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La place du juge dans les sociétés contemporaines

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M. Boulanger par Cécile Martin

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La place du juge dans les sociétés contemporaines

Pour MONTESQUIEU, le juge c’est « une bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui n’en peut modérer ni la force, ni la rigueur ». Historiquement, le pouvoir des juges a toujours suscité une méfiance, notamment du pouvoir politique. C’est cet affrontement qui a été à l’origine du principe de séparation des pouvoirs. Le regard de MONTESQUIEU posé sur le juge et sa place dans la société est celui que l’on porte sur un simple auxiliaire du pouvoir. Cette vision de la justice n’a plus cours aujourd’hui. L’institution judiciaire depuis un certain nombre d’années, fait l’objet de vives critiques. Cela peut être illustré par des affaires comme celle de M Juppé qui est une bonne illustration du côté moralisateur que certains juges ont porté. Cela a démontré que parfois le juge entrait dans des champs qui n’étaient pas de sa compétence. Sur l’aspect remise en cause de l’institution, on pense à l’affaire d’Outreau. En dépit de la force de ce principe de séparation des pouvoirs, se posent des questions, notamment en terme d’empiétement d’un pouvoir sur l’autre. On se souvient du débat récent sur la question de savoir dans quelle mesure le président de la république peut envisager de passer au dessus d’une décision du conseil constitutionnel, concernant l’application de la rétroactivité de a loi sur la rétention de sûreté). En définitive, quoiqu’on puisse penser de sa légitimité, il y a une certitude, c’est qu’aux yeux de l’ordre public « lorsque le juge est indépendant, il est insupportable et lorsqu’il est asservi, il est tout autant insupportable ». Il y a donc un véritable problème.

Naturellement, on va s’intéresser à la justice, mais également au juge, et donc sa position dans la société. En outre, il conviendra de rappeler en quoi sa place peut varier selon les sociétés où l’on se situe (common law, droit romano germanique). Egalement la question de la justice est liée par exemple, à la question de la sécurité. En définitive, il semble qu’il y a peu d’institutions qui fasse l’objet de tant de débats à la fois indispensable et décriée.

Dans notre système, il existe 3 ordres de juridictions : la justice administrative, judiciaire et constitutionnelle.

Il existe évidemment un besoin de justice qui est croissant et qui créé donc des attentes nouvelles de la part de nos sociétés. Ces sociétés font une place différente au juge selon leurs traditions. En tous cas, il nous semble qu’une constante demeure qui est que le juge ne peut pas, et ne doit pas être le seul régulateur de nos sociétés.

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L’évolution des sociétés contemporaines justifie que le juge y occupe une place croissante. Variable selon les tradition des sociétés considérées, cette place ne doit pas aboutir à faire du juge le seul régulateur de nos sociétés.

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Les sociétés modernes recourent de façon croissante au juge pour lui conférer un rôle incontournable.

Nos sociétés, en se judiciarisant, ont fini par faire des juges des acteurs du jeu démocratique.

On constate depuis quelques années, un recours croissant à cette fonction juridictionnelle qui, finalement est naturelle dans les démocraties et très directement liée à l’évolution de la société.

Finalement, dans un Etat démocratique, l’autorité du juge va de soi. C’est la référence à la règle de droit qui sert à la résolution des conflits. Cela vaut entre les personnes privées et les personnes publiques. Donc forcément, le juge est le régulateur, l’intermédiaire. Il va dire le droit au nom de l’intérêt généra. Donc, ce respect du droit est fondamental dans une démocratie. Tout ceci a tendance à se généraliser à l’échelle planétaire avec le respect du droit international. Le procès finalement est la traduction d’une ordre social qui évolue. Le procès de Nüremberg marque clairement la défaite d’un certain nombre d’ordres totalitaires. Le procès rendu par la justice constitue un acte essentiel de socialisation et de cohésion de la société. Son objectif est de décristalliser un conflit. Les parties qui sont en litige vont se retrouver liées par des règles de droit, des procédures identiques. A l’issue du procès, la décision va permettre la résolution du conflit. Par là même, elle permet un retour à l’ordre social qui prévalait avant ce conflit. En somme, il ne saurait y avoir de démocratie sans justice.

On ne saurait aujourd’hui, dans nos sociétés faire sans le juge. On a assisté à une complexification des rapports sociaux et des règles juridiques. C’est bien parce qu’on connaît un délitement du lien social que L COHEN TANUZZI énonçait dans son ouvrage « La métamorphose de la démocratie française », qui est liée à cette complicité des rapports sociaux. Le juge est l’intermédiaire quasi obligé pour éviter que les conflits dégénèrent. C’est aussi la complexification des règles juridiques. Cette société juge nécessaire que le juge vienne rappeler ce qu’est le droit applicable. On peut y ajouter l’élévation du niveau général et culturel des citoyens. Ils sont donc plus souvent et mieux informés de leurs droits. Cela correspond complètement à ce constat de cette augmentation des contentieux dans toutes les matières, de toute nature.

Le juge est omniprésent, par conséquent, son rôle a évolué.

Le rôle du juge a évolué et est devenu désormais stratégiqueA un rôle traditionnellement de résolution des conflits privés et de gardien de la

norme de droit édictée par le législateur a été adjoint, un rôle régulateur des relations entre la puissance publique et les particuliers.

S’y est adjoint aussi le rôle du contrôle de constitutionnalité des lois par rapport au bloc de constitutionnalité tel que défini par le juge constitutionnel. On peut également évoquer la montée en puissance de la jurisprudence créatrice de droits qui vient parfois corriger les insuffisances de la loi dont Aristote parlait.

La justice et le politique sont liés. On s’aperçoit que derrière tous ces débats, naissent les questions du politique sur ce que peut être le meilleur moyen d’adapter l’action de la justice. Quelques soient ces liens, le politique a en tête de l’adopter aux besoins de la population en termes de sécurité.

C’est donc un rôle et une place du juge qui sont très importants et pas acceptés facilement. Peut être parce que, notamment, la légitimité du juge n’est pas la même que celle dont disposent à la fois les pouvoirs exécutifs et législatifs.

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Il est certain que la place du juge doit être définie en fonction d’un contexte politique et culturel. Il nous semble que cette évolution ne doit pas entraîner un certain nombre de dérives.

La place du juge dans nos sociétés doit nécessairement prendre en compte le contexte historique, et également les modes de régulation de cette société. En tout état de cause, quel que soit le cas de figure envisagé, la légitimité du juge ne saurait être mise sur le même plan que celle reconnue au pouvoir.

Il existe d’évidence, selon les sociétés considérées, des traditions qui sont parfaitement distinctes.

Il y a une première opposition entre la construction du droit par les représentants de la nation et donc le respect absolu du principe de la séparation des pouvoirs, et la tradition de prédominance du droit prétorien dans les pays anglo-saxons où le juge joue fortement à la formation de la loi. Il y a aussi le système électif qui donne une autre légitimité. Le modèle républicain français peut être opposé à celui des USA. Notre modèle repose sur la norme écrite et la prédominance du législateur. Cette prédominance a très longtemps prévalu puisque pendant longtemps a existé un contrôle étroit de l’exécutif sur le juge. C’est notamment le cas de la justice administrative qui ne s’est affranchie du pouvoir exécutif qu’à partir de 1872. Au contraire, la démocratie américaine accorde une place prédominante au juge. La cour suprême exerce un contrôle sur la loi votée par le Congrès. Il y a donc un véritable contrôle des juges sur les autres pouvoirs. C’est par exemple, des juges de la Cour Suprême qui, pendant la période du New Deal, s’étaient opposés au président. A l’inverse, on pu voir des épisodes où la politique jurisprudentielle a impulsé des politiques, notamment en matière d’avortement. Cette place du juge peut être mesurée au travers de sa faculté d’empêcher l’application d’un texte voté par le Congrès.

Le départ porte aussi sur l’indépendance de la justice. La responsabilité des ministres ne peut être engagée que devant la cour de justice de la république, et celle du président de la république devant la haute cour de justice. Cette manière de mettre à l’écart les autorités politiques, peut être mis en parallèle avec le contrôle étroit des carrières des magistrats. C’est un contrôle étroit d’où est parfois ressortir une sorte de soumission de fait du juge judiciaire, malgré le jeu de la protection de l’inamovibilité. On peut rappeler que les magistrats du parquet dépendent directement du garde des Sceaux.

Incontestablement, la place du juge, sa légitimité, varie considérablement selon les sociétés dans lesquelles on se situe.

Le juge ne peut pas être le seul régulateur de nos sociétés. La justice n’en a pas les moyens, puis en définitive, le juge n’a pas la légitimité d’apprécier l’opportunité des choix politiques.

Il nous semble que l’opportunité de cette décision, notamment politique, doit rester interne. Le juge n’est pas représentatif au plan électoral, et il n’est pas représentatif au plan sociologique. On parle là de cette accusation portée à une « justice de classe ». On voit bien que dans ce cadre, on ne retrouve pas la distinction nationale vue précédemment.

Ce pouvoir des juges, réel ou supposé, est régulièrement dénoncé par les milieux politiques et des affaires. Plus grave, il faut constater que parfois la justice, lorsqu’elle est médiateur de façon excessive, porte préjudice aux citoyens. Ce sont les présumés coupables, mis en examen. Parfois certains citoyens sont présumés coupables avant d’être réhabilité, mais parfois trop tard.

Le temps judiciaire n’est pas souvent adapté à la vie réelle. La justice nécessite du temps. Une des fonctions du procès est de permettre aux gens de s’exprimer. C’est la critique

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que l’on peut apporter aux procédures d’urgence. Cela s’exprime par la lourdeur des procédures, appels successifs, problématiques budgétaires. Le budget de la justice est de moins de 2% du PIB dont la moitié est consacrée au fonctionnement de l’administration pénitentiaire. En Allemagne, c’est le double. Ceci mis en parallèle avec l’explosion des contentieux, aboutit à l’asphyxie de notre système juridictionnel. Toutes les juridictions sont aujourd’hui encombrées. Cela a pour conséquences des détours de jugement excessifs. Cette lenteur pose clairement le problème du procès équitable. En 2002, les juridictions civiles ont été saisies de 1 700 000 affaires alors qu’elles en avaient déjà 1 500 000 en stock. Le délai de jugement d’une cour d’appel est de 17 mois. Cela a pour conséquence, souvent le classement sans suite des plaintes les moins importantes. Evidemment, il est certain que cette lenteur à juger a des conséquences en matière d’image de la justice. Bien souvent, elle prive de portée pratique certains jugements qui vont intervenir trop tardivement. Cela a un autre effet. Petit à petit, on a vu se développer d’autres modalités de règlement des litiges. On pense notamment aux procédures d’arbitrage, de médiation. On rappelle la création du médiateur de la république en 1975, ou plus récemment du juge de proximité. Le monde judiciaire dans son ensemble reste une affaire d’initiés. Le droit est complexe (8 000 lois, 80 000 décrets par an). On a du mal à définir la juridiction compétente. Les jugements sont parfois difficilement compréhensibles, parce qu’ils sont rédigés souvent de façon technique si ce n’est parfois byzantines. Cette complexité relativement importante favorise une certaine inégalité des parties entre ceux qui peuvent s’offrir un bon avocat et celles qui ne le peuvent pas. Les conséquences, c’est que la justice et évidemment le juge, n’est pas là pour jouer un rôle exclusivement de régulateur de nos sociétés où tout évolue si vite. C’est souvent une réponse rapide qui est indispensable, or le temps judiciaire ne se prête pas forcément à cette réactivité.

Evidemment, le juge doit accepter une place privilégiée dans nos sociétés parce que c’est un intermédaire indispensable. Pour autant, ceci ne doit pas s’opérer au détriment du pouvoir législatif ou exécutif qui sont les seuls pouvoirs représentatifs dans une démocratie. On peut penser à l’ouverture du droit international et les réticences des Etats à voir leur sort juridique leur échapper au profit d’un certain nombre d’organismes multinationaux.

Biblio : « La justice à l’épreuve ». D SOULEZ LARIVIERE (ed Odile JACOB)