Il fau-drait en revanche tout faire pour combler la fracture entre les sexes, eny ajoutant, éventuellement, des mesures susceptibles de mettre fin à ladiscrimination raciale à l’égard des hommes, le cas échéant. S’il s’avèrepar ailleurs que la discrimination fondée sur le sexe a un impact impor-tant sur les femmes, les femmes des groupes défavorisés devraientbénéficier d’un traitement plus favorable que les autres, en plus desavantages qui leur seraient accordés en tant que femmes.

Institutions et sphère socialeL’expérience de ces dernières années montre, surtout aux Etats-

Unis et au Royaume-Uni, que si la législation contre les actes de discri-mination manifeste est toujours aussi populaire, au contraire les mesu-res de lutte contre la discrimination fondée sur le sexe ou sur la race dutype «action positive » sont, elles, de plus en plus contestées, la crainted’une discrimination à rebours jouant ici un rôle important. Autrementdit, on reproche à ce genre de mesures d’engendrer une discriminationpositive. Ceci pourrait être un argument de plus en faveur d’une inter-vention selon des critères géographiques.

Les études empiriques et les résultats des analyses montrent aussique certaines pratiques discriminatoires résistent à toutes les réglemen-tations, soit à cause de certaines formes d’interaction sociale soit parceque la discrimination raciale ou sexuelle prend d’autres formes, plusinsidieuses et cachées. L’expérience actuelle de l’Afrique du Sud mon-tre que les attitudes et les structures sociales qui perpétuent le désavan-tage restent plus fortes que les politiques du marché du travail oupolitiques sociales récentes qui pourraient empêcher la discriminationsur le marché du travail.

Certains voient dans les cas de discrimination portés devant les tri-bunaux un bon indicateur de l’étendue de la discrimination dans unpays. Pourtant, le nombre des affaires soumises aux tribunaux ne per-met pas vraiment d’évaluer l’importance de la discrimination. Commele font remarquer Wrench et Modood (2001) à propos du Royaume-

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Uni, le nombre des affaires de racisme et de discrimination qui sontportées devant la justice dépend très probablement de la législationelle-même, d’une part, et du contexte social, d’autre part. De toute évi-dence, les deux sont souvent étroitement liés. C’est ainsi qu’auRoyaume-Uni la promulgation de la loi sur les relations raciales a trèscertainement conduit l’opinion à considérer les actes de discriminationraciale comme illégitimes.

Les arguments qui précèdent montrent qu’une intervention despouvoirs publics qui n’est pas soutenue par la société toute entière estforcément vouée à l’échec. Loin d’être restrictive, une telle affirmationpeut aider à décharger les pouvoirs publics d’une partie de ce fardeaufinancier qu’ils doivent assumer s’ils veulent supprimer tous les obsta-cles à l’élimination des disparités entre groupes ethniques. Pour obtenirune participation plus grande de la société à l’effort d’édification d’unmarché du travail non discriminatoire on peut utiliser, par exemple,l’approche dite volontariste adoptée au Royaume-Uni dans les annéesquatre-vingt 14. Cette approche consistait à encourager les entreprises àrevoir leurs procédures et pratiques de manière à garantir l’égalité deschances aux groupes défavorisés, tout en s’engageant, le cas échéant, àleur offrir une formation supplémentaire. Cette approche diffère del’action positive dans la mesure où il s’agit d’une action volontaire etdiscrétionnaire uniquement. Cette différence montre aussi peut-êtreles limites d’une telle approche. En effet, les actions volontaires sontcensées être rationnelles d’un point de vue économique, et donc muesessentiellement par un comportement ayant pour seule finalité la maxi-misation du profit. Par conséquent, le fardeau financier de l’entreprisequi applique une telle politique devrait être pris en charge partielle-ment par les pouvoirs publics. Ceux-ci peuvent fournir une aide admi-nistrative, comme au Royaume-Uni, ou prendre en charge une partiedes coûts de formation, limitant ainsi les pertes sèches et les effets dedéplacement évoqués plus haut. Il existe une autre solution qui consisteà faire payer plus cher aux entreprises leur politique discriminatoire,soit directement, en augmentant le montant des amendes et des indem-nités applicables, soit indirectement, en attirant l’attention du publicsur cette politique afin de donner une mauvaise image de marque del’entreprise ou de la discréditer encore plus auprès de ses clients actuelsou potentiels. Dans le même style, mais en misant davantage sur l’effetprime que sur les sanctions, les pouvoirs publics peuvent aussi choisirun système de labels qui seraient attribués aux produits des entreprisesqui adoptent une politique d’action positive de leur propre initiative.Les entreprises peuvent aussi s’engager dans un programme d’actionpositive sous la pression d’organisations de travailleurs ou d’associa-

14 Voir Fredman (2001) et Wrench et Modood (2001) pour une description et une discus-sion détaillées de la question.

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tions représentant les groupes ethniques. Il serait toutefois préférablede promouvoir des mesures axées sur le profit, car elles ne sont pastotalement imposées.

Quelle que soit la solution que l’on retiendra, on ne peut que larenforcer si on sensibilise la société toute entière aux problèmes deracisme et de discrimination. On peut, par exemple, promouvoir à ceteffet une meilleure connaissance, une plus grande tolérance et, peut-être, communication entre les différentes races, ce qui pourrait entraî-ner une meilleure intégration des différentes communautés. L’intégra-tion ne doit cependant pas être un but en soi, mais le résultat d’unepolitique efficace de lutte contre la discrimination. A en croire la litté-rature sur le tissu social, une politique intégrationniste ayant des objec-tifs spécifiques en matière géographique et d’habitat peut conduire à unaffaiblissement des réseaux sociaux et aggraver de ce fait la situation etle bien-être des minorités. En encourageant l’intégration en matière delogement et les mélanges «ethniques» on peut aussi provoquer unregroupement des différents réseaux sociaux dans un seul réseau. Cen’est le cas que si cette intégration en matière de logement produit uneintégration, ce qui donne à penser que pour promouvoir l’intégrationde manière convaincante et la mettre en œuvre il faut beaucoup d’enga-gement social et politique.

Les arguments exposés ci-dessus montrent à l’évidence que quelleque soit l’approche choisie il faut absolument qu’elle soit multidimen-sionnelle, et s’attacher, avant toute chose, à recueillir des données etdes séries de données qui permettent d’identifier les sources d’inégali-tés de traitement et de mieux comprendre les différents mécanismes detransmission de ces inégalités. Ce n’est qu’une fois cela terminé que l’onpourra arrêter les mesures à prendre, qui devront tenir compte de tou-tes les interactions du marché et du mode de transmission de ces inte-ractions entre générations. Autrement dit, une politique n’aboutira quesi elle prend en considération l’influence des perceptions sociales.Essayer de modifier ces perceptions serait peut-être le meilleur moyend’arriver à une société sans discrimination.

En conclusionLa discrimination raciale reste un très grave problème économi-

que et social, même dans les pays qui s’y sont attaqués politiquement defaçon ouverte et systématique. Non seulement le problème est endémi-que, mais il peut prendre des formes différentes d’une région, voired’une ville, à l’autre, dans un même pays. La théorie sur la discrimina-tion raciale a fait des progrès considérables depuis les travaux fonda-teurs de Becker (1957), mais il n’en va pas de même des étudesempiriques. Les conséquences stratégiques pourraient être graves, car

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une mauvaise connaissance du phénomène risque de déboucher sur desdécisions inefficaces, voire à effets contraires.

A cet égard, le cas de la France est riche d’enseignements. Offi-ciellement on n’y tient aucun compte de la couleur des gens, malgré lamultiplication des groupes ethniques sur son sol. Cette attitude con-traste avec celle des autres pays européens qui connaissent la mêmeévolution démographique. En outre, les statistiques n’y comprennentaucune information sur l’appartenance ethnique ou religieuse depuiscinquante ans 15. Toutefois, diverses «opérations-pièges» menées à lafin des années quatre-vingt-dix par des associations antiracistes mon-trent qu’il existe des pratiques discriminatoires dans l’attribution deslogements et des emplois. Face à ces pénalisations d’ordre ethnique,des politiques actives ont été menées en fonction des zones géographi-ques et des catégories sociales où sont concentrées les minorités. Lespremiers résultats indiquent que des investissements considérables,dans les infrastructures et l’amélioration du capital humain, seraientnécessaires pour assurer l’intégration des minorités. De surcroît, pourque ces politiques soient suivies d’effets, il faudrait aussi faire disparaî-tre d’autres pratiques discriminatoires. A cela s’ajoute le fait que lespolitiques fondées sur des critères géographiques ou de revenu risquentd’oublier des personnes qui ne satisfont pas à ces critères mais sont toutde même victimes de la discrimination raciale sur certains marchés. Ils’ensuit que ces politiques, insensibles aux origines ethniques, n’ontguère de chance de réussir à éliminer les pratiques dicriminatoires etleurs conséquences. Il n’est donc pas surprenant que, en France, les casd’intégration économique et sociale réussie restent exceptionnels, entout cas dans les populations d’origine non européenne.

L’exemple français montre qu’il importe, en premier lieu, de cons-tituer des bases de données qui permettent d’identifier l’origine desinégalités de fait et de mieux comprendre comment celles-ci se trans-mettent. C’est seulement ensuite qu’il sera possible de déterminerquelles actions seront efficaces. Comme on l’a vu, celles-ci doivent êtremultidimensionnelles. De plus, la réalisation d’études empiriquesapprofondies sur la discrimination raciale favoriserait la tenue, àl’échelle de toute la société, d’un débat sensé et objectif sur ce sujet.Prouver que la discrimination raciale est bien à l’œuvre dans la sphèresocio-économique contribuerait à faire comprendre qu’elle est à l’ori-gine de tensions sociales. Inversement, si l’on ne fait pas cette preuve,la discrimination, au lieu d’apparaître comme leur cause, pourrait faci-lement être présentée comme le remède à ces tensions. Nombre d’étu-

15 L’absence de données sur l’appartenance ethnique ou raciale doit beaucoup à l’histoire– le pays a en mémoire l’occupation nazie et la collaboration du gouvernement de Vichy –, et à lacrainte d’un retour de la politique d’extrême droite. Les données recueillies au printemps 2003dans le cadre de l’«Enquête identités» devraient combler cette lacune.

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des ont souligné combien il est important d’agir sur les perceptionssociales, ce qui constitue sans doute l’un des aspects les plus efficaces,au regard de son coût, d’une politique visant à instaurer un environne-ment socio-économique libéré de toute discrimination.

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