3
70 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - N°429 © BSIP/SPL/TEK IMAGE Suite et fin de la chronique commencée dans RFL N° 427 : en période de regrou- pement de laboratoires, il est fréquent que des postes de travail doivent être réaménagés. Ainsi des salariés peuvent être amenés à exercer leurs fonctions en un lieu différent que celui où ils avaient l’habitude de les mener à bien. Après avoir vu l’hypothèse selon laquelle le labora- toire et le salarié n’avaient pas, lors de la concrétisation de leur collaboration, évoqué la possibilité que le lieu de tra- vail du salarié puisse être modifié, nous examinons à présent le cas où le contrat de travail a été doté par les parties d’une clause de mobilité géographique. En matière de droit des clauses de mobi- lité, comme plus généralement en droit pri- vé, la liberté contractuelle est le principe. Dès lors que sont concernées deux par- ties dont on estime que l’une est forte, l’employeur, et que l’autre est faible, le salarié, la liberté contractuelle se voit fixer des limites pour assurer une protection du plus faible. Ainsi donc, la clause de mobilité doit- elle remplir certaines conditions pour être valable (A), ne peut résulter en principe de la simple expression d’un accord collectif (B), ne peut être mise en œuvre que dans des conditions bien déterminées (C) et ne doit pas avoir pour effet de modifier le contrat de travail du salarié (D). Conditions de validité de la clause de mobilité Parce qu’il a été envisagé des clauses contractuelles de mobilité tellement vastes qu’elles laissaient à l’employeur un impe- rium quasi total, dans un but de protection de celui qui n’est, par définition, pas en mesure de négocier réellement, des condi- tions de validité de la clause de mobilité ont été fixées par la jurisprudence. Ces conditions étant de validité, dans le cas où la clause ne les respecterait pas, l’employeur ne pourrait s’en prévaloir à l’égard du salarié. La jurisprudence en la matière est très abondante. La clause de mobilité permet à l’employeur d’exercer son pouvoir de direction en changeant l’affectation du salarié à la condition toutefois que soit défini dans la clause un espace géographique. En d’autre terme, pour être valable, la clause doit définir de façon précise sa zone géographique d’application. L’enjeu est très important pour le salarié et très logiquement, la Cour de Cassa- tion considère que l’absence de limite dans laquelle la mutation du salarié peut intervenir est une cause de nullité de la clause ou la rend au moins inapplicable. Dès lors qu’une telle clause serait men- tionnée au contrat de travail du salarié, le refus de la mutation proposée ne serait pas fautif, sauf – et c’est une articulation avec ce qui a été développé ci-dessus – si la mutation intervenait dans le même secteur géographique puisque l’on se retrouverait là dans les limites du pouvoir de direction de l’employeur. L’idée générale est relativement simple : la clause ne doit pas impliquer que la modifi- cation du lieu de travail soit dépendante de circonstances sur lesquelles l’employeur a prise ou de sa seule appréciation. La zone géographique déterminée ne doit donc pas être trop vaste. La clause de mobilité fixe un périmètre de mobilité prenant en compte les distances domicile-lieu de travail mais également par exemple, les dessertes en transports collectifs qui peuvent poser problèmes en raison des horaires atypiques du salarié concerné. Sans qu’il y ait de critère bien précis, il faut que la clause de mobilité détermine une zone géographique d’application, ce qui pourrait être par exemple un périmètre autour du lieu de travail fixé initialement, un département ou une liste de départe- ments, une région ou une liste de régions. Pour la Cour de Cassation, « une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d’application […], elle ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée ». Au-delà de la définition de la zone géo- graphique d’application, il ne fait aucun La mobilité géographique du salarié en l’absence de clause contractuelle DROIT DU TRAVAIL Rubrique proposée par Gérard Guez, avocat à la Cour - [email protected]

La mobilité géographique du salarié en l’absence de clause contractuelle

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La mobilité géographique du salarié en l’absence de clause contractuelle

70 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - N°429

© B

SIP

/SP

L/TE

K IM

AG

E

Suite et fin de la chronique commencée dans RFL N° 427 : en période de regrou-pement de laboratoires, il est fréquent que des postes de travail doivent être réaménagés. Ainsi des salariés peuvent être amenés à exercer leurs fonctions en un lieu différent que celui où ils avaient l’habitude de les mener à bien. Après avoir vu l’hypothèse selon laquelle le labora-toire et le salarié n’avaient pas, lors de la concrétisation de leur collaboration, évoqué la possibilité que le lieu de tra-vail du salarié puisse être modifié, nous examinons à présent le cas où le contrat de travail a été doté par les parties d’une clause de mobilité géographique.

En matière de droit des clauses de mobi-lité, comme plus généralement en droit pri-vé, la liberté contractuelle est le principe.

Dès lors que sont concernées deux par-ties dont on estime que l’une est forte, l’employeur, et que l’autre est faible, le salarié, la liberté contractuelle se voit fixer des limites pour assurer une protection du plus faible.

Ainsi donc, la clause de mobilité doit-elle remplir certaines conditions pour être valable (A), ne peut résulter en principe de la simple expression d’un accord collectif (B), ne peut être mise en œuvre que dans des conditions bien déterminées (C) et ne doit pas avoir pour effet de modifier le contrat de travail du salarié (D).

Conditions de validité de la clause de mobilité

Parce qu’il a été envisagé des clauses contractuelles de mobilité tellement vastes qu’elles laissaient à l’employeur un impe-rium quasi total, dans un but de protection de celui qui n’est, par définition, pas en mesure de négocier réellement, des condi-tions de validité de la clause de mobilité ont été fixées par la jurisprudence.

Ces conditions étant de validité, dans le cas où la clause ne les respecterait pas, l’employeur ne pourrait s’en prévaloir à l’égard du salarié.

La jurisprudence en la matière est très abondante.

La clause de mobilité permet à l’employeur d’exercer son pouvoir de direction en changeant l’affectation du salarié à la condition toutefois que soit défini dans la clause un espace géographique.

En d’autre terme, pour être valable, la clause doit définir de façon précise sa zone géographique d’application.

L’enjeu est très important pour le salarié et très logiquement, la Cour de Cassa-tion considère que l’absence de limite dans laquelle la mutation du salarié peut intervenir est une cause de nullité de la clause ou la rend au moins inapplicable.

Dès lors qu’une telle clause serait men-tionnée au contrat de travail du salarié, le refus de la mutation proposée ne serait pas fautif, sauf – et c’est une articulation avec ce qui a été développé ci-dessus – si la mutation intervenait dans le même secteur géographique puisque l’on se retrouverait là dans les limites du pouvoir de direction de l’employeur.

L’idée générale est relativement simple : la clause ne doit pas impliquer que la modifi-cation du lieu de travail soit dépendante de

circonstances sur lesquelles l’employeur a prise ou de sa seule appréciation.

La zone géographique déterminée ne doit donc pas être trop vaste.

La clause de mobilité fixe un périmètre de mobilité prenant en compte les distances domicile-lieu de travail mais également par exemple, les dessertes en transports collectifs qui peuvent poser problèmes en raison des horaires atypiques du salarié concerné.

Sans qu’il y ait de critère bien précis, il faut que la clause de mobilité détermine une zone géographique d’application, ce qui pourrait être par exemple un périmètre autour du lieu de travail fixé initialement, un département ou une liste de départe-ments, une région ou une liste de régions.

Pour la Cour de Cassation, « une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d’application […], elle ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée ».

Au-delà de la définition de la zone géo-graphique d’application, il ne fait aucun

La mobilité géographique du salarié en l’absence de clause contractuelle

DROIT DU TRAVAIL

Rubrique proposée par Gérard Guez, avocat à la Cour - [email protected]

Page 2: La mobilité géographique du salarié en l’absence de clause contractuelle

droitDROIT I GESTION I FINANCES I PATRIMOINE I TEXTES JURIDIQUES I ECHOS PARLEMENTAIRES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - N°429 // 71

© B

SIP

/SP

L/A

DA

M G

AU

LT

doute que la clause de mobilité sera appréciée au vu de l’emploi du salarié, c’est-à-dire qu’elle devrait être en rapport avec la nature de la tâche à accomplir mais aussi justifiée par une proportionnalité par rapport au but recherché.

Une clause de mobilité sera plus facile-ment admise pour un cadre que pour un employé.

Validité des clauses extra contractuelles

S’il est certain qu’une convention collec-tive peut déterminer une clause de mobilité géographique des salariés concernés par son champ d’application, la question se pose en revanche de savoir si la clause de mobilité est opposable aux salariés lorsque leur contrat de travail ne la rap-pelle pas.

En revanche, si le contrat de travail rap-pelle la clause de mobilité prévue par la convention collective et si cette dernière répond aux conditions fixées ci-dessus, il n’y a aucun doute quant à sa validité.

La jurisprudence a dû se prononcer lorsque le contrat de travail du salarié ne fait aucunement référence à une clause de mobilité géographique alors que la convention collective prévoit une clause de ce type.

Cette problématique d’ordre général est particulièrement intéressante en matière de clause de mobilité.

La possibilité prévue par une convention collective d’insérer une clause de mobilité n’implique pas que tout contrat comporte obligatoirement une clause de mobilité.

Si la convention collective envisage la mobilité mais que le contrat de travail pré-voit de façon implicite que le lieu de travail ne peut être modifié, les dispositions du contrat de travail prévaudront sur celles de la convention collective puisqu’elles sont plus favorables au salarié.

Lorsqu’aucune clause de mobilité n’a été insérée dans le contrat de travail, la Cour de cassation considère que l’employeur ne peut se prévaloir de l’existence d’une telle mobilité instituée de façon obligatoire par la convention collective qu’à deux conditions :

- que la convention collective se suffise à elle-même ;

- que le salarié était informé de l’existence de cette convention collective au moment

de son engagement et mis en mesure d’en prendre connaissance.

Naturellement, cela implique que la convention collective soit antérieure à l’embauche du salarié à défaut de quoi la clause extracontractuelle ne pourrait lui être opposée.

La convention collective doit également se suffire à elle-même, c’est-à-dire qu’elle doit, par sa rédaction, rendre obligatoire la clause de mobilité.

En effet, la clause de mobilité convention-nelle ne peut être appliquée au salarié si la mobilité prévue ne l’est qu’à titre facultatif.

Il en est de même dans l’hypothèse ou la convention collective prévoit que toute mutation doit faire l’objet de dispositions précises dans le contrat.

Par ailleurs, depuis l’arrêt du 7 juin 2006, pour qu’une clause de mobilité puisse être opposée au salarié alors qu’elle ne figure pas à son contrat de travail et qu’elle ne se trouve que dans la convention collec-tive, cette dernière doit préciser sa zone géographique d’application.

Ce qui a été exigé par la Cour de cassation pour les clauses contractuelles l’est éga-lement pour la clause extracontractuelle.

Qu’elle soit contractuelle ou extracontrac-tuelle, la clause de mobilité ne peut être mise en oeuvre par l’employeur que dans certaines conditions.

Mise en œuvre de la clause de mobilitéLa mise en œuvre de bonne foi, l’absence d’abus

L’employeur doit mettre en œuvre la clause de mobilité, c’est-à-dire imposer la muta-

tion au salarié de bonne foi c’est-à-dire que la mutation ne doit pas résulter d’un abus.

Naturellement, les conditions de mise en œuvre de la clause de mobilité ne sont vérifiées qu’en cas de contentieux, géné-ralement, lorsque le juge doit vérifier si le salarié a refusé légitimement la modifica-tion de son lieu de travail.

Le juge, dès lors qu’il a été fait application d’une clause de mobilité, doit vérifier que sa mise en œuvre n’a pas été entachée d’abus.

Dans une première décision, la Cour de cassation avait opéré une clarification en la matière et énoncé deux hypothèses qui traduisaient un manquement de l’employeur à son obligation de bonne foi contractuelle.

L’employeur est de mauvaise foi lorsque le changement des conditions de travail méconnaît l’intérêt de l’entreprise même et par ailleurs, l’employeur en mettant en œuvre la clause de mobilité, ne doit pas mettre le salarié en difficulté au regard de sa situation personnelle ce qui implique que l’employeur doit analyser au préalable les conséquences de la modification qu’il souhaite imposer.

Depuis 2008, la Cour de cassation demande au juge du fond de vérifier si la mise en œuvre d’une clause contractuelle de mobilité autorisant le déplacement d’un salarié ne porte pas atteinte à sa vie personnelle et familiale.

L’intérêt de l’entreprise est caractérisé lorsque la décision de mutation est justifiée par les besoins de l’entreprise, c’est-à-dire par une réorganisation ou un aménage-ment en vue d’une meilleure organisation.

Page 3: La mobilité géographique du salarié en l’absence de clause contractuelle

72 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - N°429

Le respect d’un délai de prévenance raisonnable

La mutation d’un salarié a bien souvent des conséquences importantes sur son activité professionnelle mais aussi et sur-tout sur ses conditions de vie personnelle.

Il est donc tout à fait logique qu’il soit exigé un délai de prévenance raisonnable.

Il n’existe pas de délai minimum, sauf si la convention collective ou le contrat de travail en prévoient un, mais l’employeur ne doit pas agir avec précipitation.

Le délai raisonnable dépendra notam-ment de l’importance pour le salarié du changement que provoque sa mutation et d’éléments tels que son ancienneté dans l’entreprise, l’éloignement de sa nouvelle affectation, sa situation familiale…

Le respect d’un délai de prévenance rai-sonnable est un élément constitutif de la bonne foi de l’employeur.

Lorsque la mutation est imposée sans qu’un délai de prévenance suffisant ne soit respecté, les juridictions considèrent que la clause de mobilité a été mise en œuvre dans des conditions abusives c’est-à-dire de mauvaise foi.

De manière générale, la bonne foi de l’em-ployeur est cependant présumée.

Présomption de bonne foi de l’employeur

Le contentieux en la matière est relative-ment simple.

Il apparaît la plupart du temps quand un salarié a refusé la mutation qui lui a été imposée et a fait l’objet en conséquence d’une sanction disciplinaire, la plupart du temps d’un licenciement et qu’il a saisi les juges pour faire dire et juger son licen-ciement sans cause réelle et sérieuse.

Si la clause de mobilité est considérée comme valable et a été mise en œuvre de bonne foi, la sanction sera considé-rée comme justifiée (sous réserve de son caractère réel et sérieux).

Dans le cas contraire, le licenciement sera dit sans cause réelle et sérieuse.

La présomption accordée à l’employeur n’est pas une présomption irréfragable mais une présomption simple ce qui implique que la preuve contraire peut être rapportée.

La charge de la preuve repose alors sur le salarié.

Il doit prouver que la décision de l’em-ployeur a été prise en réalité pour des raisons étrangères à son intérêt ou que la clause a été mise en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle.

La légitimité du motif est appréciée aus-si bien par rapport à l’intérêt de l’entre-prise de faire application de la clause de mobilité qu’en considération des intérêts extraprofessionnels du salarié qu’elle est susceptible d’affecter.

Absence de modification du contrat de travail

La clause de mobilité ne peut être mise en œuvre lorsqu’elle implique la modification du contrat de travail.

La mutation d’un salarié dont le contrat de travail prévoit une clause de mobilité qui est mise en œuvre de bonne foi par l’employeur ne constitue pas en principe une modification du contrat de travail mais au contraire l’application même de ce dernier.

Cependant, la mutation d’un salarié a parfois des conséquences sur d’autres éléments que le lieu de travail en lui-même.

Dans ces cas, dans la mesure où la clause de mobilité doit s’interpréter strictement, il est considéré qu’elle permet à l’em-ployeur uniquement de changer le lieu de travail et que si d’autres éléments sont en conséquence modifiés, le salarié peut légitimement s’y opposer.

En d’autres termes, la mise en œuvre de la clause de mobilité ne peut être imposée au

salarié lorsqu’elle entraîne la modification d’autres éléments du contrat de travail.

Il en sera ainsi notamment lorsque la nouvelle affectation du salarié entraîne ou s’accompagne de la modification de sa rémunération ou d’une modification importante dans ses horaires de travail comme le fractionnement en deux temps partiels exécutés sur deux lieux de travail, ou un passage d’un temps de travail de nuit à un horaire de jour.

De l’étude des clauses de mobilité géo-graphique, il en ressort que quand bien même les parties ont la volonté d’as-surer une certaine sécurité juridique à leur relation, il n’en reste pas moins un certain nombre d’incertitudes voire de difficultés de mise en application qui imposeront à l’employeur de ne pas tenter d’imposer la mutation au salarié en cas de doute. Il sera toujours préfé-rable d’obtenir son accord.

Enfin, alors que la jurisprudence avait considéré dans un premier temps que le refus du salarié de rejoindre sa nou-velle affectation résultant de l’appli-cation d’une clause de mobilité était constitutive d’une faute grave, la Cour de cassation considère désormais que le refus par le salarié de la mutation dans les conditions précitées ne carac-térise pas à lui seul une faute grave mais peut s’analyser en une cause réelle et sérieuse. ■■

Pour plus d’information, Bérengère Vaillau, avocate au barreau de Dijon.

NON BIOLOGISTES – 25% – PAS PLUSLe ministère de la Santé se félicite de la décision annoncée par la Cour de Jus-tice de l’Union européenne (CJUE), qui reconnaît que la limitation par la France à 25 % de la participation des non-biologistes dans des laboratoires d’analyses, est « justifiée par la protection de la santé publique ».

Les risques soulevés en termes de qualité des services médicaux et de conflit d’intérêts de laisser des non-biologistes détenir une part trop importante dans un laboratoire ont été admis.

Quant à la disposition interdisant aux biologistes de détenir des parts dans plus de deux sociétés exploitant en commun un ou plusieurs laboratoires d’analyse, recon-nue comme contraire au droit communautaire par la CJUE, celle-ci a été supprimée dans le cadre de l’ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale.

Un grand jour pour les biologistes, mais quid des montages juridiques permettant de détourner la législation française, et des actionnaires qui ne sont même pas identifiables ?