Upload
chantal-bertholom
View
215
Download
2
Embed Size (px)
Citation preview
formation | épidémiologie
12 OptionBio | Lundi 18 octobre 2010 | n° 443
La lèpre a connu un recul important dans toutes les régions
du monde, et globalement la prévalence a diminué de 90 %
entre 1985 et 2009 ; 213 000 cas prévalents (cas sous
traitement) ont été identifiés au début de l’année 2009, avec des
disparités importantes entre les différents pays mais ces résultats
ne reflètent pas véritablement la réalité épidémiologique.
Les autorités françaises ne déclarent aucun cas de lèpre à
l’Organisation mondiale de la santé depuis de nombreuses
années mais des cas autochtones sont cependant diagnosti-
qués notamment en Guyane et à Mayotte.
En l’absence de surveillance spécifique, le nombre exact de sujets
atteints sur le territoire français est inconnu. Les rapports de l’asso-
ciation de léprologues de langue française indiquent que le nombre
de cas prévalents pour les territoires d’outre-mer était estimé à
150 patients fin 2006 et 180 patients fin 2007 (tableau I).
Données épidémiologiquesOutre-mer, des situations disparates
L’île de Mayotte est une zone endémique où la prévalence
en 2007 a été de 6,2/10 000 habitants. Entre 1999 et 2005,
342 nouveaux cas y ont été détectés. Parmi eux, 56 % étaient
importés (détectés principalement chez des migrants como-
riens) et 44 % étaient des cas autochtones ; 19 % des cas
avaient moins de 15 ans au dépistage.
Il a été mis en évidence l’existence d’une proportion élevée
de formes multibacillaires (43 %) en faveur d’un niveau de
transmission toujours élevé de la maladie.
la Réunion, la situation est très mal documentée. Un nouveau
cas et 11 patients sous traitement ont été rapportés en 2006.
Guadeloupe, entre 1985 et 1998 des améliorations pro-
gressives de la situation ont été rapportées, passant de 31 nou-
veaux cas dépistés en 1985 à 7 en 1998. Cette tendance s’est
stabilisée avec 3 à 10 nouveaux cas annuels entre 1999 et
2007. La proportion de formes multibacillaires (52 %) pendant
cette période signerait une transmission active.
Martinique où seu-
lement 5 patients étaient en traitement fin 2007 (contre 25 en
Guadeloupe).
Guyane, les données disponibles situent ce département
en deçà du seuil d’élimination, mais on rapporte actuellement
une vingtaine de nouveaux cas par an. L’incidence moyenne
est de 0,42 cas/10 000 habitants avec 31 % de formes
multibacillaires.
Une tendance à l’augmentation significative des cas détectés
chez des migrants brésiliens a été notée. La proximité immédiate
et les nombreux échanges avec le Brésil, pays où l’incidence de
la lèpre est la plus élevée au monde, mettent la Guyane dans une
situation de recrudescence potentielle de la maladie.
Polynésie française, une étude rétrospective des cas entre
1983 et 2002 avait noté une diminution de l’endémie lépreuse
mais des foyers actifs subsistaient dans l’archipel des Marquises
Sud et des Gambier. Le nombre de nouveaux cas à Tahiti semble
en augmentation (8 nouveaux cas rapportés en 2006).
Nouvelle-Calédonie, ces dernières années, la prévalence
de la lèpre est passée sous le seuil d’élimination et moins de
10 nouveaux cas sont détectés chaque année. La population
mélanésienne est la plus exposée, avec une proportion élevée
de formes multibacillaires.
Pas d’étude épidémiologique récente dans l’HexagoneEn France métropolitaine, en raison de l’absence de système de
recensement actif, l’incidence de la lèpre n’est pas connue. De
plus, la France ne dispose pas d’étude épidémiologique récente
sur les cas importés en métropole.
La quasi-totalité des cas est dépistée (services de dermatologie
ou de maladies infectieuses et tropicales des CHU) chez des
étrangers migrants, issus particulièrement d’Afrique noire ou du
Nord ou encore chez des français d’outre-mer. Un à deux nou-
veaux cas de lèpre sont cependant dépistés chaque année chez
des Français ayant séjourné en pays d’endémie ou chez des
européens du sud (Portugal).
Le diagnostic de la lèpre est-il encore possible en France métropolitaine et d’outre-mer ?
En l’absence de surveillance spécifique, le nombre exact de sujets atteints de lèpre sur le territoire français est inconnu. Il existe cependant des cas importés et des cas autochtones, principalement en Guyane et à Mayotte, voisins de pays à forte prévalence. Le recul important de la maladie risque de rendre difficile son diagnostic, notamment par manque de savoir-faire des cliniciens.
Tableau I. Prévalence et taux de détection de la lèpre dans les territoires français d’outre-merTerritoire Population Nouveaux cas
détectés 2007
Taux de détection
(/10 000)
En traitement au
31 décembre 2007
Taux de prévalence
(/10 000)
Mayotte 187 000 68 3,64 117 6,20
La Réunion 763 000 1 0,01 2 0,03
Guadeloupe 447 000 5 0,11 25 0,56
Martinique 398 000 1 0,03 7 0,17
Guyane 190 000 8 0,42 8 0,42
Polynésie
française
252 000 3 0,12 13 0,50
Nouvelle-
Calédonie
231 000 2 0,09 8 0,35
Total 2 468 000 88 0,36 180 0,73
épidémiologie | formation
OptionBio | Lundi 18 octobre 2010 | n° 443 13
ConclusionLa France, particulièrement les territoires d’outre-mer, reste vulnéra-
ble à une recrudescence de la maladie. Devenant moins fréquente,
les cliniciens capables de la diagnostiquer et de la prendre en charge
sont devenus rares ; le diagnostic s’en trouve plus difficile.
Un recensement plus régulier et spécifique des patients serait
souhaitable ainsi que la sensibilisation des professionnels de
santé et des populations identifiées à risque.
Biologie d’aujourd’hui et de demain dans les laboratoires en FranceMycobacterium leprae a été une bactérie mal connue jusqu’à
l’avènement de la biologie moléculaire, car elle ne “cultive” pas
in vitro du fait de sa lenteur de croissance (temps de double-
ment de 10 à 15 jours) et de ses exigences nutritives.
Les prélèvements pour le diagnostic de laboratoire sont des
frottis dermiques en milieu endémique ou des biopsies cuta-
nées en pays plus médicalisés.
Le diagnostic a été longtemps limité à l’observation en micros-
copie optique de bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR). Il
repose avant tout sur des critères cliniques (lésions cutanées
évocatrices) et épidémiologiques. La microbiologie n’intervient
que pour confirmer ou caractériser un cas de lèpre.
La coloration de Ziehl-Neelsen montre des BAAR disposés typi-
quement en globi. La quantité de bacilles est évaluée par l’index
bactériologique (BI) qui varie de 1+ (1 BAAR/100 champs) à 6+
(1 000 BAAR/ champ).
Dans les cas de lèpre multibacillaire (souvent avec lésions mul-
tiples), la quantité totale corporelle de bacilles lépreux peut
atteindre 1012 bacilles. Dans le cas de lèpre paucibacillaire,
l’examen microscopique est souvent négatif ou BI 1+, et la
quantité totale corporelle est de l’ordre de 106 bacilles.
Traitement de la lèpreLe traitement de la lèpre repose sur une polychimiothérapie
(dapsone + rifampicine + clofazimine) devant empêcher statis-
tiquement l’émergence de la résistance aux antilépreux.
Concernant les tests de sensibilité aux antilépreux, le
problème inhérent à M. leprae est de ne pas pouvoir faire de
test in vitro du fait de l’absence de culture.
La méthode mise au point par Shepard en 1960 est de “cultiver”
la bactérie par injection dans la patte de souris en comparant la
multiplication chez les souris (20 à 50 par souche étudiée) trai-
tées par les antibiotiques pendant 7 à 12 mois à des groupes de
souris témoins non traitées. Cette méthode est peu utilisée dans
le monde du fait de sa difficulté et de la logistique requise.
L’émergence de souches résistantes à la dapsone est appa-
rue en 1964 et celle de souches résistantes à la rifampicine en
1976. L’ofloxacine a été utilisée dans le traitement de la lèpre à
partir de 1985 et des résistances ont été décrites en 1997.
Un premier cas de lèpre multirésistante (dapsone, rifampicine,
ofloxacine) a été décrit en 1997 et l’émergence des formes
de lèpre multirésistantes peut mettre en péril le programme
d’éradication de la maladie.
Les études génétiques de M. leprae ont permis de détecter les
mutations responsables de la résistance acquise aux antibioti-
ques. La mutation du gène rpoB est associée à la résistance à
la rifampicine, celle du gène gyrA à la résistance à l’ofloxacine
et celle du gène folP1à la résistance à la dapsone. Plusieurs
techniques ont été utilisées pour effectuer l’“antibiogramme
moléculaire”, toutes basées sur l’amplification des régions impli-
quées dans la résistance suivie d’une détection des mutations
par différentes méthodes (SSCP, RFLP, hybridation des sondes
oligonucléotidiques fixées sur des membranes ou des puces).
Ces techniques sont pour l’instant utilisées dans les laboratoires
experts mais très peu dans les régions endémiques.
Les laboratoires Hain Lifescience (Allemagne) ont développé
un test d’hybridation sur bandelette de nitrocellulose appelée
GenoType® Leprae DR. Ce test détecte les mutations les plus
fréquentes des gènes rpoB, folP, et gyrA pour prédire, res-
pectivement, la résistance à la rifampicine, à la dapsone et à
l’ofloxacine. Ceci pourrait permettre à un laboratoire non expert
de détecter la résistance de M.leprae directement à partir d’un
prélèvement cutané. |CHANTAL BERTHOLOM
professeur de microbiologie
École nationale de physique-chimie-biologie, Paris (75)
è
SourcesCommunications de G. La Ruche et d’E. Cambau, lors de la 29e Réunion interdiscipli-naire de chimiothérapie anti-infectieuse (Ricai), Paris, décembre 2009.