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La Fed et la BCE face à la crise financière

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La Fed et la BCE face à la crise financière

Avant que se déclenche la crise financière : la Réserve fédérale (Fed), était de loin la banque centrale qui suscitait le plus d'admiration dans les cercles économiques et financiers. Face à cette institution estimée réactive, flexible, la Banque centrale européenne (BCE) était souvent jugée trop dogmatique à force d'être obsédée par l'inflation, indifférente à la croissance, et pas assez transparente. Mais voilà, le séisme qui ravage la planète finance depuis 2007 a fait vaciller bien des certitudes. Ces deux banques centrales n’ont pas eu a géré la crise financière de la même façon et nous verrons laquelle en est ressortie plus fort.

Avant même de commencer la comparaison de la gestion de la crise, il faut rappeler que sur le banc des accusés des responsables de la crise que la Réserve fédérale américaine figure au premier rang. « Elle a mené une politique monétaire plus laxiste que celle de la BCE, qui a fortement contribué à alimenter les excès financiers », estime Michala Marcussen, la responsable des études économiques de Sgam. De fait, depuis une vingtaine d'années, les Etats-Unis ont subi le krach d'octobre 1987, la crise des savings and loans, la bulle immobilière du début des années 90, l'affaire LTCM en 1998, l'éclatement de la bulle Internet en 2000, avant la crise de l'immobilier et des subprimes. « A chaque fois, ces crises ont été provoquées par un excès d'endettement nourri par les taux d'intérêt descendus très bas pour amortir le choc de la crise précédente », explique Patrick Artus, économiste chez Natixis. Si la BCE n'a pas pu empêcher la zone euro de céder aux sirènes du crédit facile, les excès financiers n'ont pas atteint la même ampleur qu’aux Etats-Unis.

I) Un contexte économique et financier peu comparable

Au moment de l’éclatement de la crise financière, le contexte économique et financier diffère dans les trois régions observées :• Un contexte économique plus favorable en Europe : la croissance du PIB a déjà fortement ralenti aux Etats-Unis en 2007, alors qu’elle reste élevée en Zone euro. L’investissement résidentiel (3 à 5% du PIB) décélère quelque peu en Europe, tandis qu’il se contracte violemment aux Etats-Unis. La demande extérieure nette stabilise la croissance en zone euro et aux Etats-Unis, via une décélération des imports notamment. Finalement, le ralentissement de l’activité a déjà atteint le marché du travail aux Etats-Unis, pas encore en Europe.

Un effet richesse négatif aux Etats-Unis, aux conséquences potentiellement lourdes sur la croissance : lors de l’éclatement de la, crise, le prix des maisons baisse déjà aux Etats-Unis, pas en Europe. Sur les portefeuilles d’actions, les pertes en monnaie locale comptabilisées depuis le point haut d’avant crise sont comparables d’une région à l’autre (-15% sur l’Eurostoxx, -11% sur le S&P). La valeur du patrimoine des ménages américains diminue donc surtout par l’immobilier. Le lien entre ce patrimoine et la consommation (effet richesse) est étroit aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, alors qu’il est ténu en zone euro. La crise hypothécaire présente donc un risque plus élevé pour la consommation américaine qu’européenne. La consommation des ménages est d’ailleurs plus importante pour la croissance américaine qu’européenne (respectivement 70% et 58% du PIB).

Les banques américaines sont touchées par la crise financière et économique, les banques européennes par la crise financière : sur l’année 2007, la crise des subprime a un coût plus élevé pour les banques américaines et certaines banques anglaises très impliquées dans l’intermédiation des financements de l’économie américaine, que pour les banques

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européennes. Les dépréciations d’actifs sont semblables pour l’ensemble des BFI (banques de financement et d’investissement), la crise des marchés étant globale. En revanche, les pertes sur crédits des activitésde banque de détail (coût du risque) sont plus élevées aux Etats-Unis qu’en Europe (tableau 2) : en d’autres termes, tandis que les banques européennes ne sont touchées que par la crise financière, les banques américaines sont aussi touchées par la crise économique fin 2007. On bserve alors logiquement un durcissement des conditions de crédit, en particulier aux ménages, plus prononcé aux Etats-Unis qu’en Europe.

II) Les banques centrales face à la crise des subprime

A) des gestions différentes de la crise

Nous l’avons vu, les banques centrales sont confrontées lors de l’éclatement de la crise à des contextes économique et financier sensiblement différents et utilisent des instruments de gestion de la liquidité qui leur sont propres. Ceci explique certaines différences dans la gestion de la crise.Au delà les banques centrales ont dû pendre en compte des situations relativement semblables sur les marchés monétaires et financiers (illiquidité des marchés de titres adossés à des créances immobilières, très fortes tensions sur le marché monétaire, notamment sur les maturités plus longues). Face à une même problématique, leurs réactions présentent au bout du compte des traits convergents.

Nous avons recensé cinq dissemblances caractéristiques dans la gestion de la crise financière 2007 :

• 1/ La Fed a assoupli leur politique monétaire, pas la BCE :

En raison de l’exposition plus forte de l’économie américaine au risque de récession, la surtout la Fed a modifié l’orientation de leur politique monétaire. Les baisses de taux visent à soutenir le système bancaire donc l’ensemble de la chaine du crédit ; indirectement soutenir les prix d’actifs financiers pour éviter la matérialisation d’un effet de richesse négatif en plus de celui lié à la baisse des prix immobiliers ; le spectre des années trente, la crise hypothécaire américaine précédente, n’est pas très éloigné ; soutenir les ménages endettés à taux variables.

2/ La Fed a dû intervenir en dernier ressort pour sauver des institutions financières.

Aux Etats-Unis, ce sont les difficultés d’une banque d’affaires, Bear Stearns, qui ont poussé la Fed à prêter en dernier ressort. Plus précisément, la Fed a accepté d’ouvrir une ligne de crédit de29 milliards de dollars (au guichet de l’escompte) afin de permettre le rachat de la banque d’investissement par JP Morgan. La particularité du prêt, d’une maturité de 10 ans et renouvelable, est d’être gagé sur le portefeuille d’investissement de Bear Stearns, valorisé au moment de l’opération à 30 milliards de dollars. Cette intervention en dernier ressort va à l’encontre des pratiques usuelles des banques centrales, qui en général ne refinancent pas contre actions, qui plus est à 10 ans. JP Morgan porte néanmoins le risque de marché sur l’éventuel premier milliard de pertes du portefeuille.

3/ La Fed a modifié son cadre de gestion de la liquidité, pas la BCE :

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Nous avons a vu que la Fed disposait à l’origine d’un cadre de gestion de la liquidité plus étroit que celui de la BCE, en ce sens qu’il était ouvert à un nombre plus limité de contreparties et de collatéraux, car plus ancien :

Dans un premier temps, la Fed a compté sur la discount window pour fournir des liquidités supplémentaires aux banques. Celle-ci est en effet accessible à un nombre très important de contreparties et de collatéraux. Elle a alors réduit l’écart entre le discount rate et le taux des Fed funds (graphique 10). Mais le recours à la discount window est stigmatisant pour les banques commerciales soucieuses de rassurer les marchés sur leur liquidité. La Fed a du créer la Term Auction Lending Facility (TAF) en décembre 2007qui est une procédure d’appels d’offres bimensuels accessibles aux depository institutions et pour laquelle les mêmes collatéraux qu’à la discount window sont acceptés.7

La Fed et la BoE ont élargi la gamme des collatéraux acceptés pour faciliter le refinancement bancaire. La BCE accepte au refinancement un spectre plus étendu d’actifs et notamment les titres adossés à des actifs (tableau 9). La part des ABS dans l’ensemble des collatéraux livrés par les banques lors des prises en pension de l’Eurosystème s’est logiquement accrue, atteignant plus d’1/5 en décembre8 (16% en 2007 contre 12 en 2006). La Fed a introduit en mars dernier deux innovations destinées aux primary dealers, plus contraints que les depository institutions du point de vue des collatéraux. D’abord en créant la Term Securities Lending Facility (TSLF), nouvelle procédure d’appel d’offres pour laquelle sont acceptés, en plus des titres éligibles à l’open market, les RMBS et CMBS privés, et les CMO d’agences, tous notés AAA ou Aaa (en échanges de bons du Trésor américains). Ensuite en créant la Primary Dealer Credit Facility (PDCF), qui est une sorte fenêtre d’escompte pour primary dealers, avec prêt au jour le jour contre titres investment grade.

B) Des réactions convergentes malgré tout

Au-delà des divergences évoquées ci-dessus, la convergence des deux banques centrales dans la gestion de la crise est double :

• Les deux banques centrales ont augmenté les montants de liquidités alloués à l’open market.

Sans surprise, les banques centrales ont géré les pics de tension sur le marché interbancaire en augmentant les montants alloués à l’open market, parfois en urgence :

La Fed a effectué des opérations de repo exceptionnelles, comme le 10 août avec un apport de 38 milliards de dollars et en mars avec des repos allant jusqu’à 100 milliards ; elle a également porté progressivement les montants alloués via la TAF à 150 milliards de dollars (deux opérations toutes les deux semaines).

La BCE a en premier lieu accru la fréquence de ses opérations de réglage fin, dès le déclenchement de la crise : 200 milliards d’euros ont été prêtés par ce biais lors de la première semaine d’août, pour des maturités très courtes allant de un à cinq jours. En second lieu, elle a alloué aux banques, lors des opérations principales de refinancement hebdomadaires, des montants de liquidité supérieursau montant de référence pré-annoncé (le benchmark allotment c'est-à-dire le montant de réserves suffisant pour répondre à la demande des banques), quitte à les retirer en fin de

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période. La BCE n’a pas, en moyenne, apporté plus de liquidités aux banques depuis le déclenchement de la crise ; elle a en revanche adapté son mode de distribution.

Les banques centrales prêtent à plus longue échéance depuis le début de la crise :

L’accroissement des spreads sur les marchés interbancaires a révélé les réticences des banques à se prêter entre elles sur des maturités longues (1 mois et au-delà) ; dans un tel contexte, les apports de liquidité des banques centrales pour des maturités classiques (jusqu’à une semaine) sont insuffisants : les institutions de crédit, dont la demande de liquidité s’est fortement accrue, conservent par précaution les fonds empruntés de sorte que la courbe des taux du marché monétaire reste très pentue. La nécessité de prêter plus long s’est imposée. Ainsi :

La Fed a étendu la maturité maximale des repos classiques à 65 jours (contre 14 auparavant), des prêts à la discount window à 90 jours (contre en général un jour avant la crise) ; de même, les nouvelles sources de refinancement imaginées depuis le début (TAF et TSLF) sont à 28 jours.

La BCE a également augmenté les montants offerts lors de ses opérations régulières à trois mois. Elle a par ailleurs eu recours à des opérations supplémentaires, dont une à 6 mois début avril (une seconde sera menée en juillet). La BCE est la banque centrale qui est allée le plus loin dans l’adaptation de la structure temporelle de son refinancement régulier : la part du financement à plus long terme est passée depuis le mois d’août à 60% contre 30% en période normale.

III) Les interventions des banques centrales ont-elles été efficaces ?

A) Efficacité technique : le pilotage des taux de marché échappe aux deux banques centrales

Nous retenons deux critères d’efficacité technique :

• L’écart entre le taux de référence arrêté par la banque centrale (objectif desFed funds, taux de base, taux repo) et le taux de dépôt interbancaire à troismois ;

• la volatilité à court terme de ce spread. Nous retenons comme mesure la moyenne des écarts journaliers absolus sur deux semaines ouvrées. Dans la perception des banques centrales, cet écart se doit d’être aussi faible et stable que possible, puisque c’est par le marché interbancaire que se transmet la politique monétaire à l’économie réelle.13Les deux banques centrales ont beaucoup de mal à s’acquitter de leur fonction directrice depuis le début de la crise. La volatilité des écarts de taux est plus marquée aux Etats-Unis qu’en zone euro. Mais ceci s’explique avant tout par les multiples baisses de taux de la Fed et ne révèle pas une moins bonne gestion de la crise. On observe par ailleurs que les spreads actuels et leur volatilité sont plus marqués que lors des suites de la crise financière LTCM de 1998, ce qui prouve, si besoin est, de la gravité des tensions actuelles.

Enfin, on voit bien que les taux de crédit ont davantage suivi l’évolution des taux de marché monétaire que celle des taux banque centrale. Ceci montre, sur le plan de l’efficacité technique, l’impuissance des banques centrales à apaiser les tensions financières. Un autre

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critère d’efficacité de la gestion de la crise par les banques centrales est la confiance des investisseurs. On ne peut toutefois que difficilement la mesurer.

B) crédibilité vis-à-vis des objectifs et aléa moral : la BCE fait-elle vraiment mieux que les autres ?

Pour savoir si les banques centrales ont respecté leurs objectifs pendant la crise financière, nous regardons l’orientation de leur politique monétaire par rapport à des règles de Taylor. Nous voyons alors que :

• L’ampleur des baisses de taux par la FED s’explique largement par l’évolution prévisible du contexte économique et inflationniste aux Etats-Unis. Ceci est une différence notable par rapport à l’assouplissement de 2003 au cours duquel il a été reproché à la Fed d’avoir mené une politique trop expansionniste ;

• Le statu quo de la BCE se comprend, bien que la hausse annoncée en août 2007 à 4,25% aurait du être convertie pour satisfaire pleinement aux objectifs d’inflation. La BCE a donc été influencée par la dégradation des conditions financières et la baisse des Fed Funds ;

La question de l‘aléa moral, enfin, se pose effectivement pour les mesures de sauvetage (Bear Stearns) menée par la Fed. Il est probablement hasardeux d’y répondre. En revanche, on ne peut pas conclure que la BCE a fait mieux que la Fed, car pour elle la question ne s’est pas posée : on ne sait pas quelle serait aurait la réaction de la BCE face à un risque de Bank run sur le continent.