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© Editions GRIP, 1997 ISBN 2-87027-660-5 D/1638/1997/32 GRIP Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité rue Van Hoorde, 33 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33

la france militaire & l'afrique

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Editions GRIP, 1997 ISBN 2-87027-660-5 D/1638/1997/32GRIP Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité rue Van Hoorde, 33 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33

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E-mail : [email protected] Website : HTTP://www.ib.be/grip/ Tous droits de reproduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous les pays.

Les publications du GRIP Editeur responsable: Bernard Adam, directeur du GRIP Responsable du service des publications: Marc Schmitz Chargée des publications: Sophie Nolet Secrétariat: Sabine Fievet Publié avec /e soutien de la Commission des Communautés européennes et /e Ministère de /a Communauté française, service de l'Educationpermanente et Direction générale de /'Enseignement supérieur et de /a Recherche scientifique.

LA COOPÉRATION MILITAIRE FRANCE-AFRIQUE: ÉTAT DES LIEUX

Toutes ces forces prépositionnées bénéficient également d'un apport de navires (deux bâtiments) et d'aéronefs (21 avions detransport, d'attaque et de défense aérienne ainsi que 19 hélicoptères). La force aérienne de projection (FAP) dispose de 7 appareils,en majorité des C-160 Transall, parfois de C-130, basés en permanence au Sénégal, à Djibouti et au Gabon (une unité chacune).Tchad et RCA (2 unités chacune). La France a aussi disposé sur place, de tanière temporaire ou permanente, d'une dizained'hélicoptères légers et de moyen tonnage (Alouette II et III, Fennec et Puma) pour les missions d'héliportage d'assaut, transport decanons de 105 mm, de transport d'équipes médicales ou de commandos, de ravitaillement de munitions, de surveillance, SAR, detransport VIP, PC volant, réglage appui feu et d' artillerie. Elle dispose aussi de 15 avions de combat (10 Mirage h7 C et CR à Djiboutiet 5 Mirage F-1C et CR en République Centrafricaine), provenant d'escadrons EC 2130 Normandie-Niémen, ER 1133 Belfort, 1/30Alsace ou 2/33 SavoieLa seule unité de chasse de l'armée de l'air stationnée de façon permanente outre-mer est l'escadron EC 4/30 Vexin. Ses missionsdepuis Djibouti sont la dissuasion face à une menace aérienne ou terrestre, le renseignement au profit des forces arméesdjiboutiennes, la défense des installations portuaires et aéroportuaires ainsi que la surveillance de l'intégrité de l'espace aériendjiboutien.Parallèlement, une rotation fut établie pour un avion de patrouille mari-time Atlantic (jusqu'en septembre 1996) puis Atlantique 2 NGstationné selon les plans et les circonstances à Dakar, N'Djamena, Djibouti, Libreville ou Bangui. La durée de la mission variait entrequinze jours et deux mois. Son rôle était à la fois la lutte anti-sous-marine et plus particulièrement la surveillance des trois sous-marinsiraniens de la classe Kilo, le Search and Rescue maritime et terrestre, la surveillance et le commandement d'opérations aéroterrestreseu liaison- l'autorité, les missions de contrôle d'embargo (Golfe d'Aden, 1991), les missions d'écoute (ESM/ELINT, ECM) (opérationTurquoise) ou le guidage des avions de frappe. Mais vu le coût de fonctionnement et de sophistication des Atlantique 2. les appareilsfurent partiellement remplacés par des Falcon 50.

En dehors de ces bases d'affectation, les lots de dépannage et de ravitaillement de cet appareil sont basés à Dakar et à Djibouti, toutcomme d'ailleurs25

les moyens destinés à l'entretien et au soutien des forces de renfort naval et aéronaval.De temps à autre, un avion C-135FR, venu de la métropole, est détaché à N'Djamena et Abéché (Tchad) ou à Libreville (Gabon)pour le ravitaillement de vols militaires plus longs ; mais le plus souvent ce sont les Transall de nouvelle génération qui assurentcette fonction. Dans certaines situations, des appareils Mirage IV-P de reconnaissance sont dépêchés de France vers des basesprépositionnées pour effectuer des missions photo à haute altitude afin de préparer éventuellement certaines missions ultérieures(ex : Mirage IV-P à Franceville, au Gabon, pour des missions de reconnaissance au-dessus du Zaïre en novembre 1996).6. Les accords de défenseAprès l'indépendance des Etats africains, la France a signé un certain nombre de textes juridiques - dont certaines dispositionsprécises et opérationnelles n'ont pas été rendues publiques -, afin de concrétiser de nouveaux liens de coopération militaire avecles capitales concernées. Ces accords de défense, gérés et mis en oeuvre par le ministère de la Défense, qui peuvent servird'appui juridique aux interventions de la France dans certains pays africains, ont impliqué jusqu'à onze Etats. Mais dans les années70, certains Etats africains (Bénin, Niger, Madagascar, Congo, Tchad, Mauritanie)67 les ont dénoncés pour des raisons politiques,idéologiques et économiques, souhaitant « raffermir leur souveraineté nationale »'I. Néanmoins, certains Etats signeront avec laFrance d'autres accords de coopération militaire et d'assistance militaire technique considérés comme moins contraignants. Aujour-d'hui, les accords de défense au sens strict concernent huit pays : le Came roun (novembre 1960 avec de nouveaux accords enfévrier 1974), le Centrafrique (15 août 1960), les Comores (1973 avec de nouveaux accords en novembre 1978), la Côte-d'Ivoire(24 avril 1961), Djibouti (juin 1977), le Gabon (17 août 1960), le Sénégal (1960 puis réaménagement de l'accord le 29 mars 1974)et 1e Togo (10 juillet 1963).Pour le général Lafourcade, commandant de l'opération Turquoise, «cette capacité d'intervention ne peut que rassurer /es pays quiont des accords avec /a France, en Afrique en particulier »69. Les unités françaises peuventainsi, selon les situations et les critères du moment définis à Paris, servir à ré tablir l'ordre, si l'action conjuguée de la police, de lagendarmerie et de l'armée du pays ne suffit pas, en cas de crise impliquant indirectement des acteurs extérieurs ou en cas deconflit impliquant ou une agression extérieure directe.Cependant, même sans accord de défense, un Etat africain peut faire appel à la France en cas de besoin. C'est le cas du Tchaddepuis 1986 tandis que le Zaïre a également bénéficié indirectement d'interventions françaises -dans le cadre de la protection deressortissants - pour retrouver la maîtrise politique et militaire d'une situation interne déstabilisée. Scénario qui auto rise certainsobservateurs comme Dominique Moisi à affirmer qu' il « semble que, dans la pratique, un certain nombre d'accords de défense ontété signés au moment même où /es avions porteurs de troupes se posaient »'°.

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Certains accords de défense n'ont pas toujours été respectés et suivis d'ef fet. Ainsi au Togo, où la fin des automatismesinterventionnistes de l'époque de la guerre froide amena Paris à décider la non-intervention en 1992 et 1993 (à la différence de1986) suite aux comportements de l'année togolaise.Selon le Livre blanc sur la défense 1994, la mise en oeuvre des accords de défense bilatéraux, faisant partie du scénario 4 del'hypothèse d'emploi des forces, est à envisager « pour prévenir ou mettre fin à des conflits régio naux de faible intensité tels queceux qui secouent l'Afrique »".Il existe également des accords ou des conventions en matière de maintien de l'ordre et de sécurité interne, annexés aux accordsAMT- documents restés confidentiels et non publiés au Journal officiel - sur l'aide que Paris peut apporter en matière d'ordre public,de soutien logistique aux forces de l'ordre. Ces clauses par lesquelles la France peut accepter de participer à des opérations demaintien de l'ordre si un Etat lui en a adressé la demande, sont restées secrètes. Ces accords particuliers concernent la Côte-d'Ivoire (février 1962), le Gabon (1961), le Tchad (mars 1961) et le Sénégal.7. Les accords de coopération militaire: instruction et assistance techniqueParallèlement, la France a conclu des accords de coopération ou d'assis tance militaire technique (AMT), juridiquement noncontraignants, pouvant ainsi être suspendus selon les circonstances (Zaïre, 1992). En contrepartie de

l'aide française, les accords prévoyaient la prise en charge par ces Etats de certains frais de fonctionnement (mise à disposition delogements, d'infrastructures, etc.) qui ne furent que peu honorés vu les difficultés financières de ces pays. Selon DominiqueBangoura, il est probable qu'à l'instar des accords de défense, les accords de coopération militaire technique comportent certainesclauses tenues secrètes.L'assistance militaire technique se répartit budgétairement en aide directe en matériel (38%), assistance en personnel (50%) etformation de cadres africains (12%).Les accords de coopération ou d'assistance militaire technique signés entre 1960 et 1986 concernent vingt-trois pays : 1e Bénin(1975), 1e Burkina Faso (avril 1961), 1e Burundi (1969, puis élargi en mai 1974), 1e Cameroun (février 1974), la Républiquecentrafricaine (novembre 1960 et octobre 1966), les Comores (novembre 1978), le Congo (janvier 1974), la Côte-d'Ivoire (avril1961), Djibouti (juin 1977), 1e Gabon (août 1960), la Guinée équatoriale (mars 1985), la Guinée (avril 1985), Madagascar (juin1973), 1e Mali (mai 1985),1' île Maurice (mai 1979), la Mauritanie (avril 1986), 1e Niger (fé vrier 1977), 1e Rwanda (juillet 1975), 1eSénégal (mars 1974), Iles Seychelles (janvier 1979), 1e Tchad (mars 1976), 1e Togo (mars 1976) et 1e Zaïre (mai 1974 et juillet1976).La plupart de ces accords ont des durées très variables, souvent renouve lables annuellement par reconduction tacite, parfoisexpirant au bout de dix ans, certains ayant été renouvelés et parfois modifiés. D'autres, plus récents, ont été établis ou renégociésaprès une rupture des relations avec la France (Guinée, Madagascar, Congo) (cf. annexe 2).Ces accords concernent à la fois l'instruction et la formation des militaires et des forces de sécurité africains (dans leur pays ou enFrance, en tant que stagiaires), l'entraînement à des compétences partagées en matière de combat en forêt équatoriale ou en zonelagunaire (école au Gabon)72, et la formation des personnels des armées contractantes sur les matériels de défense acquismajoritairement en France, soit en prêt, soit en cession gratuite vu la réduction du format des armées en Hexagone, soit plusrarement par la vente de licences. L'aide peut également concerner 1e domaine sanitaire et médical à partir des médecins etpharmaciens français en service dans les hôpitaux urbains ou les dispensaires de brousse. Elle peut également prendre la forme28d'une aide militaire à des réalisations au profit de civils (réfection d'hôpitaux et d'écoles, de ponts et routes, travaux de bâtiments,etc.).Quant à l'entretien et à la remise en état de matériels anciens (plutôt que la livraison de plus en plus rare de matériels neufs)7 3, ilssont effectués grâce à des missions ponctuelles permettant la mise en place d'établissements de réparation.Une dépendance s'installe donc, d'ordre matériel, scientifique, militaire mais aussi politique. Elle permet la continuité des relationsfranco-africaines post-décolonisation, tout en accentuant la subordination due aux limites fi nancières et technologiques des paysafricains. La formation d'assistance militaire technique est avant tout un travail quotidien de transfert de compétence etd'expérience, mais aussi d'influence entre les techniciens français et les personnels autochtones.L'AMT concerne quatre types d'actions : « l'aide au fonctionnement et à la réorganisation des écoles de formation de toutes lescomposantes des forces de sécurité; l'aide à l'entretien des matériels pour prolonger leur durée d'utilisation et permettre à desarmées dont les budgets sont insuffisants de maîtriser un minimum de programmes d'entretien; l'aide à la réorganisa tion des forcesde sécurité, et en particulier à la stabilisation de certaines unités vulnérables et susceptibles de dérapages (... ); enfin, l'équipementdes forces, avec un accent sur celles de sécurité intérieure, dont les gendarmeries et les gardes nationales, pour les tâches desécurité de proximité et pour la garantie d'un fonctionnement normal des institutions gouvernementales »".L'objectif est de faire en sorte que « les pays africains doivent être à même d'assurer sur leur propre sol la formation des cadresindispensables au fonctionnement de leurs forces »7S. Aujourd'hui, les assistants techniques militaires « ne devraient plus, saufcas exceptionnels, exercer des fonctions de commandement des unités des armées de pays partenaires »7 6. En effet, au début del'indépendance, l' AMT tenait des postes de conseillers techniques, d'instructeurs et même de commandement, en attendant laformation de cadres militaires africains en France ou en Afrique. Par la suite, la coopération est devenue plus technique en visant àaider à la mise sur pied de forces armées. Parfois, la coopération militaire et la présence de conseillers ont continué longtemps àdépasser 1e simple encadrement pour se substituer à l'armée du pays, comme celle du Tchad, « réduite alors à des tâchessupplétives et 29

au rôle de chair à canon »77. En 1996, à N'Djamena, l'armée française travaillait encore à la trésorerie, à la santé, à la logistique etau bureau des effectifs de l'armée", tout en évaluant la remise sur pied de la garde nationale et nomade du Tchad (GNNT) et sespelotons méharistes, qui avait été dissoute en 1992 suite aux luttes entre différentes tendances. Pour le général Michel Rigot7 9, iln'existerait plus d'officiers français exerçant encore des fonctions de commandants d'unités africaines, sauf dans 1e cadre del'école des transmissions à Bouaké (Côte-d'Ivoire).En effet, il semblerait que la formation dans les écoles militaires françaises de cadres africains permette de faire évoluer l'AMT versdes postes de conseillers ou d'instructions, à l'exception encore des fonctions au sein des services de santé et des écoles.En ce qui concerne spécifiquement l'aide directe en matériel, elle a longtemps servi à financer l'équipement de base des arméesdes pays africains francophones (cession gratuite de matériels), puis à concrétiser la définition faite en coopération de créditsbudgétaires puis de programmes pluriannuels d'équipements. Cette aide, fluctuante, largement déterminée parla conjonctu re (criseou conflit) a bénéficié prioritairement au Bénin, au Burundi, au Centrafrique, à la Côte-d'Ivoire, à Madagascar, au Niger, au Sénégalet au Tchad.

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Aujourd'hui, la fourniture de matériel concerne de plus en plus 1e transfert de moyens logistiques à des forces de sécurité à statutmilitaire (cf. annexe 3). Ainsi, de 1994 à 1995, on constate « l'augmentation des effectifs de la gendarmerie française parmi lescoopérants militaires envoyés en Afrique atteint 20% »8°. L'objectif est aussi de remodeler les armées africaines, en tentant de lespersuader de réduire leurs effectifs et d'éliminer structures lourdes, aviation de chasse et chars de combat afin de les doterd'équipements adaptés à leurs vrais besoins et à leur budget.La fourniture gratuite d'équipements (matériels neufs et pièces de rechange) est assurée à partir d'une liste des besoins formuléspar les forces armées locales et reclassés « hiérarchiquement » selon la perception (française) de la situation locale par 1e chef dela mission d'assistance militaire en poste dans chaque Etat concerné. C'est lui qui, en dernier ressort, transmet les com mandes aubureau de logistique de la Mission militaire de coopération. Cependant, une partie de la dotation prévue chaque année ne reçoitaucune affectation précise afin de faire face à certaines situations d'urgence. Cette pro30cédure permet également de prendre en charge partiellement les dépenses ordinaires du fonctionnement des armées, etnotamment du paiement des soldes. Il faut également ajouter plusieurs millions de FF « prélevés directement sur la lignebudgétaire "civile" du Fonds d'aide et de coopération (FAC) pour la fourniture de moyens logistiques destinés aux forces de sécuritéintérieure, gendarmeries, gardes nationales »81, comme ce fut 1e cas en 1995.Entre 1986 et 1996, 1e nombre d'assistants militaires techniques dispersés dans les différents pays a été réduit de 923 à 714 (640en 199782 et 570 prévus en 1998), suivant ainsi la réduction des crédits affectés à l'assistance militaire technique et la conclusionde certains programmes de coopération (cf. annexe 4). Les plus gros contingents concernent 1e Cameroun (54 AMT), 1eCentrafrique (63), la Côte-d'Ivoire (50), Djibouti (47), 1e Gabon (60), la Mauritanie (52), le Niger (50) et 1e Tchad (60).Ils proviennent de l'armée de terre et de la marine, de la gendarmerie et des services de santé et sont « dépendantshiérarchiquement du général, chef de la mission d'assistance militaire près de l'Ambassade de France de chacun des paysconcernés »83, bénéficiant d'un statut diplomatique. Le chef de la mission d'assistance militaire est chargé de l'application sur placede la politique de coopération élaborée par 1e gouvernement français en accord avec les autorités du pays hôte. Il définit, enaccord avec les autorités militaires locales, les conditions générales d'emploi des personnels d'assistance technique, de contrôle del'action de ces personnels (terre, gendarmerie, air, mer, santé), notamment par des inspections de commandement. Il reçoit, instruitet transmet les demandes d'assistance technique présentées par les autorités locales.Les assistants militaires techniques (49% d'officiers et 51 % de sous-officiers) sont en fonction soit en séjour long (deux ans) et sontalors accompagnés de leur famille, soit pour des missions temporaires (de deux à six mois), correspondant aux nécessitésconjoncturelles, précises et urgentes, répondant à une demande inopinée (encadrement des stages de formation, entraînementd'unités de maintien de l'ordre, remise en état du matériel...). Cette dernière formule, appelée Détachement d'assistance militaired'instruction (DAMI), nouvellement nommée Groupes d'assistance technique (ces groupes sont dispersés selon les missions enpetits nombres dans les différentes régions des Etats hôtes), permet plus de souplesse, une meilleure adaptation aux besoinsponctuels et un coût réduit.31

Parallèlement, 1e nombre de stagiaires africains en formation de cadres officiers et sous-officiers des armées et des gendarmeriesdans les écoles militaires françaises est passé de 2.200 en 1987 à 1.300 en 1997 (cf. annexe 5). Les plus gros bénéficiaires ont étél'année dernière 1e Sénégal (142 stagiaires), 1e Togo (128), la Mauritanie (88), 1e Cameroun (85) et 1e Burkina Faso (80). « Signede l'élargissement du champ traditionnel, on constate également en 1996 que plusieurs pays anglophones d'Afrique ont pubénéficier de ces programmes: l'Afrique du Sud (25 stagiaires), le Kenya (3), le Malawi (4), le Nigeria (1), la Zambie (1) et leZimbabwe (1) »B4. Le nombre de places attribuées par pays dans les différentes écoles militaires est décidé chaque année par descommissions interministérielles regroupant la Défense, les Affaires étrangères et la Coopération, tandis que « le financement de lascolarité et des bourses de vie courante est assuré par les ministères de la Coopération et des Affaires étrangères »8s. Quant à laformation d'ingénieurs et les formations techniques, elles sont conduites respectivement sous tutelle de la Direction générale pourl'armement (DGA) et les sociétés de service. Reste que, par 1e passé, il est arrivé que « les conditions de vie de certains d'entreeux, difficiles du fait des ressources insuffisantes en provenance de leurs Etats d'origine, contraignent la France à instituer desaides particulières et discrètes pour ne pas froisser leur susceptibilité »86.En France, plusieurs écoles ont formé ces stagiaires : 1e cours supérieur international de gendarmerie à Melun, 1e cours supérieurdu commissariat de l'armée de terre à Montpellier, 1e cours supérieur de l'école de l'air à Salon de Provence ou 1e cours supérieurde l'école navale de Brest. Un nouveau cours supérieur international de gendarmerie (1994) et un cours spécial de commissariat(1995) ont été récemment créés87. Ceux-ci pouvaient durer l'année scolaire ou être répartis en cycles discontinus, de troissemaines à six mois. La formation dispensée aux cadres étrangers et en particulier aux offi ciers s'effectuait ainsi « soit au seind'établissements relevant de l'enseignement militaire supérieur, soit dans les écoles d'application ou d'officiers »a8. La formationpouvait inclure également des stages de spécialité sur demande, de niveau officier subalterne et sous-officier.Créée en 1973, l'école de guerre interarmées et internationale (ESGI) avait pour objet d'instruire les hauts responsables des cinqcontinents des questions de défense et de stratégie. Relevant du chef d'état-major des ar32mées, l'ESGI organisait des formations à des postes de responsabilité, sensibilisait les auditeurs officiers aux politiques de défenseet de stratégies militaires tout en offrant l'acquisition de connaissances sur la France, en onze mois plus cinq mois deperfectionnement en langue française. Après cette session, les officiers stagiaires pouvaient suivre l'enseignement de Courssupérieur interarmées (CSI) sanctionné par le Brevet d'Études militaires supérieures. En septembre 1993, l'ESGI a été intégréedans 1e Collège interarmées de défense (CID), véritable creuset interarmées et international, mélange de cultures et d'expériences,en remplacement des anciennes écoles de guerre. Installé à l'École militaire à Paris, 1e CID tente de développer l'esprit et lacompétence interarmées de futurs chefs militaires tout en promouvant l' interopérabilité.Les futurs décideurs militaires passent par 1e CID après sélection (sur concours, après quinze années de métier). La part d'officiersétrangers avoisine 40% (soit une centaine, dont 27 originaires d' Afrique89) et ils sont répartis dans une division composée de 80%d'étrangers et dans trois autres divisions où ils occupent au total les 20% restants90. Ils y forment des cellules de base interarméesavec application en matière de formation professionnelle (exercices de conception et planification d'opérations combinées) et enapprofondissement en matière de culture générale. Il est utile d'observer que cette formation professionnelle s'appuie sur desscénarios proches, entre autres, de la projection de forces en Afrique dans 1e cadre d'accords de défense.Plusieurs milliers de stagiaires africains et malgaches (47.000 depuis 1960) sont ainsi passés par la France (à charge en totalité oupartiellement de la France). Des liens privilégiés ont pu s'établir avec les futurs cadres d'armées originaires d'Afrique (ce que lesacteurs concernés qualifient de « climat d'estime et de confiance réciproques »9r); de même, une maîtrise des tactiques, de lastratégie, de la philosophie du commandement, de certaines tradi tions et matériels militaires d'origine française leur seront par lasuite alloués au titre de la coopération militaire ou proposés à l'achat.

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Véritable vecteur d'influence, permettant de renforcer les liens entre officiers français et africains, mais aussi « de manipuler lesclans militaires qui leur sont favorables, en particulier les anciens élèves de leurs écoles des cadets »92, les formations dispenséesen France furent accusées d'être en porte-à-faux par rapport aux spécificités culturelles africaines93.33

Afin de répondre aux effets de la réduction du format des armées en France (et partant, du nombre de places ouvertes aux stagiairesétrangers) et pour coller davantage aux réalités africaines (contexte politique, décalage technologique), la Mission militaire de coopérationtente de promouvoir la formation via les écoles nationales ou interafricaines. L'objectif est aussi de former des formateurs africains afinqu'ils remplacent les officiers coopérants militaires français en Afrique, les seconds coûtant davantage au trésor que les premiers. Leconcept d'école nationale à vocation régionale spécialisée dans un secteur de formation pour l'ensemble des stagiaires de la régionpermettra d'adapter la formation aux besoins réels des armées africaines.Citons, dans ce dernier cadre, la Division d'application de l'infanterie créée en 1987 à Thiès (Sénégal), l'Ecole de formation des troupesblindées, créée en 1985 à M'Banza N'Gungu (Zaïre) mais fermée en 1992, la Division d'application des transmissions, créée en 1983 àBouaké (Côte-d'Ivoire), l'Ecole militaire interafricaine d'administration, créée en 1986 à Lomé (Togo) mais fermée en 1993, ou la nouvelleécole militaire d'administration à vocation régionale pour l'Afrique de l'Ouest à Koulikoro (Mali) ouverte en 1996 avec l'aide de la Missionmilitaire de coopération.D'autres initiatives régionales pourraient voir le jour, comme l'école technique automobile de Corso (Mauritanie), l'école de médecinemilitaire à Lomé (Togo) ou le projet français d'école de Yamoussoukro (Côte-d'Ivoire) ouvert aux cadres des armées d'Afrique centrale etoccidentale pour des formations en matière de maintien de la paix.8. Les exercices militaires franco-africainsLes forces armées françaises sont également amenées à effectuer des exercices et des manœuvres sur le territoire du pays hôte.Citons tout d'abord les exercices bilatéraux franco-africains, co-organisés et co-dirigés par l'état-major interarmées français et l'état-majordu pays hôte94. Ces exercices, qui concernent une fois tous les trois ans, en bilatéral, 1e Sénégal, la Côte-d'Ivoire et 1e Gabon,impliquent la quasi-totalité des forces françaises prépositionnées dans 1e pays, des renforts venus de France (avions Mirage F-1,hélicoptères Super-Frelon, transport de chalands de débarquement, commandos de recherche et d'action en profondeur...) ainsi 34qu'une fraction importante des forces armées du pays africain concerné. Ces manœuvres permettent de mettre en pratique les accords dedéfense, d'adapter les moyens des forces prépositionnées à leur mission de soutien immédiat des forces locales et d'accueil de renforts,et de parfaire l'intégration des éléments extérieurs aux forces françaises surplace. Elles permettent aussi d'étudier et de réaliser lesprojections de forces dont certains modules de la Force d'action rapide dans un cadre interalliés et interarmées, d'examiner la résis tancedes matériels aux conditions particulières africaines95, de tester 1e poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT) ainsi quel'EMIA de Creil96 ou d'entraîner les unités venant de France à des aérolargages à partir de bases logistiques avancées.Quant aux exercices majeurs locaux se déroulant annuellement sous la responsabilité du commandement des forces françaisesprépositionnées, ils associent étroitement les armées locales qui trouvent ainsi un complément de formation, tout en améliorant les liensprofessionnels et personnels entre militaires français et africains. L'objectif est aussi de parfaire l'interopérabilité en matière detransmissions et de soutien logistique.Plus généralement, la France peut utiliser le territoire des nations hôtes comme espace quasiment libre à tous les étages où peuvent sepratiquer intensivement 1e vol à très basse altitude et certaines figures aériennes. Par ailleurs, il existe des champs de tir à Bouar et Yaka(en Centrafrique) et à Djibouti où l'armée de l'air peut s'entraîner à larguer des munitions réelles. A terre, l'armée française utilisel'environnement forestier équatorial ou les conditions extrêmes de Djibouti pour parfaire l'entraînement des commandos marines.Dans certains cas, les exercices et manœuvres pourraient dissimuler d'autres objectifs de politique intérieure. Tel peut être le cas desmanœuvres franco-sénégaliennes de 1994, où l'armée française aurait pu offrir une assistance aérienne visant la rébellion dans la zonede tension de Casamance". Tels sont aussi les exemples de manœuvres réalisées dans des zones géographiques excentriques de l'Etathôte, afin de rassurer les populations provinciales, face à certaines tensions frontalières.Plus récemment a eu lieu 1e premier grand exercice humanitaire interarmes, interarmées et multinational entre 1e 15 et 1e 23 mars 1997,auquel participaient 4.500 hommes dont 3.486 militaires provenant du Togo, du Bénin 35

et du Burkina Faso. La France avait alloué 385 hommes provenant d'Afrique de l'Ouest, 581 venus directement de France (dont 65commandos du Commandement des forces spéciales), des Mirage FI, 4 Transall, 9 Puma ainsi que le navire Ouragan 9'.L'exercice « Mangbéto 97 » se déroula au Bénin et au Togo, en accueillant des observateurs venus du Ghana, du Nigeria, du Niger, del'UEO, des Etats-Unis, de la Chine et de la Grande-Bretagne. Le thème de l'exercice a tourné autour de l'établissement, sous mandatONU, d'une zone humanitaire sûre, pour préparer l'intervention du HCR au profit de populations déplacées et de réfugiés 99. Un nouvelexercice du même modèle a été programmé pour 1998 au Sénégal, avec possibilité de valider plusieurs concepts dont « les modules deforces en attente », sachant par ailleurs qu'il n'est pas impossible que l'UEO puisse y participer, aux côtés de pays africains.Sur initiative française, il est déjà prévu, en automne 1997, que des modules de la brigade franco-allemande participe pour la premièrefois en Afrique à des manœuvres au Gabon. Et en février 1998, un grand exercice multinational de maintien de la paix sera organisé par laFrance (nation soutien) avec un noyau dur composé des forces du Sénégal, de la Mauritanie et du Mali, avec les contributions du CapVert, de la Guinée, de la Guinée-Bissau, du Ghana et de la Gambie; 1' UEO étant associée au titre d'observateur alors que les Etats-Unis,la Grande-Bretagne et les agences des Nations unies y seront davantage impliqués.De toute évidence, l'évolution des grands exercices multinationaux en Afrique dans 1e cadre de la coopération militaire française ira dans1e sens d'une plus grande capacité interarmes et interforces, avec pour objectif de simuler des missions où l'on peut affiner 1e principe deforces militaires nationales en attente d'emploi dans les différents Etats en vue de missions multinationales de maintien ou derétablissement de la paix - en encourageant une certaine autonomie africaine - dans l'esprit de ce qui est réalisé, toutes proportionsgardées, avec les Groupes de forces interarmées de l'OTAN ou les exercices du Partenariat pour la Paix. On garde ainsi en tête lapossibilité de renforcer les collaborations logistiques occidentales au service d'interventions collectives africaines régionales dans 1ecadre de mandats de l'ONU ou de l' OUA.369. Nouvelles orientations de la coopération militairePerceptible déjà fin 1995, suggérée le 13 février 1996, révélée le 9 janvier 1997 par 1e ministre de la Défense du gouvernement Juppé, M.Charles Million, puis annoncée à la suite du Conseil de défense élyséen du 4 mars 1997, la réduction des effectifs de l'armée de terre enmétropole aura des répercutions sur les effectifs des unités déployées en Afrique. Selon la revue Terre magazine de l'état-major del'armée de terre parue en octobre 1996, les forces interarmées que la France maintient outre-mer, notamment les forces embarquées, lesforces dites de souveraineté dans les DOM/TOM et les forces de présence en Afrique, devraient diminuer de 30% avant 2003.

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Si les détachements seront maintenus dans pratiquement tous les pays où des effectifs sont déjà présents, il est question d'abandonnercertaines infrastructures ou d'en regrouper d'autres pour des raisons budgétaires, tout en accentuant 1e caractère interarmées des unités(mise en commun de leurs soutiens et de leurs services par les trois armées, recours au secteur civil à la carte). A l'exception de Djiboutiqui accueille deux régiments, il pourrait ne plus subsister, dans chaque implantation, qu'un seul et unique régiment, groupant unitésopérationnelles et unités de soutien. Si 1e Sénégal, la Côte d'Ivoire ou 1e Gabon pourraient accueillir chacun un bataillon d'infanterie demarine (BIMA), les dispositifs devraient être allégés, « recevraient » des éléments interarmes détachés par rotation depuis plusieursgarnisons disparates en France, mais provenant des mêmes régiments pour des raisons de cohésion opérationnelle.L'idée suggérée sous Juppé était la suivante : ce ne seront plus seulement les troupes d'élite qui séjourneront sous les tropiques, maisune bonne partie de l'armée professionnelle, en y accomplissant de courts séjours'°°.Bref, pour des raisons d'économie, de motivation des troupes métropolitaines et d'objectifs politiques associés aux inflexions données par1e nouveau gouvernement de cohabitation mis en place en juin 1997, la logique de garnison va probablement céder la place à la logiquede tête de pont, avec réduction des effectifs permanents et renforts tournants 101. Durant la campagne électorale du printemps 1997 et plusprécisément dans son document intitulé « Pour une redéfinition de la politique africaine de la France » (15 avril), le parti socialistefrançais avait préconisé une réduction du prépositionnement 37

militaire en quittant les bases « politiques » situées au Gabon, au Tchad et en Côte-d'Ivoire, au profit du maintien des trois basesstratégiques que sont Djibouti, Dakar et Bangui. Mais parvenu au pouvoir et tenant compte de la cohabitation élyséenne, 1egouvernement Jospin modifia ses choix pour proposer la fermeture des seules installations de Centrafrique 101 avant la mi1998.L'amplification par 1e gouvernement socialiste du plan Millon de réduction du dispositif militaire français en Afrique doit aboutiraussi à la diminution progressive de 40% des effectifs pour atteindre 5.000 hommes. A côté du retrait de Centrafrique, la réductiondes effectifs à Djibouti et le renforcement du dispositif Epervier au Tchad en compagnies de combat sont à présent confirmés.Sur chacune des cinq bases préservées seront disposés un millier de militaires des différentes armes, avec rotations de deuxunités sur trois, tous les quatre mois ; ceci permettra de faire l'économie de fortes primes tout en ré duisant la présence des famillesde militaires français sur 1e continent.Sans qu'il soit question de désengagement, le principe de contraction du dispositif en Afrique, déjà exprimé sous 1e gouvernementJuppé, entre bel et bien dans 1e cadre des réflexions menées sur la réorganisation des armées entre 1997 et 2002, laprofessionnalisation à 100% et du nouveau modèle des armées inscrit dans la période 1997-2015. Mais si les motifs budgétairessont mis en avant pour expliquer cette rétraction du dispositif, celle-ci entre égale ment dans 1e cadre d'une réflexion à mener surl'avenir de la coopération et de l'assistance militaire technique franco-africaine. Le nouveau paysage géopolitique de l'après-guerrefroide, certains déboires diplomatico-militaires français (Rwanda, Zaïre, RCA...), les crises internes au continent noir aboutissant àl'implosion d' Etats et l'obligation politique et budgétaire d'engager des plans d'intervention davantage dans un cadre multinationalet onusien, imposent de revoir les conditions dans lesquelles Paris a signé certains accords de défense.Il est clair que des modifications des réseaux d'accords militaires bilaté raux auront lieu selon la nature et l'intensité des menaces etsurtout selon leurs incidences sur les intérêts stratégiques de la France. Bref, la future co opération sera probablement plussélective, tentant de passer de l'assistanat au partenariat.38L'engagement d'intervenir - déjà aléatoire, vu que certains accords de défense sont devenus inapplicables'° 3 - sera de plus en plusmenacé par 1e nouvel environnement géopolitique, tandis que les armes les plus techniciennes (marine et l'armée de l'air) neseraient pas opposées à l'idée de réduire la présence militaire française au sol au profit de quelques plates-formes ré duites,susceptibles d'accueillir des forces de projection ou d'une gesticulation engagée autour d'un porte-avions. A cet égard, 1e nombred'avions de transport en Afrique passera à huit ou neuf en permanence contre sept au jourd'hui. Mais la situation de chaos vécu auCongo et en Centrafrique, après la fin de Mobutu au Zaïre, pourrait inéluctablement aboutir à un retrait plus rapide et peut-êtreimportant. Dans ce cas, l'absence de politique africaine bien construite telle que constatée depuis longtemps aboutirait à l'apparitiond'une autre « politique » française, celle du reflux en bon ordre".Pourtant, un certain nombre de militaires, surtout dans l'armée de terre et les troupes de marine, voient dans cette présence unavantage pécuniaire et moral : pouvoir s'évader hors de l'Hexagone, dans des bases prépositionnées outre-mer, là où lesconditions de vie et les soldes exercent une forte attraction sur ceux que tente la carrière militaire.Il est visible qu'à l'avenir la coopération va surtout éviter l'engrenage des interventions à répétition, en insistant pour que les Etatspaient plus régulièrement la solde de leurs soldats. Elle accentuera également son effort sur la formation des armées africaines aumaintien de la paix"", symbolisé par 1e projet de création à Yamoussoukro (Côte-d'Ivoire) d'un centre ouvert à des stagiaires despays d'Afrique centrale et de l'Ouest, tout en mettant à leur disposition une partie des équipements rendus disponibles par 1echangement de format des armées françaises.Les réformes envisagées passeront également par l'insistance, déjà perceptible depuis quelques années, sur les aspects de lasécurité intérieure des Etats106 et la formation des gendarmeries. Selon 1e général Rigot, commandant de la Coopération militaire,les projets « sécurité » de la Mission militaire de coopération ont accès, depuis octobre 1994, aux crédits du Fonds d'aide et decoopération. Pour cet officier supérieur, « cette mesure nouvelle permet d'apporter une réponse cohérente et globale auxdemandes de gouvernements africains en matière de forces de sécurité intérieure à statut militaire. Elle signifie que la sécuritépublique est un élément fondamental, indis39

pensable pour assurer la croissance économique et le développement d'un Etat de droit, conformément aux orientations retenues lorsdu sommet franco-africain de Libreville en octobre 1992 et réaffirmées dans tous les discours officiels depuis »107.En vérité, bien que 1e Livre blanc sur la Défense (1994) ne prenne pas en compte les crises internes africaines, la coopérationmilitaire technique n'a jamais été aussi policière. Parmi les grands objectifs de la coopération figure « la contribution aurenforcement des institutions démocratiques par l'assistance aux forces de sécurité intérieure »108. Cela s'exprime par une orienta-tion des efforts vers la création, l'instruction et l'équipement d'unités spécialisées dans 1e maintien de l'ordre (Togo, Mali, Burundi,Tchad, Rwanda...). En voulant donner aux militaires africains et aux unités de sécurité une formation à la conception d'une mission« d'aide à la stabilité et à la sécurité des institutions »109, à la condition que celles-ci reposent sur des bases démocratiques, laFrance cherche à mettre en place « un dispositif sécuritaire qui permet aux Etats d'exercer leurs fonctions vitales »"°.Pour Paris, il faut éviter la rupture du dialogue, la disparition rapide des plus hautes autorités et 1e chaos en cas de crise et detroubles intérieurs. Cette coopération sécuritaire peut aller, comme par 1e passé, jusqu'à disposer de conseillers au plus hautniveau de la hiérarchie, de militaires d'active, d'officiers de gendarmerie, de généraux en retraite ou d'agents de la DGSE, sus-ceptibles de sensibiliser les responsables et d'alerter parfois les autorités françaises sur les risques potentiels. Dans ce cadre, ilpeut arriver que les coopérants français affectés à la sécurité présidentielle soient maintenus pour des raisons d'intérêts politiques

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français, malgré un non-respect flagrant des règles démocratiques par 1e régime en place (cf. 3ème partie) ; a contrario, ils peuventêtre retirés en guise de protestation lorsque les règles démocratiques ne sont pas respectées.En définitive, selon 1e général Rigot, les nouveaux objectifs en matière de coopération militaire posés sous 1e gouvernementJuppé impliqueraient de - « donner davantage de capacités aux armées africaines pour la prévention et surtout la gestion des crisessur leur propre continent, en leur permettant éventuellement d'intervenir collectivement dans le cadre d'une opération des Nationsunies ou, si nécessaire, aux côtés des forces françaises, dans un cadre national;40- contribuer à la restructuration de ces forces armées conduisant à une réduction, souvent nécessaire, des effectifs et à leurprofessionnalisation ; - aider ces forces à assurer efficacement les missions de sécurité d'état de droit, ce qui implique qu'elles restentà l'écart du Jeu politique, mais qu'elles soient en mesure de garantir le fonctionnement normal des institutions ;- les préparer à s'intégrer dans une force multinationale »"r.L'objectif de la France en matière de réorientation et de rationalisation militaires passe par 1e développement de capacités deprojection à distance. Selon le Rapport d'orientation sur la politique de défense rédigé par 1e mi nistère de la Défense en mars 1996sur la base des orientations retenues par 1e président Jacques Chirac, 1e réseau des accords bilatéraux de défense impose à laFrance d'être en mesure d'agir seule pour leur mise en oeuvre, même si « la nature des crises africaines (...) implique de plus enplus, elle aussi, des actions dans un cadre multinational »r rz. En réalité, les engagements militaires français en Afrique ont révélé ladépendance française vis-à-vis de l'appui logistique des Etats-Unis en matière de transport, comme ce fut 1e cas au Zaïre (1977),au Tchad (1986) et au Rwanda (1994).Mais pour le précédent ministre de la Défense Charles Millon, « il est prévu de rationaliser le dispositif actuel, en fonction dessituations locales et de l'intérêt stratégique des bases, en tirant parti de notre capacité accrue à projeter rapidement, depuis lamétropole, les renforts éventuellement nécessaires » 'ts. L'objectif s'oriente bel et bien vers l'adoption d'une politique de veille etl'entretien d'infrastructures permettant d'éventuelles interventions rapides.Déjà, la Force d'action rapide (FAR), créée 1e l er octobre 1983, participe, avec certains de ses éléments, à des opérationslointaines en Afrique' Il ou à des exercices bilatéraux" s. La 11 e division parachutiste (Toulouse), la Sème division d'infanterie demarine (Nantes) et la 4ème division aéromobile héliportée (Nancy) composant une partie de la FAR peuvent, en tout ou en partie,avec d'autres éléments organiques et de soutien, être engagées pour des opérations sur 1e continent. Selon 1e Général MichelRoquejeoffre, alors commandant de la FAR, la rapidité de projection lointaine à grande vitesse de cette force est possible « grâceau déplacement stratégique spécifique des hélicoptères et des véhicules à roues, à une aéromobilité maximale par aéro-41

transport et hélitransport, à une capacité de redéploiement immédiat, à une navalisation adéquate, à des télécommunicationsspatiales »116. Aim de gérer l'évacuation de nationaux ou d'améliorer l'efficacité des actions humanitaires, la FAR peut égalementoffrir l'usage de son système de gestion de crise à base de matériels civils informatisés, baptisé SAFARI, aérotranspor table,permettant, à partir d'une base de données, de visualiser la situation et transmettre les données en temps réel. La mise en place enjanvier 1997 du nouveau dispositif d'intervention basé sur l'autonomie tactique des escadres de transport aérien militaire doitpermettre de valider un nouveau concept de posture de projection rapide qui fut expérimenté avec succès lors des opéra tionsPelican à Brazzaville en mars et juin 1997.La projection devrait également être accentuée par la mise en oeuvre de transports de chalands de débarquement (TCD) de typeOuragan et surtout Foudre, d'avions gros porteurs, de groupement aéronaval (disposant en cas de besoin et à la carted'hélicoptères de la 4ème Division aéromobile), de frégates de surveillance, d'avions de combat et de reconnaissance et d'avionsravitailleurs en vol. Quant à la future brigade d'infanterie pour le combat aé roporté qui sera basée à Toulouse, elle pourrait être trèsutile, en tout ou de manière modulaire, dans le cadre de missions africaines.Parallèlement, la France cherche à se doter de capacités de poste de commandement interarmées de théâtre déployable (PCIAT),interopérables avec celles de ses alliés mais qui pourraient oeuvrer dans le cadre d'interventions outre-mer, de manière autonomeou en coopération. A cet égard, pour la première fois en Afrique, la France a disposé d'un PCIAT lors de l'exercice franco-sénégalais Ndjambour VII en janvier 1995.Dans le domaine de la coordination, la création en 1992 du commandement des opérations spéciales (COS) à Taverny"', placésous l'autorité directe du chef d'état-major des armées (CEMA), a déjà pour mission « de planifier, coordonner et conduire lesactions menées par des unités des trois armées118 spécialement organisées, entraînées et équipées pour atteindre des objectifsmilitaires ou paramilitaires »"9.Déjà, certaines unités spéciales du COS ont participé aux opérations Turquoise au Rwanda, Azalée aux Comores et Almandin II enRépublique centrafricaine: elles étaient engagées à la fois de manière autonome ou au sein d'une force conventionnelle déployéedans la zone, pour des missions d'ap42pui opérationnel (reconnaissance et observation) ou d'actions spécialisées (neutralisation, extraction, contre-terrorisme). Les unitésCOS devraient probablement à l'avenir intervenir plus largement, mais aussi plus discrètement, lors de missions en Afrique,d'autant qu'elles sont également habilitées à fournir une assistance technique à l'étranger.A côté de ces aspects interforces et de projection qui prendront de plus en plus de poids, l'accent sera mis dans le futur sur lerenseignement afin de parfaire la prévention. A côté de la montée en puissance de la Direction des renseignements militairesinterarmées (DRM) (Creil) et de capacités satelli taires, la brigade de renseignement et de guerre électronique (BRGE) de l'arméede terre, créée en 1993, va être renforcée, en accueillant une escadrille de quatre hélicoptères Cougar de surveillance Horizonbasée à Phalsbourg en été 1997 et un cinquième régiment de recherche et d'intervention (2ème régiment de Hussards) cantonné àSourdun. Quelques dizaines d'éléments de cette brigade servent déjà en Afrique pour la recherche de renseignements sur le terrainou l'analyse des sources radioélectriques.Globalement, des plans de modernisation et de renforcement de la Direction du renseignement militaire et de la Direction généralede la sécurité extérieure (DGSE) sont prévus dans la nouvelle loi de programmation 1997-2002.Pour assurer la préparation et la conduite des opérations, la France a ainsi organisé autour de l'état-major général (CEMA) quatreentités particulières la Direction du renseignement militaire (DRM), le Commandement des opé rations spéciales (COS), le Centreopérationnel interarmées (COIA) et l'état-major interarmées de planification opérationnelle (EMIA) qui furent déjà mis en oeuvreavec le PCIAT dans le passé (opération Turquoise en 1994) et qui devront être partie prenante dans le futur pour de possiblesinterventions françaises sur le continent.10. Evaluation des coûtsLa coopération militaire française au sens strict est gérée par le ministère de la Coopération (devenu délégué auprès des Affairesétrangères) et plus récemment par le secrétariat d'Etat à la coopération, en partie aux ordres du Quai d'Orsay (cf. 2ème partie). Elleconcerne les pays du champ, principalement de l'Afrique subsaharienne.43

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La coopération militaire traditionnelle, mise en oeuvre par la Mission militaire de coopération de la rue Monsieur, dispose d'unfinancement inclus dans les apports de la France pour l'aide publique au développement (APD). En 1996, les crédits consacrés à lacoopération militaire classique étaient encore regroupés au sein du chapitre 41-42 du budget du ministère de la Coopération.La part du budget de la Mission militaire de la coopération dans le budget du ministère s'élevait autour de 13 % en 1992 pourtomber à 11 % en 1996'2°. Elle correspondait à 783 millions de FF en 1995, 776 millions en 1996, 739 millions en 1997 et 703millions prévus en 1998. Cela représente également, en 1996,0,4% du budget de la Défense nationale"'. La réduction de 4,7% de ladotation en 1997 par rapport à 1996 repose sur la diminution des moyens en effectifs de l'assistance militaire technique, même sil'aide en matériel progresse de 18 millions de FF par rapport à 1996'22 (cf. annexe 6).La répartition budgétaire est la suivante : un volet d'assistance militaire technique incluant rémunération et fonctionnement (522millions de FF en 1996, soit 67% pour 468 millions prévus en 1997), un volet « aide directe en matériels et en entretien » (162millions, soit 21% pour 180 millions prévus en 1997 et 1998) et un volet « formation des cadres militaires » (91,7 millions, soit12%)"3, resté inchangé pour 1997 mais en augmentation pour 1998 (104 millions FF) 121.Il faut ajouter l'utilisation du Fonds d'aide et de coopération (FAC), ins trument destiné à mettre en oeuvre l'aide-projet par laquelle leministre de l'Economie et des Finances autorise des investissements directs dans « des projets de développement ». Echappantaux règles de l'annualité budgétaire, sans affectation a priori, les ressources peuvent dès lors être mises à dispo sition de projets enoffrant aux responsables de la Coopération une certaine latitude. Ainsi, en 1995, 95 millions ont été prélevés directement sur laligne budgétaire civile de la FAC pour la fourniture de moyens logistiques destinés aux forces de sécurité intérieure (gendarmeries,gardes nationales).Et pour compliquer le tout, il ne faut pas omettre le coût de la coopération des pays hors champ (notamment au Maghreb), gérédirectement par le Quai d'Orsay par la sous-direction de l'aide militaire (SDAM) composée de mi litaires détachés par le Ministre dela Défense auprès des Affaires étrangères avec un budget s'élevant en 1996 autour de 86 millions de FF.8Quant au ministère de la Défense, il entretient et gère les coûts relatifs à l'existence de bases prépositionnées et de forces ditestemporaires (Tchad, Centrafrique).Selon Philippe Leymarie, l'estimation du coût du dispositif militaire français en Afrique tournerait autour de 1 milliard de FF par an(hors opérations spéciales et interventions)`, alors que Jacques Isnard évaluait en 1996 le coût des garnisons à environ 1 milliardde FF chacune pour le Tchad et la République de Centrafrique, 1,4 milliards pour Djibouti et 397 millions pour le Sénégal" 6.Enfin, pour couvrir certaines dépenses non prévues127, liées au surcoût d'opérations extérieures (fonctionnement, soldesmajorées, matériels engagés, location de gros porteurs aériens, entretiens avancés par usure prématu rée) comme pour Turquoise(l milliard de FF de surcoût), il est arrivé au gouvernement de réclamer au Parlement un « collectif » budgétaire en faveur de ladéfense (budget général de l'Etat) ou d'utiliser certaines mesures internes au ministère de la rue St Dominique (excédent de gestionou économies réalisées sur les dépenses de carburant).Avant l'élargissement du champ en 1995, on pouvait lire que « de manière générale, on observe la faiblesse des crédits consacrésà la coopération militaire par le Quai d'Orsay par rapport aux moyens de même objet dégagés par le Ministère délégué à laCoopération : 88,5 millions de francs français pour le Ministère des Affaires étrangères, en 1996, 714 pour le Ministère délégué à laCoopération ; 85, 5 millions de francs pour le Quai d'Orsay prévus en 1997, 640 pour la rue Monsieur. Ce déséquilibre ressort demanière encore plus flagrante si l'on considère que la Mission militaire de coopération exerce ses compétences dans un nombrelimité de pays d'Afrique subsaharienne (ainsi qu'au Cambodge), alors que les crédits de coopération mili taire du Quai d'Orsay ontune vocation mondiale. L'Afrique subsaharienne à elle seule absorbe donc l'équivalent de plus de sept fois les crédits consa crés àla coopération militaire avec le reste du monde (...) ».Les crédits en matière de formation des stagiaires étrangers, à savoir 18,5 millions de francs en 1997, doivent aussi « êtrerapprochés des quelque 91,7 millions de francs que le Ministère de la coopération consacrera, en 1997, à la formation desstagiaires africains"$».45

77. SGDN, op. cit., p. 59.78. Tchad. Un pays soumis à l'arbitraire des forces de sécurité avec la complaisance de pays étrangers, Rapport d'AmnestyInternational (AFR 20/04/96 F), Londres, 10 octobre 1996, p. 25. 79. Entretien avec 1e général Michel Rigot, Paris, 26 juin 1997.80. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux... », op. cit., p. 136.8L Patrice Bouveret, « La coopération militaire française », Rapport /996 de l'Observatoire des transferts d'armements, CDRPC, Lyon,1996, p. 43.82. Bernard de Froment, op. cit., p. 19 ; Le Monde, 14 octobre 1997. 83. Collectif, Dossiers noirs..., op. cit., p. 218.84. Hugo Sada, « Le budget de la coopération en baisse », Défense nationale, Paris, janvier 1997, p. 183.85. Question écrite de M. Xavier de Villepin, op. cit. 86. Le Monde, 20-21 novembre 1988.87. Rapport d'activité /996 du Ministère de la Coopération, Paris, 1997, p. 149. 88. Question écrite de M. Xavier de Villepin, op. cit.89. Entretien avec 1e général Michel Rigot, Paris, 26 juin 1997.90. Général de division de Linage, « Collège interarmées de défense. Un creuset pour demain », Armées d'aujourd'hui, n°203, Paris,septembre 1995.91. Général Henri Salaun, « Nos forces de frappe à l'extérieur », Science et vie n° 157, hors série, Paris, décembre 1986, p. 142.92. Pierre Dabezies, « Armée (pouvoir et société) », Supplément, tome 1, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1996, p. 280.93. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, p. 70.94. Cf. exercice franco-sénégalais « Ndiambour VII » (1995) et exercice franco-ivoirien « Elephant 97 » (1997).95. Entretien avec 1e général Keita, chef d'état-major général des forces armées sénégalaises, Armées d'aujourd'hui, Paris, mai 1995.96. Pierre-Yves Le Bail, « Le point sur les 'Y'. Le Ministre de la Défense à l'EMIA de Creil », Armées d'aujourd'hui, Paris, février 1995.97. Jean-Claude Marut, « Solution militaire en Casamance », Politique africaine, juin 1995, p.165.98. Jane's Military Exercice. Training Monitor, Londres, janvier-février 1997, p. L99. Discours du CEMA à bord du TCD « Ouragan » à l'occasion de l'exercice Nangbeto, Togo, 20 mars 1997.100. Mireille Duteil, « Ce que pèse encore la France en Afrique », Le Point, n'1263, Paris, 30 novembre 1996.10L Philippe Leymarie, « La France s'accroche à son Afrique », Géopolitique du chaos, Manière de voir n33, Le Monde diplomatique,Paris, février 1997, p. 47.102. Le Monde, 20 et 30 juillet, 9 octobre 1997; Libération, 24 juillet 1997.103. En 1990, dès le début de la démocratisation sur 1e continent, Paris avait refusé au président ivoirien Félix Houphoüet-Boigny,l'intervention de ses forces pour faire face aux troubles intérieurs (Libération, 1 décembre 1995).

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104. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997.105. Jean-Paul Pigasse, « Le message de Charles Millon à l'Afrique », Jeune Afrique, n° 1860, Paris, 28 août-3 septembre 1996, p. 9.106. Hugo Sada, « Réexamen de la politique militaire française en Afrique? », Défense nationale, Paris, juin 1997, pp. 184-185.107. Général Michel Rigot, « Priorités... », op. cit. 49

108. Lucchini (Li. Col.), op. cit., p. 28.109. Jean Chesneau, « Armées d'Afrique subsaharienne », Armées d'aujourd'hui n°202, Paris, juillet-août 1995, p.33.110. Général Michel Rigot, « Priorités... », op. cit. 111. Idem.112. Ministère de la Défense, Rapport d'orientation sur la politique de défense, Paris, mars 1996, p. 5.113. Ministère de la Défense, Rapport d'orientation sur la politique de défense, Paris, mars 1996, p. 5.114. Lors de l'opération « Oryx » en Somalie (décembre 1992), la France a, entre autres, utilisé un détachement d'hélicoptères decombat (Sème Régiment de Pau) appartenant à la 4ème Division aéromobile de Nancy, une brigade logistique de la Force d'actionrapide (FAR) et un détachement de commandement et d'état-major provenant en partie de la FAR.115. La FAR s'est engagée en 1994 dans deux exercices en Côte-d'Ivoire et au Bénin, pour tester lacapacité d'intervention de sesdétachements placés en prépositionnement (cf. Armées d'aujourd'hui n°189, Paris, avril 1994, p. 8).116. Michel Roquejeoffre, « La force d'action rapide », Défense nationale, Paris, janvier 1994, p. 17.117. Les COS intègrent 1e 1er Régiment parachutiste d'infanterie de marine (RPIMa); une escadrille d'hélicoptères « opérationsspéciales » 5/67 « Alpilles »; 1e groupement des commandos marine Hubert, Jaubert, de Montfort, Trepel et de Penfentengo; 1ecommando parachutiste de l'air n°10, bâtiment de soutien de nageurs de combat « Poséidon » ,1' escadron de protection etd'intervention. 118. Cf. Armées d'aujourd'hui, n°182, Paris, juillet-août 1993, p. 37.119. Fabien Spillmann, « Le commandement des opérations spéciales (COS). Orienté vers l'action », Armées d'aujour'hui, n°215,Paris, novembre 1996, p. 22.120. Rapport d'activités /996 du Ministère de la Coopération, Paris, 1997, p. 146. 121. Landry Noutchang, op. cit., p. 3.122. Bernard de Froment, op. cit., p. 17.123. Patrice Bouveret, « La coopération militaire française », op. cit., p. 42. 124. Michel Voisin, op. cit., p. 44 ; Le Monde, 14 octobre1997.125. Philippe Leymarie, op. cit., p..47. 126. Le Monde, 7 novembre 1996.127. René Galy-Dejean, Avis n °/755 présenté au nom de la Commission de la Défense nationale et des forces armées surle projet de loi de finances rectificatrices pour /994, Assemblée nationale, Paris, 1 décembre 1994, p. 33.128. André Dulait, Avis n °89 présenté au nom de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forcesarmées sur le projet de loi de finances pour /997, adopté par l'Assemblée nationale, Tome /. Affaires étrangères, Sénat,Paris, 21 novembre 1996, pp. 49-50.Les acteurs de la coopération militaireEn France, toute la difficulté d'examiner la politique militaire vis-à-vis de l'Afrique et du domaine de la coopération réside dansl'enchevêtrement des acteurs et la complexité du processus de décision. Qui contrôle, qui exécute, qui conçoit et élabore lacoopération militaire? Quels sont les acteurs de façade et les vrais décideurs ? Y a-t-il harmonisation et relais efficients entre lesinstances administratives et les instances politiques ?En réalité, la gestion de la coopération militaire et 1e processus de définition des interventions militaires sur 1e continent restentcomplexes car répartis entre plusieurs ministères (ou Secrétariat d'Etat) comme Matignon, la Défense nationale, la Coopération, 1eQuai d'Orsay, 1e Secrétaire général de la Défense nationale (SGDN), avec un processus de centralisation décision nel qui passesouvent par l' Elysée, impliquant par ailleurs les secteurs du renseignement que sont la DST et la DGSE.Sous-jacents à ces structures étagées, nous voyons apparaître à la fois l'éclatement du processus de décision au sein desinstitutions selon les domaines concernés (coopération technique, interventions, prépositionnement, formation, missions spéciales,relations entre chefs d'Etats...), 1e fractionnement des compétences et les rivalités ou les concurrences inter-organisationnelles.Cette nébuleuse des lieux de décision et d'opération met en évidence, par moments, des luttes d'influence ne recoupant que trèspartiellement les traditionnelles rivalités politiques gauche-droite. L'héritage africain de la France transcende bel et bien lesdifférents partis.1. Du Ministère au Secrétariat d'Etat délégué à la Coopération Créé sur initiative de Jacques Foccart et inscrit par décret du 18 mai1961en lieu et place du Secrétariat d'Etat français aux relations avec les Etats de 51

la Communauté africaine (organisée par le général de Gaulle en 1958), 1e ministère de la Coopération a disposé depuis 1965 d'undépartement s'occupant de coopération militaire: la Mission militaire de coopération (MMC) qui gère une partie du budget de laCoopération.Ce rattachement tenait à deux raisons principales: « l'une est d'ordre his torique, liée à la décolonisation des territoires africains;l'autre se rattache au fait qu'il n'y a pas en Afrique subsaharienne de politique de développement et de coopération possible sanssécurité »'.Les quelque cinquante techniciens de la Mission militaire de coopération répartie en cinq bureaux' à la rue Monsieur, dont 1egénéral Michel Rigot3 (infanterie de marine d'origine) est 1e présent titulaire, sont impliqués à la fois dans la mise à dispositiond'experts français, l'accueil et la formation de stagiaires étrangers et la fourniture de matériel. Ces actions se situent dans un doublecadre: « celui de la coopération décidée au niveau gouvernemental et dont les orientations sont fixées après analyse de l'ensembledes paramètres politiques, économiques et sociaux des pays du champ » et, d'autre part, « celui des accords bilatéraux decoopération et d'assistance technique passés par la France avec chaque Etat du champ »4.Auparavant, seuls les pays d'Afrique (des Caraïbes et du Pacifique) signataires des Accords de Lomé étaient dépendants pourl'organisation et la mise en oeuvre de la Mission militaire de coopération; les autres Etats con cernés par la coopération militairefrançaise étaient du ressort du ministère des Affaires étrangères, au Quai d'Orsay. Au début des années 90, 1e champ du ministèrede la Coopération atteignait 37 Etats (pays africains non francophones exclus). Le 20 juin 1995, fut entérinée par décret l'extensiondu champ des compétences à 71 pays africains (les 70 Etats de l'ACP signataires de la Convention Lomé IV avec l'Unioneuropéenne, ajoutés à l'Afrique du Sud). Mais parmi ces 71 pays, le champ d'action de l'assistance militaire technique françaisen'était présent en 1996 que dans vingt-trois de ces Etats, dans 1e cadre strict d'accords de coopération.Si les différents ministres de la Coopérations mettent en oeuvre les plans techniques et financiers de la Mission militaire decoopération, le processus de décision et la définition politique de la coopération restent entre les mains de l'Elysée, du Quai

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d'Orsay et de la rue St Dominique. En réalité, 1e rôle de concepteur de la coopération n'est pas assuré par 1e Ministre de laCoopéra52tion qui, en matière militaire, est fortement marginalisé, mis sous tutelle, sous influence ou plus généralement complice desanalyses menées à la cellule africaine de l' Elysée. Pour Petiteville, 1e ministère de la Coopération « a connu peu de titulairesporteurs de grands projets politiques, ou même simplement crédités d'une certaine autonomie par rapport à la ligne fixée parl'Elysée en matière de politique étrangère »6.Et même si, à plusieurs reprises, certains chefs d'Etat africains réclamèrent, avec une certaine réussite, le maintien d'un ministèrede la Coopération autonome (face aux Affaires étrangères) que ce soit en 1974 (après avoir été supprimé) ou en 1986 (lors de lapremière cohabitation), cela ne pouvait dissimuler son caractère gestionnaire. La définition politique de la coopération militaire sedécidait ailleurs, à tel point que ces dernières années, 1e ministère de la Coopération engagea, via une série d'études et derapports de fond réalisés par des universitaires et experts indépendants, une politique d' auto-flagellation destinée à « accréditerl'idée que la responsabilité du mal se situe ailleurs »7.Deux fois, il fut transformé en ministère délégué auprès des Affaires étrangères : en 1981 sous un gouvernement socialiste puis en1986. Chaque fois, l'Elysée fit en sorte que la Coopération conserve toutes ses compétences et ses moyens autonomes. Après unelutte d'influence, la mise en évidence d'idées réformatrices en la matière et l'imposition par Matignon de personnalités provenant ducorps des modernistes, une réforme eut lieu en 1995 (décret n °95-751 du 1er juin relatif aux attributions du ministère des Affairesétrangères) ; elle impliquait la perte d'autorité politique du ministère de la Coopération dans les décisions de politique africaine «sauf en ce qui concerne l'aide au développement »8 et donc 1e rattachement du ministère de la Coopération au Quai d'Orsay entant que ministère délégué.Néanmoins, cette réforme n'avait pas d'assise suffisamment solide et de soutien élyséen. Le président Chirac et son lobby «foccardien » en phase avec 1e ministre délégué à la Coopération, Jacques Godfrain9, réussirent à empê cher la suppression par 1eQuai d'Orsay de la Direction de l'administration générale et d'une certaine autonomie budgétaire et en personnel.Si pour des raisons politiques et de personnification africaine, 1e président Chirac ne souhaitait pas que 1e ministère de laCoopération soit sous la coupe totale des Affaires étrangères - même du temps du gouvernement Juppé -, 53

la cohabitation politique instaurée avec le gouvernement Jospin en 1997 pourrait réduire cette autonomie. Déjà, la première mesuredu Premier ministre socialiste a été de transformer 1e ministre délégué de la Coopération en un simple secrétariat d'Etat chargé dela Coopération (Charles Josselin, socialiste rocardien), auprès du ministère des Affaires étrangères.On observe ainsi un processus de rétraction du dispositif de décision en matière de coopération où 1e lieu de débat, deconfrontation et de définition impliquera un jeu d'influences entre l'Elysée et 1e Quai d'Orsay, avec, selon les situations et lesdossiers, d'autres partenaires comme la Défense nationale et Matignon.2. Le ministère des Affaires étrangèresLa coopération militaire menée longtemps par le Quai d'Orsay ne s'adressait pas aux pays relevant du champ d'action du ministèrede la Coopération (cf. plus haut). Aussi, les « actions de la coopération militaire conduites par le Ministère des Affaires étrangèresen liaison avec le Ministère de la Défense concernent quelque 80 pays ne relevant pas du "champ" de compétence de la Missionmilitaire de coopération »10.Mais l'intégration de la politique de coopération dans la politique étrangère qui eut pour conséquence l'ouverture du «champ» auxpays signataires des Accords de Lomé auxquels s'est jointe l'Afrique du Sud, représenta « plus un enjeu de politique extérieure quede coopération, a fortiori de coopération militaire »".Malgré la volonté d'Alain Juppé, exprimée dans une lettre de mission adressée au Ministre de la coopération, de « renforcer l'unité,la cohérence et la transparence des différents outils de la coopération (... ) et mieux insérer la politique du développement dans lapolitique extérieure de la France », longtemps 1e Quai d'Orsay subit les réticences autonomistes de la rue Monsieur, soutenues parl'Elysée et les réseaux franco-africains.La volonté pour le Quai de rétablir une certaine primauté face aux ministères rivaux (Coopération, Finances, Défense nationale) enmatière de définition de la coopération, la tentative de sortir, en pleine cohabitation, 1e dos sier de l'opération Turquoise (Rwanda)du domaine réservé de l'Elysée et l'extrême prudence des Affaires étrangères à propos des interventions mili54taires en Afrique, indiquent à suffisance la frustration des diplomates d'avoir été écartés12 du processus de décision. Malaised'autant plus consistant que 1e Quai reste seul compétent pour la gestion des relations diplomatiques et consulaires avec les paysd'Afrique, via sa Direction des Affaires politiques africaines et malgaches.L'intégration, sous 1e nouveau gouvernement Jospin, de la Coopération (réduit à un secrétariat d' Etat) dans les Affaires étrangèresconduites par Hubert Vedrine répond en partie à ces rivalités et lacunes. Le processus d'harmonisation de la politique africaine dela France, particulièrement dans son volet militaire, est donc engagé, pondéré par la difficulté de la cohabitation, dès le moment oùla politique française à propos du continent prend encore sa source à l'Elysée. Avec cette suprême complexité, que 1e responsablede la diplomatie est un mitterrandien et donc en théorie un proche de la personnification à l'africaine, phénomène responsable decertains maux qui caractérisent en partie la coopération France-Afrique. Nonobstant, Antoine Glaser" y voit plutôt un esprit prochede Xavier de Villepin à propos d'une politique africaine qu'il ne connaîtrait que de sa marge marocaine ; ce qui tendrait à accréditerplutôt l'idée d'une volonté de banaliser les relations France-Afrique. Banalisation canalisée néanmoins par la présence commeconseiller de Georges Serre, ancien conseiller économique de la cellule africaine de l'Elysée entre 1992 et 1994.3. Le ministère de la DéfenseEn matière de politique africaine, 1e ministère de la Défense nationale délègue du personnel au sein de la cellule Mission militairede Coopération, hier intégrée au ministère de la Coopération (aujourd'hui secrétariat d'Etat). L'assistance militaire technique resteune prérogative de ce dernier département.Néanmoins, 1e ministère de la Défense est responsable, financièrement et administrativement, des différents accords de défenseconclus avec certains pays africains, des troupes prépositionnées sur 1e continent (cf. l ère partie) et des éventuelles interventionsmenées en Afrique.Le ministère de la Défense est chargé de la responsabilité des moyens militaires (gestion des forces, administration des armées,élaboration des plans 55

stratégiques et exécution des missions) et de l'exécution de la politique militaire sous l'autorité du Premier ministre. Dans la réalité, la rueSt Dominique n'a pas la maîtrise directe de la coopération militaire de la MMC en Afrique. Aujourd'hui, 1e conseiller diplomatique dunouveau ministre socialiste Alain Richard est Dominique de Combles de Nayves, ex-directeur de cabinet des ministres de la CoopérationEdwige Alice (1990-1992) et Marcel Debarge (1992)r4.

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Au niveau supérieur, 1e Comité stratégique (instance consultative créé par 1e Ministre de la défense en juillet 1995 pour orienter etcoordonner la modernisation de l'outil de défense) a certainement engagé quelques réflexions sur l'avenir des prépositionnementsextérieurs et des accords de défense.Le centre opérationnel interarmées (COIA), quant à lui, installé dans les sous-sols du ministère de la Défense, sert de centre nerveux pourtoutes opérations extérieures menées par les états-majors français. Le COIA est équipé et organisé pour permettre au chef d'état-majordes armées de diriger et conduire les engagements. Quant à la fonction planification, elle est assurée depuis Creil, par l'état-majorinterarmées de planification opérationnelle (EMIA) qui reçoit les directives du chef d'état-major des armées et qui a déjà organisé plusieursplans d'opérations dont celui de Turquoise au Rwanda.Selon les crises et les opérations d'intervention, 1e chef d'état-major de l'EMIA puise dans 1e réservoir de compétences des officiersregroupés non par armes mais par domaine de savoir-faire ou d'expertise (emploi des forces, soutien, télécommunications...) afin deconstituer des groupes de tâches interarmées en fonction de ces missions souvent inopinées". D'une manière générale, la filière « troupesde marine » qui exprime la politique traditionnelle de la France en Afrique se trouve localisée à la fois dans les instances du ministère de laDéfense, sur le terrain mais surtout à l'Élysée.4. L'ÉlyséeLa politique africaine de la France ne peut être examinée sans tenir compte du poids prépondérant des différents présidents de laRépublique en tant que chefs des Armées. Véritable chasse gardée et domaine réservé pour l'Élysée - même si cette notion n'a aucunelégitimité en droit français -, le dossier africain autrefois géré par 1e Secrétariat général pour les affaires afri56caines et malgaches l'est aujourd'hui par la cellule africaine, souvent occupée par des ambassadeurs africanistes, parfois informellementdédoublée par différents experts formant des réseaux « France-Afrique ».La centralisation élyséenne de la politique africaine est une constante liée à l'histoire française sur 1e continent et aux différents avatarspost-coloniaux. « L'Élysée pèse notamment de tout son poids dans la gestion de la coopération franco-africaine, pour ce qui toucheaux accords de défense et aux relations diplomatiques, en particulier dans toutes les situations de crise: interventions militairesfrançaises sur le continent africain, suspension de la coopération... »'e. A tel point que, lorsqu'il a fallu décider d'une riposte militaireproportionnée suite à l'assassinat de deux militaires français à Bangui en novembre 1996, c'est l'Élysée qui donna les directives et le feuvert final17.Assurément, l'Élysée continue à fixer les grandes orientations de la politique étrangère tout en détenant un rôle moteur- c'est souventl'Élysée qui envoie 1e ministre des Affaires étrangères en visite lors des crises-avec quelques inflexions et relations plus râpeuses lors descohabitations.Quant à la politique française d'intervention en Afrique, elle a été « hautement personnalisée autour de la présidence de la République,incarnation moderne pour certains de ce qu'était au XVIIIème siècle le secret du roi qui se substituait souvent à la politique officielle duministère des Affaires étrangères »'8, sans pour autant se substituer réellement au Quai d'Orsay comme pôle de synthèse".Par tradition de la V ème République, 1e dossier Afrique et donc la gestion du « pré carré » est sous contrôle politique de l'Élysée, quigère en grande partie 1e dispositif de la coopération.La spécificité de la lecture africaine faite à l'Élysée et la politique exprimée par 1e Président de la République tiennent aussi parfois àl'influence importante du Secrétaire général et à sa connaissance des dossiers africains"; elle tient davantage à celle des officiers de l'état-major particulier du Président" qui informent et préparent les décisions, mais souvent à celle des personnalités engagées dans la puis lesdeux cellules africaines22, impliquant indirectement ou plus directement les fameux « réseaux ».Ceux-ci fonctionnent comme des systèmes « politico-clientélistes » franco-africains. Leur origine remonte à la période de décolonisation ;ils furent mis en oeuvre à l'époque par Jacques Foccart23. Les réseaux privilégiaient les 57

relations personnelles par rapport aux procédures bureaucratiques, pour aboutir à une « gestion filiale de la politique africainerenforçant le sentiment qu'en France, aussi, le pouvoir est une affaire de famille »z4. Les réseaux (foccardiens, mitterrandiens"...),ont existé dans, autour et aux alentours de l' Élysée, court-circuitant souvent les Affaires étrangères, soutenant la politique gaulliste,perturbant parfois la politique élyséenne elle-même (par l'existence du réseau Pasqua) ou la dédoublant (par la création au 14 ruede l'Élysée d'une cellule franco-africaine bis, foccardienne, plus personnalisée au profit de la présidence chiraquienne).Ainsi, la cellule africaine de l'Élysée, bien que jugée inefficace du point de vue bureaucratique, a entretenu en partie les réseaux quiavaient pour mission de devenir des relais dans les relations entre chefs d'États africains et l'Élysée, dans les milieux économiquesfrançais impliqués en Afrique et dans 1e cadre d'intérêts politiques et électoralistes.Ces liens particuliers ont permis de démultiplier 1e poids de la France en Afrique. Mais on a perçu rapidement la perversité d'unsystème où les relations ne se situent plus entre Etats mais entre les membres de deux classes di rigeantes26. Diplomatie hyper-personnalisée et clientélisme, familialisme et « patrimonialisme »z7, « filialisme » impliquant des relations entre fils et filles de chefsd'État français et africains, ne peuvent finalement aboutir qu'à une « confusion entre l'action para-diplomatique et les affairesprivées »28, une confusion entre la lutte du pouvoir et la lutte pour les richesses29, d'une « di plomatie où s'entrechoquentcurieusement secret et cacophonie »30. Pire, les réseaux ont pu intervenir pour forcer parfois les politiques à muscler leurdiplomatie au point d'engager certaines interventions ou implications françaises ou en définitive agir au profit de chefs d'Étatafricains31.On déplorait déjà la confusion des politiques, l'absence d'harmonie et les incohérences diplomatico-militaires dues aux multiplessources de décision, strates successives des clans et réseaux gaullistes (pris en charge ensuite par des éléments giscardiens etmitterrandiens"). S'est ajoutée à ce tableau « une familiarité douteuse entre chefs d'État et leurs proches, confondant la sta bilitésouhaitable des institutions avec le maintien, par la force, de rentes et privilèges prélevés sur des pays malmenés »ss.Aujourd'hui, après que 1e Secrétaire général de l'Élysée, Dominique de Villepin, sous 1e gouvernement Juppé, ait refusé de voirencore les réseaux 58retrouver un rôle majeur34 pour mettre en avant des conseillers proches du Quai, il est probable que l'influence des réseaux engénéral35 et la marge de manœuvre du président Chirac en matière de politique africaine en particu lier iront en diminuant. Larévolution géopolitique en cours en Afrique tout comme le résultat des élections de mai 1997 ont affaibli considérablement laprésidence sur la scène internationale et probablement en Afrique, là où la personnification des relations est une valeur essentielle.Il est probable que l'Élysée pourrait éventuellement freiner certaines réformes décidées par 1e gouvernement Jospin sans que celan'aboutisse à de fortes tensions, d'autant que la politique africaine n'est pas un domaine prioritaire pour les hôtes de Matignon etque 1e parti socialiste dispose également de certains relais personnalisés36 rocardiens en Afrique à ne pas trop déstabiliser. Yaura-t-il une nouvelle influence d'un réseau -certes plus lâche et certainement moins dense que les réseaux gaullistes - autour del'esprit rocardien, à certains postes (Alain Richard comme ministre de la Défense, Jean-Maurice Ripert comme conseiller àMatignon, Charles Josselin comme secrétaire d' Etat à la Coopération et Michel Dubois comme « Monsieur Afrique ») des disciplesde l' ancien Premier ministre socialiste ? Ce n'est sans doute pas par hasard que Mi chel Rocard a succédé à Bernard Kouchner à

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la présidence de la Commission Développement du Parlement européen et que Claude Marti, rocardien, tente de « vendre » 1eprésident togolais Eyadema.Nous pouvons nous interroger, sachant que des chefs d' Etat africains ont plaidé - tradition bien établie lors d'élections - auprès deLionel Jospin pour que Michel Rocard soit nommé ministre des Affaires étrangères et de la Coopération.5. Les autres départementsEn matière de coopération et surtout d'interventions militaires, 1e Premier ministre dispose d'un certain droit de regard, dans lamesure où les décisions en matière de direction générale de la défense sont arrêtées en Conseil de défense, auquel participent,outre 1e Président de la République, plusieurs ministères concernés.Qui plus est, désigné comme « responsable de la défense nationale » parla Constitution (art. 21) et par l'ordonnance du 7 janvier 1959, 1e Premier mi59

nistre assure la mise en oeuvre par 1e Gouvernement des décisions des conseils ou comités de défense. Le Premier ministre peutaussi choisir des conseillers en matière de politique africaine, comme le fit Jacques Chirac en 1986 en choisissant Jacques Foccartcomme conseiller pour l'Outre-mer. Selon les périodes et la personnalité des Premiers ministres, Matignon peut jouer un rôleimportant en politique étrangère, parfois au détriment du Quai d'Orsay, comme ce fut 1e cas lorsque Alain Juppé était Premierministre et qu'il plaça ses anciens collaborateurs à l'Elysée et aux Affaires étrangères. Le nouveau Premier ministre Jospin n'étantpas spécialiste de l'Afrique, il ne devrait pas être tributaire d'amitiés encombrantes ou de promesses solennelles à tenir37.Parallèlement, le Premier ministre est assisté dans ses attributions de défense globale par 1e Secrétariat général de la défensenationale (SGDN), qui exerce, auprès du Premier ministre et du Président de la République, des fonctions de réflexion, deproposition de coordination, assure la préparation et le suivi des décisions prises par 1e Conseil de défense et assiste le Premierministre dans l'exercice de ses responsabilités en matière de direction générale de la défense. Plus précisément, les affairesafricaines sont traitées au sein du département des Affaires internationales et stratégiques.Depuis 1996, 1e SGDN préside 1e Comité de pilotage de la coopération militaire, composé de représentants du ministère desAffaires étrangères, de la Défense nationale et de la Coopération à propos de l'évaluation de la co opération militaire. Sans pouvoirde décision politique, 1e SGDN fait office, depuis la réforme de 1996, de coordinateur et de médiateur interministériel, afin depermettre les arbitrages (au Comité de pilotage et même au Comité stratégique de la défense nationale), tout en jouant un rôle de «veille » et de prospective.Reste 1e ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (Direction du trésor et Direction des relations économiquesextérieures) qui, de Bercy, gère près des deux tiers de l'aide publique au développement et qui joue un rôle important en matière definancement de la coopération militaire et dans certaines opérations particulières comme la campagne visant à ré duire les effectifsde l'armée tchadienne.Quant au ministère de l'Intérieur, il n'est pas directement impliqué dans la coopération militaire sauf dans la mesure où elle rejoint,par l'aide en matière de coopération policière franco-africaine, via le Service de coopération 60technique international de police (SCTIP), les objectifs nouveaux de la coopération militaire : aider à la stabilité des institutions,promouvoir la sécurité interne.Sous 1e ministère Pasqua, on utilisa le SCTIP comme organisme de vente de matériels en lui ouvrant les crédits du Fonds d'aide etde coopération (FAC). Il était courant, alors, d'envoyer en mission des équipes de quatre ou cinq policiers pour monter de toutespièces les services de sécurité de certains chefs d'Etats africains. Ces hommes pouvaient également rédiger des rap ports sur lasituation politique et économique du pays pour alimenter la réflexion des réseaux, sans passer par les ambassades (et donc encontournant 1e Quai d'Orsay38). Ce temps semble révolu.L Lucchini (Lt. Col.), op. cit., p. 22.2. Bureau d'études et de coordination, bureau des personnels, bureau des stages, bureau de la logistique, bureau de finances.3. Ancien responsable Afrique au ministère de la Défense du temps de François Léotard. 4. Michel Voisin, op. cit., pp. 41-42.5. Jean Foyer, Raymond Triboulet, Jean Charbonnel et Yvon Bourges (sous de Gaulle); Yvon Bourges et Jean-François Deniau (sousPompidou); Pierre Abelin, Jean-Noël Lipowski et Robert Galley (sous Giscard d'Estaing); Jean Pierre Cot, Christian Nucci, MichelAurillac, Jacques Pelletier, Edwige Awice, Marcel Debarge, Michel Roussin et Bernard Debré, (sous Mitterrand); Jacques Godfrain,Charles Josselin (sous Chirac).6. Franck Petiteville, op. cit., p. 584. 7. Ibid., p. 597.8. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux...», op. cit., p. 103.9. Jacques Godfrain, qui fut membre du Service d'action civique, est 1e filleul de Jacques Foccart (cf. Agir ici-Survie, Dossiers noirsde la politique africaine de la France n6. Jacques Chirac et la Françafrique. Retour à la case Foccart ?, L'Harmattan, Paris,1995, p. 102.)10. André Dulait, op. cit., p. 47.11. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux... », op. cit., p. 106. 12. Dominique Moïsi, op. cit., p. 177.13. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997.14. La Lettre du continent, n°284, Paris, 19 juin 1997, p. L15. Robert Carmona, « L'état-major interarmées de planification opérationnelle », Défense nationale, mars 1995.16. Franck Petiteville, op. cit., p. 589. 17. Le Monde, 7 janvier 1997.18. Dominique Moisi, op. cit., p. 176.19. Samy Cohen, « En miettes? Fictions et fonction du discours sur "l'éclatement" de la politique extérieure », Politique étrangère,IFRI, Paris, 1er trimestre 1986, p. 143.61

20. Le poste de Secrétaire général de l' Elysée est également occupé par un familier des dossiers africains : Dominique de Villepin,ancien directeur des affaires africaines et malgaches de 1980 à 1984 au Quai d'Orsay.21. Le général Huchon et l'amiral Lanxade, officiers de l'état-major particulier de François Mitterrand ont ainsi fortement marqué etinfluencé la politique africaine du Président de la République. 22. Aujourd'hui, la cellule officielle de l'Elysée (au n°2) est occupée entreautres par Michel Dupuch tandis que la cellule plus officieuse (au n°14) accueille actuellement Fernand Wibaux et Maurice Gourdault-Montagne (cf. La lettre du continent, n°284, 19 juin 1997, p. 2).23. A propos de Foccart et des réseaux gaullistes en Afrique, lire Pierre Pean, L'homme de l'ombre, Fayard, 1990; Philippe Gaillard(Entretiens avec), Foccart parle, Fayard/Jeune Afrique, Paris, 2 tomes, 1995-1997; Stephen Smith et Antoine Glaser, Ces messieursAfrique. Le Paris-Village du continent noir, Calmann-Lévy, Paris, 1992; Claude Wauthier, Quatre présidents et l'Afrique, Seuil,Paris, 1995.

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24. Anne-Sophie Boisgallais, « Les dérives de la coopération militaire de la France en Afrique », Rapport /995 de l'Observatoirepermanent de la Coopération française, Desclée de Brouwer, Paris, 1995, p. 16.25. Dossiers noirs de la politique africaine de la France n°6, op. cit., p. 10; Cf. également Jean-François Bayart, La politiqueafricaine de François Mitterrand, Karthala, Paris, 1985; François Mitterrand, Réflexions sur la politique extérieure de la France,Fayard, 1986; Gabriel Robin, La diplomatie de Mitterrand ou le triomphe des apparences, éd. de la Bièvre, Loges-en-Jossas,1985; Claude Wauthier, op. cit.26. Jean-François Médard, « Coalition pour ramener à la raison démocratique la politique africaine de la France », Actes de la miseen examen de la politique africaine de la France, Biarritz, 89 novembre 1994, p. 7; cité par Philippe Marchesin, op. cit., p. 23.27. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °/ à 5, op. cit., p. 68. 28. Jean-François Bayart, Interview, LeMonde, 29 avril 1997.29. Olivier Lanotte, op. cit., p. 9.30. « Triple faillite française », Editorial, Le Monde, 19 mars 1997.31. Entretien avec 1e professeur Jean-François Bayait, Paris, 22 mai 1997. 32. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997.33. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n°I à 5, op. cit., p. 52. 34. André Passeron, « Jacques Foccart,les parfums de l'ombre », Le Monde, 20 mars 1997. 35. Jacques Foccart, qui a travaillé pour de Gaulle, Pompidou et Chirac, enorganisant aussi leur campagne électorale en Afrique, est mort le 19 mars 1997 à l'âge de 83 ans mais les réseaux gaullistespourraient subsister via Fernand Wibaux qui est installé à l' Elysée au sein d'une cellule africaine bis. 36. La lettre du continent,n°283, Paris, 5 juin 1997.37. Géraldine Faes, « Sale temps pour les dinosaures », L'autre Afrique n°3, Paris, 4-10 juin 1997, p. 21.38. Les Dossiers du Canard, n°51, Paris, avril 1994, p. 35.

Pistes de réflexion critique

1. Luttes d'influence et processus de décisionComme l'examen succinct des organes de décision l'a montré, la politique africaine de la France et la définition de la coopération militairesont avant tout une question de rapport de forces entre corps : tout dépend « des équilibres qui s'instaurent entre les personnes encharge de ce dossier, au sein de chacune des institutions »'.Le phénomène 1e plus perceptible est l'absence quasi constante de cohérence et de rationalité en matière de politique de coopération, lapluralité des centres de décision étant une source de dysfonctionnements. Coexistent dès lors deux particularismes: 1' extrême dilutiondans la mise en oeuvre de la politique africaine par les différents acteurs et la forte concentration de la décision vu 1e poids élyséen. Pourd'aucuns, l'absence de clarté de la politique africaine de la France tient moins à sa complexité « qu'à la confusion des buts et àl'absence de projets qui la sous-tendent »2.Reste que cet éclatement, d'autant plus prononcé lorsque la France politique traverse une phase de cohabitation, préserve finalement uneassez grande autonomie du décideur élyséen, 1e Président semblant conserver 1e contrôle final en matière de décision. Ceci n'empêchepas nécessairement les contradictions. Ainsi, en décembre 1996, 1e président Chirac a insisté (dans 1e cadre du Sommet franco-africainde Ouagadougou) sur la nécessité de déployer une force internationale dans la région des Grands Lacs, alors que 1e ministre de laCoopération du moment, Jacques Godfrain, estimait qu'il n'était pas question d'y aller.Parallèlement, les réseaux sont souvent entrés en contradiction avec la politique étrangère de la France parce que l'exécutif semble avoirété dépassé par les groupes d'intérêts « qu'il a utilisés, tolérés ou laissé prospérer »3. Cet activisme des politiques parallèles aboutit àce que les réseaux soient accusés 63

d'être impliqués dans des questions relatives à des activités occultes, trafics et criminalisation de la politique où certains officierspouvaient parfois être bénéficiaires ou intermédiaires.L'existence de plusieurs diplomaties, l'envoi d'émissaires spéciaux de l'Elysée, la « multiplication concurrentielle des approches,des démarches officielles, officieuses ou clandestines »4, bref, le jeu des réseaux facilitait finalement « les capacités de négociationdes Etats africains, ceux-ci changeant d'interlocuteur lorsqu'ils n'obtenaient pas ce qu'ils voulaient »5.Ils purent même obtenir ladémission d'un ministre6.Pour Samy Cohen, il n'y a pas nécessairement d'anarchie en matière de politique africaine et d'émiettement en ce qui concerne 1epouvoir de décision, mais une coordination dont « la localisation n'est pas toujours aisée à déterminer car elle ne s'effectue pas enun lieu unique mais à des échelons de responsabilités différents »7. En effet, contacts informels, réunions de hauts fonctionnairesavant arbitrage, discussion entre Matignon et l'Elysée à l'occasion d'interventions militaires extérieures ou contacts horizontauxentre services (avec leur cortège de jalousies bureaucratiques et de susceptibilités territoriales) caractérisent les débats et ladéfinition de la politique africaine de la France.Bien que les réseaux gaullistes soient moins actifs aujourd'hui', semblant s'effilocher en partie sans qu'apparaisse encore devéritable politique africaine, le polycentrisme des procédures et l'éparpillement des acteurs restent bien vivaces. Par ailleurs,l'Assemblée nationale et le Sénat semblent en grande partie hors jeu en matière de définition d'une politique africaine, sinon par lebiais du vote du budget de la Coopération ou des Affaires étrangères, d'interpellations parlementaires et, éventuellement, lors dedébats relatifs à telle ou telle intervention militaire.Ces incohérences s'ajoutent à un certain échec de la vision française du continent, ruinent aujourd'hui en partie le crédit de laFrance en Afrique, alors que Paris reste le premier fournisseur d'aide en développement. Pour 1e nouveau Secrétaire d'Etat à laCoopération, « l'existence de réseaux parallèles aux réseaux officiels en matière de sécurité, auprès de nombreuses présidencesafricaines, nuit à la lisibilité de l'action de la France en matière d'établissement ou de renforcement de l'Etat de droit »9.64De toute évidence, la définition d'une nouvelle politique de coopération militaire dont nous examinerons plus loin lesdysfonctionnements imposera une réforme en matière de fonctionnement, la réduction de l'influence, un contrôle étroit ou la misehors-jeu des réseaux, la clarification des objectifs politiques de la coopération militaire, une simplification du processus de décisionet une centralisation de la dimension militaire de la coopération.2. Formation des armées africaines: attitudes et comportements Quels ont été le comportement et l'attitude des militaires africainsformés au sein des écoles de formation en France ou en Afrique, dans le cadre des missions de coopération technique ? Cesformations se sont-elles traduites par une véritable capacité opérationnelle ? L'esprit républicain qui est censé animer les forcesarmées françaises a-t-il été transmis au sein des forces armées africaines impliquées dans le champ de la coopération française ?Le comportement des forces armées africaines en général correspond-il à celui des armées françaises en métropole ?

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Globalement, le reproche le plus communément admis est que les militaires africains ont été longtemps formés dans un contexted'affrontement Est-Ouest, en grande partie inopérant dans l'environnement africain, tout en étant issu de la tradition et des modèlesmilitaires français. Les armées africaines, sous influence étrangère, ont ainsi une perception de la sécurité « importée ».Par ailleurs, plusieurs éléments négatifs ont été soulignés à propos de l'attitude de certaines unités militaires françaises en missionde coopération ou en mission d'intervention en Afrique, sans que les faits incriminés aient pu être reconnus officiellementaujourd'hui. Citons :l' organisation, après le génocide au Rwanda, d'une formation militaire donnée par des cadres français dansune base militaire en Centrafrique à des militaires et miliciens hutus extrémistes rwandais et burundais ;l' envoi d'attachés militairesfrançais depuis Paris et Kinshasa jusqu' à Goma et Bukavu' °et, selon la Fédération internationale des droits de l'homme, lesinterrogatoires organisés par les Français de prisonniers rwandais du FPR ; l'implication possible de militaires français dans destrafics de stupéfiants (Tchad, Djibouti) ou de diamants (Ré65

publique centrafricaine) selon 1e rapport Bayart sur la criminalisation de la politique en Afrique.Le principal problème tient au peu d'influence des formations dispensées par la France depuis plusieurs décennies sur 1ecomportement général des forces armées en Afrique. Une des raisons est à rechercher dans le contenu des formations dispenséesoù n'ont pas été intégrées les notions de défense et de culture des droits de l'homme' ` au sein des forces armées : le contextegéopolitique, les intérêts supérieurs, la mentalité militaire, les réticences de la hiérarchie et les besoins définis par les autoritésautochtones ne prédisposaient pas à insister sur ces domaines.Mais les vrais éléments explicatifs sont davantage internes au continent, aux structures sociales et ethniques, aux difficultéséconomiques et à la personnification des chefs d'Etats locaux. En Afrique, « les armées sontplurielles dans leur origine, leurscultures, leurs moyens et leurs relations avec le pouvoir »r2.En Afrique subsaharienne, les armées sont souvent sous contrôle d'une élite politique qui bénéficie du contrôle absolu des organesde répression (brigade présidentielle, police secrète, unités d'élite de l'armée, organisations paramilitaires, milices ethniques). End'autres mots, « les forces armées sont détournées de leur mission de défense extérieure et intérieure au profit de missions desécurité de la minorité dirigeante »`3.Dans de nombreux cas, les forces armées et leurs cadres proviennent de la région ou de l'ethnie d'où est originaire 1e chef del'Etat, formant ainsi une garde prétorienne. Exemples : 80% des membres de l'armée camerounaise proviennent de la région del'ethnie Kabye à laquelle appartient Biya ;1' ethnie Ngbandi du président Mobutu était bien représentée dans la Division spécialeprésidentielle, le président Patassé de Centrafrique a démantelé l'ancienne garde présidentielle composée en majorité d'hommesde l'ethnie Yakoma au profit d'une force organisée autour de militaires Saras de la même origine que lui1 4. Même si l'élémentethnique n'explique pas tout (il peut parfois servir de paravent à des causes socio-économiques et politiques), le système tribal estconsidéré par de nombreux dirigeants africains comme meilleur que 1e système des partis et plus apte à créer des liens forts. L'im -portance des attaches dites primordiales (liens de sang) joue d'autant plusfortement que les circuits économiques officiels sont en partie effondrés et 66qu'il y a insécurité générale. Dès lors, le recrutement mono-ethnique des gardes rapprochées en particulier et des forces armées engénéral devient le mode de fonctionnement 1e plus courant. Un phénomène pervers apparaît : à l'ins tar de certains chefs d'Etatafricains, les membres de ces forces ne disposent pas toujours d'une formation et d'une carrière liées à leurs compétences. Pire, vul'existence de recrutements définis selon l'appartenance ethnique, en cas de changements politiques internes, nous voyonsapparaître « des rapports antinomiques, générateurs de tensions, voire d'ambitions concurren tielles »15, pouvant se terminer pardes conflits armés internes et, au pire, par un génocide (Rwanda).Pour Claude Nigoul et Jacques Antoine Basso, nous pourrions « dire que le patriotisme y est plutôt ethnique que stato-national, etque l'ennemi héréditaire n'est pas aux frontières mais bien à l'intérieur de l'espace artificiel qu'elles dessinent »16 . L'appartenancefamiliale et villageoise et 1e clientélisme clanique limitent alors drastiquement l'accès des postes de responsabi lités aux non-membres.Parfois, afin de garantir la pérennité du pouvoir du chef d'Etat, certaines unités des forces armées sont remplacées - après avoir étéisolées, non rémunérées, en partie désarmées et leurs chefs militaires parfois supprimés, parce que suspects -dans ce rôle degarants du pouvoir par des forces concurrentes spéciales. Ce sont les gardes présidentielles, les milices de partis (avec pourmoteur, paravent ou prétexte les troubles ethniques), parfois les gendarmeries dont l'origine ethnique proche du Président estavérée (ex: groupe armé Zaghawa du président tchadien Idriss Déby ; milice d'auto-défense Songhay au Mali contre les rébellionsnomades touareg). Ce sont souvent « de véritables armées privées »"jusqu'aux mercenaires que les chefs d'Etat arrivent à recruteret qui n'ont pas d'ordre à recevoir de l'état-major des forces armées; d'autant que le chef de l'Etat est souvent 1e chef suprême desarmées' $, en cumulant même parfois cette charge avec celle de Ministre de la Défense (Eyadéma, Lansana Conté). 'Au Congo-Brazzaville, les 15.000 hommes des forces armées congolaises furent par moments marginalisés au profit des milices «zouloues » et « aubervilloises » de la mouvance présidentielle. Elles ne disposaient plus d'un budget et vivaient au rythme d'un seulrepas par jour19.67

Laissés à l'abandon, non rémunérés durant de longs mois sinon plusieurs années, des pans entiers d'unités régulières d'arméesafricaines finissent par se comporter en prédateurs dans leur propre pays. Ces actions s'accompagnent d'un cortège de pillages (lestroupes zaïroises qui ont pillé en automne 1991 avaient été encadrées habituellement par les officiers instructeurs français), demouvements délinquants et trafiquants, de tracasseries, exactions, rançonnements et de « coupeurs de routes », de désertions et deviolations des droits de l'homme. Troupes de va-nu-pieds, aux comportements exécrés et redoutés par les civils, ces éléments participentbel et bien, avec les gardes prétoriennes présidentielles, au phénomène de rupture entre l'armée et la société civile.Au vu du contexte socio-économique et psychologique en Afrique subsaharienne, certains observateurs vont jusqu'à constater que « laviolence "paie" pour toute une partie de la population »2°.Vivant aux dépens de la population parce que 1e pouvoir ne les rémunère pas régulièrement et correctement, certaines unités d'arméesrégulières froissent aussi par utiliser l'argumentaire alimentaire pour engager une confrontation armée directe avec 1e pouvoir (comme enCentrafrique en 1996-1997), alors que l'objectif premier est de répondre violemment à un rééquilibrage ethnique au sein de l'armée(mutineries de l'ethnie Yakoma). Le processus de coup d'Etat21 peut aussi s'opérer dans 1e cadre de revendications corporatistes (Togo,1963), pour obtenir une amélioration des conditions de vie (rébellion du Tanganika Rifle, 1964), pour mettre en avant les demandes desous-officiers (Sierra Leone, 1969), pour soutenir un mouvement populaire (Dahomey, Congo, Madagascar dans 1e passé22, au Mali en199123) ou finalement par manipulation de puissances extérieures24. Trente-sept coups d'Etat réussis eurent lieu entre les années 50 et90 dans les 17 anciennes colonies françaises, soit en moyenne 2,1 par pays.

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Dans d'autres situations, les militaires mal payés, rendus à la société civi le, changent de camp politique et utilisent leurs compétencesmilitaires pour déstabiliser les régimes (cf. Tchad)25. A côté, peut apparaître 1e comportement de soldats plus ou moins réguliers quis'estiment en droit de se payer, où ils veulent et quand ils 1e désirent, sur 1e dos des populations civiles (principe de la « dia » au Tchad),s' auto-récompensant d'avoir défendu le chef du clan vainqueur.15Parfois, les militaires soutiennent les opérations de pacification car elles permettent de recevoir des primes et donc finissent par être plusenclines à entretenir des phénomènes de sécession: 1' armée sénégalaise ne défend-elle pas l'unité nationale face à la Casamance,qu'elle considère comme « sa Bosnie »26 ?Il arrive aussi que des militaires africains, même dans un cadre multinational d'interposition, finissent par se payer en nature (les Nigériansdans 1e cadre de l'ECOMOG au Liberia) en planifiant en quelque sorte une économie de pillage.Si « les hommes de troupe et les sous-off ciers multiplient de fait leurs réactions brutales, comme un appel désespéré destiné àmontrer au grand jour la dégradation de leurs situations morale et matérielle »27, certains militaires des étages moyens et supérieursde la hiérarchie militaire peuvent jouer la carte de la corruption, des fraudes douanières, des trafics de pierres précieuses et de drogues etdes dérives affairistes28.Cette anarchie générale aboutit souvent au non-respect de la hiérarchie, de la discipline et de la loyauté au sens occidental du terme,suite à la mise en avant de considérations ethniques, de prestige et de moyens entre les différents corps composant les forces armées etde sécurité. Les conséquences militaires et opérationnelles sont alors visibles: absentéisme généralisé, détournements de biens, absencede combativité et désertions massives lors de conflits armés classiques, désorganisation, absence ou négligence en matière d'entretiensde matériel militaire (dès 1e départ des coopérants français). Aussi, beaucoup d'armements et d'équipements accumulés depuis les an -nées 60 ne sont plus opérationnels, faute d'entretien, dans un environnement agressif, dès que l'encadrement et les fournituresextérieures sont suspendus. Certaines unités formées par la France sont dissoutes lors de l'arrêt de la coopération, dans la mesure oùelles pourraient devenir dangereuses (car aguerries) pour 1e pouvoir en place (cf. la 31 ème Brigade parachutiste zaïroise).Dominique Bangoura estime que, en dehors des armées du nord et du sud du continent, « les armées africaines sont des armées deparade, incapables de mener une guerre d'envergure »29. L'existence de forces armées aux effectifs surdimensionnés accentue leurdésorganisation30. Même lorsqu'elles sont en partie démobilisées selon les critères du FMI et de la Banque mon69

diale, d'autres problèmes sociaux surgissent dans la mesure où la notion de reconversion reste très théorique sur 1e continent.Fortement affectées au maintien de l'ordre intérieur, souvent protectrices de régimes politiques critiquables dans un cadre où les discoursd'unité nationale restent des leurres, les forces armées en Afrique subsaharienne sont dans une situation très délicate. Ayant organisédurant plusieurs décennies la coopération militaire technique, étant intervenue de multiples fois sur 1e continent et disposant sur place debases de prépositionnement, la France est en partie responsable de certains dysfonctionnements militaires africains, même si 1e substratet les causalités restent majoritairement internes. Les gardes présidentielles de nombreux de chefs d'Etats africains, dont certains étaientdes dictateurs, ont été formées en partie grâce à l'expertise française.En renforçant aujourd'hui les forces paramilitaires et de sécurité intérieure dans 1e respect de l'Etat de droit, Paris pourrait alimenter etrenforcer les inégalités statutaires et d'équipements entre les unités militaires et paramilitaires, et entretenir ainsi d'autres concurrences etressentiments. En réalité, ce sont la définition de la coopération militaire technique française en Afrique et son rôle face au pouvoir enplace et aux comportements des militaires des pays hôtes qui doivent être réexaminés.3. Les bénéficiaires et les protégés de la coopérationLa coopération militaire française a aussi apporté une expertise, une formation, une connaissance particulière aux forces armées ducontinent.Au niveau des troupes et des cadres militaires, l'influence et l'apport français peuvent être importants. Ainsi au Togo, « c'est un Françaisqui dirige l'école militaire de Pya, qui recrute et forme, en majorité, des éléments issus de l'ethnie présidentielle Kabye »s'. Dès lorsque les unités militaires sont ethniquement en concordance avec les autorités politiques (cf. plus haut), la coopération militaire techniqueoffre automatiquement un soutien à des forces de défense et de sécurité mono-ethniques proches des chefs d'Etats et qui sont assezsouvent peu respectueuses de la défense des droits de l'homme, quand ce n'est pas 1e régime qui est lui-même militaire. Selon certainessources32, l'unité d'escadrons de la mort « Pigeons » au Togo fut formée en 1988 par une mission spéciale de la coopération militairefrançaise. Au Zaïre, 70la Division spéciale présidentielle (DSP) dirigée par le neveu du président Mobutu forte de 15.000 hommes, disposant d'armes offensiveset échappant de facto au chef d'état-major de l'armée et au Ministre de la Défense fut formée par la France (et Israël). En Guinéeéquatoriale, les militaires français auraient participé à la formation d'escadrons de la mort au sein des forces de sécurité du Président, 1egénéral Obiang". Au Rwanda34, la France avait engagé la formation de l'armature des FAR dans les camps de Gabiro et Mulanira.Au niveau des chefs d'Etat, ceux-ci ont souvent été formés en France dans 1e cadre d'écoles militaires (général Eyadema, Idriss Déby,Sassou N'Guesso) ce qui leur permit, une fois au pouvoir, via les contacts personnels entretenus avec l'Hexagone ou initiés par lesresponsables français, de bénéficier d'un soutien politique et militaire tout en utilisant « l'alliance française comme arme de dissuasionface à leurs voisins »35.Cette fidélisation, ces liens particuliers entre chefs d'Etat africains et français aboutirent à voir des officiers français - du cadre d'active oude réserve, ou des anciens responsables de la sécurité et du renseignement, en mission officielle ou parallèle - conseiller par périodes lesdirigeants africains en matière de sécurité : 1e colonel Jean-Claude Mantion de la DGSE au service du président Kolingba, enCentrafrique ; le général Jeannou Lacaze, dans le cadre de ses fonctions de chef d'état-major des armées (ou au-delà comme conseillerpolitique, consultant au relais des lobbies militaires français en Afrique) aux bénéfices des présidents zaïrois Mobutu, togolais Eyadéma,tchadien Déby ou même congolais Kabila ; 1e colonel Alain Le Caro, ancien chef de la sécurité rapprochée du président Mitterrand (SIGN)pour la protection du président Konan Bédié en Côte-d'Ivoire ; Paul Barril, ancien numéro deux de la cellule anti-terroriste de l' Elysée auprofit de Mobutu et d' Habyarimana au Rwanda ; 1e commissaire Louis-Aimé Blanc, ancien du SCTIP donne son expérience enCentrafrique ; Pierre-Yves Gilleron, ancien de la DST conseille 1e Président du Congo tandis qu'un colonel français fut détaché auprès duprésident Habyarimana au Rwanda.Ces liens peuvent aboutir à un soutien personnalisé en cas de troubles ou de crises. Ceci peut expliquer l'évacuation par les militairesfrançais, sur instruction élyséenne, de la famille du Président rwandais en 1994 parallèlement au transfert dans des pays amis (Gabon,République de Centrafrique et 71

Cameroun) de responsables du génocide rwandais. Ceci peut aussi faire comprendre l'existence de passe-droits présidentiels afinque certains fils de hauts dignitaires ou de chefs d'Etats africains soient admis à Saint-Cyr sans avoir le niveau requis36. La

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tendance à une privatisation des conseils auprès des chefs d'Etat devrait s'accentuer, parallèlement à la réduction de l'in fluencedes réseaux ou leur normalisation.Selon Franck Petiteville, de l'Institut d'Etudes politiques de Grenoble, « la coopération franco-africaine est essentiellement lisiblesous la forme d'un clientélisme international, traditionnellement géré de manière conservatoire et ritualisée »37. Cette fidélisation aété également justifiée un moment comme une « garantie de la stabilité de ces Etats, et plus généralement d'équi libres régionauxparticulièrement fragiles »sa. Elle peut même apparaître au niveau de la troupe, au sein de laquelle certains militaires français,considérant avec sympathie leurs anciens élèves, dont plusieurs trouvèrent la mort, vont jusqu' à les soutenir, les protéger ou lesvenger, quand bien même ils représentaient les bras armés d'une logique génocidaire. En plaçant par dessus tout la solidarité decaste avec des troupes locales que les forces françaises ont entraînées et équipées, la perception des hommes sur le terrain necorrespondait que très partiellement à celle du Quai d'Orsay. Certains militaires français furent à ce point agressifs durantTurquoise que 400 d'entre eux auraient été jugés trop combatifs et rapatriés début juillet 199439.Mais en raisonnant suivant « le prisme clientéliste »40, la France finit par donner l'impression que les Missions militaires decoopération, les forces prépositionnées et les interventions engagées peuvent, d'une certaine manière, cautionner les processus de« patrimonialisation »41 où l'Etat devient « un moyen d'accumulation privée à la fois de richesse et de pouvoir »42. Ce qui entraînela criminalisation du pouvoir 43, les déstabilisations internes, l' « haïtisation » des Etats et l'implication forcée, souventautomatique, parfois subie de la France dans l'engrenage violent, en tant qu'acteur direct, indirect, de soutien ou d'interposition.Les forces françaises sur le continent, par leur présence ou leur passivité, peuvent inéluctablement être perçues commeresponsables du maintien de méthodes peu démocratiques lors d'élections (Guinée, Cameroun, Côted'Ivoire, Tchad), en matière dedroits de l'homme (Tchad) ou comme entérinant des stratégies de tension élaborées par certains chefs d'Etat (Eyadema 72au Togo, Biya au Cameroun, Kolingba en Centrafrique, Bongo au Gabon, Gouled à Djibouti). Pire, elles peuvent finir par êtreconsidérées par l'opposition comme forces d'occupation ou forces au service du régime, ce qui peut en traîner incidents et meurtres,dont sont victimes des civils français expatriés. Elles deviennent alors des outils au service d'une politique que Paris souhaite laplus stable possible quels qu'en soient le prix ou les compromissions. Elles ne peuvent donc, quoi qu'il puisse être dit officiellement,« s'abstraire de toute considération de politique intérieure locale ou d'idéologie »44, surtout lorsqu'elles soutiennent la montée enpuissance d'effectifs militaires et milices locales (cf. Rwanda).Dans ce contexte, les accords de défense et de coopération militaire assurent aux chefs d'Etat plusieurs garanties en matière deprotection de leur régime en place, espèce d'assurance-vie. Pourtant, au fil des années, ces accords ont subi « quelques entorseset, du fait du pouvoir discrétionnaire que se réserve Paris pour les appliquer ou non, peuvent jouer en faveur ou en dé faveur" d'unrégime cosignataire »

46.Mais dans les faits, la présence militaire française permit souvent de maintenir le pouvoir en place ou d'infléchir le rapport de forcessur le terrain la marche triomphale d'Idriss Déby sur N'Djamena/Tchad en décembre 1990 fut discrètement appuyée par lesmilitaires français47 ; en septembre 1992, une aide logistique française permit aux forces de l'ordre présidentiel les de reprendrel'initiative face à une mutinerie d'une partie de l'armée comorienne ; en octobre 1990, les forces armées françaises envoyées àKigali avaient également pour tâche de contrer l'invasion du FPR, renforcer et en traîner l'armée, réaliser des opérations de police48 et régler les pièces d'artillerie face au Front patriotique rwandais ; en 1996 et 1997, les interventions militaires françaises enCentrafrique lors des mutineries claniques militaires permirent de maintenir un régime « certes élu, mais qui a fait preuve de sonmanque de crédibilité et de fiabilité »

49.En recherchant eux-mêmes des alliés sûrs en matière militaire et des Etats capables de financer des gardes présidentielles loyales,les chefs d'Etats africains utilisent aussi la manne financière et la présence militaire (et économique) française comme outils destabilité à leur profit.L'apport de la présence militaire française en matière économique peutalors devenir essentiel à l'équilibre du pays. Ainsi, à Djibouti, 41 % des res73

sources de l'Etat proviennent directement ou indirectement des forces françaises déployées sur place et de leurs familles Il. Le bénéficepeut aller jusqu'à l'introduction d'une aide financière exceptionnelle afin de payer les soldes de militaires africains en mutinerie(Centrafrique, 1996)51.A l'inverse, la France peut compter sur un apport militaire des pays du champ de la coopération en cas d'opération. Lors de l'opérationTurquoise, il y eut des unités du Congo, de Guinée-Bissau, de Mauritanie, du Niger, du Sénégal, du Tchad et de l'Egypte (avec le soutienterritorial zaïrois, qui mit à la disposition des forces françaises les installations de Goma, Kisangani et Bukavu, garantit probablementl'acheminement d'armes aux milices Interahamwe, Impuzamugbmi et ex-FAR et leur formation)` pour soutenir l'opération dont le mandatfut rédigé par Paris et accordé par l'ONU (résolution 929 du 22 juin 1994).L'aide africaine peut également concerner-hypothèse formulée par JeanFrançois Bayart53 - un soutien (ici de Kigali) à Paris, en jouant lesintermédiaires discrets de ventes d'armes françaises à l'Afrique du Sud, auparavant frappées d'embargo.Selon l'Observatoire permanent de la Coopération française, les accords de défense et la défense de certains régimes aboutissent parfois« à des contreparties commerciales, ou même à la pratique de la valise à billets, très courante en période électorale française »54

.

La recherche de la stabilité, quel qu'en soit le prix, ainsi que l'utilisation de la présence militaire française et des accords de coopérationmilitaire à la fois par Paris et les capitales des Etats du champ en fonction de leurs propres intérêts nationaux (stratégiques et deprotection de régimes), ont abouti à une lecture incomplète et biaisée de la politique militaire de la France en Afrique. Particulièrement surle continent, la coopération militaire Nord-Sud doit pouvoir reposer sur d'autres assises que celles à courte vue où sévissent les visionsgéopolitiques archaïques, les clientélismes politiques et affairistes et les ambiguïtés militaires.4. La question du mercenariat et des services de renseignements Dans l'histoire de la coopération militaire et des interventions militairesfrançaises en Afrique, nous pouvons constater la présence de deux vecteurs 74perturbateurs ou au service d'objectifs politiques et stratégiques fixés à Paris par un ou plusieurs centres décisionnels officiels ou officieux.Si la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) née en 1981 (en remplacement du SDECE) est rattachée juridiquement auministère de la Défense, de plus en plus la DGSE est en étroite liaison avec l'Elysée par l'intermédiaire de son directeur général qui traitepersonnellement avec le Président de la République. A l'Elysée, un conseiller du Président est spécialement chargé de suivre les activitésde renseignement. Il est communément admis, comme le confirma Jacques Foccart en 1982, que les réseaux ont également utilisé laDGSE puisque tous deux travaillent étroitement avec les chefs d'Etat africains. Quant au ministère de la Coopération, il a parfois intégréen son sein, et même dans la plus haute fonction, des anciens de la DGSE tout comme dans certaines grandes entreprises françaisesprésentes sur le continent.Cette présence plurielle aboutit également à des luttes d'influence et interférences, avec rivalités entre la DGSE, le SCTPI relevant del'Intérieur, les attachés militaires en place, les chefs de Mission militaire de coopération et la Direction de la surveillance du territoire (DST).

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La plupart des chefs d'Etat africains bénéficient des conseils d'un officier DGSE, qui peut ne pas être toujours en accord avec la politiqueétrangère" de la France56, surtout lorsqu'il monnaie son expertise en frn de carrière. Selon Claude Silberzahn", qui dirigea la DGSE de1989 à 1993, dans plusieurs pays africains, les services spéciaux français ont ainsi protégé les hommes du pouvoir avec pour activitéessentielle de « débusquer d'éventuels ennemis qui viendraient perturber le statu quo »58. En réalité, dans bon nombre de situations,les autorités françaises ne faisaient pas jouer la DGSE en tant que telle mais « autorisaient » sous forme d'un feu orange les activités desanciens du service de renseignement".La DGSE (et davantage ses anciens agents) fut accusée d'avoir monté diverses opérations de déstabilisation en Afrique (Rwanda, 19940,Soudan/ Zaïre, 199461, Tchad, 199062, de contrecarrer des tentatives de coups d'Etat (Cameroun) ou d'invasions (Rwanda, 1990)63, degérer la logistique de ravitaillement en armes de diverses forces africaines (ex-FAR au Rwanda) et de livrer directement, parl'intermédiaire de pays de l'Est ou via des sociétés écran, des armes à des pays en guerre ou en proie à des crises internes (Sou75

dan, 1995 ; Rwanda, 1994...64) sans oublier l'intervention d'autres Etats et trafiquants d'armes dans bon nombre de livraisons.Entre les agents de renseignements et les mercenaires sont apparues les missions plus officieuses ou totalement privées où peuventintervenir d'anciens officiers ou policiers qui sont reconvertis dans la sécurité rapprochée des chefs d'Etat, parfois comme « dernierrecours des Chefs d'Etat africains qui ne font plus confiance aux services de la France officielle »65.Reste la question des mercenaires en Afrique. Ils peuvent interférer dans les interventions militaires françaises, mais sont parfois les outilsindirects d'une politique africaine définie à Paris. Survivants des différents conflits indirects du modèle Est-Ouest, anciens officiers et sous-officiers occidentaux ou sud-africains, les mercenaires ont, autant que faire se peut, pour objectif personnel de multiplier leurs gainsfinanciers 66 tout en garantissant au mieux leur sécurité individuelle.L'emploi des mercenaires par certains chefs d'Etat est souvent leur dernière carte maîtresse pour résoudre une situation défavorable sur1e terrain militaire (invasion, sécession, déstabilisation). Dans ce cas, les autorités préfèrent consacrer aux mercenaires les ressourcesaffectées à l'effort de guerre plutôt que de rééquiper leurs propres forces armées régulières (Zaïre, 1997).Selon certaines informations67, des mercenaires liés au Français Bob Denard auraient effectué un stage de deux mois au sein du GIGNpendant la première cohabitation : Jacques Chirac était Premier ministre, Foccart conseiller Afrique à Matignon, François Mitterrandprésident. Aussi, la question des rapports troubles entre missions opérées par les mercenaires et 1e pouvoir exécutif en France doit êtreposée. Que ce soit comme apport à une intervention parallèle militaire française sur le continent ou que ce soit comme substitut à celle-ci(Comores, septembre 1995)6$, nous pouvons nous interroger sur 1e fait que certains mercenaires français pourraient être considéréscomme exécutants de basses besognes en marge de la politique officielle, plutôt qu'exécutants commanditaires associés à des intérêtsprivés.Selon Jean-François Bayart et Antoine Glaser, il est probable que les réseaux, en France, ont « organisé, voire financé, l'envoi au Zaïrede criminels de guerre serbes comme mercenaires, pour défendre une des dictatures les plus consternantes de la guerre froide»69, à savoir 1e régime Mobutu aux prises avec l'invasion des forces de Kabila au Zaïre au printemps 1997.76Un soutien officieux" via les hommes du réseau Foccart, de la cellule bis installée à l'Elysée et l'aide de deux anciens gendarmes français"(bien que démentie par les principaux intéressés)72 pourraient expliquer la présence d'environ 200 mercenaires occidentaux (enrôlésentre autres via les réseaux Denard), dont une centaine de Serbes, sous commandement du général zaïrois Mahele et trente-troismercenaires français, italiens, chiliens et belges commandés parles Belges Christian Tavernier et Roger Bracco73. Transférés à Kinshasaen décembre 1996 par un vol SABENA et un vol TAP à partir de Bruxelles, les mercenaires français avaient pour mission d'encadrerl'armée zaïroise et d'intervenir sur 1e terrain au moyen d'armes d'origine serbe.Bien que 1e gouvernement et l'Elysée aient démenti toute implication au sujet de cette opération et que ces mercenaires n'aient pasréussi à empêcher l'entrée de Kabila à Kinshasa, la question reste posée de savoir si leur présence aurait été possible sans un feu orangeofficieux de l'Elysée. La DST avait vis-à-vis d'eux un rôle d'accompagnateur-contrôleur74 et les engagements passaient souvent par desfirmes de sécurité installées en France par ces intermédiaires (ce fut encore via ces relais que fut lancé 1e recrutement des mercenairesserbes détenteurs de passeports français à engager dans le cadre des affrontements au Congo-Brazzaville en juin 1997 au profit de l'ex -président Nguessof 5.Véritable tradition française impliquant d'anciens militaires, le mercenariat en Afrique est facilité par 1e fait que « les affectations passéesde ces militaires leur facilitent les contacts avec de nouveaux employeurs »76.5. Les interventions militaires françaises: circonstances, auto-justification et légitimationIl reste difficile de séparer la question des opérations militaires françaises en Afrique de la politique de coopération militaire technique etdes bases prépositionnées, dans la mesure où, souvent, les interventions partent directement du continent via les troupes de marine et leslégionnaires, tandis que la Mission militaire de coopération peut indirectement prêter son concours à ces opérations par l'expertise qu'ellepossède en matière de connaissance des militaires africains, des matériels et du terrain (cf. Tchad).77

Parmi les interventions militaires françaises, certaines ont été plus confidentielles sinon clandestines, alors que les plus classiqueset les plus visibles ont fait l'objet de plusieurs nomenclatures" (cf. annexe 7).Généralement, les interventions militaires françaises ont été légitimées et présentées comme devant répondre à une ou plusieursmotivations dont certaines pouvaient jouer ensemble ou de manière dissimulée- soit la défense de l'intégrité territoriale du partenaire africain en faisant parfois jouer les accords de défense ou les liensprivilégiés, aim de rassurer les autres alliés et leur prouver la fermeté de la garantie française" (Mauritanie-Polisario, 1961 à 1969 et1979, Shaba en 1977, Tchad-Libye entre 1981 et 1986, Rwanda en 1990 ou 1e Cameroun en 1994) ;- soit 1e soutien à un partenaire africain en proie aux troubles internes (Gabon en 1964 et 1990, Zaïre en 1977, Togo en 1986,Rwanda en 1990 et Centrafrique" en 1996-1997) ;- soit 1e soutien à un changement de régime ou de politique et l'abandon de chefs d'Etat peu crédibles ou nuisibles (Togo et Congoen 1963, Niger en 1974, Centrafrique en 1966 et 1979)8° ;- soit pour des raisons humanitaires (hôpital de campagne à Brazzaville, octobre 1997), avec protection de ressortissants (Kolwezien 1977, Centrafrique en 1979 et 1996-1997, Mauritanie en 1979, Gabon en 1990, Zaïre en 1991, Congo en 1997) ou la protectiondes autochtones (ONUSOM 11, Somalie, opération Turquoise) ;- soit pour bénéficier de nouveaux emplacements avancés militaires dans 1e cadre d'une vision géopolitique élargie de la place dela France sur 1e continent où certains pays deviennent « remparts à la zone anglophone » (Rwanda, 1990-19948r, tentativeinaboutie de créer des zones humanitaires sûres au Zaïre, 1996), répondant aussi peut-être, partiellement et symboliquement àl'imaginaire du contrôle des sources du Nil".

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Toute la difficulté réside dans l'argumentation relative à ces missions d'intervention. Comme dans bien des opérations militairesdécidées politiquement, il y a souvent des objectifs officiels et officieux, des sous-entendus, des non-dits. L'auto-justification ou lalégitimation sont alors mises en évidence pour expliciter la décision d'intervention.Ainsi, bon nombre d'interventions militaires françaises en Afrique ont eupour objet la protection des ressortissants français (et parfois occidentaux) et 78de leurs biens, avec, parfois, leur transfert temporaire en métropole ou dans d'autres pays africains amis plus stables.Mais derrière ces missions à caractère humanitaire, l'objectif latent était parfois de protéger les régimes politiques en placedéstabilisés (Kolwezi en 1977, Centrafrique en 1996-1997, opération Noroît au Rwanda, 199083, Libreville et Port Gentil, 1990") ouparfois, par une intervention armée proportionnée", de viser à forcer la négociation après mutineries de factions de l'armée et mortde militaires français (Centrafrique, 1997). Quand bien même 1e discours de la Baule avait en 1990 indiqué que dorénavant « lesclauses des accords de défense prévoyant l'intervention des troupes françaises pour le maintien de la sécurité intérieure des Etatssont devenues caduques »86, certaines interventions militaires ultérieures dissimulaient imparfaitement des objectifs de maintien del'ordre local.Dans d'autres circonstances, l'argumentaire d'intervention se réfère au cadre du chapitre VII de l'ONU : acheminement de vivres etde médicaments et arrêt des massacres de civils, par la création de zones humanitaires de sé curité. C'est aussi un moyend'interdire toute infiltration de forces jugées hostiles à Paris" et aux gouvernements francophones amis de la France, tout enpermettant l'exfiltration de militaires « alliés » (opération Turquoise au Rwanda en 199488, tentative de création de couloirshumanitaires et d'une zone de sécurisation temporaire au Kivu au Zaïre en 1996 sous couvert ONU).Parfois, l'application des accords de défense ne joue pas ; dans d'autres circonstances, il arrive que la France intervienne dans unpays sans qu'il y ait d'accord, mais seulement coopération militaire technique (cf. Rwanda, Tchad). Reste qu'il est difficile d'évaluerles circonstances des décisions d'intervention, dans la mesure où certains aspects des accords de défense sont restés secrets.Souvent, « l'intervention française (...) est liée à l'appel des autorités locales »89. Parfois, les interventions sont en quelque sortealimentées par les chefs d'Etats africains qui construisent de toutes pièces certains scénarios de déstabilisation interne afm de faireintervenir militairement Paris (Togo, Cameroun).De toute évidence, le polymorphisme des interventions militaires françaises en Afrique, leur signification à plusieurs entrées, leursmotivations latentes font qu'elles devraient toutes être analysées au cas par cas. Certaines 79

d'entre elles sont soit réellement non suspectes, soit non ambiguës, soit aisément motivées.Pour Pierre Messmer, ces interventions donnent de la France « l'image du dernier gendarme blanc de l'Afrique »9', tout en exprimantl'inexistence, dans bien des cas, de la diplomatie préventive ou son remplacement par une politique d'intervention préventive ou curative,dont les objectifs ne sont pas toujours transparents.6. Le jeu des rivalités franco-américaines et anglophonesLa politique africaine de la France et la définition du champ de la coopération militaire sont en particulier sous l'influence de schémas depensée liés en partie au « complexe de Fachoda91 ». Cette vision a abouti à une certaine anglophobie alimentée par la montée en épingled'une opposition culturelle. Comme les frontières furent calquées en Afrique sur les compromis européens liés aux conquêtes, on répartit1e continent « pour la bonne cause des cultures colonisatrices, en agglomérats francophone, anglophone, lusitophone »9'. Estaussi mise en avant une Afrique latine et francophile, face à un Commonwealth du commerce.Vécu et perçu comme objet d'une lutte d'influence par bon nombre d'acteurs franco-africains, 1e continent est examiné à travers 1eprisme géopolitique de Fachoda : la relance des contacts avec 1e Soudan93 pour prendre la place laissée vacante par les Anglo-saxonsen 1992 suite au comportement terroriste de Khartoum'; la concurrence franco-britannique au Cameroun et au Kenya95; la volonté delimiter la pénétration « perçue comme anglo-saxonne » de la rébellion au Kivu en 1996-1997, par l'envoi d'une force multinationalehumanitaire dans l'est du Zaïre ; l'annulation au bénéfice d'Elf de l'accord entre 1e Congo et la société américaine Oxy ; les rivalités àpropos du cacao en Côte-d'Ivoire...Certains soutiens français à des régimes africains eurent bel et bien des motivations fachodiennes (Cameroun, 1992, Zaïre, 1995) et 1epeu de coopération de Paris à l' ECOMOG au Liberia était également associé aux mêmes arrière-pensées. Quant à l'interventionfrançaise en Somalie, elle pouvait également être lue comme une manière « de marquer » les Américains sur 1e continent 96.80Confrontations feutrées post-guerre froide, inquiétudes françaises sur les menaces anglo-saxonnes visant 1e pré carré, querellesd'influence et de prestige entre la France et les Etats-Unis, symboles extérieurs aux querelles traditionnelles franco-américaines dans 1ecadre de l'Alliance atlantique : beaucoup a été dit sur les difficultés franco-américaines, franco-anglo-saxonnes sur 1e continent.Et ces divergences seront accentuées par les différences de comportement en matière d'intervention en Afrique, sur la notion de perted'hommes, sur celle relative au maintien de l'ordre et de pacification ou sur le soutien à accorder ou non aux deux ennemis jurés que sontla Libye et 1e Soudan.Les Etats-Unis (et plus discrètement la Grande-Bretagne) soutiennent aujourd'hui un certain nombre d'Etats africains (fascinés par 1emodèle américain), associés à des chefs d'Etat du nouveau régime et qui acceptent de combattre97 parfois 1e régime islamistesoudanais: FPR rwandais", Ouganda99, Kenya, Ethiopie. De même est-il probable que Washington a aidé certains opposants à desrégimes de pays francophones africains faisant partie du pré carré français" tout en critiquant les résultats électoraux au Cameroun, auTogo'°' mais aussi au Kenya anglophone.Aussi l'inquiétude française à propos d'un nouvel axe de pénétration anglo-saxon - du Cap au Caire, de Kigali aux maquis du Sud-Soudan- prend davantage de consistance. Et s'il est clair que Washington, comme Paris, a quelques difficultés à créer l'émergence de ladémocratie en Afrique, cela sous-tend également la volonté des Etats-Unis (sous l'influence des AfroAméricains), d'avoir un peu plus depoids en Afrique centrale.Mais ce retour à « l'ideal-politik » à la Cyrus Vance, secrétaire d'Etat américain entre 1976 et 1980, se nourrit davantage aujourd'hui deconsidérations économiques et commerciales"'. Car se débarrasser de régimes corrompus et incapables de réformes aboutit à ce que «la démocratie renforce la probabilité de l'augmentation des investissements privés, parce que les hommes d'affaires ont alorsplus confiance dans la protection que leur offrent les lois»'°3.La question n'est pas de savoir s'il y a une volonté américaine de prendre pied sur 1e continent et d'évincer la France car celle-ci estsouvent biaisée par des considérations idéologiques, mais de déterminer les objectifs de la stratégie globale américaine en Afrique, s'il yen a une.81

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Pour Philippe Decraene, l'idée qu'il existe aujourd'hui des tensions franco-américaines face à l'Afrique n'est pas un fantasme, maiscorrespond à l'existence de rivalités sourdes". Il est de plus en plus clair que les EtatsUnis ont pour objectif-du reste déjà ancien"' -de créerdes ensembles économiques et politiques plus perméables à leur action.Or, cette orientation ne peut coexister facilement avec celle de pré carré à la française. Pour Warren Christopher, alors secrétaire d'Etataméricain, « tous les Etats doivent coopérer, et non pas se faire concurrence, si nous voulons exercer une influence positive surl'avenir de l'Afrique. Le temps est révolu où l'Afrique pouvait être divisée en sphères d'influence et où des puissances étrangèrespouvaient considérer un groupe d'Etats comme leur domaine privé. Aujourd'hui, l'Afrique a besoin du soutien de tous ses amis etnon pas de la protection exclusive de quelques-uns »". L'objectif du nouveau « partenariat afro-américain pour la croissance » lancéofficiellement par Bill Clinton en juin 1997 est d'aider à l'émergence d'une Afrique stable, prospère et démocratique avec un engagementsur la voie du libéralisme économique dont les concepts seraient précisés dans 1e cadre d'un forum économique amércano-africain, àl'instar des sommets politiques francophones.Le jeu sinon 1e transfert d'influence est bel et bien présent (premier Sommet Afrique-Amérique à Libreville en 1992, fuite des cerveauxafricains vers les universités américaines, coopération militaire américaine ciblée, manoeuvres amércano-sénégalaises en septembre1996 sans participation tricolore et exercice ivoiro-américain au niveau des états-majors en 1997) et de nouvelles entités régionalespourraient prendre davantage de consistance',". Alors que « Washington se pose en véritable champion de la démocratie en soutenantl'opposition lors des transitions délicates, Paris fait figure d'allié - plus ou moins enthousiaste-des dirigeants en place, auCameroun, au Togo et au Zaïre »10$.En vérité, on se trouve devant cette situation paradoxale, soulignée par 1e nouveau Secrétaire d'Etat français à la Coopération, « de voirla France apporter l'essentiel de l'aide et les Etats-Unis récupérer les retombées économiques »109.Aujourd'hui, l'implication politique américaine en Afrique a pour objectif la conquête future de nouveaux marchés. Tout ce qui peutstabiliser la zone sera mis en oeuvre ou stimulé par Washington: forces militaires interafricaines 82d'interposition, régimes démocratiques élargis s'attaquant à la corruption, libertés politiques.Nonobstant les intérêts économiques de la France sur 1e continent qui sont encore aujourd'hui davantage présents que ceux quiassocient les EtatsUnis110, Paris reste attaché à une certaine idée passéiste de l'Afrique qui déjà, aujourd'hui, l'a empêché de biennégocier la crise des Grands Lacs et peutêtre de prévenir une déstabilisation dans son dernier pré carré, selon 1e principe des dominos,faisant suite aux crises rwandaise, zaïroise puis congolaise.Il n'est pas dit, pour autant, que les Etats-Unis soient prêts à s'engager directement et personnellement en Afrique en matière politico-militaire. Mais la France doit réexaminer sa politique africaine et redéfinir sa coopération militaire dans un sens qui ne serait pas à contre-courant de l'évolution du continent et de ses nouveaux dirigeants.Complot américain ou vision paranoïaque parisienne, la question n'est pas là. Les rivalités franco-américaines réelles, subtiles, latentes ouvirtuelles (incluant le malaise franco-belge, dont entre autres « 1e complexe belge de Kolwezi »"' encore bien présent et les ambiguïtés dela politique française lors de la présence belge au sein de la MINUAR à Kigali112) ne peuvent plus servir d'arguments pour maintenir enl'état la coopération militaire. Sinon, on hypothéquera complètement l'influence et l'image françaises (et en partie européennes) sur 1econtinent.Par ailleurs, la France et les Etats-Unis auraient tout intérêt à coopérer clairement en matière de politique africaine afin d'éviter qued'éventuels chefs d'Etat africains ne jouent la carte francophone contre la carte anglophone, et vice-versa, afin de faire monter lesenchères au prix d'une déstabilisation régionale et de nouvelles crises violentes.Mais cette coopération reste encore ambiguë et les réticences émises en été 1997 par les Etats-Unis, via l'ONU, à propos del'organisation, sur initiative européenne, d'une force interafricaine volontaire d'interposition au Congo-Brazzaville, l'ont démontré àsuffisance.1. Antoine Jouan, « Rwanda, octobre 1990-octobre 1994: Les errances de la gestion du conflit », Relations internationales etstratégiques n°23, IRIS, Paris, automne 1996, p. 143.2. Roland Marchal, op. cit., p. 903.

193. Selon l'Observatoire permanent de la coopération française, cité dans Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la Francen°/ à 5, op. cit., p. 53.4. Stephen Smith, « La France déboussolée sur 1e continent africain », Libération, 5 décembre 1996.5. Roland Marchal, op. cit., p. 909.6. Il y eut des tensions entre 1e socialiste Jean-Pierre Cot, alors ministre de la Coopération, et l'Elysée, 1e premier souhaitantmoraliser et conditionner la coopération au développement. Il dut quitter sa fonction ministérielle en décembre 1982 suite auxpressions conjuguées de François Mitterrand et de chefs d'Etat africains.7. Samy Cohen, op. cit., p. 144.8. Jean-Pierre Raison, « L'Afrique subsaharienne », L'année stratégique /997, IRIS, Paris, 1997, p. 133.9. Guy Labertit, Pour une redéfinition de la politique africaine de la France, Commission Afrique, Parti socialiste français, Paris, 15 avril1997, p. 14.10. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n/ à 5, op. cit., p. 18. 1L Emmanuel Abraham, « Libération sans libertéou les raisons d'un fourvoiement », Politique étrangère, IFRI, Paris, 3ème trimestre 1988, p. 584.12. Préface de Pierre Dabezies, dans Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 14.13. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux...», op. cit., p. 118.14. Dominique Bangoura, « 1996: les carences politiques et les ambiguïtés militaires de la France en Centrafrique », Rapport 1997 del'Observatoire permanent de la coopération française, Karthala, Paris, 1997.15. Jean Chesneau, op. cit., p. 3L 16. SGDN, op. cit., p. 64.17. Selon Charles Josselin, Secrétaire d'Etat à la Coopération depuis juin 1997, cité dans Le Monde, 13 juin 1997.18. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 118. 19. Stephen Smith, « L'implosion prévisibled'un pays à la dérive », Libération, 9 juin 1997. 20. Winrich Kühne, « Le maintien de la paix en Afrique- Angola, Mozambique, Somalie,Rwanda, Liberia - Leçons à tirer », dans Gestion de crise et règlement des conflits en Afrique subsaharienne rôle de l'UEO, Cahiersde Chaillot n°22, Institut d'Etudes de sécurité de l'UEO, Paris, décembre 1995, p. 48.21. A propos des causes de coups d'Etat en Afrique, cf. Etudes polémologiques, n°41, FEDN, 1er trimestre 1987, pp. 113 et sv.22. Dmitri Georges Lavroff, « Afrique noire. Les crises », Organum, vol. 17, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1979, pp. 195-197.23. Georges Cumming, op. cit., p. 119.24. Pierre Dabezies, « Armée (Pouvoir et société) », op. cit., p. 280.25. France Henry-Labordère, « Le Tchad, un Etat à réinventer? », Relations internationales et stratégiques, n°23, IRIS, Paris, automne1996, p. 128.26. La Lettre du continent, n°282, Paris, 22 mai 1997, p. 4.

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27. Hugo Sada, « L'avenir incertain des armées africaines », Défense nationale, Paris, août-septembre 1996, p. 183.28. Pierre Dabezies, « Armée (Pouvoir et société) », op. cit., p. 280.29. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 66. 30. Coopération et progrès, Etude desynthèse sur l'intégration des forces armées dans le processus de développement économique dans les pays d'Afrique centrale,Bruxelles, juin 1995, p. 2. 8431. Philippe Demenet, « Les coulisses d'une réunion de famille », Croissance, Paris, décembre 1994.32. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °1 à 5, op. cit., p. 100. 33. Ignacio Ramonet, « Linceul de silence »,Le Monde diplomatique, Paris, janvier 1994. 34. Antoine Jouan, op. cit., p. 140.35. Anne-Sophie Boisgallais, op. cit., p. 110. 36. Philippe Marchesin, op. cit., p. 16.37. Franck Petiteville, op. cit., p. 572.38. Pascal Chaigneau, Entretien à Afrique Defense, n° 115, octobre 1987; cité par Paul Ango Ela, « La coopération franco-africaine etla nouvelle donne des conflits en Afrique », Relations internationales et stratégiques, n°23, IRIS, Paris, automne 1996, p. 183.39. Olivier Lanotte, op. cit., p. 74.40. Jean-Claude Willame, « Implosion du Zaïre et diplomatie classique », Le Soir, 2 avril 1997,p. 2.4L Didier Bigo, « Approche pour une théorie du pouvoir personnel, un exemple privilégié : 1e Centrafrique », Etudes polémologiques,n°36, FEDN, Paris, 4ème trimestre 1985, pp. 77-79.42. Peter Anyang'Nyongo, « Instabilité politique et perspectives de démocratie en Afrique », Politique étrangère, IFRI, 3ème trimestre1988, p. 592.43. Cf. Jean-François Bayart, Stephen Ellis et Béatrice Hibou, La criminalisation de l'Etat en Afrique, Complexe, Bruxelles, 1997.44. Bernard de Montferrand, op. cit., p. 684.45. Congo (1963), Niger (1974), Madagascar (1972), Centrafrique (1979).46. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 74. 47. Claude Wauthier, « Afriquesubsaharienne », L'année stratégique /994, IRIS, Paris, 1994, p. 128.48. Colette Braeckman, Rwanda. Histoire d'un génocide, Fayard, Paris, pp. 188-189.49. Hugo Sada, « Réexamen de la politique militaire française en Afrique », Défense nationale, Paris, juin 1997, p. 183.50. « Les forces françaises de Djibouti. Un emplacement exceptionnel », Armées d'aujourd'hui n°209, Paris, avril 1996, p. 24.51. Claude Wauthier, « La politique africaine de Jacques Chirac », Relations internationales et stratégiques, n°25, IRIS, Paris,printemps 1997, p. 124.52. Commission Justice et Paix Belgique, L'avenir de la région des Grands Lacs, Document de travail, Bruxelles, 29 novembre 1996,p. 3.53. Hypothèse de Jean-François Bayait, « La France au Rwanda », Les Temps modernes, n°583, Paris, juillet-août 1995, p. 224.54. Anne-Sophie Boisgallais, op. cit., p. 108.55. Jacques Isnard, « Renseignement. L'indispensable évolution », Armées d'aujourd'hui, Paris, septembre 1995, p. 109.56. Ainsi, par exemple, la DGSE a soutenu Hissène Habré (Tchad) alors que 1e ministre de la Coopération, Jean-Pierre Cot, donnaitsa préférence à Goukouni Wedeye.57. Cf. Claude Silberzah, Au coeur du secret, Fayard, Paris, 1995. 58. Philippe Marchesin, op. cit., p. 19.59. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997.60. René Backmann, « Gribouille au Congo », Le Nouvel Observateur, Paris, 5 décembre 1996. 6L La DGSE aurait initié une alliancefranco-zaïro-soudanaise contre la résistance sud-soudanaise de John Garang.(cf. The French Connection. Report on the political,economic and military collaboration between Khartoum and Paris, Pax Christi Netherlands, octobre 1994, p. 10).85

62. Jean-François Bayart, « Bis repetita... », op. cit., pp. 16-17.63. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °1 à 5, op. cit., p. 1L64. Bruno Barrillot et Belkacem Elomari, Les transferts d'armes de /a France depuis la fin de la guerre du Golfe, CDRPC, Lyon, 1995,pp. 42-43.65. Cf. Stephen Smith et Antoine Glaser, Ces messieurs Afrique, Calmann-Lévy, Paris, 1992. 66. Certains mercenaires associés à ladéfense du territoire zaïrois en 1996-1997 auraient été vus à Watsa dans une région sans intérêt militaire mais où se situe une mined'or locale (Le Vif/L'Express, Bruxelles, 4 avril 1997).67. Stephen Smith, « Paris met la pression sur Moroni », Libération, Paris, 3 octobre 1995. 68. Selon Jean-Pierre Raison (op. cit., p.139), Dans un imbroglio total, 1e putsch tenté par Bob Denard aux Comores en 1995 fut « récupéré » par la France qui, en y mettantfin et en protégeant par extraction 1e chef de l'Etat menacé, a mis un terme à la présidence de Djohar : de retour au pays, il n'a puqu'assister à la victoire de Taki, compagnon de route du mercenaire lors de sa tentative! 69. Jean-François Bayait, Le Monde, 29 avril1997.70. Géraldine Faes, op. cit., p. 21.71. A savoir Alain Le Caro, ancien chef du groupe de sécurité de la présidence de la République sous François Mitterrand et RobertMontoya, proche de la cellule antiterroriste mise en place à l'Elysée en 1992 et aujourd'hui dissoute (Le Monde, 8 janvier 1997).72. Le Monde, 9 janvier 1997.73. Thierry Charlier, « Les mercenaires français au Zaïre », Raids, n° 132, Paris, mai 1997; Newsweek, 24 février 1997; InternationalHerald Tribune, 18 février 1997; Le Soir, 25 janvier 1997; Courrier international, 3-9 avril 1997; Le Vif/L'Express, 28 février 1997; LeFigaro, 15 janvier 1997. 74. La Lettre du continent, n°281, Paris, 8 mai 1997, p. 1.75. La Lettre du continent n°284, Paris, 19 juin 1997, p. 7 ; Vincent Hugeux, « Le brut et les truands », Le Vif/L'Express, Bruxelles, 24octobre 1997.76. Le Monde, 8 janvier 1997.77. Cf. André Fourer, Au-delà du sanctuaire, Economica, Paris, 1986; John Chipman, Ve République et défense de l'Afrique, Bosquet,Paris, 1986; Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992.78. Dominique Moïsi, op. cit., p. 178.79. Dominique Bangoura, « 1996: les carences...», op. cit.80. « Quand un régime en vient à contrarier Paris, à s'en éloigner, voire à envisager un peu trop concrètement un changementd'alliance, il n'est pas rare de voir la France soutenir directement (intervention militaire ou soutien militaire et financier) ouindirectement (refus d'intervenir pour sauver la mise au partenaire africain) les auteurs d'un coup d'Etat ». (Olivier Lanotte, op. cit., p.13). 81. René Backmann, op. cit.82. « Je suis convaincu que le mythe des sources du Nil a été important dans la présence française au Rwanda » (Jean-FrançoisBayart, « Les politiques de la honte - Rwanda, Burundi 1994-1995 », Les temps modernes, n°583, Paris, juillet 1995).

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83. Gérard Prunier, « Eléments pour une histoire du Front patriotique rwandais », Politique africaine, n°51, octobre 1993, p. 126.84. Colonel Philippe Charrier, « Opération Requin »,Armées d'aujourd'hui, n'152, Paris, juillet-août 1990, p. 25.85. Jeune Afrique, Paris, 8-14 janvier 1997, pp. 6-7.86. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 75. 87. Jean-Claude Willame, L'ONU auRwanda, Labor, Bruxelles, 1996, p. 98.88. « L'opération militaro-humanitaire qu'elle mit alors en place, "Turquoise ", permit de sau-ver des vies ; elle fut aussi une "passoire"par où s'échappèrent certains des chefs hutus responsables 86des massacres, comme s'ils avaient trouvé, çà et là, quelques complicités françaises ». (Alain Franchon, « Le Zaïre, Paris etWashington : la dialectique du client et du parrain », Le Monde, 18 mai 1997). Cf. aussi Michela Wrong, « The days of France's Africanhunding ground may be ending », The Financial Times, 14 novembre 1996.89. Tchyembe Mayila et Bukasa Mayele, « l'Afrique face à ses problèmes de sécurité et de défense », Présence africaine, Paris, 1989,p. 87.90. Pierre Messmer, « Les interventions extérieures de la France », Défense, n°73, IHEDN, Paris, septembre 1996, p. 42.91. En réalité, Fachoda fut un non-événement car le rapport des forces sur 1e terrain, au Soudan, était déjà donné parles Britanniques,alors que la vraie opposition était finalement franco-allemande. 92. Alain Rey, « Le français dans le monde. Situation d'une langue : 1efrançais »; Supplément II, « Les enjeux », Encyclopaedia Universalis, Paris, 1984, p. 1012.93. Roland Marchal, « Soudan. Chronique d'une guerre oubliée », L'Afrique politique /995. Le meilleur, le pire et l'incertain, Centred'étude d'Afrique noire, Institut d'études politiques de Bordeau, Karthala, Paris, 1995, pp. 75 à 92.94. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °/ à 5, op. cit., p. 144. Les Etats-Unis qui ont toujours souhaitéabattre 1e régime soudanais n'ont pas apprécié que la France, ayant obtenu des autorités de Khartoum la livraison du terroristeCarlos, laisse transiter au milieu des années 80 « les légions islamistes soudanaises à travers le territoire centrafricain et zaïrois pourprendre à revers les troupes chrétiennes de John Garang elles-mêmes en division avec d'autres mouvements rebelles chrétiens duSud » (Victor Rousseau, Collaborateur à la revue française Marchés tropicaux, interview à La Wallonie, Liège, 16 mai 1997).95. Angola Ela, « Menace sur l'équilibre régional en Afrique centrale : 1e conflit frontalier camerouno-nigérian », Défense nationale,Paris, mai 1997 .96. Stephen W. Smith, « Dessine-moi un caméléon. L'interventionnisme militaire de la France en Afrique », Défense, n°73, IHEDN,Paris, septembre 1996, p. 52.97. Les Etats-Unis soutiennent 1e régime ougandais parce que 1e président Museveni fit transiter par son pays l'aide militaireaméricaine aux rebelles animistes et chrétiens du Sud-Soudan, la Sudan People's Libération Arrny (SPLA) de John Garang, en luttecontre la junte militaire de Khartoum, manipulée par les intégristes musulmans. (cf. Christian Wauthier, op. cit., édition 1995, p. 124 etédition 1994, p. 122).98. L'armée rwandaise du FPR est formée et conseillée par des anciens militaires du Pentagone, via la société Military ProfessionalRessources Inc. Selon Eurafrique, durant 1e week-end du 30 au 31 mars 1997, cinq généraux américains se sont réunis à Brazzavilleautour du général Smith, responsable du commandement sud de l'OTAN et du général Lambert, commandant des forces spéciales ducommandement des forces américaines en Europe (EUCOM).99. Crespo Sebunya, « Uganda Defence Dilemma », New African, novembre 1996, p. 24. 100. Les Etats-Unis ont financé la station deradio de Paul Mba Abessolé, opposant au président Bongo au Gabon. (Stephane Odzamboga, « Le Gabon entre pétrole et démocratie», Le Monde diplomatique, février 1997).101; Philippe Marchesin, « Mitterrand l'Africain », Politique africaine n°58, Paris, juin 1995, p. 10.102. « On n'a pas fait assez attention à la portée du voyage de Warren Christopher en Afrique et au fait qu' il y a à Washington, autourdu président Bill Clinton, une équipe dirigeante qui a expressément affirmé que les éléments principaux de la puissance aujourd'huisont économiques, et qu'il s'agit d'une bataille constante à mener » (Entretien avec Paul-Marie de La Gorce, Le Soir, 30 novembre1996, p. 2). Cf. également Jeune Afrique n'1869, 30 octobre et 5 novembre 1996, p. 30. 103. Discours de Warren Christopher àl'université de Johannesburg, 15 octobre 1996.87

104. « Le temps qui change », France Culture, 13 juin 1997.105. Dmitri Georges Lavroff, « L'Afrique, enjeu des relations internationales, op. cit., pp. 933934.106. Discours du secrétaire d'Etat Warren Christopher à l'université de Johannesburg, 15 octobre 1996.107. Cf. 1e projet de créer une nouvelle fédération africaine englobant l'Erythrée, l'Ethiopie, l'Ouganda, 1e Soudan, la Tanzanie, 1eRwanda, 1e Burundi et 1e Zaïre, avec des dirigeants moins francophiles (Simon Barber, dans Business Day, cité dans Courrierinternational, n°344, Paris, 5-1 1 juin 1997).108. Claude Wauthier, « Afrique subsaharienne », L'année stratégique 1994, IRIS, Paris, 1994, p. 132.109. Déclaration de Charles Josselin, Le Monde, 13 juin 1997.110. En réalité, les investissements américains ont progressé en Asie de 7% contre 0,2% en Afrique ( 46% des exportations vontencore à l'Afrique du Sud.)111. Olivier Lanotte, op. cit., p. 14 et Studia diplomatica, vol. XLI : 1988, n°4-5-6, IRRI, Bruxelles.112. Entretien avec 1e colonel Duvivier, IRSD, Bruxelles, 18 avril 1997.Vers une nouvelle coopération militaire?L'analyse de la gestion de la coopération militaire française en Afrique ne doit pas faire oublier que celle-ci n'évolue pas en vase clos. Elleest en rapport direct avec les sociétés africaines là où elle s'installe, là où elle opère. Aussi est-il évident que l'association est vite établieentre la situation politique interne des pays africains concernés et l'influence que peuvent subir les acteurs de la coopération.Mais ces influences sont parcellaires car l'Afrique de la coopération subit de nombreux maux internes dont il faut tenir compte avantd'analyser toute coopération militaire ou la rénovation de celle-ci. Aujourd'hui, pour les raisons déjà citées dans cette étude, la coopérationFrance-Afrique doit être revue et corrigée, modernisée et assainie.Pour entamer une nouvelle définition de la coopération militaire, des outils à y intégrer et de la politique africaine de la France en général,il faut tenir compte de plusieurs phénomènes lourds : 1e processus de décomposition étatique (l'Afrique du chaos), les nouveaux besoinsde démocratie, la « révolution » géopolitique en cours sur 1e continent.1. Le jeu du chaos et la nouvelle donne géopolitiqueNous avons vu que « le tribalisme, comme tentation ethno-nationalitaire »' finit par exclure une frange importante de la populationdu processus de décision et des moyens économiques de survie. Cette « ethnicisation » atteint rapidement le seuil de la violence et peutaboutir (par criminalisation de l'action de l'Etat au service exclusif d'un homme ou d'un clan) à la décomposition de l'Etat, à sonautodestruction. D'où l'avènement de crises internes violentes, de mutineries militaires, de sociétés du chaos', de chefs de guerre, 89

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de « sobels » et de banditisme de grand chemin (Rwanda, Liberia, Congo-Brazzaville, Sierra Leone, Tchad...). Le problème vientaujourd'hui d'« un durcissement des références identitaires, nationalité ou ethnie, dans un con tinent jusqu'alors marqué par lamobilité humaine et la fluidité des appartenances»4. La population civile devient alors la principale cible de la violence, « offrant ainsiaux factions adverses une raison de la contrôler, de la diviser, de la transférer et parfois de l'exterminer »5.Avec la régression de la capacité d'encadrement territorial des Etats, le caractère artificiel des frontières (dû à l'organisation administrativedes colonisateurs), la « déterritorialisation » étatique suite au développement des trafics, l'entremêlement des rivalités religieuses,ethniques, civilo-militaires sur fond de corruption, bon nombre de pays africains se sont enfoncés ou vont s'enfoncer dans l'anarchie (sanscompter que certains d'Etats devenus indépendants sont souvent des Etats sans nation).Dès le moment « où les réseaux personnels et les politiques ethniques l'emportent sur les relations institutionnalisées »6, nous nesommes pas loin des ruptures sociales, du délabrement des services et de l'annonce souvent inéluctable de la violence. Pour DominiqueBangoura, cette conflictualité qualifiée de nouvelle, réside « dans l'hétérogénéité des acteurs collectifs (rébellions, factions, forcesarmées régulières milices, bandits), le caractère de plus en plus souvent civil de ces acteurs (enfants soldats, miliciens désœuvrés,trafiquants) ainsi que dans l'objet de l'affrontement: non plus seulement le pouvoir, les ressources, les idéologies, mais aussi desstatuts, des valeurs, des croyances »7.Pire, le dépérissement de l'Etat va de pair avec une crise des encadrements économiques démantelés ou détournés. Résultat : en zonesubsaharienne, le revenu par habitant était déjà en 1990 inférieur de 20 % à son montant en 19808. Il correspondrait cette année à 7% decelui d'un habitant des pays développés contre 14% trente ans plus tôt9. Cette détérioration, accentuée par le durcissement desconditionnalités économiques, financières et politiques, entre autres du FMI et de la Banque mondiale, provoque une marginalisationcommerciale durable tout autant que des politiques de blocage de salaires dont les militaires firent les frais"'.Un processus de déclassement international s'est ainsi opéré à la fin des années 80 au détriment de l'Afrique, alors que les conflitséclataient de façon 90incontrôlable et anomique. Parallèlement, la fm de la guerre froide a annoncé des tentatives de rééquilibrages ethniques, la mise àl'épreuve des frontières et des découpages artificiels.Ces facteurs de repli identitaire anarchique et violent sont apparus précisément au moment où la fin de la guerre froide avait modifié lalecture du paysage géopolitique du continent et surtout avait donné à bon nombre de citoyens africains l'espoir d'une modification de lalecture et de l'usage de la démocratie locale. Aussi, devant la montée de ces facteurs de chaos et de conflits déstructurés, la coopérationmilitaire française classique en Afrique (incluant les prépositionnements) devient davantage sujette à caution, quelquefois en porte-à-faux,et accentue parfois les tensions internes. Elle doit être réexaminée en fonction de ces nouveaux éléments déstabilisateurs, complexes àgérer, passablement anarchiques. Paris peut y être facilement impliqué, directement ou indirectement, sans forcément l'avoir voulu.Portée par le vent d'Est et la chute du mur de Berlin, l'expression démocratique allait, au début des années 90, prendre de l'assurance.Les grands bouleversements de l'indépendance de la Namibie, du démantèlement de l'apartheid et des retraits militaires cubains en furentles symboles les plus visibles. L'idée de l'Etat de droit fait son chemin, même si le multipartisme de façade et les élections (parfoismanipulées) ne peuvent se confondre avec la démocratie. Projet en devenir, on découvre une nouvelle culture qui rejette l'arbitraire, touten souhaitant cette démocratisation « prise pour la seconde indépendance dans l'euphorie »".Malgré l'apparition en Afrique de forces sociales et politiques revendicatrices, venues en grande partie de la société civile (cf. analyses deAndré Guichaoua, Filip Reyntjens, Jean-Claude Willame et Stéphane Hessel) et le fait que bon nombre de pays du continent aient faitl'expérience dans les années 90 de la transition politique (conférences nationales, nouvelles constitutions, pluralisme, élections), larésistance au changement fut importante. Nous avons vécu, depuis la moitié des années 90, un reflux des mouvements dedémocratisation et un affaiblissement des thèses de la bonne gouvernance.Les pouvoirs en place ont joué sur la nécessaire stabilité des institutions comme argument incontournable pour verrouiller certainesrevendications alors que « les pays où un changement de chef d'Etat est finalement intervenuà l'issue d'élections furent bien moins nombreux que ceux où une reprise en 91

main a été effectuée par les militaires ou par un régime précédemment en place »'a.Si des scrutins plus ou moins manipulés purent avoir lieu (Burkina, Ghana, Gabon, Cameroun, Côte-d'Ivoire, Togo, Guinée, Tchad),il faut bien reconnaître « qu'ils soient ou non bien élus, ce sont des militaires qui, aujourd'hui comme hier, président aux destinéesde la majorité des Etats d'Afrique noire : à l'ouest et au centre du continent, treize pays sur vingt-trois sont tou jours dirigés par desofficiers supérieurs en costumes civils ». (...) Et « c'est au Congo, au Bénin, du Mali à la Centrafrique, que les pièces du fragile édi-fice démocratique mis en place au début des années 90 risquent de tomber »".Prémonitoire, cette vision s'alimente aujourd'hui de la brusque montée de conflits de recomposition régionale (Rwanda, Zaïre,Angola, Congo), dont la chute de Mobutu fut un des symboles les plus forts, impliquant souvent de nouveaux chefs d'Etats porteursd'une perception politique renouvelée et disposant d'une formation souvent différente de celle de leurs prédécesseurs. Des zonesde fracture sont apparentes en Afrique subsaharienne avec des bouleversements dans les édifices latéraux (Congo-Brazzaville) etde probables effets dominos (Centrafrique, Gabon) même si « les éléments déclenchants étaient déjà inscrits dans les faitsinternes aux Etats et antérieurs au processus de déstabilisation régionale »l4.La prédiction de Jacques Delors sur l'explosion politique de l'Afrique durant la décennie 90 s'est avérée juste. Aussi, malgré lestentatives françaises « d'ajustement des anciens ordres monopartistes »15, il semble bien que la France n'ait pas compris combienl'Afrique avait changé. Pour l' éditorialiste du Monde, « les responsables français ont commis une faute grave : ne plus être àl'écoute d'une nouvelle génération d'Africains (...)quine supportent plus la "dérive " de leur continent et, à tort ou à raison jugentParis responsable de celle-ci » 16. La crise zaïroise constitue un sérieux facteur de déstabilisation de la politique africainetraditionnelle de la France.La conjonction des pressions de la société civile et d'effets multiplica teurs externes (chute de régimes via des soutiens extérieurs)oblige la France à revoir sa politique de coopération militaire et sa politique africaine en fonction des nouvelles exigences despopulations et probablement aussi en fonction des critères de survie de régimes associés à certains pays francophones du précarré.92Cette redéfinition est urgente, car les liens politico-militaires de la France en Afrique sont restés pratiquement de même nature.Urgence différente dans l'esprit du chef d'état-major français aux armées qui en 1997 estimait cependant, tout en soutenant lesprogrès de la démocratie sur 1e continent, qu'il ne fallait « pas manifester une hâte excessive, qui ne permettrait pas de bâtir lessolides fondations indispensables à la pérennité de l'édifice »17. Peut-être la France ne pourra-t-elle se permettre cetteprogressivité, car d' autres acteurs internes et externes veulent y parvenir avant elle.2. L'armée française au service d'une nouvelle coopérationLa France doit modifier sa posture politique et militaire, modifier ses perceptions et adopter de nouvelles grilles de lecture. Pour 1enouveau Secrétaire d'Etat à la coopération, Charles Josselin, la France se retrouve en effet en situation d'accusé. Il faut en finir

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avec les réseaux gaullistes sur 1e continent. L'objectif est bien de décoloniser la coopération, volet militaire compris, afind'envisager une nouvelle stratégie à long terme, sous peine de subir les événements -ce qui est déjà en partie 1e cas aujourd'hui-ou de voir les chasses gardées remplacées par la seule politique du reflux.Bon nombre d'élites africaines se détournent de la France ; la politique de Paris a, en effet, longtemps souffert de l'absence derationalité diplomatique. Et en cela, 1e régime corrompu du maréchal Mobutu semble pour cer tains être devenu 1e symbole deserrements de la politique française en Afrique18. « Partout où la diplomatie française s'efforce de planter son clou, des échecsspectaculaires annoncent bientôt par voie de presse qu'une erreur de diagnostic, une représentation biaisée du monde actuel, sonten train de réduire la France au rôle de "has been" diplomatique »'9.A l'instar de la Belgique qui n'avait pas compris en 1960 que l'indépendance était un fait inéluctable, la France semblait encore, il ya peu, ne pas saisir l'urgence d'une révision déchirante du contenu et du cadre de sa coopé ration avec l'Afrique à l'horizon 2000,malgré de multiples sonnettes d'alarme qui retentirent ces dernières années et plus largement ces dernières décennies 2°. Lecaractère intangible de la coopération militaire a bel et bien vécu. Or, la redistribution des cartes en Afrique impose inéluctablementcertaines remises à plat, d'où l'importance de la césure de génération pour sortir 93

de la vision classique. Dans ces processus, la marge de manœuvre de la France sera davantage que par le passé tributaire del'évolution des paramètres internes aux Etats africains. Elle sera d'autant plus difficile que l'Afrique actuelle est en partie en completbouleversement avec, en filigrane, toute la question délicate des processus d'interposition.C'est entre autres sur 1e dossier africain que la diplomatie française sera jugée en 1997. Mettre en accord le discours et la pratiqueserait déjà un premier pas, adapter la coopération militaire revue et corrigée à la nouvelle tra jectoire géopolitique où l'Afriques'engage aujourd'hui serait le second, pour enfin relire les accords de défense, la gestion et les conditions des éventuelles etfutures interventions françaises sur 1e continent.En dehors des objectifs nouveaux à définir (dont la réforme des structures), les changements de priorité et de sens de lacoopération auront, plus largement, pour résultat de dépasser le bilan négatif de la France en Afrique. La recherche d'une plusgrande cohérence et transparence aboutirait alors à l'ouverture vers une voie médiane, à un renouvellement des formes de la pré -sence. Celle qui pourrait sortir d'une gestion trop conservatoire des relations franco-africaines tout en tenant compte du rôleinstitutionnellement visible de l' Elysée à propos de l'Afrique. Celle qui engagerait une réflexion volon tariste et ouverte au lieu desubir les faits sur le continent. Celle enfin qui éviterait que Paris adopte un comportement exclusif face à certains Etats afri cainsfrancophones et favoriserait l'élargissement de la coopération au détriment des chasses gardées. En d'autres mots, une bonnepolitique éviterait la confusion d'objectifs entre 1e rayonnement culturel et 1e positionnement géopolitique et militaire.Tout ce qui a été fait par 1e biais de la coopération militaire française en Afrique n'est pas suspect. Si 1e bilan est mitigé et que toutfutur projet novateur et ambitieux sera partiellement bloqué par les influences des relais poli tiques traditionalistes et par un certainverrou élyséen- aboutissant à un mélange d'ancien et de moderne comme ce à quoi nous avons assisté lors de l'attribution desnouveaux mandats ministériels en France-, l'objectif final reste assurément l'engagement à changer les termes militaires de lapolitique africaine de la France.233. Objectifs, méthodes et moyens d'une nouvelle coopération militaire: champ de propositionsTenant compte des facteurs critiques présentés en troisième partie et des invariants lourds, les pistes de réflexion en matière deréformes - en surface ou en profondeur - devraient concerner les structures institutionnelles, les forces prépositionnées enpermanence, les interventions militaires engagées et tout le volet coopération militaire technique.1) En matière institutionnelle, il serait judicieux de «civilianiser » complètement le secrétariat d'Etat à la Coopération, afin desimplifier autant que possible les structures décisionnelles. Les aspects militaires et sécuritaires de la coopération devraient êtretransférés au sein du ministère de la Défense. La gestion quotidienne de la coopération militaire serait alors réalisée par lesresponsables de la rue St Dominique, alors que le Quai d'Orsay, en rapport avec l'Elysée, définirait précisément les objectifsparticuliers et les conditions politiques et diplomatiques de celle-ci selon les Etats concernés. L' Elysée et les Affaires étrangères secoordonnent, la Défense exécute et l'Assemblée nationale contrôle.L'autre scénario pourrait être l'intégration complète de la Mission mili taire de coopération au sein des Affaires étrangères avecdisparition complète du secrétariat d'Etat à la Coopération, terminant 1e phagocytage de la rue Monsieur entamé mais non aboutisous 1e gouvernement Juppé. Pour l'ambassadeur Hessel, ce dernier modèle permet de ne pas donner à la coopération unespécificité militaire"; en réalité, même totalement intégrés aux Affaires étrangères, les diplomates du Quai d'Orsay auront besoindes techniciens de la Défense pour engager concrètement cette coopération militaire.Cette réforme aurait pour avantage de simplifier les procédures, réduire les intervenants tout comme les liens trop personnalisésavec certains chefs d'Etat africains, sachant que cette familiarité serait toujours présente via l'Ely sée dont la cellule africaine nepeut être supprimée de l'extérieur, quand bien même la commission Afrique du parti socialiste français l'aurait souhaité22 et que,dans l'absolu, le seul vrai domaine « réservé » ne devrait plus être que la dissuasion nucléaire associée aux intérêts vitaux de laFrance23.De même que le gouvernement Jospin a contribué, en juin 1997, à interrompre 1e processus de réintégration de la structuremilitaire de l'OTAN 95

amorcé en 1995 à l'initiative du président Jacques Chirac, de la même manière il pourrait exprimer de nouvelles orientations en matière depolitique africaine, en vertu du concept de « domaine partagé » mieux équilibré que par 1e passé. Le principe de parler d'une seule voixsur la scène internationale pourrait être écorné à l'avenir.Ceci ne devrait pas non plus empêcher l'inexorable accélération du phénomène de privatisation de la sécurité en Afrique, avec la pratiqued'officines de sécurité privées, remplaçant en partie et dorénavant les émissaires officieux du pouvoir où personne ne sait plus qui faitquoi. Si la reprise en main des multiples intervenants publics ou para-publics est un objectif louable mais difficile à mener, la lutte contreles officines et les réseaux, tout comme la pratique des barbouzes imposeront une mise à plat de tout le pro cessus de fonctionnementdécisionnel en France. La recherche d'une véritable crédibilité de la France en matière de nouvelle politique africaine devrait passernécessairement et au minimum par la réduction institutionnelle de l' influence de ces « secteurs » à l'intérieur des structures de l'Etat.2) En matière d'interventions militaires, la question a souvent porté sur la légitimité des fins poursuivies (cf. 3ème partie). Il serait dès lorsjudicieux que la France revoie de manière restrictive les conditions de ses interventions extérieures et que celles-ci soientautomatiquement et nécessairement associées à la conditionnalité de la nouvelle coopération militaire et technique à définir avec les paysconcernés ou demandeurs.

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Aussi faudrait-il rendre caduques les clauses d'interventions françaises liées aux situations internes (et les clauses dites non publiques)afin que la France ne puisse plus agir comme un gendarme du continent. Les nouvelles valeurs pour lesquelles les militaires françaisdevraient agir et risquer leur vie devraient être définies en liaison avec celles présentes dans le cadre d'une future coopération militairerevue et corrigée. A cet égard, la récente proposition du parlementaire Jean-Claude Sandrier - contenue dans le rapport budgétaire del'Assemblée nationale sur les forces terrestres - tendait à soumettre toutes interventions de l'armée française dans un pays étranger aveclequel la France a signé un accord de défense à l'approbation préalable de l'Assemblée nationale.L'intervention militaire française ne devrait plus être qu'une mission liéeà la protection-récupération de ressortissants (par utilisation dans ce seul 96cadre des forces spéciales, marsouins et légionnaires), en adoptant une position neutre vis-à-vis des belligérants éventuels. Tout autrescénario devrait engager nécessairement un processus juridique international onusien (Casques bleus) ou une coalition ad hoc inter-africaine ou euro-africaine d'interposition sous mandat régional légitimé par l'ONU dans des délais plus courts pour « calmer le problèmede conscience des opinions »2a. L'unilatéralisme des interventions militaires a vécu. Ce qui fut observé en partie en Centrafrique en1996-1997 (et plus complètement au Congo en juin 1997) démontre que cette nouvelle orientation est déjà intégrée dans la politiquefrançaise.L'image de marque de la France en Afrique (et davantage encore dans l'esprit des populations locales) a tout à gagner à cettemultinationalisation des forces d'interposition qui assurerait mieux leur légitimité.En conséquence, les accords de défense stricto sensu doivent être dénoncés comme périmés": ils furent prévus lors de conflitsinterétatiques. Or, la très grande majorité des conflits actuels sont internes ; de plus, ces accords impliquent une trop grande proximitéavec des régimes souvent critiquables ou corrompus qui ont déjà joué sur les clauses afin d'engager une intervention française au profitindirect ou direct de la pérennité de leur régime. Ces reliquats d'un autre âge devraient être remplacés par des accords de défense et desécurité sous-régionaux et régionaux inter-africains, même si les quelques exemples actuels posent encore question.3) Durant la guerre froide, la France a surévalué l'intérêt stratégique de telle ou telle base prépositionnée 26; aujourd'hui, certains motifsinvitent à réviser la présence militaire permanente en Afrique. A côté des raisons budgétaires et stratégiques développées en premièrepartie dans 1e cadre des nouvelles orientations déjà inscrites en 1996, nous ajouterons l'importance à accorder à la projection depuis lamétropole ou depuis certains bâtiments en mer, l'image négative souvent associée à ces installations militaires par les populations liées àl'opposition politique et par conséquent les effets pervers que certains prépositionnements peuvent avoir sur une future coopérationmilitaire renouvelée en Afrique.Aussi devrions-nous considérer comme un choix salutaire 1e retrait éventuel des forces françaises permanentes de certains Etatsafricains qui avaient été choisis pour des raisons d'ordre politico-économique plutôt que stratégique : Côte-d'Ivoire, Gabon, Centrafrique.Sans que la coopération mili97

taire technique y soit abandonnée, la France pourrait renoncer à ces prépositionnements pour se concentrer, selon les jeuxd'influence intra-hexagonaux, sur les déploiements périphériques avec effectifs plus réduits (Dakar et Djibouti) avec probablement1e verrou terrestre et central qu'est 1e Tchad (à moins qu'une éventuelle conditionnalité politique en termes de droits de l'hommen'hypothèque ce dernier site). Mais il est probable que 1e positionnement géostratégique de N'Djamena et de Djibouti sera encoreprivilégié par les décideurs français, qui ferment les yeux sur les aspects non démocratiques de l'organisation politique tchadienne.Quant à la rotation plus affirmée et plus régulière des forces prépositionnées résiduelles, elle est à confirmer. Elle permet de donneraux Africains une image militaire de la France qui ne soit plus limitée aux troupes d'élite (à l'esprit davantage « colonial »). Lesmouvements plus fréquents rendent plus difficiles d'éventuelles complicités entre officiers et personnalités du régime.La rotation régulière, à partir d'unités de la métropole, de militaires aux origines très diverses doit également permettre de mieuxharmoniser 1e paysage avec les cadres de la coopération militaire technique, et de limiter autant que possible l'engagement del'infanterie de marine et des légionnaires aux opérations plus délicates de récupération de ressortissants. Cela permet éga lement àcertaines unités (déjà liées aux structures de coopérations multinationales européennes) de connaître 1e terrain en vued'éventuelles futures opérations ad hoc collectives dans les cadres gigognes ONU/ OUA,UEO.Il est dans l'intérêt de la France (quelles que soient les traditions militaires africaines de l'Hexagone concernant ces unitésconditionnées à l'environnement africain), d'intégrer davantage d'unités classiques (non spéciales), afin que la perception qu'ont lesAfricains des forces armées résiduelles éventuellement maintenues par la France soit associée à une culture militaire diffé rente etfinalement à une ouverture d'esprit.A moyen terme, il n'est pas certain que 1e prépositionnement perdure. Déjà, l'extraction des ressortissants européens du Congo-Brazzaville (juin 1997) s'est faite avec 1e concours d'unités provenant directement de la mé tropole, même si elles ont utilisécertaines installations de transit sur le continent. Dès lors, l'avenir du prépositionnement des forces sera plus particu lièrement lié àcelui des accords de défense, déjà en partie remis en cause par un certain nombre d'observateurs de la politique militaire africainede la 988France. De toute évidence, la présence des familles de militaires accroît la vulnérabilité du dispositif et 1e risque de déclenchementde crises en cas d'attentat ou de prise d'otages dont elles seraient victimes.4) Reste 1e domaine plus complexe de la coopération militaire technique, dont la lecture politique et militaire peut se faire à partirde plusieurs entrées. Pour former les Africains de demain à projeter la stabilité à l'extérieur et à l'intérieur, considérant égalementque les Européens ne peuvent négliger la coopération militaire dès le moment où ils font de la coopération globale - vu la placeparticulière du militaire en Afrique -, quelques conditions devront être posées avant de définir une nouvelle coopération France-Afrique débarrassée des scories du passé.La coopération militaire doit être modifiée dans 1e sens d'une sécurité ef fective pour les populations ; elle ne peut être élaboréequ'avec les seuls Etats respectueux des droits de l'homme. Elle devra donc évoluer dans un cadre où 1e militaire africain aura faitserment de fidélité aux institutions et à la Constitution et non à la personne du Président. La coopération militaire française ne peutêtre au service d'un régime, mais de l'Etat et de la nation en priorité. Aussi ne pourra-t-elle être effective que lorsqu'il y aurapluriethnisme des armées dans toutes leurs composantes, reflétant ainsi de manière fiable les diverses couches de la société.L'armée française ne devra plus favoriser l'instrumentalisation de l'ethnicité au profit des intérêts sociaux et politiques de clans. LaFrance devrait s'interdire de former les unités d'élites monoethniques et les gardes présidentielles à composition clanique.Dans cet ordre d'idées, il devient nécessaire de retirer les derniers mili taires français des postes de responsabilité directe dans lesarmées africaines ou auprès des chefs d'Etat ; ils devraient s'engager sous serment à ne pas devenir conseillers des services desécurité après la fin de leur carrière au service de la France. La spécificité du métier des armes devrait aboutir à l'adoption d'une loirestreignant considérablement les possibilités de reconversion à but lucratif des militaires français en conseillers de sécurité ; onévitera ainsi qu'ils interfèrent avec la nouvelle politique de coopération militaire.

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Le lien de conditionnalité entre la coopération et la démocratisation, tel qu'il fut posé, mais mal appliqué27, dans l'esprit de la Baule(juin 1990) devrait être affiné. Car « le processus de démocratisation ne s'est pas encore ac99

compagné d'un renforcementde l'Etatde droit »28. Si la coopération doit prendre en compte la nature du pouvoir politique, « lesoutien aux dirigeants élus démocratiquement ne peut être un blanc-seing pour faire n'importe quoi » ni « le suffrage universel, uneclef pour établir, même légalement, une dictature »29. En d'autres mots, les critères de conditionnalité de la coopération militairefrançaise en Afrique devraient élargir celui de démocratie afin de ne pas placer la coutume africaine, les notions ethniques et 1erelativisme culturel au-dessus du respect universel des droits de l'homme. Car, dans la douzaine d'Etats bénéficiant d'unecoopération en matière de sécurité interne, plus de la moitié, en 1996, n' « avait pas encore fait preuve d'alternance politique aumoyen d'élections libres, ouvertes et transparentes »3°. Comme l'affirme l'ambassadeur Stephane Hessel, « ce n'est pas parcequ'un président a été démocratiquement élu qu'il est un bon porteur de la démocratie » et ce n'est pas parce qu'il a « pris le pouvoirpar un coup d'Etat qu'il n'est pas nécessairement porteur d'une évolution démocratique »3'. La coopération militaire française sedoit cependant d'opérer dans les seuls Etats où ce modèle d'ambiguïté est absent, parce qu'elle peut subtilement être récupéréepar le chef d'Etat à son seul profit.Toute la difficulté actuelle vient du fait que si « la bonne gouvernance »32 et la conditionnalité de Lomé IV en novembre 199533,insistant sur 1e maintien d'un cadre légal et administratif et d'état de droit 14, sont des approches mieux réfléchies du cadre de lacoopération, en vérité, les inconnues demeurent.L'effort de la MMC est orienté, depuis quelques années, sur l'appui à la gendarmerie et aux gardes nationales, parce qu'il « répondau concept de stabilité et de préservation de l'Etat de droit »35. Mais la perception de cette coopération restera ambiguë si cesunités formées et soutenues par la France sont toujours exclusivement au service d'un pouvoir monolithique. Si l'in sistance portéesur 1e respect de l'ordre interne par 1e biais de gendarmeries républicaines a pour objectif d'éviter que les armées africaines nes'en occupent, la démilitarisation de la coopération ne peut éluder automatiquement la question des rapports entre les coopérantsfrançais en matière de sécurité et les atteintes aux droits de l'homme (ex : Tchad).Objectif louable, la recherche de la stabilité et la protection des institutions (incluant la lutte contre 1e grand banditisme et l'amélioration de la 10osécurité urbaine3) lient 1e développement et la sécurité. Mais Te-risque est grand de voir un transfert vers les forces paramilitaireset les gendarmeries de moyens et d'outils (21 % des effectifs et 50% des équipements de la MMC vont déjà aux forces de sécurité)qui finalement alimenteront les moyens d'unités au service d'un chef ou d'un clan. Dans ce schéma, les unités mi litaires classiquesdont les grandes organisations internationales (Banque mondiale, FMI, Bretton Woods) imposent qu'elles réduisent leurs effectifs,afin qu'elles soient mieux entretenues et plus stables, pourraient jouer encore la carte de l'intervention interne, en concurrence avecdes unités à connotation politique mieux outillées et plus proches du pouvoir.Si la recherche d'une sécurité de proximité est prioritaire par rapport à la stricte défense des frontières, l'avenir de cette coopérationaux objectifs internes sera dépendante de la formation qui sera prodiguée à ces unités particulières et policières. Un enseignementsur 1e respect des organes de l'Etat, sur le droit humanitaire, sur les droits de l'homme et la place du militaire dans la société, dansl'esprit de ce qui se fait en Europe de l'Est dans 1e cadre du Partenariat pour la paix, semble incontournable. Tout va doncdépendre à la fois de l'équilibre interne des institutions politiques et du nouvel esprit à ac quérir en matière de coopération àobjectifs internes. La formation au respect de l'Etat de droit, à « l'esprit républicain »37, devra rester sous contrôle de missionsd'évaluation et de surveillance parlementaires mixtes.La Mission militaire de coopération ne devrait pouvoir agir que dans les Etats africains respectueux des règles du droit: « Tout coupd'Etat visant un régime démocratiquement élu est condamnable, quel que soit le pays en cause »38 et doit dès lors provoquerrapidement l'arrêt de la coopération : suspension de la formation en écoles, restriction de visas pour 1e personnel des forcesarmées, des membres du gouvernement et de leurs familles, annulation des visites de militaires, embargo sur les exportationsd'armes, limitation des déplacements du personnel militaire présent dans les représentations diplomatiques en France puisexpulsion de ce personnel.En matière de coopération militaire au sens classique du terme, la France devra probablement réorienter un certain nombre de sesprogrammes vers la satisfaction des besoins fondamentaux des populations et la stabilité des institutions. Déjà, dans 1e cadre durenforcement de la coopération en matière de sécurité, l'assistance militaire technique insiste depuis quelques années 101

sur l'utilisation d'unités militaires africaines pour des missions de surveillance (contrebande, banditisme, appui aux douanes, recherche decultures de drogue) grâce aux moyens des trois armes.Là aussi, une grande importance doit être accordée à la formation des armées au service de l'Etat de droit. Celui-ci ne pourra êtrerespecté que si les militaires africains acquièrent une nouvelle mentalité, de nouvelles pratiques et si leurs effectifs, souvent pléthoriques,sont réduits. La formation en droit des conflits armés et en civisme-comme ce fut 1e cas des armées allemandes et japonaises dansl'après-guerre - pourrait être tentée. A cet égard, l'Institut international de droit humanitaire de San Remo n'a pas encore eu, jusqu'àprésent, 1e plaisir d'accueillir de nombreux stagiaires africains francophones! Pourquoi ne pas créer une école interafricaine de droit desconflits armés et une école d'état-major interafricaine ?Dans ce cadre, il devient urgent de former les militaires africains des pays de la coopération aux concepts de prévention des conflits, derèglement des différends, de gestion de crises en interforces, interarmes et multinational, afin qu'ils soient sensibilisés aux processusd'élaboration de forces interafricaines d'interposition. Cette orientation qui pourrait être inscrite sous forme de Livres blancs nationaux,permettrait également aux militaires africains de retrouver des objectifs réellement conformes à leurs missions premières: défense duterritoire national et stabilité régionale.La nouvelle coopération militaire française devrait également travailler sur les programmes de reconversion des armées, sachant que bonnombre de militaires africains démobilisés d'autorité doivent pouvoir trouver une activité sociale et économique de remplacement dans 1ecivil, sous peine de grossir les milices ou les bandes armées.L'aide à la réintégration39 qui semble être une manière pour les frères d'armes français (projet du général de Linage)" et belges (projetBrassinne de La Buissière)41 d'aider les cadres militaires africains à se recycler passe aussi par l'utilisation des forces armées dans l'aide àla Nation : grands travaux, protection des ressources naturelles, génie civil, transports en enclaves éloignées, aide logistique auxélections, déminage humanitaire, assistance médicale...Sachant que ces missions de développement par les militaires ne peuventêtre exclusives - elles risquent de neutraliser les forces armées au profit des 102forces paramilitaires présidentielles -, la nouvelle coopération devrait insister sur les formations militaires classiques (génie,communications, artillerie, infanterie, surveillance des frontières, santé). Il faut éliminer du cadre de la Mission militaire de coopération à lafois la tradition française d'endosser parfois l'uniforme local et les enseignements spécifiques aux forces spéciales (parachutistes

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commandos) bien trop associées aux gardes prétoriennes et présidentielles. Un travail d'évaluation et de remise en perspective des ob-jectifs de la MMC devient d'autant plus urgent que ces derniers mois « les armées africaines formées ou instruites par la France se révèlentpeu opérationnelles »42.Aussi, les légionnaires et les marsouins ne devraient plus être associés à la MMC pour des raisons de cohérence politique et de modèle àproposer aux Africains-quand bien même ils seraient les mieux acclimatés physiquement et historiquement à l'Afrique - mais plutôtmaintenus en réserve en métropole ou dans les DOM-TOM afin de constituer les forces d'intervention et d'interposition en cas derécupération de ressortissants ou de missions multinationales sous couvert ONU-OUA sur 1e continent.4. Les pistes pour l'avenir: coopération militaire« européanisée » et africanisation de la sécuritéDeux tendances pourraient apparaître à l'avenir, complémentaires mais potentiellement contradictoires :1' européanisation de lacoopération et l'africanisation de la sécurité via les forces interafricaines d'interposition.Aujourd'hui, dans un nombre de plus en plus grand de situations, la France ne peut plus et ne veut plus agir seule en Afrique. Tétanisé par1e précédent de l'opération Turquoise, paralysé dans la crise zaïroise, ambigu dans la gestion de la crise centrafricaine et distant dans lesheurts à Brazzaville, Paris semble avoir pris ses distances par rapport à sa tradition d'interventions. L'avenir des prépositionnements estremis en question dans certains cercles politiques et stratégiques de l'Hexagone, tandis que la Mission militaire de coopération pourraitêtre revue et corrigée.Une certaine européanisation de la coopération et des interventions extérieures semble inéluctable, bien que demeurent des prérogativesen intérêts nationaux. Dans 1e domaine de la récupération de ressortissants sur le con103

tinent lors de crises violentes, le processus d'européanisation est en cours. L'identité européenne de défense et 1e renforcement del'espace politique européen favorisent l'idée selon laquelle la protection des citoyens européens est une question d'ordre communautaire.Déjà, on parle d'associer l'Euroforce et l'Euromarforce comme outils pour agir en protection de ressortissants étrangers dont la vie seraitmenacée, dans 1e cadre des missions de Petersberg de l'UEO. Il est aussi possible de détacher au sein de l'Eurocorps un corpsd'intervention pour l'Afrique, alors que la brigade franco-allemande devrait effectuer des manœuvres cet automne au Gabon.Dans 1e domaine de la coopération militaire, la montée des défis en Afrique subsaharienne imposera tôt ou tard une refonte de la MMC etl'organisation d'une synergie avec certains autres Etats européens. La France ne pourra plus longtemps assurer seule cette coopération,ne serait-ce que pour des raisons budgétaires et politiques.Dans tous les cas, européaniser la coopération devrait permettre de lever en partie les interrogations sur 1e caractère désintéressé desbuts poursuivis par la France, faciliter la cohérence de l'ensemble, mieux gérer les ressources et partager les responsabilités. Cela «élargira l'appui de l'opinion publique et rendra (possible) un consensus entre les partenaires européens »43. Cela permettrait ausside « protéger Paris des chantages incessants de ses alliés subsahariens »44. Enfin, européaniser 1e cadre de coopération peutamener à réduire l' « américanophobie » française qui, même si elle n'est pas totalement infondée, doit se gérer autant que possiblecollectivement, à l'instar des relations transatlantiques dans 1e cadre de l'OTAN.Aujourd'hui, le processus d'européanisation n'est pas très visible. Nous assistons à de l'échange d'informations plutôt qu'à de laconcertation. Si cette européanisation de la politique africaine et de la coopération militaire devait apparaître, elle devrait s'exprimer à lacarte, de manière ad hoc, probablement sous la forme d'une définition commune posée par quelques pays qui souhaitent maintenir uneinfluence en Afrique ou s'y établir plus largement Allemagne, Belgique, France, Italie, Portugal et Royaume-Uni. L'évolution de la situationgéopolitique en Afrique et l'affaiblissement de la capacité de la France à gérer adéquatement les problèmes africains sur un mode bilatéralimposent une nouvelle coopération franco-euro-africaine. 104A cet égard, certains pays africains francophones ont déjà sollicité la Belgique en matière de coopération et de formation militaire,parallèlement à la MMC française 45 tandis que l'Allemagne s'est engagée militairement au Mali (génie et travaux). Afin d'éviter laconcurrence et les incohérences, la concertation inter-européenne devient dès lors inéluctable.L'organisation d'une politique de concertation inter-européenne sur l'Afrique devra tenter d'harmoniser les politiques de coopérationmilitaire selon plusieurs critères tels que ceux développés ci-dessus. Elle devrait également aider à l'édification, l'organisation et la mise enoeuvre d'une force interafricaine de maintien de la paix et d'interposition dont l'idée n'est pas récente.L'idée d'organiser une structure de forces interafricaine pour la gestion des crises en Afrique a pris une nouvelle consistance suite àplusieurs propositions parfois contradictoires- proposition faite à Biarritz en 1994 d'une Force d'action rapide interafricaine (FARI) déjà évoquée à Dakar en avril 1977, et précédant lavisite d'étude de l'UEO en Afrique en été 199646;- concept américain de force africaine de réaction en cas de crise (African crisis response initiative ou ACRI) hors du cadre de l'ONU;- proposition franco-britannique de force multilatérale africaine de maintien de la paix 47 ;- concept français de « Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix » (RECAMP) à partir de l'expérience du MISAB ;- réflexions menées par l'Organisation de l'unité africaine (OUA) avec les soutiens de l'Union européenne et des Etats-Unis.L'idée centrale est que la communauté internationale « doit aussi aider l'ONA à se donner les moyens humains, matériels et financiersd'une force de "police" à même d'intervenir rapidement là où cela s'avère nécessaire, de se substituer à des autorités nationalesdéfaillantes et d'imposer à ses membres le respect des droits de l'homme, ainsi que leur capacité de contrôle et d'intervention danstous les pays où des personnes déplacées ou réfugiées, rentrant chez elles, doivent pouvoir se réinstaller dans des conditionsacceptables, dignes d'un être humain »48.Finalement, 1e 23 mai 1997, la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se mettaient d'accord sur un projet commun d'assistance àdes « capa105

cités interafricaines pour le maintien de la paix » (ex-« Force interafricaine de paix » dénommée par l'Organisation de l'Unité africaine en1994) proposé à l' OUA et à l'ONU. Il s'agirait de former en deux ou trois ans 5 ou 6 bataillons (environ 3.000 à 4.000 hommes) équipés etinstruits dans une culture du maintien de la paix, à partir d'une identification des pays volontaires du continent, capables de contribuer aumoins à un bataillon49.Les pays occidentaux seraient fournisseurs d'aide (moyens financiers, équipements, moyens de transport) mise à la disposition des Etatsafricains en cas d'emploi sous mandat OUA ou ONU. Un prépositionnement d'équipements protégés et sous bonne garde serait possiblesur le continent, avec libération d'échantillons à des fins d'entraînement" ). A cet égard, la France prépositionnera à Dakar (Sénégal) deséquipements militaires récupérés auprès de ses unités dissoutes afin d'en doter un bataillon africain de maintien de la paix fort de 600hommes.On voit apparaître dans cette initiative encore à concrétiser l'idée de formation, d'aide technique et de prépositionnement - éléments reprisdans la coopération militaire française classique - avec d'autres objectifs plus conformes à la nouvelle réalité de l'Afrique. Conscients de lafaiblesse de leur budget et de leur dépendance technique envers les moyens extérieurs pour entreprendre des opérations de maintien de

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la paix sur le continent, les Etats africains ont renoncé pour l'instant à l'idée d'une force interafricaine ad hoc permanente. Ils envisagentplutôt des modules de forces en attente « regroupées rapidement, dirigées par des Africains et déployées sous les auspices de l'ONU»51.Approuvés par le G8 et soutenus par l' OUA, les Etats-Unis ont, dans cet esprit, commencé à mettre en chantier leur projet de forced'intervention militaire interafricaine en envoyant une soixantaine de conseillers militaires en Ouganda et au Sénégal. Le Malawi, l'Ethiopie et le Ghana seraient également concernés. L'entraînement se fonderait sur une doctrine militaire commune et comporterait uneformation aux moyens de communication et aux opérations de gestion de crise et de maintien de la paix.Parallèlement aux tentatives sécuritaires52 des organisations sous-régionales ou régionales africaines53, aux résultats parfoiscritiquables54, et aux mécanismes encore grippés et parcellaires de l'ONA pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, leprocessus de formation des armées 106africaines dans un cadre multilatéral, régional et occidental pourrait remplacer en grande partie la politique d'intervention et de coopérationmilitaire bilatérale classique des pays européens pris individuellement.L'Afrique du Sud n'a-t-elle pas mené pour la première fois, en 1997, des manœuvres communes avec huit des douze pays de laCommunauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ? La France n'a-t-elle pas, pour le compte de l'ONU et à la demande desintéressés, engagé ses navires et ses avions de reconnaissance afin d'observer le cessez-le-feu entre l'Erythrée et le Yémen? N'a-t-ellepas préparé en 1995 le détachement de l'armée nationale djiboutienne à sa future mission onusienne au sein de la MINUHA en Haïti ?Qu'en est-il de l'institutionnalisation en 1997 d'une force de paix permanente des pays ouest-africains membres de l'accord de non-agression et d'assistance en matière de défense (ANAD) intégrant plusieurs pays francophones?Quant à la force multinationale MISAB (Tchad, Gabon, Sénégal, Togo, Mali, Burkina Faso) déployée début 1997 pour surveillerl'application des accords de Bangui, participer au désarmement des mutins et assurer la sécurité de la capitale centrafricaine : n'est-ellepas la première force interafricaine francophone55 (en grande partie hors mandat ONU) venant en aide à un pays africain? Elle a étéappuyée sur le plan logistique par une cinquantaine de soldats provenant des éléments français d'assistance opérationnelle.Nous pouvons ainsi entrevoir un croisement d'intérêts en termes de stabilité et de sécurité entre le processus d'africanisation des forcesde maintien de la paix et l'européanisation de la coopération revue et corrigée sur le continent.Mais la clef de l'avenir passe assurément par le développement, l'apport de la société civile et par une modification de l'état d'esprit desAfricains qui ont des difficultés à définir leur propre stratégie. Elle sera également fonction de la capacité interne aux acteurs du continentde relancer effectivement l'esprit du document de Kampala (1991) relatif à l'organisation d'une Conférence sur la sécurité et la coopérationen Afrique, à l'image de ce qui fut fait en Europe. Le contexte actuel y prédispose.Si la sécurité interne est le souci premier de nombreux Etats africains, la coopération militaire Nord-Sud ne peut perdurer que si elle arriveà lever toutes les ambiguïtés qui peuvent être associées à ces besoins de stabilité 107

politique. Quant à la politique de prépositionnement et d'interventions mili taires françaises en Afrique, elle aura tendance dans lefutur à se réduire, à se contracter et à s'internationaliser.1. Antoine Glaser et Stephen Smith, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, Stock, 1994, p. 15.2. Cf. Eric de La Maisonneuve, La violence qui vient, Arléa, Paris,1997 ; Jean-Christophe Rufin, Economie des guerres civiles,Hachette, Paris, 1996 ; Ministère de la Défense, Les nouvelles menaces dans la perspective stratégique, Centre des hautes études del'armement, Paris, juin 1997 . 3. Les « sobels » (contraction de soldier et rebels) sont des militaires incontrôlés.4. Jean-Pierre Raison, « L'Afrique subsaharienne », L'année stratégique /997, IRIS, Paris, 1997. 5. John Mackinlay et Randolph Kent,« De nouvelles méthodes pour réagir aux situations d'urgence », Revue de l'OTAN, Bruxelles, mai-juin 1997, p. 27.6. Philippe Hugon, « Marginalisation économique et enjeux géopolitiques de l'Afrique », Relations internationales et stratégiques, IRIS,Paris, automne 1993, p. 208.7. Dominique Bangoura, « Géopolitique de l'Afrique », Défense nationale, Paris, août-septembre 1996, p. 138.8. Daniel C. Bach, « Afrique », Le Monde au présent, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1994, p. 12.9. Le Monde, 21 juin 1997.10. Hugo Sada, « L'avenir incertain des armées africaines », op. cit., p. 184. 1L Antoine Glaser et Stephen Smith, op. cit., p. 13.12. Daniel C. Bach, op. cit., p. 14.13. François Soudan, « La contagion kaki », Jeune Afrique, février 1996, p. 19. 14. Entretien avec 1e général Michel Rigot, Paris, 26juin 1996.15. Cf. Daniel C. Bach et Anthony A. Kirk-Greene (sous la direction de), Etat et sociétés en Afrique francophone, Economica, Paris,1994.16. Editorial, Le Monde, 7 décembre 1996. 17. Discours du CEMA à bord..., op. cit.18. Le 7 mars 1997, 1e ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette, indiquait encore que « Le président Mobutu estincontestablement la seule personnalité capable de garantir l'intégrité territoriale du Zaïre » (Le Soir, 20 mai 1997).19. Editorial dans Le débat stratégique, n°31, CIRPES, Paris, mars 1997, p. 1.

20. Beaucoup de propositions de réformes préconisées sous forme de rapports commandés par 1e Premier ministre ou 1e Ministèrede la Coopération n'ont pas vraiment abouti à une révision en profondeur de la coopération en général et de la MMC en particulier :rapports Pignon (1961), Jeanneney (1963), Gorse (1971), Abelin (1975), Vivien (1982), Samuel-Lajeunesse (1989), Hesse/ (1990),Viven (1990), Michailof (1993), Conseil économique et social (1993), Marchand (1996). Il faut y ajouter Ies multiples rapports internesde la Cellule de prospective du Quai d'Orsay dont certains émanaient de Jean-François Bayart.2L Entretien avec l'ambassadeur Stéphane Hessel, Paris, 22 mai 1997.22. Le 29 avril 1997, 1e parti socialiste français adoptait un nouveau programme fixé par la commission Afrique souhaitant lasuppression de la cellule africaine de /'Elysée.23. Cf. André Dumoulin, La dissuasion nucléaire européenne. Quel avenir ?, Les Dossiers du GRIP, n°211-212, Bruxelles, 3-4/1996.1o824. Pascal Boniface, « Intervention militaire et charité », Le Monde, 16 novembre 1996. 25. Entretien avec Dominique Bangoura, Paris,26 juin 1997.26. Pierre Dabezies, « Afrique subsaharienne. Evolution géopolitique et géostratégique (19751995) », Armées d'aujourd'hui, n°203,Paris, septembre 1995, p. 43.27. Jean-François Bayart, « Bis repetita...», op. cit., p. 15.28. Commission européenne, Livre vert sur les relations entre l'Union européenne et Ies pays ACP à l' aube du 21 ème siècle. Défis etoptions pour un nouveau partenariat, Bruxelles-Luxembourg, 1997, p. 19.29. Eurafrique, Paris, février 1997, p. 8.

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30. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux...», op. cit., p. 135. 31. Stéphane Hessel, Entretien à Libération, 5 mars 1997.32. Hervé de Charrette, Discours à la réunion ministérielle de suivi de la 18ème conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique,Paris, 25 janvier 1996.33. Guido Lenzi, « Le rôle de l'UEO en Afrique subsaharienne », dans Gestion de crise et règlement des conflits en Afriquesubsaharienne : rôle de l'UEO, op. cit., p. 58.34. Commission européenne, Livre vert sur les relations entre l'Union européenne et les pays ACP à l'aube du 2/ ème siècle. Défis etoptions pour un nouveau partenariat, Bruxelles-Luxembourg, 1997, p. 4.35. Rapport d'activité /996 du Ministère de la Coopération, Paris, 1997, p. 150.36. Hugo Sada, « Afrique. Le budget de la coopération en baisse », Défense nationale, janvier 1997, p. 183.37. Entretien avec Jean-Pierre Cot, Bruxelles, 24 juin 1997.38. Jean-Baptiste Placca, Editorial, dans L'autre Afrique, n°3, Paris, 4-10 juin 1997, p. 3.39. Reginald Moreels, « Les relations entre la Défense nationale et la coopération au développement », Débat au Parlement belge, «Quelle armée demain ? », Bruxelles, 24 avril 1997.40. Une vingtaine d'anciens officiers St Cyrien de la promotion 57-59 « terre d'Afrique » tentent de travailler hors de la structureinstitutionnelle de la Défense nationale, des Affaires étrangères et de la Coopération, via les liens personnalisés entre frères d'armesfrançais et africains (avec l'aide d'ONG caritatives) afin de créer des cellules de base sur 1e développement durable, aider à la forma-tion professionnelle des jeunes pendant leur service militaire, aider à la reconversion de militaires africains en surnombre et audéveloppement économique des pays concernés. Ce réseau AFOCAT (Association française oeuvrant dans 1e cadre de l'Afrique) crééen 1995 travaille actuellement particulièrement au Niger. (Entretien avec le général de Linage, Paris, 22 mai 1997)41. Selon un projet (non encore concrétisé) d'une ONG belge sous la présidence du chevalier Brassinne de La Buissière, et du colonelBEM Emile Havenne, il est proposé de faire travailler les militaires africains dans 1e développement économique de zones rurales(avec utilisation d'unités du génie, de la logistique, des transmissions et de santé en soutien direct ou. indirect) avec pour principe ladémilitarisation avant recyclage des militaires. L'objectif prioritaire serait de « réduire les effectifs de l'armée tout en contrôlant lepersonnel licencié en lui fournissant du travail. Le reste de l'armée, ainsi réduite, sera plus contrôlable et pourra finalement être payérégulièrement et rentrer dans la légalité ». (Cf. Coopération et progrès, Zaïre. L'armée au service du développement. Projet, Bruxelles,mars 1996 ; Coopération et progrès, Etude de synthèse sur l'intégration des forces armées dans le processus de développementéconomique dans les pays d'Afrique centrale, Bruxelles, juin 1995). 42. Guy Labertit, op. cit.43. Alvaro Vasconcelos, « L'Europe devrait-elle avoir une politique en Afrique? », dans Gestion de crise et règlement des conflits enAfrique subsaharienne : rôle de l'UEO, Cahiers de Chaillot n°22, Institut d'Etudes de sécurité de l'UEO, Paris, décembre 1995, p. 13.44. Jean-François Bayart, « Bis repetita...», op. cit., p. 28. 109

45. Entretien avec 1e colonel Jacques Wirtgen, Bruxelles, 4 juin 1997.46. André Dumoulin, « La présidence belge à l'UEO », Memento défense-désarmement /997, GRIP, Bruxelles, 1997.47. Claude Monier, « Evolution du concept américain de maintien de la paix en Afrique », Défense nationale, Paris, juillet 1997, p.161.48. Commission Justice et Paix Belgique, op. cit., p. 4.49. A ce propos, l'Afrique du Sud, 1e Sénégal, 1e Mali, Djibouti, l'Ouganda, 1e Ghana et 1e Zimbabwe ont été cités.50. Stephen Smith, « Une troïka occidentale veut mettre l'Afrique sous casque bleu », L'autre Afrique, n°3, Paris, 4-10 juin 1997, pp.16-17.5L Warren Christopher, Discours d' Addis Abeba, OUA, 10 octobre 1996, dans Jeune Afrique, n'1869, Paris, 30 octobre-5 novembre1996, p. 33.52. Cf. la mission ECOMOG menée au Liberia en 1990 sous la coordination de l' OUA et la Mission interafricaine de surveillance desaccords de Bangui (MISAB) en Centrafrique.53. L'ECOMOG fut évalué par bon nombre d'observateurs comme un moyen d'influence du Nigeria qui y disposait du plus grandnombre d'effectifs (80%). Les forces nigérianes furent accusées d'entretenir 1e conflit, de bombarder des objectifs civils et prendre partà une économie de pillage, alors que leur fonction était de surveiller 1e cessez-le-feu, ramener l'ordre et créer les conditions pour quedes élections puissent être organisées.54. Parmi les plus importantes, citons la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEAO) dont les Etats membres (Bénin,Burkina Faso, Côte-d'Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal) signèrent le 9 juin 1977 un accord de non-agression et d'assistance enmatière de défense (ANAD) dont un protocole additionnel relatif à une assistance en matière de sécurité intérieure fut adopté en dé-cembre 1982 (siège: Abidjan). La seconde organisation regroupe la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest(CEDEAO) créée en 1975, dont 13 des 16 Etats membres (Bénin, Burkina Faso, Gambie, Guinée, Ghana, Liberia, Mauritanie, Niger,Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo, Mali) ont signé plusieurs protocoles d'assistance mutuelle (PAM) en avril 1978 et mai 1981(siège Lagos). Quant à la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) créée en 1980 et qui comprend l'Afrique duSud, l'Angola, 1e Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et 1e Zimbabwe,elle peut remplir un rôle intégrateur en matière politique et économique, tout en développant une politique de prévention des conflits via1e Comité de défense et de sécurité inter-étatique (CDSIE).55. Jean-Pierre Masseret, La contribution de l'UEO au renforcement de la paix en Afrique centrale, document 1566, Assemblée del'UEO, Paris, 13 mai 1997, p. 30.

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Annexe 2 : Liste des principaux accords de coopération militaire bilatéraux en vigueur début 1997Pays africains « du champ » (dépendant du ministère de la coopération)

Pays Date Type

Bénin31/03/6627/02/75

- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires- Accord de coopération militaire technique ; échange de lettres sur les facilités d'escale et de transit

Burkina Faso24/04/6114/07/65

- Accord d'assistance militaire technique (AMT)- Convention relative au soutien logistique des forces armées

Burundi07/10/6931/05/74

- Accord particulier relatif au concours en personnel militairepour l'organisation, l'instruction et l'emploi de l'escadrille burundaise- Extension de l'accord précité à l'ensemble des forces arméesburundaises

Cameroun

18/07/6621/02/7421/02/7421/02/74

- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires- Accord de défense- Accord de coopération militaire- Convention fixant les règles et modalités du soutien logistique aux forces armées

Centrafrique

15/08/6010/09/6521/05/6608/10/66

- Accord de défense- Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces terrestres,aériennes et de la gendarmerie (avenant de mars 1973)- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires- Accord concernant l'assistance militaire technique

Comores10/11/7804/08/79

- Accord de coopération en matière de défense- Convention relative au concours militaire technique

Congo 01/01/74- Accord de coopération technique en matière de formation de cadres et d'équipement de l'armée populaire nationale

Côte-d'Ivoire

24/04/6124/04/6108/04/6503/09/6526/01/7819/03/80

- Accord de défense- Accord d'assistance militaire technique- Convention fixant les règles et conditions du concours français au soutien des forces terrestres, aériennes et de la gendarmerie- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires- Accord particulier pour la coopération en matière d'armement- Accord particulier pour la formation des pilotes

Djibouti

27/06/7728/04/7803/09/7912/02/8011/02/91

- Protocole provisoire fixant les principes de la coopération militaire- Echange de lettres fixant les conditions fiscales applicables aux AMT- Convention relative à la création et au fonctionnement d'un bureau provisoire postal militaire. Modifiée le 12/02/85- Convention au sujet des compétences de la prévôté en matière de délits ou fautes commises parles AMT- Accord portant sur la surveillance de l'espace aérien

Gabon

17/08/6025/08/6517/11/6501/02/80

- Accord de défense et d'assistance militaire technique- Convention fixant les règles du soutien logistique des forces terrestres, aériennes et de la gendarmerie- Protocole relatif à la sécurité des vols d'aéronefs militaires- Accord particulier relatif à l'instruction des personnels de l'armée de l'air sur Mirage (+ avenant du 29/8/80)

Guinée équatoriale 09/03/85 - Accord de coopération militaire technique

Guinée-Conakry 07/04/85 - Accord de coopération militaire technique

Madagascar*

04/05/6604/06/7329/12/78en cours

- Convention de soutien logistique- Convention concernant les affaires militaires et l'assistance technique (avenants les 26/10/73 et 05/11/73)- Convention concernant l'hôpital militaire d'Antananarivo- Accord de coopération militaire technique

Mali06/05/8508/07/86et 28/7/86

- Accord de coopération militaire technique- Echange de lettres fixant les conditions fiscales applicables aux AMT

Maurice14/09/7925/09/79

- Echange de lettres relatif à la contribution mensuelle de l'lle Maurice aux dépenses de personnel AMT- Accord particulier de coopération militaire

Mauritanie

16/09/6527/04/8621/09/86et 19/2/87

- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires- Accord de coopération militaire technique- Echange de lettres fixant les conditions fiscales applicables aux AMT

Niger 19/02/77 - Accord de coopération militaire technique

Rwanda 18/07/75 - Accord particulier d'assistance militaire technique

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Sénégal29/03/7429/03/74

- Accord de coopération en matière de défense- Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces terrestres,aériennes, maritimes, de la gendarmerie, des unités militaires du service civique et des formationsparamilitaires (gardes républicaines, sapeurs-pompiers)- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires

Seychelles 05/01/79 - Accord particulier de coopération en matière navale

Tchad

06/03/7606/03/7616/06/76avril 9030/07/9130/06/92

- Accord de coopération militaire technique- Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces armées- Annexe relative au fonctionnement de l'hôpital militaire de N'Djamena- Protocole relatif au stationnement des troupes françaises au camp de Kossey- Protocole sur l'aide à l'armée nationale tchadienne- Protocole relatif à la restructuration des effectifs de l'armée nationale tchadienne

Togo*

10/07/6329/04/6528/10/6523/03/76

- Accord de défense- Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces terrestres,aériennes et de la gendarmerie- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires- Accord de coopération militaire technique

Zaïre22/05/7409/07/76

- Accord général de coopération militaire- accord particulier de coopération en matière d'aéronautique militaire ;- arrangement de coopération militaire technique dans lesdomaines de l'aéronautique (avenants en date du 7/07/75, 02/03/76 et 07/05/77) ;- arrangement relatif à l'instruction du personnel zaïroisdans les écoles de l'armée de l'air française- Arrangement de coopération militaire technique dans le domaine de la force terrestre (avenant en date du 07/02/78)

* Renégociations en cours.Sources : GRIP DATA; Michel Voisin, Avis n°3033, présenté au nom de /a Commission de /a Défense nationale et des forces arméessur /e projet de loi des finances pour 1997, Tome //, Affaires étrangères Coopération, Assemblée nationale, Paris, 10 octobre 1996, pp.32-34 ; Rapport Amnesty International sur le Tchad, Londres, AFR, 20/04/96F.

Annexe 3 : Répartition de l'aide directe en matériel

PaysAide directe 1997sans transport (en millions de FF)

Opérationsprévues

Angola 0,11

Bénin 4,50Equipement GendarmerieAide aux forces armées dans le cadre de lamanœuvre franco-béninoise 97

Burkina Faso 5,00Equipement auto et transmissions, pièces de rechange

BurundiCambodge 2,50Cameroun 9,00 Remise à niveau des unitésCap Vert 0,50 Equipement d'une unité de sécuritéCentrafrique 10,00 Remise en ordre des FACAComores 2,50 Soutien logistique aux forces de sécurité

Congo 5,00Equipement de la GendarmerieSoutien des forces armées

Côte-d'Ivoire 12,00Valorisation du soutien logistiqueEcole des forces armées

Djibouti 6,50 Soutien logistique des forcesGabon 5,00 Soutien logistique des forces et de la GendarmerieGambieGuinée Bissau 0,50 Aide à l'équipement des forces de sécurité

Guinée Conakry 6,50Soutien et équipement des forces de sécurité et desécoles de formation

Guinée équatoriale 0,70 Soutien aux forces de sécurité

Madagascar 7,00Soutien et équipement des forces de sécuritéSoutien des écoles de formation

Mali 5,00Soutien des forces de sécurité intérieureSoutien des écoles de formation

Mauritanie 7,00 Soutien logistique des forces de sécuritéMozambiqueNiger 6,50 Soutien des forces de sécurité

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PaysRwanda

Aide directe 1997sans transport(en millions de FF)

Opérationsprévues

Sénégal 12,00Soutien des forces armées et de la GendarmerieSoutien à l'école des cadres interafricaine

Tchad 12,00Soutien logistique des forces arméesSoutien logistique de la Gendarmerie

Togo 5,00 Soutien aux forces de sécurité

Zaïre

Transport 27,00'

Non affecté 28,192

Total 180,00

1. Ce montant correspond aux frais de transport à destination des pays bénéficiaires des matériels achetés en France par la Missionmilitaire de Coopération. Le coût du transport estimé statistiquement à 20% du coût d'achat de ces matériels était intégré en 1994 et1995 dans le calcul de l'aide par pays. Pour des modalités de gestion et un souci de transparence vis à vis des pays africains, le coûtde transport a été différencié en 1996.2. Ce montant permet à la Mission militaire de Coopération de faire face à des demandes inopinées en cours d'année, liéesnotamment aux situations de crise en Afrique. Source: Michel Voisin, Avis n° 3033, au nom de /a commission de /a Défense nationaleet des forces armées sur /e projet de toi de finances pour 1997 (n°2993), Tome //, Affaires étrangères Coopération, AssembléeNationale, Paris, 10 octobre 1996, p. 54.

Annexe 4: Répartition des effectifs de coopérants militaires français (Evolution des postes AMT 1995-1996 et prévisions 1997

1995 1996 Prévisions 1997Angola 2 2 2Bénin 23 24 22Burkina Faso 14 14 14Burundi 24 24' 0Cambodge 172 172 15Cameroun 56 54 50Cap-Vert 0 1 0Centrafrique 67 63 59Comores 36 34 28Congo 23 25 23Côte-d'Ivoire 52 50 45Djibouti 49 47 41Gabon 60 60 51Guinée 27 29 27Guinée équatoriale 4 4 4Haïti 1 0 0Madagascar 25 25 24Malawi 0 1 1Mali 25 25 23Mauritanie 53 52 47Mozambique 2 4 2Niger 49 50 44Rwanda 0 0 0Sénégal 30 32 31Tchad 60 60 55Togo 31 34 32Zaïre 2 0 0Zimbabwe 0 0 0Total 715 714 640

Postes budgétaires.1. Coopération militaire suspendue en juin 1996.2. Pour mémoire, effectifs sur le budget des Affaires étrangères.Source: Paulette Brisepierre, Avis n'89, au nom de /a commission des Affaires étrangères, de /a défense et des forces armées surie projet de loi de finances pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale, Tome 111, Coopération, Sénat, Paris, 21 novembre 1996, p. 38.

Annexe 7: liste des interventions militaires majeures de la France (à partir de 1970)Opération Lamantin (Mauritanie, 1977) : Envoi d'avions de combat après la capture de ressortissants français au Sahara occidental.Opération Tacaud 4 (Tchad, 1978) : Accrochages entre le 2ème REP et les bandes du GUNT de Goukouni Oueddeï.

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Opérations Bonite et Léopard (Zaïre, mai 1978) : 600 paras sautent sur Kolwezi (parallèlement à une opération belge) afin de mettre finmilitairement à l'attaque lancée contre l'ancien Katanga par des troupes venues d'Angola et soutenues par les Soviétiques et les Cubains.Opération Barracuda (République Centrafricaine, septembre 1979) : Envoi d'un détachement militaire pour aider David Dacko àrenverser Bokassa.Opération Manta (Tchad, juin 1983-novembre 1984) : Envoi de 4.000 hommes pour soutenir Hissène Habré face aux forces de GoukouniOueddeï, soutenues par la Libye. Opération (Togo, 1986) : Envoi de 150 paras après la tentative de coup d'Etat contre le président Eyadema.Opération Epervier (Tchad, février 1986- 1997?) : Soutien au gouvernement tchadien contre les tentatives d'invasion territoriale par laLibye.Opération Oside (Comores, 1989) : 200 militaires français débarquent après l'assassinat du président Abdallah.Opération Requin (Gabon, mai-juin 1990) : Intervention de la Légion étrangère (2.000 hommes) lors d'émeutes à Libreville et Port-Gentil et protection/rapatriement de résidents français.Opération Noroît (Rwanda, octobre 1990-décembre 1993) : Protection de ressortissants français et protection du régime en place par 550 hommes suite aux incursions du FPR.Opération Verdier (Bénin, 1991) : 450 hommes sur l'aéroport de Cotonou, censés répondre à une tentative de putsch contre le Premierministre togolais de transition, Joseph Kokou Koffigoh.Opération Godoria (Djibouti, mai-juin 1991) : Participation au désarmement de milliers de soldats de l'armée éthiopienne en transit aux frontières de la République de Djibouti et évacuation aérienne de ressortissants français en Ethiopie parallèlement à une aide humanitaire au profit des réfugiés.Opération Baumier (Zaïre, septembre-novembre 1991) : Protection et évacuation de ressortissants français avec l'aide de 450 militairesfrançais (parallèlement à une opération belge).Opération Addax (Angola, 1992) : 50 hommes participent au sein de l'UNAVEM à l'encadrement des élections.Opération Iskoutir (Djibouti, décembre 1992-mars 1993) : Opérations d'interposition et assistance médicale et humanitaire aux populationsvictimes de combat entre rebelles et forces gouvernementales.Opération Simbleau (Sierra Leone, mai 1992) : Envoi d'une frégate au large des côtes de Sierra-Leone pour secourir éventuellement desressortissants français après le coup d'Etat militaire.Opération Oryx (Somalie, décembre 1992 - mars 1993) : 2.100 hommes sous commandement américain dans le cadre de l'Unitaf aveczone de transit partiel à Djibouti aux opérations en Somalie dans le cadre de la résolution 794.Opération ONUSOM II (Somalie, 1993) : 1.100 hommes engagés dans l'opération ONUSOM 2.Opération Balata (Cameroun, février-septembre 1994) : Envoi de 9 hommes dans le cadre du contentieux frontalier entre le Cameroun et le Nigeria.Opération Amaryllis (Rwanda, avril 1994) : Evacuation de ressortissants français, de personnalités rwandaises et fermeture del'ambassade de Kigali par 500 militaires français.Opération Diapason 1 et 2 (Yémen, 5-11 mai 1994) : Evacuation de ressortissants occidentaux du Yémen par voie maritime et aérienneavec le soutien des forces françaises maritimes de l'océan Indien et des forces françaises prépositionnées à Djibouti (FFDJ) aidées deleurs alliés.Opération Turquoise (Zaïre/Rwanda, juin-août 1994) : Avec 2.500 militaires français et leurs alliés ouest-africains, création au Zaïre d'unezone humanitaire sûre, opération sanitaire au profit des réfugiés rwandais et probablement soutien à l'exfiltration d'extrémistes rwandaishutus fuyant l'offensive du FPR.Opération Azalée (Comores, octobre 1995): Intervention des forces spéciales françaises à l'appel du Premier ministre comorien après lecoup d'Etat organisé par Bob Denard. Opérations Almandin 1 et 2 (République Centrafricaine, 1996-1997) : Interventions de protection de ressortissants suite à plusieursmutineries d'une partie de l'armée à Bangui. Intervention militaire française de coercition contre les militaires rebelles suite à l'assassinatde deux militaires français.Opération Pélican (Congo-Brazzaville, mars 1997) : Protection et éventuellement récupération de ressortissants français en cas detroubles lors de la prise de Kinshasa par les forces de Laurent-Désiré Kabila.Opération Pélican 2 (Congo-Brazzaville, juin 1997) : Protection et récupération des ressortissants suite à la guerre que se livrent lesdifférentes milices et armée gouvernementale dans la capitale.Opération Pélican 3 (Congo-Brazzaville, juin 1997) : Evacuation vers Libreville, N'Djamena et Bangui de tous le personnel militaire français de la capitale congolaise. NB: Nous pouvons également citer les opérations Corymbe (Afrique de l'Ouest, mai 1990), Berenice/Armide (Somalie, janvier 1991), Totem (Ethiopie, mai 1991), EFAO (Centrafrique, juillet 1991), MINURSO (Sahara occidental, septembre 1991), Iskoutir (Djibouti, février 1992), Bajoyer (Zaïre, janvier-février 1993),Yabmo (Burundi, octobre 1993), Croix du Sud (Niger, octobre 1994 - mars 1995), Aramis (Cameroun, février 1995), UNAVEM (Angola, mars 1995).Sources: GRIP DATA; Le Monde Dossiers et Documents, janvier 1987; Avis n°1755, Assemblée nationale, 1 er décembre 1994; Air fan, novembre 1989; Le Nouvel Afrique Asie, juin 1995; Défense nationale, mars 1997; Armées d'aujourd'hui, septembre et novembre 1991 ; Rapport 1995 de /'Observatoire permanent de /a coopération française; Olivier Lanotte, L'Opération Turquoise au Rwanda, Notes et études de l'unité de relations internationales n°8, Louvain-la-Neuve, 1996, p. 83 ; Ramsès 1998.