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pratique | biochimie 18 OptionBio | Lundi 18 juillet 2011 | n° 458 L a procalcitonine (PCT) est une protéine de 116 AA, codée par le gène CALC-1. Elle peut être clivée en 3 éléments : la calcitonine, l’aminoPCT et la katacalcine. En réalité, calcito- nine et PCT ne sont pas produites par les mêmes types cellulaires. Dans des conditions physiologi- ques, ce sont les cellules C de la thyroïde et les cellules endocrines du poumon qui produisent la calcitonine par protéolyse intracellulaire de la PCT. En réponse à un stimulus hormonal, la PCT subit un processus de maturation intracellulaire pour être stockée sous forme de calcitonine. En revanche, dans une situation de stimulus inflammatoire, le gène CALC-1 est exprimé dans d’autres cellules de l’organisme (notamment les cellules parenchymateuses et les adipocytes), la PCT ne subit pas cette protéolyse et est libérée telle quelle dans la circulation. PCT versus autres marqueurs Précoce, la PCT contribue au diagnostic d’infec- tion bactérienne et le suivi de sa cinétique permet d’évaluer la réponse au traitement. Sa concen- tration dans le sang s’élève après celle des mar- queurs de libération rapide (IL-6, IL-10, TNF) et avant la protéine C réactive (CRP). En effet, elle augmente 3 heures après le début de l’infection, atteint un pic entre 6-12 heures, et sa demi-vie est de l’ordre de 20-24 heures. C’est un peptide très stable in vivo et in vitro, qui n’a aucune contrainte de prélèvement, ce qui en fait un excellent paramètre de routine. PCT, marqueur de sepsis Selon une étude de Harbarth 1 menée chez 78 patients admis à l’hôpital pour SIRS (syste- mic inflammatory response syndrome) et sus- picion d’infection (n = 18 non infectés : SIRS et n = 60 infectés dont 14 sepsis, 21 sepsis sévères, 25 chocs septiques), la PCT au seuil de 1,1 ng/mL permet de distinguer les patients infectés, des patients SIRS avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 78 % (VPN 88 %, VPP 94 %). En cas de SIRS, les concentrations de PCT restent inférieures au seuil (1,1 ng/mL). La PCT est corrélée à la sévérité de la réponse inflammatoire, à l’infection et est prédictive de la gravité. Dans ce même travail, un suivi de la ciné- tique de PCT (dosée quotidiennement) a permis de montrer qu’une décroissance significative de –30 à –50 % pendant plusieurs jours consécutifs était associée à une maîtrise de l’infection, tandis qu’une augmentation significative ou un maintien à des valeurs élevées, étaient prédictifs d’une évo- lution péjorative. PCT et prescription d’hémocultures Une étude de Müller 2 et al. a montré que, chez 925 patients atteints de pneumopathie commu- nautaire dont 73 (7,9 %) avec bactériémie confir- mée, les patients avec hémoculture positive ont une PCT significativement supérieure à ceux dont les hémocultures restent négatives (5,8 ng/mL vs 0,4 ng/mL). PCT (ng/mL) % hémocultures + < 0,1 0,9 0,1 - 0,25 0,9 > 1 16,8 CRP (mg/L) % hémocultures + < 200 3,7 200-500 5,9 Chez 1 patient avec PCT < 0,1 ng/mL et hémo- culture positive et 2 patients avec PCT inférieure à 0,25 ng/mL et hémoculture positive, la PCT s’est positivée lors du suivi en cinétique. En analyse multivariée, la PCT s’est révélée être un facteur prédictif d’hémoculture positive (p<0,001). La PCT : comment ? Actuellement, sept types de dosage de la PCT sont disponibles : – 1 test unitaire semi-quantitatif (dès 0,5 ng/mL) : Brahms PCT ®  ; – 1 méthode manuelle : Brahms PCT ® sensi- tive LIA ® (référence) : sensibilité fonctionnelle = 0,03 ng/mL ; – 5 méthodes automatisées : sur Kryptor ® (tech- nologie TRACE), Liaison ® (immunoluminométrie), Vidas ® de bioMérieux (fluorescence), Elecsys ® de Roche Diagnostics (chimioluminescence), Advia Centaur ® de Bayer Diagnostics (fluorescence). Toutes ces méthodes ont une limite de détection et une sensibilité fonctionnelle très basses (respecti- vement de 0,02-0,05 ng/mL et 0,05-0,09 ng/mL), légèrement moins basses pour Liaison ® (respec- tivement 0,1 et 0,30 ng/mL). Un contrôle de qualité externe a été mis en place par ProBioQual : les coefficients de variation (CV), toutes techniques confondues, sont inférieurs à 8 % et, par technique, inférieurs à 5 %. Conditions pré-analytiques La PCT est très stable : elle est peu dégradée au fil du temps in vitro (après 24 heures : perte de 12,3 % à +25 °C et de 6,3 % à +4 °C) et reste stable à –20 °C pendant 48 mois. Les cycles de congélation/ décongélation n’entraînent quasiment pas de dimi- nution de la PCT (< 2 % après 3 cycles). La PCT peut être dosée indifféremment sur plasma hépariné, EDTA ou sérum ; elle est supérieure de 4,1 % en artériel par rapport à un prélèvement veineux. PCT : valeurs usuelles Les concentrations de PCT sont corrélées à l’éten- due de l’infection et à la sévérité de la réponse inflammatoire de l’hôte. Les valeurs de référence données par l’industriel sont les suivantes (à inter- préter avec l’ensemble des données cliniques) : – < 0,5 ng/mL : sepsis improbable ; une infection bactérienne locale est toutefois possible ; – 0,5 à 2,0 ng/mL : infection bactérienne possi- ble ; à interpréter en fonction du contexte clinique. En cas de suspicion d’infection, il est conseillé de renouveler ce dosage dans les 24 heures ; – 2,0 à 10,0 ng/mL : infection bactérienne systé- mique probable ; – > 10,0 ng/mL : sepsis bactérien sévère ou choc septique. Toutefois, il convient de moduler ces seuils clini- ques : par exemple, le seuil habituellement utilisé La procalcitonine : quid, pour qui, comment ? La procalcitonine (PCT) est un marqueur de gravité du sepsis, dont la valeur absolue et la cinétique sont corrélées à la sévérité de l’infection. En néonatalogie et en pédiatrie, elle permet le diagnostic précoce d’une infection bactérienne ; aux urgences et en réanimation, celui d’exclusion de l’origine bactérienne d’une infection et, par voie de conséquence, une économie d’antibiotiques. Elle est en outre un marqueur pronostique permettant de prédire le risque de complications.

La procalcitonine: quid, pour qui, comment ?

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pratique | biochimie

18 OptionBio | Lundi 18 juillet 2011 | n° 458

La procalcitonine (PCT) est une protéine de 116 AA, codée par le gène CALC-1. Elle peut être clivée en 3 éléments : la calcitonine,

l’aminoPCT et la katacalcine. En réalité, calcito-nine et PCT ne sont pas produites par les mêmes types cellulaires. Dans des conditions physiologi-ques, ce sont les cellules C de la thyroïde et les cellules endocrines du poumon qui produisent la calcitonine par protéolyse intracellulaire de la PCT. En réponse à un stimulus hormonal, la PCT subit un processus de maturation intracellulaire pour être stockée sous forme de calcitonine. En revanche, dans une situation de stimulus inflammatoire, le gène CALC-1 est exprimé dans d’autres cellules de l’organisme (notamment les cellules parenchymateuses et les adipocytes), la PCT ne subit pas cette protéolyse et est libérée telle quelle dans la circulation.

PCT versus autres marqueursPrécoce, la PCT contribue au diagnostic d’infec-tion bactérienne et le suivi de sa cinétique permet d’évaluer la réponse au traitement. Sa concen-tration dans le sang s’élève après celle des mar-queurs de libération rapide (IL-6, IL-10, TNF�) et avant la protéine C réactive (CRP). En effet, elle augmente 3 heures après le début de l’infection, atteint un pic entre 6-12 heures, et sa demi-vie est de l’ordre de 20-24 heures.C’est un peptide très stable in vivo et in vitro, qui n’a aucune contrainte de prélèvement, ce qui en fait un excellent paramètre de routine.

PCT, marqueur de sepsisSelon une étude de Harbarth1 menée chez 78 patients admis à l’hôpital pour SIRS (syste-mic inflammatory response syndrome) et sus-picion d’infection (n = 18 non infectés : SIRS et n = 60 infectés dont 14 sepsis, 21 sepsis sévères, 25 chocs septiques), la PCT au seuil de 1,1 ng/mL permet de distinguer les patients infectés, des patients SIRS avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 78 % (VPN 88 %, VPP 94 %). En cas de SIRS, les concentrations de PCT restent inférieures au seuil (1,1 ng/mL).

La PCT est corrélée à la sévérité de la réponse inflammatoire, à l’infection et est prédictive de la gravité. Dans ce même travail, un suivi de la ciné-tique de PCT (dosée quotidiennement) a permis de montrer qu’une décroissance significative de –30 à –50 % pendant plusieurs jours consécutifs était associée à une maîtrise de l’infection, tandis qu’une augmentation significative ou un maintien à des valeurs élevées, étaient prédictifs d’une évo-lution péjorative.

PCT et prescription d’hémoculturesUne étude de Müller2 et al. a montré que, chez 925 patients atteints de pneumopathie commu-nautaire dont 73 (7,9 %) avec bactériémie confir-mée, les patients avec hémoculture positive ont une PCT significativement supérieure à ceux dont les hémocultures restent négatives (5,8 ng/mL vs 0,4 ng/mL).

PCT (ng/mL) % hémocultures +< 0,1 0,9

0,1 - 0,25 0,9

> 1 16,8

CRP (mg/L) % hémocultures +< 200 3,7

200-500 5,9

Chez 1 patient avec PCT < 0,1 ng/mL et hémo-culture positive et 2 patients avec PCT inférieure à 0,25 ng/mL et hémoculture positive, la PCT s’est positivée lors du suivi en cinétique. En analyse multivariée, la PCT s’est révélée être un facteur prédictif d’hémoculture positive (p<0,001).

La PCT : comment ?Actuellement, sept types de dosage de la PCT sont disponibles :– 1 test unitaire semi-quantitatif (dès 0,5 ng/mL) : Brahms PCT® ;– 1 méthode manuelle  : Brahms PCT® sensi-tive LIA® (référence) : sensibilité fonctionnelle = 0,03 ng/mL ;

– 5 méthodes automatisées : sur Kryptor® (tech-nologie TRACE), Liaison® (immunoluminométrie), Vidas® de bioMérieux (fluorescence), Elecsys® de Roche Diagnostics (chimioluminescence), Advia Centaur® de Bayer Diagnostics (fluorescence). Toutes ces méthodes ont une limite de détection et une sensibilité fonctionnelle très basses (respecti-vement de 0,02-0,05 ng/mL et 0,05-0,09 ng/mL), légèrement moins basses pour Liaison® (respec-tivement 0,1 et 0,30 ng/mL).Un contrôle de qualité externe a été mis en place par ProBioQual : les coefficients de variation (CV), toutes techniques confondues, sont inférieurs à 8 % et, par technique, inférieurs à 5 %.

Conditions pré-analytiquesLa PCT est très stable : elle est peu dégradée au fil du temps in vitro (après 24 heures : perte de 12,3 % à +25 °C et de 6,3 % à +4 °C) et reste stable à –20 °C pendant 48 mois. Les cycles de congélation/décongélation n’entraînent quasiment pas de dimi-nution de la PCT (< 2 % après 3 cycles).La PCT peut être dosée indifféremment sur plasma hépariné, EDTA ou sérum ; elle est supérieure de 4,1 % en artériel par rapport à un prélèvement veineux.

PCT : valeurs usuellesLes concentrations de PCT sont corrélées à l’éten-due de l’infection et à la sévérité de la réponse inflammatoire de l’hôte. Les valeurs de référence données par l’industriel sont les suivantes (à inter-préter avec l’ensemble des données cliniques) :– < 0,5 ng/mL : sepsis improbable ; une infection bactérienne locale est toutefois possible ;– 0,5 à 2,0 ng/mL : infection bactérienne possi-ble ; à interpréter en fonction du contexte clinique. En cas de suspicion d’infection, il est conseillé de renouveler ce dosage dans les 24 heures ;– 2,0 à 10,0 ng/mL : infection bactérienne systé-mique probable ;– > 10,0 ng/mL : sepsis bactérien sévère ou choc septique.Toutefois, il convient de moduler ces seuils clini-ques : par exemple, le seuil habituellement utilisé

La procalcitonine : quid, pour qui, comment ?

La procalcitonine (PCT) est un marqueur de gravité du sepsis, dont la valeur absolue et la cinétique sont corrélées à la sévérité de l’infection. En néonatalogie et en pédiatrie, elle permet le diagnostic précoce d’une infection bactérienne ; aux urgences et en réanimation, celui d’exclusion de l’origine bactérienne d’une infection et, par voie de conséquence, une économie d’antibiotiques. Elle est en outre un marqueur pronostique permettant de prédire le risque de complications.

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19OptionBio | Lundi 18 juillet 2011 | n° 458

dans un service d’urgences ou en réanimation est plutôt de 0,2 ou 0,25 ng/mL pour distinguer une infection bactérienne possible (antibiothérapie conseillée), d’une infection bactérienne peu pro-bable. Et, récemment, a été établi un algorithme diagnostique pour les infections respiratoires bas-ses, prenant en compte un seuil de PCT inférieur à 0,1 ng/mL pour étiqueter une situation d’étiologie bactérienne très peu probable.Les seuils de décision clinique dépendent donc du contexte clinique et de la méthode de dosage utilisée.

PCT : interprétationL’élévation de la concentration sérique de PCT signe donc une réponse inflammatoire spécifique de l’infection bactérienne évolutive ; elle s’observe également au cours des infections parasitaires et fongiques. Les autres situations au cours desquel-les la PCT s’élève sont :– défaillance multiviscérale ;– chirurgie, brûlures, polytraumatisés ;– choc thermique, arrêt cardiaque ;– cancers (poumon, thyroïde) ;– atteintes hépatiques aiguës ;– nouveau-né dans les 48 premières heures (pic physiologique jusqu’à 20 ng/mL) ;– traitement immunosuppresseur (augmentation artificielle de la PCT).À l’inverse, une valeur de PCT normale n’exclut pas automatiquement une infection bactérienne, car elle peut s’observer dans les situations suivantes :– antibiothérapie préalable (si efficace) ;

– infections localisées (médiastinite, endocardite, abcès profonds, etc.) ;– maladies inflammatoires ;– seuil non adapté au contexte clinique ;– phase très précoce de l’infection (< 6 heures).

En pratique : comment utiliser la PCT ?En néonatologie et en pédiatrieLa PCT permet le diagnostic précoce d’une infec-tion bactérienne chez le nouveau-né (prendre en compte le pic physiologique de la naissance) et l’identification d’une infection maternofœtale anténatale (nouveau-né < 3 j).En pédiatrie, la PCT permet de distinguer une méningite bactérienne vs virale, avec une sensi-bilité de 89 % et une spécificité de 89 % au seuil de 0,5 ng/mL ; elle permet aussi de prédire, dans le contexte d’un épisode d’infection urinaire fébrile chez l’enfant de plus de 3 mois, la survenue de lésions rénales (pyélonéphrite) si elle est supé-rieure à 0,5 ng/mL.

Aux urgences et en réanimationLa PCT permet le diagnostic positif ou surtout, d’exclusion de l’origine bactérienne d’une infection lorsqu’elle est inférieure à 0,20 ng/mL ; en cas de discordance clinicobiologique, il est recommandé de faire un contrôle après 6 à 24 heures.Elle est en outre un marqueur pronostique, per-mettant de prédire le risque de complications : une valeur de PCT supérieure à 2 ng/mL aide le clinicien à choisir de maintenir le patient en observation. Elle est aussi associée aux scores cliniques visant à distinguer les patients à faible

risque de mortalité de ceux nécessitant le plus de soins.

Conclusion : la PCT, un biomarqueur de l’infection bactérienneLa PCT est un marqueur de gravité du sepsis : sa valeur absolue et surtout son évolutivité (cinéti-que) sont corrélées à la sévérité de l’infection. Des études interventionnelles ont permis de démontrer la valeur ajoutée de la PCT ; elle est désormais intégrée dans des algorithmes (antibiothérapie guidée par la PCT), avec comme objectif une économie d’antibiotique et/ou de journées d’hos-pitalisation, à bon escient. Progressivement, elle rentre dans les guidelines, en particulier pour la prise en charge du sepsis et des infections respi-ratoires basses.  |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêts en lien avec cet

article.

SourceCommunication de M. Bernard, lors du 39e colloque du SNBH, Lille,

octobre 2010.

Bibliographie1. Harbarth S, Holeckova K, Froidevaux C et al. ; Geneva Sepsis

Network.Diagnostic value of procalcitonin, interleukin-6, and interleu-

kin-8 in critically ill patients admitted with suspected sepsis. Am J Respir Crit Care Med. 2001 ; 164(3) : 396-402.

2. Müller F, Christ-Crain M, Bregenzer T et al. ; ProHOSP Study Group.

Procalcitonin levels predict bacteremia in patients with communi-

ty-acquired pneumonia: a prospective cohort trial. Chest. 2010 ;

138(1) : 121-9.