2
La kinésithérapie : une profession en mouvement ? Physiotherapy: A very "active'' profession T out professionnel sait bien que la masso-kinésithérapie peut se dénir comme étant une spécialité paramédicale associant le mouvement comme principale thérapie : le mou- vement passif (massage, mobilisation passive, etc) et le mouvement actif (gymnastique médicale, rééducation fonctionnelle, entre autres). Bien entendu, cette dénition quelque peu simpliste mais vraie dans son aspect fondamental reste à préciser, voire à compléter par rapport à la variété de techniques complémentaires mises, au l du temps, à la disposition du masseur-kinésithérapeute. Mais ce mouvement, si cher à notre profession, se retrouve-t-il dans la réalité de notre exercice actuel et se retrouve-t-il dans les enjeux relatifs à notre avenir ? Autrement dit, la kinésithérapie est-elle réellement en mouvement ? De prime abord, la réponse semble négative au vu de notre situation actuelle : durée des études inchangée depuis 1969, contenu des études initiales inchangé depuis 1989, aucune recon- naissance actuelle de nos études au niveau universitaire, peu de formations continues vali- dantes en masso-kinésithérapie, honoraires bloqués et inadaptés par rapport aux contraintes de l'exercice libéral, revalorisations salariales en berne, dépeçage progressif de certaines de nos compétences (massage, rééducation uro-gynécologique, etc). Mais, malgré cet aspect quelque peu inquiétant de notre évolution professionnelle, un formidable espoir peut revaloriser notre exercice professionnel et lui donner encore plus d'importance : celui porté par l'étude de la plasticité cérébrale (ou neuro-plasticité 1 [1]) et de la plasticité de la fonction motrice [2]. Longtemps, on nous a appris que des lésions du cerveau ou de la moelle épinière étaient nitives et qu'aucune récupération n'était à espérer après de tels dégâts. Dans ce contexte, le médecin, comme le kinésithérapeute, se retrouvait démuni, ne pouvant que constater les dommages et essayer, en fonction des possibilités motrices restantes du patient, de pallier aux décits constatés. Or, de récentes études (dont certaines menées en association avec des kinésithérapeutes) montrent que des paralysies, conséquences de lésions cérébrales ou de la moelle épinière, peuvent régresser, voire récupérer, dans certaines conditions de « mises en mouvement des segments paralysés » [3,4]. Autrement dit, si nous avons toujours cru, jusqu'à présent, que le décideur (système nerveux central) donnait des ordres à l'effecteur (fonction motrice), il faut se faire maintenant à l'idée que l'effecteur (fonction motrice) peut devenir à son tour « décideur » et, en retour, imposer un mode de fonctionnement au système nerveux central l'obligeant ainsi à « re-fonctionner ». Dans ces conditions, il ne serait pas exclu, grâce au mouvement, donc grâce au kinésithéra- peute, de voir un paraplégique ou un hémiplégique marcher à nouveau. Miracle ? Non, bientôt réalité, grâce à cette nouvelle façon d'utiliser le mouvement. Celui-ci, correctement appliqué devient alors celui qui donne des ordres, qui soigne, qui répare, qui réinitialise l'ordinateur central représenté par le cerveau ou la moelle épinière et qui va permettre ainsi de récupérer une fonction que l'on croyait dénitivement perdue. Une nouvelle ère pour la profession ? Certainement, mais à condition que les kinésithérapeutes saisissent cette extraordinaire opportunité qui redonnera à leur profession un nouvel élan, de nouveaux enjeux et de nouveaux espoirs que nous pourrons partager avec nos patients lourdement handicapés par des lésions du système nerveux central. Encore faut-il pour cela que la kinésithérapie se mette en mouvement et se mette « au mouvement »... Jean-Michel Lardry Faculté de médecine de Dijon, IFMK 6b, rue de Cromois, 21000 Dijon, France Adresse e-mail : [email protected] 1 La neuro-plasticité se dénit comme la capacité du système nerveux central à se modier lui-même. Ce terme est utilisé pour regrouper l'ensemble des processus de réorganisation des réseaux neuronaux, de modication de la somatotopie des cortex sensori-moteurs et de réorganisation du métabolisme cérébral [1]. Kinesither Rev 2014;14(148):12 Éditorial © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2014.02.019 1

La kinésithérapie : une profession en mouvement ?

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La kinésithérapie : une profession en mouvement ?

Kinesither Rev 2014;14(148):1–2 Éditorial

La kinésithérapie : une profession en

mouvement ?

Physiotherapy: A very "active'' profession

Jean-Michel Lardry

Tout professionnel sait bien que la masso-kinésithérapie peut se définir comme étant unespécialité paramédicale associant le mouvement comme principale thérapie : le mou-vement passif (massage, mobilisation passive, etc) et le mouvement actif (gymnastique

médicale, rééducation fonctionnelle, entre autres).Bien entendu, cette définition quelque peu simpliste mais vraie dans son aspect fondamentalreste à préciser, voire à compléter par rapport à la variété de techniques complémentaires mises,au fil du temps, à la disposition du masseur-kinésithérapeute.Mais ce mouvement, si cher à notre profession, se retrouve-t-il dans la réalité de notre exerciceactuel et se retrouve-t-il dans les enjeux relatifs à notre avenir ? Autrement dit, la kinésithérapieest-elle réellement en mouvement ?De prime abord, la réponse semble négative au vu de notre situation actuelle : durée des étudesinchangée depuis 1969, contenu des études initiales inchangé depuis 1989, aucune recon-naissance actuelle de nos études au niveau universitaire, peu de formations continues vali-dantes en masso-kinésithérapie, honoraires bloqués et inadaptés par rapport aux contraintes del'exercice libéral, revalorisations salariales en berne, dépeçage progressif de certaines de noscompétences (massage, rééducation uro-gynécologique, etc).Mais, malgré cet aspect quelque peu inquiétant de notre évolution professionnelle, un formidableespoir peut revaloriser notre exercice professionnel et lui donner encore plus d'importance : celuiporté par l'étude de la plasticité cérébrale (ou neuro-plasticité1 [1]) et de la plasticité de la fonctionmotrice [2].Longtemps, on nous a appris que des lésions du cerveau ou de la moelle épinière étaientdéfinitives et qu'aucune récupération n'était à espérer après de tels dégâts. Dans ce contexte, lemédecin, comme le kinésithérapeute, se retrouvait démuni, ne pouvant que constater lesdommages et essayer, en fonction des possibilités motrices restantes du patient, de pallieraux déficits constatés.Or, de récentes études (dont certaines menées en association avec des kinésithérapeutes)montrent que des paralysies, conséquences de lésions cérébrales ou de la moelle épinière,peuvent régresser, voire récupérer, dans certaines conditions de « mises en mouvement dessegments paralysés » [3,4].Autrement dit, si nous avons toujours cru, jusqu'à présent, que le décideur (système nerveuxcentral) donnait des ordres à l'effecteur (fonction motrice), il faut se faire maintenant à l'idée quel'effecteur (fonction motrice) peut devenir à son tour « décideur » et, en retour, imposer un modede fonctionnement au système nerveux central l'obligeant ainsi à « re-fonctionner ».Dans ces conditions, il ne serait pas exclu, grâce au mouvement, donc grâce au kinésithéra-peute, de voir un paraplégique ou un hémiplégique marcher à nouveau.Miracle ? Non, bientôt réalité, grâce à cette nouvelle façon d'utiliser le mouvement. Celui-ci,correctement appliqué devient alors celui qui donne des ordres, qui soigne, qui répare, quiréinitialise l'ordinateur central représenté par le cerveau ou la moelle épinière et qui va permettreainsi de récupérer une fonction que l'on croyait définitivement perdue.Une nouvelle ère pour la profession ? Certainement, mais à condition que les kinésithérapeutessaisissent cette extraordinaire opportunité qui redonnera à leur profession un nouvel élan, denouveaux enjeux et de nouveaux espoirs que nous pourrons partager avec nos patientslourdement handicapés par des lésions du système nerveux central.Encore faut-il pour cela que la kinésithérapie se mette en mouvement et se mette « aumouvement ». . .

Faculté de médecine deDijon, IFMK 6b, rue deCromois, 21000 Dijon,France

Adresse e-mail :[email protected]

1 La neuro-plasticité se définit comme la capacité du système nerveux central à se modifier lui-même. Ce terme est utilisépour regrouper l'ensemble des processus de réorganisation des réseaux neuronaux, de modification de la somatotopie descortex sensori-moteurs et de réorganisation du métabolisme cérébral [1].

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2014.02.019 1

Page 2: La kinésithérapie : une profession en mouvement ?

J-M LardryÉditorial

Références

[1] Woolf CJ. Neuroplasticity and injury to the spinal cord. Spinal cord

dysfunction. L.S. Illis, Oxford: Medical Publications; 1988.[2] Didier JP. La plasticité de la fonction motrice. Collection de

l'Académie européenne de médecine de rééducation. Paris: Sprin-ger; 2004.

2

[3] Courtine G. In: Communication lors du congrès « 7e journéeBourguignonne de rééducation »; 2013 [Dijon ; 23 novembre2013].

[4] Courtine G. Undirected compensatory plasticity contributes toneuronal dysfunction after spinal cord injury. Brain 2013;136(Pt 11):3347–61.