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Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 202–222 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Droits des patients La jurisprudence pénale en matière de harcèlement moral Régis Durand (Avocat au Barreau de Lyon) Cité internationale, 45, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, France Disponible sur Internet le 6 juillet 2011 Résumé La pénalisation des mauvaises relations de travail est une sorte de défi au juge pénal, car il s’agit, dans l’immense diversité des situations, de fixer les bornes du sain exercice de l’autorité. Dix ans après la loi incriminant le harcèlement moral, un bilan de la jurisprudence pénale à partir des décisions significatives de la Cour de cassation. © 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. Depuis une dizaine d’année, la notion de harcèlement moral s’est imposée dans le paysage juridique. La notion a d’abord connu un engouement, comme si elle pouvait être une réponse à la dureté des relations au travail. Mais cette notion reste très spécifique, avec un champ limité mais bien réel, et la jurisprudence a joué le rôle principal pour définir les contours de cette notion. La jurisprudence la plus abondante se trouve sur le terrain civil, entendu comme un élément de qualification de la relation de travail. Les jurisprudences de la Cour de cassation, pour les employeurs privés, et du Conseil d’État, pour le secteur public, connaissent de notables différences. Mais l’une des grandes spécificités de cette notion de harcèlement est qu’elle comprend aussi, et d’abord, un volet pénal. L’infraction est définie par l’article 222-33-2 du Code pénal (loi n o 2002- 73 du 17 janvier 2002) : « Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Cette pénalisation des mauvaises relations de travail était une sorte de défi au juge pénal, car il s’agit, dans l’immense diversité des situations, de fixer les bornes du sain exercice de l’autorité. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ – see front matter © 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2011.04.001

La jurisprudence pénale en matière de harcèlement moral

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Page 1: La jurisprudence pénale en matière de harcèlement moral

Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 202–222

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Droits des patients

La jurisprudence pénale en matière deharcèlement moral

Régis Durand (Avocat au Barreau de Lyon)Cité internationale, 45, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, France

Disponible sur Internet le 6 juillet 2011

Résumé

La pénalisation des mauvaises relations de travail est une sorte de défi au juge pénal, car il s’agit, dansl’immense diversité des situations, de fixer les bornes du sain exercice de l’autorité. Dix ans après la loiincriminant le harcèlement moral, un bilan de la jurisprudence pénale à partir des décisions significatives dela Cour de cassation.© 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.

Depuis une dizaine d’année, la notion de harcèlement moral s’est imposée dans le paysagejuridique. La notion a d’abord connu un engouement, comme si elle pouvait être une réponse à ladureté des relations au travail. Mais cette notion reste très spécifique, avec un champ limité maisbien réel, et la jurisprudence a joué le rôle principal pour définir les contours de cette notion.

La jurisprudence la plus abondante se trouve sur le terrain civil, entendu comme un élémentde qualification de la relation de travail. Les jurisprudences de la Cour de cassation, pour lesemployeurs privés, et du Conseil d’État, pour le secteur public, connaissent de notables différences.

Mais l’une des grandes spécificités de cette notion de harcèlement est qu’elle comprend aussi, etd’abord, un volet pénal. L’infraction est définie par l’article 222-33-2 du Code pénal (loi no 2002-73 du 17 janvier 2002) :

« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet unedégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, estpuni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Cette pénalisation des mauvaises relations de travail était une sorte de défi au juge pénal, car ils’agit, dans l’immense diversité des situations, de fixer les bornes du sain exercice de l’autorité.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2011.04.001

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Cet article entend faire le point sur l’état de la jurisprudence pénale, à partir des décisions signi-ficatives de la jurisprudence de la Cour de cassation. La sélection porte sur des affaires centréessur les relations de travail, ce qui a conduit à écarter d’autres décisions qui relèvent uniquementdes comportements interrelationnels, et notamment sexuels, dont la logique est beaucoup plusproche du droit commun. Par ailleurs, nous avons concentré notre choix sur les arrêts rendus lorsde ces deux dernières années, pour mieux apprécier la teneur de cette jurisprudence qui s’affirme.La jurisprudence ne se contente pas de formules mais entre dans des analyses très circonstan-ciées pour retenir ou non la qualification pénale. C’est cette plongée dans les faits qui permet decomprendre.

Nous examinerons d’abord deux arrêts de la Cour de cassation de 2005 et 2007, qui sont debonnes références (1), puis une série d’arrêts rendus par la Cour de cassation en 2009 et 2010, demanière à faire le point sur l’approche actuelle de la jurisprudence (2). Enfin doit être analysé unarrêt retenant la dénonciation calomnieuse après une plainte pour harcèlement infondée (3).

1. Deux arrêts de référence de la Cour de cassation (2005 et 2007)

L’infraction suppose une intention délibérée de nuire (1.1) et un ensemble de manœuvres,entendues comme des actes répétés (1.2).

1.1. Intention délibérée de nuire et décision non justifiée par les nécessités du service

L’un des premiers arrêts rendus est celui du 21 juin 2005. Les faits sont effectivement graveset renouvelés. Ils sont tous marqués par une notion d’abus que la Cour aborde sous l’angle d’uneintention « délibérée », ce qui est un mot très fort. Par ailleurs, les mesures prises ne sont pas liéesaux contraintes du service (C. Crim, 21 juin 2005, n◦ 04-86936).

« Caractérisent le délit en tous ses éléments tant matériels qu’intentionnel, les juges d’appelqui, pour dire le maire d’une commune coupable de harcèlement moral à l’égard d’unesecrétaire de mairie, relèvent que le prévenu lui a tardivement appliqué les mesures rela-tives à la réduction du temps de travail votées par le conseil municipal, qu’il a modifiéles permanences de la mairie en imposant délibérément à ladite secrétaire des heures deprésence incompatibles avec ses occupations professionnelles dans une autre mairie, qu’ill’a empêchée d’accéder librement à son lieu de travail tout comme aux documents qu’elledevait traiter ainsi qu’à l’ordinateur de la mairie, qu’il lui a adressé, souvent devant témoins,des reproches injustifiés quant à l’exécution de son travail ou des réflexions désobligeantes,et qu’enfin, il l’a privée irrégulièrement de salaires » (Rejet).

1.2. Un ensemble de manœuvres, reposant sur des décisions qui excédent les limites del’autorité hiérarchique

Cet arrêt de 2007 décrit le harcèlement comme un processus ou un ensemble de manœuvres, cesmanœuvres étant matérialisées par des décisions qui excédent le cadre de l’autorité hiérarchique(C. Crim, 25 septembre 2007, no 06-84599, confirmant CA Paris, 17 mai 2006).

La Cour d’appel a retenu la culpabilité :

« Il ressort des pièces du dossier, notamment de la lecture des avertissements donnés pardeux fois à la partie civile, des courriers échangés par les parties et des attestations produitesaux débats, que, dans un contexte de reprise en mains de la société Applima par Eric X. . . et

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Franck Y. . ., ces derniers ont cherché à mettre en place, par une succession d’agissementscontestables dont la déléguée du personnel suppléante a été la victime essentiellement aprèsle départ du délégué titulaire intervenu en mars 2003, lorsqu’elle s’est opposée à la remiseen cause des avantages des salariés, et jusqu’à son propre licenciement décidé au lendemainde leur condamnation par les premiers juges, une organisation différente de celle qui existaitantérieurement et faisant fi des acquis sociaux du personnel ; qu’aux termes d’une premièrelettre remise non cachetée par sa supérieure directe le 23 janvier 2004, Florence Z. . . a faitl’objet d’un avertissement sérieux pour des manquements répétés commis en août 2003,puis en janvier 2004 dans deux dossiers dont elle était, selon ses directeurs, entièrementresponsable et constituant des fautes graves et matériellement caractérisées ;

En réponse aux courriers de contestation opposée par l’intéressée, faisant en particuliervaloir qu’elle avait été spécialement déchargée de l’un de ces dossiers par ses supérieurs quil’avaient confié à une autre assistante, afin qu’elle-même puisse s’occuper d’un nouveaudossier dont l’enjeu était déterminant pour le cabinet, les prévenus ont adressé à la déléguéedu personnel plusieurs lettres successives (29 mars, 28 mai et 23 juillet 2004) comportantà son égard des propos blessants et des attaques inutiles en usant d’un ton excédant celuiqu’autorise en certains cas le lien de subordination existant entre les parties ;

Alors qu’un second avertissement a été adressé le 3 novembre 2004 à Florence Z. . . pourrefus d’obéissance à une instruction relevant, selon les prévenus, de leur strict pouvoir dedirection, il est établi par le dossier qu’une bonne partie du personnel a fait part à DominiqueB. . ., leur supérieure hiérarchique directe, de l’impossibilité de mener la mission de mise àjour des portefeuilles de marques dans le délai imparti (. . .).

De même, alors qu’il apparaît que Florence Z. . . justifie de bons résultats professionnels,les meilleurs de la société selon ce qu’Eric X. . . et Franck Y. . . ont eu l’occasion d’admettre,le tribunal a également relevé à bon droit que la partie civile n’avait pas recu la primeexceptionnelle pour l’année 2004 en relation avec de tels résultats ;

S’il n’est pas contestable qu’ainsi que le soulignent les prévenus, que d’autres salariésn’en ont pas bénéficié, il convient de noter que, parmi ceux-ci, figurent essentiellement,à côté de l’intéressée, des personnels recrutés en cours d’année ou absents pour cause demaladie ; qu’au surplus, cinq anciens salariés et salariés en congé de maladie, Denis C. . .,Francois D. . ., Sophie E. . ., Augusta J. . . et Claudine F. . . ont attesté et, pour certains,témoigné que, dès leur prise de participation majoritaire à la société Applima, Eric X. . . etFranck Y. . . ont entrepris de faire régner sur le personnel et, plus particulièrement, sur ladéléguée du personnel, un climat de menaces et d’intimidation, tel que celui qui ressort desdocuments susvisés ;

Sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur le lien de subordination existant entre lesprévenus, d’une part, et leurs témoins, Danielle G. . ., déléguée du personnel, et Julie H. . .,déléguée adjointe, d’autre part, il apparaît qu’en faisant état de la bonne ambiance régnantdans l’entreprise depuis le départ de la partie civile, les témoignages de ces dernières necontredisent pas ceux des cinq autres personnels de la société portant sur la dégradation desconditions de travail imputable aux directeurs à l’époque antérieure où ils travaillaient pourla société Applima ;

Enfin, les termes des courriers adressés par Eric X. . . et Franck Y. . . à Florence Z. . .

manifestent, au-delà du pouvoir disciplinaire des directeurs sur leur employée, une brutalitéet un acharnement à son égard dictés par leur hostilité à sa fonction de déléguée du personnel,ainsi que le confirment les cinq mêmes témoins de la partie civile, notamment Denis C. . .,délégué du personnel jusqu’en mars 2003 et Francois D. . ., P.D.G. licencié en 2004 ; en

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l’état de ces constatations, il ressort que les conditions de travail de Florence Z. . . se sontdégradées sous le coup des agissements répétés des deux prévenus qui ont porté atteinte àses droits et à sa dignité, jusqu’à sa mise à pied intervenue dans des conditions de grandebrutalité, comme à sa santé physique et psychologique, ainsi que l’établissent les certificatsmédicaux et l’attestation du docteur I. . ., médecin du travail, versés au dossier. »

La Cour de cassation confirme :

« Pour confirmer le jugement ayant déclaré les prévenus coupables de harcèlement moral,les juges du second degré énumèrent et analysent les faits et circonstances ainsi que lestémoignages recueillis et les pièces versées aux débats dont ils déduisent que les conditionsde travail de Florence Z. . . se sont dégradées en raison des agissements répétés des prévenus,qui ont outrepassé les limites de l’exercice de leur pouvoir disciplinaire, et ont porté atteinteaux droits, à la dignité et à la santé de la salariée » (Rejet).

2. Décisions récentes en matière de harcèlement (2009–2010)

Nous examinerons successivement les méthodes du juge (2.1), les critères de gravité et derépétition (2.2), la notion d’actes délibérés (2.3) et plusieurs affaires de non-lieu, illustrant leslimites de l’infraction (2.4).

2.1. Méthode du juge et la preuve de faits

2.1.1. Méthode du jugeCet arrêt illustre la démarche du juge dans la recherche de la preuve (C. Crim., 27 octobre

2009, no 09-82766, confirmant CA Rennes, 11 mars 2009).

« Il importe d’exposer préliminairement les méthodes qui doivent guider le juge dans larecherche de la preuve de cette infraction qui est récente en droit francais, puisqu’elle a étéintroduite dans le Code pénal par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 ; dansle cadre d’un rapport employeur–salarié, qui correspond à la situation présente, il importede distinguer les agissements caractéristiques de l’infraction, de l’exercice du pouvoir dedirection, incluant le pouvoir disciplinaire, de l’employeur, qu’il tire du contrat de travail– même si les pouvoirs de l’employeur offrent des moyens qui facilitent le harcèlementmoral ;

Bien évidemment, la loi ne sanctionne pas pénalement le fait d’être hypocondriaqueou misanthrope – les déclarations philosophiques de Jean-Michel X. . ., telles celles où ilindiquait qu’ “il en avait assez de la race humaine” n’intéressent pas le droit pénal – pasplus qu’un manque d’éducation et de politesse – Jean-Michel X. . . étant qualifié d’ “ours”,suivant une expression qui revient de manière récurrente dans les déclarations des salariés ;

L’autoritarisme de Jean-Michel X. . ., attesté par de nombreux témoins, y compris ceuxqui ont refusé de déposer plainte, s’il ne constitue certes pas une modalité louable d’exercicedu pouvoir hiérarchique dans l’entreprise ou ailleurs, n’a pas en tant que tel de connotationpénale ;

S’agissant des modes de preuve, il doit être observé préliminairement que, dans uneaffaire de harcèlement moral, le fait que beaucoup de salariés n’aient pas été victimesdes agissements ne prouve aucunement l’inanité des accusations portées par des employésdéterminés, même peu nombreux ; en effet, la caractéristique de cette infraction est qu’elle

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ne se comprend pas dans le cadre d’une opposition patron/groupe des salariés, correspondantà un conflit de classe traditionnel, mais qu’au contraire l’auteur a tendance à isoler certainssalariés des autres, une des formes du harcèlement moral pouvant être de provoquer unesorte d’ostracisme du groupe à l’égard de la victime, ou du moins d’affaiblir la victime parle constat qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien de ses collègues ; de plus, il est évident que ledirigeant harceleur ne peut se permettre de paralyser l’entreprise en provoquant la coalitionde tous les salariés contre lui, de sorte qu’il réserve ses brimades à certains d’eux ;

En outre, dans l’entreprise, et notamment dans celle du tertiaire, où la conscience declasse ou du moins le sentiment d’appartenance à un groupe socioéconomique est trèsatténué sous les effets cumulés des spécificités de ce secteur, des évolutions socialesdes trente-cinq dernières années, d’une absence de syndicats comme en l’espèce, etd’une rotation très importante du personnel (tout à fait évidente à la lecture des listingsde l’Urssaf), fonctionnent à plein les mécanismes psychosociaux où l’indifférence ausort de l’autre va de pair avec une grande homogénéisation des statuts et des modèlessocioculturels ;

L’argument que beaucoup de salariés n’aient pas constaté les brimades infligées à certainsde leurs collègues n’est donc pas pertinent – cette observation étant en outre inutile s’agissantde la plupart des attestations produites par le prévenu devant la Cour, pièces laconiques etdénuées de pertinence, car elles émanent de salariés qui n’étaient pas dans l’entreprise aumoment des faits poursuivis, alors qu’il est certain que la réaction déterminée des militairesde la gendarmerie et des contrôles plus fréquents de l’inspection du travail ont conduit lecouple X. . . à la prudence ;

Enfin, il doit être tenu compte de l’organisation spécifique du travail dans le magasindirigé par Jean-Michel X. . ., où il est établi que, en raison d’horaires de travail différentset de l’organisation des postes, sans qu’il soit nécessaire de tenir pour certaine la volontédu directeur de s’opposer à tout contact des salariés entre eux, pourtant évoquée par plu-sieurs témoins, de nombreux salariés n’avaient aucun contact avec leurs collègues affectésà d’autres fonctions – ainsi, les hôtesses de caisse avec les salariés des rayons, les salariésde certains rayons avec ceux d’autres rayons ; il ne doit pas davantage être perdu de vueque des faits de harcèlement peuvent n’exister que sur une certaine période, non seulementparce que le harceleur n’a pas plus de raison qu’un autre délinquant de se maintenir enpermanence dans l’illicite, mais aussi parce que, heureusement, les réactions des salariéset des administrations compétentes sont susceptibles d’y mettre un terme – étant noté quetel paraît bien avoir été le cas en l’espèce où des éléments du dossier montrent qu’aprèsl’engagement des poursuites et quelques contrôles de l’inspection du travail, Jean-MichelX. . ., ayant senti le danger pour lui-même, est revenu à un comportement plus admis-sible ; il doit être tenu compte de ces spécificités pour apprécier la pertinence des preuves– étant immédiatement souligné qu’elles ne doivent en aucune manière conduire à relâ-cher l’exigence de l’administration loyale, complète et rationnelle de la preuve ; que, ceciprécisé, il convient d’examiner les preuves s’agissant de chacune des victimes visées à laprévention. »

2.1.2. Le degré de précision de la preuveLa preuve des faits doit être suffisamment précise pour permettre une exacte qualification

(Crim, 1 septembre 2010, no 10-80376, sur CA Dijon, 5 novembre 2009).La Cour d’appel de Dijon a retenu la culpabilité, dans des termes qui à première lecture

paraissent convaincants.

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« Christiane Y. . . a été embauchée par Luc X. . ., agent immobilier, comme secrétaire poly-valente à compter du 2 novembre 2001 et, le 23 février 2005, elle a recu un avertissement,puis a été convoquée par son employeur pour le 8 novembre 2005 à un entretien préalableà son licenciement pour faute grave ; elle a déposé plainte, le 10 novembre 2005, en repro-chant à Luc X. . . de l’humilier constamment et de la mépriser ; Pour retenir Luc X. . . dansles liens de la prévention, les premiers juges ont relevé que les différents témoins entenduspar les services enquêteurs confirment les vexations et humiliations subies par la victimeet le climat de mal-être régnant dans l’agence, précisant que les réflexions ou omissionsréitérées de l’intéressé ont contribué à rabaisser constamment sa salariée qui se sentait malconsidérée dans son travail et dénigrée ; si Mme Z. . . a travaillé à l’agence avant l’arrivéede Christiane Y. . ., pour autant a-t-elle caractérisé de facon très précise et circonstanciéele comportement très méprisant, impoli, irrespectueux, très humiliant et odieux de LucX. . . à son égard l’ayant contrainte à démissionner ; M. Z. . . confirme les propos de sonépouse, précisant qu’ayant constaté, un vendredi soir, que l’état de santé de celle-ci s’étaitdégradé, il avait pris l’initiative d’appeler Luc X. . . au téléphone pour avoir une explicationà ce sujet avec lui ; Mme A. . . qui a travaillé, quant à elle, jusqu’en août 2001 à l’agenceimmobilière, fait état du comportement irrespectueux et très humiliant de Luc X. . . à sonégard, précisant qu’en rentrant le soir chez elle il lui arrivait de fondre en larmes de cefait ; Mme B. . . qui a travaillé pour le compte de Luc X. . . jusqu’en mars 2003, date àlaquelle elle a démissionné, ne pouvant plus supporter le comportement et le caractère deson employeur, précise que celui-ci était « infect » avec Christiane Y. . ., « toujours sur sondos » ; il ne lui faisait pas confiance, lui faisant toujours des réflexions dégradantes sur sontravail ; M. C. . . qui a travaillé, quant à lui, à l’agence immobilière, jusqu’à fin août 2004,précise que Luc X. . . parlait à Christiane Y. . . agressivement, ironiquement et sans porter lemoindre intérêt à son travail ; qu’elle était constamment sous pression ; il avait ce compor-tement avec lui et avec d’autres membres de son personnel ; l’ambiance était déplorable ; ila démissionné, en grande partie, du fait du comportement de Luc X. . . qui, pour lui, était« odieux » et « méprisant » ; Ces témoignages attestent du comportement humiliant de LucX. . . à l’égard de certains salariés antérieurement à l’arrivée dans son agence de ChristianeY. . . mais aussi de ce même comportement à l’égard de celle-ci en 2003 et en 2004 ; si LucX. . . produit au dossier divers autres témoignages attestant de ses qualités, pour autant sesattestations de clients, d’amis et d’autres salariés en ce sens ne permettent pas de démentircelles des employés de son agence qui confirment, à partir d’éléments concrets issus de leurvécu personnel, des agissements répétés de l’intéressé qui ont eu pour effet une dégrada-tion de leurs conditions de travail et qui ont porté atteinte à leur dignité et altéré leur santéphysique et mentale, en particulier en ce qui concerne Christiane Y. . . ; ces témoignagesportant sur une période antérieure au premier avertissement préalable à son licenciementque Luc X. . . a notifié à Christiane Y. . ., le 23 février 2005, démontrent que la plainte decelle-ci à l’encontre de son employeur, déposée le 10 novembre 2005, ne l’a pas été dans leseul but d’une procédure prud’homale en contestation de ce licenciement ; de toutes facons,si des fautes ont pu être reprochées par Luc X. . . à sa secrétaire au soutien de son licen-ciement, pour autant le comportement habituellement méprisant et humiliant de celui-ci àl’égard de sa salariée ne saurait-il être justifié relativement à ces manquements ; il convienten conséquence de confirmer le jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saôneen ce qu’il a déclaré Luc X. . . coupable. »

La Cour de cassation casse en jugeant cette motivation insuffisante :

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« Attendu que, pour confirmer le jugement ayant condamné Luc X. . . du chef de harcèle-ment moral envers Christiane Y. . ., sa salariée, l’arrêt, après avoir retenu le témoignage depersonnes qui n’étaient plus employées du prévenu au moment des faits incriminés, se fondesur “les éléments concrets issus du vécu personnel” d’autres employés pour en déduire “desagissements répétés du prévenu ayant eu pour effet une dégradation de leurs conditionsde travail qui ont porté atteinte à leur dignité et altéré leur santé physique et mentale, enparticulier en ce qui concerne Christiane Y. . .” ;

Mais attendu qu’en prononcant ainsi, sans caractériser les agissements répétés du prévenuenvers Christiane Y. . . ayant eu pour effet une dégradation des conditions de travail de celle-ci,la Cour d’appel n’a pas justifié sa décision » (Cassation).

2.2. Gravité et répétition

2.2.1. Première affaireCette affaire très complète, qui s’est conclue par une condamnation, met en évidence un

comportement particulièrement grave. Cette affaire permet de différencier des données factuellesproches (C. Crim., 14 septembre 2010, no 09-87338, sur CA Paris, 13 octobre 2009).

La cour d’appel a déclaré M. X. . . coupable de harcèlement moral à l’encontre de Mme Y. . .,M. Z. . ., Mme A. . ., MM. B. . . et C. . ..

« Il appartient à la Cour de rechercher pour chacune des autres victimes désignées par laprévention si se trouvent objectivement caractérisés par les dénonciations formulées, par lestémoignages recueillis, par l’enquête de gendarmerie diligentée à leur suite et par les débatsd’audience, des faits répétés imputables à Jean-Pierre X. . ., susceptibles d’être qualifiés deharcèlement, en ce qu’ils auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditionsde travail des victimes désignées, étant susceptibles de porter atteinte à leurs droits, à leurdignité, à leur santé physique ou mentale, ou encore à leur avenir professionnel, au sens del’article 222-33-2 du Code pénal ;

En ce qui concerne Mme D. . ., au-delà de son courrier de plainte du 1er septembre2002 dénué de toute précision datée de nature à en permettre une vérification objective, ilrésulte clairement de son audition du 15 octobre 2002 que celle-ci n’évoque de problèmesqu’à partir de février 2002 et jusqu’à sa démission en mars 2002, sans décrire les remarquesdont elle aurait été l’objet, en précisant d’ailleurs qu’elle n’entend pas porter personnelle-ment plainte pour harcèlement moral, voulant seulement témoigner d’une ambiance devenuemalsaine dans l’entreprise, en donnant pour exemple que M. X. . . lui faisait grief de biens’entendre avec une autre salariée, Mme E. . ., dont elle indique que celle-ci était la seuleà lui tenir tête, en ajoutant que pour sa part, elle n’avait pas été témoin d’insultes ou deviolences envers ses collègues ; la Cour, comme d’ailleurs le tribunal qui n’a retenu dansces conditions aucun élément d’appréciation à son égard, ne peut donc retenir de faits deharcèlement répréhensibles à son égard ;

En ce qui concerne M. F. . ., employé comme responsable de caisse, la Cour, comme letribunal auparavant, ne peut relever dans sa lettre initiale du 28 août 2008 aussi bien quedans sa déposition du 4 novembre 2002, que la relation d’un fait unique à la date du 20 août2002, ayant consisté en une mise en cause injustifiée dans une insuffisance de caisse, avecinsultes à son égard (“fils de pute, petit enculé, je vais te tuer”) et tentative de coup empêchéepar un autre salarié, sauf à noter l’affirmation d’avoir été témoin à plusieurs reprises, maissans date vérifiable, de cris et insultes à l’égard d’autres collègues toutefois non nommés ;

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la Cour ne saurait donc trouver non plus à son égard la preuve d’agissements répétés deharcèlement, tels qu’exigés par l’article 222-33-2 du Code pénal ;

Quant aux autres salariés désignés à la prévention, M. Z. . ., à l’occasion de sa lettre dedénonciation du 26 août 2008, venant après une première déposition du 23 août précédent,et de sa déposition générale du 14 octobre suivant, a fait état d’insultes (“petit con, bonà rien”), à partir du 20 août, à nouveau le 21 août avec en plus plusieurs empoignades àl’épaule, et ensuite, jusqu’à sa mise en arrêt maladie le 26 septembre 2002, d’une répétitionquotidienne d’insultes, avec par ailleurs convocation chaque semaine par lettre recomman-dée avec accusé de réception pour des reproches infondés sur la tenue de ses rayons ou pourmauvais propos aux clients ; M. B. . ., dans sa déposition du 4 octobre 2002, reprenant lestermes de son courrier du 27 août précédent, a fait état d’avoir été insulté (“Va chier, moinsque rien. . .”), à l’annonce par téléphone d’un arrêt maladie au cours de ce mois d’août,avant de l’être à nouveau le 20 août (“bouffon, connard”), en essayant d’intervenir lors del’incident sus-relaté avec M. F. . ., se voyant alors intimer de “se casser”, Jean-Pierre X. . .,ajoutant qu’il ne voulait plus le revoir ; qu’il a précisé que c’est bien à raison de ces faitsqu’il a décidé d’arrêter de travailler, se faisant ensuite licencier pour abandon de poste ;

Déposant le 14 octobre 2002, dans la suite de sa lettre du 29 août précédent, Mme A. . . aindiqué avoir été l’objet de surveillances silencieuses prolongées à caractère malveillant dela part de M. X. . . après son retour de congé-maladie en juin 2002, jusqu’à se faire traiterexplicitement d’incapable et de bonne à rien, et avoir ainsi été amenée à forcer dans sontravail au point de devoir de nouveau se mettre en arrêt, avant de démissionner le 29 août2002 devant une situation devenue insupportable ;

Mme Y. . ., par son courrier du 24 août 2002, et sa déposition du 3 octobre suivant, adénoncé d’abord des propos injurieux le 20 août 2002, dans le cadre d’une vive discussionavec Mme G. . . et M. X. . ., de la part de ce dernier (“salope, personnel d’enculés”), avecordre de quitter le magasin sur le champ, qui ont été la cause pour elle d’un arrêt maladiejusqu’au 22 septembre 2002, et ensuite, une “engueulade” quotidienne, en sus d’un déclas-sement professionnel de fait ; qu’il y a lieu de noter qu’à la date du lendemain, le 4 octobre2002, Mme Y. . . s’est vu notifier une mise à pied conservatoire, avant d’être licenciée pourfaute grave ; M. C. . ., en déposant le 30 octobre 2002, à la suite de son courrier de dénoncia-tion du 31 août précédent, a expliqué qu’un mois après son embauche le 17 janvier 2002, etde facon permanente depuis lors jusqu’à sa démission de ce jour, il a été l’objet d’une sur-veillance incessante et agressive de M. X. . . dans l’exécution de son travail, avec demandesconstantes d’aller plus vite, reproches de même de mal remplir les rayons, accompagnésrépétitivement de coups de pochettes plastiques ou de journal sur la tête ;

Mme H. . ., dans sa lettre du 9 septembre 2002, comme dans sa déposition du 30 octobresuivant, a clairement indiqué qu’au cours de l’année 2002, ici concernée, elle a été l’objetde réprimandes répétées du style, “vous êtes une incapable, une feignante”, accompagnéesde mise à pied non fondées ; la Cour en trouve la confirmation tout à la fois dans la concor-dance de cette mise en cause avec les autres dénonciations retenues sur la même période etpour des propos injurieux semblables, et dans la communication par M. X. . . de plusieursconvocations en vue de sanction, effective ou non, pareillement dans la période de juin àseptembre 2002, pour en retenir ainsi le caractère répétitif, et déstabilisant quant à son avenirdans l’entreprise pour la salariée, quand bien même son contrat de travail a été poursuivi ;

Force est de constater que M. X. . . n’a pas produit de témoignages contredisant ourendant improbables de telles mises en cause à son égard de la part de plusieurs salariés,qui se trouvent être cohérentes pour chacune d’elles et convergentes entre elles ;

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Au surplus, il s’impose de retenir, au-delà des témoignages des salariés ainsi harcelés,pour les conforter, le témoignage de M. F. . . pour la teneur identique des injures dénoncéesqui confirme une habitude de grossièreté de la part de M. X. . . ; qu’en effet, les témoinsinvoqués par le prévenu sont restés imprécis quant à la détermination de la période surlaquelle ils entendaient attester, comme pour décrire les circonstances évoquées, de faconseulement générale, sans rapporter aucun propos précis, ni identifier aucun protagoniste,soit ont attesté de son comportement exempt des présentes critiques sur des périodes au-delà de celles concernées par les dénonciations ci-dessus ; que la circonstance que desprocédures prud’homales aient pu être engagées par les salariés concernés à la suite de cesdénonciations, et éventuellement à partir des mêmes faits, n’est pas de nature à les invalider,ni même à les rendre suspectes à l’occasion des présentes poursuites, notamment quant àune collusion entre eux nullement démontrée objectivement ; il y a lieu de retenir que lesfaits de harcèlement allégués ont débuté en février 2002 avec M. C. . ., avant que Mme A. . .

et Mme H. . . ne commencent aussi à en être les victimes à partir de juin 2002, pour culminerau mois d’août jusqu’en septembre 2002, avec aussi M. Z. . ., M. B. . . et Mme Y. . ., ennotant que c’est aussi en août 2002 que s’est situé l’incident, de même nature mais unique,avec M. F. . . ;

Dans ces conditions, il est tout aussi constant, en particulier à travers les arrêts maladies,démission et/ou licenciement évoqués, que ces faits ont contribué pour les victimes à unedégradation de leurs conditions de travail ; tout aussi évidemment il a été porté atteinteà la dignité des intéressés par la circonstance des propos et attitudes injurieux examinésci-dessus, comme à leur santé physique, à raison des arrêts maladie subis, ou mentale, parles perturbations ressenties, comme encore à leur avenir professionnel soit fragilisé, soitperturbé par suite des ruptures consécutivement survenues de leur contrat de travail ; il estpar ailleurs manifeste que M. X. . . ne pouvait ignorer le caractère injurieux des faits repro-chés, eu égard à la teneur des propos imputés, comme à la consistance des comportementsdénoncés, à l’égard de ses salariés ; qu’enfin, M. X. . . ne saurait davantage se prévaloir d’unenécessité de gestion ou d’un exercice normal de son pouvoir de direction pour justifier lescomportements reprochés ; en conséquence, la Cour est en mesure de juger que la preuve aainsi été rapportée de l’existence de faits caractérisés et répétés de harcèlement moral de lapart de M. X. . . à l’encontre de Mme Y. . ., de M. Z. . ., de Mme A. . ., de M. B. . . et de M.C. . ., pour confirmer dans cette mesure le jugement dont appel ; il convient donc d’entreren voie de condamnation à l’égard de M. X. . . par confirmation du jugement déféré, euégard à l’exacte mesure de la gravité objective de la prévention, comme des circonstancesde l’espèce et de la personnalité du prévenu, effectivement jamais condamné à ce jour »(Rejet).

2.2.2. Deuxième affaireCette affaire a été vécue par des apprentis : le comportement de l’employeur est insusceptible

de se rattacher à des nécessités du service (C. Crim. 19 janvier 2010, no 09-84026, confirmant CANancy, 2 juin 2009).

« Il résulte du grand nombre de témoignages recueillis, à l’exception de celui de M. Z. . .,qui s’est déclaré satisfait de son apprentissage, mais qui n’est pas significatif compte tenude la multitude de témoignages contraires, et parce que le harcèlement s’exerce parfois plusélectivement envers certains salariés, souvent les plus vulnérables, que Pierre X. . . a biencommis des agissements répétés ayant pour effet d’altérer la santé physique ou morale de

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nombre de ses salariés, ou de compromettre leur avenir professionnel ; ainsi, notamment,il est établi que Pierre X. . ., de manière habituelle, s’adressait à ses employés en criant,se permettait des actes de violence physique, à type de claques, notamment derrière latête, de cou serré, tiraillement d’oreille, nuque serrée, s’adressait à ses employés en destermes méprisants, injurieux, irrespectueux, avait envers certains des gestes ou des exigenceshumiliantes, s’immiscait dans la vie privée de certains employés, ou faisait des réflexionsdéplacées sur cette vie privée, se trouvait constamment et excessivement à regarder etcontrôler le travail des employés, ce qui ne pouvait qu’être d’autant plus mal ressenti quePierre X. . . criait et insultait, menacait de compromettre l’avenir professionnel de ceuxenvers lesquels il était spécialement en colère, attitude particulièrement perturbante pourdes jeunes insécurisés par la difficulté d’intégrer le marché du travail, faisait faire auxemployés des heures de travail excédant largement leur contrat, au mépris de leur santé, etsouvent sans même un repos minimum entre midi et deux heures, faisait faire à certainsapprentis, parfois dans des proportions importantes, des tâches sans aucun rapport avec leurformation professionnelle, et plutôt au profit domestique de M. et Mme A. . . ;

Il résulte des auditions que ces comportements se sont accentués en nombre et en inten-sité à compter de janvier 2006, car c’est la date à laquelle Virginie B. . ., trop perturbée, acommencé à en parler à son petit ami, et qu’Amandine C. . . situe en février l’aggravation dela situation préexistante, et qu’ils ont pris une ampleur encore nouvelle quelques semainesavant la plainte, à partir du moment où Pierre X. . ., compte tenu de l’amitié naissant entreAmandine C. . . et Virginie B. . ., a senti monter face à lui une opposition ; c’est cette ampli-fication soudaine qui les a révélés ; que, cependant, ces comportements remontent au moinsà mai 2003, comme l’indique la citation, puisque les apprentis successivement entendus,qui ont été employés pour le premier en août 2002, et même 2001 pour Amandine C. . ., etqui se sont succédés depuis lors et jusqu’à la plainte en couvrant toute la période visée parla citation, ont confirmé que depuis l’origine les comportements critiqués existaient, mêmesi c’était avec moins d’ampleur ;

Il est intéressant de constater que les faits ainsi relatés ont été percus par certains apprentiseux-mêmes, et par les tiers, comme du harcèlement moral, ainsi que l’atteste la teneur del’arrêt de travail d’Amandine C. . ., de la déclaration de la mère de Virginie B. . ., de l’auditionde Marie-Béatrice D. . ., de celle de Julien E. . . ; de même, tous les salariés indiquent qu’ilsne supportaient plus de déjeuner comme c’était l’usage au restaurant avec Pierre X. . ., tousexprimant qu’ils “n’en pouvaient plus”, ce qui atteste, ce qui est confirmé par les certificatsmédicaux remis, de la gravité de la situation, et de son caractère devenu insupportable, cequi est la marque d’actes d’agression morale importants et répétés ; il n’est pas contestableque les agissements de Pierre X. . ., ci-dessus énumérés, qui sont tous des agissementsagressifs, humiliants, ou attentatoires aux droits au repos ou à la formation des apprentis,ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail, ont porté atteinte aux droits, maissurtout à la dignité d’Amandine C. . ., de Virginie B. . ., d’Arnaud F. . ., de Marie-BéatriceD. . ., de Damien G. . ., et même d’autres salariés, étaient susceptibles d’altérer leur santéphysique ou mentale, ce qui suffit à caractériser l’infraction, et avaient même commencé àle faire, comme il est établi par l’audition de Mme B. . ., qui indique que sa fille pleuraiten rentrant du restaurant, par le fait que lors de son audition sur les faits la jeune fillea fondu en larmes, par la teneur du certificat d’arrêt de travail de Virginie B. . ., délivrépour dépression ; ces attitudes étaient par leur excès et leur répétition insusceptibles de serattacher à une nécessité pédagogique, ni à des manquements commis par les apprentis, etqu’il se serait agi de réprimander ;

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Pierre X. . . tente dans ses conclusions écrites et à l’audience de faire croire qu’AmandineC. . . a bénéficié d’un excellent apprentissage, puisqu’elle est arrivée première à un concourssélectif, qu’il n’a fait dans les premiers temps que reprocher à Amandine C. . . d’avoirtravaillé un jour chez un concurrent alors qu’elle s’était dite en arrêt de travail ; il expliquede même, que s’agissant de Virginie B. . ., il n’a fait que lui reprocher un retard, et luiimposer le port des vêtements prescrits par la réglementation professionnelle des salariés,tentant de focaliser l’attention sur un évènement unique de ses relations professionnellesavec Virginie B. . . ; il fait valoir que ni Amandine C. . ., ni Virginie B. . . n’ont saisi leconseil des prud’hommes et que si Damien G. . . a échoué à son examen de cuisinier, c’estuniquement parce qu’il n’a pas obtenu l’examen théorique ; le fait que certains reprochesaient pu au cours des relations établies sur de nombreux mois être justifiés, que Damien G. . .

n’ait pas échoué à son examen pratique, qu’Amandine C. . . se soit montrée brillante dansson cursus ultérieur, sont sans emport sur les constatations effectuées, dûment prouvées parles nombreux témoignages, qui ont existé bien avant la situation de crise des deux dernièressemaines, et qui établissent la réalité du harcèlement moral reproché à Pierre X. . . ; il y adonc lieu d’infirmer le jugement déféré sur la culpabilité et de déclarer Pierre X. . . coupablede l’infraction prévue à la prévention. »

2.2.3. Troisième affaireLa Cour sanctionne des faits graves et répétés (C. Crim., 8 décembre 2009, no 09-84117,

confirmant CA Aix-en-Provence, 12 mai 2009).

« Depuis le début de l’année 2006, le comportement de la prévenue à l’égard de ses collèguess’est fortement dégradé ; de guerre lasse, après n’avoir pris le risque de se confier à ladirection, afin d’éviter tout contentieux avec elle, quatre des employés du cabinet de Saint-Tropez, devant l’attitude insupportable de la prévenue, ont décidé de révéler les proposqu’ils qualifient de mensongers, diffamatoires et calomnieux constitutifs de harcèlementmoral ; ces déclarations à l’égard de Dominique Z. . . telles : “elle a une petite mémoire,de petite capacité étant Cotorep, elle ne sait pas s’exprimer, elle a omis continuellementles entrepreneurs affiliés aux caisses TNS, elle ne fait pas son quota d’heures et vole de cefait la Cegexco, elle raconte n’importe quoi aux clients, elle n’est pas capable de tenir uneconversation censée, elle n’a pas l’intellect pour ca, elle recopie d’une année sur l’autre lesmêmes documents fiscaux, sans tenir compte des éléments de l’année et elle est juste bonneà être vendeuse en boulangerie, elle a un amant, elle est grosse car elle mange n’importequoi, son mari a un petit sexe parce qu’il est gros. . .” constituent des dénigrements répétéset blessants qui ont eu pour conséquence d’altérer la santé de Dominique A. . . laquelle afait l’objet d’un arrêt maladie de dix jours en avril 2006 à la suite d’un choc émotionnelavec un état dépressif ;

Et, de plus, Evelyne Y. . . a tenu des propos blessants hors cadre professionnel ; la répétitiondes propos, du fait d’un travail continu au sein du même établissement, et des critiques de natureà dévaloriser la victime, ont eu pour conséquence d’altérer sa santé, au vu des deux certificatsmédicaux produits et de porter atteinte à la dignité de Dominique Z. . . » (Rejet).

2.2.4. Quatrième affaireLa Cour sanctionne des faits graves et répétés (C. Crim., 14 octobre 2009, no 09-80429,

confirmant CA Toulouse, 29 octobre 2008).

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« En ce qui concerne les faits dénoncés par Élodie H. . ., ils sont établis par la lettre du27 août 2004 de dénonciation au maire rédigée et signée par le prévenu qui met en causel’honorabilité de la victime et l’accuse, sans précision, de “comportement préjudiciableenvers les enfants” ; annonce répétée, notamment en présence de Mme I. . .“qu’il feraitvirer” Élodie H. . ., alors qu’il n’a pas d’autre relation officielle et professionnelle que dela recevoir à la cantine comme n’importe quel usager de celle-ci ; le conflit a pris de tellesdimensions qu’elle a été interdite d’accès à la cantine et lui-même a été interdit d’accèsau centre de loisirs après l’école dont Élodie H. . . avait la responsabilité ; comme pourJeanine J. . . il l’a menacée d’intervenir “car il a le bras long” pour lui faire perdre la gardede son enfant ; il ne s’agit pas seulement de mésentente entre deux personnes mais biendu délit reproché au prévenu en ce qu’il a, par ses actes répétés, compromis la santé et lesconditions de travail de la partie civile ; les faits sont également prouvés par les rapportsdes deux experts en ce qu’ils ont trouvé les traits de personnalité décrits par les plaignanteset expliquant son comportement ;

L’expert F. . . a examiné les deux parties civiles et a noté le retentissement des faitssur leur personnalité, alors qu’elles ne présentent pas d’anomalie mentale, ne paraissent nisous influence ni dans une démarche de fabulation ou calomnie ; l’expert psychiatre, M.K. . . a écarté toute anomalie ou pathologie mentale chez le prévenu ; il indique que s’ilest coupable, il se trouve dans le schéma classique du harceleur qui se défend en se disantharcelé, ce qui renvoie aux explications successives du prévenu sur les complots menéscontre lui par Élodie H. . ., puis par son prédécesseur à la direction du centre de secourset enfin par le maire de C. . . ; le psychologue lui reconnaît des traits paranoïdes et uneambivalence (relevée également par de simples témoins comme le maire de la commune) ;il est valorisé par son ascension sociale mais il doute de lui, ce qui expliquerait ses conduitesde persécution vis-à-vis de ses subordonnés ; ces deux experts relevaient également unepersonnalité narcissique pouvant expliquer son comportement et les faits ; sur l’appel, enconsidération des critères imposés par l’article 132-24 du Code pénal, de la gravité des faits,de la fragilité des victimes, des conséquences sur la vie de celles-ci, mais aussi des bonsrenseignements dont Gérard X. . . est l’objet dans son travail et en sa qualité de pompier, laCour confirme la décision du tribunal » (Rejet).

2.2.5. Cinquième affaireLes décisions prises par le harceleur ne sont pas susceptibles de se rapporter aux nécessités du

service (C. Crim., 8 décembre 2009, no 09-81306, confirmant CA Chambéry, 15 janvier 2009).

« Il est reproché en premier lieu à Christian A. . ., responsable du rayon PGC (produitsde grande consommation) de 1990 à mai 2002, puis du département “boucle complète” àcompter du 19 mai 2002 et de nouveau affecté au département PGC de la fin du mois dèsnovembre 2002 jusqu’au mois de mai 2003, d’avoir multiplié les critiques sur la qualité dutravail de Stéphane X. . ., responsable du rayon DPH (droguerie, parfumerie, hygiène), etdu travail de Danielle Y. . ., épouse Z. . ., responsable du rayon fruits et légumes ; ChristianA. . . considère que ces critiques sont justifiées, qu’elles tiennent au manque de motivationprofessionnelle de Stéphane X. . . et de Danielle Y. . ., épouse Z. . ., qui n’auraient, selonlui, pas pris la mesure de leur statut de cadre ;

Cependant, l’accession au statut de cadre n’a pas sensiblement modifié le poste desvictimes, leur salaire ou leur place dans l’organigramme du magasin ; elle correspondait,ainsi que Christian A. . . l’a lui-même expliqué à l’audience, davantage à la mise en œuvre

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d’une politique salariale qu’à une réelle promotion ; en toute hypothèse, les conditions danslesquelles Stéphane X. . . et Danielle Y. . ., épouse Z. . ., ont exécuté leur travail n’ont jamaisdonné lieu à un reproche formalisé, si ce n’est pour Stéphane X. . . dans le courrier du 6 mai2002, ni à une sanction disciplinaire, la procédure de licenciement engagée à l’encontre deDanielle Y. . ., épouse Z. . ., le 6 mai 2003 n’ayant pas abouti ;

En second lieu, ces critiques ont sanctionné parfois de prétendus manquements à desobligations qui ne pouvaient pas être sérieusement imposées aux victimes ; ainsi, plusieurssalariés de l’établissement ont indiqué, lors de leur audition, avoir vu Christian A. . . fairedes photos des rayonnages dont Stéphane X. . . avait la responsabilité pendant que celui-ci était en vacances ; Victor B. . ., directeur du magasin de septembre 2001 à mai 2003, areconnu avoir demandé à Christian A. . . de procéder ainsi ; l’ex-épouse de Stéphane X. . . aindiqué que l’attitude de Christian A. . . avait changé vis-à-vis de son époux à l’arrivée dunouveau directeur, dont il exécutait les ordres ;

En troisième lieu, il est reproché à Christian A. . . d’avoir organisé le travail des victimesde manière à provoquer des fautes de leur part ; ainsi, à la fin du mois de janvier 2002, unedes personnes affectées depuis de nombreuses années au rayon DPH de Stéphane X. . .,Jean-Claude C. . ., a été remplacé par Franck D. . . ; ce changement, en soi, s’il n’est pasillégitime, ne pouvait que déstabiliser Stéphane X. . . puisqu’il était notoire que Franck D. . .

et Stéphane X. . . avaient des relations tendues ; il convient d’observer qu’aucune raisonobjective n’a jamais été alléguée pour expliquer ce changement et que le contentieux entreFranck D. . . et Stéphane X. . . avait nécessairement été porté à la connaissance de VictorB. . . par Christian A. . . qui était à l’époque responsable du département dont dépendait tantl’ancien que le nouveau rayon d’affectation de Franck D. . . et Jean-Claude C. . . ; qu’en cequi concerne Danielle Y. . ., épouse Z. . ., les réserves dont son avis d’aptitude au travailétaient assorties n’ont pas été respectées ;

Christian A. . ., conscient de cette situation, ne peut en faire peser la responsabilité exclu-sive sur Victor B. . . ; en effet, en sa qualité de responsable du département “boucle complète”et d’interlocuteur privilégié de la direction, il lui appartenait d’informer Victor B. . . de ceque le poste de Danielle Y. . ., épouse Z. . ., n’était que théoriquement compatible avec lesrecommandations du médecin du travail, ce qu’il n’a manifestement jamais fait ; il lui appar-tenait également de mettre en œuvre la pratique, décrite comme constante dans le magasin,de la polyvalence des salariés qui pouvaient, au gré des besoins, être ponctuellement affectésà des rayons autres que celui auquel ils étaient attachés » (Rejet).

2.3. Notion d’actes délibérés

2.3.1. Agissements délibérésLa Cour de cassation prend pour référence la notion « d’agissements délibérés » (C. Crim.,

8 juin 2010, no 10-80570, confirmant CA Montpellier, 8 décembre 2009).

« Sont établis à la charge du prévenu les très nombreux appels téléphoniques qu’il adressaità sa subordonnée sur les téléphones professionnels comme privé de celle-ci, les cadeauxqu’il lui faisait et les discours qu’il lui tenait, sans tenir compte des refus répétés qu’elleopposait à ses avances, les articles d’hebdomadaires qu’il lui adressait, comportant unemenace diffuse, les reproches qu’il lui faisait et la menace déguisée tenant au fait qu’en saqualité de supérieur hiérarchique, il pouvait la renvoyer, et, à l’inverse, les privilèges dontil l’accablait, contre sa volonté, au point de l’isoler de ses collègues ;

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Les juges ajoutent que les agissements du prévenu ont eu pour effet de porter atteinte àses droits et d’altérer sa santé ; ils relèvent, enfin, que la circonstance qu’une enquête interneait conclu à l’inexistence d’un harcèlement moral ne lie pas la juridiction ;

Ainsi, la Cour d’appel a caractérisé le délit retenu en tous ses éléments constitutifs, tantmatériels qu’intentionnel, dès lors qu’elle a mis en évidence des agissements délibérés,commis de facon réitérée dans un contexte professionnel par Jean-Michel X. . ., qui ontoutrepassé les limites de l’exercice de son pouvoir de direction, et ont porté atteinte à lasanté de sa subordonnée » (Rejet).

2.3.2. Violence du comportementLes faits décrivent une véritable incurie (C. Crim., 16 février 2010, no 09-84013, confirmant

CA Aix-en-Provence, 26 mai 2009).

« Lahouria K. . . a été embauchée le 15 mai 1996 en qualité de secrétaire par la SARL groupeJMS assurances pour un salaire mensuel brut de 822,86 euros ; elle donnait naissance à unfils le 1er février 2005 et informait son employeur le 26 juin 2005 de son intention de prendreun congé parental du 1er août au 31 mars 2006 ; Lahouria K. . . portait plainte le 30 septembre2005 contre Sandrine X. . ., à l’époque directrice commerciale au sein de JMS assurances,pour des faits s’étant déroulés en octobre 2004 lors d’une réunion avec l’employeur PierreY. . . et la prévenue, au cours de laquelle cette dernière lui aurait dit “de toutes facons àJMS, on ne veut plus d’arabes, on n’a jamais eu confiance en toi, quand tu rentreras decongés maternité, tu feras du classement, tu n’es qu’une sale arabe” ; elle sortait en pleursdu bureau, étant enceinte de six mois ; le directeur l’a rejointe pour lui dire “Lahouria voussavez bien que ce qui a été dit dans le bureau, on ne le pense pas” ; quelques jours plus tard,Sandrine X. . . convoquait une employée de la société dans son bureau, Mme Z. . ., pour luidire : “J’ai traité Lahouria de sale arabe, de toutes facons il n’y a que toi qui es au courant etsi ca se sait, je sais que cela viendra de toi”, un peu plus tard en salle de réunion, SandrineX. . . s’adressant à un commercial, M. A. . ., lui disait : “J’ai viré Lahouria cette grosse, detoutes facons je ne veux plus d’arabes et de juifs dans cette société” ;

Le 6 septembre 2006, Lahouria K. . . était de nouveau entendue par les policiers ; elledéclarait avoir repris son activité le 1er février 2006, et qu’elle avait été surprise de constaterque son bureau n’existait plus, que deux cartons de classement se trouvaient sur le meublebureau sans tiroir, sans ordinateur, sans téléphone, que personne ne lui parlait à la suite deconsignes données par Sandrine X. . . ; elle avait été convoquée à la médecine du travail le30 janvier 2006, et placée en arrêt maladie pour dépression par un psychiatre ;

Les déclarations de Lahouria K. . . faites aux services de police ont été confirmées par lestémoignages de douze sur les seize salariés et commerciaux de la société JMS assurances ;Mme B. . . déclarait que lors de sa reprise du travail en janvier 2006, Lahouria K. . . n’avaitplus d’outil de travail, que Sandrine X. . . tenait des propos racistes devant tout le personnel ;Sonia C. . . relatait les propos racistes tenus par la prévenue, que tout le personnel étaitmenacé de représailles s’il adressait la parole à Lahouria K. . . ; Mme D. . . rappelait ledénigrement constant de Sandrine X. . . à l’encontre de Lahouria K. . ., que son outil detravail lui avait été retiré à son retour de congé maternité, qu’il était interdit d’adresserla parole à la partie civile ; Nelly E. . . F. . . indiquait que Lahouria K. . ., enceinte, s’estretrouvée avec Sandrine X. . . et s’est fait insulter, qu’il était interdit de lui adresser laparole, qu’à son retour dans la société, elle n’avait plus d’outil de travail et était préposéeau fond du plateau au classement du courrier ; que Frédéric G. . . déclarait que Sandrine

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X. . . lui avait interdit d’adresser la parole à Lahouria K. . ., qu’il en allait de même pourtout le personnel et les commerciaux de la société, que tous ces faits se sont déroulés entrele 23 et le 31 janvier 2006 ; Marjorie H. . . déclarait que la prévenue faisait régner dans lasociété une ambiance délétère, qu’elle avait été encouragée à la délation par cette dernière ;sur les seize salariés de l’effectif de la société JMS, présents au moment des faits, treizesont partis, six en dépression, six ont préféré démissionner et un seul (J. . .) a obtenu unlicenciement négocié ; l’emploi du temps produit par la prévenue, outre qu’il s’agit d’unélément établi par elle-même, ne constitue pas une preuve de son absence permanente del’entreprise pendant la période incriminée ;

Il a été confirmé par les témoins susvisés qu’elle se trouvait bien dans les locaux dela société entre le 23 et le 31 janvier 2006, dates auxquelles Lahouria K. . . revenant decongé maternité a été privée de son outil de travail, n’avait plus de contact avec les autressalariés sur ordre de la prévenue et était réduite à effectuer du classement alors qu’elleétait salariée de la société JMS depuis 1996 et n’était donc pas une débutante ; l’argumentde la prévenue selon lequel la suppression du poste de travail de la partie civile à sonretour de congé maternité, s’expliquerait par la réorganisation du plateau, demandée parl’inspection du travail, nécessitant la création de vestiaires dans les locaux de l’entreprise,n’est pas sérieux, compte tenu du rôle de l’inspection du travail qui ne consiste pas à priverles salariés de leur outil de travail sous prétexte de réorganisation matérielle des locaux ;les attestations produites par Sandrine X. . ., outre qu’elles ont été rédigées par des salariéstoujours au service de la société JMS, ne comportent aucune indication précise quant aucomportement de la prévenue à l’égard de la partie civile ; le fait que la prévenue n’ait paseu un comportement de harcèlement à leur égard ne signifie pas qu’il en était de mêmepour la partie civile ; qu’il résulte des divers témoignages produits par la partie civile et desdéclarations de Mme I. . . et de M. A. . . devant les services de police confirmant les proposà caractère raciste tenus par la prévenue à l’encontre de Lahouria K. . ., que celle-ci a étél’objet d’agissements répétés de la part de la prévenue qui ont provoqué une incontestabledégradation de ses conditions de travail et ont eu pour résultat d’altérer la santé physique etmentale de la partie civile qui est toujours sous traitement psychotrope ; en conséquence, lejugement déféré sera confirmé en ce qu’il a déclaré Sandrine X. . . coupable des faits visésdans la prévention. »

La Cour de cassation confirme cette analyse :

« Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure des’assurer que la Cour d’appel, qui a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefspéremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments, tantmatériels qu’intentionnel, le délit de harcèlement moral dont elle a déclaré Sandrine X. . .

coupable, et notamment les agissements répétés de la prévenue ayant eu pour objet ou poureffet d’entraîner la dégradation des conditions de travail de Lahouria K. . . ainsi que deporter atteinte aux droits et à la dignité de cette salariée, et justifié l’allocation, au profit dela partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice causé par l’infraction » (Rejet).

2.3.3. Des actes vexatoires visant à déstabiliser le salariéLa Cour exige la référence à des actes vexatoires, des brimades de la part de l’employeur,

visant à déstabiliser le salarié (C. Crim, 15 septembre 2009, no 09-81025, confirmant CA Pau,13 janvier 2009).

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« Aux termes de l’article 222-33-2 du Code pénal, le harcèlement moral est définicomme le fait de harceler autrui par des arguments répétés ayant pour objet ou poureffet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droitset à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son ave-nir professionnel ; la caractérisation de ce délit suppose la commission répétée d’actesvexatoires, de brimades de la part de l’employeur visant à déstabiliser le salarié ou à luinuire ;

Lors de ses auditions, Gilbert X. . . n’a jamais évoqué de faits qui, par leur répétition ouleur nature, pourraient caractériser un harcèlement moral ; devant le juge d’instruction, il adéclaré : “Elle (Ingrid A. . .) était très exigeante ; par contre, elle ne m’a jamais insulté, nihumilié” ; plus avant dans son audition, il évoque “les piques” portées par son employeursur l’organisation de son travail ; il est établi que l’entreprise autrefois gérée par la mutuellegénérale des PTT a été, consécutivement à de grosses difficultés financières, reprise parle groupe Vacanciel qui, pour des raisons économiques, a procédé à une restructurationde la société, en particulier en licenciant 50 % de son personnel permanent ; la nouvelleorganisation du travail mise en place a engendré un surcroît de travail pour le personnelrestant ;

Il apparaît clairement au travers des déclarations des salariés, et en particulier de GilbertX. . . lui-même, que les difficultés de celle-ci s’inscrivent dans un conflit, somme toutebanal, entre un ancien salarié qui estime trop lourde sa nouvelle charge de travail et unnouvel employeur soucieux de la rentabilité de son entreprise ; à défaut de rapporter desactes intentionnels, répétés, portant atteinte à sa dignité ou à ses droits, les faits dénoncéspar le salarié ne peuvent relever de la compétence du juge répressif mais ressortissent audroit du travail ; des remontrances, des critiques fussent-elles répétées ne peuvent à ellesseules constituer des actes de harcèlement moral ;

Seuls les propos : “Que voulez-vous que Vacanciel fasse d’un handicapé à part le licen-cier ?” que Gilbert X. . . impute à Mme B. . . puis à Ingrid A. . . pourraient constituer un actevisant à l’humiliation du salarié visé s’ils n’étaient formellement démentis par l’employeuret s’ils étaient confirmés par des témoins ; ce n’est pas le cas puisque selon la partie civileaucun tiers n’a pu les entendre ;

Par ailleurs, la sanction disciplinaire-blâme-subi par Gilbert X. . . ne peut être constitutifd’un acte de harcèlement moral puisqu’il semble avoir été justifié par les déclarations dusalarié ayant subi les attouchements de nature sexuelle de la part de la partie civile – dontles doléances écrites figurent au dossier – et qu’en tout état de cause Gilbert X. . . n’a pas entemps utile exercé les recours ordinaires prévus par le Code du travail à la suite de la sanctionprononcée ; dès lors, aucun élément ne permet d’émettre des réserves sur la légitimité de ceblâme ; rien ne permet de faire un quelconque lien entre les ennuis de santé-physiques oupsychologiques connus par Gilbert X. . . et les faits de harcèlement dénoncés par celui-ci ;l’information n’a pas permis de caractériser les éléments constitutifs des délits dénoncés nimis en évidence d’autres incriminations pénales susceptibles d’être reprochées au témoinassisté.

2.3.4. Des fonctions outrepasséesL’employeur doit avoir outrepassé son pouvoir de direction (C. Crim., 30 septembre 2009,

no 09-80971, confirmant CA Colmar, 19 novembre 2008).Cour d’appel :

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« Plusieurs témoins ont confirmé les faits dénoncés par Aurélie C. . . (dénigrement devant sescollègues et les clients, hurlant à son encontre, la traitant de “blondasse” et d’incompétente ;changement de ses missions professionnelles) et Céline Z. . . (il hurle, est agressif, exercedes pressions, la perspective d’un nouveau déplacement avec son employeur la plonge dansun état d’angoisse et elle a consulté un médecin qui lui prescrit un arrêt de travail) ; cesagissements répétés ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail pour lesvictimes et ont compromis leur avenir professionnel. »

Cour de cassation :

« Pour déclarer Philippe X. . . coupable de harcèlement moral, les juges énumèrent et ana-lysent les faits et circonstances ainsi que les témoignages recueillis et les pièces verséesaux débats dont ils déduisent que les conditions de travail de Céline Z. . . et Aurélie Y. . .

se sont dégradées en raison des agissements répétés de Philippe X. . . ; ils ajoutent que leprévenu a outrepassé les limites de l’exercice de son pouvoir de direction et a compromisl’avenir professionnel des deux salariées » (Rejet).

2.4. Non-lieu

Les arrêts de non-lieu présentent un intérêt tout particulier car ils montrent les limites del’infraction.

2.4.1. Dégradation de l’état de santé résultant des conditions de travailLa dégradation de l’état de santé, qui doit être établie, et le fait qu’elle soit imputable aux

conditions de travail ne suffit pas à établir le harcèlement : doit être établie l’intention de nuire(C. Crim, 28 septembre 2010, no 10-80799).

Cet arrêt confirme une décision de non-lieu. La dégradation de la santé est établie et les relationsde travail étaient envenimées, mais les décisions prises n’étaient pas du harcèlement.

« La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juged’instruction aux motifs que l’existence de faits de harcèlement au sens des dispositions del’article 222-33-2 du Code pénal n’est pas établie à l’encontre de M. Y. . ., qui explique,d’une part, que contrairement aux allégations de la plaignante, les décisions étaient prisesde facon contradictoire, après consultation et de facon collégiale, ce que confirment tousses autres collègues et les pièces saisies à l’université sur commission rogatoire, et, d’autrepart, que la décision de ne pas faire aboutir le projet Lilith était due à des contraintes bud-gétaires et non au désir de nuire spécialement à la plaignante comme elle l’explique ; queles personnes interrogées ont toutes déclaré ne pas avoir été témoin d’actes de harcèlementmoral ;

Par ailleurs, il est constant que Mme X. . . n’a pas assuré certains des cours qui luiétaient confiés, ainsi qu’il ressort de la lettre de l’étudiante saisie et du compte rendu du18 mai 2007 ; qu’elle a même refusé d’animer des séminaires que lui proposait M. Y. . .,ce qui est confirmé par Mme Z. . . ; les témoignages de M. A. . ., qui indique que MmeX. . . a été correctement accueillie lors de son arrivée, MM. B. . ., C. . . et de Mmes D. . .

et Z. . . confirment tous que Mme X. . . s’est mise d’elle-même à part de l’université parson comportement, alors qu’il résulte par ailleurs des pièces produites que ses qualités, sesconnaissances et sa compétence étaient établies, indiscutées et reconnues ; que les courrielsde Mme Z. . ., qui a d’ailleurs expliqué qu’elle avait cessé toute relation avec la plaignante,

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car celle-ci ne cessait de l’importuner à propos de cette affaire et n’a pas confirmé le contenude ces courriers, et de M. E. . ., malade, ne peuvent permettre de conclure, alors qu’aucuneindication n’est fournie sur les circonstances et le contexte de leur rédaction, à l’existence defaits de la nature de ceux reprochés ; qu’il est constant que les professeurs ont vocation à êtreaffectés à tous les enseignements dispensés ; que par ailleurs il est constant que Mme X. . .,suite à l’échange professoral ayant eu lieu, a percu deux trimestres supplémentaires, alorsque les services étaient en période de restrictions budgétaires ; il ne peut être déduit, commeelle l’affirme à tort, du fait que le médiateur du ministère ait décidé de ne pas recouvrer ladette que les remarques formées à cet égard étaient sans fondement ;

Les absences de convocation à certaines réunions, à les tenir pour établies, peuvent être lerésultat de simples oublis ou maladresses et ne sauraient en toute hypothèse être considérésen eux-mêmes comme des actes de harcèlement ; il importe, eu égard aux faits reprochés, desavoir si c’est Mme X. . . à la demande de son médecin traitant ou le président de l’universitélui-même qui a saisi la médecine du travail ; il résulte de l’ensemble de ces considérationsque l’existence de faits de harcèlement effectués à l’encontre de Mme X. . . n’est établiepar la partie civile, tant sur les plans matériel qu’intentionnel, ni à l’encontre d’une per-sonne agissant seule, ni à l’encontre de plusieurs personnes dont les agissements concertéspourraient constituer, pris ensemble, l’infraction reprochée ; il y a lieu en conséquence, deconfirmer l’ordonnance entreprise (Rejet).

2.4.2. Simple conflit relationnel au travail : non-lieuUn conflit interne au service, lié à des données objectives, ne constitue pas un harcèlement,

alors même que la santé du salarié s’en trouve atteinte (C. Crim., 2 février 2010, no 09-84793,confirmant CA Angers, 22 avril 2009).

Non-lieu prononcé aux motifs qu’il ne résultait pas de l’information des indices gravesou concordants de faits susceptibles de recevoir la qualification de harcèlement moral contreJack Y. . .

« L’ambiance au sein de la CPAM du Maine-et-Loire était médiocre et au sein de l’unité desmédecins-conseil particulièrement où se sont affrontés des différences de conception dansl’organisation du travail ; le docteur X. . . avait exprimé par écrit les dysfonctionnementsqu’il avait relevés dans l’organisation générale ; la hiérarchie avait plus tard constaté et émisdes observations sur la manière dont il assurait administrativement sa mission ; il s’avéraitun professionnel aussi bon que rigide dans sa manière de travailler, peu disposé à composeravec les contraintes de toute nature qu’il avait rencontrées dans le fonctionnement quotidiende son unité ; il avait été licencié en 2005 par le successeur de Jack Y. . . ;

Les observations recues et contestées ne portaient pas atteinte à son honneur ; ellesn’étaient pas gratuites ; elles avaient été la cause d’une grave blessure narcissique qui étaitla conséquence d’un conflit entre lui et la direction et non la conséquence d’un harcè-lement ; l’indépendance technique médicale du docteur X. . . n’avais jamais été mise encause ;

L’agacement manifesté par le docteur Y. . ., supérieur hiérarchique du docteur X. . ., àl’encontre de ce dernier n’avait pris aucun tour personnel ; la personne de celui-ci n’avaitjamais fait l’objet d’appréciations péjoratives ; les critiques avaient été d’ordre administra-tif et jamais médical ; elles étaient la manifestation d’une différence de conception dansl’organisation du travail ; celle du docteur X. . . n’avait pas l’agrément de la direction ; à cepoint irréconciliable, il s’était dénoué par un licenciement (arrêt, p. 4–5) ;

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Le docteur Y. . . justifiait l’absence d’avancement au choix du docteur X. . ., prise encomité de direction, au motif que l’intéressé ne faisait pas l’unanimité ; que le médecin chefrégional, le docteur Z. . ., avait été également entendu ; il avait rappelé que l’avancement desmédecins conseils s’effectuait à l’ancienneté tous les cinq ans sauf avancement au mérite,avec un minimum de deux années dans l’échelon (ordonnance, p. 5) ; l’examen psycholo-gique du docteur Y. . . avait révélé des difficultés émotionnelles, affectives et narcissiques etsoulignait qu’il développait un syndrome dépressif sur fond d’organisation névrotique, maisne mettait pas en exergue un fonctionnement pervers qui aurait pu détourner les rapportsde subordination dans le sens d’une recherche d’aliénation ou de soumission d’autrui ;

Si l’information judiciaire avait mis en exergue une certaine pression qui avait pu êtreexercée au préjudice du docteur X. . . dans le cadre de son activité professionnelle, lesdifférents reproches formulés par la partie civile ne sauraient être imputables au seul docteurY. . ., lui-même soumis à une hiérarchie ;

L’état psychologique indéniable dans lequel s’était retrouvé le docteur X. . . et son arrêtde travail subséquent ne sauraient être attribués à la seule responsabilité du docteur Y. . . ;

Ainsi, au terme de l’instruction, si l’existence de conditions de travail difficiles au seinde la CNAMTS avaient été vécues par plusieurs médecins, et en particulier par le docteurX. . ., les investigations n’avaient pas permis de caractériser suffisamment l’existence defaits de harcèlement moral tels que définis par le Code pénal. »

2.4.3. Gestion discutable d’un conflit au travail : non-lieuLe non respect des droits sociaux ou salutaires ne suffit pas à entrer dans la définition du

harcèlement (C. Crim., 16 septembre 2009, no 09-80933, confirmant CA Douai, 25 novembre2008).

« Non-lieu prononcé aux motifs que les faits liés à la compatibilité ou non d’heures sup-plémentaires d’enseignement avec la décharge syndicale dont bénéficiait le plaignant neconstituent pas des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradationdes conditions de travail mais un ensemble de décisions administratives susceptibles d’êtresoumises à recours administratifs et judiciaires ; sur ce point, le conseil d’administration del’université d’Artois ayant rappelé la règle de l’incompatibilité des heures supplémentairesen cas de décharge syndicale, le directeur de l’IUT n’a fait qu’exécuter cette délibérationen avisant l’enseignant que son quota d’heures payées serait épuisé en janvier 2004 ;

Le plaignant a exercé des recours hiérarchiques et contentieux, qui ont été rejetés, contrela décision du président de l’université d’Artois d’avoir refusé une telle autorisation suivantlettre du 24 décembre 2003 rappelant une précédente lettre du 19 juillet 2003, confirméepar le recteur d’académie dans sa lettre du 17 juillet 2004 ; dès lors que le non-paiementd’heures supplémentaires résultant du refus de cours supplémentaires a pu faire l’objet derecours hiérarchiques ou contentieux, ces faits ne constituent pas à proprement parler un faitde harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de travail, mais seulement,pour le cas où ce non paiement serait juridiquement infondé, un manquement aux droitsstatutaires ou contractuels de l’enseignant ; son départ de la salle de classe à cette date n’estque l’exécution matérielle de ces délibérations et décisions ; à raison des témoignages decertains étudiants établissant que Guy X. . . a été soulevé de force avec le siège sur lequelil était assis, ce fait peut recevoir la qualification de violence légère sans incapacité detravail, contravention de quatrième classe prévue et réprimée par l’article R 624-1 du Codepénal, et déjà prescrit au terme d’un an en application de l’article 9 du Code de procédure

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pénale à la date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, étant précisé quel’action publique n’est mise en mouvement par voie d’une plainte de cette nature qu’enmatière criminelle ou délictuelle ainsi qu’il résulte de l’alinéa 1er de l’article 85 du Codede procédure pénale ;

Mais à supposer la scène ainsi décrite par les étudiants comme pouvant être humiliantepour l’enseignant, elle n’en reste pas moins un fait unique, ne remplissant pas ainsi les condi-tions de pluralité d’agissements dans le temps, et reste donc insuffisante pour être qualifiéede harcèlement moral au sens de l’article 222-33-2 précité ; en outre, l’abaissement de lanotation ne résulte pas d’une volonté délibérée de nuire ayant eu pour objet ou pour effet unedégradation des conditions de travail susceptibles de compromettre l’avenir professionneldu plaignant, mais est l’application d’une politique nationale que le directeur de l’IUT s’estcontenté d’exécuter ; la notation relève d’une procédure administrative soumise à recourshiérarchique effectivement exercé par le plaignant ; enfin, le détournement de correspon-dance, puis l’interception de la notification de la décharge syndicale ne sont pas établis,en sorte qu’aucun des faits compris dans la plainte ne peut être qualifié de harcèlement ;(. . .) ; l’information est complète ; par conséquent, l’information n’a pas établi l’existencede charges suffisantes contre quiconque, d’avoir commis les infractions invoquées souscouvert des faits dénoncés par la partie civile, ou toute autre infraction que l’instruction n’apas révélée ; l’ordonnance entreprise sera confirmée » (Rejet).

3. Dénonciation calomnieuse

Cet arrêt sanctionne de dénonciation calomnieuse un plaignant qui savait que les faits dénon-cés étaient partiellement inexacts et ne pouvaient revêtir les qualifications juridiques qu’il leurattribuait (C. Crim., 23 juin 2009, no 08-88049, confirmant CA Grenoble, 26 mai 2008).

« La plainte avec constitution de partie civile déposée par Patrick X. . . auprès du juged’instruction constitue une dénonciation spontanée à un officier de justice de faits suscep-tibles d’entraîner des sanctions pénales et disciplinaires à l’encontre de fonctionnaires depolice, officiers de police judiciaire ; les personnes visées par cette dénonciation, nommé-ment désignées dans le corps de la plainte, sont parfaitement identifiables ; Patrick X. . . alui-même qualifié les faits qu’ils a dénoncés, en spécifiant, dans sa plainte du 8 septembre2003 qu’ils lui paraissaient constituer les délits de harcèlement moral et de soumissiond’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail incompatibles avec ladignité humaine ;

La fausseté des faits dénoncés par Patrick X. . . résulte nécessairement de l’ordonnancede non-lieu rendue le 24 novembre 2006 pour insuffisance de charges et devenue définitive ;à la date de son dépôt de plainte, le 8 septembre 2003, Patrick X. . . savait que les faits qu’ildénoncait étaient partiellement inexacts et ne pouvaient revêtir les qualifications juridiquesqu’il leur attribuait ; les premiers juges ont exactement retenu la “présentation fallacieuseet exagérée” des faits imputés par le prévenu à ses supérieurs hiérarchiques ;

Il en est ainsi de sa prétendue situation de vulnérabilité ou de dépendance que ne peuventcaractériser ses arrêts de travail pour maladie ; il en est encore ainsi des éléments qu’il aavancés pour caractériser le harcèlement moral dont il s’est plaint en évoquant des “insultes,critiques, brimades, vexations” ; en effet, il a présenté comme des “agressions verbales” lesreproches qui lui ont été faits par Yves Y. . . pour son retard dans le traitement des dossierset a évoqué des insultes dont il aurait été victime de la part, non des parties civiles, mais

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des commissaires de police G. . . et N. . . ou qui auraient été proférées “en présence d’YvesY. . .” ;

Il a qualifié de “mesure vexatoire” le “retrait non justifié de certains dossiers importants”sans préciser lesquels ni dire en quoi il estime que son dessaisissement n’était pas justifié ;

Il a présenté comme constituant une discrimination ou comme relevant d’une volonté del’atteindre dans sa dignité des mesures prises par ses supérieurs, en réalité dans le cadre dela mission qui était la leur de veiller au bon fonctionnement du service ; il est ainsi du devoird’un responsable de service de s’assurer, au besoin en le soumettant à un examen médical,de la santé d’un de ses subordonnés, en particulier lorsque l’intéressé exerce des fonctionstelles que celles occupées par Patrick X. . . ; ce dernier ne pouvait, de bonne foi, avancerqu’Yves Y. . . l’avait empêché “de se soigner convenablement” et avait été à l’origine dela “dégradation de son état de santé”, alors qu’il lui appartenait de signaler sa situation aumédecin du travail qui, si celle-ci l’avait exigé, n’aurait pas manqué de prescrire les mesuresnécessaires (arrêt de travail, aménagement du service) ; que ces éléments caractérisent lamauvaise foi du prévenu ; le délit de dénonciation calomnieuse qui lui est reproché est ainsicaractérisé en tous ses éléments tant matériels qu’intentionnel. »