4
La gestion des risques par programme : e ´le ´ments de me ´thode The program approach for risk management: Methodological elements W. Dab Cnam, hygie `ne et se ´curite ´, 292, rue Saint-Martin, 75003 Paris, France Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com D e plus en plus souvent, les risques professionnels font l’objet de programmes d’actions [1], notion qui sous-tend les contrats d’objectifs et de moyens ins- taure ´s par la loi de 2011 pour les services de sante ´ au travail. Que faut-il entendre au juste dans le terme de programme ? Quelles diffe ´rences y-a-t-il entre un programme et une action ? En quoi consistent l’e ´laboration et la mise en œuvre d’un programme de sante ´? De fac ¸on ge ´ne ´rale, le programme est une manie `re d’organiser les actions sur le terrain. L’approche par programme est une application des me ´thodes de management par projet. Son utilisation dans le domaine de la sante ´ date d’une trentaine d’anne ´e [2] et parmi les pays francophones, le Que ´bec a e ´te ´ pionnie ´. Deux conside ´rations ont pre ´side ´a ` l’e ´mergence de cette approche dans le domaine de la sante ´ publique, entendu comme l’approche populationnelle des questions de sante ´ [3]. D’une part, il s’agissait de prendre en compte l’ine ´vitable complexite ´ des actions a ` mener pour obtenir une ame ´liora- tion de l’e ´tat de sante ´ d’un groupe d’individus. Cette comple- xite ´ est lie ´e au nombre et a ` la diversite ´ des facteurs a ` prendre en compte pour e ˆtre efficace. Quand les proble `mes sont multifactoriels, agir sur un seul de ´terminant produit un re ´sultat ne ´cessairement limite ´. D’autre part, pour obtenir des re ´sultats tangibles et durables, il convient de s’appuyer sur des connaissances scientifiques permettant d’anticiper l’impact des actions [4]. Cela demande une pre ´paration par- ticulie `re. On peut ainsi de ´finir un programme de sante ´ comme un ensemble organise ´ d’actions visant a ` atteindre des objectifs pre ´cis dans une population donne ´e [5]. Un programme de sante ´ rele `ve d’une dimension populationnelle de l’interven- tion qui ne se re ´sume pas a ` une simple addition d’actions individuelles. Quelles sont les e ´tapes d’e ´laboration d’un programme de sante ´? Les circonstances de re ´ve ´lation d’un proble `me de sante ´ au travail sont diverses, principalement de trois sortes. Il peut s’agir d’une demande exprime ´e dans une instance repre ´sen- tative des personnels. Ce peut e ˆtre aussi un besoin re ´ve ´le ´ par une de ´marche d’e ´valuation des risques. Ou bien, il s’agit d’une donne ´e scientifique nouvelle qui justifie d’envisager une action pre ´ventive. C’est alors le me ´decin du travail ou les pre ´venteurs qui, en ge ´ne ´ral, en auront l’initiative dans le cadre d’une politique d’entreprise. Dans ces circonstances, recourir a ` une de ´marche programme ´e consiste a ` se poser une se ´rie de questions et a ` rassembler des e ´le ´ments pour y re ´pondre. Ces questions sont au nombre de cinq [6] : quelle est l’importance du proble `me ? le proble `me est-il suffisamment compris pour agir ? dispose-t-on d’outils d’intervention efficaces ? a ` quelles conditions l’intervention est-elle faisable ? quels seront les crite `res d’e ´valuation de l’intervention ? Les deux premie `res questions doivent aboutir a ` la de ´finition d’une population-cible et d’objectifs quantifiables. Les deux questions suivantes concernent le choix d’une strate ´gie d’intervention. La dernie `re question permet le pilotage ope ´- rationnel de l’intervention et le cas e ´che ´ant, l’ame ´lioration de son efficacite ´. On retrouve dans ce questionnement les quatre e ´tapes pro- pose ´es par Deming [7] dans sa « roue » dite PDCA pour Plan, e-mail : [email protected]. Rec ¸u le : 21 janvier 2013 Accepte ´ le : 21 janvier 2013 E ´ valuation et gestion des risques industriels 149 1775-8785X/$ - see front matter ß 2013 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.admp.2013.02.002 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2013;74:149-152

La gestion des risques par programme : éléments de méthode

  • Upload
    w

  • View
    217

  • Download
    3

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La gestion des risques par programme : éléments de méthode

������������

Evaluation et gestion des risques industriels

���

�������

La gestion des risques par programme :elements de methode

The program approach for risk management:Methodological elements

W. DabDisponible en ligne sur

�������������������

Recu le :21 janvier 2013Accepte le :21 janvier 2013

Cnam, hygiene et securite, 292, rue Saint-Martin, 75003 Paris, Francewww.sciencedirect.com

D e plus en plus souvent, les risques professionnelsfont l’objet de programmes d’actions [1], notion quisous-tend les contrats d’objectifs et de moyens ins-

taures par la loi de 2011 pour les services de sante au travail.Que faut-il entendre au juste dans le terme de programme ?Quelles differences y-a-t-il entre un programme et uneaction ? En quoi consistent l’elaboration et la mise en œuvred’un programme de sante ?De facon generale, le programme est une maniere d’organiserles actions sur le terrain. L’approche par programme est uneapplication des methodes de management par projet. Sonutilisation dans le domaine de la sante date d’une trentained’annee [2] et parmi les pays francophones, le Quebec a etepionnie. Deux considerations ont preside a l’emergence decette approche dans le domaine de la sante publique, entenducomme l’approche populationnelle des questions de sante [3].D’une part, il s’agissait de prendre en compte l’inevitablecomplexite des actions a mener pour obtenir une ameliora-tion de l’etat de sante d’un groupe d’individus. Cette comple-xite est liee au nombre et a la diversite des facteurs a prendreen compte pour etre efficace. Quand les problemes sontmultifactoriels, agir sur un seul determinant produit unresultat necessairement limite. D’autre part, pour obtenirdes resultats tangibles et durables, il convient de s’appuyersur des connaissances scientifiques permettant d’anticiperl’impact des actions [4]. Cela demande une preparation par-ticuliere.On peut ainsi definir un programme de sante comme unensemble organise d’actions visant a atteindre des objectifsprecis dans une population donnee [5]. Un programme desante releve d’une dimension populationnelle de l’interven-

e-mail : [email protected].

1775-8785X/$ - see front matter � 2013 Publie par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.admp.2013.02.002 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Env

tion qui ne se resume pas a une simple addition d’actionsindividuelles.

Quelles sont les etapes d’elaboration d’unprogramme de sante ?

Les circonstances de revelation d’un probleme de sante autravail sont diverses, principalement de trois sortes. Il peuts’agir d’une demande exprimee dans une instance represen-tative des personnels. Ce peut etre aussi un besoin revele parune demarche d’evaluation des risques. Ou bien, il s’agit d’unedonnee scientifique nouvelle qui justifie d’envisager uneaction preventive. C’est alors le medecin du travail ou lespreventeurs qui, en general, en auront l’initiative dans lecadre d’une politique d’entreprise.Dans ces circonstances, recourir a une demarche programmeeconsiste a se poser une serie de questions et a rassembler deselements pour y repondre. Ces questions sont au nombre decinq [6] :

� q

iron

uelle est l’importance du probleme ?

� le probleme est-il suffisamment compris pour agir ? � d ispose-t-on d’outils d’intervention efficaces ? � a quelles conditions l’intervention est-elle faisable ? � q uels seront les criteres d’evaluation de l’intervention ?

Les deux premieres questions doivent aboutir a la definitiond’une population-cible et d’objectifs quantifiables. Les deuxquestions suivantes concernent le choix d’une strategied’intervention. La derniere question permet le pilotage ope-rationnel de l’intervention et le cas echeant, l’amelioration deson efficacite.On retrouve dans ce questionnement les quatre etapes pro-posees par Deming [7] dans sa « roue » dite PDCA pour Plan,

149nement 2013;74:149-152

Page 2: La gestion des risques par programme : éléments de méthode

W. Dab Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2013;74:149-152

Do, Check, Act (planifier, developper, controler, ajuster). Il estinteressant de souligner ici que l’elaboration d’un programmede sante n’est qu’une application d’une demarche generaled’organisation et de management. Cette « banalisation » de lademarche est importante pour la demystifier et permettreaux entreprises de se l’approprier.

Les criteres d’importanceLes criteres permettant d’apprecier l’importance d’un pro-bleme de sante, dans une population quelle qu’elle soit, sontbien connus : ce sont sa frequence, sa gravite (au plansanitaire et economique) et son evitabilite. Il faut reconnaıtreque ces criteres melangent des parametres objectifs etd’autres qui sont subjectifs. Il peut y avoir une dissociationentre le jugement epidemiologique et la perception qu’en ontles acteurs de terrain. Il y a donc matiere a debat.La combinaison de ces trois criteres de base peut se faire defacon additive ou multiplicative et impliquer un jeu de pon-deration dont le resultat fournit un ordre de priorites. Commenous le reverrons, le fait que ces priorites soient partageesdans l’entreprise est une condition de l’acceptabilite de lademarche de prevention.

La comprehension d’un problemeLorsqu’un probleme important a ete identifie et qu’un besoind’actions est ressenti, il est necessaire de disposer d’unecomprehension minimale de ses determinants pour pouvoiragir. Comprendre un probleme de sante, c’est connaıtre sonhistoire naturelle et les facteurs (techniques, organisation-nels, humains) qui sont a l’origine de son emergence. C’estaussi connaıtre les caracteristiques de la population exposee ace probleme.A partir de quel degre de connaissances peut-on considererqu’un probleme est suffisamment compris pour agir ? C’estune question assez complexe qui, la encore, demande unconsensus. Si la representation des facteurs a l’origine duprobleme n’est pas partagee, il sera difficile d’obtenir unconsensus d’action.Dans une optique operationnelle, il n’est pas forcementnecessaire d’avoir une comprehension totale d’un problemepour envisager sa resolution. Il y a toujours une part d’incer-titude dont il faut eviter qu’elle soit paralysante. Des lors, laquestion de la comprehension n’a de sens que relativementau declenchement de l’action. C’est pour cela que la formula-tion « suffisamment compris pour agir » est importante. Lefait meme d’entreprendre une action, quelle qu’elle soit, vis-a-vis d’un probleme de sante, va contribuer a accroıtre lacomprehension que l’on en a. Il n’est ni possible, ni souhai-table de tout savoir avant d’agir.Par exemple, meme si l’on dispose de modeles permettant decomprendre le niveau de stress au travail, ceux-ci sont pluspragmatiques que theoriques. Mais il n’est pas justified’attendre une theorie complete du stress pour envisager

150

d’agir sur certains stresseurs dont l’importance est ressentiedans les unites de travail et dont les etudes observationnellesou qualitatives ont montre l’impact.L’importance d’un probleme etant cernee et ses determinantsetant – au moins partiellement – reconnus, il est possible dedefinir une population visee par l’intervention et de proposerdes objectifs a atteindre. Dans toute la mesure du possible,ces objectifs doivent etre quantifies, mesurables avec lesmoyens disponibles et formules en termes d’etat de sante(resultats) et non simplement en termes d’activites (moyens).

Les outils d’intervention et leur efficacite

Les outils permettant de resoudre un probleme de sante ou deprevenir des risques sont tres divers. Il est usuel de distinguerles outils selon qu’ils sont mobilisables a court, moyen ou longterme : sur un second axe, on distingue habituellement lesoutils visant l’homme (education, formation, comportements,soins medicaux), ceux qui sont de nature technique (systemede ventilation, de reduction du bruit, etc.) et ceux qui sont denature organisationnelle (procedures, politique de sante-securite de l’entreprise, etc.).La Directive europeenne de 1989 est claire : un outil estd’autant plus efficace qu’il permet de controler le problemea sa source. Les outils collectifs sont preferables aux outilspurement individuels. Cependant, tous les outils n’ont pas lememe impact. Pour les intervenants sur le terrain, c’est laquestion la moins documentee, faute d’etudes. Contraire-ment a ce que l’on peut lire dans les revues scientifiquesqui publient de nombreux travaux d’evaluation de l’efficacitedes outils d’intervention dans les pays Anglo-saxons ou scan-dinaves, tres peu d’etudes de ce type sont realisees en France[8]. Il en resulte une approche purement empirique, fondeeprincipalement sur des opinions et qui ne garantit pas l’opti-mum entre les moyens et les resultats. Assurement, il s’agitd’une priorite pour les services de sante au travail.

La strategie d’intervention

A supposer que l’on dispose de moyens d’intervention dontl’efficacite soit pleinement demontree, l’impact reel sur leterrain n’est pas pour autant completement garanti. Pour quel’efficacite observee soit egale a l’efficacite attendue, il fauts’assurer que les outils sont deployables et utilises dans lesconditions prevues lors de leur conception. C’est toute laquestion de la strategie d’intervention. Une strategie d’inter-vention est un ensemble d’actions visant a maximiser lesprobabilites d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixe. Elleinterroge la faisabilite et l’acceptabilite des outils proposes. Lafaisabilite est technique et financiere, mais aussi de naturepolitique, ethique, culturelle, administrative et economique. Ilfaut donc se poser des questions comme : de quelle maniere leprobleme est-il ressenti dans l’entreprise ? Y a-t-il un consen-sus sur la definition et la comprehension du probleme ? Lesmoyens proposes sont-ils acceptables en regard des valeurs et

Page 3: La gestion des risques par programme : éléments de méthode

La gestion des risques par programme : elements de methode

Problè meImpo rtance

connue ?Déterminants

connus ?

Recueil d e do nnées comp lémenta ire s

Efficaci téconnue ?

Stratég iedéfinie ?

Objec�fs et ci bles

Évalua�onOuiOuiOuiOui

Non Non Non Non

Figure 1. L’algorithme decisionnel d’un programme de sante.

croyances prevalentes ? Quelle est la legitimite des interve-nants et leur notoriete ? Qui va adherer aux solutions pro-posees et qui va s’y opposer ? Quelles sont les opportunitesfavorables a l’action preventive et ou sont les contraintes quiferont obstacle ? La culture de l’entreprise va-t-elle favoriserl’adhesion a l’intervention ? Ou se situent les zones d’incerti-tudes susceptibles de creer de l’inquietude ? Quels sont lesinterets que l’action preventive va deranger, etc. ?Les aspects strategiques des interventions preventives sontencore peu reflechis et etudies et cela obere la capacite aobtenir des resultats durables [9].

Les criteres d’evaluation

Il est evidemment souhaitable que toute action fasse l’objetd’une evaluation permettant une amelioration continue deson impact. Cela suppose que les objectifs de l’interventionaient ete explicitement definis, mais aussi qu’ils aient etetraduits en indicateurs et que ceux-ci soient mesurablesaisement sur le terrain.Idealement, ces indicateurs devraient refleter directementl’etat de sante en termes de morbidite ou d’incapacite, voirede bien-etre au travail, excepte pour les accidents de travail oucela est rarement faisable en pratique. On est le plus souventconduit a utiliser des indicateurs indirects comme l’absenceau travail, les niveaux d’exposition ou des modeles d’evalua-tion des risques.

Quelles competences faut-il reunir pourmettre une approche programmee ?

La demarche de programmation est schematisee sur la fig. 1.Chaque etape elementaire est relativement simple, mais leuraddition requiert un ensemble de competences pluridiscipli-naires. Une approche de ce type peut aider a organiser uneinteraction fructueuse entre les differents professionnels del’evaluation et de la gestion des risques et entre ces

professionnels et les travailleurs concernes. Elle permet ausside fournir les bases d’un dialogue entre les experts et lesmanagers.La programmation de l’action preventive ne se concoit quedans une approche sociotechnique du changement. Leschema propose a une linearite simplificatrice qui peut aiderles intervenants a cerner les etapes a franchir et a les pre-senter de facon pedagogique. L’autre interet de cette demar-che est de favoriser les liens entre la recherche et l’action. Cesliens ne sont pas immediats. Le sequencage des questions etla necessite de s’interroger sur l’existence de donnees pour yrepondre, permettent de guider la recherche documentaire etd’organiser les connaissances disponibles. Le dernier grandavantage de l’approche par programme est de favoriserl’indispensable dialogue social et la participation de tousles acteurs concernes aux decisions, ce qui ne peut evidem-ment que favoriser la reussite des actions preventives.Actuellement, l’approche par programme de sante est unemethode de travail utilisee dans tous les domaines de la santepublique [9]. C’est elle qui guide, par exemple, les program-mes de depistage des cancers en population generale. Ensante au travail, elle peut aider les responsables a repondrea l’obligation de securite en termes de resultats qui s’impose aeux.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References[1] Fassier JB, Durand MJ. L’analyse d’implantation des interven-

tions en sante et securite au travail. Arch Mal Prof Environ2010;71:102–7.

151

Page 4: La gestion des risques par programme : éléments de méthode

W. Dab Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2013;74:149-152

[2] Donabedian A. Aspects of medical care administration. Cam-bridge: Harvard University Press; 1976.

[3] Fassin D, Hauray B. Sante publique. L’etat des savoirs. Paris: LaDecouverte; 2010.

[4] Caroly S, Courarel F, Escriva E, et al. La prevention durable desTMS. Quels freins ? Quels leviers d’action ? Rapport a la DGT(coord. Daniellou F). 2008. 180 p.

[5] Pineault R. Elements et etapes d’elaboration d’un programmede sante communautaire. Union Med Can 1976;105:1208–14.

152

[6] Abenhaim L, Dab W. Connaissance scientifique et actionen sante publique : l’utilite de la recherche dans l’elaborationd’un programme de sante. Can J Public Health 1984;75:388–92.

[7] Deming E. Hors de la crise. Paris: Economica; 2002.[8] Dab W. Pour une gestion des risques fondee sur des preuves.

Arch Mal Prof Environ 2011;72:44–5.[9] Dab W. Reflections on the challenges of health programming.

Promot Educ 2005;3:77–9.