La gratuité à la croisée des nouveaux modèles d’affaires sur l’Internet

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La gratuit la croise des nouveaux modles daffaires sur lInternet par Godefroy DANG NGUYEN et Thierry PNARD| Lavoisier | Rseaux 2004/2 - n 124ISSN 0751-7971 | pages 81 109

Pour citer cet article : Dang nguyen G. et Pnard T., La gratuit la croise des nouveaux modles daffaires sur lInternet, Rseaux 2004/ 2, n 124, p. 81-109.

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LA GRATUIT LA CROISE DES NOUVEAUX MODLES DAFFAIRES SUR LINTERNETGodefroy DANG NGUYEN Thierry PNARD

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i le nombre dinternautes ne cesse de progresser dans le monde depuis le dbut des annes 1990, les activits commerciales sur linternet connaissent une croissance moins soutenue. Si lon prend le cas de la France, le commerce lectronique dpasse dsormais largement le Minitel en termes de chiffre daffaires, mais lclatement de la bulle spculative a suscit un profond scepticisme sur les chances de russite de bon nombre dentreprises de la nouvelle conomie . Plusieurs grands groupes industriels franais qui staient massivement lancs dans louverture de sites en ligne (notamment les grands distributeurs Carrefour, Auchan, Casino) ou dans la prise de participation de start-up (Arnault, Pinault-Printemps-Redoute) ont revu leurs ambitions la baisse et se sont largement dsengags. Il peut sembler paradoxal, alors que les usages et applications de linternet se multiplient dans le monde, que les acteurs marchands rencontrent autant de difficults rentabiliser leurs investissements. Faut-il relier ceci au poids lev des activits et contributions non marchandes sur linternet qui tendraient imposer la gratuit comme modle dominant ? Celle-ci est en effet omniprsente : dans les sites dinformation et les portails, dans le peer-to-peer entre fournisseurs daccs et transporteurs, et mme chez certains fournisseurs daccs internet vis--vis de leurs clients. Elle saccompagne en outre de nombreux comportements de coopration (au sein de communauts, dans le peer-to-peer, les logiciels libres). Si dans la sphre non marchande, elle sinscrit assez naturellement dans une logique de don contre-don, elle est plus difficile interprter dans la sphre marchande1. Doit-on y voir une contamination du marchand par le non marchand ? Ou sagit-il tout simplement dune tentative des acteurs marchands dappliquer linternet le modle media, fond sur le financement indirect, qui conduit offrir gratuitement des prestations aux usagers ?

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1. DANG NGUYEN, PNARD, 2000, 2002.

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Lobjectif de cet article est dtudier la place et le rle de la gratuit dans les activits marchandes sur linternet. Nous dfendons lide quelle ne se rduit pas un simple modle mdia fond sur la valorisation de laudience, mais sinscrit plus largement dans un processus de coproduction de services marchands. Ainsi, la plupart des acteurs marchands sur linternet sappuient sur les changes gratuits dinformation, notamment sur la propension des internautes donner leur avis et conseiller gratuitement les autres, pour construire des modles daffaires conomiquement viables. Ceux-ci tirent leur valeur des fortes synergies entre changes gratuits et changes payants sur linternet. De telles synergies se retrouvent certes sur les marchs physiques, mais la spcificit de linternet tient leur ampleur. Linternet permet en effet de produire et dchanger trs grande chelle des informations gratuites qui sont autant de ressources la disposition des entreprises du Net pour produire des services marchands payants. Le papier est organis de la faon suivante. La premire section sattache dfinir les notions de gratuit et de marchand/non marchand et souligne la fragilit financire de la filire internet , tant donn lampleur des changes gratuits dinformation. Dans la deuxime et la troisime section, nous analysons plus en profondeur les conditions de succs des acteurs marchands sur linternet. Nous montrons que les modles marchands conomiquement viables sont ceux prcisment qui ont su tirer partie de la gratuit et de la coopration en ligne. Les cas dAmazon, deBay ou dAutobytel illustrent bien cette dmarche : ce nest dailleurs pas un hasard si ces trois entreprises ont t toutes bnficiaires en 2003. La conclusion sattache montrer combien les synergies entre changes gratuits et payants dpassent le simple cadre de la filire internet et conditionnent lvolution long terme des conomies fondes sur la connaissance . LES MODALITS DCHANGE DINFORMATION DANS LA FILIRE INTERNET Les fondements de lchange gratuit dinformation sur linternet Linternet est un ensemble de rseaux informatiques reliant des millions dordinateurs qui changent des informations numriques. Certains de ces changes donnent lieu compensation montaire. Ces changes payants sopposent aux changes gratuits qui eux ne comportent aucune contrepartie montaire. Une autre distinction apparat entre activits marchandes et non

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marchandes. Les premires peuvent tre dfinies comme des mcanismes de cration de valeur pratiques par des acteurs marchands, cest--dire ayant vocation faire du profit, ou tout au moins quilibrer leurs comptes par lchange payant. Les activits non marchandes seront celles dacteurs nayant pas vocation quilibrer leurs comptes par lchange payant, soit parce quils ont par ailleurs des sources de financement garanties, indpendantes de lchange (impts), soit parce que cette activit leur procure une utilit intrinsque (consommation individuelle). En premire analyse, change gratuit et activit non marchande semblent se recouper. Mais, ce nest pas tout fait vrai si lon considre les modles daffaires fonds sur des financements indirects de type publicitaire, appels aussi modles media. Dans ce cas, un acteur marchand (une firme media) tablit un change gratuit avec des consommateurs de programmes. Dans le mme temps, cet acteur marchand tablit un change payant avec un autre acteur marchand (lentreprise qui propose un message publicitaire) : il lui vend de laudience, ce qui permet la firme media dquilibrer ses comptes, voire de faire du profit. Une autre dfinition importante pour notre propos est celle de linformation, que lon assimile parfois la notion de connaissance. Il convient pourtant de les distinguer, ce que lon peut faire avec un exemple. Quand le feu de signalisation passe au vert ; le passant reoit une information : lenvironnement visuel a soudain chang en un point prcis. Mais pour traiter cette information, il doit possder une connaissance : il sait que les vhicules passent grande vitesse au carrefour, mais quils sarrtent quand le feu est rouge. Cette connaissance lui permet ainsi de valoriser cette information (le changement de couleur dans le feu est un signal trs important) et dagir (le passant traverse ou sarrte). Linformation reprsente donc un input, une matire premire pour la connaissance qui, elle, est essentiellement entrepose dans les cerveaux humains pour la dcision et laction2. La connaissance est donc cumulative et finalise : lindividu, grce cette accumulation, amliore ses processus de dcision et daction. Mais en contrepartie le mcanisme dacquisition est coteux et difficile, en raison de la capacit (cognitive) limite dudit individu. Du coup, la connaissance nest pas compltement un bien public, disponible pour tous

2. Voir galement BOYER, 2002, p. 177.

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sans que personne nen soit cart, mais plutt un bien club, lexclusion tant possible3. En revanche, linformation a toutes les proprits dun bien public : le signal de changement de couleur du feu est disponible pour chaque individu possdant le bon capteur pour la saisir. On peut certes privatiser linformation en lassociant un support matriel (que lon appelle contenant, linformation devenant le contenu). Le bien systme (contenant + contenu) ainsi constitu peut faire lobjet de droits de proprit et dchange, puisquil est devenu bien priv. Mais avec la numrisation et lessor de linternet, lassociation de linformation avec un support matriel nest plus ncessaire. Linternet permet dacheminer linformation o que ce soit, ds lors que le rcepteur dispose du capteur (un terminal et un logiciel). La numrisation et linternet renforcent donc le caractre bien public de linformation. Certes la privatisation est toujours thoriquement possible, travers des brevets, droits dauteur ou technique de cryptage. Mais ces oprations de protection sont trs coteuses sur des biens numriques. Le producteur dinformation numrise, en renonant une valorisation commerciale (en la distribuant gratuitement sur linternet), peut viter les cots de restriction technique de laccs (protection, cryptage, etc.) et les cots de protection juridique de ses droits (cots des procs contre le piratage, etc.). De plus, la valorisation commerciale de linformation est une activit trs risque car il sagit dun bien dexprience4. On ne peut connatre sa valeur quune fois lachat effectu. La disposition payer du consommateur sera donc ampute dune prime de risque compte tenu de la probabilit non nulle que linformation paye soit totalement inutile pour lacheteur. Au total, la vente dinformation prsente dimportants cots de transaction et il nest pas tonnant que la plupart des informations disponibles sur le web soient finalement gratuites. En outre, pour de nombreux internautes la dcision de fournir gratuitement de linformation est en partie fonde sur lanticipation que dautres auront la mme dmarche : cest la logique bien connue dans les socits primitives de don contre don (M. Mauss). Mais alors que dans ces socits de telles3. FORAY, 2001. 4. GENSOLLEN, 1999.

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anticipations se fondaient sur limmobilit et la rcurrence des relations sociales, qui garantissait la possibilit de reprsailles en cas de refus de rciprocit, sur linternet il ny a pas de rcurrence des interactions, ni immobilit, puisque les internautes peuvent entrer et sortir des communauts virtuelles comme bon leur semble. Malgr tout, lanticipation du contre don savre un bon calcul, fond sur deux lments : premirement, mme si le free riding , cest--dire labsence de contredon de la part de celui qui reoit, est important, la taille gigantesque de la communaut potentielle des contre dons garantit que le niveau des contre dons sera suffisant5. Deuximement, il est de connaissance commune que le cot du contre don est faible : techniquement, il est peu onreux de mettre sur une page web une information dj numrise. Leffort consentir est rduit et la perte directe dune mise disposition gratuite est faible6. La logique des changes gratuits dinformation est donc la suivante : en apportant ma propre information sans valorisation commerciale, jincite les autres venir sur linternet (effet de rseau) et je les incite galement fournir eux-mmes de linformation gratuite (effet de rciprocit). Cette anticipation a un caractre autoralisateur qui vient renforcer le poids du gratuit. Ainsi, le phnomne de lchange gratuit dinformation nest pas simplement expliqu par lorigine non marchande des acteurs de linternet, il lest autant par la nature des changes, linformation, qui (re)devient, avec la numrisation et le rseau, un pur bien public. Les partisans libertaires de linternet non marchand, suggrent dailleurs que le web, par construction, reprsente un espace public potentiellement illimit, dans lequel lattention (limite) de linternaute serait essentiellement attire par des sites non marchands de qualit, fort contenu informationnel, obligeant en retour les sites marchands multiplier les services et contenus gratuits pour capter cette attention (par

5. DANG NGUYEN ET PENARD, 2002. 6. On peut mentionner cette citation de Gosh le Net est loin dtre altruiste, sans quoi il ne marcherait pas. [...] Parce quil faut autant defforts pour diffuser une seule copie dune cration originale que pour en diffuser un million, [...] on nest jamais perdant en diffusant gratuitement ce que lon produit, [...] ds lors que lon reoit quelque chose en retour. [...] Quel miracle, alors, quand on ne reoit pas seulement une chose de valeur en change en effet, il ny a aucun acte dchange explicite , mais des millions de choses uniques faites par dautres .

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exemple en sponsorisant des activits de nature communicationnelle ou communautaire : chats, jeux en rseau, concours promotionnels, etc7. Les consquences sur lquilibre financier de la filire internet En tant que systme de production, dchange et de consommation dinformations, linternet est organis en filire impliquant de nombreux acteurs. La figure 1 propose une reprsentation de la filire internet, avec la circulation des flux montaires (traits pleins) et celle des flux dinformation (traits en pointills). Sont ainsi identifis de manire schmatique les changes payants et les changes gratuits dune part, les activits marchandes et non marchandes dautre part. Il apparat clairement que la filire se caractrise par des dsquilibres financiers dans les relations bilatrales entre les diffrentes catgories dacteurs, dsquilibres qui sont dautant plus levs que les changes gratuits occupent une place importante. Regardons de plus prs la forme que prennent ces changes gratuits chez les principaux acteurs de la filire. Les ISP (Internet Service Providers) comme AOL, Tiscali, T-Online ou Wanadoo, se situent clairement dans une position dintermdiation : leur service principal est de donner aux internautes laccs linternet. Mais ils fournissent galement des services supplmentaires, notamment dinformation ou de mise en relation comme des adresses lectroniques, les chats ou forums (fonction de Web Service Providers). Le problme des ISP est de russir fidliser leurs abonns, le cot de changement de fournisseur tant assez faible. Pour cela ils nhsitent pas pratiquer des promotions et subventions daccs, dans le but dattirer de nouveaux abonns et daccrotre leur audience . Les prix des services daccs sont donc tirs vers le bas alors que les ISP ont des cots fixes levs, souvent irrcuprables (investissements dans des modems, contrats de locations de liaisons spcialises, contrats daccs des backbones, qui peuvent tre pluriannuels). Dans ces conditions, fournir des informations et des webservices gratuits aux internautes devient un moyen de fidliser ses clients et de rcuprer des recettes auprs de tiers payant (publicit). Mais ce modle conomique est, on le sent bien, assez fragile, et les ISP ont fini par le comprendre qui tirent 50 % de leurs recettes des abonnements.

7. CHOLLET, 2001.

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Second acteur majeur de linternet, les fournisseurs de contenus, gratuits ou payants. Ils contribuent faire du web une base de donnes distribue, mondialement accessible. Les fournisseurs de contenus gratuits prennent des formes trs diverses. Il y a tout dabord des internautes privs dsireux de publier ou diffuser les informations dont ils disposent. Il y a aussi les sites institutionnels (administrations publiques, universits, centres de recherche, fdrations professionnelles) qui ayant dj numris linformation quils produisent (textes et rglements, tudes, etc.) la mettent disposition des internautes. On trouve galement les sites dentreprise prsentant des informations sur leurs activits et leurs produits. Sont aussi prsents sur la fourniture dinformation gratuite, des fournisseurs professionnels dinformation (analogues aux journaux gratuits) qui cherchent en change rcuprer des donnes sur ceux qui accdent leurs contenus (nom, ge, caractristiques socioprofessionnelles, etc.). Ces informations sont ensuite revendues aux tiers payants (un simple nom avec une adresse peut tre vendu 1 euro).Figure 1. La filire internet

fi n a n c e m e n t d ire c t f i n a n c e m e n t d ir e c t s e rv ic e s W e b

In te rn a u te s ( g r a n d p u b lic )

IS P (IA P , W SP, m o t e u r ,

T ie r s p a y a n t s ( p u b lic it )

a u d ie n c e p r o f il s

accs in f o r m a t io n s in f o r m a t io n f i n a n c e m e n t d ir e c t

F o u rn is s e u rs d e c o n t e n u g r a t u it

F in a n c e m e nt d ire c t

F o u rn is s e u rs d e c o n ten u p ay a n tfi n a n c e m e n t d ire c t

f in a n c e m e n t d ir e c tp r o d u it s , s e r v ic e s A d a p t d e G e n s o l le n ( 2 0 0 0 )

S it e d e c o m m e r c e le c t r o n iq u e

Certains fournisseurs de contenus payants peuvent aussi mettre en accs gratuit une partie de leur contenu. Ce dernier sert de produit dappel pour les contenus et services payants. Du coup, il existe un continuum de situations o la part du contenu gratuit et du contenu payant varie en fonction de

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lhtrognit de linformation dont dispose le fournisseur, de son degr dintrt pour les internautes, de ce quil vient chercher en change de la mise disposition gratuite. Troisime acteur, les sites de commerce lectronique dont lobjet est dtablir une relation marchande (sous forme dchanges payants) avec des entreprises (BtoB) ou des internautes. Ces sites recourent la publicit et financent donc les ISP et les sites de contenus. Ils peuvent aussi loccasion assurer un service de fourniture de contenu gratuit. Par exemple sur les sites de ventes en ligne de la grande distribution (Ooshop, Houra, Auchandirect...), on trouve des conseils culinaires ou de bricolage. On voit au total que le gratuit intervient de trs nombreux endroits dans la filire internet. Dans ces conditions, la vente dinformations sur linternet a du mal gnrer des revenus. Ceci est confirm par le tableau 1 qui met en perspective les chiffres daffaires dans linternet estims pour 1998 et 2002, ainsi que les prvisions faites par Gensollen8 pour 2003. Comme on peut le voir, les revenus de laccs (que touchent les ISP) taient en 1998 et restent en 2003 llment de financement prdominant de la filire. Le e-commerce et la e-publicit ont pour leur part atteint en 2002 un niveau deux fois moins lev que ce qui tait prvu par Gensollen en 1999. Linformation payante na donc pas trouv son march, la fourniture dinformations gratuites apparaissant comme le modle dominant. Un modle premire vue fragile, puisquil repose en partie sur des subventions de la part des fournisseurs daccs et de services (ISP, portails), principalement en direction de la sphre non marchande (par exemple, lhbergement gratuit de communauts non marchandes ou de pages/sites personnels). Mais, il bnficie depuis quelques annes dun soutien financier croissant de la part des autres acteurs marchands de linternet (hors ISP), notamment les sites de commerce lectroniques. Et mme si certains sites sont sponsoriss directement par des entreprises pour attirer le chaland hors du Net (cas dAutobytel que nous verrons plus loin) cela ne rend pas pour autant conomiquement viables beaucoup dacteurs du net. Dans les deux sections suivantes, nous allons revenir sur les raisons du soutien financier la production dinformations, en examinant le rle que

8. GENSOLLEN, 1999.

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jouent les changes gratuits dans les modles daffaires des entreprises prsentes sur linternet. Prcisment, tous les modles daffaires conomiquement viables ont en commun de fournir des services et contenus gratuits, mais leur force est de sappuyer sur les utilisateurs pour produire ces services moindre cot et amliorer ainsi leur qualit. Cette coproduction leur permet de surmonter efficacement deux dfis. Le premier est de russir fournir aux utilisateurs/clients des informations pour les aider choisir. Or cette production dinformation peut tre trs coteuse pour un acteur marchand et difficile personnaliser surtout pour des biens dexprience. Cest l que les modles de production communautaire peuvent se rvler utiles pour fournir de linformation et de laide la dcision aux consommateurs (recommandations, conseils, valuations, comparaisons). Le deuxime dfi a trait la confiance dans les transactions en ligne. La production de cette confiance peut tre l encore trs coteuse pour un acteur marchand, en raison de la distance et du relatif anonymat dans lesquels ils se trouvent. De nouveau, la solution peut venir du non marchand. En sappuyant sur des modles communautaires de production de la confiance, les acteurs marchands peuvent construire moindre cot un environnement favorable aux changes.Tableau 1. Les donnes financires en milliards de $ de la filire internet aux Etats-Unis et en Europe 1998 Accs + web services (financement direct) e-commerce e-contenu (payant) e-publicit (financement indirect) 7,4 1,5 4,5 1,8 2003 (prv) 20,8 38 20 14,3 20029 (est) Entre 15 et 18 Entre 7 et 8 3 8

Source : Gensollen (1999) pour les donnes 1998 et prvisions 2003, nos propres estimations partir de sources diverses.

9. Les estimations des recettes daccs ont t faites sur la base des CA du T-Online, Wanadoo, Tiscali, AOL, Terra-Lycos, extrapoles lEurope dun ct, aux Etats-Unis de lautre. Les recettes de e-publicit viennent de lIAB (pour les Etats-Unis) et de e-marketer (pour lEurope). Les recettes de contenus payants sont issues de e-marketer.

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GRATUIT ET SYSTME DE RECOMMANDATION Des recommandations communautaires aux recommandations marchandes Le dveloppement des premires communauts (non marchandes) sur linternet est une rponse aux difficults rapidement perues rechercher de linformation, et en particulier trouver la bonne information ou la bonne personne dans la masse dinformation et dutilisateurs prsents sur linternet. A ct des changes informels dinformations et de conseils, certaines communauts vont alors dvelopper partir des annes 1980 des outils labors pour filtrer linformation, la classer et lvaluer. Ces premiers systmes dinformation et de recommandation seront conus de manire collaborative (Fab, Lens, Phoaks10, etc.), en sinspirant souvent de ce qui se passe dans le monde acadmique (partage de linformation, valuation par les pairs). Certains de ces systmes vont aussi stendre lexpertise, permettant de mettre en relation des personnes souhaitant obtenir des avis ou conseils avec les personnes aptes donner ces conseils11. Lessor de linternet dans les annes 1990 va dmultiplier les communauts dchanges dinformations et de recommandation et donne des ides aux acteurs marchands. Certains vont ainsi chercher rpliquer ces systmes de recommandation sous une version marchande : offre de services payants dexpertise ou de services gratuits financs par les propritaires des biens faisant lobjet dvaluation ou de recommandation (soit directement, soit par le biais de la publicit). Mais ce modle a ses limites : un acteur marchand ne peut fournir seul une expertise ou une valuation sur tous les domaines ou sur tous les produits. Outre le cot de fournir ces valuations, le marchand na pas toujours les comptences pour juger de la qualit dun bien ou dune information et de son adquation avec les gots des internautes. Une solution beaucoup plus efficace est alors de faire appel aux utilisateurs eux-mmes. Cette sollicitation des utilisateurs pour alimenter les informations proposes par les acteurs marchands est la cl de vote de nombreux modles daffaire conomiquement viables. Ainsi, la FNAC et Amazon misent sur ces systmes dvaluation par les pairs , en offrant aux internautes la possibilit de donner leur avis sur les livres, CD ou DVD.10. Acronyme de People Helping One Another knowing Stuff. La devise de ce site est Together we know it all. 11. RESNICK, VARIAN, 1997.

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Le design de ces espaces de recommandation sefforce de satisfaire deux exigences : attirer le maximum de contributeurs, tout en veillant la qualit de chacune des contributions. Amazon la bien compris et sest appliqu en faire un outil performant et utile pour ses clients. Dans cette perspective, Amazon a dcid doffrir des chques cadeaux pour stimuler les contributions, mme si lessentiel des contributions relve dun pur change gratuit. Amazon donne aussi des lments dinformations sur le profil du commentateur : ce dernier peut faire partie des 10 premiers contributeurs dAmazon, des 50 premiers, des 100 premiers, etc. Le lecteur a donc une ide de la qualit de la recommandation selon le classement du commentateur. Enfin, les lecteurs des recommandations ont la possibilit de dire sils ont trouv le commentaire utile ou non : cette information permet de se faire une ide de lintrt du commentaire. Tous ces lments participent au succs de ce systme daide la dcision pour les consommateurs indcis. Lexemple dAmazon illustre parfaitement la manire dont un systme lorigine non marchand (valuation par les pairs) peut servir consolider un modle daffaire assez classique (vente de biens culturels). Recommandations et incitations Par rapport ces systmes de recommandation, on peut se poser la question des incitations individuelles contribuer ou donner son avis. Linternet permet dallger le cot de lvaluation, en facilitant la collecte automatique de certaines informations comme les statistiques de frquentation des sites ou de temps de lecture dune page qui constituent autant dindicateurs de qualit du contenu dun site. Mais ces statistiques sont relativement frustres et ne dispensent pas dvaluations plus qualitatives ou plus individualises ncessitant une participation volontaire des internautes. Faut-il pour autant fournir des incitations montaires aux contributeurs, notamment pour amliorer la qualit ou la fiabilit des valuations ? Celle-ci est en effet coteuse et en labsence de rmunration, certains pourraient tre tents de se comporter en passager clandestin (bnficier des valuations des autres, sans contribuer). Si ce type de comportements se gnralise, la prennit du systme dvaluation nest plus assure. Toutefois, le problme se pose diffremment selon que lon se situe dans un environnement non marchand ou marchand.

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Dans le premier cas, les incitations montaires ne constituent pas une solution trs efficace. Outre la question de leur financement, ces incitations montaires ont une efficacit limite, comme le montrent Dang Nguyen et Pnard12. En effet, lorsque les individus partagent un mme intrt la qualit et la prennit des services rendus par la communaut laquelle ils appartiennent, ils vont arbitrer entre leur cot individuel dvaluer (cest-dire de contribuer), et le cot social induit par leur refus dvaluer. Ce dernier cot correspond au retard pris dans la procdure dvaluation suite leur refus (il faudra dans ce cas solliciter dautres personnes qui peuvent elles aussi refuser). La mise en place de rmunrations permet dabaisser le premier cot (le cot dvaluer) et de stimuler les contributions, mais de manire imparfaite. En effet lexistence de rmunrations rend moins dommageable pour un individu la dcision de refuser dvaluer, puisque ce dernier anticipe que la probabilit que dautres acceptent sa place, sera plus leve grce aux incitations montaires. A linverse, en ne payant pas les participants, on augmente le cot social de refuser, ce qui peut encourager ceux qui ont un cot faible, accepter dvaluer. Ces derniers prennent conscience quen refusant, ils dgradent la qualit de la communaut dans laquelle ils se trouvent. Dans un environnement marchand, les individus ne se sentiront plus aussi concerns par le cot social de leur refus dvaluer et dans ces conditions, une rmunration peut amplement se justifier. Toutefois, Miller13 et al. montrent que les incitations montaires doivent porter avant tout sur la qualit et la sincrit des valuations. Il sagit en particulier dviter les manipulations des valuations, dans un sens comme dans lautre (certains pouvant chercher favoriser leur propre intrt ou nuire aux intrts dautres personnes). Un moyen de limiter ces risques est de filtrer les valuations et les valuateurs, par exemple en les obligeant dvoiler leur identit. Mais si lvaluation visage dcouvert peut tre souhaite par les contributeurs dans certains cas (pour se faire connatre et reconnatre sur des demandes dexpertise), dans dautres cas elle peut tre non dsirable. Certains contributeurs pourraient en effet refuser dintervenir sans une garantie danonymat (valuation de la qualit dun produit, dune uvre).

12. DANG NGUYEN, PNARD, 2001. 13. MILLER et al., 2003.

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Pour conclure cette section, nous allons exposer le modle dAutobytel qui a su bien exploiter le systme de recommandation, en lappliquant lachat de voitures. Le modle marchand de recommandation dAutobytel Le service propos par Autobytel est de recommander aux internautes dsireux dacheter une automobile, le bon concessionnaire. En fonction des informations fournies par linternaute (sa localisation gographique, ses souhaits sur le type de vhicule), Autobytel va le mettre en relation avec un concessionnaire affili qui se chargera de lui faire une offre commerciale. Le modle marchand dAutobytel sinspire donc largement des systmes de recommandation qui ont fait leur preuve dans lenvironnement communautaire. Autobytel a compris que sa viabilit passait par une forte frquentation de son site par les internautes. En effet les concessionnaires naccepteront de payer un droit annuel daffiliation, ainsi quune commission sur chaque transaction apporte par Autobytel, que si la frquentation du site est importante. Cest pourquoi le service de recommandation est gratuit pour les candidats lachat. Cependant, mme gratuit, le service ne sera intressant que si les internautes sont assurs de pouvoir bnficier de prix attractifs via Autobytel. Une des cls de la russite dAutobytel repose donc sur une slection des concessionnaires les plus performants et sur la signature dun contrat par lequel ceux-ci sengagent proposer aux acheteurs Autobytel les prix les plus bas possibles. Comment rendre ce contrat crdible ? Cest l quinterviennent les internautes acheteurs. Ces derniers sont encourags par Autobytel valuer la qualit de service du concessionnaire quon leur a recommand. Par ce biais, Autobytel peut dcider de rompre son contrat avec un concessionnaire qui ne proposerait pas des prix suffisamment bas. Les vendeurs sont donc incits respecter leurs engagements de peur de perdre laffiliation Autobytel et de voir un concurrent local prendre leur place. Il est donc intressant de noter comment travers la gratuit des services et les relations quil entretient avec les utilisateurs de son site, Autobytel a su crer un sentiment dappartenance communautaire qui encourage les utilisateurs valuer les concessionnaires affilis, ces valuations tant indispensables pour assurer lefficacit du systme14.14. Pour mettre en avant lintrt de son service et la viabilit de son modle conomique, Autobytel nhsite pas sur son site (sur sa page daccueil) consacrer une large place aux

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Nous allons dans la section suivante analyser le rle des systmes de rputation dans les modles daffaires sur linternet. GRATUIT ET SYSTMES DE RPUTATION Transaction distance et opportunisme Labsence de contact physique entre internautes et le relatif anonymat permis par linternet peuvent encourager les comportements opportunistes dans le cadre dchanges marchands et constituer un frein au dveloppement du commerce lectronique. Pour bien comprendre la nature de cet opportunisme, nous allons considrer deux internautes souhaitant procder un change marchand. Supposons que le vendeur A ait une valeur de rservation gale V sur le bien quil met en vente et que lacheteur B ait une disposition payer gale V pour ce bien. Si les deux parties conviennent dun prix P (avec V P V ), alors lutilit espre en cas de transaction sera respectivement de vendeur et V P pour lacheteur. Si les deux parties nont pas la possibilit de se rencontrer physiquement (parce quils habitent dans des rgions ou des pays diffrents), le dnouement de la transaction se fera distance de manire squentielle. Les deux parties devront convenir soit que le paiement se fera aprs rception du bien, soit que lenvoi du bien se fera aprs rception du paiement par le vendeur. Nous allons considrer le deuxime cas qui est le plus courant sur linternet. La figure 2 reprsente larbre de dcision. Dans un premier temps, lacheteur dcide soit denvoyer le paiement au vendeur (par la poste ou virement bancaire), soit de ne rien envoyer. Dans le cas o le vendeur reoit le paiement, ce dernier doit alors dcider denvoyer en retour le bien ou de ne rien envoyer. En labsence

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(P V )

pour le

rsultats de ltude men par Zettelmeyer, Scott-Morton et Silva-Risso ( Consumer Information and Price Discrimination , Yale-Berkeley Report). Dans une rubrique Research , Autobytel annonce que Online Vehicle Shoppers Save Time, Money et dexpliquer que les acheteurs de voitures peuvent conomiser autour de 400 $ en recourant aux services dAutobytel. Cette tude mene sur la priode 2002 confirme les rsultats dune tude prcdente mene sur des donnes de 1999 (ZETTELMEYER, SCOTT-MORTON et SILVA-RISSO, 1999).

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de paiement, le vendeur ne se pose pas la question denvoyer le bien et aucun change na finalement lieu. Chacune de ces dcisions donne lieu une utilit pour le vendeur et pour lacheteur ( chaque extrmit de larbre de dcision, sont affichs les gains du vendeur le premier terme dans la parenthse et les gains de lacheteur le second terme). Quelle est lissue probable de ce jeu stratgique ? Si lacheteur envoie son paiement, le vendeur a toujours intrt tre opportuniste en nenvoyant pas le bien (il gagne P au lieu de (P V ) ). Par anticipation, lacheteur va donc renoncer payer le vendeur (pour viter de perdre P). Le manque de confiance dans le vendeur va ainsi empcher toute transaction15. Comment restaurer la confiance sur linternet et favoriser le dveloppement des changes dans un environnement caractris par labsence de contact physique entre les parties ?Figure 2. Transactions sur linternet avec paiement avant rception du bienPartie B : acheteur

Ne pas payer

Payer

Partie A : vendeur (0, 0) Ne pas envoyer le bien Envoyer le bien

(P, -P)

(P V ;V P )

15. On obtient le mme rsultat (absence de transaction) lorsque cest le vendeur qui est suppos envoyer en premier le bien. Le manque de confiance dans lacheteur fait obstacle lchange.

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Restaurer la confiance sur linternet La confiance peut tre rtablie de diffrentes manires. Tout dabord, les parties peuvent faire appel un intermdiaire pour scuriser la transaction. Ce dernier collecte le bien du ct du vendeur et largent du ct de lacheteur. Une fois quil a reu largent et le bien, il procde au dnouement de la transaction. Toutefois, cette solution prsente un certain nombre dinconvnients. Dune part, cette solution est coteuse pour les deux parties. Lintermdiaire va en effet rclamer des honoraires ou une commission, qui vont rduire dautant le surplus que les deux parties peuvent retirer de la transaction. Dautre part, lintermdiaire peut aussi adopter des comportements opportunistes. Comment tre sr quil ne disparatra pas avec largent et la marchandise ? Quelle garantie auront les deux parties en cas de dfaillance de ce dernier ? Pour toutes ces raisons, le recours ce type dintermdiaire nest pas toujours possible, ni souhaitable pour les deux parties. Une autre solution pour les deux parties peut consister construire ellesmmes la confiance ncessaire au bon droulement des changes. Cette confiance peut venir tout simplement de la perspective de transactions rptes. Dans une relation de long terme, il est possible de gnrer de la coopration fonde sur la menace de reprsailles futures en cas de comportement opportuniste. Toutefois, ce type de menace ne fonctionne bien que si les deux parties accordent une valeur leve aux gains futurs quelles peuvent retirer de leur relation. Prcisment, il faut que le gain net en cas dopportunisme soit bien infrieur aux pertes futures qui sensuivront (voir figure 3). Si cette condition est respecte, les changes sinscriront dans un contrat relationnel fond sur la confiance (Baker, Gibbons et Murphy, 2001). Malheureusement, sur linternet ce contrat relationnel se heurte lanonymat dans lequel se trouvent trs souvent les acteurs et aux facilits de changer didentit. Dans ces conditions, les partenaires vont accorder un poids trs faible aux gains futurs quils peuvent attendre dune relation rpte avec le mme partenaire. Ces derniers seront toujours tents dadopter un comportement opportuniste, sils savent quils peuvent facilement chapper aux reprsailles de leur partenaire en rapparaissant sous une autre identit.

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Figure 3. Les gains et les pertes lis la dloyaut

Gain en cas de comportement opportuniste Gain en cas de comportement honnte ou coopratif

Gain net d'tre opportuniste Pertes lies l'opportunisme Temps

De plus, la coopration bilatrale rencontre une autre limite du fait que les acheteurs comme les vendeurs prfrent souvent contracter avec plusieurs partenaires. Cest dailleurs un des atouts de linternet que de dmultiplier le nombre de partenaires possibles. Dans ces conditions, comment sanctionner un acteur ayant eu un comportement opportuniste lorsquon nest pas sur de le rencontrer de nouveau et comment viter que celui-ci renouvelle son comportement opportuniste avec dautres partenaires ? Une coopration multilatrale semble donc a priori plus difficile mettre en place quune coopration bilatrale et ncessite trs souvent de recourir des intermdiaires ou des institutions qui vont sattacher dissuader les comportements opportunistes. Un exemple historique dinstitutions ayant facilit la coopration multilatrale est donn par Greif, Milgrom et Weingast16. Il sagit des guildes marchandes qui ont vu le jour au Moyen Age en Europe et qui ont permis de dvelopper les changes commerciaux cette poque. Prcisment, le rle de ces guildes a t de scuriser le commerce, en dissuadant les autorits locales dadopter des comportements opportunistes envers les marchands qui se rendaient dans leur ville. En effet, cette poque, un des problmes majeurs tait la scurit des marchands et de leurs marchandises. Il ntait pas rare quune autorit locale dcide de confisquer la cargaison dun marchand. Ce dernier avait toujours la possibilit de menacer de ne plus commercer avec cette ville, mais cette menace tait peu dissuasive car les autorits taient assures que dautres marchands viendraient prendre la place de ce dernier. Des menaces collectives dembargo ntaient pas non plus crdibles, car il y avait toujours16. GREIF, MILGROM, WEINGAST, 1994.

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des marchands pour dvier de lembargo et venir commercer avec la ville en question. Le problme crucial tait donc de russir faire respecter lembargo. Greif, Milgrom et Weingast17 avancent lide que les guildes ont rempli efficacement ce rle. Elles se chargeaient de mettre en place les embargos et de les faire respecter. Tout marchand que la Guilde surprenait enfreindre cette rgle perdait les privilges dont la Guilde avait le monopole (comme le droit de sinstaller dans une ville). Cette sanction tait suffisamment svre pour dissuader le marchand de violer lembargo. Les guildes ont donc permis de rendre crdible les menaces dembargo et sont lorigine de lessor du commerce qua connu lEurope durant le Moyen Age. Si lon revient linternet, on peut remarquer que certains acteurs marchands, comme eBay, ont russi dvelopper lquivalent de ce quavaient fait les Guildes au Moyen Age. Prcisment, eBay a bien compris lintrt quil pouvait tirer du savoir-faire des communauts non marchandes, dans la production de confiance indispensable lessor du commerce sur linternet. La limitation des comportements opportunistes dans une communaut non marchande repose essentiellement sur lvaluation des membres de cette communaut par les pairs. Ces valuations permettent chacun de se construire une rputation qui est connaissance partage par les autres membres. Lincitation cooprer et le renoncement tout comportement opportuniste tiennent alors la volont de chacun damliorer ou de prserver sa rputation. Ces systmes ont fait la preuve de leur efficacit dans le non marchand. Le monde du logiciel libre en constitue le meilleur exemple. Ainsi, la qualit de certains logiciels libres tient largement aux systmes de rputation mis en uvre au sein de la communaut des dveloppeurs (par exemple pour Linux). Les dveloppeurs, et notamment les meilleurs, seront beaucoup plus incits contribuer un logiciel lorsquils savent que cette contribution peut jouer positivement sur leur rputation, via un systme dvaluation qui permet de rpertorier les contributions individuelles et de les noter18. Nous allons voir prcisment comment eBay sest inspir de ces systmes dvaluation communautaires et a russi faire participer gratuitement ses clients la production des valuations, ce qui lui a permis de produire de la confiance moindre cot.

17. Id. 18. LERNER, TIROLE, 2000.

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Le systme de rputation sur eBay Les sites denchre sont particulirement exposs au risque dopportunisme. Ainsi, 78 % des plaintes pour fraude sur linternet reues par la National Consumers League aux Etats-Unis en 2000 taient lies des enchres en ligne19. Pour remdier ce problme, eBay, le leader mondial des sites denchres, a choisi de mettre la disposition des internautes un outil communautaire leur permettant dvaluer leurs partenaires. Resnick et Zeckhauser20 dcrivent en dtail ce systme mis en place par eBay. Avant de pouvoir participer aux enchres, il faut senregistrer auprs du site en donnant son nom et ses coordonnes. Toutefois, la seule information queBay vrifie est ladresse email. Ensuite, les participants peuvent choisir dapparatre sous la forme dun pseudonyme ou dun identifiant. Ils peuvent aussi crer une page personnelle dcrivant leurs profils. Mais la principale information sur une personne va venir des valuations attribues par les autres participants. Initialement cette valuation pouvait venir de nimporte quel utilisateur. Mais depuis 2000, toutes les valuations positives comme ngatives doivent tre lies une transaction effective. A lissue de la transaction, chaque partie peut donc procder une valuation soit positive, soit neutre, soit ngative de lautre partie. Cette valuation saccompagne ventuellement de commentaires, notamment en cas dvaluation ngative. Chaque participant se caractrisera donc par son profil dvaluation, partir duquel sera calcul un score selon la formule suivante21 : chaque valuation positive sera comptabilise pour +1, chaque valuation neutre par 0 et chaque valuation ngative par -1. Lorsquun participant envisage deffectuer une transaction avec une autre personne, il a donc une ide de la fiabilit de son partenaire. Il peut aussi consulter les avis des partenaires prcdents. Il dispose enfin dinformations sur la rputation des valuateurs et peut donc savoir quel crdit accorder chacune des valuations. Par exemple, il naccordera pas forcment la mme valeur une valuation ngative si elle est mise par une personne ayant un mauvais score ou par une personne ayant une excellente rputation.

19. HOUSER, WOODERS 2001. 20. RESNICK, ZECKHAUSER, 2002. 21. Toutefois, si une mme personne a donn plusieurs fois une valuation de mme signe, cette valuation ne sera comptabilise quune seule fois afin dviter toute manipulation du systme visant gonfler artificiellement la rputation dune personne ou au contraire dtruire intentionnellement sa rputation.

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Resnick et Zeckhauser22 ont examin en dtail les transactions sur eBay entre fvrier et juin 1999, ainsi que lhistorique des valuations en relation avec ces transactions. A partir de ces donnes, ils mettent tout dabord en vidence que les transactions rptes entre deux mme personnes sont rares23 et rendent peu probable lexistence de contrats relationnels bilatraux. Dautre part, les vendeurs sont en moyenne beaucoup plus expriments que les acheteurs et ont des scores ou rputations plus levs (33 en moyenne pour les vendeurs contre 8 pour les acheteurs en Juin 1999). Toujours selon les auteurs, les acheteurs commenteraient prs de 50 % de leurs transactions et les vendeurs 60 %. La participation volontaire ce systme dvaluation est donc leve. Sur les valuations des acheteurs, seulement 0,6 % taient ngatives et 0,3 % neutres. Concernant les valuations des vendeurs, 1,6 % taient ngatives et 0,3 % taient neutres. Lorsque lon regarde les destinataires de ces mauvaises valuations, les vendeurs ont une probabilit dautant plus leve de recevoir une mauvaise valuation quils sont peu expriments (mme chose pour les acheteurs). Par ailleurs Resnick et Zeckhauser mettent en vidence le pouvoir prdictif des valuations passes sur la qualit des transactions courantes. Une transaction aura une probabilit plus leve de prsenter un problme (une valuation positive ou ngative) si dans le pass le vendeur a fait lobjet dune valuation ngative. En quoi le systme dvaluation mis en place par eBay peut-il tre efficace pour soutenir une coopration multilatrale entre acheteurs et vendeurs ? Tout dabord, il est noter que la rgle sur eBay veut que les acheteurs envoient dabord leur paiement avant de recevoir le bien du vendeur. Le principal risque dopportunisme provient donc des vendeurs qui peuvent dcider de ne pas envoyer le bien ou denvoyer un bien ne correspondant pas parfaitement la description qui en tait faite sur le site. Lincitation tre honnte doit donc reposer sur les bnfices futurs attendus dune bonne rputation. Ces bnfices peuvent tre de deux natures. Une bonne rputation peut accrotre la probabilit de trouver des acheteurs pour les biens que le vendeur proposera sur eBay dans le futur. Par ailleurs, une bonne rputation peut aussi augmenter le prix quil obtiendra dans les enchres venir.

22. RESNICK, ZECHAUSER, 2002. 23. Sur les 5 mois tudis, les transactions uniques reprsentaient prs de 90 % des cas.

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Si le vendeur a une prfrence pour le futur suffisamment leve et si les effets de la rputation sur la probabilit de vendre et le prix de vente dans le futur sont importants, alors le vendeur ne devrait thoriquement avoir aucune incitation adopter un comportement opportuniste. Selon Friedman et Resnick24, les incitations cooprer pourraient tre renforces en rendant coteuse la stratgie de changement didentit (consistant revenir sur eBay sous une nouvelle identit), par exemple en mettant en place des droits dentre. Sur le plan empirique, diffrentes tudes se sont attaches mesurer leffet des profils dvaluation des acheteurs et vendeurs sur les conditions de transaction. Tout dabord, Houser et Wooders25 ont confirm quune bonne rputation sur eBay permettait pour un vendeur dobtenir un prix un peu plus lev. En dautres termes, les acheteurs taient prts payer une prime lorsque le bien tait vendu par une personne ayant une bonne rputation. Pour parvenir ces conclusions, les auteurs ont tudi des enchres sur des processeurs Pentium III 500 durant lautomne 1999 (au total 95 procdures denchres) et ont procd des estimations conomtriques sur les dterminants du prix de ces processeurs26. Les rsultats montrent quune hausse de 10 % du nombre dvaluations positives sur un vendeur augmente le prix obtenu par ce dernier de 0,17 %, alors quune hausse de 10 % du nombre dvaluations neutres ou ngatives diminue le prix obtenu de 0,24 %. En revanche, le nombre dvaluations positives, ngatives ou neutres sur lacheteur na aucun impact sur le prix acquitt. Ainsi, seule la rputation du vendeur est importante dans les transactions, confirmant bien lide que les risques dopportunisme proviennent essentiellement du vendeur. Une autre tude exprimentale mene par Resnick, Zeckhauser, Swanson et Lockwood27 va dans le mme sens quHouser et Wooders. Les auteurs ont cherch valuer la disposition payer dacheteurs de cartes postales anciennes sur eBay. Ils ont utilis pour cela un vendeur ayant une bonne rputation sur eBay. Des lots similaires de cartes postales ont t ensuite mis en vente mais sous une identit de vendeur inexpriment. La diffrence24. FRIEDMAN, RESNICK, 2001. 25. HOUSER, WOODER, 2001. 26. Voir aussi ltude de LUCKING, REILEY, 1999 sur la vente de pices de monnaie sur eBay. Pour une synthse des diffrentes tudes sur ce sujet, se reporter RESNICK, ZECKHAUSER, SWANSON, LOCKWOOD, 2003. 27. RESNICK, ZECKHAUSER, SWANSON, LOCKWOOD, 2003.

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dans les dispositions payer des acheteurs est de prs de 8 %. En revanche, la diffrence de prix nest pas significative entre un vendeur inexpriment avec et sans valuation ngative. Resnick et Zeckhauser28 pour leur part parviennent un rsultat plus nuanc. Ils ne trouvent aucun effet des valuations sur le prix de vente de lecteurs MP3. Toutefois, ils montrent que ces valuations jouent sur la probabilit que la transaction se fasse. Ainsi, un vendeur sans valuation aura une probabilit de 72 % de vendre son bien, alors quun profil dvaluation gal 70 se retrouve avec une probabilit de 96 %. Au final, la bonne rputation augmente le prix espr pour lobjet mis aux enchres. Par ailleurs, Resnick et Zeckhauser29 mettent en vidence certains phnomnes de rciprocit dans les valuations qui pourraient expliquer le fort taux de participation et la faible part dvaluation ngative. Ainsi, lorsque lvaluation de lacheteur est positive, la probabilit est plus grande que le vendeur rponde son tour et value positivement la transaction. Inversement pour une valuation ngative, la probabilit de rpondre par une valuation ngative ou neutre est plus grande. Les acheteurs et vendeurs seraient donc incits envoyer des valuations positives, dans lespoir que lautre partie renvoie son tour une valuation positive permettant damliorer son profil. De mme, certains participants pourraient prfrer renoncer mettre une valuation ngative justifie de peur davoir en retour une valuation ngative injustifie . Cette peur des reprsailles peut videmment avoir des effets pervers. Certains participants ayant une haute rputation pourraient se comporter de manire opportuniste avec des participants de faible rputation, sans risquer dvaluations ngatives (en jouant sur les menaces de reprsailles30). Conclusion Sur linternet, linformation, disponible la plupart du temps sous une forme gratuite a une utilit sociale autant quune valeur conomique. La premire rside dans la facult quelle donne aux individus de valoriser leur

28. RESNICK, ZECKHAUSER, 2002. 29. Id. 30. eBay exhorte sur son site les utilisateurs donner des valuations ngatives quand elles sont mrites, sans se soucier des risques de reprsailles.

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connaissance en disposant dune matire premire qui leur permet dagir, de se rencontrer, de se divertir, dapprendre. Sa valeur conomique tient la capacit quont certains acteurs marchands sur linternet dexploiter linformation collective produite par les internautes, pour favoriser les changes et assurer ainsi leur rle dintermdiation. Il y a donc une complmentarit intrinsque entre ces deux aspects. Ainsi les nombreux checs commerciaux sur linternet ces dernires annes sexpliquent par la mauvaise comprhension que de nombreux acteurs marchands ont eu de linternet et de la valeur que pouvait leur apporter ce rseau. Ils ont cru pouvoir gagner de largent en rpliquant les modles daffaire en vigueur sur les marchs physiques, que ce soit pour la vente de biens ou dinformations. A linverse, les modles conomiquement viables ont consist pour lessentiel dvelopper des versions marchandes de services qui avaient fait leur preuve dans la sphre non marchande, comme les services dintermdiation et de conseils dvelopps lorigine au sein de communauts restreintes. Le succs de ces acteurs marchands tiendrait aussi leur capacit de mettre le gratuit au service du payant, afin de produire des services moindre cot et amliorer leur qualit. Dans ces conditions, la mise en place dun cadre institutionnel apte favoriser les synergies entre activits marchandes et non marchandes, changes payants et gratuits est particulirement importante. Alors que linternet est n dans un contexte favorable des utopies libertaires et non marchandes31, linterconnexion des sites privs et le dveloppement de la nouvelle conomie ont conduit installer un cadre institutionnel visant plutt faire respecter, dans le monde virtuel, les mmes rgles que celles mises en place dans le monde rel : code du commerce, dfense du copyright (Digital Millenium Copyright Act), etc. La consquence en a t un renforcement des droits de proprit, condition ncessaire aux changes marchands. Mais comme le souligne Brousseau32 : linternet oblige repenser les cadres traditionnels de rgulation des activits informationnelles et de rseaux fonds sur lintervention des Etats. Car quels que soient les motifs (marchands ou non marchands) qui poussent les internautes mettre disposition de linformation, il apparat que celle-ci est un ingrdient essentiel pour tablir une conomie fonde sur le savoir : le stock de connaissance dune conomie dpend troitement du flux dinformations31. FLICHY, 2002. 32. BROUSSEAU, 2001.

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changes entre les agents conomiques et leur sert pour leurs dcisions. Ces connaissances accumules individuellement ou collectivement peuvent se substituer certains facteurs de production ou valoriser au mieux ces facteurs (gains de productivit) et ainsi stimuler la croissance33. Comme lindiquent Bassannini et Scarpetta34 et de manire gnrale toute une srie de travaux effectus lOCDE : Our evidence suggests that fast growing countries generally shared three characteristics : improvement in labour utilization; a generalized enhancement in human capital; and rapid shifts in the composition of physical capital towards information and communication technology. On peut nanmoins distinguer deux rgimes dominants daccumulation et de valorisation des connaissances35 : lconomie drglemente, o lappropriation prive de lavance des connaissances induit une volont dlibre de valoriser de faon individuelle le capital de connaissance : cration de start-up finances par du capitalrisque, dpts de brevets, flexibilit du travail ; cest le modle anglosaxon (Etats-Unis, Royaume-Uni, Irlande, Australie) de la nouvelle conomie , plus ou moins imit par la suite par les pays en retard ; par exemple le capital risque aux Etats-Unis avait mobilis 103 milliards de dollars en 2000, soit 40 % de lensemble de tous les fonds consacrs la recherche industrielle dans ce pays produisant, pour chaque dollar investi, trois quatre fois plus de brevets quun dollar spcifiquement ddi la R&D36 ; lconomie de la connaissance, fonde sur la socialisation des connaissances, sur la subvention publique de laccs aux informations numriques, sur une forme de coopration entre les individus, coordonns sur une base nationale ; cest le modle des pays scandinaves, et du Canada. On dduit assez naturellement que les pratiques dchanges dinformation gratuite ont plus de chances de prolifrer dans une configuration institutionnelle associe au rgime de croissance conomie de la connaissance que dans lconomie drglemente . Dans cette dernire, il sagit de mettre en place un systme de droits de proprit le plus complet33. GUELLEC, 2002. 34. BASSANNINI, SCARPETTA, 2002. 35. BOYER, 2001. 36. MANDEL, 2001.

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possible, y compris sur les biens, services et capacits qui se prtent mal la dfinition de ces droits : la connaissance et linformation en particulier37. Une fois ces droits tablis, les changes sont possibles et des marchs peuvent tre crs. Ainsi, la seule production dinformation gratuite serait dune part la mise en ligne des informations que produisent les administrations, car leurs cots ont dj t supports et elles nont aucun intrt protger ce quelles diffusent ; lautre possibilit serait la mise en ligne dinformations qui facilitent les changes voire les rendent possibles. Dautres formes de production dinformations peuvent exister, mais elles sont sans valeur . Dans lconomie de la connaissance, il sagit doptimiser (et dinternaliser aux mieux) les effets externes entre production prive et production publique de connaissance. La disponibilit dinformation numrise peut aider raliser cet objectif. Du coup, il faut encourager (quitte subventionner publiquement) laccs du plus grand nombre linformation numrise et sa production sous toutes ses formes, marchande et non marchande. Dans ces conditions, ce nest ni le marchand ni le non marchand qui importe, mais la somme des deux. Cette conomie mixte dun type nouveau trouve un champ dapplication fertile avec linternet. La production gratuite dinformation nest pas uniquement destine tre utilise par les sites marchands, mais devient un bien commun. Ces deux rgimes de croissance renvoient deux modes extrmes de production de linformation numrise, lun sinscrivant dans la logique de valorisation marchande, quitte ce que certaines firmes dtournent des contributions non marchandes, lautre dans la logique de complmentarit entre marchand et non-marchand. Ainsi, le rle du gratuit dans linternet est rvlateur dune volution plus globale des socits postindustrielles, o la place centrale de la connaissance et son caractre de bien public sont au cur des modles de croissance.

37. Un exemple trs frappant et bien connu est celui des codes gntiques des biens alimentaires transforms, les OGM.

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