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flore cutan@e R. TEYSSOU, J.-L. KOECK et Y. BUISSON * R~:SUMI: La peau humaine est colonis~e par un grand nombre d'esp~ces bact~riennes et fongiques constituant la flore commensale cutan~e. Sa composition r~sulte d'un ~qui- libre entre les conditions locales et les propri~t~s m~tabo- liques des micro-organismes. Cette flore se r~partit en deux populations distinctes : la flore r~sidente dont la quantit~ et la r~partition est relativement stable et la flore transitaire qui provient de sources exog~nes ou d'autres flores commensales de l'organisme. La flore cutan~e joue un r61e primordial dans la gen~se des infections nosocomiales. En effet, d@s qu'il existe une br@che cutan~e (br~lure, catheter, plaie op~ratoire), les micro-organismes peuvent coloniser la l~sion et ~tre l'origine d'infections locales ou syst~miques. La proven- tion de ces infections repose sur une asepsie rigoureuse et un respect strict des r~gles d'hygi~ne. Par ailleurs, sous l'influence de l'hospitalisation et/ou de traitements antibiotiques, la flore cutan~e se modifie : ~li- ruination des esp~ces sensibles, acquisition de facteurs de r~sistance, colonisation par des bact~ries multi-r~sis- tantes. Ces micro-organismes peuvent transiter dans la flore cutan~e digitale des personnels soignants et diffuser d'un malade ~ l'autre. D~pister et pr~venir la colonisation par des bact~ries multi-r~sistantes sont des actions qui doivent compl~ter les mesures d'hygi~ne afin de pr~venir leur dissemination dans l'h6pital. MOTS-CLES flore cutan~e - infection nosocomiale - antibior~sistance - ~pid~miologie. SUMMARY Human skin is naturally colonized by various microorga- nisms making up a heterogeneous ecosystem. The skin microflora is divided in two groups : organisms relatively stable on the skin, that constitute the resident flora, orga- nisms originating from exogenous sources, that consti- tute the transient flora. Skin microflora plays an essential role in the pathogene- sis of some nosocomial infections. Thus, when the skin is injuried (surgical wounds, burn wounds, insertion of catheters), microorganisms multiply in the lesion and may be responsible for infections. Prevention of such infections require control policies including hand washing and preoperative patient's skin preparation. The effects of hospitalisation and~or antibacterial treat- ments on the skin microflora are multiple : acquisition of antibiotic resistance by genetic interactions or coloniza- tion by multi-resistant organisms wich can spread in hos- pital wards, by indirect transmission due to transient car- riage on hands of health care workers. Detection and prevention of colonisation by multi-resistant bacteria appear to be important challenges for the control of multi-resistance in hospital. KEY-WORDS skin microflora - nosocomial infection - antibiotic resis- tance- epidemiology. Introduction La peau humaine est colonis~e par un grand nombre d'esp~ces bact~riennes et fongiques qui constituent la flore commensale cutan~e. Cette flore vit sur la sur- face et dans la profondeur de l'~piderme. Elle r~alise ainsi un ~cosyst~me complexe dont la composition r~sulte d'un ~quilibre entre les conditions locales et les propri~t~s m~taboliques de ces micro-organismes. En 1938, P.-B. PRICE proposait une classification, toujours d'actualit~, de la flore cutan~o-muqueuse en deux populations distinctes : - la flore r~sidente, dont la quantit~ et la r~partition sont relativement stables et qui peuple, sous forme de micro-colonies, la couche corn~e et les couches superficielles de l'~piderme ; - la flore transitaire constitute de micro-organismes vivant librement ~ la surface des t~guments, surtout sur les parties d~couvertes, qui proviennent de sources exog~nes ou d'autres flores commensales de I'organisme (la flore digestive par exemple). * Laboratoire de biologie clinique H6pital d'Instruction des Arrn~es Val-de-Gr~ce 74, bd Port-Royal 75230 PARIS CEDEX 05 TIRES A PART : M. le Dr R. TEYSSOU article regu le 14 janvier, accept~ le 4 f/~vrier 1997~ 49 Revue franqaise des laboratoires, mars 1997, N ° 291

La flore cutanée

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flore cutan@e

R. T E Y S S O U , J.-L. K O E C K e t Y. B U I S S O N *

R~:SUMI:

La peau humaine est colonis~e par un grand nombre d'esp~ces bact~riennes et fongiques constituant la flore commensale cutan~e. Sa composition r~sulte d'un ~qui- libre entre les conditions locales et les propri~t~s m~tabo- liques des micro-organismes. Cette flore se r~partit en deux populations distinctes : la flore r~sidente dont la quantit~ et la r~partition est relativement stable et la flore transitaire qui provient de sources exog~nes ou d'autres flores commensales de l'organisme. La flore cutan~e joue un r61e primordial dans la gen~se des infections nosocomiales. En effet, d@s qu'il existe une br@che cutan~e (br~lure, catheter, plaie op~ratoire), les micro-organismes peuvent coloniser la l~sion et ~tre l'origine d'infections locales ou syst~miques. La proven- tion de ces infections repose sur une asepsie rigoureuse et un respect strict des r~gles d'hygi~ne. Par ailleurs, sous l'influence de l'hospitalisation et/ou de traitements antibiotiques, la flore cutan~e se modifie : ~li- ruination des esp~ces sensibles, acquisition de facteurs de r~sistance, colonisation par des bact~ries multi-r~sis- tantes. Ces micro-organismes peuvent transiter dans la flore cutan~e digitale des personnels soignants et diffuser d'un malade ~ l'autre. D~pister et pr~venir la colonisation par des bact~ries multi-r~sistantes sont des actions qui doivent compl~ter les mesures d'hygi~ne afin de pr~venir leur dissemination dans l'h6pital.

MOTS-CLES

flore cutan~e - infection nosocomiale - antibior~sistance - ~pid~miologie.

SUMMARY

Human skin is naturally colonized by various microorga- nisms making up a heterogeneous ecosystem. The skin microflora is divided in two groups : organisms relatively stable on the skin, that constitute the resident flora, orga- nisms originating from exogenous sources, that consti- tute the transient flora. Skin microflora plays an essential role in the pathogene- sis of some nosocomial infections. Thus, when the skin is injuried (surgical wounds, burn wounds, insertion of catheters), microorganisms multiply in the lesion and may be responsible for infections. Prevention of such infections require control policies including hand washing and preoperative patient's skin preparation. The effects of hospitalisation and~or antibacterial treat- ments on the skin microflora are multiple : acquisition of antibiotic resistance by genetic interactions or coloniza- tion by multi-resistant organisms wich can spread in hos- pital wards, by indirect transmission due to transient car- riage on hands of health care workers. Detection and prevention of colonisation by multi-resistant bacteria appear to be important challenges for the control of multi-resistance in hospital.

KEY-WORDS

skin microflora - nosocomial infection - antibiotic resis- t a n c e - epidemiology.

Introduction

La peau humaine est colonis~e par un grand nombre d'esp~ces bact~riennes et fongiques qui constituent la flore commensale cutan~e. Cette flore vit sur la sur- face et dans la profondeur de l'~piderme. Elle r~alise ainsi un ~cosyst~me complexe dont la composition r~sulte d'un ~quilibre entre les conditions locales et les propri~t~s m~taboliques de ces micro-organismes. En 1938 , P.-B. PRICE proposait une classification, toujours d'actualit~, de la flore cutan~o-muqueuse en deux populations distinctes : - la flore r~sidente, dont la quantit~ et la r~partition sont relativement stables et qui peuple, sous forme

de micro-colonies, la couche corn~e et les couches superficielles de l '~piderme ; - la flore transitaire constitute de micro-organismes vivant librement ~ la surface des t~guments, surtout sur les parties d~couvertes, qui proviennent de sources exog~nes ou d'autres flores commensales de I'organisme (la flore digestive par exemple).

* Laboratoire de biologie clinique H6pital d'Instruction des Arrn~es Val-de-Gr~ce 74, bd Port-Royal 75230 PARIS CEDEX 05

TIRES A PART : M. le Dr R. TEYSSOU

article regu le 14 janvier, accept~ le 4 f/~vrier 1997~

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Sous l'influence de facteurs extrins~ques, des modifi- cations de cet ~cosyst~me peuvent survenir : colonisa- tion cutan~e par des bact~ries pathog~nes, ~mer- gence de r~sistances aux antibiotiques chez les bact~ries de la flore r~sidente. La flore cutan~e appa- ra~t donc comme un t~moin privil~gi~ des variations environnementales et des traitements anti-infectieux auxquels est soumis l'organisme. ERe joue un r61e preponderant dans I'~pid~miologie des infections nosocomiales. L'~tude microbiologique de cet ~cosyst~me est diffi- cile. L'objectif de ce travail est de d~finir la place des pr~l~vements cutan~s en bact~riologie clinique afin de r~pondre ~ un certain nombre de questions toujours tr~s d~battues : quelles indications ? Quels types de pr~l~vement ? Comment interpreter les r~sultats ?

I. La peau" un cosyst me complexe

1. L ' a n a t o m i e (figure 1) La peau est un v~ritable organe form~ de deux tissus associ~s, superposes, d'origine embryologique diff~rente et s~par~s par

FIGURE 1 Anatomie de la peau

Poll

Couche basale

Glande s~bac~e

Glande sudoripare - -

Follicule pileux

EPIDERME

DERME

HYPODERME

TABLEAU ! Densit~ de la flore r~sidente en diff~rents sites cutan~s (d'apr~s 9)

! ~ 0 du ! ues: i iN d e b a ~ ~ P p .t'.

Cuir chevelu Face Narines Aisselles Aine P~rin~e Jambe Pied (plante) Mains Avant-bras et pli du coude Thorax Dos

4 - 5 4,6 2 - 5 4 - 5 4,2 4,5 3 - 4 5,2 5,8 4,4 4 ,7 -5 ,8 3,7 6

4 - 7

1,2 - 5,6

3,6 3,6

3 ,4-5 ,5 4,2 1,3

2,!

1,5

6,7

3,5 4 3,5 3 3,5 3

une membrane basale : l'~piderme avec ses annexes et le derme. - L'~piderme est un ~pith~lium stratifi~, constitu~ de diff~rents types cellulaires. Les k&atinocytes, qui repr~sentent 90 % des cellules de l'~piderme, sont organis~s en plusieurs couches : la couche basale ou s t ra tum germinat ivum, deux couches inter- m~diaires le s t ra tum sp inosum et le s t ra tum granu losum qui se diff~rencient progressivement en cellules k~ratinis~es constituant la couche corn~e externe ou s t ra tum corneum. La partie superficielle du s t ra tum corneum est le si~ge d'une desquamation ininterrompue & l'origine d'un renouvellement continu des cellules et de la flore qui les recouvre. Les autres types cellulaires poss~dent des fonctions multiples et importantes : cellules immunocomp~tentes (cellules de Langerhans, cellules dendritiques interm~diaires), cellules pig- mentaires (m~lanocytes) et cellules neuro-endocrines (cellules de Merckel). L'~piderme poss~de ~galement des annexes : les follicules pileux, les glandes s~bac~es et les glandes sudoripares. Ces annexes ont un r61e tr~s important dans la constitution de l'ambiance physico-chimique de la peau. Les micro-organismes qui constituent la flore cutan~e coloni- sent les couches superficielles de l'~piderme et les annexes. Ainsi, les bact~ries a~robies se d~veloppent sous la forme de micro-colonies dans les couches externes du s t ra tum cor- neum, alors que les bact~ries ana&obies se rencontrent prin- cipalement dans la profondeur des follicules pileux. - Le derme est un tissu conjonctif constitu~ de collag~ne et de fibres ~lastiques. II est extr~mement riche en terminaisons ner- veuses et en capillaires sanguins. A l'~tat physiologique, le derme ne contient pas de micro-organisme. Le nombre des bact~ries de la flore r~sidente est variable allant de 102 & 103 germes/cm 2 de peau pour les bact~ries a&obies et de 10 & 10 ~ germes/cm 2 de peau pour les bact~- ries ana~robies. Leur r~partition sur la peau est h~t~rog~ne. Les'zones chaudes et humides riches en facteurs de croissance et dont le pH est le plus proche de la neutralit~ sont celles o~ la population bact~rienne est la plus dense : creux axillaire, creux inguinal, p~rin~e (tableau I). Les micro-organismes sont ~galement tr~s nombreux au niveau des mains dont la coloni- sation rel~ve de deux m~canismes : pullulation bact~rienne dans les espaces interdigitaux et abondance d'une flore transi- taire au niveau de la pulpe des doigts et de l'extr~mit~ des ongles t~moignant de l'importance des contacts avec le milieu ext~rieur. Cette flore transitaire participe & la transmission manuport~e des bact~ries hospitali~res.

2. L ' e n v i r o n n e m e n t (13)

L'environnement imm~diat de la peau est caract~ris~ par la presence d'une couche d'air de quelques microns d'~paisseur qui entoure la surface et contient 2 & 4 fois plus de micro- organismes que l'air environnant. La concentration en bact& ries y est d'autant plus ~lev~e que les mouvements d'air dans cette zone sont moins importants (p&in~e, aisselles). La temperature & la surface de la peau varie en fonction des r~gions : 30 °C au niveau de la plante des pieds, 35 °C au niveau des aisselles. Elle d~pend ~galement des conditions ext~rieures et des variations physiologiques li~es aux r~ponses vasculaires du derme qui repr~sentent un v~ritable syst~me de r~gulation. Ce syst~me permet d'obtenir des variations de la temperature cutan~e allant de 30 °C & 40 °C, pour des varia- tions de la temperature ext&ieure allant de 15 & 40 °C. Cette gamme de temperatures conditionne la composition de la flore microbienne.

3. Les condi t ions physico-chimiques

Poils, cheveux et squames de la couche corn~e sont consti- tu~s d 'une scl~roprot~ine peu favorable & la croissance bact~- rienne, la k~ratine. Cependant, d'autres ~l~ments (lipides, prot~ines et hormones) sont ~galement presents, lls sont apport~s par les glandes s~bac~es et les glandes sudoripares et constituent des ~16ments nutritifs pour les bact&ies r~si- dentes.

50 Revue frangaise des laboratoires, mars 1997, N ° 291

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Le pH de la peau, variable selon les r~gions anatomiques, est toujours acide chez l 'homme, entre 5 et 6. Cette acidit6 est li~e aux s~cr6tions sudoripares et & la presence d'acides gras. L'hydratation de la surface cutan~e d6pend des conditions ambiantes qui r6gulent les ~changes d'eau du sang vers la sur- face de la peau.

4. Contr ibut ion de la f lore microbienne au maint ien de 1'6cosyst~me : les interactions microbiennes

Les germes r~sidents de la peau peuvent cr6er des conditions d6favorables au d~veloppement d'autres micro-organismes par production d'inhibiteurs, creation de conditions de pH d6favorables ou modifications de r~cepteurs. Diff6rents exemples de ces antagonismes ont ~t~ r6cemment d~crits (1) : - la production de dioxyde de carbone par Candida albicans inhibe le d~veloppement des dermatophytes ; - la synth~se de peroxyde d'hydrog~ne par les lactobacilles peut ralentir le d~veloppement de Staphylococcus aureus ; - certaines enzymes bact~riolytiques, telles que les prot~ases de Bacillus spp ou le lysozyme des staphylocoques, inhibent la croissance de nombreuses autres esp~ces bact~riennes ; - une levure lipophile, Malassezia furfur, est capable d'inhi- ber les dermatophytes par des produits de la lipolyse ; - les staphylocoques et les coryn~bact~ries produisent des antibiotiques actifs contre les autres esp~ces & Gram positif ; - les bact&riocines sont produites par de nombreuses esp~ces bact~riennes de la flore cutan~e et agissent comme des anti- biotiques ~ spectre ~troit. Ces interactions ont connu au moins une application th6ra- peutique dans les ann6es 1960, au cours d'~pid6mies de sep- sis s6v~res ~ S. aureus chez les nouveau-n~s ; une souche de S. aureus non virulente (souche 502A) a ~t6 utilis~e avec suc- c~s pour coloniser de fagon pr6ventive les nourrissons et &viter l'implantation de souches pathog~nes. Cependant, quelques cas d'infections graves dues & la souche 502A en ont fait abandonner l'emploi (1). La peau est un tissu complexe servant de barri~re d~fensive contre les multiples agressions de l 'environnement (tableau II) et qui r~alise un ~cosyst~me stable, favorable & certains micro- organismes dont les exigences de croissance sont compatibles avec les conditions locales.

2. La flore microbienne cutan e du sujet sain

1. La flore cutan6e r6sidente

Elle est domin6e par les esp~ces ~ Gram positif, avec deux familles principales : les staphylocoques, les bact~ries coryn6- formes a~robies (Corynebacterium spp) et ana6robies (Propionibacterium spp).

1.1. Les staphylocoques Les staphylocoques ~ coagulase n~gative repr6sentent les esp~ces les plus fr~quemment trouv~es dans la flore cutan~e normale. Trois esp~ces pr~dominent : S. epidermidis que l'on peut isoler sur l'ensemble du territoire cutan~, mais dont les sites pr~f6rentiels de colonisation sont la face, les narines ant~rieures et le creux axillaire, S. hominis qui est isol~ fr~- quemment du creux axillaire, du creux inguinal et du p~rin~e et S. haemolyticus qui est surtout rencontr~ au niveau des bras, des jambes et des espaces interdigitaux. La colonisation cutan6e par S. epidermidis, S. hominis et S. haemolyticus survient tr~s t6t dans la vie, les autres esp~ces n'apparaissant qu'apr~s les premiers mois (15). II existe, chez l 'homme, une r~sistance naturelle & la colonisa- tion par S. aureus. Cependant, un portage peut ~tre d6tect~ chez 19 ~ 40 % de la population au niveau des narines, du creux axillaire et du creux inguinal. Les variations individuelles du portage pourraient ~tre li~es ~ diff~rents facteurs g6n6-

TABLEAU I! D~fenses anti-infectieuses de la peau (d'apr~s 17)

Peau

pH bas micro-environnement

Desquamation Microflore r~sidente

Limitation de la croissance bact~rienne

l~limination des bact6ries Competition bact~rienne

Antagonisme

Follicules pileux Production d'acides gras Lyse des bact~ries glandes s~bac~es et de lysozyme

tiques tels que les groupes HLA : les individus du goupe DR3 seraient plus facilement colonis6s par S. aureus que les indivi- dus des groupes DR1 et DR2 (15).

1.2. Les coryn~formes a~robies Le genre Corynebacterium spp est aujourd'hui bien d~fini. II regroupe de petits bacilles & Gram positif, formant des palis- sades, non mobiles, poss~dant une catalase, caract6ris~s par la presence d'arabinogalactane, d'acide m6so-diaminopim~- lique dans la paroi, d'acides mycoliques avec 22 & 36 atomes de carbones, de m6naquinones majeures dihydrog~n~es ~ 8 ou 9 unit6s isopr~no'fdes. Le GC % est compris entre 51 et 63 mol % (10). Les coryn~bact~ries lipophiles (C. minutissimum, C. jeikeium, C. urealyticum...) sont les plus importantes en bact6riologie clinique. En effet, elles sont rencontr~es tr~s fr~quemment sur l'ensemble du territoire cutan6, avec une predilection pour certaines r~gions anatomiques. Ainsi, Iors d'une 6tude r~alis~e chez 50 adultes jeunes, la prevalence du portage ~tait estim~e

100 % au niveau du p~rin~e, de 92 % au niveau des narines ant6rieures, de 66 % au niveau du creux axillaire contre 10 % au niveau des avant-bras et 16 % au niveau de la face (12). Par ailleurs, C. jeikeium est caract~ris~e par une multir~sis- tance ~ de nombreuses familles d'antibiotiques : l~-lactamines, macrolides, lincosamides, quinolones et fosfomycine (6).

1.3. Les coryn~formes ana~robies Propionibacterium acnes est le plus important des bacilles Gram positif ana~robie isol~ sur la peau. Deux autres esp~ces peuvent ~tre ~galement rencontr~es : P. granulosum et P. avidum. P. acnes se d~veloppe surtout dans les r~gions riches en glandes s6bac~es, au niveau desquelles le taux de tri- glyc~rides et d'acides gras libres est ~lev~ : cuir chevelu, face, ailes du nez.

1.4. Les autres bact~ries de la f lore r~sidente Les microcoques : certaines esp~ces sont pr~sentes sur la peau en particulier Micrococcus kristinae et M. sedentarius. Le genre Brevibacterium est parfois isol~ au niveau des espaces interdigitaux.

2. La flore transitaire

Les autres genres bact~riens que l'on peut rencontrer sur la peau appartiennent pour la plupart & une flore de transit. On distingue : - les bacillus qui peuvent ~tre isol6s de pr61~vements cutan6s ; il s'agit alors de souches provenant de l 'environnement plut6t que d'une colonisation de la peau ; - les ent~rocoques, h6tes naturels du tube digestif, peuvent 6galement ~tre trouv6s & partir de pr~l~vements cutan~s, en particulier chez les patients alit~s ; - les acinetobacters sont les seules bact6ries & Gram n6gatif isol6es fr6quemment sur la peau humaine : 25 % des adultes sains sont colonis6s au niveau du creux axillaire et du creux inguinal. Le portage d'Acinetobacter spp est plus fr6quent pendant les p~riodes chaudes de l'ann~e. Cependant, il reste toujours faible chez l'adulte sain. Au contraire, au cours des 6pid~mies hospitali~res, les taux de colonisation de la peau sont tr~s 61eves (50 %). A. baumannii est l'esp&ce respon- sable de colonisations et d'infections chez les patients hospita- lis~s, alors que A. johnsonii est fr6quemment isol6 des mains du personnel soignant (3). Les autres bact~ries & Gram n6gatif (Pseudomonas aerugi- nosa, ent~robact~ries) peuvent @tre ~galement responsables

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TABLEAU ili Composition de la flore microbienne cutan~e (%) de 37 patients hospitalisSs et de 30 adultes sains (d'apr~s 11)

::,, ez T6moins

s C N 65,8 37,3 53,1 66,5 34,0 23,2 2,7 nd 11,6 nd 41,2 nd 27,2 17,7 26,0 23,3

0,1 0,01 33,7 0,4

SCN : staphylocoques & coagulase n~gative ; SA : S. aureus ; JK : C. jeikeium ; BGN

de colonisation chez les patients hospitalis4s, souvent cons& cutives ~ des contaminations d'origine environnementale.

3 . Les f o n g i

Candida spp est rarement isol~ de la flore cutan~e des indivi- dus sains. Quand une colonisation existe, C. albicans est alors l'esp~ce la plus fr~quemment rencontr~e (1). La fr~quence de la colonisation augmente chez les patients immunod~prim~s, les diab~tiques et les patients atteints de psoriasis ou de der- matose atopique. Malassezia furfur est ~galement isol~ sur la peau. C'est une levure lipophile qui a ~t~ impliqu~e dans l'~tiologie du pityriasis versicolor, de la dermatite s~borrh~ique et de folliculites (9).

3. tes modifications de la flore cutan e chez le patient hospitalis

De nombreuses ~tudes ont montr~ une modification de la flore cutan~e au cours de l'hospitalisation. Ces modifications peuvent ~tre li~es & la colonisation par les bact~ries de l'hospi- talisme infectieux ou & la s~lection de bact~ries endog~nes

FIGURE 2 Modifications de la flore cutan~e sous l'influence

d'un traitement antibiotique

Antibioth~rapie ~ large spectre

$ : espi~ces sensibles de la fiore cutan~e R : esp~ces r~sistantes de la f lore cutan~e

TABLEAU IV R6sistance (% d'isolats) des staphylocoques

coagulase n~gative chez les patients hospitalis~s et dans le groupe t~moin (d'apr~s 11)

94,9 44,3 74,7 68,4 25,3 16,5

0

47,8 a 2,9 a 19,4 a

0 a 19,4 0 a 0

P~nicilline G M~thicilline Erythromycine Clindamycine T~tracycline Chloramph~nicol Vancomycine

a:p<O,O01

38,8 14,2 2,8 10,0

27,7 1,7 26,1 7,7 19,7 0,06

: bacilles & Gram n~gatif ; nd : non d@tect&

naturellement r~sistantes ou ayant acquis des facteurs de r~sis- tance. Dans tous les cas, il existe une modification des profils de sensibilit~ de la flore cutan~e qui peut ~tre & l'origine de ph~nom~nes ~pid~miques.

1. M o d i f i c a t i o n s q u a l i t a t i v e s e t q u a n t i t a t i v e s

Une ~tude tr~s compl~te r~alis~e en 1985 comparait la flore cutan~e de 37 patients hospitalis~s depuis plus de deux semaines & la flore cutan~e de 30 adultes sains (tableau 111) (11). Les pr~l~vements concernaient les narines, le creux axil- laire, le p~rin~e et les espaces interdigitaux. La prevalence des bact~ries & Gram positif ~tait identique dans les deux popula- tions, ~ l'exception de S. aureus qui ~tait isol~ 2 fois plus au niveau du p~rin~e dans le groupe t~moin. En revanche, Corynebacterium jeikeium ~tait isol~ chez 76,7 % des patients contre 46,7 % darts le groupe contr61e (p < 0,025). Cette observation est confirm~e par d'autres ~tudes chez les patients hospitalis~s (12) et en h~matologie (6). La colonisa- tion par des coryn~bact&ies polyr~sistantes est consecutive la s~lection par une antibioth~rapie & large spectre d'une sous- population bact~rienne de la flore r~sidente (figure 2). En ce qui concerne les bact~ries ~ Gram n~gatif, l'~tude de 198~ montrait que leur prevalence ~tait identique dans les deux groupes, & l'exception des pr~l~vements effectu~s au niveau du p~rin~e (p = 0,04). Cependant il existait des diff& fences qualitatives : Proteus spp et Pseudomonas spp, ainsi que les levures, ~taient isol~s plus fr~quemment chez les patients hospitalis~s (1 I).

2 . A c q u i s i t i o n de r ~ s i s t a n c e

Cette ~tude montrait ~galement des modifications des profils de r~sistance au cours de l'hospitalisation. Ainsi, les staphylo- coques& coagulase n~gative isol~s chez les patients hospitali- s~s pr~sentaient des niveaux de r~sistance significativement plus ~lev~s que dans le groupe t~moin (tableau IV). Cette colonisation par des staphylocoques r~sistants ~tait li~e & la dur~e du s~jour ~ l'hSpital et non ~ une antibioth~rapie ant~- rieure, t~moignant d'une origine exog~ne par transmission crois~e. En 1997, la multir~sistance des staphylocoques est devenue un probl~me majeur de sant~ publique dans les h6pitaux. Une enqu~te effectu~e en 1994 dans 43 h6pitaux de l'Assistance- Publique/H6pitaux de Paris rapportait que 39,7 % des souches de S. aureus ~taient r~sistantes & la m~thicilline (SARM) (16). La plupart de ces souches sont isol~es dans les services de soins intensifs ~ la prevalence peut d~passer 80 %. Le r~servoir de SARM est humain, repr~sent~ par les malades colonists et infect~s, mais, dans plus de la moiti~ des cas, par des patients colonists non infect~s qui ne peuvent ~tre d~pist~s que par des pr~l~vements cutan~o-muqueux sys- t~matiques. En effet, la peau et les narines sont les sites pr~f& rentiels de cette colonisation. Le portage cutan~ est corr~l~ la survenue d'une infection & SARM. La transmission est indirecte, ~ l'origine de la diffusion des souches r~sistantes, manuport~e par le personnel soignant ou les visiteurs. L'acquisition d'un portage cutan~ de SARM est tr~s rapide, 5 jours en moyenne, lots d'une hospitalisation dans un service ot~ s~vit une situation end~mo-~pid~mique (14). Le risque d'acquisition du portage au cours de l'hospitalisation d~pend du type de service : 33 ~ 66/1 000 en r~animation, 1 5/1 000 en m~decine et 2 ~ 6/1 000 en chirurgie (20).

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Ainsi, la multir~sistance des SARM & l'h6pital apparaYt-elle essentiellement li~e & la diffusion clonale & partir d 'une coloni- sation cutan~o-muqueuse. Les modalit~s ~pid~miologiques de la r~sistance aux glycopep- tides chez S. haemolyticus semblent plus complexes. En 1996, 7,7 % des souches de S. haemolyticus isol~es en France ~taient r~sistantes & la teicoplanine (8). Les CMI ~taient comprises entre 8 et 32 mg/l et toutes ces souches restaient sensibles & la vancomycine. Nous avons observe, r~cemment, l'induction au cours d'une antibioth&apie proba- biliste par la teicoplanine, d'un haut niveau de r~sistance & la teicoplanine chez S. haemolyticus : les souches isol~es des h~mocultures avant traitement avaient une CMI & 32 mg/l, alors que les m@mes souches isol~es de pr~l~vements cutan~s apr~s traitement avaient une CMI & 256 mg/l (19). D'autres m~canismes d'acquisition de r~sistance par les bact~- ries de la flore cutan~e ont ~t~ d~crits. II sont li~s & des ~changes de materiel g~n~tique entre diff~rentes esp~ces r~si- dentes e t /ou transitaires, le plus souvent par conjugaison plas- midique. Ce processus semble le plus frequent du fait des conditions locales de s~cheresse relative de la peau. II explique l'acquisition in vivo d'une r~sistance & la gentamycine chez une souche de S. aureus sensible & partir d'une souche de S. hominis qui h~bergeait un plasmide de r~sistance. Ces deux souches appartenaient & la flore r~sidente d 'un patient trait~ par un topique cutan~ contenant de la gentamicine (1). Au cours d'une ~pid~mie nosocomiale ~ A. baumannii r~sis- tant aux aminosides par production de l 'enzyme APH(3')-VI, le g~ne codant pour cette enzyme a ~t~ mis en ~vidence chez les souches d'A. baumannii isol~es des patients et chez cer- taines souches d'A. johnsonii isol~es des mains des person- nels soignants en contact direct avec ces patients. Cette obser- vation ~voque la possibilit~ d'~changes de facteurs g~n~tiques de r~sistance entre A. baumannii et A. johnsonii (4).

4. La flore microbienne de la peau

Toute l~sion cutan~e conduit & un affaiblissement des moyens de d~fense naturels de la peau. Les flores cutan~es r~sidentes ou transitaires peuvent alors se comporter en pathog~nes opportunistes, coloniser la l~sion puis, si les conditions sont favorables, provoquer un processus infectieux local e t /ou sys- t~mique. La distinction entre colonisation et infection n'est pas toujours aisle. La nature des micro-organismes (r~put~s pathog~nes ou non) mais ~galement leur quantit~ e t /ou leur presence en culture pure sont des arguments d~cisifs. Deux exemples sont particuli~rement d~monstratifs de l'importance des l~sions cutan~es dans la physiopathologie des complications infectieuses nosocomiales. II s'agit des infections chez le br~l~ et des infections sur catheter. La br~lure, quelle que soit sa cause, r~alise une d~naturation prot~ique tissulaire qui apporte des ~l~ments nutritifs favorables

la croissance bact&ienne. Par ailleurs, la thrombolyse ther- mique rend la l~sion avasculaire ce qui diminue les capacit~s de d~fenses locales et r~duit la diffusion d'~ventuels antibiotiques dans la l~sion. Ces ~l~ments favorisent l'infection bact&ienne. Les bact~ries de la flore cutan~e peuvent @ire & l'origine de la contamination de la br~lure. Elles p~n~trent la l~sion en migrant d'abord le long des follicules pileux et des glandes sudoripares, pour se multiplier in situ. Le materiel, les Iocaux et surtout les mains du personnel soignant sont ~galement des sources de contamination non n~gligeables. Les micro-orga- nismes responsables d'infections chez le brfll~ sont essentielle- ment P. aeruginosa, A. baumannii, les staphylocoques, les ana~robies et les levures. Les infections & partir d'un catheter repr~sentent 18 & 25 % des infections nosocomiales (2). Apr~s la pose d'un catheter, un manchon fibrineux, favorable & l'adh~sion de certaines esp~ces bact~riennes ou fongiques (staphylocoques, Candida spp) et & leur proliferation, v a s e former autour de ce corps ~tranger. Par ailleurs, l'hydrophobicit~ et l'irr~gularit~ de la paroi du catheter favorisent l'adh~rence. Certaines esp~ces

bact~riennes (S. epidermidis) produisent un biofilm exopoly- saccharidique ou "slime" qui consolide la fixation et protege contre les d~fenses de l'organisme et contre Faction des anti- biotiques. Parmi les portes d'entr~e potentielles, la pullulation bact~rienne au niveau du point d'insertion cutan~ est la plus fr~quente (2).

5. Flore cutan e et antisepsie

L'antisepsie vise ~ ~radiquer les micro-organismes presents sur la peau afin de pr~venir les complications infectieuses nosocomiales dues & la flore cutan~e et de limiter le manupor- tage des bact~ries multi-r~sistantes. Cependant, si les antisep- tiques sont tr~s efficaces sur la flore transitaire, ils ne font que r~duire la flore cutan~e r~sidente sans la supprimer totale- ment. Elle peut ainsi se reconstituer tr~s vite, en 4 & 6 heures (?). La d~marche d'utilisation des antiseptiques & l'h6pital, que se soit pour le lavage des mains ou pour la preparation cutan~e avant chirurgie, doit tenir compte de ces donn~es.

1. Le lavage des mains Trois types de lavage des mains sont d~crits : le lavage simple, le lavage hygi~nique et le lavage chirurgical. Chacun corres- pond & des situations pr~cises. Le lavage simple utilise un savon non antiseptique. Son action est exclusivement m~canique par ~limination des souillures et des squames cutan~es. II r~duit d'environ 30 & 40 % la flore cutan~e. Un lavage simple des mains doit ~tre effectu~ lors de tout geste de la vie quotidienne n~cessitant un contact avec le malade Iorsque le lavage hygi~nique n'est pas n~cessaire : dis- tribution des repas, prise de temperature... Le lavage hygi~nique utilise un savon antiseptique. II vise & ~li- miner la flore transitaire et & r~duire la flore r~sidente. Son efficacit~ est de l'ordre de 80 %. Un lavage hygi~nique doit ~tre effectu~ avant tout geste aseptique (pose de sonde, de catheter...), apr~s tout geste septique et apr~s tout contact avec un patient dont la peau est colonis~e par une bact~rie pathog~ne et /ou multi-r~sistante. Le lavage chirurgical consiste & pratiquer deux ou trois appli- cations d'un antiseptique & usage chirurgical qui permet d'~li- miner 90 & 95 % de la flore cutan~e. Un lavage chirurgical doit @tre effectu~ avant tout acte & haut risque infectieux (ponction Iombaire, pose de drain thoracique, de voie vei- neuse centrale...) et avant tout geste chirurgical.

2. La preparation cutan~e avant chirurgie Les infections post-op~ratoires constituent la premiere cause de morbidit~ et de mortalit~ en chirurgie. Leur incidence glo- bale varie de 1 & 15 % en fonction du type de chirurgie et elles repr~sentent 15 & 25 % des infections nosocomiales (5). Elles peuvent ~tre class~es en deux sous-ensembles. Le premier correspond aux infections du site op~ratoire (ISO) et le second regroupe les infections syst~miques et les complications & dis- tance du site op~ratoire. Les ISO sont fr~quemment li~es & des micro-organismes de la flore cutan~e et leur prevention repose sur le respect des r~gles d'hygi~ne hospitali~re, sur la qualit~ de l'asepsie p~ri- op~ratoire et sur l'antibioprophylaxie. La preparation cutan~e avant chirurgie est donc une ~tape essentielle. Diff~rentes s~quences interviennent dans le protoco]e de pr~- paration.

- Le bain ou la douche. II n'existe pas de difference significa- tive entre les deux proc~d~s. Quelle que soit la m~thode rete- nue, eUe doit toujours ~tre effectu~e avant le rasage. II n'existe pas de consensus dans la litt~rature sur le type de produit utiliser : savon simple ou savon antiseptique.

- Le rasage. II est parfois indispensable. On utilisera une cr~me ~pilatoire ou, & d~faut, une tondeuse. Le rasage & sec

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doit @tre proscrit. Quelle que soit la m~thode utilis~e, le rasage doit @ire pratiqu~ le plus pros possible de l'intervention. - La preparation du champ op~ratoire. Elle comporte trois temps : lavage de la zone op~ratoire avec un savon antisep- tique, ringage au s~rum physiologique et application d'un anti- septique par le chirurgien.

6. M thodes d' tude de la flore microbienne cutan e

Les bact6ries colonisent l'6piderme en surface et en profon- deur. En cons6quence, selon les indications cliniques du pr6- l~vement, les techniques utilis6es seront diff6rentes. Cinq m6thodes d'6tude de la flore cutan6e peuvent ~tre utilis6es (9).

1. Les m~thodes biopsiques

Un fragment de peau de I0 mm sur 3 mmes t pr~lev~ st~rile- ment puis broy6 et ensemenc6 sur les milieux de culture ad6- quats en a6robiose et en ana~robiose. Cette technique permet d'identifier et de d~nombrer les bact~ries, y compris celles qui colonisent les follicules pileux. Elle doit ~tre consid6r6e comme la m6thode de r6f6rence pour l'6tude de la flore cuta- n6e. Une technique voisine, appliqu6e chez les brOl6s, consiste pr61ever un morceau de peau & l'aide d'un emporte piece st6- rile ou "punch". Le fragment est pes~, broy~ et ensemenc~. L'interpr6tation du r6sultat est fonction du nombre d'unit6s formant colonie (UFC)/g de tissu.

2. Les m~thodes par impression

On distingue les m~thodes directes qui consistent ~ appliquer sur la peau un milieu de culture g61os6 (par exemple, empreintes digitales sur g~Iose), et les m~thode indirectes n~cessitant le recueil de la flore superficielle au moyen d'un tampon qui est appliqu6 ensuite sur un milieu g61os6. Les m6thodes directes permettent 6galement une quantification en hombre d 'UFC/cm ~ de peau, par l'utilisation de g~Ioses de type count-tact. Ce sont des m6thodes d'utilisation facile, mais dont l'int6r~t est limit6 car elles ne recueillent que les micro-organismes se d6veloppant & la surface de la peau.

3. La m~thode au ruban adh~sif

Cette m~thode utilise un ruban adh~sif qui permet de d~tacher les diff~rentes couches de l'~piderme. Plusieurs arrachements sont ainsi pratiqu6s au re@me endroit afin d'obtenir plusieurs couches ~pidermiques. Les rubans sont ensuite places dans une bo~te de P6tri, et une g61ose est coul6e par dessus. Cette technique Iourde et douloureuse pour le patient permet n~an- moins d'6valuer la colonisation bact6rienne des diff6rentes couches de l'~piderme.

4. La m~thode par ~couvillonnage

L'utilisation d'un ~couvillon d'alginate de calcium est certaine- ment la technique la plus utilis6e & l'hSpital. Elle poss~de effectivement l'avantage de la simplicit6. N6anmoins, cette m6thode, qui permet un recueil de la flore superficielle, ne donne que des r6sultats qualitatifs ou semi-quantitatifs et n6cessite un transport rapide, un ensemencement imm6diat et une procedure de contrSle de qualit6 des r6sultats.

5. Les m~thodes par lavage

Ces techniques consistent ~ recueiUir les bact~ries cutan~es dans un liquide de lavage, contenant un d~tergent non bacteri- cide qui permet une dissociation des squames cutan6es et des colonies bact~riennes. Le liquide de lavage est ensemenc~ sur milieu g~Ios6. Des appareils perrnettant une standardisation

du recueil sont actuellement disponibles. Ces m6thodes sont consid6r6es comme les plus performantes et les plus repro- ductibles. La technique des "sacs" est une m6thode de lavage particu- li~re, appliqu~e aux pr61~vements de la flore microbienne des mains. Celles-ci sont introduites dans des sacs en plastique st6- riles contenant 150 ml d'un liquide de recueil que l'on ense- mence ensuite sur un milieu g61os~. Les m~thodes par lavage sont les plus performantes et les plus reproductibles. Elles permettent de recueillir la flore superfi- cielle et profonde. Elles sont particuli~rement indiqu6es dans l'6valuation de l'activit6 des antiseptiques. L'association avec une m6thode de recueil de la flore superficielle (m6thode par impression ou 6couvillonnage) permet une 6tude comparative des deux populations.

7. Les indications des pr l vements cutan s l'hbpital

1. Diagnostic de colonisation

1.1. D~pistage des pat ients colonists par une bact~rie mult i -r~sistante Les bact~ries multi-r~sistantes isol~es de pr~l~vements ~ vis~e diagnostique ne repr6sentent que la face visible de l'iceberg. Ainsi, plus de 60 % des SARM sont d6tect&s & partir de pr61~- vements syst~matiques dans le cadre de programme de sur- veillance, chez des patients colonists mais non infect~s. L'identification de ce r6servoir, par la r~alisation d'un d~pis- tage syst6matique, est donc indispensable. Ce d6pistage s'adresse & tousles patients ~ risque (malades provenant d'un service de long s&jour ou de r~ducation fonctionnelle et/ou ayant des ant~c&dents d'hospitalisation dans l'ann&e pr6c&- dente) Iors de l'admission & l'h6pital. En cas de situation ~pi- d6mique, tousles patients d'un m~me service doivent 6gale- ment faire l'objet d'un d6pistage une lois par semaine. Au moins deux esp&ces multi-r6sistantes peuvent ~tre recher- ch~es & partir de pr&16vements cutan~s : SARM au niveau des narines et du p~rin~e, A. baumannii au niveau du creux axil- laire et du creux inguinal. Les pr~l~vements sont effectu&s par &couvillonnage simple et les ~couvillons ensemenc~s sur des milieux s~lectifs.

1.2. Di f fusion ~pid~mique d' un germe nosocomial La diffusion ~pid~mique d'un germe nosocomial impose la r&alisation d'une enquire qui permettra d'authentifier le phi- nom&ne ~pid~mique, d'en pr~ciser les modalit6s et d'instaurer le plus rapidement possible des mesures de contr61e adapt~es. Dans certain cas, une enqu&te de premiere intention, pure- ment descriptive, peut suffire & r~gler le probl6me. Dans d'autres cas, des investigations compl&mentaires sont n~ces- saires. Ainsi, la recherche d'un portage au niveau des mains du personnel soignant peut, Iorsqu'elle est positive, apporter des informations d6terminames. Elle a, par ailleurs, un r61e ~ducatif en rappelant la n6cessit~ du respect des proc&dures d'hygi&ne (18). La recherche du portage au niveau des mains se fait par la m&thode des empreintes. Le milieu g&Ios~ utilis~ d~pend du germe en cause.

2. Diagnostic d'infection

2.1. Br~lures Les infections locales ou loco-r~gionales sont des complica- tions redoutables. La surveillance tient compte de crit~res cli- niques (~tat local et signes g~n&raux) et bact&riologiques. Les pr&l~vements cutan~s doivent ~tre pratiqu&s sur peau saine par ~couvillonnage et sur peau 16s&e par la m6thode quantita- tive des "punchs". Ces pr~l~vements permettent d'~tablir une carte de germes et de diff~rencier colonisation et infection de

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la brelure : un nombre de colonies < 103 UFC/g de tissu tra- duit une colonisation, alors qu'un nombre de colonies > 10 ~ UFC/g de tissu est en faveur d'une infection.

2.2. Infections sur catheter La surveillance clinique quotidienne du point d'insertion du catheter est indispensable : toute anomalie (~ryth~me, suppu- ration) traduit une infection locale sur catheter et impose un pr~l~vement local par ~couvillonnage. D'autre part, la culture quantitative de la flore au niveau du site d'insertion, en utili- sant une g~Iose pour d~nombrement, pourrait avoir un int~r~t pr~dictif de colonisation du catheter : un nombre de bact~ries < 10 ~ UFC aurait une valeur predictive n~gative de colonisa- tion de 97 % (2).

2.3. Infection superficielle du site op~ratoire Le diagnostic d 'une infection superficielle du site op~ratoire est avant tout clinique. Le plus souvent l 'examen bact~riolo- gique est demand~ pour confirmer e t /ou documenter l'infec- tion. Cependant, devant une plaie op~ratoire suspecte, il est parfois le seul argument en faveur d'une infection. Le pr~l~vement doit @tre r~alis~ par ~couvillonnage et ense- menc~ le plus rapidement possible. La flore cutan~e es t toujours pr~sente. En l'absence d'isole- ment d'un germe r~put~ pathog~ne, le bact~riologiste doit diff~rencier colonisation et infection en utilisant les crit~res habituels : culture pure e t /ou quantit~ significative.

2.4. Surinfection de dermatoses Les bact~ries de la flore cutan~e peuvent surinfecter des l~sions telles que l'ecz~ma ou le psoriasis (S. aureus), les der-

BIBLIOGRAPHIE

matophytoses ou la gale (streptocoques). Le diagnostic de ces surinfections est souvent d~licat du fait de la colonisation habi- tuelle de ces l~sions par la flore cutan~e commensale.

Conclusion

La flore microbienne de la peau constitue un ~co-sys- t~me complexe. Les esp~ces de la flore r~sidente sont les plus stables, alors que les micro-organismes de transit t~moignent des variations environnementales. D~s qu'est constitute une br~che cutan~e (br~lure, plaie op~ratoire, catheter), ces micro-orgauismes, habituellement commensaux, peuvent se comporter en pathog~nes opportunistes et @tre ~ i'origine de compli- cations infectieuses locales ou syst~miques. La preven- tion de ces complications passe par le respect de pro- tocoles d'antisepsie adapt~s ~ chaque geste de soin. Par ailleurs, le r~le de l'~cosyst~me cutan~ dans l'~pi- d~miologie des r~sistances ~ l 'h6pital est multiple. I1 peut ~tre ~ la fois un r~servoir de micro-organismes multi-r~sistants, un t~moin de la pression de s~lection exerc~e par les antibiotiques et un lieu de "rencontre et d'~change" entre des souches sensibles et des souches r~sistantes, n'appartenant pas n~cessaire- ment ~ la m~me esp~ce. La colonisation cutan~e doit donc @tre une cible prioritaire de la lutte contre les bact~ries multi-r~sistantes ~ l'h6pital.

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