La vie Privee, un problème de vieux cons? De Jean-Marc Manach

9 782916 571393

ISBN 978-2-916571-39-3

Illustration de couverture :© tOad (Laurent Taudin), unsitesurinternet.fr

Collection Présence / Essai - ISSN 1969-6094Questions de société / Vie privée / Nouvelles technologies

Avec l’internet et les « nouvelles technologies » apparaît aujourd’hui unparadoxe de la vie privée : d’un côté, nous aimerions pouvoir nous exprimer en toute liberté, de l’autre, nous avons toujours peur d’être fichés.Nombreux sont ceux qui affirment que les jeunes internautes seraientimpudiques, voire exhibitionnistes, comme si le net se divisait en deux camps :ceux qui montrent leurs fesses sur Facebook, et ceux qui les reluquent.Pourtant, quand on étudie ce que les jeunes font réellement sur ces réseauxsociaux, on découvre qu’ils savent tout à fait y protéger leur vie privée.Et s’ils ne faisaient qu’appliquer sur l’internet les libertés que nos grands-parentsont chèrement conquises au sein de la société ?Dans La vie privée, un problème de vieux cons ? Jean-Marc Manach met enévidence le fait que ceux qui agissent pour faire du net un formidable espace de liberté d’expression jettent les bases de profonds bouleversements sociaux,économiques et politiques, comme les féministes ont pu le faire en levant lestabous sur la sexualité. Il démontre que la problématique ne se réduit pas à unproblème de génération divisant « vieux » et « jeunes de l’internet », mais qu’ils’agit d’un véritable enjeu politique et de civilisation. Et que la véritable questionest bien celle de nos libertés. Or, sans vie privée, il n’est point de libertés. La société de l’information devenant de plus en plus une société de surveillance,l’auteur en dresse un panorama critique et en décrypte tous les ressorts. Cet ouvrage propose également toutes les techniques pour protéger sa vie privéeet garantir ses libertés sur l’internet. C’est un livre qui apporte un éclairage inédità un débat de société essentiel, et qui devrait rassurer tous ceux (parents,enseignants, politiques, etc.) que l’internet angoisse...

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La vie privée,un problème

de vieux cons ?

La vie privée, un problème de vieux cons ? Jean-Marc ManachJean-Marc Manach

Cofondateur des Big Brother Awards et spécialiste de l’impact destechnologies sur la société, des questions de surveillance, de libertés, de vie privée et de sécurité informatique, Jean-Marc Manach estjournaliste d’investigation. Il écrit notamment pour InternetActu.net, et a créé le fameux blog BugBrother.blog.lemonde.fr. Il enseigne dans plusieurs écoles de journalisme (ESJ, CFJ, Sciences Po).

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éditions

fypeditions.com19,50 € TTC

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La vie privée,un problème de vieux cons ?

***Merci à pplf, petaramesh, Arno*, Lagadu, Jet, Vocoder, Sherlock, RTMark, Bb),

Valentin Lacambre, Laurent Chemla, Raymond Forni, Philip Zimmermann, Eben Moglen, Richard Stallman, Daniel Solove, Daniel Kaplan, Hubert Guillaud,

sans qui...

***

001-008-Debut-ViePriv:Metamorphose 1/07/10 20:43 Page 1

Copyright © 2010 FYP éditions

Collection Présence / Essai

Une collection dirigée par Philippe Bultez Adams

Illustration de couverture : © tOad (Laurent Taudin), unsitesurinternet.fr

Édition : Florence Devesa, Séverine David

Photogravure : IGS

Imprimé en France sur les presses de l’imprimerie Chirat.

Cet ouvrage a reçu le soutien du Conseil régional du Limousin et du ministère de la Culture et de la Communication, DRAC du Limousin, avec le concours du Centre régional du livre en Limousin.

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ISBN : 978-2-916571-39-3

© 2010, FYP éditions (France)

[email protected]

Tél. : 05 55 33 27 23

www.fypeditions.com


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La vie privée,un problème

de vieux cons ?

Jean-Marc Manach


Journaliste d’investigation, cofondateur desBig Brother Awards et spécialiste de l’impactdes technologies sur la société, des questionsde surveillance, de libertés, de vie privée etde sécurité informatique, Jean-Marc Manacha travaillé à ZDNet.fr, Transfert.net, et écrit

pour InternetActu.net. Il a également œuvré sur LeMonde.fr,et créé le fameux blog BugBrother.blog.lemonde.fr. Il a déve-loppé Manhack.net, une interface permettant d’interrogerplus de 500 fonctionnalités de 300 moteurs de recherche etbases de données, et fait partie de l’équipe de « datajourna-listes » d’Owni.fr. Actif sur Facebook et Twitter, explorateurdes nouveaux territoires et outils du journalisme sur l’inter-net, il enseigne dans plusieurs écoles de journalisme (ESJ,CFJ, Sciences Po).

Biographie


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Sommaire

CHAPITRE 1

La vie privée, un problème de vieux cons ? 9Big Brother, un truc de vieux ? 11

Tous « à poil » sur le net ? 13

Pour en finir avec la vie privée ? 15

La vie privée est la première des libertés 18

CHAPITRE 2

Vie privée : le point de vue des « petits cons » 21La vie privée ? Une course à l’armement 23

Une génération rock and roll 25

Vers la créolisation des médias 26

Un nouveau romantisme 27

Le sexting, c’est (nor)mal 29

Mais quid des pervers ? 32

Dans le futur, chacun aura droit à son quart d’heure d’anonymat 34

On n’a jamais eu autant besoin de vie privée 35

Facebook ne relève pas de la vie privée ? Tant mieux ! 37

Vers une société de sousveillance 39

En route vers de nouvelles libertés 41

CHAPITRE 3

Les internautes sont la nouvelle chienlit 43EDVIGE n’est pas Facebook 44

La fabrication d’un nouvel ennemi 46

Les internautes, ce « douloureux problème » 48

« Rien ne sert de s’énerver : il faut juste les ignorer » 51


CHAPITRE 4

Le problème, ce n’est pas la vie privée, c’est le contrôle 55Une démocratisation de la vie privée ? 59

Vers une vie privée en réseau 62

La vie privée des uns commence là où elle confirme 64celle des autres

Quand les utilisateurs réclament le contraire 66de ce que prévoit la loi pour les protéger

La vie privée ne se résume pas à des cases à cocher, 68c’est une question de dignité

Vie privée : le problème se situe entre la chaise et le clavier 71

Notre vie privée est une monnaie 73

Vous êtes en état d’interception : toutes vos 75télécommunications pourront être retenues contre vous

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur moi 77et que vous aviez la flemme d’aller chercher sur l’internet... est peut-être sur mon PC

CHAPITRE 5

La société de la surveillance est une réalité 81Une privatisation cynique de la sécurité 83

« Il y a urgence à préserver notre capital de vie privée » 86

À qui profite la CNIL ? 89

Des millions de gens fichés en violation de la loi 94

Futurs fonctionnaires, ou potentiels terroristes ? 96

Fichiers policiers : plus 70 % en trois ans 99

EDVIGE et CRISTINA relancent le débat 101

Hortefeux « enterre » EDVIGE le jour de... la Sainte-Edwige 103

Le gouvernement se fiche de contrôler les fichiers 108

La CNIL tacle l’HADOPI, ses commissaires la vote 111

La CNIL surveille, mais ne dénonce pas 113

Le monde entier enterre la vie privée 117

La vie privée est-elle ainsi soluble dans le www ? 120

Scanners : terrorisme, sexe et démagogie 123

Et si les terroristes avaient gagné ? 125

Au Royaume-Uni, 10 % des lycées vidéosurveillent leurs toilettes 128

En France, Big Brother s’invite aussi à l’école 133

6


7

CHAPITRE 6

Lettre ouverte à ceux qui n’ont rien à cacher 137Quand on cherche, on trouve 139

Le problème, ce n’est pas Orwell, c’est Kafka 141

Vidéosurveiller les chambres à coucher ? 146

La vidéosurveillance permet d’identifier les délinquants : 149où est le problème ?

Every log belongs to us 152

La vidéosurveillance ne me dérange pas : quel est le problème ? 155

De 1789 à Mai 68, et au-delà 157

Quand l’absence de mobile rend suspect 158

CHAPITRE 7

Internet : quand l’État ne nous protège pas 161Seuls les 7-12 ans ont le droit de se protéger... et encore 162

Comment devenir un hacker ? 163

Hackers et sans complexe 166

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir pirater 168sans jamais oser le demander

La durée de vie d’un ordinateur non protégé est de... 4 minutes 177

CHAPITRE 8

Comment contourner la cybersurveillance ? 183Surveillance des internautes : vers la présomption de culpabilité 185

Des outils contre la cybersurveillance : 191les couteaux suisses de la vie privée

CHAPITRE 9

Cyberespionnage : comment se protéger ? 197De l’espionnage industriel à la guerre économique 198

Évitez, S.V.P., d’utiliser un ordinateur... 200

... À défaut, restez vierges 201

Chiffrez l’intégralité de vos données 203

Bon voyage 205

La sécurité est un process, pas un produit 207

Ayez une bonne hygiène... du mot de passe 208

La sécurité, ça se mérite, et ça s’apprend 209

CONCLUSION 211



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Sommes-nous aussi réticents et procéduriers au regardde notre vie privée que l’était la société de nos grands-parents en matière de sexualité ? Assiste-t-on aux prémicesd’un bouleversement similaire – d’un point de vue identitaire– à celui de la révolution sexuelle ?

C’est la thèse esquissée dans « The Societal Benefits ofData Sharing », un article de Don Peppers et Martha Rogersconsacré aux bénéfices sociaux, personnels et profession-nels, du partage des données par les utilisateurs de réseauxcommunautaires et sociaux de type web 2.0.

La vie privée, un problème

de vieux cons ?

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Pour le professeur Ravi Sandhu, responsable de l’Institutde la cybersécurité à l’université du Texas à San Antonio,l’absence de pudeur des « natifs du numérique » (1) seraitcomparable à l’attitude désinhibée avec laquelle les jeunesdes années 1960-1970 abordaient la sexualité : « Au début,les gens avaient très peu d’inhibitions et adoptaient des pra-tiques très risquées. Nous en sommes un peu à ce stade enmatière de partage de données. Avec le temps, les gens ontappris que ce n’était pas sans danger. » Ce qui n’a pas empê-ché la libération sexuelle d’avoir lieu, et d’être bénéfique àl’ensemble de la société.

La thèse est intéressante, la personnalité de ses auteurs nel’est pas moins. En effet, Don Peppers et Martha Rogers, àla tête d’un cabinet de consultants spécialisé dans le profildes consommateurs, figurent régulièrement dans les clas-sements des personnalités les plus influentes en termes demarketing et de gestion de la relation client.

Ravi Sandhu, quant à lui, a déclaré récemment qu’il tra-vaillait en synergie avec la National Security Agency (NSA),le plus important des services de renseignement américains,ayant pour mission d’espionner les télécommunications.Cette dernière vient d’implanter son nouveau supercentrede data mining (2) à San Antonio et a embauché des étudiantsde Ravi Sandhu.

On peut facilement comprendre que des personnes dontle métier est d’agréger des données personnelles militentpour un changement de comportement vis-à-vis de la notionde vie privée, et cherchent à faire accepter l’idée que la

LA VIE PRIVÉE, UN PROBLÈME DE VIEUX CONS ?10

(1) Traduction de digitals natives, qualificatif donné à ceux qui ont grandi avec les technologies de l’information.(2) Data mining : exploration de données, aussi connue sous le nom de fouille de données.


population n’a rien à en craindre mais tout à y gagner. Cetteprécaution prise, leur question fait-elle pour autant sens ?

Big Brother, un truc de vieux ?

Récemment, on apprenait que si un mineur sur cinq faitl’objet d’avances sexuelles via l’internet, 90 % de ces sol-licitations sont le fait de personnes du même âge. Cesavances relèveraient pour l’essentiel de plaisanteries, maisferaient aussi de plus en plus partie d’un « nouvel ordreamoureux ».

En France, un rapport parlementaire avançait il y a peuque de nombreux collégiens n’iraient plus aux toilettes depeur d’y être photographiés. Aux États-Unis, un adolescentsur cinq et un jeune adulte sur trois ont déjà envoyé des pho-tos ou vidéos d’eux-mêmes, nus ou à moitié nus, via l’inter-net ou le téléphone mobile.

Les trois quarts des jeunes Américains sondés reconnais-sent qu’envoyer des contenus sexuellement suggestifs peutavoir des conséquences négatives sérieuses, et près de lamoitié d’entre eux est consciente que ces contenus peuventêtre partagés avec d’autres personnes que les premiers des-tinataires.

En tout état de cause, le jeu en vaudrait la chandelle, etles éventuels dommages collatéraux que permettent cestechnologies, complètement intégrées dans leurs vies, neleur font pas plus peur que l’utilisation de la voiture n’effraieleurs parents.

Le site d’information Slate.fr publiait récemment unechronique de Matthieu Josse intitulée « La peur de la géo-localisation, c’est un truc de vieux ? » : « La géolocalisationen temps réel, c’est un truc qui fait un peu peur à tout le

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monde. Et pourtant, vous n’y échapperez pas. Surtout vosenfants. Car cette technologie est déjà bien avancée et il n’ya aucune raison que les plus jeunes n’y trouvent pas une uti-lité sociale. »

L’argument est un peu court, mais les deux exemplesd’utilisation donnés par Josse offrent une clé d’interpréta-tion : instantanément, tout le monde a retenu l’aspect positif(savoir où est son môme) avant de verser ensuite dans laparanoïa tendance espionnage (votre femme/mari sait oùvous êtes et éventuellement où vous n’êtes pas censé être).

Comme s’il était normal de pouvoir géolocaliser sonenfant – alors que cela ne le serait pas entre adultes – parceque les natifs du numérique auraient intégré la possibilitéd’être surveillé, en tout temps et en tout lieu, par une tech-nologie. Mieux, les natifs du numérique, loin de percevoircette géolocalisation comme une atteinte potentielle à leurvie privée, se focalisent surtout sur son utilité sociale, et surles bénéfices que leurs parents et amis pourraient en tirer.

Lors de l’université de printemps de la Fing en 2007,consacrée aux apprentis sorciers, plusieurs étudiants de l’École nationale supérieure de création industrielle(ENSCI) ne comprenaient pas pourquoi nous étions plu-sieurs à être perturbés par leur façon décomplexée d’imagi-ner des usages ludiques – et commercialisables – destechnologies de surveillance. Ils estimaient que si nousétions choqués, c’est parce que nous étions « vieux », queces technologies faisaient partie de leur vie, qu’ils avaientgrandi avec, qu’elles ne leur posaient pas de problèmes etque nous devrions bien nous y adapter.

Le parallèle avec la révolution sexuelle s’arrête là. Ausiècle dernier, les jeunes – notamment les femmes – dénon-



çaient les tabous et carcans oppressants de la société, et vou-laient plus de libertés. Aujourd’hui, les natifs du numériquene militent pas contre, mais pour. Ils vont dans le sens deceux qui font profession de nous « profiler », mais aussi deceux qui prônent les concepts de redéfinition de la notion depropriété, à l’image de la culture du « Libre » (CreativeCommons, logiciels libres).

« Car ceux que perturbe l’idée de voir leurs enfants (col-lègues, amis) être ainsi espionnés pointent surtout le risqued’incitation à l’autocensure qu’induit ce maillage et cetteinterconnexion de données », rappelle Antoinette Rouvroy(3),qui parle également de « contrôle à distance [et] de confor-misme anticipatif ».

Comme l’expliquait Gilles Deleuze, « le propre desnormes modernes – et c’est ce qui caractérise le passageprogressif de la société disciplinaire décrite par Michel Fou-cault [...] à la société de contrôle [...] – est que ce sont lesindividus qui doivent s’imposer eux-mêmes non seulementle respect, mais l’adhésion aux normes [...]. Le pouvoirprend, dans la société moderne, la forme d’offres de servicesou d’actions incitatives bien plus que de contrainte. »

Tous « à poil » sur le net ?

Olivier Auber, chercheur indépendant et explorateur dunumérique volontiers provocateur, a lancé, un peu à lamanière de certaines communautés des années 1970, unClub des naturistes numériques sur Facebook :

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(3) Antoinette Rouvroy est docteur en droit, chercheuse qualifiée du FNRS, chercheuse senior auCentre de recherche informatique et droit (CRID).


« À poil sur l’internet, et de manière militante ! C’estl’internet qui doit s’adapter à notre condition naturelle, pasl’inverse. À quoi sert la nature si l’on ne peut pas aller ybatifoler à son aise ? À quoi sert le réseau si l’on ne peut pasy apprendre et rêver sans menaces (celles de la surveillancegénéralisée, du marketing, du regard d’autrui) ? Les natu-ristes numériques n’entendent rien protéger de leur intimitéphysique ou numérique. Ils veulent nager nu et librementdans l’immensité du réseau. Ils veulent ressentir chaquevibration de la toile sans filtre et sans peur. »

Le naturisme se définit comme « une manière de vivre enharmonie avec la nature, caractérisée par la pratique de lanudité en commun, ayant pour but de favoriser le respect desoi-même, le respect des autres et de l’environnement ». Leproblème des naturistes, ce n’est pas d’être nu, mais leregard de ceux qui restent habillés. La notion de respect del’autre et de soi-même est fondamentale. Or, confrontée à unregard extérieur, non préparé, non conscient des enjeux etdes règles qui prévalent en la matière, la nudité peut choquerou être détournée de son objet initial.

Nombreux sont ceux qui, utilisant des espaces protégésdes regards extérieurs (communautés virtuelles semi-fer-mées, profils Facebook à accès restreint, etc.) échangentphotos, vidéos et messages personnels sans craindre de lesvoir exposés au tout venant. Mais plus nombreux sont ceuxqui s’exposent sans se protéger, au risque de se voir licen-ciés, non recrutés ou humiliés, pour des propos ou des pho-tos considérés comme déplacés.



Le chapitre intitulé « Little Brother is watching you »issu de l’ouvrage La Sécurité de l’individu numérisé (4)

revient ainsi sur le débat qui a suivi la mise en ligne dessalaires et déclarations fiscales des Suédois :

« Nous avons conclu que la qualité des informations estaussi reliée à la qualité de la lecture. Le fait de rendre acces-sibles à tous des informations personnelles sans une vérifi-cation raisonnable de la qualité est dangereux : des individuspeuvent être mal représentés et il n’existe pas d’assuranceque les récepteurs de la [dés]information soient suffisam-ment compétents pour effectuer des jugements judicieux. »

Le naturisme est une pratique volontaire, une liberté queprennent certains individus dans des espaces et des momentsbien précis. Et, de même que l’on ne saurait imposer à toutun chacun de vivre nu tout le temps, la transparence devraitrester un droit, une possibilité, pas une obligation et encoremoins une contrainte.

C’est non seulement une atteinte à l’intimité, mais celapeut aussi être vécu comme une provocation par ceux qui secontentent de regarder, et une humiliation par ceux qui seretrouvent ainsi « mis à nu » par des étrangers. Sur le net,la transparence est une liberté, le contraire d’une société desurveillance ou de contrainte.

Pour en finir avec la vie privée ?

Lors de la conférence Lift 2009 à Genève, Bill Thomp-son, célèbre éditorialiste à la BBC spécialisé dans les tech-nologies, expliquait, de manière un brin provocatrice, que les

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(4) La Sécurité de l’individu numérisé : Réflexions prospectives et internationales, Stéphanie Lacour,L’Harmattan, 2008.


citoyens en général et les internautes en particulier pour-raient tirer parti de cette fin de la vie privée qu’annoncentles sites sociaux et notre « société de bases de données ». Ceserait l’occasion pour eux de repenser ce que nous entendonspar « personnalité », et de reconsidérer les frontières de cequi relève du public et du privé :

« Ceux qui n’hésitent pas à adopter, et utiliser les tech-nologies qui minent l’ancien modèle de vie privée, ont énor-mément à apprendre à ceux qui redoutent de voir leursmouvements, leurs habitudes alimentaires, leurs amitiés etleur façon de consommer les médias être accessibles à tous.Les utilisateurs de Twitter, Tumblr et autres outils de réseauxsociaux, partagent plus de données, avec plus de gens quele FBI de Hoover ou la Stasi (5), n’auraient jamais pu en rêver.Et nous le faisons de notre propre chef, espérant pouvoir enbénéficier de toutes sortes de manières. »

Réunis en congrès à Paris en 2009, les détectives privéssemblent du même avis : « Facebook est très efficace, bienplus utile que les fichiers de police comme EDVIGE. LaCNIL (Commission nationale de l’informatique et des liber-tés) ne nous met pas des bâtons dans les roues. Les gensracontent toute leur vie en détail. Et le plus fou, c’est que lesinformations sont exactes, la plupart ne mentent mêmepas. » Sauf que, comme le soulignait Daniel Kaplan (6),« EDVIGE stocke par principe de soupçon, sans nousdemander notre avis ; les individus en réseau font des mêmesinformations “sensibles” (et de bien d’autres qui le sont sou-vent moins) un usage stratégique, pour se construire eux-


(5) Ancienne police politique de la RDA.(6) Daniel Kaplan est délégué général de la Fing (Fondation internet nouvelle génération). Voir son ouvrage Informatique, libertés, identités, FYP éditions, 2010.


mêmes dans la relation aux autres, pour apparaître au mondesous un jour qu’ils auront au moins partiellement choisi. Du point de vue qui compte, celui des individus, de leurliberté et de leur autonomie, tout oppose donc les deuxdémarches. »

La comparaison faite entre EDVIGE et Facebook a cecide facile et démagogique qu’elle vise non seulement à jus-tifier un fichage policier problématique d’un point de vuedémocratique, mais aussi toutes sortes de dérives. De mêmeque le port d’une minijupe ou le fait de bronzer les seinsnus ne sont pas des incitations au viol, l’exposition ou l’af-firmation de soi sur les réseaux ne saurait justifier l’espion-nage ni les atteintes à la vie privée.

Bill Thompson ne se contente pas de constater ce chan-gement de statut de la vie privée. Pour lui, il devrait égale-ment constituer l’un des postulats d’un nouveau « Siècledes lumières numérique ». Il estime que nos sociétés sontfondées sur des croyances à propos de l’intimité et de la pro-priété héritées des Lumières, mais qui seraient devenuesobsolètes à l’heure où nos vies deviennent de plus en plustransparentes, exposées.

Pour lui, le droit à la vie privée repose également sur lefait qu’il est techniquement impossible de surveiller tout lemonde tout le temps. La technologie évoluant, Bill Thomp-son prédit que d’ici quelques années nous serons tous surécoute, par défaut, et que les autorités policières et admi-nistratives disposeront probablement d’un accès direct àtoutes les données qui nous concernent. Il faudrait donc enfinir avec l’idée de la vie privée, ne serait-ce parce que lesmesures de protection de la vie privée, tout comme les

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mesures techniques de protection (7) censées brider l’utilisa-tion de tel ou tel fichier, ne sont jamais que des tentativesvaines d’enrayer la libre circulation et le partage des don-nées. Selon lui, « si nous croyons en l’individu, si nouscroyons que nous nous définissons essentiellement par lesréponses que nous recevons de notre environnement et desgens qui nous entourent, alors l’intimité est une illusion quin’est pas nécessaire. Il faut repenser ce qu’est un êtrehumain ! Pouvons-nous dépasser l’idée obsolète que repré-sente la vie privée, la sphère privée, et prendre le risqued’essayer de vivre avec l’idée que la vie privée n’existeplus ? Certains en souffriront, d’autres iront également enprison, mais c’est peut-être le prix à payer pour bâtir un nou-veau Siècle des lumières. »

Mais peut-on bâtir un nouveau Siècle des lumières enpartant du postulat que certains en souffriront, et qued’autres iront en prison ? Et si la vie privée n’existe plus, quemet-on en place pour lui succéder (sans forcément la rem-placer) ? Et comment concilier les libertés inhérentes à nosdémocraties avec le placement systématique sous sur-veillance de leurs citoyens, d’une façon que ne renieraientpas les régimes totalitaires ?

La vie privée est la première des libertés

Peut-être faudrait-il chercher quelques réponses du côtédes technologies de l’information et de ce qu’elles nousapportent en termes de libertés. La révolution sexuelle apermis de décomplexer puis de libérer le rapport à la sexua-lité. De même, ceux qui revendiquent la libre circulation de


(7) Digital rights management (DRM) ou gestion des droits numériques.


leurs données personnelles ont déjà commencé à désinhibertout ou partie de la manière dont nous protégeons notre iden-tité. Mais cela ne se fait pas sans stratégies ni valeurs deremplacement.

Tous ceux qui se sont penchés sur la notion d’identiténumérique constatent que les individus qui passent unebonne partie de leurs vies sociales sur l’internet ont apprisà en maîtriser les outils, à mettre en avant leurs compétences,qu’elles soient professionnelles ou non, leurs passions etleurs expertises, et savent plus ou moins bien protéger cequi relève à proprement parler de leur vie privée.

Ainsi le journaliste de Mediapart qui avait décidé de metirer le portrait, rebondissant sur le désormais célèbre « Por-trait Google » d’un internaute lambda publié par la revuebimensuelle Le Tigre, n’a-t-il pas trouvé grand chose d’at-tentatoire à ma vie privée(8).

L’identité numérique est un processus, une construction,qu’il faut donc apprendre à maîtriser. Encore faut-il en avoirle droit et la possibilité.

En conclusion de son article9, Antoinette Rouvroy rap-pelle que la vie privée n’est pas « un droit fondamentalparmi d’autres, elle est la condition nécessaire à l’exercicedes autres droits et libertés fondamentaux » et que « le droità la protection de la vie privée joue notamment le rôle d’unsystème immunitaire de l’espace psychique ». La libertéd’opinion, la liberté de circulation et de réunion, les libertéspolitiques, syndicales et de culte, ne peuvent être exercéesdès lors que l’on n’a plus le droit à la vie privée.

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(8) Voir « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur moi mais que vous aviez la flemme d’allerchercher sur l’internet » sur http://bugbrother.blog.lemonde.fr(9) « Repenser le sens du droit à la protection de la vie privée dans la société de surveillance : uneurgence démocratique » Mediapart.fr, octobre 2008, par Antoinette Rouvroy.


Si je doute que les marchands de données personnelles etles partisans des logiques sécuritaires soient à même de lefaire, il est fort possible que le processus d’émancipation, departage et de libération de nos savoirs et compétences telqu’on le voit à l’œuvre sur l’internet, dessine les prémicesd’un monde moins hiérarchisé, moins contrôlé par en haut,et donc plus démocratique.

Comme l’écrivait Daniel Kaplan, « et si, à l’époque desréseaux, l’enjeu était de passer d’une approche de la vie pri-vée conçue comme une sorte de village gaulois – entouré deprédateurs, bien protégé, mais qui n’envisage pas de débor-der de ses propres frontières – à la tête de pont, que l’ondéfend certes, mais qui sert d’abord à se projeter versl’avant ? Il n’y aurait pas alors de “paradoxe”, mais un chan-gement profond du paysage, des pratiques, des aspirations. »



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