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Revue bibliographique 997 Cahier FMC La vie est belle après léïomyotomie ! Mentes BB, Tezcaner T, Yilmaz U, Leventoglu S, Oguz M. Results of lateral internal sphincterotomy for chronic anal fissure with particular reference to quality of life. Dis Colon Rectum 2006;49:1045-51. La léïomyotomie latérale seule est la technique chirurgicale de référence dans le traitement de la fissure anale en raison de ses excellents résultats. Toutefois, elle est critiquée car elle peut se compliquer de troubles de la continence anale. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, l’équipe chirurgicale de Bülent Mentes à Ankara (qui a beaucoup travaillé sur la fissure anale) a décidé d’évaluer les résultats de cette technique chirurgicale en terme de qualité de vie. Ils ont ainsi étudié 244 malades (47 % de femmes), d’âge moyen de 36 ans, ayant bénéficié de cette technique pour une fissure anale chronique. Un score d’incontinence anale ainsi que deux scores de qualité de vie, le GIQLI (GastroIntestinal Quality of Life Index) et le FIQLS (Fecal Incontinence Quality of Life Scale), ont été évalués de façon prospective en pré et postopératoire. Au quatrième mois postopératoire, 100 % des malades avaient leur fissure cicatrisée mais deux d’entre eux (0,8 %) ont récidivé durant le suivi. Au douzième mois postopératoire, sept malades (2,9 %) avaient de discrets troubles de la continence et le score spécifique de qualité de vie FIQLS était certes altéré en postopératoire chez trois de ces sept malades incontinents mais leur score généraliste de qualité de vie GIQLI s’était significativement amélioré ainsi que chez tous les autres malades. Cette étude nous a donc fourni plusieurs informations intéressantes. Elle a confirmé, s’il en était besoin, les excellents résultats de la léïomyotomie latérale seule dans le traitement de la fissure anale. Elle a confirmé également que des troubles de la continence pouvaient survenir en postopératoire, y compris à distance du geste. Elle nous a montré enfin que, malgré ces troubles, tous les malades arguaient d’une amélioration significative de leur qualité de vie après l’intervention. Cette dernière information nous rappelle que la seule évaluation du score d’incontinence ne permet pas d’avoir une idée valable du ressenti des malades après une léïomyotomie latérale seule pour fissure anale. En effet, il faut également recourir à un score de qualité de vie tenant compte notamment de données psychosociales. Et ce score devrait déjà être présent sur nos bureaux de consultation… Il existe une « bible » de la « léïomyotomie pharmacologique » de la fissure anale ! Nelson R. Non surgical therapy for anal fissure. Cochrane Database Syst Rev 2006;4:CD003431. Lorsqu’on tente de suivre les résultats de la « léïomyotomie pharmacologique » dans le traitement de la fissure anale, on ne peut être que découragé par l’abondance des publications. D’autant plus que les études, pourtant en général d’excellente qualité méthodologique, aboutissent souvent à des conclusions contradictoires. Or, cette littérature nous intéresse au plus haut point maintenant que nous disposons en France d’un dérivé nitré ayant l’AMM dans la fissure anale et que nous avons par ailleurs potentiellement accès à la toxine botulique. Mais, encore fallait-il un volontaire pour nous faire une synthèse. C’est chose faite ! En effet, Richard Nelson (qui s’en est du reste fait une spécialité) a réalisé une méta-analyse de 53 essais contrôlés randomisés ayant évalué les divers traitements médicaux de la fissure anale entre 1996 et 2006. Il a ainsi passé au crible les résultats des dérivés nitrés (trinitrate de glycéryle et dinitrate d’isosorbide) et de la toxine botulique mais aussi des inhibiteurs calciques (diltiazem, nifédipine), de la lidocaïne, de l’hydrocortisone, de l’indoramine et du minoxidil. Libre aux plus courageux de tout lire dans le détail (le travail comporte une soixantaine de pages…) mais les autres (plus nombreux) peuvent se contenter de retenir les quelques messages suivants. Ainsi, le trinitrate de glycéryle semble plus efficace que le placebo en terme de cicatrisation (48,6 versus 37 %, P < 0,004), mais la moitié des fissures récidive après ce traitement. La toxine botulique et les inhibiteurs calciques semblent aussi efficaces que le trinitrate de glycéryle mais ont moins d’effets indésirables. Enfin, ces molécules n’ont certes pas d’effet délétère définitif sur la continence anale mais aucune d’entre elles ne peut prétendre être aussi efficace que la léïomyotomie latérale seule tant en termes de cicatrisation que de récidives. Cette méta-analyse a donc prouvé que la « léïomyotomie pharmacologique » peut avoir une place dans la stratégie thérapeutique actuelle de la fissure anale (il reste cependant à déterminer si c’est d’emblée ou après échec du traitement « classique » non spécifique). Mais elle a également démontré que la chirurgie a encore de beaux jours devant elle dans cette pathologie… Le doigt du clinicien n’est plus ce qu’il était ! Jones OM, Ramalingam T, Lindsey I, Cunningham C, George BD, Mortensen NJ. Digital rectal examination of sphincter pressures in chronic anal fissure is unreliable. Dis Colon Rectum 2005;48:349-52. La léïomyotomie latérale seule peut se compliquer de troubles irréversibles de la continence anale. La fréquence de ces troubles séquellaires varie beaucoup selon les études, notamment en fonction des caractéristiques des malades traités. En l’occurrence, la valeur préopératoire du tonus anal de repos est certainement un des meilleurs critères prédictifs permettant de sélectionner les malades à risque. En pratique quotidienne, l’immense majorité des praticiens (dont nous sommes) se contente d’une estimation clinique de cette valeur. Mais ils ont peut-être tort… En effet, l’équipe de Neil Mortensen de l’Hôpital John-Radcliffe d’Oxford a étudié 40 malades (47 % de femmes) ayant une fissure anale chez qui ils ont comparé de façon prospective et aveugle l’évaluation préopératoire clinique versus manométrique de leur tonus anal de repos. En manométrie, 15 malades (37,5 %) avaient une hypertonie alors que 22 malades (55 %) avaient un tonus normal et 3 malades (7,5 %, dont 2 hommes) une hypotonie. L’examen clinique a identifié 14 des 15 malades ayant une hypertonie en manométrie mais n’a dépisté que 4 des 25 malades ayant un tonus normal ou bas ! Les 21 malades mal évalués par l’examen clinique ont en effet été considérés à tort comme hypertoniques. La sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive et la valeur prédictive négative de l’examen clinique étaient donc respectivement de 93, 16, 40 et 80 %. Cette étude originale a donc ébranlé notre conviction que l’examen clinique permet de dépister les malades fissuraires ayant un tonus anal de repos normal ou bas. Cela étant dit, nous n’avons pas manqué également d’être surpris par cette population de malades dont plus de la moitié n’avaient pas d’hypertonie anale de repos (biais de recrutement ?). Si cette étude est « vraie », il faudrait alors recourir systématiquement à la manométrie anorectale avant de proposer un geste chirurgical à un malade fissuraire (la léïomyotomie n’étant alors indiquée que chez les malades ayant une hypertonie). Tout cela deviendrait donc de plus en plus compliqué. À ce propos, il serait peut-être temps de se mettre autour d’une table afin de rédiger des recommandations pour la pratique clinique dans le traitement de la fissure anale…

Le doigt du clinicien n’est plus ce qu’il était !

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La vie est belle après léïomyotomie !

Mentes BB, Tezcaner T, Yilmaz U, Leventoglu S, Oguz M.Results of lateral internal sphincterotomy for chronic anal fissure with particular reference to quality of life.Dis Colon Rectum 2006;49:1045-51.

La léïomyotomie latérale seule est la technique chirurgicale de référence dans le traitement de la fissure anale en raison de ses excellents résultats. Toutefois, elle est critiquée car elle peut se compliquer de troubles de la continence anale. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, l’équipe chirurgicale de Bülent Mentes à Ankara (qui a beaucoup travaillé sur la fissure anale) a décidé d’évaluer les résultats de cette technique chirurgicale en terme de qualité de vie.Ils ont ainsi étudié 244 malades (47 % de femmes), d’âge moyen de 36 ans, ayant bénéficié de cette technique pour une fissure anale chronique. Un score d’incontinence anale ainsi que deux scores de qualité de vie, le GIQLI (GastroIntestinal Quality of Life Index) et le FIQLS (Fecal Incontinence Quality of Life Scale), ont été évalués de façon prospective en pré et postopératoire. Au quatrième mois postopératoire, 100 % des malades avaient leur fissure cicatrisée mais deux d’entre eux (0,8 %) ont récidivé durant le suivi. Au douzième mois postopératoire, sept malades (2,9 %) avaient de discrets troubles de la continence et le score spécifique de qualité de vie FIQLS était certes altéré en postopératoire chez trois de ces sept malades incontinents mais leur score généraliste de qualité de vie GIQLI s’était significativement amélioré ainsi que chez tous les autres malades.Cette étude nous a donc fourni plusieurs informations intéressantes. Elle a confirmé, s’il en était besoin, les excellents résultats de la léïomyotomie latérale seule dans le traitement de la fissure anale. Elle a confirmé également que des troubles de la continence pouvaient survenir en postopératoire, y compris à distance du geste. Elle nous a montré enfin que, malgré ces troubles, tous les malades arguaient d’une amélioration significative de leur qualité de vie après l’intervention. Cette dernière information nous rappelle que la seule évaluation du score d’incontinence ne permet pas d’avoir une idée valable du ressenti des malades après une léïomyotomie latérale seule pour fissure anale. En effet, il faut également recourir à un score de qualité de vie tenant compte notamment de données psychosociales. Et ce score devrait déjà être présent sur nos bureaux de consultation…

Il existe une « bible » de la « léïomyotomie pharmacologique » de la fissure anale !

Nelson R.Non surgical therapy for anal fissure.Cochrane Database Syst Rev 2006;4:CD003431.

Lorsqu’on tente de suivre les résultats de la « léïomyotomie pharmacologique » dans le traitement de la fissure anale, on ne peut être que découragé par l’abondance des publications. D’autant plus que les études, pourtant en général d’excellente qualité méthodologique, aboutissent souvent à des conclusions contradictoires. Or, cette littérature nous intéresse au plus haut point maintenant que nous disposons en France d’un dérivé nitré ayant l’AMM dans la fissure anale et que nous avons par ailleurs potentiellement accès à la toxine botulique. Mais, encore fallait-il un volontaire pour nous faire une synthèse. C’est chose faite ! En effet, Richard Nelson (qui s’en est du reste fait une spécialité) a réalisé une méta-analyse de 53 essais contrôlés randomisés ayant évalué les divers traitements médicaux de la fissure anale entre 1996 et 2006. Il a ainsi passé au crible les résultats des dérivés nitrés (trinitrate de glycéryle et dinitrate d’isosorbide) et de la toxine

botulique mais aussi des inhibiteurs calciques (diltiazem, nifédipine), de la lidocaïne, de l’hydrocortisone, de l’indoramine et du minoxidil. Libre aux plus courageux de tout lire dans le détail (le travail comporte une soixantaine de pages…) mais les autres (plus nombreux) peuvent se contenter de retenir les quelques messages suivants.Ainsi, le trinitrate de glycéryle semble plus efficace que le placebo en terme de cicatrisation (48,6 versus 37 %, P < 0,004), mais la moitié des fissures récidive après ce traitement. La toxine botulique et les inhibiteurs calciques semblent aussi efficaces que le trinitrate de glycéryle mais ont moins d’effets indésirables. Enfin, ces molécules n’ont certes pas d’effet délétère définitif sur la continence anale mais aucune d’entre elles ne peut prétendre être aussi efficace que la léïomyotomie latérale seule tant en termes de cicatrisation que de récidives.Cette méta-analyse a donc prouvé que la « léïomyotomie pharmacologique » peut avoir une place dans la stratégie thérapeutique actuelle de la fissure anale (il reste cependant à déterminer si c’est d’emblée ou après échec du traitement « classique » non spécifique). Mais elle a également démontré que la chirurgie a encore de beaux jours devant elle dans cette pathologie…

Le doigt du clinicien n’est plus ce qu’il était !

Jones OM, Ramalingam T, Lindsey I, Cunningham C, George BD, Mortensen NJ.Digital rectal examination of sphincter pressures in chronic anal fissure is unreliable.Dis Colon Rectum 2005;48:349-52.

La léïomyotomie latérale seule peut se compliquer de troubles irréversibles de la continence anale. La fréquence de ces troubles séquellaires varie beaucoup selon les études, notamment en fonction des caractéristiques des malades traités. En l’occurrence, la valeur préopératoire du tonus anal de repos est certainement un des meilleurs critères prédictifs permettant de sélectionner les malades à risque. En pratique quotidienne, l’immense majorité des praticiens (dont nous sommes) se contente d’une estimation clinique de cette valeur. Mais ils ont peut-être tort…En effet, l’équipe de Neil Mortensen de l’Hôpital John-Radcliffe d’Oxford a étudié 40 malades (47 % de femmes) ayant une fissure anale chez qui ils ont comparé de façon prospective et aveugle l’évaluation préopératoire clinique versus manométrique de leur tonus anal de repos. En manométrie, 15 malades (37,5 %) avaient une hypertonie alors que 22 malades (55 %) avaient un tonus normal et 3 malades (7,5 %, dont 2 hommes) une hypotonie. L’examen clinique a identifié 14 des 15 malades ayant une hypertonie en manométrie mais n’a dépisté que 4 des 25 malades ayant un tonus normal ou bas ! Les 21 malades mal évalués par l’examen clinique ont en effet été considérés à tort comme hypertoniques. La sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive et la valeur prédictive négative de l’examen clinique étaient donc respectivement de 93, 16, 40 et 80 %.Cette étude originale a donc ébranlé notre conviction que l’examen clinique permet de dépister les malades fissuraires ayant un tonus anal de repos normal ou bas. Cela étant dit, nous n’avons pas manqué également d’être surpris par cette population de malades dont plus de la moitié n’avaient pas d’hypertonie anale de repos (biais de recrutement ?). Si cette étude est « vraie », il faudrait alors recourir systématiquement à la manométrie anorectale avant de proposer un geste chirurgical à un malade fissuraire (la léïomyotomie n’étant alors indiquée que chez les malades ayant une hypertonie). Tout cela deviendrait donc de plus en plus compliqué. À ce propos, il serait peut-être temps de se mettre autour d’une table afin de rédiger des recommandations pour la pratique clinique dans le traitement de la fissure anale…