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LE DROIT ET LE FAIT DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’gTAT DE BELGIQUE’ par H. BUCH, Bruxelles Le probleme du fait et du droit dans la jurisprudence est un probleme curieux 2. I1 n’existe en effet pas de droit sans fait. Des principes comme : Da mihi factum, dab0 fibi jus, ou les maximes comme Ex facfo orifur jus expriment sous une forme simple une vkrite que recon- naissent tous les praticiens du droit 3. Si l’on admet aisement une distinction entre ces deux elements de la vie du droit, il semble plus difficile d’ktablir les rapports dans lesquels ils se meuvent. I1 y a plus : l’on constate dans la vie juridique des phhomenes de dissociation du fait et du droit, dissociation dont I’expression la plus nette est sans doute I’institution d’une juridiction de cassation. Communication faite le 13 d6cembre 1958 au Centre national de recherches de logique. Ce problbme n’est en gCnCral pas trait6 d‘une manibre systCmatique dans les manuels. I1 a fait I’objet d’6tudes rkcentes, parmi lesquelles il importe de signaler : LETOURNEUR, L’apprCciation du fait par le Conseil d’Etat de France (RJDA), 1952, p. 81-84 et 161-165 ; WALINE, Etendue et limite du contriile du juge administratif sur les acles de l’administrafion (Etudes et documents du Conseil d’Etat de France), 1956, fasc. No 10, p. 25 ; Pierre PACTET (these), Essai d’une thiorie gPnCrale de la preuve devant la juridiction administrative, Paris, 1952. Sur un sujet plus limit6 : Michel BERNARD, Le contriile du Conseil d’ Etat sur I’apprLciation par l’administration de l‘aptitude professionnelle ou physique des fonctionnaires, (Etudes et docu- ments du Conseil d’Etat de France), 1957, fasc. No 11, p. 53. On notera aussi une remarque du commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat de France, LASRY, dans ses conclusions avant I’arrbt Levy (Dall. et Sir., 1956, Jurisprudence, p. 27) : (( Dans la faible mesure oh Yon peut faire 6tat d’une jurisprudence en ce qui concerne la solution de questions de fait. N Mbme les tenants du droit nature1 reconnaissent la coh6sion du fait et du droit. Cf. CIC~RON, De Republica (3, 22, 33): Est quaedam, Vera lex ... naturae congruens, diff usa in omnes, constans sempiterna. Voyez aussi Insti- tutes, I, 2, 4. 10

LE DROIT ET LE FAIT DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ETAT DE BELGIQUE1

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LE DROIT E T LE FAIT DANS LA JURISPRUDENCE D U CONSEIL D’gTAT

D E BELGIQUE’

par H. BUCH, Bruxelles

Le probleme du fait et du droit dans la jurisprudence est un probleme curieux 2.

I1 n’existe en effet pas de droit sans fait. Des principes comme : Da mihi factum, dab0 f ib i jus, ou les maximes comme Ex facfo orifur jus expriment sous une forme simple une vkrite que recon- naissent tous les praticiens du droit 3.

Si l’on admet aisement une distinction entre ces deux elements de la vie du droit, il semble plus difficile d’ktablir les rapports dans lesquels ils se meuvent.

I1 y a plus : l’on constate dans la vie juridique des phhomenes de dissociation du fait e t du droit, dissociation dont I’expression la plus nette est sans doute I’institution d’une juridiction de cassation.

Communication faite le 13 d6cembre 1958 au Centre national de recherches de logique.

Ce problbme n’est en gCnCral pas trait6 d‘une manibre systCmatique dans les manuels. I1 a fait I’objet d’6tudes rkcentes, parmi lesquelles il importe de signaler : LETOURNEUR, L’apprCciation du fait par le Conseil d’Etat de France ( R J D A ) , 1952, p. 81-84 et 161-165 ; WALINE, Etendue et limite du contriile du juge administratif sur les acles de l’administrafion (Etudes et documents du Conseil d’Etat de France), 1956, fasc. No 10, p. 25 ; Pierre PACTET (these), Essai d’une thiorie gPnCrale de la preuve devant la juridiction administrative, Paris, 1952. Sur un sujet plus limit6 : Michel BERNARD, Le contriile du Conseil d’ Etat sur I’apprLciation par l’administration de l‘aptitude professionnelle ou physique des fonctionnaires, (Etudes et docu- ments du Conseil d’Etat de France), 1957, fasc. No 11, p. 53. On notera aussi une remarque du commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat de France, LASRY, dans ses conclusions avant I’arrbt Levy (Dall. et Sir., 1956, Jurisprudence, p. 27) : (( Dans la faible mesure oh Yon peut faire 6tat d’une jurisprudence en ce qui concerne la solution de questions de fait. N

Mbme les tenants du droit nature1 reconnaissent la coh6sion du fait e t du droit. Cf. C I C ~ R O N , De Republica (3, 22, 3 3 ) : Est quaedam, Vera lex ... naturae congruens, diff usa in omnes, constans sempiterna. Voyez aussi Insti- tutes, I, 2, 4.

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11 serait sans doute fort intkressant de rechercher pourquoi ce type de juridiction, qui ne connait pas du fond des affaires l, a vu le jour avec la RCvolution franqaise et s’est dCveloppC sous les dCmocraties du XIXe sibcle, alors qu’il Ctait inconnu des maitres du droit qu’ktaient les Remains*. Mais, l’on se bornera, dans le cadre de cet expos& a faire observer, que l’extension du bCn6fice des principes d’Cgalit6 et de 16galitC A tous les citoyens, entraine la nCcessit6 de poser la regle de droit de la manibre la plus genCrale et la plus abstraite possible, de la vider dans toute la mesure du possible, des elements de fait.

Peut-Ctre les choses auraient-elles C t C encore relativement simples, si les rapports humains Ctaient demeurCs ce qu’ils ktaient lors de la declaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais ils se sont multipliCs, diversifiCs, modifiCs aux XIXe et XXe siecles, comme jamais auparavant dans la vie de l’humanite. Ainsi, plus la matiere du droit devenait riche et variCe et plus la recherche de la stabilite des rapports humains et des formes de vie sociale rendait necessaire une rbgle de droit qui fat la plus uniforme, la plus abstraite possible.

Dbs lors, la regle de droit tend A devenir une (( chose en soi )), d6tachee de son soubassement social et historique, c’est-&dire de la multitude des phdnombnes dont elle est issue. Qui dit multitude dit variCtC: deux activitCs humaines de mCme espece, ne sont jamais identiques. Et pourtant il faut qu’elles soient soumises A la mCme regle de droit. Dbs lors tant dans sa formulation, que dam son application, la regle tend inkvitablement A uniformiser les phCno- mbnes qu’elle rdgit, a les examiner non plus comme des phenombnes concrets mais bien comme des notions abstraites. Toute vente devient la vente, tout mariage, le mariage, toute adjudication, l’adjudication.

Mais plus la nCcessitC de l’abstraction s’impose e t plus l’abstrac- tion grandit en importance. Que la regle soit ma1 formulee, ma1

Constitution belge, art. 95 (sauf pour le jugement des ministres). Peut-8tre la division A Rome de I’instance en deux phases : (r Le jus,

oh le procks est organis6 par le magistrat au moyen de la formule qu’il rddige (concepta verba) d’accord avec les plaideurs et l’instance apud judicem, oh le lure, choisi par eux et investi par lui prend la dCcision a (GIFFARD, Prkcis de droit romain, p. 112) se rattache-t-elle B notre question.

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posee ou ma1 interprktee, et l’erreur se developpera avec la force de la multiplication. Aussi conceit-on la nkcessit6, dans l’organisa- tion de la justice moderne d’un organe charge de verifier l’applica- tion de la regle en dehors de toute consid6ration du cas d’espece, en dehors du fait.

La seconde consideration, c’est que le juge n’est pas seulement un analyste l. La fonction sociale dont il est investi, c’est de contri- buer au maintien de la paix sociale e t par consequent A la stabilite du systeme juridique Ctabli. I1 n’est donc pas insensible aux cons& quences de son raisonnement. Sans tomber dans l’exces de ceux qui soutiennent que le juge etablit ses premisses en fonction de la conclusion, il est permis de dire que le juge reverra les prkmisses quand la conclusion lui paraitra ne pouvoir cadrer avec la structure juridique dont la loi appliquke est un element. Tel pourra Ctre le cas lorsque l’analyse juridique proposee d’un fait paraitrait incon- ciliable avec la rkgle prevue pour l’ensemble des faits de la mCme categorie.

Ceci dit, comment les choses se prksentent-elles A la section d’administration du Conseil d’Etat ?

E n vertu de l’article 2, 20, de I’arrCte du r6gent du 23 aoQt 1948 determinant la procedure devant la section d’administration du Conseil d’Etat, la requCte doit contenir un expos6 des faits et des moyens z.

On constatera d’autre part que, d’une maniere generale, la partie demonstrative des arrCts du Conseil comporte deux elements distincts; d’abord, un expose des faits, ensuite une analyse des problemes de droit avec sa conclusion.

CALOGERO, La logica del giudice e il suo controllo in cassazione, p. 116 : u I1 giureconsulto ... non b un contemplatore di teoremi, ma un organizzatore di volonth. r)

* I1 est peut-&re interessant de rappeler que l’article 9 de la loi du 25 fevrier 1925 concernant la procedure en cassation en matibre civile n’exige dans la requste que 6 l’expos6 des moyens de la partie demanderesse, ses conclusions et l’indication des dispositions lCgales dont la violation sera invoquke 8 . Cf. SIMONT, Des pourvois en cassation en matihe civile, NO0 7 5 et 78 : n Le moyen sera donc sumsamment precis, A condition d’enoncer les textes pretendument violes et de preciser en quoi ils l’ont C t C dans la decision attaquke. n

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Quel est, des lors, la nature de l’examen du fait auquel procede le Conseil?

Elle n’est pas unique. Car elle depend de la competence attribuee par la loi du 23 dBcembre 1946 A la section d’administration du Conseil d’Etat et cette competence est vari6e.

S’agit-il de l’article 7, paragraphe 1, qui autorise le Conseil A connaitre de certaines demandes d’indemnite relative A la repa- ration d’un dommage exceptionnel? Le Conseil qui se prononce en equit6 par voie d’avis motive, en tenant compte de toutes les cir- constances d’intkr6t public ou prive, doit Cvidemment prockder dans ces espbces comme le ferait le juge du fond.

Car, loin d’avoir d6jA Bt6 appr6ci6s, les faits de la cause ne sont pas mCme 6tablis par une autorite judiciaire ou administrative. L’affaire est dans son entier reservee au Conseil.

Dans les esphces, peu nombreuses, oh il estime qu’il peut faire usage de la compktence rksiduaire qui lui est attribuee, le Conseil procbde A un examen complet des 616ments de fait e t les apprCcie : par exemple, pour les fonctionnaires : leur carriere, leurs prestations effectives, l’attitude de l’administration A leur 6gard ainsi que les usages administratifs l.

Le prkjudice cause A un terrain non bAti par des travaux effec- tuds par 1’Etat peut Bgalement faire l’examen d’une expertise et donner lieu A des indemnites a.

Lorsqu’il statue par application de l’article 10 de la loi, le Conseil d’Etat, dont la competence a B t B substitube A celle du roi, chef de la hikrarchie administrative, est juge d’appel e t par conse- quent il connait une fois de plus tant du fait que du droit s.

I1 nous reste donc A examiner le domaine de l’article 9 4. Nous arrivons ainsi au nceud du probleme.

Thibaut (arrgt-avis, 476) ; Lejeune (3052) ; Toine (3053) ; Donnez (3054) ; Vermeulen (6448).

* S. A. Etablissements Block (1727 et 2543). a En vertu de cet article, le Conseil statue sur des litiges en matihe de

loi Clectorale communale et en matiere d’assistance publique, ainsi que sur la rksiliation et la revision de certains contrats conchs avant ou pendant la guerre.

L’art. 8 n’a donne lieu qu’A un seul cas d’application en douze ails d’existence du Conseil d’Etat.

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E n vertu de cet article, la section d’administration statue par voie d’arrCts sur les recours en annulation form& contre les actes e t rkglements des diverses autorites administratives, c’est-a-dire, contre les actes de I’administration active, ou contre les decisions contentieuses administratives, c’est-a-dire contre les decisions des juridictions administratives.

Voila les deux espbces d’actes juridiques qui peuvent Ctre defer& au Conseil.

Quant aux moyens que l’on peut faire valoir a l’appui d’une telle demande d’annulation, le requkrant ne peut invoquer que la violation des formes soit substantielles soit prescrites A peine de nullitk, l’excbs de pouvoir e t le dktournement du pouvoir.

Qu’il statue sur les actes de l’administration active, ou qu’il se prononce en degrC supkrieur sur des litiges deja soumis a des juri- dictions inferieures, le Conseil d’Etat est, sans nulle contestation, un juge. Dans les deux cas, ce juge, qui ne peut avoir Bgard qu’aux mCmes moyens, exerce une mCme competence d’annulation e t se prononce par voie d’arrCts. On pourrait croire que ce juge proc4 derait de la m6me manikre pour l’examen du droit e t du fait, qu’il s’agisse d’actes de l’administration ou de d6cisions des juridictions administratives dCferCes A sa censure.

Or, il n’en est pas ainsi. DkjA la terminologie adopt6e nous I’indique : quand il s’agit des

actes d’administration, le Conseil d’Etat est juge de l’excts de pou- voir, en ce compris le dktournement de pouvoir.

Quand il s’agit par contre des decisions contentieuses, on dit que le Conseil d’Etat est juge de cassafion.

Et nous le verrons, son comportement quant A l’examen du fait e t du droit, sera sensiblement different suivant qu’il agit dans I’un ou l’autre domaine.

Si l’on veut situer le plus correctement possible les points de differenciation, il est bon de rappeler que notre systbme ktatique repose sur ce qu’il est convenu d’appeler la separation des pouvoirs l, et que dans cette structure, le Conseil d’Etat apparait comme une institution de nature mixte. I1 est un organe de justice, mais il juge

I1 serait peut-Ctre plus correct de parler d’cc Cquilibre des pouvoirs *.

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l’administration. Par consequent sa fonction e t sa competence ont toujours Cte determinees en tenant compte tan t des exigences du fonctionnement du pouvoir executif que des conceptions pr6vn- lentes en matibre d’administration de la justice. Les premieres ont domine la fonction de l’institution 9 ses debuts: aussi le recours Btait-il au debut un recours administratif hibrarchique. Au terme d’une Bvolution, longue de pres d’un sibcle, les secondes ont com- mence 9 faire sentir leur poids. Le recours s’est transforme en un recours contentieux, sans que toutefois la conception originale se soit entibrement effacBe l.

Analysant le phenombne evolutif, dans lequel la conception du depart se fait encore sentir avec tan t de vigueur, De Laubadere remarque : (( Si le recours pour exces de pouvoir peut &re desor- mais considere comme un recours contentieux A tous Bgards, t an t au point de vue materiel qu’au point de vue formel, il n’en reste pas moins vrai que certaines particularites de son regime, en parti- culier la tres grande hardiesse avec laquelle le Conseil d’Etat exerce son contr6le e t qui parfois fait songer A l’attitude d’un chef admi- nistratif autant qu’A celle du juge, constitue des survivances de la conception initialement hikrarchique du recours. 1)

Cette constatation m6rite une remarque. Si Waline a raison lorsqu’il soutient que (( grace 9 la jurisprudence (du Conseil d’Etat) sur le dbtournement de pouvoir, le pouvoir n’est ... jamais illimit6 9, alors il ne s’agit plus seulement, comme le dit De Laubadere, de

* De LAUBAD~RE, Trait6 Clkmentaire de droit administratif, Bd. 1957, NO 616: t AprBs sa creation en l’an VIII, le Conseil d’Etat se reconnut tout naturellement competent pour accueillir les recours en annulation diriges contre les actes administratifs. A l’origine il ne se preoccupa m&me pas d’asseoir cette competence sur un texte ; ... Le recours pour excks de pouvoir, jug6 par le Conseil d’Etat avec justice retenue, n’6tait juridic- tionnel qu’au point de vue formel, constituant un recours hikrarchique en la forme juridictionnelle; ... Lorsque fut Btahlie la justice d616gu6e, ... la loi du 24 mai 1872 comportait ... : * Le Conseil d’Etat statue souverainement sur les demandes d’annulation pour excbs de pouvoir formees contre les actes des diverses autorites administratives ... * Le recours hierarchique initial dtait remplacd par un veritable recours contentieux. Seulement le recours pour excBs de pouvoir continue d’6tre plus ou moins considere comme un recours hikrarchique en la forme juridictionnelle. u

Ibid. a Trait6 ClCmentaire de droit administratif, 60 Bd., p. 145.

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I( particularites de rCgime )) e t de (( survivances )). La maniere dont le Conseil d’Etat de France use de ses pouvoirs d’annulation releve bien plus du fonctionnement e t du dkveloppement de l’institution, de son comportement a l’egard du pouvoir sur lequel il exerce son contrdle. Et si la fonction juridictionnelle du Conseil d’Etat s’est, dans une grande mesure, dkgagee de la gaine administrative, cela n’est-il pas dii, pour bonne part, a l’existence du ((Tribunal de cassation )), crCC a l’kpoque oh le Conseil d’Etat voyait le jour en France? Devenu une veritable cour de justice, le Conseil d’Etat doit s’&tre inspire, a 1’Cgard des juridictions administratives infC- rieures e t de l’administration, du r61e de la Cour de cassation qui consiste essentiellement A assurer l’unite de la jurisprudence dam le respect de la loi.

Ceci dit, revenons-en A la distinction faite entre le recours pour exces de pouvoir e t le recours en cassation. Cette distinction, nous la devons A Lafferiere. Plus exactement, et cela a son importance, le vice-president du Conseil d’Etat de France a distinguk dans les attributions juridictionnelles de cette institution celle qu’elle exerce l o comme juge unique ; 20 comme juge d’appel ; 30 comme juge de cassation I.

Et depuis lors, la fonction du Conseil, comme juge de cassation n’est plus discutee ; a la juridiction du Conseil d’Etat est generale en ce que toutes les affaires contentieuses ... peuvent Ctre portees a sa barre, soit directement, soit par la voie de l’appel ou du recours en cassation o 2.

Mais jusqu’oh va la distinction entre les deux recours? De Laubadere dit : Alors qu’en procedure civile le recours en cassa- tion presente une autonomie complkte par rapport aux autres actes

TraitC de la juridiction administrative, 1896, p. 316 sqq. MCme opinion : AUCOC, ConfCrence de droit administratif, No 342 ; DARESTE, La justice administrative en France, p. 182 ; DUCROCQ, C o w s de droit administratif, I, p. 582. Cette conception est encore expressement reprise par le commissaire de gouvernement du Conseil d’Etat de France, TRICOT, dans ses conclusions avant l’arrkt Brunet, du 31 janvier 1958, Revue du droit public et de la science politique, 1958, No 4, p. 752 sqq., et admise par cet arrCt : ((Consid& rant que la requ6te dirigee contre la decision d’un conseil de revision, qui constitue une juridiction de l’ordre administratif, presente le caracthe d’un recours en cassation. ))

LAFFERIERE, i b i t f .

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judiciaires, en proc6dure administrative il exisfe des points de rap- prochemenf entre ces deux recours en annulation qui sont le recours pour excbs de pouvoir (annulation des actes administratifs) et le recours en cassation (annulation des actes juridictionnels). Les rela- tions entre ces deux recours ont sensiblement vari6 au cours de l’histoire du recours en cassation administratif. Pendant longtemps la distinction n’a pas 6t6 faite entre les deux recours qui paraissaient de m&me nature ... Depuis Lafferibre, cette distinction s’accusa dans la doctrine et dans la pratique, de plus en plus clairement : en m&me temps que le dbveloppement du conirde du fait par le juge du recours pour excbs de pouvoir eloignait celui-ci du recours en cassation, ce dernier tout en conservant certaines rbgles de proc6- dure communes avec le premier, devenait de plus en plus l’equi- valent dans le contentieux administratif de ce qu’est le pourvoi devant la Cour de cassation dans le contentieux judiciaire o l.

Voila qui parait d6cisif. Et cependant, note De Laubadbre, (( il s’est produit rkcemment... un certain rapprochement nouveau des deux recours en ce qui concerne l’examen des faits dans le recours en cassation )) z.

De tout quoi nous pouvons conclure que la fonction juridic- tionnelle du Conseil d’Etat est dvolutive et que 1’6volution est fonction d’abord de la manibre dont le pouvoir ex6cutif est exerc6, ensuite de la manikre dont la justice est, en gkn6ra1, administree, e t en troisibme lieu de l’interaction d’un mode de recours sur l’autre.

I1 reste encore un point A Bclaircir. Au fond, quelle est la diffkrence de nature entre le recours pour

excbs de pouvoir et le recours en cassation? Cette difference n’a de port6e que par rapport A l’organe qui

1’6tablit, en espece le Conseil d’Etat. I1 n’y a pas de diffbrence entre l’objet ultime des arrCts du

Conseil. Dans les deux cas il annule. Mais dans l’excbs du pouvoir le Conseil juge immtdiatemenf, au

sens philosophique du mot, de la 16galitC des actes de l’adminis- tration.

1 DE LAUBAD~RE, ibid. , NO 721. * Zbid., No 721.

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Dans le recours en cassation, le Conseil se prononce me‘diatement, c’est-a-dire qu’il contrde la rCgularit6 de decisions d’autres juri- dictions administratives, qui, statuant au fond, se sont auparavant prononckes sur la legalit6 d’actes de l’administration.

Action immediate, action mCdiate. Est-ce 18 ce qui distingue essentiellement l’un recours en annulation de l’autre, e t ce qui explique la diffkrence d’attitude du Conseil quant A l’examen du fait ?

Avant que de r6pondre A cette question, examinons les arrCts du Conseil pris en application del’articlegen lesdivisant en trois groupes : - les arrCts statuant sur le dCtournement de pouvoir ; - les arr&ts statuant sur l’excbs de pouvoir ; - les arrCts rendus en cassation administrative. Peut-Ctre s’ktonnera-t-on de voir isoler le dktournement de

pouvoir. Qu’il soit permis de rappeler que d’aprbs la dCfinition d’Alibert l, c’est (( le fait de l’agent administratif, qui tout en accom- plissant un acte de sa compktence et en respectant les formes impo- sCes par le lkgislateur, use de son pouvoir dans des cas, pour des motifs e t des desseins autres que ceux en vue duquel ce pouvoir lui a C t C confiC P) z.

Si la dCfinition est correcte, e t nous pensons qu’elle l’est, le juge du detournement du pouvoir doit analyser le cas d’espece e t rechercher les motifs qui ont fait agir l’agent ou les desseins qu’il poursuit. I1 ne peut remplir sa tdche qu’en poussant jusqu’a dans ses ultimes conskquences l’examen des faits, en portant une a p p r 4 ciation propre sur les faits de l’acte qui lui est dbfCr6. Le juge du dbtournement du pouvoir est un juge du fond.

Voici un premier point acquis. Et il nous parait important parce qu’il y a entre le contrdle de l’excbs de pouvoir, que l’on appelle parfois aussi contrdle de la lbgalit6 externe, e t le contrdle du dCtour- nement de pouvoir que l’on dCsigne parfois comme le contrble de la lCgalitC interne, un lien incontestable.

Le contrdle juridictionnel de l’administralion au moyen du recours pour excts de pouvoir, p. 236.

‘Ainsi dkfini, le detournement de pouvoir ne s’applique pas A la juri- diction administrative. Un juge qui agirait de la manibre dCfinie, commet- trait un d6ni de justice ou pourrait dans certains cas se rendre coupable de corruption.

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En se referant B l’examen approfondi fait par M. Letourneur de 1’6volution de la jurisprudence du Conseil d’Etat de France en la matiere on peut dire, qu’il y a un phenomene d’osmose. (( Trans- formation juridique de detournement du pouvoir constate-t-il, timidit6 dans son application. )) (( Si nous cherchons maintenant, dit-il, B tenter une explication de ces deux phenomknes, nous cons- tatons qu’ils ont pour effet de rapprocher sensiblement le detour- nement de pouvoir de la violation de la loi : en limitant le detour- nement de pouvoir A la recherche du point de savoir si l’acte est intervenu dans un inter& general quelconque (recherche de carac- tere objectif), le juge n’a plus B se livrer qu’B des investigations qui en fait, ne se distinguent plus de celles auxquelles il se livre dans l’examen de la violation de la loi, qui ne sont pas plus ktendues que ces dernieres ; la m&me remarque s’impose quand on voit le dCtour- nement de procedure (qui avait toujours exist@ mis en vedette, car il s’analyse en v6ritC en un detournement de pouvoir juridique o.

(( Ainsi, dit M. Letourneur, on arrive B cette conclusion que ce sont des recherches particulibres auxquelles le ddtournement de pouvoir classique astreignait le juge, recherches subjectives sur les intentions de l’auteur de l’acte, que le Conseil semble avoir voulu restreindre. Peutdtre peut-on expliquer cette tendance par le fait que la tAche de l’administration est devenue si complexe et si technique que les investigations subjectives sont dorenavant trop dificiles A exercer pour un juge, qui statue sur pikes.

)) Or, au moment m&me oh le Conseil d’Etat limitait le detour- nement de pouvoir dans les conditions que nous venons d’indiquer, il s’attribuait, quand il Btait saisi, des moyens tires de la violation de la loi, des pouvoirs de verification du fait de plus en plus Ctendus. ))

Ainsi donc, le juge qui (( statue sur pieces D pousse dans le sys- tbme franqais tout au moins de plus en plus loin sa ((verification des faits)). Et c’est ce qui justifie lesconclusionspertinentes decet auteur :

(( Ce faisant, le Conseil d’Etat n’a A aucun degr6 fait sortir ce recours du terrain de la 16galitC ; il lui a conserv6 intactes sa physio- nomie et sa nature premieres ; c’est toujours uniquement pour

L’apprCciation du fait par le Conseil d’Etat de France, Recueil de jurisprudence du droif administratif, 1952, p. 81-84 et 161-165.

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JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT DE BELGIQUE 49 1

verifier la 16galite - pour mieux verifier, pour la serrer de plus prks - qu’ont etC poussees plus loin les investigations de fait. o

Et apres avoir pese l’avantage et le desavantage ((des gains acquis au titre de la violation de la loi )) au prix de (( l’affaiblissement du detournement de pouvoir )), M. Letourneur fait observer que ce dernier a un domaine a la fois propre : (( celui des recherches subjec- tives ))’ et plus Ctendu, (( puisqu’il permet d’atteindre m6me les actes purement discrktionnaires pour l’accomplissement desquels aucune condition lkgale n’existe e t en consequence contre lesquels la violation de la loi est sans effet D. Et il termine en exprimant l’espoir que le (( detournement de pouvoir ne subisse qu’une eclipse passagere n.

Si l’on passe a l’examen de la jurisprudence du Conseil d’Etat de Belgique, on constate des phknomenes apparemment analogues sinon identiques.

Sur les 6720 arrCts rendus a ce jour, le Conseil d’Etat a pro- nonce exactement quatre annulations pour d6tournements de pou- voir. Chose plus remarquable: il s’agit dans les quatre cas d’une nomination de secretaire communal l.

On voit dans quelle infime proportion de cas, le Conseil a C t C amend a proceder en assemblke genCrale de la section, a l’examen le plus approfondi du fait.

I1 y a evidemment un Clement dont il importe de tenir compte : l’annulation pour exces de pouvoir a le pas sur l’annulation pour detournement de pouvoir. Peut-&re dans certains des cas, le juge administratif aurait-il accueilli ce dernier moyen d’annulation si son examen n’en avait ete rendu inutile par l’accueil reserve au premier.

Mais ce qui est frappant, c’est que dans les nombreux cas oh refusant d’annuler pour exces de pouvoir il est amen6 A examiner les moyens du detournement, il formule le motif de rejet d’une maniere lapidaire comme (( que le requkrant n’allkgue aucun fait de nature A fonder le moyen D 2.

1 Exelmans (985), Schraepen (1632), hlatthys (2574), Detry (3748). a e Que ce moyen tel qu’il est dCveloppC ne comporte aucun des ClCments

constitutifs de la notion de dktournement de pouvoir B (Wintgens, 1357). I1 est A noter qu’il s’agissait d’une dCcision d’une juridiction administrative.

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492 H. BUCH

On pourrait en ddduire que l’institution belge est au moins aussi (( timide )) que sa seur franqaise.

Mais l’attitude apparemment semblable des deux juges peut Ctre determinee par des raisons differentes, de maniere qu’en fin de compte l’analogie des consequences est plus apparente que reelle.

Pour M. Letourneur, l’intCr6t du detournement du pouvoir est qu’il permet d’atteindre (( les acfes puremenf discritionnaires pour l’accomplissement desquels aucune condition legale n’existe, en consequence contre lesquels la violation de la loi est sans effet n.

Cette consideration nous amene a l’examen des actes de gouver- nement. On nomme ainsi (( certains actes accomplis par les autorites administratives, qui ne sont susceptibles d’aucun recours devant les tribunaux, tant administratifs que judiciaires )) et (( qui bene- ficient donc de l’immunit6 juridictionnelle D l.

Or, chose remarquable : le Conseil d’Etat de France continue A admettre l’existence de tels actes, bien que, suivant M. De Lau- badkre, (( tout le monde soit d’accord pour reconnaitre que l’exis- tence des actes du gouvernement, si elle n’est pas spCciale au droit administratif franqais, n’en constitue pas moins une anomalie cho- quante ... ce qui explique son amenuisement progressif D ~ .

Mais le Conseil d’Etat de Belgique s’est, des le depart, refuse a conferer (( l’immunite juridictionnelle )) a un acte quelconque qui n’emane que du pouvoir ex6cutif e t n’a trait qu’a son fonctionne- ment propre 8, e t A admettre qu’un tel acte puisse Ctre soustrait a son contrdle.

En effet, un des actes couramment rang& dans cette categorie est l’expulsion des Ctrangers. L’administration a dbs la premikre demande d’annulation d’un arrCte royal ordonnant l’expulsion, soutenu que le Conseil d’Etat est incompktent. Mais dks le debut, le Conseil d’Etat s’est refuse A suivre l’administration et a travers une serie de decisions, il a dlabore le systkme expose dans un de ses

De L A U B A D ~ R E , ibid. , No 412. * Zbfd., No8 414 et 415. 8 C’est parce qu’ils ont aussi trait A la compdtence des deux autres pou-

voirs, que l’arr6t6 royal portant la dissolution des Chambres, ou l’arr6t6 royal de grace ne rentrent pas dans cette catdgorie.

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JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’EI‘AT DE BELGIQUE 493

derniers arrets en la matierel e t dont la consequence certaine est la verification du fait, poussee plus ou moins loin suivant les cas d’esp6ce 2.

Sans doute l’historien ou le sociologue pourront-ils recherc her les causes du comportement different de deux magistratures dont l’une a 6t6 A 1’6cole de l’autre. En tout cas, on voit qu’il est bon de rechercher derriere les apparences, la portbe reelle de l’examen de fait e t du droit.

Groesz (2861 et 3637) : Q ... que la partie adverse soutient que le ministre n’a pas 9 faire connaitre les faits qui motivent I’expulsion ; qu’invoquant le caractbre secret que doivent conserver les archives de la sdret6 de I’Etat, elle fait valoir qu’elle a le droit sinon le devoir ... de ne point dCposer les dossiers politiques de la sfiretC de 1’Etat e t de ne considCrer comme dossier administratif 9 joindre au memoire en rkponse que le seul dossier adminis- tratif de la police des &rangers )) ;

Considerant que, en vue de permettre au Conseil d’Etat d’exercer sa mission, l’art. 13 de la loi du 23 dCcembre 1946 a prCvu que le gouvernement doit soumettre 9 la section d’administration le dossier administratif des affaires dont cette section est saisie; que selon I’arrCtC du regent du 23 aodt 1948, le gouvernement a trente jours A partir de la notification de la requkte pour transmettre au greffe le dossier administratif; que ces dispositions ont une portCe gCnCrale ;

ConsidCrant que l’arrCtC-loi du 28 septembre 1939 n’autorise pas le ministre 9 prendre une mesure d’expulsion en l’absence de toute circons- tance susceptible de justifier cette mesure ; que si I’art. 13 de la loi n’oblige pas le gouvernement 9 communiquer les informations dont la publicit6 pourrait prCsenter de graves dangers pour I’ordre public, cet article oblige cependant la partie adverse 9 justifier devant le Conseil d’Etat la ddcision incriminie; qu’il ne lui sumt pas de se rCfCrer 9 un motif formu18 en termes gCnCraux dans l’acte lui-mCme pour Ctablir devant le Conseil d’Etat que cet acte a C t C pris dans les limites de l’arrCt6-loi du 28 septembre 1939 o ;

Dam l’arrCt rendu dans la mCme affaire aprbs le dCpBt du dossier (3637), le Conseil d’Etat a procCdC 9 la vdrification de l’existence de I’activitC politique allCguCe pour, ce fait Ctabli, conclure que l’arrCt6-loi a confiC au ministre de la Justice Ie pouvoir d’apprdcier si une activitd politique est de la part d’un Ctranger nuisible 9 la sCcuritC du pays et qu’il n’appartient pas au Conseil d’Etat de se substituer 9 la partie adverse dans l’exercice de ce pouvoir d’apprdciation.

* Lodolo (5384) : (( ... qu’en fondant la decision de renvoi sur l’activit6 dCployCe par le requCrant sur le plan syndical, sans invoquer aucun acte concret de cette activitC qui aurait rCduit ou compromis la production charbonnibre de la Belgique, telle que l’incitation d’autres travailleurs 9 rCduire leur rendement, 9 gCner le travail dans les mines ou A quitter la Belgique, la partie adverse a fait une fausse application de l’art. 3, 2O, de la loi du 28 mars 1952.

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494 n. Bucn

Passons maintenant a l’exces de pouvoir proprement dit. Laissons de cdte, outre le detournement du pouvoir, les moda-

lites d’illegalite que sont l’incomp6tence de l’auteur de l’acte et la violation des formes, e t ne retenons que les illkgalites relatives A l’objet de l’acte et aux motifs de l’acte qui correspondent a ce que I’on appelle generalement (( la violation de la loi )) l.

On peut dire des le dbpart, que le juge de l’exces de pouvoir, mis en prbsence de l’acte administratif attaque est un juge du fait.

(( De ce que les motifs de l’acte sont des faits objectifs P), d6duit De Laubadere2, (ti1 rCsulte que leur contr6le conduit le juge de l’exces du pouvoir A proceder a un examen des faits. Dans le contentieux de l’excbs du pouvoir, le Conseil d’Etat est juge du fond. C’est la une idke qui est aujourd’hui couramment admise et qui n’est plus considkrke comme presentant un caractbre anormal quelconque. ))

C’est bien dit. Mais qu’est-ce qu’6tre juge d’un fait? Pour juger un fait il faut proceder A trois operations:

a) I1 faut d’abord 1’Ctablir dans sa materialit&, comme pheno- m h e , en le mettant au besoin en rapport avec d’autres faits qui en forment le contexte : il s’agit d’btablir les (( circonstances de fait #.

b ) I1 faut ensuite apprkcier juridiquement les faits, c’est-a-dire les ranger dans des catbgories donndes, en un mot, les qualifier.

c) I1 faut en plus en verifier la Mgalitb, c’est-A-dire voir la loi ou le rbglement permettant d’appliquer la mesure prise dans le cas d’espbce.

Voici un exemple en matibre disciplinaire : A..., commandant d’une base akrienne, joue aux cartes e t vend

de la bibre A ses subordonnes.

* L’illBgalitB relative ti I’objet de l’acte consiste en ce que l’administration ne pouvait prendre la mesure attaqu6e. Cf. Goossens (5368) : 8 ... que l’admi- nistration a donc exc6dB ses pouvoirs en interdisant l’enlbvement d’un arbre dans une propri6tB particulibre. I)

Quant aux motifs de l’acte ce sont ales faits objectifs antkrieurs ou ext6rieurs ti l’acte et dont l’existence a pouss6 l’auteur de celui-ci ti l’accom- plir u (De Laubadbre).

Trail6 ClPmentaire de droil administratif, No 697.

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JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT DE BELGIQUE 495

Des incidents se produisent. Le commandant est deplace pour faute de service qui consiste ne pas s ’ h e fait respecter de ses subordonnes.

a ) I1 faut savoir si A... a reellement joue aux cartes et dans le mkme ordre d’idees, verifier s’il est vrai, comme A... le soutient, qu’il l’a fait pour que ses subordonnes ne se laissent aller au desceu- vrement et parce que la regie ne fournissait pas de boisson aux pilotes. Ce sont les circonstances de fait et leur contexte.

b ) I1 faut apprecier si un tel comportement peut &re consider6 comme relevant de la notion de (( faute de service o et plus specia- lement d’une faute de service qui consiste A ne pas s’ktre fait respecter par ses subordonnes. En d’autres termes, il faut qualifier les faits en droit ou encore rattacher les faits a une categorie juridique donnee.

c ) I1 faut enfin verifier si le reglement vise une faute de service de cette espece et permet de frapper l’auteur de cette faute de la peine du deplacement.

Ne nous attardons pas aux dificultes des modes de preuves, aux problemes de qualification ou aux longueurs des recherches pour determiner la legislation applicable.

On pourrait dire suivant la formule des mathematiques: pour que justice soit rendue (( il faut et il suffit )) que ces elements soient reunis. Sans doute en est-il ainsi pour celui qui se borne a raisonner et A argumenter mais qui n’est point tenu d’agir.

Or le juge en general, et le juge administratif en particulier, sont tenus d’agir et le domaine de leur action est delimit6 par leur competence.

De ce que le juge de l’exces du pouvoir ne peut qu’annuler des decisions administratives, il rksulte qu’il n’a pas le pouvoir de se substituer a l’administration active.

Or ne serait-ce pas se mettre A la place de cette dernibre que de decider si tel acte est une faute de service et si telle faute merite telle peine? Et pour reprendre la terminologie usuelle, le juge adminis- tratif peut-il t tre juge de I’opporfunitt de la mesure?

Repondre par l’affirmative a la question, c’est oublier que le j uge administratif n’est pas un administrateur. Repondre par la

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496 H. BUCH

negative, c’est courir le risque de donner A la fonction de contrble du juge administratif plus d’apparence que de realit6 : solution particulierement dangereuse car elle pourrait amener les citoyens A penser que les garanties qu’on a voulu leur donner contre l’excbs de pouvoir, sont plus illusoires qu’eficaces.

Ne dire ni oui, ni non, adopter une attitude (( A la normande o, c’est risquer de verser tour A tour dans un rigorisme dCtache des realitks ou dans un pragmatisme depourvu de principe: dans les deux cas, le juge n’aura pas satisfait A la mission gCn6rale d’6tablir une jurisprudence, c’est-A-dire de cr6er le minimum de skur i te juridique indispensable pour le respect de la loi.

La r6ponse correcte, tout le monde l’a sur la langue: il faut trouver le point d’kquilibre, &ant entendu que les 6quilibres n’ont j amais qu’une valeur relative e t temporaire.

Mais A peine de s’en tenir aux mots, il faut poser des regles de determination d’equilibre.

C’est de lA que viennent des distinctions comme celle operBe entre l’absence de motifs Zdggaux qui vise le cas oh une autorite administrative prend une mesure que ne justifient pas les faits qui l’ont motivBe et l’inexistence des motifs Zdggaux qui vise le cas ou le motif allCgu6 est inexistant, ou il est errone, ou encore, formule frappante, ou il y a (( erreur de fait ou de droit n l.

Encore les cloisons 6tablies par ces distinctions ne sont-elles pas infranchissables. Car il suf€it, comme le fait le Conseil d’Etat de France, d’Ctendre la notion de t( pouvoir lit! )), de proceder par une opdration purement prktorienne A une certaine qualification des actes administratifs, pour weer ce que M. De Laubadere appelle (( le pouvoir lie jurisprudentiel H et par ricochet 6tendre considera- blement le contrdle du fait A travers le contrdle des motifs 16gaux.

Que peut-on d6duire de la complexit6 de ces 616ments de la recherche du fait et du droit?

A cette division se superpose encore pour chaque volet une autre dis- tinction : d’une part les cas de compktence like : ce sont les cas dans lesquels l’administration est tenue d’agir ou d’agir d’une certaine facon ; d’autre part les cas de compktence discrktionnaire, c’est-A-dire les cas, dans lesquels l’administration apprecie librement si elle doit agir et est beaucoup plus libre dans le choix de ses modes d’action.

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JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT DE BELGIQUE 497

De quelque manibre qu’on les aborde, tous ces elements ont trait a la qualification. Ce qui n’est point Ctonnant car la qualifi- cation est le probleme du juge.

La qualification est un rapport, car c’est l’application d’une definition.

Isoles, les elements d’une definition ne sont que des phenomhes plus ou moins concrets. La realitk, ou une certaine r6alite de leur existence, ne nous apparait que lorsqu’ils sont mis dans certains rapports avec d’autres phenomenes, lorsqu’on aperqoit leur inter- action. L’agent de 1’Etat n’est ni un individu, ni 1’Etat. C’est un homme, qui par son activite, contribue au fonctionnement de l’ap- pareil Ctatique et ce n’est que dans ce rapport qu’il est un agent de 1’Etat.

Ainsi la qualification n’est ni le fait materiel, ni la norme juri- dique. C’est le rapport que le juge etablit entre le fait e t la norme.

De la provient la difficulte de la qualification. Le juge n’est point un temoin du fait : il doit le reconstituer. Mais cette recons- titution, il ne I’opere qu’en vue de la recherche de la norme appli- cable.

P a r consequent, sa recherche du fait est deja une interpretation du fait.

D’autre part, mCme lorsque la norme parait Claire, l’application qui en est faite, est equivoque. Car appliquer une rbgle de droit, c’est dire que telle est la volontk de celui qui l’a posee, c’est inter- preter une volonte. Et c’est ce que doit faire le juge.

Revenons-en maintenant a la question que nous posions : ((Action immediate. Action mediate. Est-ce la ce qui distingue le recours pour exces de pouvoir et le recours en cassation? ))

Oui, mais la distinction va bien plus loin. C’est la gradation dans le pouvoir de qualification qui distingue les deux recours.

Tout juge qualifie. Dans la mesure oh le juge est (( libre )) dans son appreciation des

faits e t dans son interpretation de la norme, il est plus porte 9 juger l’interaction des faits e t de la norme, a juger de I’opportunite de la mesure administrative. Dans la mesure oh, en raison de la structure des juridictions, le juge est tenu par une appreciation (( souveraine o anterieure d’un autre juge, il est plus port6 A ne voir que le sens 11

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gBn6ral de la norme, Q ne pas appr6cier le bien-fond6 de l’action de 1’ administration.

Ce sont ces deux tendances qui se revblent Q l’examen des deux genres de recours.

Commenqons par l’excbs de pouvoir. L’on dit souvent que ce n’est qu’en matiere de police que le

contr8le du Conseil d’Etat va jusqu’A la v6rification de l’opportu- nite. Les Franqais disent que le Conseil d’Etat v6rifie si les motifs sont suffisants pour justifier la mesure 6dictCe et si la gravit6 de celle-ci est proportionnke A l’importance et aux caracteres des faits qui l’ont provoquee.

I1 est certain qu’il en est ainsi dans la jurisprudence du Conseil d’Etat de Belgique en ce qui concerne la libert6 des spectacles. Dans de nombreux arrCts rendus en la matibre, le Conseil d’Etat a soulignd que pour que soit respect6 l’article 97 de la loi communale, il faut qu’il y ait des circonstances exceptionnelles et de plus que ces circonstances soient telles que la tranquillitk publique ne puisse Ctre maintenue que par l’interdiction. Ainsi le Conseil est amene A vkrifier si les circonstances 6taient telles et si la mesure est appro- priee A la menace.

Peut-Ctre dira-t-on avec De Laubadbre que ce n’est pas la juger l’opportunit6 mais la 16galit6, parce qu’en matiere de police l’adap- tation de la mesure A la gravit6 des faits constitue un ClCment de lkgalite ; en un mot que le pouvoir de police n’est jamais discr6tion- naire, qu’il est toujours Ctroitement 1%. Pour notre probleme, qui est celui de l’examen du fait, cette subtilit6 importe peu.

La v6rification du fait apparait aussi comme pouss6e tres loin dans l’examen d’un rbglement communal de police de roulage, approuv6 par arrCt6 royal 2. Le Conseil d’Etat a commis un expert pour vkrifier l’existence des motifs de l’arrCt6 royal, A savoir ces elements de fait que sont les possibilitks d’acces A la voie publique des camions d’un transporteur, la dbthrioration de la voie publique par les dits v6hicules e t le trouble qu’ils apportent A la circulation.

1 Universal Films (44)’ Luxor Films (225)’ Universal Films (588)’ Klock

‘Etablissements Calmein & C * e (5884)’ voir la note d’observation de (1994), Boris Seltzer (4742) et Benelux Films (5504).

M. QUINTIN, Le mouuement communal, mars 1958, p. 181.

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JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT DE BELGIQUE 499

Le Conseil annule 1’arrCte royal pour le motif (( qu’il r6sulte de l’examen des griefs invoques tout autant que des conclusions de l’expertise ordonnee, que 1’arrCte attaque est fonde sur des motifs inexacts o.

L’on se trouve encore en matiere de police quand il s’agit du pouvoir du bourgmestre en ce qui concerne les bitiments menaqant ruine. Le Conseil d’Etat qui a eu l’occasion d’examiner des arrCtCs du bourgmestre en la matiere, affrme sa competence sans pousser les choses jusqu’h verifier le peril que presente l’immeuble. Mais l’on notera cependant que le Conseil d’Etat a soigneusement relev6 les preuves du danger et de son aggravation progressive, la necessit6 de dkmolition et les mises en garde par des personnes competentes l, ou encore ((que le requerant ne conteste pas que son immeuble menace ruine et presente du danger pour les passants o 2.

Mais nous ne sommes certes plus en matiere de police lorsqu’il s’agit de la discipline des fonctionnaires. Or dans diffkrents arrCts, le Conseil d’Etat a verifie l’exactitude des faits e t leur appreciation, pour conclure par exemple (( qu’il ne rksulte pas des documents pro- duits que les faits mis h charge (du fonctionnaire puni) puissent Ctre tenus pour inexistants )) 3.

E t l’on notera aussi la formule d’un autre arrCt : (( Que le fait de l’altkration de plusieurs actes administratifs est matkriellement etabli ; que ce fait est susceptible de justifier a lui seul au regard du statut des agents de 1’Etat la peine de la retrogradation )) *.

Et nous ne sommes pas davantage, pensons-nous, en matiere de police quand il s’agit d’adjudications. Or dans plusieurs arrCts, le Conseil d’Etat a pouss6 la verification du fait jusqu’h un point qui lui permet de se prononcer sur el’exactitude materielle des omissions signalees )). Certes, il ajoute (( qu’il n’est pas de la compe- tence du Conseil d’Etat de substituer son appreciation h celle de l’administration, qu’il s’agisse de juger de la conformite au cahier

Leloup (2660). ‘Maertens (4237). Voir aussi Van Ginderachter (6150). Consulter A ce

sujet Les immeubles menapnt ruine, Michel Dumont, RJDA, 1955, p. 168. sLauwers (1540). Voir aussi Devillers (5392)’ Denijs (3880), Van Rie

(679). Charles (5040).

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500 H. BUCH

de charges ou du caractere plus avantageux pour le maitre de l’ouvrage d’une offre sur l’autre, du moment qu’aucune erreur objective sur les elements determinants de la decision n’est eta- blie )) 1.

Mais dans une autre affaire 2, le Conseil d’Etat annule parce que ((l’afirmation que la requerante ne produisait pas de meubles d’acier est entachbe d’erreurs o et que l’affirmation des rapports etablis pour le Conseil des ministres que l’offre de l’adjudication est la plus basse des offres (( conformes o n’est pas exacte.

Dans d’autres causes encore le Conseil a v6rifik la conformite du projet approuvk au cahier des charges, notamment lorsqu’il a fait 6tablir par expert ce qu’il fallait entendre par (( b6ton prkcon- traint R et decide que (( le soumissionnaire introduisant une offre ou il est fait usage du bkton prkcontraint ne satisfait pas au prescrit du cahier des charges D s.

Et lorsque le Conseil d’Etat v6rifie s’il y avait (( urgence o pour une fourniture de camions militaires ne procede-t-il pas tout a la fois A la verification des circonstances de fait, A leur appreciation, A leur qualification? Et ne faut-il pas aussi relever que le Conseil, en ce qui concerne la promotion d’un oficier, qui est au choix du roi, c’est-A-dire de competence discretionnaire, dkclare : (( L’ancien- net6 des officiers ne peut s’apprecier exclusivement sur la base de la date de l’arrete de nomination A ce grade, mais bien en fonction des circonstances diverses de la carriere des officiers et de la date des arr&tes de nomination aux autres grades s. o Et encore que le Conseil dCcide qu’il (( lui incombe de determiner le sens que juridi- quement les mots a action d’eclat o ont dans I’OG 74/49 et de

Etablissements Garnier (4031). * Ateliers Bruneau (3772). On notera aussi que l’arrct est fond6 sur ce

que (( le ministre n’Btait pas en mesure d’exercer son pouvoir d’apprCciation. Que s’il trouvait dans le rapport ou le dossier qui h i Btaient soumis des BlBments Ctablissant que la SociBtB Travaux et MBtallurgie Btait plus apte que la requbrante A exBcuter la commande, que s’il a B t B procede A une visite des usines de la requkrante ... les usines Travaux et MBtallurgie n’ont pas B t B visitBes u.

* De Nu1 (5138). Voir aussi Doriat (5127) pour les erreurs dans l’indi- cation des mBtrBs.

4 Peeters (3587). Foulon (584).

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JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT DE BELGIQUE 501

verifier par rapport a cette signification, si la decision du ministre est conforme aux elements du dossier o l.

On pourrait certes poursuivre cette analyse en ce qui concerne les autorisations de transport2, la qualite de chef de culture3, l’accomplissement du service militaire ou d’un stage de notaire 6,

l’aptitude physique d’un fonctionnaire a remplir ses fonctions 6, etc. Dans la recherche des motifs d’un acte, la volonte de son auteur

e t la conformite de l’acte a cette volontk est un element important. La chose peut Ctre relativement simple lorsque l’auteur de l’acte est une personne physique. Ainsi, le Conseil a constate que le ministre a voulu punir le fonctionnaire interessk, mais que la mesure prise n’est pas une punition ’, ou a estime qu’en l’espbce une inter- vention d’un ministre aupres d’un organe place sous son contrble ne pouvait 6tre considere comme une immixtion

Mais quand il s’agit d’une personne juridique? Pourtant le Conseil a verifie les circonstances de fait pour etablir si la demission d’un agent communal avait C t C offerte et acceptee par le conseil communal 8, si l’autorite communale avait decide l’adjudication lo.

Et recemment, le Conseil d’Etat a jugti, que m6me si le rkgle- ment de police d’un conseil communal se fondait entre autres sur la nkcessite de proteger l’ordre public, son veritable but etait d’as- surer la protection des pigeons ll.

On peut encore citer un arr6t interlocutoire qui ordonne des mesures d’instruction pour (( degager si un Ctablissement determine releve de l’application de l’article 2bis du reglement de police

Moeykens (3305). Sous le second arr6t en la m&me cause (3578), le Conseil ajoute que (( si le Conseil d’Etat a le pouvoir de vCrifler si la decision du ministre n’est pas contraire aux elements du dossier, ilne peut subs- tituer son pouvoir d’apprdciation A celui du ministre )).

* Borremans (5365).

‘Van den Eynde (930).

a Kennis (6735) ; Philtjens (6765).

Van Zuylen-Van Nijvelt (1605).

De Necker (5621).

Leonard (1726). Van Herck (6711).

0 Ryckeboer (349) et ville de Malines (3077). lo Etablissements Lagrou (5284). 11 Teeuwen (6697).

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communal sur les b6tissesy du plan particulier d’amenagement, ou du rbglement general pour la protection du travail D l.

Dans une matibre bien speciale, le Conseil, pour annuler un arrCtC ministbriel, refusant de relever un contribuable d’une d6chCance de recours en matibre d’impdts, a relev6 (( qu’un element paraissant essentiel A la determination exacte de la situation du requerant A 1’6gard de l’impdt extraordinaire oY n’avait pas et6 anterieurement invoqu6, ni examin6 2.

Ce qui est encore plus frappant : dans l’hypothese du pouvoir discretionnaire, l’inexistence des motifs semble A premibre vue sans inter&. Tel serait le cas lorsqu’il s’agit de l’apprkciation par l’auto- rite supdrieure de l’intCr6t general. Et cependant le Conseil d’Etat retient le motif errone, comme viciant l’actes. Et la doctrine lui vient A l’appui en echafaudant en France differents systbmes dont le plus souriant est sans doiite celui de Bonnard selon lequel tout acte doit toujours avoir un principe rationnel, ce qui implique que tout acte doit avoir un motif.

Que peut-on deduire de l’ensemble de ces decisions? Le Conseil d’Etat de Belgique se reconnait toujours competent pour v6rifier si la rbgle de droit 6tait applicahle B l’espbce ; il est plus reserve dans la qualification des faits e t par voie de consequence dans l’appre- ciation du bien-fond6, de l’opportunite, de la mesure prise; il reprend sa libert6 quand il s’agit d’apprkcier la manibre dont les circonstances de fait ont 6t6 6tablies.

Et passons maintenant au dernier point : Comment se fait la verification du fait par le juge de cassation?

I1 semble que Yon puisse faire abstraction, pour ce qui nous interesse de deux elements primordiaux dans le recours en cassa- tion : la preuve et la motivation.

Ville d‘Ostende (6221). a Houtart (5850). a Commune de Forribres (2866) : (I Que la partie adverse soutient que la

decision incriminee Bchappe au contrble du Conseil d’Etat parce qu’elle est fondee sur l’intkr&t general dont la definition relbve dans chaque cas du pouvoir d’appreciation du roi lorsque celui-ci exerce le pouvoir de tutelle ; que le Conseil d’Etat doit verifier si l’autorit6 qui a la tutelle dans ses attri- butions est derneuree dans les limites de son pouvoir #appreciation ; ... ... que l’autoritk supkrieure n’a pas trouve dans l’acte sur lequel elle exeyait son pouvoir d’appreciation, le caractere d’un acte blessant l’inter&t general. *

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La preuve est une notion abstraite. I1 s’agit pour nous de savoir ce dont le requerant est admis A faire la preuve. Savoir si les rtgles de preuves ont Ct6 respectees ou non, c’est une question de proce- dure, c’est-A-dire non plus un fait des parties ou de tiers, mais le fait du juge. Or les faits du juge sont regles par les dispositions concernant la procedure Le juge de cassation administrative peut toujours constater leur violation, e t annuler la decision prise si les formes Ctaient substantielles ou prescrites A peine de nullite.

De la motivation, un auteur italien Calogero a dit fort justement qu’elle est la cle de tous les recours )) et que l’abus qui en est fait entraine une surcharge pour la Cour suprbme 2. I1 n’y a pas d’argu- ments de fait qu’on ne puisse A coups d’arguties revbtir de l’habit de la motivation. Ce qu’il importe de savoir au depart c’est qu’en principe l’examen du fait est interdit au juge de cassation. Cela resulte dans certains cas de dispositions expresses: quand la loi decide qu’une commission, c’est-A-dire une juridiction administra- tive statue en dernier resort, cela implique que celle-ci tranche definitivement le fait. C’est le cas en matihe de dommages de guerre 3, de pensions de reparation 4, d’agrkation de prisonniers politiques6, d’allocations de ch6mage6, pour ne citer que quelques cas.

L’interdiction ainsi faite semble aussi deduite de la conception generale de la fonction d’une juridiction de cassation. Mais cette conception semble devoir btre adaptee au r6le particulier de la cassation administrative. Le Conseil d’Etat, auquel on doit dans la requbte exposer les faits, connait non seulement de la violation des dispositions legales, mais encore de d’exces de pouvoiro, ce qui est une notion beaucoup plus large.

Or, comme le constate M. De Laubadere, le Conseil d’Etat de France se reconnait le droit de contrbler l’existence matdrielle des

On y ajoutera les principes qui en sont dkduits pour ce qui concerne le droit de la dkfense.

2 CALOGERO, op . cit . , p. 172 : (( I1 difetto di motivazione B diventato una specie di chiave universale, buona per riportare qualsiasi questione di fronte alla suprema corte, con non lieve aggravio delle sue fatiche. o

a Wuyts (2688). Braet (4386).

6 Verrees (3849). MarCe (5327).

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faits sur lesquels repose la decision juridictionnelle, la seule limite etant que le juge de cassation ne peut verifier l’existence des faits que tels qu’ils ressortent des pieces du dossier soumis au juge 0.

Des lors la limitation commence a devenir beaucoup moins rigou- reuse. Car le Conseil d’Etat a annule la decision d’une juridiction administrative en matifire de pensions de reparation parce qu’en retenant par (levers elle certaines pieces, l’administration a donne a un acte (( une interpretation qui est contraire a sa teneur )) 1.

Dans une autre cause le Conseil d’Etat annule parce que la commission d’appel d’agreation des prisonniers politiques neglige d’avoir egard aux justifications fournies par le requerant pour ne retenir que les elements qui lui sont d6favorables 2.

Cette premiere breche n’est pas la seule : il y a la deuxieme plus eficace encore, semble-t-il : la qualification des faits.

Et l’on retiendra ii ce sujet que le Conseil d’Etat a rejete le moyen fonde sur ce que ((la commission d’appel des pensions de reparation statue seule sur la force probante des elements produits devant elle quant ii la qualite de militaire du requ6rant )), pour le motif (( qu’il appartient au Conseil d’Etat de v6rifier si la commis- sion d’appel a, a bon droit, estim6 qu’en vertu des dispositions Iegales, le requerant possedait la qualit6 de militaire )) 3.

Poiir ces matieres du droit vieilles et connues qui appartiennent au droit civil, les notions sont d’ordinaire recues et admises: cela est dii en grande partie a l’action des tribunaux et A la r6p6tition des affirmations de principe dans la jurisprudence. Or, c’est un truisme de dire que les juridictions administratives n’ont pas et6 construites methodiquement et que, prises dans leur ensemble, elles ne sont pas cohkrentes.

D’autre part, deux secteurs importants du droit administratif moderne couvrent des matifires dont l’apparition dans le droit est rkcente : le droit des victimes de la guerre - le droit social.

I1 a appartenu au Conseil d’Etat de degager de trbs nombreuses notions. Pour n’en citer que quelques exemples: la notion de

Dylst (5642). * Crutzen (2828). 8 Stengele (5435).

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(( salaire )) en matiere de ch8mage ; la notion de (( cause directe et indirecte o en matiere de dommages de guerre aux biens ; la notion de (( lesions )) en matiere de dommages aux personnes, la definition de la notion ((force majeure )) en matiere d’indemnitk de milice, le fait du service militaire en matiere de pensions de reparation, la notion (( d’actes attentatoires a l’honneur 1) en matiere de resistance ou (( d’acte patriotique )) en matiere de reconnaissance de prison- niers politiques.

Certes, repliquera-t-on, le schema subsiste : le juge de cassation ne modifie pas le fait. I1 dit seulement le droit en declarant que tel ou tel acte releve ou ne releve pas de telle categorie juridique et c’est seulement a ce moment que son action se manifeste.

Cela est vrai. Mais verifier en matiere d’allocations de milice, le calcul des revenus l, contr8ler l’appreciation de juridictions admi- nistratives quant a I’existence d’une force majeure qui a empCch6 l’introduction en temps utile de la demande 2, estimer que tels faits sont incompatibles avec la fonction d’oficier3, ou que tel acte d’un ch8meur quoique volontairement pose n’est pas un acte volontaire au sens de la reglementation du chdmage * ou encore que tel dommage est la conskquence directe ou indirecte a un fait de guerre : est-ce la se limiter a la qualification au sens ou on l’entend ordinairement ?

Et ne retrouvons-nous pas ici une certaine analogie avec I’acti- vit6 du juge de l’exces du pouvoir en ce qui concerne l’opportunitb? Ce qui ne doit pas nous surprendre : la disposition legale qui regle la competence du Conseil d’Etat pour ces deux genres de recours est la mCme et les m6mes personnes sont Sr la fois juge de l’exces de pouvoir e t juge de la cassation.

Nous voudrions citer un exemple qui nous semble frappant. Dans diffbrentes matieres, la loi autorise la revision en cas de faits ou d’elements nouveaux. Dans combien de decisions le Conseil,

Etat belge contre Zurings (4883).

Capoen (382). Joris (6718). Postman (1943), en matibe de dommage aux personnes, Ghysels et

* Etat belge contre van Houwaert (4770).

Etat belge (4467 A 69), en matihe de dommage aux biens.

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aprbs avoir analysd la notion de fait nouveau, n’a-t-il pas annule parce qu’A tort les j uridictions administratives avaient en l’esphce refus6 d’admettre tel 616ment produit comme relevant de cette notion l ?

N’Ctait-ce pas, sous le couvert de la v6rification du fait nouveau, apprkcier la nouveaut6 du fait ?

De ce bref examen, il semble que l’on puisse tirer les conclusions suivantes pour le probleme du fait et du droit dans la jurisprudence du Conseil d’Etat :

l o I1 n’y a pas de (( foss6 n entre le fait et le droit. MCme dans la cassation administrative un certain contrale du fait est toujours possible.

20 Sans m6me parler des cas oh le contrdle du fait est effectue par le juge administratif qui statue au fond, un certain contrdle du fait est toujours possible par la voie de la qualification.

30 La compbtence de tout juge est d6termin6e par sa fonction propre dans le cadre g6n6ral de l’administration de la justice. S’agissant du juge administratif, il convient de se rappeler que son r61e est de veiller A la 16galit6 des actes de l’administration, sans se substituer pour autant A l’administration.

La conception que le juge administratif se fera de ce rale et la nature de son intervention seront, dans une certaine mesure, fonc- tion de 1’6quilibre qui se r6alisera entre ces deux forces : d’une part l’action de l’ex6cutif et d’autre part l’action du juge charge de contraler la 16galitC des actes de ce pouvoir.

Niederprum (3212) : e ... que si la commission d’appel des pensions de reparation appr6cie souverainement la materialit6 des Bldments nouveaux produits h l’appui d‘une demande de revision, il appartient au Conseil d’Etat de contr8ler le caracthe legal que la commission d’appel attribue ces elements nouveaux. B

Ninitte (5260) : 4 ... que la commission d’appel des pensions de reparation ne pouvait rejeter 1’616ment nouveau invoque sans examiner les raisons pour lesquelles le ministre de la defense nationale avait propose le defunt pour l’attribution d’une distinction honoriflque. D