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Dimanche 3 - Lundi 4 mai 2015 - 71 e année - N o 21863 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA Ce mardi 28 avril, Frédéric Migay- rou prend le micro devant une cinquantaine de journalistes, qui viennent de découvrir l’exposi- tion « Le Corbusier », à voir au Centre Pompidou jusqu’au 3 août. « Bon, on va poser la question qui fâche, maintenant », lance ce commissaire de l’exposition. Tout le monde comprend. Elle tient en cinq mots : « Le Corbusier est-il fasciste ? » Fasciste, celui que l’on surnomme avec paresse le « Pi- casso » ou l’« Einstein » de l’archi- tecture, le génie de la modernité de l’entre-deux-guerres ? Poser la question suffit à jeter l’opprobre sur Charles-Edouard Jeanneret, né en 1887 en Suisse, devenu Le Corbusier en 1922. La poser au Centre Pompidou re- vient à y jeter une boule puante. Mais voilà, trois livres sont parus qui décrivent la face obscure du maître : sa fréquentation de cer- cles fascistes dans la France des années 1930. LIRE L’ENQUÊTE DE MICHEL GUERRIN PAGE 16 Le Corbusier, l’architecte de la Cité radieuse, était-il fasciste ? ENQUÊTE L'HISTOIRE DU JOUR La star américaine Katy Perry trouble la géopolitique asiatique D es milliers de jeunes fans qui agitent des tubes fluorescents : Unconditio- nally, le tube de la star américaine Katy Perry, a reçu un accueil enthousiaste au Taipei Arena le 28 avril. Et pour cause : la chanteuse, vêtue pour cette chanson d’une robe verte scin- tillante, deux tournesols agrafés sur les seins, s’est spontanément emparée d’un drapeau de la République de Chine (Taïwan), qu’elle a porté en cape tout au long du spectacle. Une double connotation explosive dans le monde chinois. Les fleurs de tournesol de la robe mais aussi du décor faisaient partie de la panoplie de Katy Perry pour le parcours asiati- que de sa tournée mondiale, qui l’avait menée à Tokyo, Canton et Shanghaï. Mais elles consti- tuaient une référence (involontaire ?) au « mouvement des tournesols », qui a paralysé pendant trois semaines, il y a un an, le Parle- ment taïwanais : distribuées aux manifestants, les fleurs devinrent l’emblème d’une jeunesse gardienne de la souveraineté de l’île face à la Chine voisine et aux tractations opaques du Kouomintang (le KMT, au pouvoir à Taïwan) avec son ancien ennemi communiste. La République de Chine (RDC) est prison- nière d’un statu quo délicat, « ni indépen- dance ni réunification », la Chine populaire s’appliquant à saboter tous ses attributs de souveraineté : Pékin a ainsi poussé le Népal à refuser l’aide de Taïwan pour le séisme du 25 avril. Le drapeau officiel de la RDC est lui un enjeu de la coexistence fragile entre Taipei et Pékin : initialement associé au KMT, il n’en est pas moins devenu le symbole de ralliement de la génération militante des tournesols. Son in- terdiction en 2008 dans les environs immé- diats de la délégation chinoise, lors de la visite historique à Taipei de l’envoyé officieux de Chine populaire, par un gouvernement taïwa- nais soucieux de ménager Pékin, forgea la conscience contestataire des organisateurs des ma- nifestations de l’an der- nier. A Taipei, mardi soir, la prestation de Katy Perry a « ému aux larmes » cer- tains de ses fans, a rapporté le Ziyou Shibao (« Liberty Times »), porte-drapeau du camp indépendantiste. La brunette aux yeux bleus n’en est pas à son premier coup d’éclat en Asie : dans L’Inter- view qui tue !, la comédie satirique de Sony, la révélation de la passion cachée de Kim Jong-un pour Firework, autre tube de Katy Perry, par le journaliste qui l’interroge, finira par faire « craquer » le dictateur nord-co- réen, entraînant sa chute et… la démocrati- sation du pays ermite. p brice pedroletti (pékin, correspondant) LA CHANTEUSE N’EN EST PAS À SON PREMIER COUP D’ÉCLAT EN ASIE GRÈCE LE PRÉSIDENT ALLEMAND N’EXCLUT PAS DE PAYER DES RÉPARATIONS LIRE PAGE 4 LONDRES ET LE PIÈGE DU « BREXIT » LIRE PAGE 26 ARABIE SAOUDITE HOLLANDE ACCUEILLI APRÈS LE COUP DE FORCE DU ROI SALMAN LIRE PAGE 5 BALTIMORE SIX POLICIERS POURSUIVIS POUR HOMICIDE APRÈS LA MORT DE GRAY LIRE PAGE 5 PATACHOU L’INTERPRÈTE, QUI DÉCOUVRIT BRASSENS, NE CHANTERA PLUS LIRE PAGE 18 David Cameron le 14 avril à Swindon. PETER MACDIARMID/REUTERS L’Europe, enjeu crucial des élections britanniques Le premier ministre sortant, David Cameron, a promis un référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union européenne, s’il remporte les élections de jeudi 7 mai. L’Europe continentale s’inquiète LIRE PAGES 2 ET 3 I l s’est retiré avec sa petite équipe, rue de l’Université, à deux pas de l’Assemblée nationale. Depuis la mi- octobre, Alain Juppé se prépare à la pri- maire UMP. Le calendrier est calé. Le maire de Bordeaux a prévu de publier quatre livres programmatiques dans les seize prochains mois. Un premier en septembre 2015 sur l’éducation, « la mère des réformes », selon l’ancien pre- mier ministre ; un deuxième en jan- vier 2016 sur les thématiques régalien- nes ; un troisième en avril suivant sur l’économie et un quatrième en septem- bre 2016, qui fera office de synthèse et précisera sa vision européenne et inter- nationale juste avant la primaire. « On fait le pari du sérieux, pas du populisme. On s’inscrit dans une campagne pro- fonde, pas sur une campagne de slogan et d’estrade », explique le député de la Marne, Benoist Apparu. Une manière de se démarquer du rival, Nicolas Sarkozy, dont les juppéistes soulignent le man- que de travail sur le fond. « La matière grise est de notre côté. Certains balayent ça d’un revers de main mais, à la fin, cela fera la différence », veut croire Gilles Boyer, conseiller du maire de Bordeaux. « L’avantage d’Alain Juppé, c’est qu’il a une colonne vertébrale », renchérit le dé- puté de Savoie Hervé Gaymard. LIRE PAGE 8 ET LA TRIBUNE DE NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET ET LAURENT WAUQUIEZ SUR « LES RÉPUBLICAINS » PAGE 14 Alain Juppé, le candidat qui mise sur la « matière grise » Le maire de Bordeaux espère remporter la primaire UMP avec une équipe resserrée et un programme libéral PETER SARSGAARD JÉRÉMIE RENIER EMILY MORTIMER CLAUDE RICH LIAM CUNNINGHAM & © LE BUREAU FILMS - 2015 / PHOTOS DECORS : WOLF AVNI - CRÉDITS NON CONTRACTUELS CRÉATION LE 6 MAI AU CINÉMA WWW.REZOFILMS.COM

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Dimanche 3 - Lundi 4 mai 2015 ­ 71e année ­ No 21863 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

Ce mardi 28 avril, Frédéric Migay­rou prend le micro devant une cinquantaine de journalistes, qui viennent de découvrir l’exposi­tion « Le Corbusier », à voir au Centre Pompidou jusqu’au 3 août. « Bon, on va poser la question qui fâche, maintenant », lance ce commissaire de l’exposition. Tout le monde comprend. Elle tient en cinq mots : « Le Corbusier est­il fasciste ? » Fasciste, celui que l’on surnomme avec paresse le « Pi­casso » ou l’« Einstein » de l’archi­tecture, le génie de la modernité de l’entre­deux­guerres ?

Poser la question suffit à jeter l’opprobre sur Charles­Edouard Jeanneret, né en 1887 en Suisse, devenu Le Corbusier en 1922. La poser au Centre Pompidou re­vient à y jeter une boule puante. Mais voilà, trois livres sont parus qui décrivent la face obscure du maître : sa fréquentation de cer­cles fascistes dans la France des années 1930.

→ L IRE L’ENQUÊTE DE MICHEL GUERRIN PAGE 16

Le Corbusier, l’architecte de la Cité radieuse, était­il fasciste ?

ENQUÊTE

L'HISTOIRE DU JOUR La star américaine Katy Perry trouble la géopolitique asiatique

D es milliers de jeunes fans qui agitentdes tubes fluorescents : Unconditio-nally, le tube de la star américaine Katy

Perry, a reçu un accueil enthousiaste au Taipei Arena le 28 avril. Et pour cause : la chanteuse, vêtue pour cette chanson d’une robe verte scin­tillante, deux tournesols agrafés sur les seins, s’est spontanément emparée d’un drapeau de la République de Chine (Taïwan), qu’elle a porté en cape tout au long du spectacle.

Une double connotation explosive dans lemonde chinois. Les fleurs de tournesol de la robe mais aussi du décor faisaient partie de la panoplie de Katy Perry pour le parcours asiati­que de sa tournée mondiale, qui l’avait menéeà Tokyo, Canton et Shanghaï. Mais elles consti­tuaient une référence (involontaire ?) au « mouvement des tournesols », qui a paralysé pendant trois semaines, il y a un an, le Parle­ment taïwanais : distribuées aux manifestants,les fleurs devinrent l’emblème d’une jeunesse gardienne de la souveraineté de l’île face à la Chine voisine et aux tractations opaques du Kouomintang (le KMT, au pouvoir à Taïwan) avec son ancien ennemi communiste.

La République de Chine (RDC) est prison­nière d’un statu quo délicat, « ni indépen­dance ni réunification », la Chine populaire s’appliquant à saboter tous ses attributs de souveraineté : Pékin a ainsi poussé le Népalà refuser l’aide de Taïwan pour le séisme du25 avril.

Le drapeau officiel de la RDC est lui un enjeude la coexistence fragile entre Taipei et Pékin :initialement associé au KMT, il n’en est pas moins devenu le symbole de ralliement de la génération militante des tournesols. Son in­terdiction en 2008 dans les environs immé­diats de la délégation chinoise, lors de la visitehistorique à Taipei de l’envoyé officieux deChine populaire, par un gouvernement taïwa­nais soucieux de ménager Pékin, forgea la conscience contestatairedes organisateurs des ma­nifestations de l’an der­nier. A Taipei, mardi soir, laprestation de Katy Perry a « ému aux larmes » cer­tains de ses fans, a rapportéle Ziyou Shibao (« Liberty Times »), porte­drapeau du camp indépendantiste.

La brunette aux yeuxbleus n’en est pas à sonpremier coup d’éclat en Asie : dans L’Inter-view qui tue !, la comédie satirique de Sony,la révélation de la passion cachée de KimJong­un pour Firework, autre tube de Katy Perry, par le journaliste qui l’interroge, finirapar faire « craquer » le dictateur nord­co­réen, entraînant sa chute et… la démocrati­sation du pays ermite. p

brice pedroletti

(pékin, correspondant)

LA CHANTEUSE N’EN EST PAS À SON PREMIER COUP D’ÉCLAT EN ASIE

GRÈCELE PRÉSIDENT ALLEMAND N’EXCLUT PAS DE PAYERDES RÉPARATIONS→ L IRE PAGE 4

LONDRES ET LE PIÈGE DU « BREXIT » → L IRE PAGE 26

ARABIE SAOUDITEHOLLANDE ACCUEILLI APRÈSLE COUP DE FORCE DU ROI SALMAN→ L IRE PAGE 5

BALTIMORESIX POLICIERS POURSUIVIS POUR HOMICIDE APRÈSLA MORT DE GRAY→ L IRE PAGE 5

PATACHOUL’INTERPRÈTE, QUI DÉCOUVRIT BRASSENS, NE CHANTERA PLUS→ L IRE PAGE 18

David Cameron le 14 avril à Swindon. PETER MACDIARMID/REUTERS

L’Europe, enjeucrucial des élections britanniques▶ Le premier ministre sortant,David Cameron, a promis un référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union européenne, s’il remporte les élections de jeudi 7 mai. L’Europe continentale s’inquiète

→ L IRE PAGES 2 ET 3

I l s’est retiré avec sa petite équipe,rue de l’Université, à deux pas del’Assemblée nationale. Depuis la mi­

octobre, Alain Juppé se prépare à la pri­maire UMP. Le calendrier est calé. Lemaire de Bordeaux a prévu de publierquatre livres programmatiques dans lesseize prochains mois. Un premier en septembre 2015 sur l’éducation, « la

mère des réformes », selon l’ancien pre­mier ministre ; un deuxième en jan­vier 2016 sur les thématiques régalien­nes ; un troisième en avril suivant surl’économie et un quatrième en septem­bre 2016, qui fera office de synthèse etprécisera sa vision européenne et inter­nationale juste avant la primaire. « Onfait le pari du sérieux, pas du populisme.

On s’inscrit dans une campagne pro-fonde, pas sur une campagne de slogan et d’estrade », explique le député de la Marne, Benoist Apparu. Une manière dese démarquer du rival, Nicolas Sarkozy,dont les juppéistes soulignent le man­que de travail sur le fond. « La matière grise est de notre côté. Certains balayentça d’un revers de main mais, à la fin, cela

fera la différence », veut croire GillesBoyer, conseiller du maire de Bordeaux.« L’avantage d’Alain Juppé, c’est qu’il aune colonne vertébrale », renchérit le dé­puté de Savoie Hervé Gaymard.

→ L IRE PAGE 8 ET L A TRIBUNE DE NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET

ET L AURENT WAUQUIEZ SUR « LES RÉPUBLICAINS » PAGE 14

Alain Juppé, le candidat qui mise sur la « matière grise »▶ Le maire de Bordeaux espère remporter la primaire UMP avec une équipe resserrée et un programme libéral

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2 | international DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

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londres - correspondant

Un peu par accident, l’Eu­rope a fait irruption, jeudi30 avril, dans le dernierdébat télévisé de la cam­pagne pour les électionslégislatives britanniques

du 7 mai. Le premier ministre conserva­teur, David Cameron, malmené par un électeur qui lui reprochait son silence sur ses alliés possibles dans le prochain gou­vernement, s’est soudain cabré, à quelquessecondes de la fin de son temps de parole :« Les Britanniques méritent vraiment un ré-férendum » sur la sortie de l’Union euro-péenne, a-t-il lancé, avant d’ajouter sèche-ment : « Je ne conduirai pas de gouverne-ment qui n’honorerait pas cette promesse. C’est une ligne rouge. » La remarque est d’abord un avertissement aux libéraux-démocrates, proeuropéens, dont le pre-mier ministre risque fort d’avoir besoin à nouveau pour disposer d’une majorité parlementaire : s’ils veulent continuer de gouverner avec M. Cameron, les LibDems devront accepter le référendum qu’il a pro-mis pour 2017.

« CONSPIRATION DU SILENCE »

Quelques minutes plus tard, le chef del’opposition travailliste, Ed Miliband, in-terrogé séparément, a réitéré sa promesse,diamétralement opposée : s’il est élu, il n’yaura pas de référendum sur le « Brexit » (« British exit ») qui, a-t-il dit, « serait un désastre pour des millions d’emplois, pour les entreprises et les familles ». « Si je suis premier ministre, a poursuivi le chef du La-bour, je veux dépenser mon énergie sur le pouvoir d’achat, l’emploi et la santé, par surcette idée de quitter l’Union européenne. »

Sur aucun autre sujet les deux préten-dants au pouvoir ne soutiennent des po-sitions aussi discordantes. Pourtant, l’Eu-rope est la grande absente de cette campa-gne électorale, où aucun des deux camps, à quasi-égalité dans les sondages (34 %pour les Tories, 33 % pour le Labour), ne

parvient à creuser l’écart. La question européenne n’arrive qu’en septième posi-tion des préoccupations exprimées par les électeurs, et les partis politiques ontsoigneusement évité le sujet.

« Cela ressemble à une conspiration du si-lence sur ce qui est probablement l’enjeu le plus important de ces élections », résume George Parker, rédacteur en chef politiquedu Financial Times. Pour les Britanniques, évoquer l’Europe revient immanquable-ment à parler d’immigration. Aucun desdeux grands partis ne souhaite agiter ce chiffon rouge, de peur de faire le jeu du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, europhobe) dont la raison d’être est la sortie de l’UE, accusée d’empê-cher tout contrôle de l’immigration.

De leur côté, les tories ne tiennent pas àprovoquer le patronat, inquiet de l’incer-titude liée à un référendum, mais qui fi-nance largement leur campagne. Quant au Labour, il sait que son refus du référen-dum n’est pas populaire. Tous les autrespartis, les Verts – proeuropéens – com-pris, en réclament un, en mettant enavant l’impératif démocratique.

Selon un sondage publié en avril par TheGuardian, plus de trois électeurs britanni-ques sur quatre sont favorables au référen-dum, et 46 % voteraient pour le Brexit (38 % contre). Les travaillistes sont d’ailleurs eux-mêmes divisés sur la ques-tion, et beaucoup d’observateurs estiment que, même si Ed Miliband devient premierministre, un référendum aura lieu tôt ou tard tant la pression de l’opinion est forte.« Je suis opposé au référendum, car je penseque c’est aux députés de choisir, estimeCharles Grant, fondateur et directeur du Centre pour la réforme européenne, le principal groupe de réflexion proeuro-péen britannique. Mais je n’ai aucun doute : il y en aura un en 2017 si M. Camerongagne les élections, ou lorsque les conserva-teurs reviendront au pouvoir après 2020. »

Le vote de jeudi prochain ne porte passur l’Europe, mais il va déclencher une dy-namique. Il faudra attendre le détail desrésultats pour en mesurer les conséquen-ces, notamment en termes de calendrier.Tous les sondages reflètent la fragmenta-tion inédite du corps électoral et indi-quent qu’aucun des deux grands partis nepourra gouverner seul. Si David Cameron gagne, le référendum aura lieu, mais plus ou moins facilement selon les alliancesqu’il risque d’être contraint de passer. Al-liés les plus probables, les LibDems pour-raient faire entendre leurs réticences, sur-tout si leur leader, l’actuel vice-premier ministre, Nick Clegg, est battu dans sa cir-

conscription de Sheffield. Si M. Cameron a en outre besoin des voix de du UKIP, latendance sera à l’accélération du référen-dum, puisque le parti de Nigel Farage le ré-clame « le plus rapidement possible ».

« DROIT DE VETO »

Mais c’est encore une fois l’Ecosse, plus fa-vorable au maintien dans l’UE que l’Angle-terre, qui risque de s’inviter avec le plus defracas dans le débat européen. Le parti na-tionaliste écossais, le Scottish National Party (SNP), plus à gauche que le Labour, devrait ravir la plupart, voire la totalité dessièges de députés aujourd’hui détenus parles travaillistes au nord du mur d’Hadrien.Il deviendrait alors un partenaire indis-pensable à ces derniers pour gouverner. Le SNP proclame sa volonté de « sortir David Cameron » de Downing Street, maisson objectif suprême, l’indépendance de l’Ecosse, s’accommoderait mieux en réa-lité d’une victoire de ce dernier.

Non seulement le maintien des tories aupouvoir exacerberait les tensions en Ecosse et favoriserait la revendicationd’indépendance, mais le référendum sur le Brexit pourrait accélérer sa satisfaction. Nicola Sturgeon, chef du SNP, répète que,si une telle consultation a lieu, elle exigeraun « droit de veto » pour éviter que les Ecossais ne soient tirés hors de l’UE contreleur gré par les Anglais. Que l’Ecosse et l’Angleterre votent de façon divergente surle Brexit, et Mme Sturgeon réclamera unnouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Sans lien apparent, les dossiersBrexit et indépendance écossaise risquentdonc de se trouver imbriqués au lende-main des législatives du 7 mai. Il apparaît désormais clairement que les Anglais, s’ilsvotaient pour sortir de l’UE, feraient en même temps un choix qui les révulse : ils divorceraient d’avec les Ecossais. p

philippe bernard

C’EST ENCORE UNE FOIS L’ÉCOSSE

QUI RISQUE DE S’INVITER

AVEC LE PLUS DE FRACAS

DANS LE DÉBAT

L’Europe, enjeu caché du scrutin britannique

Conservateurs et travaillistes, à quasi-égalité dans les sondages, s’opposent sur l’organisation d’un référendum sur le maintien du royaume dans l’UE

Le chef des travaillistes,Ed Miliband, lors d’un débatsur la BBC, le 30 avril.POOL/REUTERS

« Sans la Grande-Bretagne, l’Selon Denis MacShane, ancien ministre des affaires e

ENTRETIEN

londres - correspondant

D enis MacShane, 66 ans,ancien député tra-vailliste (1994-2012), a été

ministre des affaires européen-nes de Tony Blair de 2002 à 2005.Il vient de publier à Londres, Brexit : How Britain Will Leave Eu-rope (« Comment la Grande Breta-gne va quitter l’Europe », éd.I. B. Tauris, non traduit), dans le-quel il s’inquiète d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union euro-péenne (UE), en cas de référen-dum promis d’ici à 2017 par DavidCameron s’il gagne les élections du 7 mai.

Considérez-vous ces législati-ves comme décisives pour l’avenir du pays dans l’Europe ?

Sans le moindre doute, car ellespeuvent entraîner l’organisationd’un référendum sur l’apparte-nance à l’UE. Indépendammentdu résultat d’une telle consulta-tion, la campagne qui le précéde-rait empoisonnerait les relationsdu Royaume-Uni avec le reste del’UE et conduirait à une radicalisa-tion de l’opinion. Comme tous les plébiscites, son résultat serait in-certain. Ce serait aussi la premièrefois, depuis que les Allemands ontdécidé en 1933 de quitter la So-ciété des Nations par référendum,qu’un grand Etat européen pose-rait la question de son départ d’une organisation internatio-nale.

Pourquoi ce choix fondamen-tal a-t-il été si peu débattu pen-dant la campagne électorale ?

Aucun des deux grands partisn’a intérêt à soulever la question :les conservateurs ne veulent pass’aliéner le monde des affaires quiles finance en avouant qu’ils pré-parent deux années de campagneréférendaire déstabilisante

ouvrant éventuellement sur une sortie de l’UE désastreuse pour la City. Quant aux travaillistes, ils neveulent pas reconnaître qu’ils vont priver les électeurs d’un votedémocratique sur l’UE.

Que cherche David Cameron en promettant ce référendum ?

M. Cameron n’a aucune vision,mais une capacité permanente d’adaptation. Il a promis un réfé-rendum pour une seule raison : li-miter l’hémorragie de ses élec-teurs vers le UKIP (Parti pour l’in-dépendance du Royaume-Uni, europhobe). David Cameron n’est profondément ni pour ni contrel’UE. Il appartient simplement àune génération entrée en politi-que à la fin des années 1980, quand Margaret Thatcher a rendutoxique la question européenne.En quelques années, les tories, quiétaient le parti de l’Europe depuis 1945, y sont devenus farouche-ment hostiles. Ils le sont restés.

M. Cameron promet de faire campagne pour le maintien dans l’UE s’il obtient des réfor-mes. A-t-il une chance d’obte-nir satisfaction ?

Personne ne comprend ce qu’ilveut. Il prétend obtenir une révi-sion des traités constitutifs de l’UEen feignant d’oublier que c’est hors de question pour Angela Me-rkel et François Hollande, qui se-ront en campagne électorale en 2017. Il dit vouloir obtenir des règles plus protectrices pour la City, mais dénonce en mêmetemps une Europe trop tatillonne.Il réclame l’élargissement du mar-ché intérieur aux capitaux mais exige en même temps des règles pour protéger le système de santé publique britannique, la BBC et lescompagnies d’assurances londo-niennes. M. Cameron veut aussi pouvoir limiter l’immigration de l’est de l’Europe en oubliant que

L E S É L E C T I O N S A U R O YA U M E - U N I

LE CONTEXTE

UKIPLe premier ministre, David Ca-meron, a promis en 2013 l’orga-nisation d’ici à 2017 d’un réfé-rendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union euro-péenne, sous la pression du parti europhobe UKIP, de Nigel Fa-rage, dont le discours séduit une partie de l’électorat conserva-teur.

ÉCOSSELe parti indépendantiste écos-sais, le SNP, a le vent en poupe dans cette campagne pour les élections du 7 mai. Il devrait ra-vir de nombreux sièges aux tra-vaillistes. Un référendum sur le « Brexit » (« British exit ») relance-rait leurs velléités d’organiser une nouvelle consultation sur l’indépendance de l’Ecosse.

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 international | 3

L’isolement de Londres inquiète BruxellesLes promesses électorales de David Cameron sont reçues avec scepticisme

bruxelles - bureau européen

Bruxelles a pris soin, cesderniers mois, d’éviterles sujets qui pourraientfâcher Londres. Et pré-

fère garder un silence radio à pro-pos des prochaines élections lé-gislatives britanniques. Les insti-tutions européennes savent qu’el-les seront peut-être confrontées, àl’avenir, à de périlleuses discus-sions en cas de référendum sur l’appartenance du pays à l’Unionpromis par le premier ministreconservateur, David Cameron.Avec, à la clé, un éventuel « Britishexit » – ou « Brexit ».

La capitale européenne restetoutefois étonnamment calme durant la campagne. Et pas ques-tion pour les dirigeants de la Com-mission ou du Conseil, mêmedans les contacts les plus discrets, d’avouer leur préférence pour une victoire du Labour d’Ed Milli-band, qui n’envisage, lui, un réfé-rendum qu’au cas où l’UE procé-derait à un nouveau transfert de compétences. Mais même lesconservateurs du Parti populaire européen (PPE) paraissent parfoisse résigner à prendre leurs distan-ces avec David Cameron. « Nouspréférerions, comme presque tout le monde, un maintien dans l’Union. Mais n’oubliez pas que Ca-meron a jugé utile d’obliger ses élus à quitter notre groupeen 2005. Il n’est plus qu’un de noscousins éloignés », ironise un ca-dre du groupe PPE.

Un autre élu du groupe conser-vateur souligne que ce geste,

comme la politique suivie par le premier ministre conservateurdepuis son entrée en fonctions,n’a eu qu’une conséquence : « laréduction de l’influence du Royau-me-Uni ». L’influente diplomatie britannique ne jouerait même plus son rôle dans des débats sur des dossiers majeurs, que ce soit en politique étrangère, en Ukraine ou face à l’organisation Etat islamique, ou dans les dos-siers économiques, comme le fu-tur marché unique numérique oule traité de commerce transatlan-tique (TTIP). L’isolement du Royaume-Uni s’est renforcé après l’échec de la tentative du premier ministre de fédérer l’Allemagne et d’autres contre la candidature du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Com-mission.

Que veut obtenir M. Cameron ?Quand il a promis, en janvier 2013,cette consultation populaire avant la fin de 2017, il a évoqué soitune sortie de l’Union, soit un maintien assorti d’un nouveau statut et d’une participation ré-duite de Londres aux politiques

de l’Union. Selon Alain Dauver-gne, conseiller à l’Institut Jacques Delors, ce qu’espère vraiment le premier ministre conservateur, c’est un « statut d’exception », comparable à celui que John Ma-jor avait déjà tenté d’obtenir lors de la négociation du traité de Maastricht de 1991.

Pouvoirs rendus aux Etats

« David Cameron doit affronter unproblème fondamental : celui de proposer un calendrier de réfor-mes acceptable pour ses partenai-res européens tout en s’assurant le soutien d’un nombre suffisant de députés de son propre camp », analyse Anand Menon, profes-seur de politique européenne auKing’s College de Londres. Dans lerapport 2015 sur l’Europe de la Fondation Schuman, l’universi-taire relève « le voile d’ambiguï-tés » dans lequel se drape le gou-vernement britannique pour dis-simuler ce qu’il exigerait réelle-ment de l’Union.

En mars 2014, il demandait quedes pouvoirs soient rendus aux Etats, que des Parlements natio-naux puissent se réunir pour blo-quer des projets de directiveseuropéennes, que les règles bu-reaucratiques pour les entrepri-ses soient réduites, que la policeet la justice ne subissent pas d’« ingérence » européenne. Il exigeait également une limita-tion des avantages sociaux pour les ressortissants bulgares et rou-mains ainsi qu’un abandon du principe de « l’union toujours plusétroite des peuples européens »,

inscrit dans le traité de Lisbonne.Mais c’est sa volonté de renégo-

cier les textes sur la libre circula-tion des personnes qui a le plus inquiété ses partenaires, à com-mencer par Berlin. La chancelière Angela Merkel a douché ses es-poirs : elle prône, comme M. Junc-ker, le maintien du Royaume-Uni dans l’Union mais dit son opposi-tion à toute remise en cause de la liberté de mouvement.

Jean-Claude Juncker a fixé la li-gne européenne dans Le Mondedu 30 avril : « Je ne veux pas que laGrande-Bretagne quitte l’Union, mais je refuse qu’elle impose un agenda qui ne serait pas approuvé par les autres membres. » « S’ils’agit de limiter la réglementationeuropéenne, l’idée fait son chemin et il est possible d’envisager desaménagements », confie unesource diplomatique française. Pour preuve : la CommissionJuncker a déjà retiré quelque300 propositions de son pro-gramme législatif.

Au sujet de la limitation desaides sociales, la Cour de justice del’Union européenne a indiqué, en

novembre 2014, que les non-res-sortissants n’avaient pas un droit automatique aux prestations so-ciales du pays d’accueil, en vertu des traités existants. Autrement dit qu’il n’était nul besoin de changer ces traités pour obtenirce que voulait M. Cameron.

Sur d’autres exigences de Came-ron – qui entend aussi modifier les traités pour aménager les « opt-out », les exemptions decertaines dispositions dont béné-ficient les Britanniques –, diplo-mates et fonctionnaires bruxel-lois sont, en revanche, dubitatifs. « Cameron a fait trop de promes-ses à ses électeurs. S’il est réélu etexige trop, il est probable que Junc-ker négociera pour l’aider à “atter-rir” politiquement, sachant quenous ne pourrons répondre à tou-tes ses demandes », glisse une source haut placée.

Au-delà, des experts planchentsur ce qui pourrait être concédé à Londres, sans toucher aux traités. Les questions relatives à l’immi-gration et à la libre circulation semblent, en revanche, non négo-ciables. Il conviendrait, alors, de proposer au gouvernement bri-tannique une monnaie d’échange : des avancées sur le nu-mérique, l’énergie, une réforme dela politique de la pêche, un TTIP mené à bien. Et, ô paradoxe, comp-ter sur l’appui des Etats-Unis dont le président disait, en juin 2014, qu’il était « bon » pour son pays devoir la Grande-Bretagne incluse dans le projet européen. p

cécile ducourtieux

et jean-pierre stroobants

Ce qu’espère

vraiment le

premier ministre

conservateur,

c’est un « statut

d’exception »

pour son pays

tagne, l’UE serait déséquilibrée »faires européennes de Tony Blair, un « Brexit » est « probable »

c’est inacceptable pour le prési-dent du Conseil européen, le Polo-nais Donald Tusk. En oubliant aussi qu’il y a davantage de ci-toyens britanniques vivant en France et en Espagne que d’Euro-péens établis au Royaume-Uni.

S’il n’obtient pas satisfaction, il devrait logiquement faire cam-pagne pour la rupture avec l’UE ?

Oui, si David Cameron a le choixentre maintenir la cohésion deson parti ou faire une campagne pour l’UE, il choisira le parti. C’est ce que certains dirigeants euro-péens appellent son chantage.

Vous écrivez que le Brexit est

« probable ». Comment pou-vez-vous être si affirmatif ?

Les conservateurs répètent de-puis quinze ans que l’Europe est mauvaise pour les Britanniques etles électeurs ont fini par les croire.Ensuite, il y a la montée du UKIPdont la raison d’être est la sortie de l’UE. Quant aux travaillistes, ils sont divisés, et si M. Cameron pro-met l’exemption des règles socia-les européennes pour obtenir le soutien des patrons, certains tra-vaillistes feront campagne pour lasortie. Je prends aussi en compte l’influence de tous les journaux à grand tirage qui diffusent quoti-diennement leur propagande an-ti-UE. Enfin, l’Union est largementperçue comme liée à un afflux d’immigrés et l’on sait à quel point la xénophobie peut rappor-ter des voix.

Certains Français se disent : « Si les Anglais n’aiment pas l’Europe, qu’ils s’en aillent. »

Quelles seraient les consé-quences du Brexit pour le reste de l’Europe, pour la France ?

Si les Français s’imaginent que ledépart des « méchants Anglais » leur permettra de façonner l’Eu-

rope à leur façon, ils se trompent. Une UE sans les Britanniques se-rait déséquilibrée. La domination de l’Allemagne s’accentuerait et Paris deviendrait un mini-parte-naire de Berlin. En outre, la Franceperdrait son seul partenaire sé-rieux en matière de défense etd’affaires étrangères. Paris pour-rait s’allier avec Rome et Madrid, mais ce serait une alliance des fai-bles. Quel encouragement ce se-rait aussi pour Marine Le Pen, si son « frère » du UKIP, Nigel Fa-rage, obtenait le Brexit ! Le Front national réclamerait un référen-dum identique et le « Frexit » en-trerait à l’ordre du jour à Paris.

Pourquoi les Britanniques se sentent-ils si peu européens ?

L’Angleterre n’a jamais été enva-hie ni occupée depuis Guillaume le Conquérant. Elle n’a aucune frontière terrestre avec d’autrespays européens et n’a jamais eu à s’inquiéter de ses frontières. Mais la principale réticence vient de la conviction que nous avons sauvél’Europe du nazisme et que nous n’avons pas besoin de nous com-promettre, ni avec les Allemandsqui ont provoqué la guerre, niavec les Français qui l’ont perdue. Même si c’est absurde, beaucoupde Britanniques pensent que les Européens gardent pour cela unedette à notre égard et que nous neleur devons rien.

Il y a aussi la préférence pour le « grand large », selon l’expres-sion de Churchill.

Oui, nous avons toujours le sen-timent d’être plus proches de l’Australie et de l’Amérique que del’Allemagne ou même de laFrance. Pourtant, l’intégration à l’Europe a été populaire dans lesannées 1950 à 1980 parce que le continent réussissait économi-quement mieux que nous. De-puis vingt ans, l’Europe a cessé

d’être une source d’admiration.Les gens constatent que la zoneeuro est en crise, que la France stagne, alors que des pays anglo-phones d’Amérique, d’Asie etd’Afrique sont en plein boom éco-nomique. Les Anglais ont tou-jours fait des affaires dans des zo-nes très éloignées de chez eux.Cette envie les reprend aujourd’hui.

Donc l’Europe, c’est fini ?Certainement pas : le destin du

Royaume-Uni est en Europe. Nous sommes un vieux pays, unemonarchie pétrie de traditions.Devenir Singapour, jeter la démo-cratie pour devenir simplementun géant économique serait tout simplement ridicule.

Vous affirmez que le Brexit ouvrirait une période de con-flit en Europe. Pourquoi ?

Certains croient faussementque l’OTAN est la seule institu-tion capable de préserver la paix en Europe. Mais ce n’est pasl’OTAN qui a ouvert nos frontiè-res, inventé le programme Eras-mus ou créé le marché unique. Seule l’UE a fait tout cela. Je consi-dère l’UE comme le plus grandprojet de paix de toute l’histoire européenne. J’appartiens à la gé-nération de l’après-guerre, la pre-mière à ne jamais avoir dû partircombattre dans une guerre euro-péenne. Le Brexit déstabiliseraitl’Europe alors qu’elle est entou-rée de zones de tension et de con-flits. La meilleure réponse à lamenace de rupture britannique serait le retour durable de lacroissance sur le continent. Les Anglais ont peut-être du mal à comprendre les grandes idées,mais les réalités chiffrées, ils lessaisissent parfaitement. Ils setourneraient alors de nouveauvers l’Europe. p

propos recueillis par ph. b.

Angela Merkel

a dit son

opposition

à toute remise

en cause de

la liberté de

mouvement

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4 | international & europe DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

0123

athènes et berlin - correspondances

Est­ce un tournant dans ledifférend germano­grecsur la question très sensi-ble des réparations liées

aux crimes nazis pendant la se-conde guerre mondiale ? Dans un entretien au quotidien Süddeuts-che Zeitung du samedi 2 mai, le président de la République, Joa-chim Gauck, s’est pour la première fois prononcé en faveur d’une so-lution pour la résolution de ce li-tige qui empoisonne les relations entre les deux pays depuis plu-sieurs décennies et est revenu sur le devant de l’actualité avec l’arri-vée au pouvoir d’Alexis Tsipras.

« Nous sommes les descendantsde ceux qui pendant la seconde guerre mondiale ont laissé un sillage de destruction derrière eux, entre autres en Grèce, ce que, à no-tre grande honte, nous n’avons passu pendant longtemps », a déclaré le président Gauck. « Il est juste qu’un pays aussi conscient de son histoire que le nôtre évalue quelles possibilités de réparation il peut y avoir », a-t-il ajouté, sans s’avan-cer sur un montant.

« C’est stupide »

Ces déclarations marquent une rupture dans le débat sur les répa-rations vis-à-vis de la Grèce en Al-lemagne. Prononcées par le plus haut magistrat de la nation, dont les fonctions sont essentielle-ment honorifiques mais qui est très respecté en Allemagne no-tamment pour son travail sur lepassé Est-allemand, elles donnentune légitimité forte aux revendi-cations grecques jusqu’ici repous-sées avec fermeté par Berlin. Athè-nes réclame la somme de 278,8 milliards d’euros de répara-tions, le sujet est devenu un pointde discorde particulièrement brû-lant entre les deux capitales.

« La question des réparations estjuridiquement et politiquement close », martèlent régulièrement les membres du gouvernement, dans un contexte de forte tension entre Athènes et Berlin sur la ques-tion de la dette grecque. « Une manœuvre de diversion bon mar-

ché », estime Gerda Hasselfeldt (CSU). « C’est stupide », a lâché dé-but avril le vice-chancelier, Sigmar Gabriel, pour qui on ne peut pas mêler la question des réparations et celle de la dette. Pour Berlin, la

revendication des réparations a perdu sa légitimité au plus tard à laréunification, quand le traité de Moscou a réglé les affaires interna-tionales de l’Allemagne unie.

Mais plusieurs voix se sont éle-vées depuis mi-mars pour juger cette explication un peu courte. Des juristes du service scientifiquedu Bundestag interrogés par le Spiegel Online ont exprimé leurs doutes sur la solidité de l’argu-mentaire du gouvernement. Et plusieurs personnalités politiques ont appelé ouvertement à une réouverture du dossier. Annette Groth, députée du parti de gauche Die Linke qui soutient les revendi-cations grecques depuis long-temps, défend ainsi le versement

immédiat de 11 milliards d’euros à Athènes. « Je trouve juste la posi-tion du ministre des finances quand il propose que l’argent soit utilisé pour créer une banque d’in-vestissement », a-t-elle déclaré.

Surprise à Athènes

Anton Hofreiter, chef du groupe parlementaire des Verts au Bun-destag, juge pour sa part que « l’Al-lemagne ne peut pas se contenter de balayer d’un revers de main les revendications d’Athènes. Ce chapi-tre n’est conclu définitivement ni sur le plan moral ni sur le plan juri-dique ». Plusieurs membres du SPD estiment également néces-saire de faire un travail sur le passé.C’est l’opinion de Gesine Schwan,

figure très respectée du parti et candidate deux fois à la présidencede la République, qui a déclaré mi-mars : « Psychologiquement, il est parfaitement compréhensible que la Grèce se demande aussi, dans la situation actuelle, si les Allemands se sont toujours comportés de fa-çon loyale. »

La question des réparations alle-mandes vis-à-vis de la Grèce com-porte deux volets. Le premier porte sur un crédit forcé de 476 millions de reichsmarks quele régime d’Hitler a contractéauprès de la banque nationale grecque en 1942 et qui n’a jamaisété remboursé. Selon les estima-tions, cette somme correspon-drait aujourd’hui à 11 milliards

La justice intervient dans l’affaire d’espionnage qui gêne Angela MerkelSelon le quotidien « Bild », les services secrets allemands auraient conservé des enregistrements intégraux d’écoutes d’alliés européens

berlin - correspondance

L’ affaire d’espionnage desservices secrets alle-mands pour le compte de

l’agence de sécurité américaineNSA, qui secoue l’Allemagne de-puis une dizaine de jours, vientde prendre une nouvelle am-pleur. Le procureur général de la République allemande a con-firmé, vendredi 1er mai, avoir lancé une instruction pour véri-fier l’existence ou non d’un délit. La plus haute autorité d’investiga-tion d’Allemagne est, entre autres, compétente pour la pour-suite pénale dans les cas d’espion-nage et de haute trahison.

Cette intervention judiciaire va-

t-elle calmer la colère qui grondeen Allemagne face au silence du gouvernement sur cette affaire deplus en plus embarrassante ? Jouraprès jour surgissent de nouvellesrévélations sur la dimension desécoutes réalisées par les servicessecrets allemands (le BND) pour lecompte de la NSA. Le Spiegel avait révélé la semaine dernière que leBND avait espionné pendant desannées des entreprises européen-nes. Mercredi 29 avril, la Süd-deutsche Zeitung précisait que près de deux mille personnes tra-vaillant dans les institutions européennes et les gouverne-ments de pays européens, dont la France, avaient également étél’objet d’écoutes.

Dans son édition du samedi2 mai, le quotidien populaire Bildrévèle que le BND a non seule-ment espionné ces cibles et trans-féré les données aux Etats-Unis, mais aussi conservé et analysé les informations recueillies pour sonpropre usage, après en avoir filtré les citoyens allemands, protégés par la loi fondamentale.

Airbus irrité

Selon Bild, qui tient ses informa-tions de la commission d’enquêteparlementaire, il ne s’agissait pas uniquement des métadonnées– qui a téléphoné ou échangé descourriels quand et avec qui –,mais des enregistrements inté-graux d’appels téléphoniques et

de messages électroniques. Jus-qu’à l’affaire Snowden et la phrase de la chancelière AngelaMerkel à l’automne 2013 : « S’es-pionner entre amis, cela ne se faitpas », le BND aurait surveillé defaçon routinière des « amis » européens et des alliés, avec le consentement au moins tacite dela chancellerie.

Le quotidien révèle égalementqu’un accord passé entre les Etats-Unis et l’Allemagne, connu de la chancellerie, prévoyait que la NSAau centre d’écoutes de Bad Aibling puisse faire contrôler sesrecherches. « La chancellerie a dûse donner beaucoup de mal pourne pas savoir ou chercher à savoir que le BND espionne aussi des

pays qui sont nos alliés et qu’il s’y trouve également des informa-tions d’administrations ou d’entre-prises », a déclaré à Bild un mem-bre de la commission parlemen-taire sur la NSA.

Tom Enders, le patron d’Airbus,entreprise qui a apparemmentfait l’objet d’une surveillance pen-dant des années, a manifesté sonirritation quant à l’attitude de Berlin, qui pour l’instant n’a an-noncé que procéder à des « vérifi-cations internes ». Jeudi 30 avril, legroupe franco-allemand a an-noncé vouloir porter plainte poursoupçon d’espionnage industriel. Les milieux économiques alle-mands ne sont pas en reste. Avec des mots inhabituellement durs,

le président de la fédération desindustriels allemands (BDI),Ulrich Grillo, a également critiquéle gouvernement et demandé quela lumière soit faite « rapidementet sans compromis » sur cette af-faire. « La relation de confiance en-tre l’Etat et l’industrie est considé-rablement affectée », a déclaré M. Grillo.

« Cette affaire d’espionnage al’étoffe pour devenir une affaire Me-rkel », estime une éditorialiste de la chaîne NDR. La chancelière ne s’est pas encore exprimée sur cetteaffaire, laissant son ministre de l’intérieur, Thomas de Maizière, l’un de ses proches, se débattre avec la presse. p

cécile boutelet

Au musée de l’Holocauste, à Kalavryta (Grèce), le 21 mars. PETROS GIANNAKOURIS/AP

« Nous sommes

les descendants

de ceux qui ont

laissé un sillage

de destruction

derrière eux »

JOACHIM GAUCK

président allemand

LE CONTEXTE

RÉSISTANCELa Grèce a connu l’une des résis-tances au nazisme les plus fortes d’Europe, avec de nombreux massacres de villages entiers. Ce qui lui a valu l’admiration de Churchill qui louait la vaillance des partisans grecs. De nom-breux témoins ou survivants de l’époque entretiennent la mé-moire de ces événements. Si une majorité de Grecs pensent que cette question des réparations n’est pas close, ils sont aussi beaucoup à estimer que cette période de négociations très ten-dues entre l’équipe de leur pre-mier ministre, Alexis Tsipras, et les créanciers du pays n’est pas la meilleure pour lancer la re-vendication.

Grèce : le président allemand pour des réparationsJoachim Gauck s’est prononcé en faveur de l’indemnisation pour les crimes commis par les nazis

d’euros. Le second volet concerne les réparations pour crimes de guerre. Le massacre de Distomo,équivalent d’Oradour-sur-Glane dans la mémoire grecque. Danscette petite ville près de Delphes, 218 enfants, femmes et vieillards ont été tués en juin 1944.

En Grèce, la déclaration du pré-sident allemand a fait la « une »de tous les sites d’information vendredi soir. La surprise est detaille. Personne ne s’attendait àun tel soutien à un tel niveau de l’Etat. Le parti au pouvoir Syriza y voit une nouvelle confirmation de la légitimité de la demande deréparations. Lors de sa visite duvillage grec martyr de Liguiades en mars 2014, Joachim Gauck avait très officiellement demandé« pardon » aux familles des victi-mes pour le massacre le 3 octo-bre 1943 par les nazis de 92 habi-tants du village dont 34 enfants. Mais il avait refusé d’aborder la question des réparations de guerre, affirmant à l’époque qu’il « ne pouvait pas prendre une autreposition que la position légale de l’Allemagne sur la question ». pcécile boutelet et adéa guillot

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 international | 5

En Arabie saoudite, le coup de force du roi SalmanAu pouvoir depuis trois mois, le nouveau souverain a bouleversé l’équilibre des forces au sein de la pétromonarchie

beyrouth - correspondant

Dans ses relations avecles Etats de la pénin­sule Arabique, le sensdu timing de François

Hollande s’améliore. En juin 2013, il avait débarqué au Qatar com-plètement à contretemps, qua-rante-huit heures avant l’abdica-tion de l’émir Hamad et son rem-placement par son jeune fils Ta-mim. Lundi 4 mai, en revanche, M. Hollande atterrira à Riyad à un moment particulièrement op-portun. Invité d’honneur du Con-seil de coopération du Golfe, le club des pétromonarques arabes,qui tient son sommet ce jour-là etle suivant dans la capitale saou-dienne, le chef d’Etat français serale premier visiteur occidental à poser le pied dans un royaume profondément transformé.

La batterie de décrets signés duroi Salman et publiés au beau mi-lieu de la nuit du mercredi 29 avrila en effet bouleversé l’équilibredes forces au sein de la monar-chie. Alors que celle-ci fonction-nait traditionnellement sur un

mode collégial, le roi devant com-poser avec ses frères et demi-frè-res issus de lignées concurrentes, les décisions du nouveau souve-rain, au pouvoir depuis seule-ment trois mois, accouchent d’unexécutif beaucoup plus restreint, en plus d’être rajeuni.

« C’est un coup de force qui a étéfacilité par les roulements de tam-bour de la guerre au Yémen, ana-lyse Stéphane Lacroix, professeur à Sciences Po et spécialiste del’Arabie saoudite. Une faction s’im-pose aux dépens des autres, ce qui constitue une rupture avec la règle du consensus et du compromischère à Abdelaziz [le roi fondateurde l’Etat saoudien moderne, morten 1953]. » Derrière la figure tuté-laire de Salman, amenée à s’effa-cer progressivement compte tenude son âge déjà avancé (79 ans), l’essentiel du pouvoir repose dé-sormais entre les mains des Mo-hamedeïn (les « deux Moha-med »), comme les Saoudiens les appellent : Mohamed Ben Nayef, 55 ans, le ministre de l’intérieur, passé du poste de vice-prince hé-ritier à celui de prince héritier ; et

« de souveraineté », celui des af-faires étrangères, auquel Saoud Al-Fayçal a fini par renonceraprès quarante années de service,le roi Salman a certes placé un homme qui n’est pas connu pourêtre l’un de ses proches. Jus-qu’alors ambassadeur aux Etats-Unis, Adel Al-Jubeir fut un fidèle d’Abdallah, l’ancien souverain. Mais, dans la mesure où il n’estpas de souche royale, ce roturier pourrait voir sa marge de manœuvre restreinte par Moha-med Ben Nayef, son supérieur ausein du Conseil des affaires politi-ques et de sécurité. « On assiste à la mise en place d’une “joint-ven-ture” entre la famille de Salman etMohamed Ben Nayef, estime Sté-phane Lacroix. C’est malin, car en

ces temps d’instabilité régionalel’Arabie saoudite a besoin d’unexécutif resserré et réactif. Mais c’est dangereux aussi, car le roiprend le risque de se mettre beau-coup de monde à dos. »

Le prince Talal, demi-frère deSalman et franc-tireur bien connu de la famille royale, n’a pastardé à manifester sa mauvaise humeur. Sur Twitter, il a refusé deprêter allégeance aux « Mohame-deïn » et a appelé à une réunionurgente du Conseil de famille,une instance censée arbitrer lesconflits internes. Si très peu deses compatriotes peuvent s’auto-riser une liberté de parole pa-reille, la frustration ressentie par le « prince rouge », le surnom donné à Talal depuis sa dissi-dence pro-Nasser, dans les an-nées 1960, n’est semble-t-il pas exceptionnelle.

« Pour certains Saoudiens, lamise à l’écart de Muqrin ne passe pas, confie un familier des palais de Riyad. Ils voient cela comme un affront à la mémoire du roi Abdal-lah, qui l’avait nommé vice-prince héritier en 2013. Pour eux, c’est unprécédent dangereux. Qu’est-cequi pourrait empêcher qu’une fois devenu roi Mohamed Ben Nayef nomme l’un de ses frères prince hé-ritier à la place de Mohamed Ben

Mohamed Ben Nayef (à droite) et Mohamed Ben Salman (à gauche), le 29 avril, à Riyad, sur qui repose désormais l’essentiel du pouvoir. AFP

Six policiers poursuivis pour homicideaprès la mort de Freddie GrayLe décès de ce jeune Afro-Américain avait provoqué des émeutes dans la ville de Baltimore

washington - correspondant

L a décision de poursuivre lessix policiers impliqués dansla mort d’un jeune Afro-

américain, annoncée vendredi 1er mai par la procureure de Balti-more (Maryland), Marilyn Mosby, a été vivement saluée par les mani-festants qui continuent pacifique-ment à demander justice dans les rues. Alors que la garde nationale est toujours déployée sur place de-puis les émeutes du 27 avril qui ontsuivi les funérailles, Mme Mosby a dressé un véritable réquisitoire contre ces policiers, énumérant lesmultiples manquements consta-tés à l’occasion de la mort toujoursinexpliquée de Freddie Gray, 25 ans, des suites de blessures in-tervenues lors de son transfert vers un poste de police.

La procureure a tout d’abordnoté que l’arrestation, le 12 avril, du jeune homme, qui avait tenté dans un premier temps d’échap-per à une patrouille, pouvait être considérée comme abusive, le

port d’un couteau de poche si-gnalé par les policiers après l’avoir appréhendé n’étant nullement il-légal selon elle. Se fondant sur les conclusions d’un médecin légiste, Mme Mosby a ensuite estimé que lamort de Freddie Gray était un ho-micide. Elle a enfin noté que les po-liciers n’avaient pas répondu aux appels à l’aide de leur prisonnier.

« Déçus face à l’empressement »

Menotté, le jeune homme aurait reçu un coup violent sur la nuque pendant le trajet vers le poste de police. Les policiers n’avaient pas bouclé la ceinture de sécurité qui l’aurait maintenu sur son siège. Il ne respirait plus lorsqu’il avait été extrait du fourgon et les policiers avaient alors appelé les secours. Il est décédé une semaine plus tard, le 19 avril, des suites de ses lésions.

« Nous sommes déçus face àl’empressement à juger, étant donné que l’enquête n’a pas étébouclée », a réagi Gene Ryan, pré-sident du Baltimore Fraternal Or-der of Police, le syndicat qui dé-

fend les six policiers, déjà suspen-dus et désormais visés par des mandats d’arrêt. Barack Obama, qui s’était exprimé une premièrefois au lendemain des émeutes, a exhorté les responsables en place à faire « toute la lumière » sur les raisons de cette mort.

Jeudi, la procureure de Balti-more avait reçu les conclusions del’enquête interne conduite par la police. Cette enquête avait fait ap-paraître un élément nouveau, unquatrième arrêt pendant le trajet. Les policiers impliqués n’avaient fait état jusqu’à présent que detrois pauses, dont une pour im-mobiliser les jambes de FreddieGray et une autre pour prendre à bord une autre personne arrêtée.

Vendredi, le New York Times aconsacré un article à une pratiquepunitive qui consiste pour la po-lice à infliger à des personnes ar-rêtées, une fois entravées, des tra-jets volontairement inconforta-bles. A Baltimore, deux personnesauraient subi des paralysies à lasuite de tels transferts que le quo-

tidien estime cependant moinsrépandus que par le passé.

La police de Baltimore est répu-tée pour son agressivité, surtout envers la population afro-améri-caine de la ville. Marilyn Mosby, 35 ans, élue à la surprise généraleen novembre 2014, avait fait cam-pagne en promettant de s’atta-quer à ces excès. La jeune femme propulsée au-devant de l’actualitépar le dossier Freddie Gray estafro-américaine, tout comme la maire de la ville, Stephanie Raw-lings-Blake, et le chef de la police,nommé en 2012, Anthony Batts.

De nombreux cortèges s’étaientsuccédé dans les rues de Balti-more pour protester contre les violences policières avant que la situation ne dégénère, quelquesheures après l’inhumation de la victime, lundi 27 avril. Elle avait obligé le gouverneur républicain de l’Etat, Larry Hogan, à décréter un couvre-feu nocturne toujours en vigueur et à déployer environ 3 000 hommes sur place. p

gilles paris

Mohamed Ben Salman, environtrente ans (le doute subsiste sur sadate de naissance exacte), le fils du roi et ministre de la défense, devenu deuxième dans l’ordre de succession.

« Soutien des religieux »

L’ex-dauphin de Salman, le prince Muqrin, très en retrait de-puis le début des bombarde-ments au Yémen, au point que certaines sources le disent op-posé à cette intervention, a dis-paru de l’organigramme royal d’un coup de stylo. La concentra-tion des pouvoirs est d’autant plus grande qu’en plus de leurportefeuille Mohamed Ben Nayefet Mohamed Ben Salman ont étéplacés dès le mois de janvier, lorsde l’avènement de Salman, à latête de deux conseils interminis-tériels, ce qui leur donne autoritésur toutes les questions de sécu-rité pour le premier et toutes lesquestions économiques et socia-les pour le second.

Ben Nayef a aussi obtenu la no-mination à la tête des services de renseignement extérieurs d’unde ses fidèles, Khaled Al-Hu-meïdan, qui était son second àl’époque où il pilotait le contre-terrorisme, dans les années2000. Au troisième ministère

« Une faction

s’impose aux

dépens des autres,

ce qui constitue

une rupture avec

la règle du

consensus »

STÉPHANE LACROIX

professeur à Sciences Po

Salman, à qui le titre devrait logi-quement revenir ? »

Si Ben Nayef, réputé pour sa pro-bité et son efficacité, fait à peuprès l’unanimité au sein de l’élite saoudienne, Ben Salman suscite toujours des réserves. La mise en avant de ce trentenaire au CV plu-tôt mince, alors même que Sal-man a d’autres fils, que l’on ditbeaucoup plus brillants que lui, laisse certains observateurs per-plexes. « Salman a pu passer enforce parce qu’il a le soutien des re-ligieux et du camp conservateurqui le considèrent comme l’un desleurs », affirme un analyste occi-dental sous couvert d’anonymat.

La thèse d’un raidissement desautorités en matière de mœurs commence d’ailleurs à circulerdans les milieux informés. Des di-plomates étrangers se plaignent àvoix basse d’avoir de plus en plus de mal à organiser des soirées cul-turelles. La rumeur enfle d’une montée en puissance de la Mou-tawa, la police religieuse, ou d’unepossible remise en cause du sys-tème de bourses d’études à l’étranger, l’un des principaux legs d’Abdallah. Plus jeune et plus centralisée, la nouvelle direction saoudienne pourrait s’avéreraussi plus conservatrice. p

benjamin barthe

Tapis rouge pour le président français

Dix jours avant de se rendre aux Etats-Unis pour y rencontrer Ba-rack Obama, les dirigeants arabes sunnites du Golfe, alliés tradi-tionnels des Américains, doivent accueillir avec faste, lundi 4 et mardi 5 mai, François Hollande. Le président français participera, à Riyad, au sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Et ce, à un moment où les pays de la région redoutent un rappro-chement entre Washington et Téhéran, alors que l’influence de l’Iran chiite, grand rival de l’Arabie saoudite, ne cesse de monter en puissance, de l’Irak au Yémen. Le geste à l’égard de M. Hol-lande est autant une façon de saluer la position dissonante de la France dans les crises régionales qu’un signal de désenchante-ment envoyé à Washington.

THAÏL ANDEDécouverte d’un charnierLa police thaïlandaise a an-noncé, vendredi 1er mai, la dé-couverte d’un cimetière de clandestins dans la jungle du sud de la Thaïlande, vraisem-blablement des réfugiés de Bir-manie ou du Bangladesh, victi-mes de trafiquants. Le chef de

la police privilégie la piste de réfugiés rohingya (musul-mans), une des minorités les plus persécutées au monde, se-lon les Nations unies, en Bir-manie voisine. Huit corps ont été découverts dans ce camp de fortune. Seuls deux survi-vants, émaciés, ont pu être sauvés. – (AFP.)

BENJAMIN STORAPrésident de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration

répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),

Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde).

Diffusion sur les 9 chaînes deTV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr

Cedimanche à 12h10

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6 | international DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

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Le « califat » de Boko Haram, une terre brûléeL’armée nigériane et ses alliés ont repris plusieurs villes aux djihadistes et libéré des centaines de femmes

REPORTAGE

gwoza (nigeria) - envoyé spécial

Ils sont nerveux, casqués, fa-tigués. Ils ont les yeux mobi-les, comme si l’ennemi, BokoHaram, était sur le point de

surgir au coin de la rue. Ou de ce qu’il en reste. Dans les ruines de Gwoza, les soldats nigérians nesont pas d’humeur triomphante.La capitale autoproclamée du cali-fat de Boko Haram, voilà, ils l’ont prise. C’était fin mars. Nul ne peutleur contester cette victoire. Mais,à présent, ils marchent dans les cendres d’une petite ville qui fut sans histoire.

Depuis fin janvier, et le début del’offensive menée conjointement avec les pays voisins (Cameroun,Tchad et Niger), les djihadistes du Jama’atu Ahlis Sunnah Lid-da’awati (« groupe de ceux qui se sont engagés à diffuser les idées du Prophète et celles du djihad », véritable nom du groupe dont Boko Haram est le nom usuel) sont en recul. Plus d’une trentained’agglomérations avaient été con-quises par les insurgés pendant la seconde moitié de 2014, période laplus meurtrière de leur existence.Elles ont toutes été prises d’assautpar les forces gouvernementales au cours des derniers mois. Cer-taines par les Tchadiens ou les Ni-gériens. Les autres, comme Gwoza, par l’armée nigériane.

Sur le qui-vive

Depuis, deux choses sont arri-vées : début mars, Boko Haram afait allégeance à l’Etat islamique,devenant la Wilayat d’Afrique de l’Ouest. Mais, sur le terrain où de-vaient flotter les drapeaux noirs, Boko Haram s’est effondré. La guerre n’est pas finie pour autant.L’armée nigériane est entrée dansGwoza il y a des semaines, mais laville est toujours sur le qui-vive. Les drôles de pick-up de la sep-tième division, avec leurs petits toits en tôle pour se protéger du soleil, accentuent encore l’im-pression de vulnérabilité. A la li-sière de la ville, les sentinelles ontcreusé des trous pour se protéger.

Avec l’honnêteté des gens dufront, le colonel Oduware Irabor,qui commande les troupes dans

Gwoza, reconnaît : « On prie le Dieu tout-puissant et on ne s’en-dort pas sur nos lauriers : on a déjàeu plusieurs contre-attaques. Il y enaura d’autres. » Devant une cartede la région où s’étale, en grandes lettres rouges, le mot « secret », le colonel, qui a mené toute la cam-pagne depuis plusieurs semaines, explique le modèle tactique desinsurgés : « Lorsque Boko Haram prend une ville, ils enrôlent de forceune partie des hommes. Quand on attaque, ils abandonnent ces re-crues. Ils les laissent mener une partie du combat, pendant qu’ils sesauvent. » Les meilleurs éléments de Boko Haram ont donc décro-ché sans livrer les combats déses-pérés décrits dans les communi-qués militaires ronflants récents. « On les a poussés progressive-ment vers la forêt de la Sambisa »,explique le colonel.

Malgré ses arbres un peu chétifs,la Sambisa est le bastion de Boko Haram depuis plusieurs années.Les insurgés y ont installé des

camps, des stocks de vivres et demunitions. L’armée, de son côté, s’engage avec prudence sur unterrain miné de dispositifs explo-sifs improvisés fabriqués à Gwoza. « Il y avait trois Libyens quiétaient en charge de leur fabrica-tion ici », affirme une source du renseignement militaire nigé-rian, devant l’atelier où se fai-saient les assemblages.

L’assaut de la Sambisa a été re-tardé, mais l’armée nigériane pro-gresse. Dans les derniers joursd’avril, quatre camps ont été prisd’assaut en quelques jours. Troiscents femmes et jeunes filles ont été libérées dans l’un d’entre eux. Puis 160 autres captives ont étédécouvertes par les soldats. Sa-medi 2 mai, l’armée a annoncé en avoir récupéré 234 autres, portantle nombre total à plus de 677. Il n’yavait alors aucun témoin exté-rieur présent. L’armée affirme que ses hommes ont été con-traints de se battre contre certai-nes de ces femmes. Un processus d’identification de ces ex-otages ou recrues forcées est en cours. Mais de Boko Haram, point. Cer-taines des jeunes femmes font-el-les partie du groupe des lycéen-nes enlevées à Chibok en avril 2014, et dont 219 avaient été emmenées vers la Sambisa ? Cela n’est pas établi. Des prisonniersévadés de la ville dans les mois écoulés ont dit les avoir vues à Gwoza. D’autres sources n’écar-tent pas l’idée qu’elles aient puêtre tuées dans une des retraites précipitées des combattants. Ces derniers, en déroute, ne voyagent pas en famille.

Après leur repli à Damasak, versla frontière avec le Niger, les insur-gés auraient exécuté plusieurs centaines de personnes. Dans d’autres villes, ils ont tué leurs

femmes épousées de force avantde prendre la fuite. « Vous com-prenez pourquoi il faut en finir. Cette fois, c’est la phase finale : onboucle la Sambisa sur quatre axes, le long d’un S géant, et on va lesprendre dans ce grand piège », af-firme un haut gradé de l’armée ni-gériane. Les combattants de Boko Haram ont perdu une partie de leurs moyens logistiques : der-rière eux, ils laissent des blindés,transports de troupes ou chars T55, pris à l’armée. Mais, par petitsgroupes, ils peuvent facilement seglisser hors de la Sambisa et se dissimuler dans les vastes espacesdu nord-est du Nigeria, ou pous-ser vers les pays voisins.

Tout a été incendié

A Gwoza, dans les derniers tempsdu « califat », le chef de Boko Ha-ram, Aboubakar Shekau, avait été aperçu, avant de prendre la fuite lui aussi, laissant derrière lui une terre brûlée, en guise de « capi-tale ». Depuis la banque locale us-qu’au moindre magasin, en pas-sant par des quartiers entiers, touta été incendié, saccagé. Dans les ruines, une poignée d’habitants seterre. Des soldats peinent à restau-rer un peu de confiance. « Vous êtes en sécurité maintenant, et on espère bien avoir un convoi avec des sacs de riz demain », affirmeun officier à la maigre foule qui s’est massée devant le palais de l’émir. Il doit passer par un inter-prète. La plupart des soldats neparlent pas le haussa, langue véhi-culaire du nord du Nigeria et des pays voisins.

L’émir de Gwoza avait été l’unedes premières victimes de Boko Haram, assassiné en mai par les insurgés sur une route. Son fils, Mohammed Tinta, nommé pour le remplacer, s’est enfui avant la chute de la ville, le 6 août, et n’a pasassisté aux horreurs, dans Gwoza rebaptisée dar’ul hikma (« maison de la sagesse »). Une partie de son palais n’est plus que gravats : là où une frappe aérienne l’a touché. « C’était le quartier général de BokoHaram. C’est aussi là qu’ils organi-saient les distributions de nourri-ture », explique un officier nigé-rian. Gwoza comptait des chré-

tiens, des musulmans, un émir, des bergers, tout un commerce avec le Cameroun voisin, par-delà la chaîne des monts Mandara. Tout cela semble détruit à jamais.

A la sortie de la ville, devantl’abattoir municipal Oduware, se trouve un des ossuaires de Gwoza. Les soldats se bouchent le nez, se taisent. Il n’y a rien à dire. Des cada-vres ont été jetés pêle-mêle dans un fossé, entassés comme des fa-gots, abandonnés. D’autres corps gisent aux alentours, au hasard des endroits où ils ont été tués. Leschercheurs d’Amnesty Internatio-nal ont enquêté en zone gouverne-mentale auprès des habitants res-capés de Gwoza et publié un rap-port estimant que plus de 600 per-sonnes ont été exécutées après la prise de la ville. A Bama, plus au Nord, et dans d’autres villes, ce fut sans doute comparable, ou pire. Comme l’explique Daniel Eyre, chercheur de l’organisation : « Il y a un modèle récurrent pour Boko Haram, consistant à détruire les maisons, les hôpitaux et les lieux deculte comme les églises et les mos-quées. » Et rien n’est terminé : « Même si Boko Haram a été con-traint de se retirer des villes princi-pales qu’il contrôlait, le groupe est toujours présent dans le nord-est du Nigeria, et a toujours la capacitéde terroriser la population », esti-me-t-il. A Karamga, sur le lac Tchad, en territoire nigérien, une attaque de l’île où étaient basés dessoldats a fait entre 50 et 80 morts parmi ces soldats, en plus de victi-mes civiles. Depuis, le Niger éva-cue cette zone en toute hâte. p

jean-philippe rémy

Des soldats nigérians devant les ruines du palais de l’émir de Gwoza, le 8 avril. BÉNÉDICTE KURZEN/NOOR POUR « LE MONDE »

On ignore si les

lycéennes

enlevées à Chibok

font partie

des 600 femmes

libérées

LES DATES

3 JANVIER 2015Massacre de Baga

Des insurgés de Boko Haram, au bord du lac Tchad, font des centaines de victimes. Emotion internationale.

1ER FÉVRIERIntervention du Tchad

Le Tchad intervient au Nigeria avec troupes, blindés, moyens aériens. Boko Haram est chassé des villes proches du lac Tchad ou de la frontière camerounaise.

8 MARSOpération Tchad-Niger

Création d’une « zone tampon », malgré des attaques surprise de Boko Haram.

27 MARSPrise de Gwoza

L’armée nigériane reprend ce qui était devenu la « capitale » auto-proclamée du califat de Boko Haram.

28 MARSElections générales

Le président Goodluck Jonathan est battu. On lui a reproché sa mollesse dans la guerre contre Boko Haram.

30 AVRILAvancées dans la Sambisa

L’armée nigériane libère près de 500 femmes et jeunes filles.

29 MAIPassation de pouvoir

Le général Muhammadu Buhari, futur président, a promis de « ré-gler » le problème Boko Haram.

Abuja

CAMEROUN

NIGER

BÉNIN

Golfe de Guinée

Niger

NIGERIA

Lagos

Damasak

Karamga

BamaDikwa

200 km

Gwoza

« On ne s’endort

pas sur nos

lauriers : on a eu

plusieurs contre-

attaques. Il y en

aura d’autres »

ODUWARE IRABOR

colonel nigérian

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0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 planète | 7

Le Népal débordé par l’afflux d’aide internationaleLa coordination et l’acheminement des secours sont mis à mal par les carences dans la gouvernance du pays

REPORTAGE

katmandou - envoyé spécial

Après le désastre, com-ment gérer l’abon-dance de l’aide huma-nitaire ? L’aéroport de

Katmandou était saturé, vendredi 1er mai, de matériel médical, de nourriture, de tentes et de couver-tures destinés aux populations af-fectées par le tremblement de terrede samedi 25 avril qui a fait 6 260 morts, selon le dernier bilan pu-blié par l’ONU. L’aide arrive du monde entier, et le petit aéroport àla piste unique ne peut pas ac-cueillir tous les avions qui souhai-tent atterrir, encore moins trier et redistribuer rapidement tous les cartons qui s’empilent sur le tar-mac.

« L’afflux de ces derniers jours ra-lentit l’acheminement de l’aide. Il nous a fallu attendre 36 heures avant de récupérer notre matériel àl’aéroport. Il manque vraiment une coordination internationale », té-moigne le responsable d’une ONG française. Le ministre des finances a appelé, vendredi, la commu-nauté internationale à envoyer en priorité du sel, du sucre, des légu-mineuses et des tentes. Car les co-lis arrivant au Népal réservent par-fois des surprises, comme ces boî-tes de thon ou pots de mayonnaisedont les secouristes ne savent que faire. Près de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Tribhuvan, le ma-tériel entassé sous de larges tentes attend d’être chargé dans des ca-mions. Dans les allées poussiéreu-ses, deux députés de l’assemblée

constituante népalaise tentent d’obtenir des tentes pour les habi-tants de leurs circonscriptions, en vain : « Nous n’en avons encore reçu aucune et le gouvernement ne peut pas nous en distribuer. »

Selon le dernier décompte del’ONU, 160 786 maisons ont été dé-truites et 143 673 partiellement dé-molies. La vie reprend son cours à Katmandou et les réfugiés ont commencé à quitter le parc de Tundikhel. Mais l’aide humani-taire n’arrive qu’au compte-gout-tes dans les villages isolés, provo-quant la colère des habitants qui, dans certaines localités, ont pris en otage des ONG pour s’emparer de leur chargement.

Le monde entier est au Népal.Depuis l’Algérie jusqu’à Oman en passant par le Bhoutan. « Les trem-blements de terre attirent les ONG et les médias et particulièrement ce-lui-ci », remarque Yotan Politzer, responsable de l’ONG Israélienne IsraAID. Les Nations unies ont fait un appel aux dons de 415 millions de dollars (371 millions d’euros) pour répondre aux besoins d’ur-gence de ces prochains mois. Mais ce sont des milliards qui seront né-

cessaires pour reconstruire le Né-pal dans le long terme. « Or, une fois la pression médiatique retom-bée, les donateurs risquent de se dé-sengager », craint la responsable d’une ONG.

La mobilisation internationalerend parfois difficile la coordina-tion des secours sur le terrain. Des équipes inspectent, sans le savoir, les mêmes immeubles à quelques heures d’intervalle. « Difficile de lo-caliser la bonne adresse dans un quartier en ruines », reconnaît Yo-tan Politzer. Les 64 équipes de se-couristes, venant du monde en-tier, ont sauvé quinze vies. Dans la ville, des journalistes cherchent des secouristes qui cherchent des maisons détruites dans l’espoir de retrouver des survivants. Mais les chances sont désormais extrême-ment minces.

Intérêts géopolitiques

Derrière les grands élans de géné-rosité, les intérêts géopolitiques nesont jamais loin, surtout dans un pays où l’Inde et la Chine essaient d’étendre leur influence. Les se-couristes des deux puissances asiatiques travaillent rarement en-semble. « Les Chinois ont la fâ-cheuse habitude de planter un dra-peau sur chaque chantier inspecté, maugrée un militaire indien, alors on préfère travailler ailleurs. » Il n’y a pas que l’armée indienne qui vient en aide aux Népalais. L’un des leaders d’un parti régional du nord de l’Inde, le Samajwadi Party (SP), est arrivé avec des camions chargés de pommes de terre, de biscuits et de riz. Il a surtout affrété

70 bus pour rapatrier les milliers de migrants venus travailler à Kat-mandou et qui cherchent, par mil-liers, à fuir la capitale. Ce sont aussises électeurs que l’Inde vient sau-ver. « Au fait, savez-vous où sont lesmusulmans à Katmandou ? », de-mande l’un des militants du SP, gardant à l’esprit que leur vote pourra faire basculer les prochai-nes élections régionales en Inde.

Entre l’aide généreuse du mondeentier et les villages dépourvus de toute aide, il y a certes les voies d’accès difficiles et escarpées, maisaussi un Etat critiqué pour son in-compétence. En déplacement à Bangkok, le premier ministre né-palais a été informé du tremble-ment de terre en lisant le tweet du premier ministre indien, Naren-dra Modi. Le pays, qui se remet d’une guerre civile de dix ans ache-vée en 2006, traverse une période d’instabilité politique. Depuis 2008, année de l’abolition de la monarchie, l’assemblée consti-tuante n’est toujours pas parvenueà un accord pour doter le Népal d’une nouvelle Constitution. « Le pays ne possède aucune institution

stable et tous les partis sont absor-bés par des débats sur le fédéra-lisme, la république. Ils sont incapa-bles de gérer les affaires courantes du pays », explique Krishna Ha-chhethu, professeur au départe-ment de sciences politiques de l’université de Tribhuvan.

Malgré les alertes sur la possibi-lité de violents séismes, le pays ne possédait aucun organisme de gestion des calamités naturelles. Les ministères ont donc géré la crise, parfois sans se coordonner. Le premier ministre, âgé de 76 ans et qui souffre d’un cancer, a été presque invisible pendant les joursqui ont suivi le tremblement de terre. « L’une des leçons de ce séisme, c’est qu’il n’y a pas de gou-vernance dans ce pays », regrette Lok Raj Baral, directeur du Centre népalais pour les études contem-poraines.

L’organisation des secours dansles zones reculées a été freinée par l’absence de représentants politi-ques, après que des élections loca-les ont été reportées maintes fois, laissant les populations sans élus de proximité pour porter leurs re-vendications. Ce qui explique, en partie, la colère des habitants des zones rurales et leur sentiment d’abandon par Katmandou. « Le tremblement de terre est sans doute un mal pour un bien, espère M. Hachhethu. Il va enfin obliger les différents partis à dépasser leursdifférences et à retrouver un sem-blant d’unité pour développer le pays et s’intéresser à ses habi-tants. » p

julien bouissou

« Les partis

sont incapables

de gérer

les affaires

courantes »

KRISHNA HACHHETHU

professeur à l’université de Tribhuvan

LES CHIFFRES

8 MILLIONSd’habitants touchés

L’ONU estime que plus du quart de la population népalaise est touchée à des degrés divers par le séisme, et au moins deux mil-lions de personnes auront be-soin de tentes, d’eau potable, de vivres et de médicaments au cours des trois mois à venir. Plus de 300 000 maisons ont été dé-truites ou endommagées.

UN MILLIERde ressortissants de l’Union

européenne recherchés

Il s’agit essentiellement d’ama-teurs de trekking qui se trou-vaient dans la région de l’Everest et dans celle de Langtang. Parmi eux, 144 Français manquent tou-jours à l’appel.

2 MILLIARDSde dollars pour reconstruire

Le Népal va avoir besoin d’au moins 1,8 milliard d’euros pour reconstruire habitations, hôpi-taux, bâtiments administratifs et historiques, selon le ministre des finances, Ram Sharan Mahat.

Les îles du Pacifique plaident pour une « révolution » sur le climatLes Etats d’Océanie sont les plus vulnérables au réchauffement

nouméa - correspondante

I l faut s’unir pour exister. Telleest la conviction des micro-Etats et territoires insulaires

d’Océanie à sept mois du sommetinternational sur le climat à Paris. Lilliputiens de la planète, ces pays,qui comptent environ 10 millionsd’habitants, constituent la zone géographique la plus exposée auxeffets du réchauffement climati-que. Et leurs dirigeants sont déter-minés à se faire entendre des grandes puissances.

« Nous voulons que la Confé-rence des Nations unies à Paris [COP 21] proclame une révolution internationale dans la manière dont le monde fait face au change-ment climatique », ont affirmé dans une déclaration commune,dite « déclaration de Lifou », quinze pays et territoires du Paci-fique sud, à l’issue du sommetOceania 21, qui s’est achevé ven-dredi 1er mai à Nouméa, en Nou-velle-Calédonie.

Tout en reconnaissant « les ef-forts de la communauté interna-tionale », les leaders océaniens considèrent qu’ils demeurent « inadéquats pour les pays en dé-veloppement vulnérables, comme le sont les Etats insulaires ». Ils ex-hortent « les membres de la con-vention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [CCNUCC] à s’engager sur des ob-jectifs de réduction d’émissions degaz à effet de serre ambitieux, de long terme et contraignants », li-mitant le réchauffement « à moins de 2 degrés, voire 1,5 degré » d’ici à la fin du siècle.

« Nous sommes les victimes vi-vantes des effets négatifs du chan-gement climatique, alors que nousn’en sommes pas responsables »,

regrette le vice-premier ministre de Samoa, Fonotoe Pierre Lauofo. La myriade d’îles d’Océanie n’est responsable que de 0,03 % des émissions globales de gaz à effet de serre (8 millions de tonnes), alors que l’océan Pacifique ab-sorbe chaque année 776 millionsde tonnes de CO2. La plupart de ces îles étant pauvres et peu déve-loppées, la déclaration de Lifoulance également un appel pour que l’accès aux fonds internatio-naux leur soit facilité et que desressources nouvelles leur soientaccordées.

« Populations dépendantes »

Les leaders océaniens sont d’autant plus résolus à faire en-tendre leur voix à Paris que deux puissants cyclones viennent dedévaster leurs îles. Le 13 mars,Pam, phénomène de catégorie 5 avec des vents de plus de 320 km/h, a frappé de plein fouet l’archi-pel mélanésien de Vanuatu, en-dommageant la majorité des ha-bitations. « La situation est tou-jours préoccupante. L’eau n’est pas potable partout et les populations restent dépendantes de l’aide ali-mentaire, car toutes les cultures ont été détruites », a déclaré JamesBule, ministre de l’environne-ment et de la gestion des risques naturels. Evaluée à 22 milliards devatus (183 millions euros), la re-construction du pays est selon lui « le plus grand défi à venir ». Pam aégalement causé d’importantsdégâts à Tuvalu, aux Salomon et àKiribati.

Deux semaines plus tard, le1er avril, le supertyphon Maysaks’est abattu sur les Etats fédérés deMicronésie, où il a causé la mort de cinq personnes. « On s’attend àce qu’il y ait de plus en plus de cy-clones de catégorie 5 dans la ré-

gion », a indiqué David Sheppard, directeur général du Programmerégional océanien pour l’environ-nement (PROE). Selon lui, la con-jugaison de tous les impacts duréchauffement – augmentationdu niveau de la mer, érosion des côtes, menace sur la sécurité ali-mentaire, salinisation des nappes phréatiques, épidémies… – met endanger la « survie même de certai-nes îles qui culminent à deux ou trois mètres ».

Outre les indispensables déci-sions à l’échelle internationale,les Etats insulaires adaptent pa-rallèlement leurs politiques de développement afin d’être plus résilients au changement de leurenvironnement. « Il faut mieuxgérer et conserver l’eau, construire sur le littoral des infrastructures plus résistantes, protéger la biodi-versité comme la mangrove oumettre en œuvre des plans de ges-tion durable des ressources halieu-tiques », a insisté M. Sheppard.Cette stratégie globale d’adapta-tion n’empêche pas les mesures d’urgence : à Fidji, le gouverne-ment prévoit, d’ici à 2023, de dé-placer 34 villages constammentsous la menace d’inondations, tandis qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Carteret se vident de leur population car les nappesd’eau douce sont envahies par l’eau de mer.

« La région Pacifique est une sen-tinelle à l’échelle de la planète, avance Georges de Noni, direc-teur de l’Institut de recherchepour le développement à Nou-méa. Il est urgent de s’y intéresser,car ce qui s’y passe laisse présagerdes problèmes que l’on pourrait rencontrer sur les côtes européen-nes ou américaines d’ici vingt ou trente ans. » p

claudine wéry

« Les séismes

attirent les ONG

et les médias, et

particulièrement

celui-ci »

YOTAN POLITZER

responsable de l’ONG IsraAID

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2 & 3 JUIN 2015

Le dispositif EURES Franceest cofinancé par l’Union européenne

8 | france DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

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Juppé, l’homme qui voulait tout prévoirCandidat déclaré à la primaire de l’UMP, le maire de Bordeaux mise sur la « matière grise » pour l’emporter

Trois bureaux séparés parde grandes vitres striéesde stores métalliques,une salle de réunion aux

murs blancs. Aucune photo sou-venir, pas de tableaux, encore moins d’affiches à la gloire ducandidat. Dans un coin, seuls quelques livres et une machine àcafé donnent un peu de vie à cedécor spartiate de 120 m2. Au QGd’Alain Juppé, 98, rue de l’Univer-sité, à deux pas de l’Assemblée na-tionale, l’ambiance est studieuse.Dans cet immeuble qui jouxte ce-lui du Cevipof, un des centres de recherche de Sciences Po Paris,l’équipe Juppé peaufine le projet du candidat déclaré à la primairede la droite de novembre 2016.

A l’écart de la rue de Vaugirard,siège du parti, l’ancien premier ministre fait tourner cette petiteentreprise politique depuis mi-octobre. Avec un cahier des char-ges méthodique. Le calendrier de sa campagne a d’ores et déjà étécalé. Alain Juppé a prévu de pu-blier quatre livres programmati-ques dans les seize prochains mois. Un premier en septem-bre 2015 sur l’éducation, « la mère des réformes », selon l’ancien pre-mier ministre ; un deuxième enjanvier 2016 sur les thématiques

régaliennes, afin de recentrer les missions de l’Etat sur l’immigra-tion, la sécurité, la justice et la laï-cité ; un troisième en avril 2016sur l’économie, où l’idée de laisserplus de marge aux entreprises sera centrale. Ces trois premiersouvrages de 150 pages illustrerontl’avenir, l’autorité et la liberté, lestrois axes principaux de son pro-jet pour 2017. En septembre 2016,un quatrième fera office de syn-thèse et précisera sa vision euro-péenne et internationale.

Cette stratégie a été méticuleu-sement réfléchie. L’équipe tra-vaille avec le même éditeur depuistrois mois. « Un livre, c’est plus en-gageant qu’une plate-forme électo-rale et cela permet de mieux struc-turer les idées, observe le député dela Marne Benoist Apparu. On fait le pari du sérieux, pas du popu-lisme. On s’inscrit dans une campa-gne profonde, pas sur une campa-gne de slogan et d’estrade. » Une manière à peine voilée de se dé-marquer du rival, Nicolas Sarkozy, que les juppéistes méprisent ouvertement pour son manque supposé de travail sur le fond.

« La matière grise est de notrecôté. Certains balayent ça d’un re-vers de main mais, à la fin, cela ferala différence », veut croire Gilles Boyer, conseiller politique du maire de Bordeaux. « L’avantaged’Alain Juppé, c’est qu’il a une co-lonne vertébrale », abonde l’ex-mi-nistre de l’économie, le député de Savoie Hervé Gaymard, qui pilote la préparation du projet. Parado-xalement, ce déroulé de campa-gne se rapproche beaucoup de ce-lui qu’avait choisi François Hol-lande. Lui aussi à l’écart du parti, le candidat socialiste avait déclinéson projet en quatre pactes dé-taillés lors de discours et regrou-pés dans un livre, Le Rêve français.

Une armada de technocrates

L’architecte de cette construction est un vieil habitué des campa-gnes électorales. M. Gaymard, qui a participé à l’équipe de Jacques Chirac en 1995 et en 2002, coor-donne une quinzaine de groupes de travail. Cette armée de l’ombre se réunit au QG, parfois dans les cafés. La plupart de ses membres sont de hauts fonctionnaires et des économistes. La grande majo-

rité a été formée à l’ENA et presquetous veulent rester anonymes. Cette armada de technocrates a pour mission de produire des syn-thèses mais aussi d’alimenter le candidat en notes d’actualité. En tout, plus de 200 personnes plan-chent sur l’industrie, la révolution numérique, la réforme du marché du travail, la culture ou le social. Chaque groupe de dix à vingt têteschercheuses est piloté par un se-nior (un haut fonctionnaire ou un politique expérimenté) et deux rapporteurs trentenaires (des étu-diants de grandes écoles ou des jeunes actifs).

Le pôle « autorité », qui regroupeles thèmes stratégiques de l’immi-gration et de la sécurité, est par exemple dirigé par l’ex-ministre de la justice de Jacques Chirac, Do-minique Perben. « On est organi-sés en structures de cabinets minis-tériels. Dès qu’un sujet émerge, on dispose de personnes qualifiées. Au final, cela nous fait un vade-mecum actualisé », décrit Gilles Boyer. Le candidat est parfois in-vité à venir trancher certains arbi-trages. « C’est un travail promé-

théen », explique Maël de Calan, spécialiste des questions de politi-que économique et de finances publiques.

Toujours prêt à rappeler le der-nier bon sondage d’opinion, le camp Juppé s’imagine déjà dans l’après-primaire. Le candidat a de-mandé à ses troupes de bâtir des textes directement applicables au lendemain de la présidentielle, ir-réprochables sur le plan juridique,afin de ne pas risquer d’être cen-suré par le Conseil constitution-nel. « Les 100 jours les plus impor-tants ne sont pas ceux qui suivent l’élection présidentielle, mais ceux qui la précèdent », répète le candi-dat, disant être « plus intéressé par

l’exercice du pouvoir que par la conquête ». Le plan de bataille est déjà défini. « Dès qu’on gagne la primaire, une équipe mènera cam-pagne pour la présidentielle et uneautre préparera les réformes », an-ticipe M. Gaymard, qui prévoit déjà « de faire voter quelques pro-positions de loi par le Sénat enpremière lecture entre janvier et mars 2017 pour avoir des textesdéfinitivement adoptés enjuillet 2017 ».

Ce scénario idéal a été planifiépar Alain Juppé et ses proches lorsde réunions hebdomadaires, tousles mercredis à 8 h 30. Une dizainede personnes forme la garde rap-prochée du candidat. Gilles Boyer,pierre angulaire du lieu et porte-flingue du candidat, s’occupe des parlementaires et des médias.L’homme de l’ombre du maire de Bordeaux coordonne la campa-gne avec Vincent Le Roux, ex-di-recteur général adjoint de M. Juppé à l’UMP, chargé d’ani-mer les comités locaux. Les dépu-tés Edouard Philippe et BenoistApparu font office de porte-pa-role. A la manœuvre sur le projet,

Alain Juppé et son équipe de campagne à son QG parisien, le 7 janvier.JEAN-MICHEL

TURPIN/DIVERGENCE

« On s’inscrit dans

une campagne

profonde, pas sur

une campagne

de slogans »

BENOIST APPARU

député de la Marne

M. Gaymard est épaulé par Pierre-Mathieu Duhamel, ex-membredu cabinet de M. Juppé à Mati-gnon, et Maël de Calan, le cofon-dateur du groupe de réflexion La Boîte à idées. Virginie Calmels, première adjointe à la mairie deBordeaux, et l’ex-ministre Chris-tine Albanel sont conseillères po-litiques, alors que l’ex-responsa-ble des jeunes de l’UMP, Marie Guevenoux, collecte des dons fi-nanciers pour la campagne.

Un mardi sur deux, une quaran-taine de parlementaires participe au conseil politique. On y re-trouve notamment les sénateursFabienne Keller (Bas-Rhin) et Christophe Béchu (Maine-et-Loire), les députés européens Alain Lamassoure et Arnaud Dan-jean ou le député François Cor-nut-Gentille (Haute-Marne).« C’est une petite entreprise, ob-serve M. Boyer. On a tout crééaprès être partis avec zéro euro etzéro personne il y a six mois. Et nous allons monter en puissance crescendo. » p

matthieu goar

et alexandre lemarié

Un programme à forte tonalité libérale

D epuis l’annonce de sa can-didature en août 2014,Alain Juppé se livre à un

exercice médiatique d’équili-briste : donner un peu de contenu sans révéler son programme en cours d’élaboration. Au fil de ses déplacements hebdomadaires ou lors de ses entretiens, le maire de Bordeaux dévoile quelques pistes d’un programme « libéral, gaullisteet social », selon ses propres mots.

Réduire les dépenses en coupantdans les budgets de fonctionne-ment Cet automne, Alain Juppé s’était prononcé pour un plan d’économie de 100 milliards d’euros sur la durée d’un quinquen-nat. Depuis quelques semaines, ses équipes réfléchissent plutôt à une réduction rapportée au total du produit intérieur brut (PIB). L’idée est de ramener la part des dépensespubliques, actuellement de 57 % du PIB (le gouvernement annonce

56 %), à 52 % en 2017 puis à 50 % au bout de dix ans. Une ambition identique à celle de Nicolas Sarkozy,qui souhaite inscrire dans la Consti-tution l’interdiction pour les dé-penses publiques de dépasser ce seuil de 50 %. Pour arriver à ces éco-nomies, le maire de Bordeaux envi-sage de couper dans les budgets de fonctionnement en revenant au non-remplacement d’un fonction-naire sur deux partant à la retraite et en incitant les collectivités à trou-ver des modes de financement al-ternatifs.

Assouplir les 35 heures Sur cepoint, Alain Juppé a évoqué plu-sieurs fois sa volonté de « sortir ducarcan des 35 heures » sans préci-ser les modalités de cette réforme.En octobre 2013, dans une inter-view à L’Express, il s’était pro-noncé pour une renégociation par branche. Mais il est pour lemoment moins précis que Fran-

çois Fillon, qui ambitionne le re-tour pur et simple aux 39 heures.

Rapprocher les fiscalités euro-péennes et supprimer l’ISF Comme François Fillon, Alain Juppé n’a jamais promis une baisseimmédiate des impôts en cas de re-tour au pouvoir de la droite mais il prône un rapprochement à terme des fiscalités française et alle-mande, idée déjà émise par NicolasSarkozy en 2011. Il est en revanche favorable à une suppression de l’impôt sur la fortune (ISF). « Pour relancer l’activité économique, il faut de la confiance. Abolir l’ISF en-verrait un signal fort aux investis-seurs », a-t-il plaidé dans une inter-view à La Tribune, le 2 avril.

Education Alain Juppé veut fairede la jeunesse un de ses chantiers prioritaires. Opposé au rétablisse-ment du service militaire, il mise sur l’éducation nationale. Il veut

donner plus de responsabilités aux chefs d’établissement et inci-ter les professeurs à passer plus de temps dans les écoles, grâce à une revalorisation des salaires.

Améliorer Schengen et s’inspi-rer du Canada Alain Juppé est op-posé à l’idée de Nicolas Sarkozy depratiquer la politique de la chaise vide pour forcer les partenaires dela France à renégocier la conven-tion de Schengen. « Sortir de Shen-gen, mais pour faire quoi ? Cons-truire des murs sur les six côtés del’Hexagone ? La solution n’est paslà mais il faut renforcer les moyensdonnés à Frontex », a-t-il défendule 22 avril, devant les élèves del’Institut d’études politiques deStrasbourg. Inspiré par son exilcanadien en 2005, il a égalementévoqué l’idée de « faire voter cha-que année un quota de migrants pour motifs professionnels ». p

m. gr

LE CONTEXTE

AJ POUR LA FRANCEAlain Juppé a lancé la plate-forme AJ pour la France , afin de se créer un réseau en vue de la primaire UMP. En choisissant de ne pas se présenter à la prési-dence de l’UMP, le maire de Bor-deaux a laissé à Nicolas Sarkozy le contrôle du parti et de ses mi-litants. L’équipe d’Alain Juppé revendique l’existence de 300 à 400 comités locaux. Ils sont cen-sés relayer la campagne sur le terrain, remonter les proposi-tions et créer des groupes de tra-vail spécialisés sur des thémati-ques comme la santé ou les services publics. L’autre but est de faire la promotion d’une pri-maire que le candidat espère la plus ouverte possible.

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 france | 9

Le 1er-Mai raté de Marine Le PenLe discours de la présidente du FN a été perturbé par les Femen et par Jean-Marie Le Pen

La séquence est para-doxale pour Marine LePen et le Front national.Le parti a enregistré un

score historiquement élevé aux élections départementales en mars, et il affiche de grandes am-bitions pour les élections régiona-les de décembre, à l’occasion des-quelles plusieurs régions pour-raient tomber dans son escar-celle. Mais depuis un mois, la présidente du FN se trouve con-frontée à un conflit sans fin avec son père qui ne lui permet pas de s’appuyer sur cette dynamique. Lerendez-vous raté du 1er-Mai, date du traditionnel défilé parisien du parti d’extrême droite en mé-moire de Jeanne d’Arc, représente en quelque sorte le climax de cette mauvaise passe.

La députée européenne enten-dait prononcer un discours « to-nique » et « musclé » sur l’immi-gration et le terrorisme, pour re-prendre les termes de son entou-rage. Mais elle a dû composer avecplusieurs incidents qui ont faitpasser son propos au secondplan. Alors qu’elle commençaitson discours, place de l’Opéra,

Mme Le Pen a été interrompue par trois militantes du mouvement féministe Femen, qui ont déroulé du balcon d’un hôtel des bandero-les mêlant le logo du FN au dra-peau nazi.

Huée par la foule − composée de3 500 à 4 000 personnes selon les sources −, l’intervention a créé un moment de flottement. Au bout de quelques minutes, les servicesde sécurité du FN sont intervenus avec violence pour déloger les mi-litantes, qui ont ensuite été prises en charge par les forces de l’ordre.

Plusieurs plaintes déposées

S’étonnant que les membres duservice de sécurité aient pu en-trer si facilement dans l’hôtel,l’avocat des Femen a annoncéune plainte contre X pour « vio-lences, violation de domicile et ar-restation arbitraire ». Mme Le Pen aelle aussi affiché son intention deporter plainte pour « atteinte à laliberté de manifester ».

Une autre plainte doit être dé-posée par le FN pour « violencesvolontaires et tentative » contredes membres des Femen quiavaient perturbé un peu plus tôt

le dépôt de gerbe au pied de la sta-tue de Jeanne d’Arc, place des Py-ramides. Au total, sept person-nes, dont trois chargées de la sé-curité du FN, ont été interpellées.

Canal+ a indiqué de son côtéqu’une équipe de trois de ses journalistes avait été agressée pardes militants frontistes, avant d’être exfiltrée par le service d’or-dre du parti. Le député européenBruno Gollnisch s’en est lui aussipris à un des journalistes, qui se-lon lui pratiquait « le micro-per-che espion ».

Dans cette ambiance électrique,Jean-Marie Le Pen n’a pas manquéde faire valoir sa singularité. Aumoment de se recueillir au pied de la statue de Jeanne d’Arc, après que Marine Le Pen eut fait de

même, M. Le Pen s’est écrié, dans un élan quasi théâtral : « Jeanne, au secours ! » Il a ensuite rejoint en voiture la tribune érigée en face de l’Opéra Garnier, et s’est in-vité sur scène, juste avant que sa fille ne commence son discours. Ils’est offert, l’espace de quelques secondes, bras ouverts, les accla-mations de la foule, avant d’en descendre.

« Il a voulu saluer les militants,au dernier moment », explique un de ses proches. Plusieurs cadres du FN assurent que cette appari-tion n’était pas prévue au pro-gramme. Le cofondateur du mou-vement − toujours en convales-cence, selon son entourage, après son hospitalisation le 16 avrilpour un problème cardiaque − n’est pas resté pour écouter le dis-cours de sa fille, avec laquelle il n’apas échangé un regard.

Sans doute perturbée par latournure des événements, la pré-sidente du Front national a reprisle fil de son discours. Elle s’en estprise à la « grenade de l’isla-misme » qu’aurait dégoupilléel’intervention militaire de laFrance en Libye, en 2011. Répé-

tant ses propos tenus en 2012 à lasuite des tueries perpétrées parMohamed Merah − « J’avais de-mandé combien de Merah y a-t-il dans les bateaux, les avions, quichaque jour arrivent en France remplis d’immigrés ? » −, la prési-dente du FN a appelé à « arrêterl’immigration ».

Pour « musclé » qu’il ait été, cediscours ne cache pas le fait queles regards sont tournés vers le 4 mai, jour de la réunion du bu-reau exécutif du FN, qui doit déci-der d’éventuelles sanctions con-tre Jean-Marie Le Pen.

« Jean-Marie Le Pen vient d’alour-dir son dossier », a assuré FlorianPhilippot, qui a qualifié le cofon-dateur du parti de « vieux chan-teur qui veut faire un dernier tourde scène ». « Il viendra pour régler ses comptes », veut croire un cadredu parti.

Malgré les difficultés, dans l’en-tourage de Marine Le Pen, on as-sure que la séquence, censée déta-cher définitivement la présidente du FN de l’image de son père, re-présente « une étape indispensa-ble pour arriver au pouvoir ». p

olivier faye

« Jean-Marie

Le Pen

vient d’alourdir

son dossier »

FLORIAN PHILIPPOT

vice-président du FN

1 ER-MAI« Trop de syndicats », selon Bernard ThibaultL’ancien numéro un de la CGT a jugé, vendredi 1er mai, sur Europe 1, qu’il y avait « trop de syndicats en France », et plaidé pour « une unification du mouvement ». « Le syndicalisme français pâ-tit à la fois de sa division et de la multiplication des ac-teurs », a dit M. Thibault, qui a dirigé la CGT pendant qua-torze ans. Sur fond de pro-fondes divisions syndicales, plusieurs dizaines de milliers de manifestants (110 000 se-lon la CGT, 74 000 selon la police) ont célébré vendredi le 1er-Mai dans des cortèges moins fournis qu’en 2014.

FAIT DIVERSUn adolescent tué par balle à TrappesUn adolescent de 14 ans a été tué et un autre blessé lors d’une fusillade vendredi 1er mai à Trappes (Yvelines), une banlieue populaire, théâ-tre depuis plusieurs semainesd’échauffourées et de règle-ments de comptes sur fond de trafic de drogue. Les deux victimes étaient « inconnues a priori des services de police », selon le parquet, pour lequel « rien ne démontre pour l’ins-tant que l’un des jeunes ait été visé ».

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10 | france DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

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Où s’arrête la li-berté de penser,de parler, d’en-seigner ? La phi-losophie est-elleforcément sub-

versive ? Peut-on être neutre ? L’histoire de Jean-François Chaze-rans pourrait se décliner en dizai-nes de sujets de philosophie. De-puis le mois de janvier, elle necesse de faire disserter.

Sur la Toile, ce professeur de phi-losophie de Poitiers, sanctionné pour des propos tenus en classe après l’attaque contre Charlie Hebdo, est devenu, en l’espace de quelques mois, la figure du pro-fesseur engagé, libre et anticon-formiste, au service de l’émanci-pation des esprits. Provocateur et sans tabou. Et aujourd’hui vic-time d’une injustice. Mais dans « l’affaire Chazerans », difficile dedémêler la part de mythe et deréalité. Ne serait-ce que parce qu’elle repose sur des propos rap-portés, sortis de leur contexte, dé-formés, interprétés.

Il est 10 heures, jeudi 8 janvier.Depuis la veille défilent à la télé lesimages d’une rédaction décimée, la traque des frères Kouachi, des visages horrifiés par la tuerie. Au lycée Victor-Hugo − dans le centre-ville de Poitiers −, lorsque les élè-ves de terminale ES arrivent dans la classe de Jean-François Chaze-rans, ils sollicitent un débat sur l’attentat. Pourquoi pas. La veille, la ministre de l’éducation a de-mandé aux enseignants de « ré-pondre favorablement aux deman-des d’expression » des élèves. Et les cours de M. Chazerans commen-cent toujours ainsi : un élève ou le professeur propose un sujet, quiest voté puis débattu. Ce jour-là, pendant deux heures, on parle jus-tice, liberté d’expression, racisme, origines du terrorisme… « Hormis le contexte, ce n’était pas un coursdifférent de d’habitude », souligne le professeur de 55 ans.

Dix jours plus tard, pourtant, ilest convoqué chez la proviseure.Deux inspecteurs de l’éducation nationale l’y attendent. « Ils me di-sent : “Monsieur, on est là pour ré-diger un rapport qui sera ce soir surle bureau du recteur et demain surcelui de la ministre.” » Il s’avère qu’un parent d’élève a envoyé un courrier à la proviseure, dénon-çant certains de ses propos lors ducours. Selon cette lettre, il aurait dit : « Les militaires envoyés dans les pays en guerre, c’est de l’impé-rialisme » et « les crapules de Char-lie Hebdo ont mérité d’être tuées ».

Un dossier « pas vierge »

Apologie du terrorisme ? Le rec-teur de l’académie de Poitiers, Jac-ques Moret, prend l’affaire très ausérieux. Il accorde d’autant plusd’importance à cette dénoncia-tion que M. Chazerans est un en-seignant qui « pose question », dit-il, et que « son dossier n’est pasvierge ». Il suspend le professeur, diligente une enquête adminis-trative. Puis, comme celle-ci « n’a pas permis de démêler le vrai du faux », saisit le procureur de la Ré-publique le 23 janvier.

L’enquête pénale écarte lessoupçons d’apologie de terro-risme. Jean-François Chazerans a parlé de « crapules » au sujet desjournalistes de Charlie Hebdo, mais « à aucun moment il n’a sou-

tenu l’action des terroristes », sou-ligne le procureur, Nicolas Jac-quet. « J’ai prononcé le mot crapu-les en pensant au Charlie de ma jeunesse. Je n’aimais pas ce qu’ilsétaient devenus ; pour moi, ilsavaient un peu viré racistes. Alors oui, je me suis permis une petiteprovocation à la Charlie… », expli-que le professeur.

Côté justice, l’affaire est classéesans suite. Elle se prolonge côté éducation nationale, non plus surl’apologie du terrorisme, mais surles propos et la manière de fairecours de M. Chazerans. Car le pro-cureur a mis en garde l’adminis-tration : le professeur aurait fait

part de ses opinions en classe.Des élèves ont rapporté qu’il a « fait le lien entre terrorisme et im-périalisme de l’Occident » − il a no-tamment projeté un article tiréd’un blog intitulé « Le terrorisme, produit authentique de l’impé-rialisme ». D’autres disent qu’il aassimilé les militaires français à des terroristes. « C’est un élève qui avait quitté le cours qui a rapportéce qu’un camarade a cru entendre.Quoi qu’il en soit, je ne livre pasmes opinions, se défend M. Chaze-rans. C’est un cours de philosophie, je sème le doute, je pose des ques-tions pour ébranler des certitudes. »

Toujours est-il que le 13 mars, unconseil de discipline se tient. Il vote en faveur de la sanction pro-posée par l’administration : le dé-placement d’office. Jean-François Chazerans est muté à 80 kilomè-tres de Poitiers, dans un lycée des Deux-Sèvres. Son avocat et lui s’apprêtent à déposer un recours devant le tribunal administratif etenvisagent de porter plainte pour dénonciation calomnieuse.

Que lui est-il reproché précisé-ment ? Des mots, d’abord. Lors de leur enquête, les deux inspec-teurs ont été agacés par sa façonde prétendre « prendre le contre-

pied du discours ambiant domi-nant ». L’arrêté de sanction quali-fie ses propos d’« inadaptés » eu égard au « contexte particulière-ment tendu ». Jean-François Cha-zerans aurait franchi les limitesde son devoir de réserve et portéatteinte à l’image de sa fonction. Sa méthode est aussi mise en cause : pas de cours, seulement des débats, qui seraient menés sans préparation, sans organisa-tion, sans synthèse.

La sanction aurait sans doute étémoins lourde si M. Chazerans n’avait pas reçu, en 2014, un blâme pour propos « déplacés ». Ou si, en 2012, il n’avait pas déjà eu affaireau procureur. Militant du Droit au

« Un débat

se prépare, pour

éviter le café du

commerce ; il se

dirige, donne lieu

à une synthèse

et repose sur

un programme »

BRIGITTE ESTÈVE-BELLEBEAUinspectrice de philosophie

Le prof de philo, « Charlie » et la liberté d’enseignerA Poitiers, un enseignant aux méthodes pédagogiques hors normes a été muté après un débat sur les attentats

Un devoir de réserve « variable »

Le devoir de réserve ne figure pas dans le statut des fonctionnai-res, mais « relève de la jurisprudence, souligne Bernard Toule-monde, juriste et inspecteur général honoraire de l’éducation na-tionale. S’ils disposent d’une liberté totale de conscience, ils sont

tenus à une certaine réserve dans l’expression de leurs opinions et

dans leurs comportements. » Les contours de ce devoir sont « sub-

tils et variables », poursuit M. Toulemonde. Ils dépendent notam-ment de l’âge des élèves. Au primaire, une grande prudence doit être de mise ; à l’université, on peut tout dire. Entre les deux, il est admis que les professeurs peuvent débattre de tout sujet et faire part de leur avis, mais avec tact et mesure, sans prosély-tisme ni propagande.

logement, il avait projeté, lors d’un cours, une vidéo de l’expulsion d’un camp de mal-logés à Poitiers par la police. La fille du commis-saire, élève à Victor-Hugo, en a en-tendu parler. Elle a rapporté l’his-toire à son père, qui a porté plainte.L’affaire a été classée sans suite.

Autogestion

Voilà plusieurs années queM. Chazerans est dans le collima-teur de l’administration. Celle-cidit recevoir régulièrement des re-montées de parents. Il faut dire qu’il n’est pas tout à fait un ensei-gnant « dans le moule ». Sa classe fonctionne plus ou moins en autogestion. C’est collectivementqu’est décidé le sujet du jour. La prise de notes est recommandée, mais pas obligatoire. Deux con-trôles par trimestre sont organi-sés ; ceux qui veulent s’entraînerdavantage peuvent proposer un sujet ou en demander un. « Je ne considère pas mes élèves commedes gamins, mais comme des es-prits qui s’émancipent, explique l’enseignant. Je n’exige pas grand-chose d’eux. Pour moi, ça fait par-tie de l’acquisition de l’autonomie, ce qui est le rôle du cours de philo-sophie et celui de l’école. »

Voilà pour le cadre. Pour ce quiest de son enseignement, M. Cha-zerans est plus Socrate que so-phistes. Plus conversation que cours magistral. Les élèves sont en cercle et discutent. Le rôle du professeur est d’« accompagner lapensée collective » : poser des questions, recadrer, jouer le maî-tre provocateur, se mettre en re-trait quand il le faut. « Mais il y a aussi des moments où je donnedes références, des clés méthodolo-giques, où l’on construit une dis-sertation à l’oral », assure-t-il.Cette méthode, certains élèves l’adorent. D’autres craignent de ne pas être suffisamment prépa-rés au bac. Au lycée, le professeura sa réputation : « Avec Chazerans,on ne fout rien. »

Cette petite musique a fini parremonter aux oreilles de l’inspec-trice de philosophie, Brigitte Estè-ve-Bellebeau. En 2014, elle est ve-nue voir M. Chazerans pour luidire que « le débat ne pouvait être l’alpha et l’oméga » de l’enseigne-ment de philosophie. « Un débat se prépare, pour éviter de tomberdans le café du commerce ; il se di-rige, donne lieu à une synthèse etrepose sur un programme. » L’ins-pectrice lui a aussi demandé decontrôler son langage. « Les pro-fesseurs de philosophie aiment bien le registre de la provocation, et pourquoi pas. Mais il ne faut pasoublier qu’on est face à des espritsen construction, il y a une postureà avoir. Or, le lendemain de l’atten-tat, quand l’émotion était si forte,fallait-il amener un débat de na-ture aussi brûlante ? »

Mais M. Chazerans reste droitdans ses bottes. Sa méthode, voilàvingt ans qu’il la construit. Elle estnée un jour de 1994, lorsque, à la télévision, il tombe sur une émis-sion avec Marc Sautet, le fonda-teur du premier café-philo, placede la Bastille. Une révélation. L’année suivante, il crée son pro-pre café-philo à Poitiers. Et lors-qu’il obtient le Capes en 1998,c’est cette méthode fondée sur le dialogue qu’il tente d’importer dans ses cours.

Dans le monde enseignant, sonhistoire a heurté. Beaucoup l’in-terprètent comme une atteinte àla liberté pédagogique. L’associa-tion des professeurs de philoso-phie a fait part de son inquiétude face à « l’emballement » d’une pro-cédure « sur le seul fondement du témoignage de quelques élèves ». « On est plus exposé que je ne lepensais, déplore Alain Quella-Vil-léger, professeur agrégé d’histoi-re-géographie au lycée Victor-Hugo. D’un côté, on nous de-mande de forger des esprits criti-ques. De l’autre, on ne peut sortir d’une langue de bois formatée sans risquer d’être sanctionné. »

Depuis l’affaire, certains disentmême se censurer. « Mes cours sont plus plats, moins illustrés. Jelaisse moins de place aux débats », regrette un collègue sous couvert d’anonymat. « Il faut garder à l’es-prit que tout ce qu’on dit peut êtremal interprété, renchérit un autre.Au lendemain d’un attentat, Jean-François Chazerans a pu être ma-ladroit face à des élèves qui en avaient une vision manichéenne.Il a pris des risques et en paie le prix fort. » p

aurélie collas

« C’est un cours

de philosophie,

je sème le doute,

je pose

des questions

pour ébranler

les certitudes »

JEAN-FRANÇOIS CHAZERANSprofesseur de philosophie

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 economie & entreprise | 11

Loi Florange : les actionnaires vent deboutPlébiscités dans les groupes contrôlés par l’Etat, les droits de vote double le sont rarement ailleurs

La saison avance, la ques-tion suscite toujoursautant de vagues dans lesassemblées générales

(AG) d’actionnaires : faut-il, ou non, accepter la loi Florange ? De-puis le 29 mars, celle-ci donne un droit de vote double aux investis-seurs ayant conservé leurs titres pendant deux ans. Seule solution pour en contrer l’application :faire voter en AG, à la majorité des deux tiers, une résolution s’y op-posant.

Chez Renault, jeudi 30 avril,l’Etat a fait accepter les droits de vote double, en dépit de l’opposi-tion du PDG, Carlos Ghosn, et d’une partie du conseil d’adminis-tration – ce dernier avait proposéune résolution « anti-Florange ». En revanche, la liste des poids lourds de la cote qui ont plébiscité le statu quo, c’est-à-dire le principe« une action, une voix », s’allonge.Dernier en date : le réassureur Scor, dont les actionnaires ont re-jeté à 96,6 % la loi Florange, jeudi.

Les droits de vote double consti-tuent une sorte de prime pour les actionnaires de long terme. Pré-sentés comme une façon de fidéli-ser les actionnaires, ils sont égale-ment considérés comme un moyen de défense anti-OPA. Mais ils hérissent les partisans du prin-cipe égalitaire « une action, une voix ».

Avant Scor, Vinci ou Unibail-Ro-damco avaient aussi rejeté la loiFlorange. Tout comme L’Oréal et la foncière Gecina. « Ces [deux] so-ciétés ont mis en avant le fait qu’el-les disposaient déjà d’autres ma-nières de récompenser la fidélité des actionnaires, notamment par des dividendes majorés », souligneBénédicte Hautefort, de l’Hebdo des AG. Un argument qui faitmouche. Ces bonus financiers, qui récompensent également unedétention de titres de plus de deux ans, parlent au portefeuille des actionnaires.

Et les investisseurs dits « de longterme » ne sont pas les derniers à les plébisciter. « Les dividendes majorés plaisent aux assureurs(Groupama, Axa, etc.) ou aux fonds de pension américains, quiinvestissent sur le long terme etsont tenus de trouver des place-ments avec un rendement maxi-mal », explique Mme Hautefort.

Pour les actionnaires qui con-trôlent déjà leurs sociétés,comme Nestlé et la famille Bet-tencourt chez L’Oréal, obtenir des droits de vote double ne présente

pas non plus de réel intérêt. A l’in-verse, les actionnaires salariés peuvent être séduits par cet ins-trument qui permet de peserdans les décisions : chez Eiffage, où ils détiennent un peu plus de 25 % du capital, le sujet n’a pas été soumis à l’AG, le 15 avril, entéri-nant les droits de vote double.

Pas anodin pour l’Etat

Pour les investisseurs institution-nels, la loi Florange présente une autre limite. Afin d’obtenir des droits de vote double, les actionsdétenues depuis deux ans doiventêtre inscrites au « nominatif ». Ce système permet à la société con-cernée de connaître nommémentses actionnaires, et donc de facili-ter le dialogue avec eux. Mais il implique aussi des démarches ad-ministratives complexes, notam-ment pour les fonds étrangers.

« L’inscription au nominatif rend

les titres moins liquides, car elle né-cessite une opération supplémen-taire auprès de la banque intermé-diaire si les investisseurs veulentvendre, ou même simplement prê-ter, leurs titres » ajoute Arnaud Pé-rès, avocat chez Mayer Brown.

La loi Florange est donc surtoutplébiscitée dans les groupes con-trôlés par l’Etat ou par un action-naire majoritaire. Ce qui s’estpassé chez Renault ou Vivendi (dont Vincent Bolloré détient prèsde 15 %) a toutes les chances de se reproduire chez GDF-Suez, Orange ou EDF…

Dans une tribune parue dans LeMonde du 25 avril, Emmanuel Ma-cron, le ministre de l’économie, défendait les droits de vote dou-ble en fustigeant le « capitalisme naïf qui a conduit à privilégier les intérêts d’actionnaires aux straté-gies de long terme. » Et soulignaitque « l’économie de marché est un

rapport de force sur lequel nousavons les moyens de peser ».

Mais pour l’Etat, la manœuvreest loin d’être anodine. En périodede disette budgétaire, augmenterson poids en droits de vote lui per-mettrait ensuite de s’alléger en ca-

pital des sociétés concernées,sans perdre en influence.

La Sicav Phitrust, qui avait dé-posé une résolution anti-Florange(rejetée) à l’AG de Vivendi, le 17 avril, a fait de même chezOrange, dont l’AG se tient le 27 mai. « Le droit de vote double nerespecte pas la proportionnalitéexacte entre le capital investi parun actionnaire et les droits de vote dont il dispose », justifie Denis Branche, directeur général délé-gué de Phitrust.

« La loi Florange offre une armede plus aux activistes », indiquait mi-avril Pierre Pringuet, le prési-dent de l’Association française des entreprises privées. Cette der-nière, qui représente les grandes entreprises, a d’ailleurs recom-mandé aux conseils d’administra-tion des groupes concernés de soumettre la question au vote des AG. « Cette loi, qui se voulait un

L’Etat réussit son coup de force chez RenaultLa rémunération de Carlos Ghosn, le PDG du groupe, qui a triplé, à 7,2 millions d’euros, a recueilli le petit score de 58 %

I l y avait la fronde tradition-nelle des syndicalistes de laCGT et de SUD, postés devant

l’entrée de la salle du Carrousel duLouvre, à Paris, avec force dra-peaux et tracts pour dénoncer larémunération du PDG Carlos Ghosn. Il y avait le mécontente-ment, tout aussi habituel, des pe-tits actionnaires réclamant le mi-cro pour exiger la distributiond’actions gratuites.

Mais la véritable opposition, lorsde l’assemblée générale (AG) de Renault jeudi 30 avril, était inédite.Il s’agissait de celle de M. Ghosn et de la majorité de son conseil d’ad-ministration, qui avait déposé unerésolution afin de contrer la loi Florange. Peine perdue. Le texte, qui accorde des droits de vote dou-ble à tout actionnaire présent au capital depuis plus de deux ans, a été avalisé. L’AG s’est prononcée à 60,53 % pour la fameuse résolu-tion 12 qui aurait pu permettre de conserver le principe « une action,

une voix » si elle avait obtenu les deux tiers des votes. L’Etat s’était assuré qu’il en serait ainsi. Jus-que-là actionnaire à 15 % du cons-tructeur, il avait fait grimper sa participation à 19,7 % (et 23 % des droits de vote) le 8 avril, dans le butde neutraliser les anti-Florange.

« C’est une bonne nouvelle […]c’est cohérent avec la volonté qui estla nôtre de défendre un capitalisme de long terme, qui valorise et favo-rise les actionnaires [...] durable-ment installés. [Il est] important que l’Etat […] se voit reconnaître cesdroits de vote double pour la parti-cipation qui est la sienne et en l’es-pèce les 15 % qu’il détient durable-ment », s’est félicité Emmanuel Macron, ministre de l’économie, en déplacement à Rome.

Manière d’enfoncer le clou, à l’is-sue d’une guerre des nerfs qui auraduré trois semaines entre le gou-vernement et la direction de Re-nault. Le 16 avril, une semaine après la montée de l’Etat au capital,

le conseil d’administration de la marque au losange avait réaffirméson attachement aux droits de vote simple. Le 23, son partenaire Nissan, également actionnaire à 15 % de Renault (mais sans droitsde vote attachés, pour des ques-tions de participations croisées), s’était aligné sur cette position.

De quoi faire craindre une répli-que en règle des deux groupes faceà l’Etat actionnaire, alors que l’Al-

liance – la structure commune créée après le rachat et le sauve-tage de Nissan en 1999 – implique un délicat équilibre entre les inté-rêts du français et ceux du japo-nais. « Le principe des participa-tions croisées [entre Renault et Nis-san] repose sur un rapport de con-fiance à l’intérieur de l’alliance. L’introduction de droits de vote double va accentuer le déséquilibre entre Nissan, qui a zéro droit de vote, et l’Etat », a regretté Philippe Lagayette, administrateur de réfé-rence de Renault, lors de l’AG.

« Convergence sur le fond »

M. Ghosn a joué l’apaisement, évo-quant une « convergence sur le fond [entre Etat et direction] pour faire de Renault une entreprise prospère ». M. Macron a pris soin de rappeler que « la part addition-nelle qui a été achetée par l’Etat, pour s’assurer qu’une minorité de blocage serait constituée à l’assem-blée générale, sera revendue ».

Mais le score de plus de 60 % re-cueilli par les anti-Florange mon-tre que la partie a été serrée. La par-ticipation élevée à l’AG (plus de 72 % des actionnaires, contre 64 % en 2014) indique une mobilisationsans doute dictée par la volonté deréagir face au coup de force de l’Etat.

Les actionnaires individuels pré-sents jeudi restaient, de fait, dubi-tatifs quant au fond mais surtout àla manière d’imposer la loi Flo-range chez Renault. « Il y a un gros point d’interrogation, on manque d’information. On se demande le-quel des deux [l’Etat ou M. Ghosn] nous entube », ironise Serge, an-cien salarié du constructeur à la re-traite, et actionnaire depuis quinze ans. « Quand on voit comme l’Etat peut être mauvais gestionnaire, on a le droit d’être in-quiet », estime pour sa part Daniel,également retraité de l’ex-Régie.

Autre vent de fronde lors de l’AG :le vote sur la rémunération de

M. Ghosn. Liée aux bons résultats du groupe, elle a triplé, à 7,2 mil-lions d’euros (en comptant les ac-tions de performance) au titre de2014. Consultatif depuis l’an der-nier, le vote sur le « say on pay » n’arecueilli que 58 % de votes pour.Un score famélique pour une AG, où les résolutions votées à moins de 90 % sont l’exception, et infé-rieur à celui de 2014 où M. Ghosn avait obtenu 64 % des suffrages.

Il faut dire que les émolumentsdu PDG sont traditionnellement rejetés par… l’Etat, adepte de la mo-dération salariale dans les entre-prises dont il est actionnaire. La réaction de Marc Ladreit de La-charrière, président de Fimalac et administrateur présidant le co-mité de gouvernance de Renault, n’a guère aidé à éteindre la grogne.« Il n’y a aucune leçon à tirer » du mauvais score de jeudi sur le say on pay, a-t-il asséné en réponse à une question sur le sujet. p

a. t.

Lors de l’assemblée généralede Renault, le 30 avril,

au Carrousel du Louvre, à Paris.NICOLAS MESSYASZ/SIPA/SIPA

« C’est une arme

de plus pour

un actionnaire

qui veut prendre

le contrôle

[d’une société]

en deux ans, sans

avoir à payer le

prix d’une OPA »

BÉNÉDICTE HAUTEFORT

L’Hebdo des AG

rempart anti-activistes, est au con-traire une arme de plus pour un ac-tionnaire qui veut prendre le con-trôle [d’une société] en deux ans, sans avoir à payer le prix d’une OPA », abonde Mme Hautefort.

Chez Vivendi, fin mars, M. Bol-loré a ainsi porté de 8 % à 14,5 % sa part au capital du groupe de mé-dias, afin d’imposer les droits de vote double. Une forme de prise de contrôle rampante, que d’aucuns ont également vu dansla démarche de l’Etat chez Renault.

« Plus de la moitié des sociétés duCAC 40 détiennent déjà des droitsde vote double. La loi Florange n’est donc pas une révolution. Maiscomme elle tente d’imposer une rè-gle qui existait déjà largement sur une base volontaire, l’effet d’an-nonce sur l’attractivité de la placede Paris est regrettable », déplore M. Pérès. p

audrey tonnelier

« Quand on voit

comme l’Etat

peut être

mauvais

gestionnaire,

on a le droit

d’être inquiet »

DANIEL

un retraité de l’ex-Régie

12 | économie & entreprise DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

0123

Tesla veut révolutionner le monde de l’énergieLa société d’Elon Musk a lancé une gamme de batteries pour habitations et entreprises qui permettent de stocker l’énergie solaire

san francisco - correspondance

Pour Elon Musk, son fon-dateur et patron, Teslan’a jamais été un simpleconstructeur de voitures

électriques. Mais une société technologique dont la vocationest d’innover dans le domaine de l’énergie. Jeudi 30 avril, l’entrepre-neur d’origine sud-africaine a fait un nouveau pas dans cette direc-tion, avec la présentation de Tesla Energy, une gamme de batteries dites stationnaires, destinées aux maisons, aux entreprises et auxproducteurs d’énergie, qui doi-vent changer « la totalité de l’in-frastructure énergétique dans lemonde pour la rendre totalementdurable et sans produire d’émis-sions de carbone ».

M. Musk ne veut pas seulementaccélérer la transition énergéti-que. Il rêve d’une planète où toutel’énergie consommée provien-drait de ressources renouvela-bles. « Je crois que cela est à la por-

tée de l’humanité », a-t-il prophé-tisé lors d’une conférence de presse au siège de l’entreprise àHawthorne, dans la banlieue de Los Angeles (Californie).

La solution : le soleil, « qui selève tous les matins et fournit une quantité incroyable d’énergie »,poursuit M. Musk. Mais l’énergie produite par les panneaux solai-res doit être stockée afin d’ali-menter maisons et usines lors-que l’étoile ne brille pas. « Les bat-teries existantes sont chères, mo-ches et peu fiables. Et elles fonctionnent sous différents systè-mes qui ne sont pas compatibles. Iln’est aujourd’hui pas possible d’acheter une batterie qui fonc-tionne facilement. »

Pour les logements et les petitesentreprises, Tesla Energy va com-mercialiser la PowerWall. Ses di-mensions sont modestes : 1,30mètre de haut, 86 centimètres de large et 18 centimètres de profon-deur. Et son apparence soignée. Plusieurs couleurs seront même disponibles. Elle s’accrochera à unmur, à l’intérieur ou à l’extérieur. Deux versions seront vendues dès cet été aux Etats-Unis, d’unecapacité respective de 7 kWh et de10 kWh.

La surprise vient du prix

Si cette annonce était attendue, la principale surprise est venu duprix : 3 000 à 3 500 dollars (2 680 à 3 120 euros), hors frais d’installa-tion. Une facture qui pourrait êtreadoucie si les différentes adminis-trations américaines accordent des déductions fiscales, commeelles le font déjà pour l’installa-tion de panneaux électriques. Les experts tablaient plus sur unefourchette allant de 6 000 à10 000 dollars. « La PowerWallpourrait jouer un rôle analogue àla manière dont la téléphonie mo-bile a remplacé les lignes terres-tres », prédit M. Musk.

General Electric, Samsung ou en-core LG sont déjà présents. Maiselle dispose d’importants avanta-ges sur la concurrence. Outre sonimage de marque et son pouvoir marketing, elle bénéficiera cer-tainement de ses liens étroitsavec SolarCity, dont M. Musk pré-side le conseil d’administration.L’entreprise californienne ins-talle environ un tiers des pan-neaux solaires résidentiels aux Etats-Unis. Les deux groupes ont déjà mené une phase de tests pour équiper quelques centaines de maisons en batteries.

Tesla Energy pourra aussi s’ap-puyer sur la technologie propul-sant ses voitures électriques. Celalui permettra de bénéficier d’im-portantes économies d’échellespour abaisser les coûts de fabrica-tion. Cet atout sera encore plus grand après l’ouverture de sa pro-chaine usine, baptisée « gigafac-tory ». Ce gigantesque site, im-planté dans le Nevada, produira un nombre record de batteries li-thium-ion. M. Laslau estime queles coûts de fabrication par kWh passeront de 266 dollars à172 dollars au cours des dix pro-chaines années.

A court terme, la majorité desventes pourraient être réalisées en Californie, où l’énergie solaire représente déjà 5 % de la produc-tion globale. L’Etat le plus peuplédes Etats-Unis veut porter cettepart à 33 % d’ici à 2020. Il va égale-ment contraindre les électriciensà s’équiper d’importantes capaci-tés de stockage.

A plus long terme, les opportu-nités seront nombreuses pour Tesla. Les analystes de Deutsche Bank estiment que la société pourrait générer jusqu’à 4,5 mil-liards de dollars par an sur cemarché. C’est davantage que le chiffre d’affaires réaliséen 2014. p

jérôme marin

PATRICK T. FALLON

/REUTERS

Pour les grandes entreprises etles producteurs d’énergie, Tesla Energy proposera la PowerPack,d’une capacité de 100 kWh. Cesbatteries pourront être combi-nées « à l’infini », promet M.Musk. La société va mener des programmes pilotes au cours desprochains mois, alimentant par exemple un data center d’Ama-zon et plusieurs supermarchésTarget. Une centrale électriquedétenue par une filiale d’EdisonInternational testera égalementces batteries.

Les batteries de Tesla pourrontêtre reliées à des panneaux solai-res, mais aussi branchées sur le secteur. Dans ce cas de figure, el-les permettront de réduire la fac-ture d’électricité : rechargées pendant les heures creuses, elles alimenteront habitations, usines et bureaux aux heures pleines. « Il faudra plusieurs années pour rentrer dans ses frais », prévient Cosmin Laslau, analyste chez LuxResearch. Entre cinq et huit ansprévoient les experts. Autre cas d’utilisation : un générateur desecours en cas de coupure de cou-rant.

Tesla n’est pas la première so-ciété à se lancer sur ce marché, où

P our lancer en grande pompe les festivités des 120 ans deSwarovski, l’une des cinq membres du comité exécutif,Nadja Swarovski a convenu d’une évidence sous forme

d’autodérision. Grâce à son expansion internationale, dans 170pays, le nom de groupe familial de cristaux facettés – implanté dans les montagnes du Tyrol du Sud – est « enfin devenu plus fa-cile à prononcer dans le monde entier », s’est-elle félicitée…

Pour cet anniversaire célébré en présence du chef de l’Etat autri-chien, Heinz Fischer, Swarovski a ouvert ses portes au public jeudi 30 avril à Wattens, son musée modernisé et agrandi. Avec une ambition affichée pour ce site déjà le plus visité d’Autriche après le palais de Schönbrunn : « Atteindre entre 800 000 et 850 000 visiteurs par an » dès 2016, (contre 600 000 à 650 000 aujourd’hui), a expliqué Markus Langes-Swarovski,membre du comité exécutif et patron de la division profession-

nelle des cristaux. « Tout est fait pour qu’ils ypassent davantage de temps – quatre heureset non plus deux », a ajouté Stefan Isser, di-recteur général de Swarovski Tourism.

Depuis deux ans et demi, une kyrielle d’ar-tistes travaille à rendre encore plus brillantsà la fois le parc et le musée. Le duo Andy Caoet Xavier Perrot a élevé des nuages de800 000 cristaux qui changent d’intensitélumineuse selon le temps. Une tour de jeuxpour enfants, signée par le bureau d’archi-tecture Snohetta, a pris place dans le jardin.Tout comme un énorme labyrinthe. Un par-cours d’une vingtaine d’installations, sculp-tures, vidéos marie les œuvres d’Oliver Irs-

chitz, Fabrizio Plessi, Fredrikson Stallard ou encore du designer Arik Levy. L’ensemble est réussi.

Pour clôturer le parcours, les visiteurs pourront faire des em-plettes puisque c’est désormais à Wattens que se situe le mieux achalandé et le plus vaste magasin Swarovski. Le groupe familial,qui affiche 3,05 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014, joue avec la chance. Il bénéficie « de la faiblesse de l’euro » et re-trouve, depuis quatre mois, « une croissance à deux chiffres de sesventes dans le monde entier », affirme M. Langes-Swarovski. Maissurtout au cours du chantier estimé à 34 millions d’euros, les pel-leteuses sont tombées sur un vrai trésor, datant de l’époque ro-maine : 702 pièces d’argent, des Antoniniens, âgées de près de deux mille ans. p

nicole vulser

DEPUIS PLUS DE DEUX ANS, UNE KYRIELLE D’ARTIS-TES TRAVAILLE À RENDRE ENCORE PLUS BRILLANTS LES LIEUX

LES CHIFFRES

3 500Le prix en dollars de la batterie de 10 kWh. Avec l’installation et d’autres frais, la facture pourrait doubler, selon Lux Research.

68Le chiffre d’affaires, en milliards de dollars, que devraient générer les batteries entre 2014 et 2024, selon Navigant Research.

3,2Le chiffre d’affaires, en milliards de dollars, de Tesla en 2014

ÉNERGIEL’Eglise d’Angleterre lutte contre le réchauffement climatiqueL’Eglise d’Angleterre a an-noncé, jeudi 30 avril, aban-donner tout investissement dans le charbon et le pétrole de sables bitumineux pour lutter contre le réchauffe-ment climatique. Elle vendra l’équivalent de 12 millions de livres (16,5 millions d’euros) d’actifs dans ces activités et cessera d’investir dans des entreprises dont plus de 10 % des revenus proviennent de l’exploitation de ces sources d’énergie fossiles. L’Eglise possède au total quelque 9 milliards de livres (12,4 mil-liards d’euros) d’actifs, qui lui permettent de se financer. a souligné Richard Burridge, un responsable du panel de l’in-vestissement éthique de l’Eglise.

TECHNOLOGIELa justice chinoise perquisitionne chez UberLes bureaux du service Inter-net de covoiturage Uber à Canton ont été perquisition-nés et du matériel saisi, a ré-vélé vendredi 1er mai le quoti-dien local Metropolis Daily. La société américaine a indiqué à l’AFP coopérer avec les ins-tances compétentes, sans ce-pendant confirmer la perqui-sition. En janvier, le ministère des transports chinois avait interdit « pour des raisons de sécurité » les applications sur smartphone mettant en con-tact des passagers et des con-ducteurs de véhicule privé.

ÉDITIONTeresa Cremisi quitte la direction de FlammarionTeresa Cremisi, dont le pre-mier roman doit paraître le 7 mai, a annoncé son départ de la direction de Flammarion début juin, dans un entretien à Livres Hebdo. « Je garde l’ac-compagnement de mes

auteurs [parmi lesquels Mi-chel Houellebecq, Yasmina Reza, Catherine Millet ou en-core Fred Vargas] et peut-être la découverte de nouveaux ta-lents », a-t-elle confirmé à l’AFP. « Quand on approche de 70 ans, on a envie de réorgani-ser sa vie. » Elle quittera ses fonctions comme PDG de Flammarion après l’assemblée générale du 2 juin.

LUXEClessidra acquiert 90 % de CavalliLe fonds d’investissement ita-lien Clessidra GSR a annoncé jeudi 30 mai le rachat, pour un montant non communi-qué, de 90 % du capital de la marque de luxe florentine Roberto Cavalli. Les derniers 10 % resteront aux mains du fondateur de la marque. Le groupe sera présidé par Fran-cesco Trapani, vice-président de Clessidra et ex-administra-teur délégué de Bulgari. Ro-berto Cavalli s’était doté le mois dernier d’un nouveau directeur artistique, le Norvé-gien Peter Dundas.

INVESTISSEMENTSLa Chine est le premier investisseur en AustralieLa Chine est devenue, devant les Etats-Unis, le premier in-vestisseur étranger en Austra-lie, selon des statistiques pu-bliées vendredi 1er mai. Les investissements chinois en Australie se sont montés à 27,7 milliards de dollars aus-traliens (19,4 milliards d’euros) entre juillet 2013 et juin 2014 (17,5 milliards de dol-lars australiens pour les Etats-Unis – premier investisseur pendant dix ans – et 15,4 mil-liards pour le Canada). Sur ces 27,7 milliards, 12,4 milliards proviennent d’investisse-ments dans l’immobilier rési-dentiel, en hausse de 110 % sur un an. En février, le gou-vernement australien a an-noncé des mesures pour frei-ner les investissements étrangers dans ce secteur.

L'HISTOIRE DU JOUR Swarovski, 120 ans, un musée et un trésor

L’ouverture de sa

prochaine usine,

baptisée

« gigafactory »,

gigantesque site,

implanté dans le

Nevada, lui

permettra

de baisser ses

coûts de

fabrication

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 bourses & monnaies | 13

19 531,63 POINTS5 046,49 POINTS 18 024,06 POINTS6 985,95 POINTS11 454,38 POINTS 5 005,39 POINTS3 615,59 POINTS

TOKYOPARIS NEW YORKLONDRESFRANCFORT NASDAQEURO STOXX 50

− 4,22 %CAC 40 DOW JONES

− 1,20 %FTSE 100

− 4,86 %DAX 30

− 4,13 % − 1,70 % − 3,25 %NIKKEI

4 JOURS 4 JOURS 4 JOURS

− 0,31 %

Les fusions-acquisitions, l’assurance tout risque des BoursesLes marchés d’actions ont retrouvé leur niveau d’avant 2008. Et, malgré les facteurs d’instabilité, restent sereins

J usqu’ici, tout va bien. Très bien,même. Les marchés d’actionsont retrouvé leurs niveaux dudébut de l’année 2008, c’est-à-

dire d’avant la grande crise finan-cière et la déflagration boursièrequi s’en est suivie. C’est le cas en Eu-rope du CAC 40, l’indice star de la Bourse de Paris, et de l’EuroStoxx 50, l’indice des 50 plus gran-des entreprises de la zone euro, même s’ils ont terminé la courte semaine commencée lundi 27 avril sur des baisses respectives de 4,22 %, à 5 046,49 points, et 4,13 %, à3615,59 points.

La crise, qui s’est étirée pendantsix longues années dans la zone euro, semble enfin toucher à sa fin.La demande de crédit repart…

Mais qu’en sera-t-il demain ? L’in-certitude du conflit ouvert entre

l’Eurozone et la Grèce et d’autres facteurs d’instabilité potentielle, tel le risque de survalorisation du« compartiment des actions » qui alimente les débats d’experts – autrement dit, la formation d’unebulle boursière –, constituentautant d’épées de Damoclès sus-pendues au-dessus des marchés fi-nanciers.

Pour l’heure, cependant, pas depanique, assurent les économistesde marchés, selon qui il existe aussi, en regard, des « facteurs de soutien de cours ». A commencer par le grand retour des fusions-ac-quisitions d’entreprises, toujours très appréciées des investisseurssur les marchés pour les perspecti-ves de gains qu’elles offrent.

Amorcé en 2014, le mouvements’est amplifié au cours des quatre

premiers mois de l’année, avec en-core tout récemment, le 28 avril, l’annonce du passage sous pavillonaméricain de Norbert Dentressan-gle, ce groupe familial lyonnais de-venu l’une des plus importantesentreprises françaises de transport et de logistique. Un rachat à plus de3,2 milliards de dollars (2,8 mil-liards d’euros) conduit par la so-ciété de logistique de Greenwich (Connecticut), XPO Logistics.

« Un rôle d’amortisseur »

La veille, lundi 27 avril, Paul Herme-lin, le PDG de la société françaiseCapgemini, l’un des leaders mon-diaux du conseil et des services in-formatiques, avait présenté à lapresse « une acquisition majeure » :le rachat de la société américainede services informatiques Igate,pour 4 milliards de dollars.

Dans une étude publiée mercredi29 avril, François Genovese, prési-dent de la société de gestion AlmaCapital & Associés, estime ainsi que ces opérations de rachat et de rapprochements joueront « un rôled’amortisseur » en cas de baisse desindices européens.

Rachat de Norbert Dentressan-gle, acquisition de Capgemini aux Etats-Unis, rumeurs autour d’un intérêt possible de Vivendi pour Europacorp et Mediaset, rappro-chements dans le secteur pharma-ceutique outre-Atlantique… « La thématique des fusions acquisitionsoccupe le devant de la scène microé-

conomique depuis le début de l’an-née », écrit le dirigeant, et, « selonun sondage réalisé, début avril, par CM-CIC Securities auprès de soixante dirigeants d’entreprises, plus de la moitié anticipent des rap-prochements dans leur secteur, (…)cette tendance pourrait constituer un facteur de soutien de cours. »

Car, poursuit François Genovese,en dépit des craintes et des alertes face à une éventuelle bulle bour-sière, « les acquéreurs bousculentles idées reçues en se montrant plu-tôt généreux envers les actionnairesde leurs cibles ». Et justement, parmi les derniers exemples en date, le gérant cite l’acquéreur du groupe Dentressangle, XPO Logis-tics, qui a offert une prime de 36,7 % par action par rapport au cours de clôture du titre, mardi 28 avril.

De son côté, le groupe américain

de messagerie et de logistique Fe-dEx avait annoncé, début avril, lelancement d’une OPA amicale surle groupe néerlandais TNT Express,valorisant sa cible à 33 % de plus que son dernier cours de clôture.

Plus globalement, résumel’étude, « la prime moyenne consta-tée en 2014 sur l’ensemble des offres de rachats à la Bourse de Paris,parmi lesquelles figurent celles émi-ses sur Club Med, Steria ou encoreBoursorama, avoisine les 40 % par rapport à la moyenne de cours enre-gistrée au cours des trois derniersmois précédents. » De quoi faire sa-liver les investisseurs et dynamiserla Bourse…

Selon les gérants d’actions, toutest en place, en Europe, pour unepoursuite du mouvement de fu-sions-acquisitions au cours des prochains mois. Au gré des restruc-turations et des opérations de refi-nancement réalisées à bon compte, grâce à la politique de tauxbas, les grands groupes de l’indus-trie et des services ont en effet ac-cumulé de grosses réserves de tré-sorerie.

Ce à quoi s’ajoute, relève la sociétéAlma Capital & Associés, la forte dépréciation de l’euro, qui a provo-qué une baisse de la valorisation re-lative des entreprises européennes face à leurs homologues américai-nes ou asiatiques. De là à imaginer une vague de mariages transatlan-tiques… p

anne michel

Grâce à la politique de taux bas,

les grands groupesde l’industrie

et des services ont accumulé degrosses réserves

de trésorerie

Matthieu Pigasse promu chez Lazard

Matthieu Pigasse, directeur général délégué de Lazard France, a été nommé responsable mondial des fusions-acquisitions de la banque d’affaires franco-américaine, selon un communiqué pu-blié jeudi 30 avril. Cette fonction s’ajoute à celles qu’il occupe déjà, soit, outre la direction de Lazard France, le pilotage des activités de conseil sur les dettes souveraines. Cité dans le com-muniqué, le PDG de Lazard, Kenneth Jacobs, souligne que M. Pigasse, 46 ans, a contribué à développer l’activité en France et sur les marchés émergents. M. Pigasse (par ailleurs action-naire à titre individuel du Monde) est récemment intervenu sur plusieurs grosses opérations telles que la vente du pôle énergie d’Alstom à General Electric. Lazard a aussi annoncé la nomina-tion d’Alexander Stern comme directeur général chargé du con-seil financier. Il reste directeur des opérations du groupe.

MATIÈRES PREMIÈRES

Le Sud prend le melon

L e melon tourne rond. Et lecercle de ses pérégrinationsne cesse de s’élargir au

rythme des échanges mondialisés.A Almeria, en Espagne, la récolte des premières cucurbitacées de l’année, mûries sous serre, a com-mencé. Sur les étals des supermar-chés, elles ont été précédées, dès fin février, par leurs homologues cultivées au Maroc, et au Sénégal. La production française, sous serrechauffée, débarque, elle, début mai. Il faudra attendre encore un mois pour consommer des me-lons français qui ont poussé sous chenille en plastique. Et, bien sûr, l’arrivée de l’été pour les amateurs de fruits de plein champ et de sai-son gorgés de soleil…

Le melon n’échappe pas au désirdes supermarchés de désaisonna-liser fruits et légumes. Un enjeuqui guide les travaux des sélec-

tionneurs de Vilmorin, filiale de la coopérative française Limagrain, numéro un mondial de la se-mence de melon. Elle revendique un tiers d’un marché de 124 mil-lions d’euros, jugé stratégique, ses marges étant aussi juteuses qu’un fruit bien mûr.

Un kaléidoscope de goûtsEn Californie, en Espagne, en France ou en Thaïlande, ses équi-pes pollinisent à tour de bras les plants, pour multiplier les croise-ments, créer des hybrides et ré-pondre aux attentes des clients. Les consommateurs, eux, restent attachés à leur melon de prédilec-tion. Les Français réclament du charentais, à la chair orangée. Les Espagnols du piel de sapo, ou peau de crapaud, un nom évocateur de son écorce verte et jaune tachetée. Les Italiens, le cantaloup italien ou

le jaune canari. Quant aux Améri-cains, ils ne jurent que par le ho-neydew ou le cantaloup version western ou eastern shippers.

Respecter ce kaléidoscope degoûts, livrer un fruit sucré, tout en accroissant sa durée de consom-mation, ce défi bouleverse le pay-sage de la production. Si la Chine reste en tête, avec 300 000 hecta-res pour le melon, sur les 700 000 recensés au niveau mondial, elle répond surtout à sa demande inté-rieure. A l’inverse, dans d’autres pays, l’exportation est le moteur de nouvelles plantations. Tel le Brésil, qui, avec 13 000 hectares, fait désormais presque jeu égal avec la France (14 000 hectares).

Brésil, Amérique centrale, Séné-gal, Maroc ou Andalousie, les plantations glissent irrésistible-ment en latitude. Le Sud prend lemelon. Les impératifs des voyagesau long cours dictent le choix des variétés. Le piel de sapo vogue sans souci entre le Brésil et l’Espa-gne. De même, le galia vers l’Alle-magne. Et les melons du Maroc et du Sénégal destinés à la France sont souvent des charentais verts,plus résistants, presque identi-ques visuellement au charentais jaune, mais sans l’odeur et la com-plexité d’arôme de son cousin…

Les échanges ne sont pas sansrisque pour les plantes. Un nou-veau virus, le Nueva Delhi, apparufin 2013 en Andalousie, a donné des sueurs froides aux produc-teurs. Ils croisent les doigts : le melon espagnol espère échapper au pépin de santé en 2015. p

laurence girard

L es banques centrales poursuiventleur avancée en terres inconnues, etle chemin prend de plus en plus sou-

vent des allures de montagnes russes. Cette semaine, la Réserve fédérale (Fed) a pris la pente descendante. Mercredi 29 avril, quelques heures avant la fin de sa réunion, le chiffre de la croissance améri-caine au premier trimestre a été publié. Il n’est pas bon : le produit intérieur brut a progressé de 0,2 % seulement en rythme annualisé. Du coup, la Fed attendra proba-blement septembre avant de relever ses taux.

La Banque centrale européenne (BCE), elle, voit en revanche la bouteille à moitié pleine ces jours-ci. Le crédit au secteur privé est reparti à la hausse en mars (+ 0,1 %) après des mois de repli, tandis que l’inflation s’est établie à 0 % en avril, repas-sant ainsi en territoire positif. La politique ultra-accommodante de l’institut de Franc-fort commence à porter ses fruits. Enfin.

Pourtant, la route est encore longue. Et certaines banques centrales semblent sur le point de s’égarer. Pendant la crise, la plu-part d’entre elles s’étaient converties à l’art de guider les marchés en leur donnant des indices sur leur politique à venir. L’ère était à la transparence et à la communica-tion. On appelait cela le guidage des antici-pations, ou forward guidance, et tout fonc-tionnait très bien.

Du moins, jusqu’en janvier. Car, depuis, les banques centrales ne sont plus aussi transparentes. Leur communication n’est plus aussi impeccable. Parfois, elles pren-nent même de court les marchés en agis-sant par surprise. Le 15 janvier, les ban-quiers de Zurich ont ainsi frôlé l’apoplexie lorsque la Banque nationale suisse a, d’un coup, abandonné la parité entre le franc suisse et l’euro. Le 21 janvier, la Banque du Canada a baissé son taux d’intérêt de 1 à

0,75 % sans prévenir. Même scénario pour la Banque de Suède, qui a réduit le sien à 0,25 % le 17 mars.

Sans parler des instituts monétaires du Danemark, de Singapour ou encore d’In-donésie qui, eux aussi, ont dérouté les marchés en agissant sans annoncer la cou-leur des semaines à l’avance, comme il était jusque-là de coutume de le faire…

Les moutons de la financeEst-ce à dire que la forward guidance, en-censée il y a quelques mois encore, serait désormais passée de mode ? Peut-être bien. En vérité, les banquiers centraux sont embarrassés. Les marchés sont deve-nus trop « accros » à leurs indications préalables. Ce n’est pas bon. Quand les moutons de la finance avancent tous dans la même direction, ils créent des bulles.

Stephen Poloz, le gouverneur de la Ban-que du Canada, l’a reconnu lui-même le 21 janvier : pour fonctionner sainement, les marchés ont besoin d’un peu de volati-lité. C’est-à-dire de moins de prévisibilité.

Si les banques centrales jouent de nou-veau à surprendre, c’est également parce qu’elles sont démunies. Face aux pressions déflationnistes qui travaillent la planète, elles manquent d’outils. Leur créativité a atteint ses limites. Alors que faire ? La ré-ponse viendra peut-être de la Fed, pre-mière grande banque centrale à s’être en-gagée sur la voie des politiques non conventionnelles, et à en sortir. p

marie charrel

SOURCE : FRANCEAGRIMER-RÉSEAU DES NOUVELLES DES MARCHÉS

4 MARS 2013 27 AVRIL 2015

Des cucurbitacées à foison

COURS DU MELON CHARENTAIS ORIGINE SÉNÉGAL,

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TAUX & CHANGES

Les banques centrales font des surprises

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La famille politique de l’UMPest fille de la républiqueNotre parti a toute légitimité de se renommer « Les Républicains ». Il réaffirme ainsi les valeurs défendues par la droite depuis le général de Gaulle. C’est aussi vouloir leur donner une nouvelle impulsion, en s’appuyant sur une plus grande participation des citoyens à la vie politique

par nathalie kosciusko-morizetet laurent wauquiez

L a république est un caractère dis-tinctif et fondamental de l’identitéde la France, et c’est l’un de ses prin-

cipaux atouts dans le monde nouveau quis’annonce. Contrairement à ce que sup-pose Jean-Noël Jeanneney dans sa récente tribune (« “Les Républicains” ? Indigne captation d’héritage », Le Monde du15 avril), elle n’est pas un régime démocra-tique comme les autres, auquel il suffirait à chacun d’adhérer. La gauche,aujourd’hui, dit « république » parce qu’elle n’ose plus dire « France ». Manuel Valls prétend défendre la république, mais, dans le même temps, il accuse son propre pays d’entretenir un système d’apartheid. N’est-ce pas l’antithèse abso-lue du principe républicain ?

D’autres encore brandissent le drapeautricolore, mais foulent au pied, quotidien-nement, les valeurs de notre patrimoinecommun républicain, constitué notam-ment du respect des différences et de l’ap-port de chacun à l’œuvre de tous. Au-delà des généalogies artificielles, c’est en se fondant sur nos valeurs que nous pou-vons l’affirmer : oui, nous avons toute lé-gitimité à nous renommer « Les Républi-cains ». De la même façon que les socialistes s’appellent socialistes parcequ’ils défendent d’abord le socialisme, nous souhaitons nous appeler Les Répu-blicains, car nous défendons avant tout l’identité républicaine.

Nous avons pour ambition d’être unmouvement de large rassemblement, un espace moderne de débat et d’action, lecreuset d’une nouvelle alliance des Fran-çais pour faire vivre la république. AvecNicolas Sarkozy, nous aspirons à devenirle mouvement de la France debout et de la république en marche. La république nese réduit pas à un concept abstrait, ou à la lutte contre les extrêmes. En France, c’est un système de valeurs constituées depuis deux siècles : des racines culturelles, uneécole méritocratique, la valeur du travail,la protection des plus faibles, pour n’en ci-ter que quelques-unes.

FORMER DES ESPRITS COMPLETS

Ces valeurs sont encore plus nécessaires aujourd’hui qu’auparavant, face aux ris-ques du siècle commençant. La gauche, depuis le fameux rapport du think tank Terra Nova et les menées idéologiques des ministres de la justice ou de l’éduca-tion nationale, s’en est ouvertement écar-tée. Les socialistes ne défendent plus quele dernier carré du socialisme. Plus que ja-mais, la droite voit l’avenir de la France dans la république.

Les révolutionnaires les plus acharnésavaient voulu faire de la France une tablerase. Mais, depuis la chute de Robespierre, la république n’a jamais renié ses racines. Elle prend son appui sur la civilisation ju-déo-chrétienne et gréco-romaine, d’oùnous sommes issus, et qui doit continuer à être notre source d’inspiration huma-niste. Ceux qui établirent la république imitèrent la République romaine : il serait temps de s’en rappeler, à l’heure où le gou-vernement veut faire disparaître ce qui reste de l’enseignement du latin et du grec.

L’établissement de la république a ins-tauré la souveraineté du peuple et son unité. Elle exige que ses citoyens aient desidéaux et des principes communs. Ils re-posent sur l’école méritocratique héritéede Condorcet et Jules Ferry, pilier essen-tiel de la république. L’école républicaine est libre, obligatoire et égale pour tous ; mais ce que le projet actuel du gouverne-ment oublie, c’est qu’elle est aussi exi-geante, et qu’elle doit valoriser l’excel-lence, afin de permettre à tout élève méritant de gravir l’échelle sociale, tout en transmettant notre patrimoine.

Dans un monde où l’accès à l’informa-tion sera de plus en plus facile et lemonde du travail de plus en plus spécia-lisé, l’idéal républicain doit être retrouvé : il s’agit de former des esprits complets et cultivés, non des consommateurs. C’est le même idéal d’unité républicaine qui a permis l’assimilation au corps national, d’abord des provinces françaises, puis des

étrangers installés en France – contraire-ment à la pratique anglo-saxonne, dont on constate aujourd’hui l’échec. Etre répu-blicain, c’est refuser le communauta-risme ; nous demandons, la république demande, aux étrangers de respecter ses lois et ses usages, elle demande aux im-migrés, qui veulent devenir français, d’ad-hérer aux valeurs de la république, sans réserve et sans exceptions. Cela va biensûr de pair avec un respect absolu de la laïcité dans tous les aspects de la vie pu-blique : c’est désormais un fondement du pacte républicain.

Le modèle d’assimilation doit redevenirun cap pour garantir l’unité nationale des futures générations de citoyens. L’unité républicaine est également venue s’oppo-ser aux privilèges et aux féodalités d’An-cien Régime. Elle a révolutionné le rapportdes Français au travail : c’est la Révolution qui a aboli les corporations et les privilè-ges professionnels. Aujourd’hui, d’autres privilèges, d’autres avantages catégoriels,issus des dérives d’un système social qui était auparavant un fleuron de la républi-que, corrompent la valeur du travail.

Etre républicain, c’est vouloir donnerune nouvelle grandeur au travail libre etresponsable, contre les logiques d’assista-nat ou d’emplois aidés. C’est, enfin, soute-nir une certaine idée de la modernité. La république de 1792 a donné à la France la jeunesse et l’énergie nécessaires pour af-fronter les monarchies d’Europe – on de-venait général à 25 ans. Face aux défis du XXIe siècle, partis et responsables ne peu-vent continuer à agir comme des Bouvard et Pécuchet de la politique, engoncés dans des pratiques myopes et somnolentes.

Le nouveau mouvement, tel que nousl’avons construit, devra mettre en œuvreune nouvelle manière de faire participerles citoyens à l’action politique. Il ne sera pas fondé sur un corps dirigeant centra-lisé et aveugle, mais sur des bases locales et interactives, qui brasseront plus large-ment les idées et les participants. Notre mouvement se ressourcera dans un élan de la base, comme la république s’est fon-dée sur la participation du peuple. Voilàce qu’est vraiment être républicain.

Depuis que le général de Gaulle, à la Li-bération, a voulu faire en sorte « que la victoire de la France soit aussi celle de la ré-publique », notre famille politique n’a ja-mais dévié de cette boussole commune : défendre la république, défendre la France, défendre ses valeurs, c’est pour nous une seule chose. C’est même le point d’union des composantes de ladroite et du centre.

Prendre le nom Les Républicains,aujourd’hui, c’est affirmer clairement nos objectifs. C’est donner une nouvelle dyna-mique à l’idéal, toujours jeune, de la« chose du peuple ». C’est vouloir le ras-semblement et l’unité des Français, alorsqu’ils sont sans cesse opposés les uns aux autres, urbains et ruraux, jeunes et vieux, fonctionnaires et travailleurs libéraux. C’est appeler à un soulèvement des Fran-çais devant les compromis, les commu-nautarismes, les privilèges et les lâchetés, et redonner à la France sa fierté et son rang de grand pays. Les Républicains, c’est une identité, c’est aussi un projet. La répu-blique sera le mur porteur de notre nou-veau mouvement et, le moment venu, au cœur de notre projet d’alternance. p

¶Nathalie Kosciusko-Morizet est vice-présidente de l’UMP

Laurent Wauquiez est secrétaire général de l’UMP

ÊTRE RÉPUBLICAIN,

C’EST REFUSERLE COMMUNAUTA-

RISME

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 débats | 15

A Baltimore, nous sommes tous Freddie GrayLa colère s’est emparée de la communauté noire américaine après les multiples bavures policières et la faible réactionde la justice. La voie pacifique est désormais contestée etle recours à la violence n’est plus exclu, comme en témoigne cette tribune publiée le 28 avril par le « New York Times »

par d. watkins

L es récentes émeutes à Baltimoresemblent avoir pour seul motif lamort de Freddie Gray, le jeune Noir

de 25 ans qui a été brutalement agressépar des policiers le 12 avril au seul motif, semble-t-il, qu’il les avait regardés. Ils l’ont jeté à terre, lui brisant les vertèbrescervicales et lui écrasant le larynx, avant de le hisser à bord d’un fourgon de la po-lice alors qu’il avait signalé à plusieurs re-prises qu’il avait besoin de soins médi-caux. Il est mort une semaine plus tard.

Pourtant, ces événements ne concer-nent pas seulement Freddie Gray. Comme lui, j’ai grandi à Baltimore et, comme tous ceux que je connais, j’aivécu des expériences similaires, même sielles ne se sont pas terminées de lamême façon. Pour nous, le Baltimore Po-lice Department est un ramassis de terro-ristes financés par nos impôts, qui tabas-sent chaque jour des membres de notrecommunauté, et qui n’ont quasiment ja-mais à rendre compte de leurs actes ni àen payer le prix. C’en est arrivé à un pointoù nous n’appelons plus les flics, sauf quand nous avons besoin d’une attesta-tion pour faire jouer une assurance.

Et cela va au-delà des seuls flics. Nousavons observé la façon dont la maire, Ste-phanie Rawlings-Blake, aux côtés du chefde la police de la ville, Anthony W. Batts, apassé plus d’une semaine à enquêter sur ce qui semble être une affaire on ne peutplus claire. Il me semble que si je brisaisle cou de quelqu’un sans aucune raison,je devrais être inculpé dans la minute. Mais le système – même quand il est di-rigé par une maire noire et un chef de la police noir, même quand la majorité duconseil municipal est noire – protège lapolice, quels que soient l’évidence de sa faute ou son degré de brutalité.

Je ne parlerai pas des nombreuses affai-res de victimes innocentes de brutalitéspolicières qui, au cours des trois derniè-res années, ont perçu au total près de 6 millions de dollars de compensation dela part de la municipalité, je n’évoqueraipas non plus Tyrone West, Anthony An-derson, Freddie Gray et la bonne centainede personnes tuées par des policiers lo-caux au cours de la dernière décennie,mais je vais vous raconter quelques-unesdes expériences que j’ai vécues avec la police parce que je suis un homme noir àBaltimore.

Alors que j’avais une dizaine d’années,une bande de voyous déboula chez nous après avoir défoncé la porte. Ils cher-chaient de la drogue. Pendant plusieurs heures, ils nous menacèrent de leurs ar-mes, ma famille et moi, tandis qu’ils sac-cageaient méthodiquement la maison.Quand ils partirent, ma mère appela lesflics ; ils se présentèrent au bout de deux heures et se comportèrent comme si c’était nous les criminels, en râlant parcequ’ils allaient devoir établir un rapport.

UNE POLICE HORS DE CONTRÔLEA l’âge de 12 ans, je jouais souvent au bas-ket à Ellwood Park, à l’est de la ville [l’undes quartiers les plus dangereux de laville]. Un jour, les flics s’amenèrent en di-sant qu’ils recherchaient un type soup-çonné de cambriolage. Soudain, une de-mi-douzaine de policiers pénétrèrent surle terrain de quatre directions différenteset nous firent tous allonger par terre sur le ventre. Un de mes amis, que nous ap-pelions « Fat Kevin », demanda : « Pour-quoi vous nous traitez comme des ani-maux ? » Un des flics lui répondit :« Parce que vous êtes des bons à rien » – mais en utilisant un terme beaucoup plus vulgaire et beaucoup plus courantpar ici.

Plus tard, alors que j’avais 14 ans, un flicattrapa un gamin nommé Rick à la nuqueet le fit tomber de son cyclomoteur. Rick se releva en criant : « Qu’est-ce que j’aifait ? » Le flic et son partenaire se mirentaussitôt à le frapper à coups de matraque.Rick en garda plusieurs semaines un vi-sage sévèrement contusionné.

Je pourrais vous raconter bien d’autres

histoires du genre, depuis la crèche jus-qu’à l’université. Qu’ils aient manifesté, brûlé des voitures de police ou nettoyéles rues le 28 avril au matin, presque tousles habitants noirs de Baltimore ont vécudes choses semblables.

La police de Baltimore, comme celle denombreuses villes du pays où réside uneforte population noire, est hors de con-trôle, et cela ne date pas d’hier. L’une des principales raisons en est que beaucoup de ses membres n’habitent pas à Balti-more même ; certains ne vivent mêmepas dans le Maryland. Beaucoup ne con-naissent pas et ne se soucient pas descommunautés dans lesquelles ils inter-viennent, raison pour laquelle ils peu-vent arriver chez nous, nous battre etnous tuer sans le moindre signe de re-mords ou d’empathie.

« ON S’EN FOUT ! »Beaucoup d’habitants de Baltimore res-sentent la même chose, ce qui expliqueque des tas de gens différents descendentchaque jour dans la rue depuis la mort deFreddie Gray, le 19 avril.

La plupart de ces manifestations ontété pacifiques. Les premiers actes de vio-lence ne sont apparus qu’après la mani-festation non violente mais agitée qui aeu lieu samedi 25 avril devant l’hôtel deville. C’est de là qu’un groupe de manifes-tants, dont j’étais, s’est dirigé vers Camden Yards, où les Orioles, l’équipe debase-ball de Baltimore, jouaient contre les Red Sox de Boston. Alors que nouspassions devant une rangée de bars, ungroupe de supporteurs blancs réunis sur le trottoir, et portant les couleurs de Bos-ton ou de Baltimore, se sont mis à crier : « On s’en fout ! On s’en fout ! » Certainsnous ont traités de singes et de maca-ques. Une bagarre a éclaté et il y a eu desblessés.

Après cela, l’explosion n’a pas tardé. Cer-tains demanderont peut-être : « Pourquoi Baltimore ? » Mais, en réalité, la vraie question, c’est : « Pourquoi cela a-t-il prissi longtemps ? »

Les jeunes émeutiers de Baltimore ontobservé les manifestations pacifiques quiont eu lieu à Sanford (Floride), à Ferguson(Missouri) et à New York, pour protestercontre la mort d’hommes noirs auxmains de la police ou d’un vigile de quar-tier autoproclamé, et, à chaque fois, ils ont été déçus par le résultat [la justice n’acondamné aucun des responsables].

Nous commençons à croire que se tenirla main, défiler derrière des pasteurs etmanifester pacifiquement ne sert à rien.La seule option est de nous soulever et decontraindre la maire Rawlings-Blake à faire ce qui devrait être un choix simple :cesser de protéger les policiers qui onttué Freddie Gray ou voir s’embraser Balti-more. p

Traduit de l’anglais (américain) par Gilles Berton.© « New York Times »

¶D. Watkins enseigne à l’université

Coppin et est l’auteur de deux livres

à paraître : « The Beastside »

et « Cook Up ».

Plusieurs auteurs noirs font

entendre dans le débat public

des positions similaires.

NOUS COMMENÇONS

À CROIRE QUE SE TENIR LA MAIN,

DÉFILER DERRIÈRE DES PASTEURSET MANIFESTER PACIFIQUEMENTNE SERT À RIEN

16 | enquête DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

0123

Du béton et des plumes

Cinquante ans après la mort de Le Corbusier, trois livres dépeignentl’architecte de la Cité radieuse comme un démiurge fasciste, provoquant la discorde entre pro et anti- « Corbu »

michel guerrin

Il est 12 h 50, ce mardi 28 avril, quandFrédéric Migayrou prend le micro de-vant une cinquantaine de journalis-tes, dont de nombreux étrangers, quiviennent de découvrir en avant-pre-mière l’exposition Le Corbusier, à voir

au Centre Pompidou jusqu’au 3 août. « Bon, on va poser la question qui fâche mainte-nant », lance ce commissaire de l’exposition. Tout le monde comprend. Elle tient en quatremots : « Le Corbusier est-il fasciste ? » Fascistecelui que l’on surnomme avec paresse le « Pi-casso » ou l’« Einstein » de l’architecture, le génie de la modernité de l’entre-deux-guer-res, qui a inventé une façon de vivre pour les masses, qui est défendue par une cohorte degardiens du temple et qui a imposé son allured’artiste du béton ?

Poser la question suffit à jeter l’opprobre surCharles­Edouard Jeanneret, né en 1887 à La Chaux­de­Fonds, en Suisse, installé à Paris en 1917, devenu Le Corbusier en 1922, natura­lisé français en 1930 et mort noyé en 1965 au large de Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Ma-ritimes). La poser au Centre Pompidou, ce sanctuaire de l’art moderne, revient à y jeterune boule puante. Mais voilà, trois livres sontparus qui décrivent la face obscure du maî-tre : sa fréquentation de cercles fascistes dansla France des années 1930 (il qualifie les ma-nifestations d’extrême droite du 6 février 1934 de « réveil de la propreté »), son installa-tion à Vichy pendant dix-huit mois de 1941 à 1942, où il occupait un bureau d’Etat à l’Hôtel Carlton, et plus largement sa fascination pour les régimes totalitaires, pour un eugé-nisme social – sans parler de son antisémi-tisme. Témoins, ces trois lettres à sa mère. Dé-bâcle de juin 1940 : « Si nous avions vaincu parles armes, la pourriture triomphait, plus rien de propre n’aurait jamais plus pu prétendre à vivre. » Août 1940 : « L’argent, les juifs (en par-tie responsables), la franc-maçonnerie, tout subira la loi juste. » Octobre 1940 : « Hitlerpeut couronner sa vie par une œuvre gran-diose : l’aménagement de l’Europe. »

Ces trois livres – Un Corbusier, du critiqueFrançois Chaslin (Seuil, coll. Fiction & Cie, 517 p., 24 €) ; Le Corbusier, un fascisme français, deXavier de Jarcy, journaliste à Télérama (Albin Michel, 288 p., 19 €) ; Le Corbusier, une froide vision du monde, de l’universitaire Marc Pe-relman (Michalon, 255 p., 19 €) – tétanisent ouchoquent le milieu corbusophile. Mais ils ra-content aussi une France qui n’aime pas trop affronter son passé noir.

LE SOL APPARTIENT AU PEUPLE

Nulle trace de ce passé trouble ne figure dansl’exposition. Et, sans les livres, personne nel’aurait remarqué. Serge Klarsfeld, président de l’association Fils et filles de déportés juifsde France (FFDJF), estime, lui, qu’il fallaitmontrer « toutes les facettes » de l’architecte. « Pas notre sujet », rétorque Frédéric Migay-rou. Son sujet, et celui de l’autre commissairede l’exposition, Olivier Cinqualbre, est demontrer comment le corps humain guide la pensée et les créations de l’architecte, par exemple la hauteur de 2,26 m qu’il imposesous plafond, le toit-terrasse qu’il offre aux locataires, les pilotis qui portent ses Cités ra-dieuses parce que le sol appartient au peuple.

Pourtant, cent cinquante sites et journauxdu monde entier ont déjà repris une dépêchede l’AFP du 10 avril, au titre ravageur : « Le Cor-busier, fasciste militant ». Quand une polé-

mique déborde, dans le monde de l’architec-ture, quasi absent des débats publics, ses spé-cialistes se recroquevillent. Ainsi la Société française des architectes (SFA, 450 membres),chapelle corbuséenne, qui a voulu organiser une rencontre avec François Chaslin, le mer-credi 29 avril, l’a-t-elle annulée au derniermoment. Motif ? « Vacances scolaires, problè-mes logistiques. » Il n’est pas sûr que ce soit laseule raison. « Des gens me tournent le dos de-puis la sortie de mon livre, comme si j’avais trahi la cause », confie Chaslin. Jean-Luc Pe-rez, secrétaire général de l’Académie d’archi-tecture, est, lui, déçu : « C’est quand même fou.Il y a trois livres et zéro débat. Certains ne veu-lent pas sortir Le Corbusier de la muséification,alors que débattre est le meilleur moyen pourqu’il reste vivant. »

La posture dominante, face à ces livres, estde dire qu’« on savait déjà ». Ce qui fait bondirles auteurs. Car qui savait, hormis un carré despécialistes ? « Nous avons ouvert une brèche dans un monde de silence », répond Xavier de Jarcy. Quant à Marc Perelman, il taille en piè-ces « Corbu » depuis trente ans.

Aucun historien en France ne s’est vrai-ment emparé de la question, alors que la Fon-dation Le Corbusier, à Paris, n’a jamais fermé sa porte aux chercheurs. Ce sont sans sur-prise des Anglo-Saxons, à partir des années1970, qui ont épluché le cas « Corbu ». C’est àune Américaine, Mary Caroline McLeod, uni-versitaire à Princeton (New Jersey), que l’ondoit l’étude la plus riche – Urbanism and Uto-pia, Le Corbusier From Regional Syndicalism to Vichy –, mais cette thèse de 1985 n’a pas ététraduite.

En France, c’est en 1987, à l’occasion de lapremière exposition Le Corbusier au CentrePompidou qu’est publié Le Corbusier, une en-cyclopédie (Ed. Centre Pompidou, sous la di-rection de Jacques Lucan). Jean-Louis Cohen,l’historien quasi officiel du maître, y évoque les liens de l’architecte avec Vichy, mais on sent bien, et encore plus dans un autre texte,

signé Rémi Baudoui, le désir de nuancer lesdérives. Jean-Louis Cohen vient de rééditerun gros livre de vulgarisation, Le Corbusier, laplanète comme chantier (Textuel), qui com-prend un passage intitulé « Une cure de dix-huit mois à Vichy ». L’historien raconte aussi qu’en 1934 Le Corbusier rêve de rencontrer Mussolini et imagine, pour le séduire, unesoirée diapos. « Une forme qui serait admira-ble pour le colloque avec M. serait d’être reçu lesoir quelque part avec une lanterne de projec-tion et de projeter quelques clichés. »

La thèse générale est de dire que Le Corbu-sier n’est pas fasciste mais opportuniste danssa quête de commandes. Jean-Louis Cohen creuse ce sillon : « L’opportunisme est la pre-mière loi de tous les architectes. C’est le fameux“Get the Job !”, lancé par l’architecte américainHenry Hobson Richardson. » Et puis « une pos-ture de séduction teintée de naïveté qui lui faitintérioriser les discours des pouvoirs en place ». D’où ses séjours à Vichy, Rome, Mos-cou.

« ADIEU CHER MERDEUX VICHY »

L’opportunisme, c’est le point de fractureavec François Chaslin : « Je pense, au con-traire, qu’il était essentiellement un idéologue,un politique et l’un des “chefs” de ce qu’en une autre époque on eût appelé un groupuscule (…) un noyau militant qui aspirait au totalita-risme et que seule la confusion de l’époque acantonné dans l’échec. » Car la « chance » de LeCorbusier est que le régime de Pétain ne lui a pas confié de projet. Ce qui lui fait écrire : « Adieu, cher merdeux Vichy ! » Mais s’il avaitobtenu gain de cause, « sans doute serait-il resté », dit Cohen, tout en ajoutant que « sonstyle moderne était détesté par nombre de ca-dres de Vichy ».

Le « Corbu » retracé dans les livres tutoie ladroite, et même l’extrême droite, une kyriellede noms qui ont fini bannis, en prison ou pire. Mais il fréquente aussi la gauche, le Particommuniste, il soutient les Républicains es-

pagnols, est proche de l’artiste Fernand Léger,du résistant Eugène Claudius-Petit, de l’archi-tecte catalan Josep Lluis Sert, d’André Ma-lraux… « Il était anti-Boches », ajoute Jean-Louis Cohen.

Du point de vue de l’antisémitisme, les let-tres à sa mère sont accablantes. Jean-Louis Cohen y voit pour sa part « un antisémitisme de classe, qui n’a rien à voir avec Céline », au motif que, dans les années 1920, « l’industriehorlogère suisse est aux mains des Juifs qui lui passent parfois commande et sont mauvaispayeurs ». Aucune comparaison, selon lui, avec son maître en architecture, Auguste Per-ret, reconstructeur du Havre après 1945, pré-sident de l’ordre des architectes sous Vichy et qui exclut des membres juifs – « un vrai col-labo, celui-là », dit Jean-Louis Cohen. D’autresne font pas ces nuances. En 2010, l’historiensuisse de l’architecture Pierre Frey qualifie « Corbu » d’« antisémite violent qui aurait sans coup férir construit pour Hitler », provo-quant ainsi le retrait d’une campagne de pu-blicité de la banque UBS qui utilisait le visage de Le Corbusier.

De l’homme à l’œuvre, il n’y a qu’un pas,franchi allègrement par Jarcy et Perelman dans leurs livres, selon lesquels l’art du« Corbu » est fasciste. La ville est une machinequi produira un homme nouveau, un ordrenouveau, fondé sur la standardisation et l’autorité. Ils rappellent qu’en 1925 le plan Voi-sin, que Le Corbusier inspire, invite à raser une bonne partie du cœur de Paris. « Mais tous les architectes à l’époque rêvaient des vil-les rationnelles ! », rétorque Jean-Louis Cohen.Jarcy explique encore que les grands ensem-bles, en banlieue, sont en germe dans la Charte d’Athènes, un texte où Le Corbusier a mis sa patte en 1933, texte « devenu la bibledes urbanistes de l’après-guerre ». Ce qui indi-gne une fois de plus Jean-Louis Cohen : « Lepère des grands ensembles, c’est Pierre Dalloz, conseiller de Claudius-Petit au ministère de lareconstruction après la guerre, et qui était lefondateur du Maquis du Vercors. »

Dialogue de sourds. Qui fait une victime,François Chaslin, dont le livre est le plus nuancé, le plus brillant des trois, car il resti-tue la complexité du « corbeau », que l’auteuradmire. Mais il est un peu emporté dans la spirale d’une bataille réductrice entre pro etanti-« Corbu ». Sans que l’on sache où est lavérité d’un personnage qui n’hésitait pas à dire : « Je suis d’une simplicité totale, ce sont les événements qui sont tordus. »

ÉCHANGES DE NOMS D’OISEAUXFrédéric Migayrou n’est pas spécialiste de Le Corbusier mais ne déteste pas provoquer. Ilaffirme que les trois livres sont médiocres. Illeur donne cependant raison en reconnais-sant que l’histoire de l’architecture des an-nées 1920 à 1945 en France avec ses imbrica-tions politiques n’a pas été écrite. Il vientdonc d’annoncer en toute hâte, contraint par la polémique, un colloque pour début 2016 dont Le Corbusier sera le fil conducteur. « Si laquinzaine d’historiens qui font de Le Corbusierleur fonds de commerce depuis trente ans avait affronté cette question du politique, on n’en serait pas là ! », peste-t-il. Au même mo-ment, Jean-Louis Cohen annonce justement qu’il entreprend un travail sur l’architecture sous Vichy…

Antoine Picon, le président de la FondationLe Corbusier, se dit, lui, « attristé » par ces échanges de noms d’oiseaux autour du « Corbu ». Car ce climat risque « de faire dé-railler » deux projets. Le premier consiste à faire classer en 2016 au Patrimoine mondial de l’Unesco dix-sept sites de l’architecte dans sept pays : Cité radieuse à Marseille, Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp (Haute-Saône), ensemble de Firminy-Vert (Loire), mais aussi le site de Chandigarh, en Inde, et lamaison du docteur Currutchet, en Argentine.Par deux fois, la candidature a déjà été reca-lée, en 2009 et 2011. Alors avec la polémique…

Et puis la Fondation porte un projet de mu-sée Le Corbusier, à Paris ou en région pari-sienne, pour y montrer une partie de ses 34 000 plans, études et croquis, des objets, maquettes, tapisseries, poteries… Elle cher-che un bâtiment de 5 000 m2. « On ne veut pasconstruire, vous imaginez la difficulté pourl’architecte qui serait choisi », s’amuse An-toine Picon. On imagine. p

Le Corbusier sur un chantier dans les années 1930. KEYSTONE

L’HISTORIEN JEAN-LOUIS COHEN

RACONTE QU’EN 1934 LE CORBUSIER

RÊVE DE RENCONTRER

MUSSOLINI ET IMAGINE, POUR LE SÉDUIRE, UNE SOIRÉE DIAPOS...

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 culture | 17

Le Whitney donne mieux à voir l’AmériquePlus clair et spacieux, le nouvel bâtiment du musée new-yorkais a été conçu par Renzo Piano

ARCHITECTURE

new york

Impossible de se tromper. Ilsuffit de suivre la High Line,ce parc urbain perché surune ancienne voie ferrée, qui

longe Manhattan de la 30e Rue au district de Meatpacking. En boutde ligne, là où, autour de la rue Gansevoort, s’affairaient les gros-sistes en viande avant que les barsgays n’investissent le quartier, se dressent deux édifices qui ne lais-sent pas indifférent. Le premier, l’hôtel Standard, a été imaginé parle promoteur et hôtelier AndréBalazs et dessiné par l’agence En-nead Architects. Achevé en 2009,c’est un haut édifice perché sur pi-lotis, façon Le Corbusier, aux faça-des élégantes et délicieusement transparentes, ce qui génère un ensemble de vues splendides sur l’Hudson, et réciproquement, sur l’intérieur des chambres. Le Stan-dard fait un tabac auprès d’uneclientèle branchée.

Mais son plus proche voisin,tout juste inauguré par MichelleObama, est appelé lui aussi à unebelle renommée. Il s’agit du bâti-ment du Whitney Museum, lemusée d’art américain, qui a quitté le 945 Madison Avenue et lecélèbre édifice brutaliste cons-truit en 1966 par Marcel Breuer (1902-1981). Il se faisait par tropétroit au regard d’une collectionqui n’a cessé d’augmenter depuis sa fondation en 1931 par Gertrude Vanderbilt Whitney.

Renzo Piano, devenuaujourd’hui l’un architectes lesplus célèbres du monde, a été chargé de la construction du nou-veau musée, comme il devait l’être de l’agrandissement de l’an-cien édifice, après qu’un projet de Michael Graves puis un autre de Rem Koolhaas eurent été refusés tour à tour, bloqués par le voisi-nage pour de classiques motifspatrimoniaux, ou refusés pour leur modernité. L’étrangechef-d’œuvre de Breuer restedonc livré à lui-même, prêté au Metropolitan Museum, toujours à cours d’espace malgré son gi-gantisme.

Il est beau... enfin pas tropLe Whitney transposé a pu lui aussi se déployer à l’aise, dou-blant ses surfaces d’exposition, qui passent à 50 000 pieds carrés (4 650 m2), à quoi s’ajoutent 13 000 pieds de terrasses (1 200 m2), pour 350 000 visiteursannuels. L’ensemble a coûté 422 millions de dollars, soit prèsde 380 millions d’euros (ou le budget de la Philharmonie de Pa-ris…), financé par les donateurs et le mécénat à hauteur de 752 mil-lions, une part notable devant al-ler à la fondation.

Mais le nouveau musée laissedubitatif, autant que le gros bloc de Breuer, dans ses premières an-nées, avec sa façade en escalier in-versé. Peut-être troublé par ce mo-dèle grandiose, et par les vieilles effluves d’abattoir du nouveau quartier, Piano a joué une sonatearchitecturale surprenante pourun constructeur familier de l’élé-gance et de la rigueur. Non que l’objet Whitney de la rue Ganse-voort soit exempt de ces qualités, mais elles sont interprétées à la mode de Breuer, qui savait être amateur de situations bancales, aussi bien qu’attentif au confortd’une chaise, lorsqu’il se faisait designer.

Pas un trait ici qui relève de la sy-métrie ou donne un classique sen-timent d’équilibre. Comme l’avait écrit la critique du New York Ti-mes, Ada Louise Huxtable, à pro-pos du Whitney 1966 : la bonne ar-

chitecture est « une synthèse insai-sissable et presque contradictoire des mots efficacité et beauté ».

Est-ce à dire que le nouveauWhitney n’est pas beau ? Mais si, ilest beau… Enfin pas trop, si on lui retire le paysage de la rivière Hud-son et l’ample respiration que luidonne le paysage Meatpacking, majoritairement industriel et bas de plafond. Sans le soleil si lumi-neux que la chance a offert auxjournées d’inauguration, ce fiervaisseau blanc tangue un peu du côté du pétrolier ou de la plate-forme de forage, ce qui rappellera les critiques qu’avait dû supporterà sa naissance le Centre Pompi-dou, lui aussi fils de Piano.

Peut-être pas 100 % beau, donc,mais bien conforme à sa fonction lorsqu’on en fait le tour : vastes baies tout en largeur, qui indi-quent autant de généreuses pri-ses de lumière ; plafonds tout en

hauteur ; terrasses et escaliers à foison, propices à la respiration. Voilà de quoi éloigner le fantôme de Madison Avenue, où grésillait un léger sentiment de claustro-phobie, dû à la rareté des ouvertu-res. Allons jusqu’à dire que les dé-fauts (relatifs) du Whitney de Breuer se trouvent comme re-tournés. Entrons. Tous les espacessont magnifiés, pleins d’une belle clarté. Les salles sont vastes, par-tagées par des cimaises disposées avec une luminosité et une régu-larité qui esquivent l’impression de labyrinthe, trop fréquente dans d’autres institutions récen-tes. L’accrochage en profite : lesœuvres sont placées à bonne dis-tance l’une de l’autre, ce qui leur évite de s’insulter par couleur ou par format interposé.

Un délicieux coup de fraisConséquence : les œuvres que les habitués du musée avaient vues et revues prennent un délicieux coup de frais. Les jambes lourdes ?Connais pas ! La générosité descirculations n’a d’égal que la faci-lité des échanges d’un étage à l’autre grâce à une belle batterie d’ascenseurs qui, comme à Madi-son, incluent un très large monte-charge, utilisables par le public.

Le Whitney n’avait pas la renom-mée, au moins auprès des étran-gers, qu’ont le Metropolitan (5 millions de visiteurs annuels) ou le MoMA (plus de 3 millions), dont la vocation est aussi plus uni-verselle. Il était et reste cent pour cent américain, et même états-unien. Sur une collection de 21 000 œuvres, 600 pièces et 400 artistes sont exposés dans une présentation à laquelle Adam D. Weinberg, patron de l’institution, et Donna De Salvo ont donné ce ti-tre un poil énigmatique : America is Hard to See. Comme entité pic-turale, l’Amérique est difficile à cerner. Manière de renvoyer dans les cordes une partie du public ou – plus grave – des gourous du mar-ché de l’art, qui pourraient ne pas se reconnaître dans les choix opé-rés : peu d’installations, les Wa-rhol, Koons ou Basquiat restés ma-joritairement en cave, au profit de la « peinture-peinture » d’un Hop-per ou d’une O’Keeffe. Rien que detrès « civilisé », en somme. p

frédéric edelmann

Galerie à ciel ouvert au sommet de l’Empire StateARTS

new york - correspondant

L’ Empire State Building ena déjà vu de toutes les cou-leurs. C’est désormais une

tradition, pour célébrer chaque événement marquant, politique ou sportif, le sommet du célèbreimmeuble new-yorkais est illu-miné de façon différente. Mais àl’occasion de l’ouverture du New Whitney Museum of American Art, vendredi 1er mai, qui coïnci-dait avec le 84e anniversaire de l’Empire State, l’artiste Marc Bric-kman a créé un spectacle lumière inédit, autour d’une sélectiond’œuvres présentées pour l’expo-sition inaugurale du musée, « America is Hard to See », qui, elle, se prolonge jusqu’au 27 sep-tembre.

« Notre partenariat avec le Whi-

tney a permis aux New-Yorkais decélébrer deux institutions emblé-matiques de la ville », s’est félicitéAnthony Malkin, le PDG de la so-ciété d’exploitation de l’Empire State. De 20 heures à 2 heures dumatin, les interprétations de douze œuvres se sont retrouvées projetées entre le 72e et le 102e

étage, entre 260 et 381 mètres dehaut.

16 millions de couleursUn spectacle éphémère, qui a transformé le tiers supérieur du building en « galerie la plusgrande du monde », pour Donna De Salvo, la conservatrice en chefdu Whitney Museum. Les palettesde couleurs de Flowers d’Andy Wa-rhol, Railroad Sunset d’Edward Hopper, Three Flags de Jasper Jo-hns, Blue Cell with Triple Conduitde Peter Halley ou encore Children

Meeting d’Elizabeth Murray sesont ainsi succédé, restant visi-bles sur une partie du bâtiment, chacune pendant une trentaine de minutes.

Ce spectacle a pu être réaliségrâce au système d’éclairage dont s’est doté l’Empire State Buildingen 2012 : un ensemble de diodesélectroluminescentes (LED) capa-ble de générer 16 millions de cou-leurs. Marc Brickman avait tra-vaillé auparavant avec les PinkFloyd, le Cirque du Soleil, BruceSpringsteen ou encore les Black Eyed Peas, mais il a également misen scène des chorégraphies vi-suelles pour les Jeux olympiquesd’été de 1992 à Barcelone et ceux d’hiver organisés en 1998 à Na-gano.

Pour créer ces œuvres origina-les, il s’est appuyé sur des images haute résolution fournies par le

Whitney. Plutôt que de « repro-duction », Anthony Malkin pré-fère parler d’une « performance », modestement « représentative »,de ce que les artistes ont voulutransmettre à travers leurs ta-bleaux. « Je pensais que c’était une opportunité pour appréhender lesplus grands artistes au monde et s’inspirer de leur palette de cou-leurs », a expliqué M. Brickman dans une interview au New York Times. « Nous ne pouvions pas imaginer façon plus spectaculairepour marquer l’ouverture de notre nouveau bâtiment et célébrer l’artet les artistes américains », a dé-claré Donna De Salvo. Si le festivalde couleurs réussissait à attirer lesregards des noctambules, il était tout de même nécessaire d’avoirla liste des œuvres sous les yeux pour les identifier… p

stéphane lauer

Ce fier vaisseaublanc tangue unpeu du côté du

pétrolier ou de la

plate-forme de

forage, ce qui

rappellera les

critiques qu’avait

dû supporter à sa

naissance le

Centre

Pompidou, lui

aussi fils de Piano

Le WhitneyMuseum of

American Art,au bord del’Hudson,

dans le quartier deMeatpacking,

celui des anciensabattoirs

à Manhattan.NIC LEHOUX

18 | culture DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

0123

Patachou, la Lady de la chansonInterprète de caractère et découvreusede talents, dont Georges Brassens, elle s’est éteinte, jeudi 30 avril, à l’âge de 96 ans

La Bague à Jules, Voyagede noces, Maman, papa :Patachou était chan-teuse, une interprète ri-

goureuse, à la voix sensuelle etvibrante. Mais elle était bienplus : partageuse, traqueuse detalents, aventureuse, femme decabaret, étoile d’une France iden-tifiée à sa vie nocturne autant qu’à son sens poétique. Hen-riette Ragon, dite « Patachou », aquitté le monde des vivants, le30 avril.

Née le 10 juin 1918 à Paris, dansle quartier de Ménilmontant,fille d’un artisan céramiste, elleétait âgée de 96 ans. Elle fut dac-tylo aux éditions musicalesRaoul Breton (celles de CharlesTrenet) avant guerre, puisouvrière, pâtissière, marchandede légumes, avant d’ouvrir avecson mari antiquaire, Jean Billon, un restaurant dans une anciennepâtisserie de la rue du Mont-Ce-nis, à Montmartre, Le Patachou.Sa spécialité alors, c’est de couperles cravates des clients, avant de les accrocher au plafond. Les noc-tambules adorent, anonymes ou

célèbres, tel Maurice Chevalier,un voisin qui aime sa gouaille etla pousse à chanter. Le Patachou devient cabaret, il rebaptise lapatronne « Lady Patachou », eton y reprend des chansonsgaillardes et refrains à la mode,des ritournelles, Rue Lepic ou Ungamin de Paris.

Une carrière aux Etats-Unis

Passée par le Central de la chan-son, Patachou, toujours Lady, se produit en vedette américained’Henri Salvador à l’ABC en 1951.Elle y triomphe en interprétant en comédienne Mon homme, succès de Mistinguett en 1920. Puis, elle est en vedette à Bobino,où le patron du cabaret Les Trois Baudets, Jacques Canetti, parailleurs directeur artistique chezPhilips, la repère et la programmechez lui dans un nouveau specta-cle, Allegro.

Elle publie son premier album,Montmartre, chez Columbia. Elle anime toujours Le Patachou, yprogramme des inconnus, comme le duo comique Les Pin-sons, formé par Raymond Devoset Pierre Verbecke.

En 1952, en fin de nuit, elle audi-tionne un drôle de loustic, Geor-ges Brassens. Il lui chante Le Go-rille ou Putain de toi, des chan-sons qu’elle ne voudra jamais in-terpréter, contrairement à La Chasse aux papillons ou à La Mau-vaise Réputation, qu’elle chanteau Patachou avant de laisser l’in-connu monter sur scène, accom-pagné par le contrebassiste dulieu, Pierre Nicolas.

Georges Brassens ne reniera ja-

agent actif de la chanson fran-çaise. Elle fut aussi une inter-prète de caractère, qui inscrivait à ses tours de chant des classi-ques du répertoire : outre Bras-sens, Aristide Bruant (Rue Saint-Vincent, Nini peau d’chien), LéoFerré (Le Piano du pauvre,en 1954), Francis Lemarque (Bal,petit bal), Charles Aznavour (Surma vie)… Des compositeurs et pa-roliers écrivent pour elle, commeJamblan et Alec Siniavine, qui luioffrent La Bague à Jules. On lavoit chanter La Complainte de labutte dans le film French Cancan,de Jean Renoir (1955), dans lequelelle tient le rôle d’Yvette Guil-bert.

En 1953, elle part en tournéedans le monde entier. « Gaminefrançaise avec un nom fasci-nant », selon la presse améri-caine, elle chante au Waldorf-As-toria et au Carnegie Hall à New York, puis partout aux Etats-Unis,où elle fera une longue carrière – elle apparaîtra plus de vingt foisdans le « Ed Sullivan Show ». Elle poursuit sa carrière, triomphe àBobino, à l’Olympia. Elle créeen 1960 une comédie musicale, Impasse de la fidélité, au Théâtredes Ambassadeurs. Puis fête sesdix ans de carrière à l’ABC avec unpastiche de My Fair Lady.

A la fin des années 1960, ellevend Le Patachou, et prend la di-

rection artistique du restaurantcabaret du premier étage de latour Eiffel en 1970. Deux ans plus tard, elle donne soixante récitalsau Théâtre des Variétés, avec Gé-rard Calvi et son orchestre.

En janvier 1973, elle se produitau Théâtre Fontaine. Patachou seconsacre ensuite à sa carrièred’actrice – elle a aussi fait unebelle carrière à la télévision, authéâtre et au cinéma, où elle ap-paraît notamment dans Napo-léon (Sacha Guitry, 1955), Fau-bourg Saint-Martin (Jean-ClaudeGuiguet, 1986), Cible émouvante (Pierre Salvadori, 1993) et Pola X(Leos Carax, 1999). p

véronique mortaigne

En 1961à Paris. HENRI BUREAU/SYGMA/CORBIS

Mort de Ben E. King, voix de « Stand by Me »Auteur de plusieurs succès au sein de The Drifters puis en solo, le chanteur avait 76 ans

P remier interprète et co-compositeur de la chan-son Stand By Me, devenue

depuis sa parution, début 1961, unclassique de la soul music, Ben E. King, de son vrai nom Benja-min Earl Nelson, est mort jeudi 30 avril, à l’âge de 76 ans, à Hac-kensack (New Jersey).

Comme beaucoup de chanteursde soul, Benjamin Earl Nelson, né le 23 septembre 1938 à Henderson(Caroline du Nord), fit ses débuts àl’église, dans une formation de gospel. A l’âge de 14 ans, ses pa-rents s’étant installé à New York, dans le quartier de Harlem, il re-joint The Four B’s, un groupe dedoo-wop, ce genre issu durhythm’n’blues, caractérisé par l’emploi de phrases vocales en harmonies, le plus souvent sur unrépertoire de romances.

Un apprentissage qui le mène àdevenir professionnel au sein de

The Five Crows. C’est ce groupe qui attira, à l’été 1958, l’attention de George McKinley Treadwell(1918-1967), manager de la forma-tion The Drifters, fondée en 1953par le chanteur Clyde McPhatter (1932-1972).

Ce dernier avait quitté à la fin del’automne 1954 sa formationaprès les succès des chansons Mo-ney Honey et Honey Honey, et vendu à Treadwell la « marque »The Drifters, dont le personnel changeait régulièrement. En 1958,il ne reste d’ailleurs plus un mem-bre de la formation d’origine.Suite à un différend avec legroupe, Treadwell propose auxFive Crows, réduits à quatre voix, de devenir les nouveaux Drifters.

Benjamin Earl Nelson en sera lavoix principale. Le groupe enre-gistrera avec lui et pour la compa-gnie Atlantic quelques-uns de ses plus grands succès : There Goes

My Baby, Dance With Me, This Ma-gic Moments et Save The LastDance for Me. Ces deux dernières deviennent numéro 1 des ventesen 1959, coécrites par Doc Pomus (1925-1991) et Mort Shuman (1936-1991). Au printemps 1960, après un désaccord financier entreTreadwell et le manager de Ben E. King, qui entend faire fructifier pour son poulain le succès re-trouvé des Drifters, Nelson quitte le groupe.

Le slow ultime de 1961

Pour Atlantic, il est désormaistemps de mettre en avant Ben E. King. C’est sous ce nom, avec JerryLeiber (1933-2011) et Mike Stoller àla production et une chanson écrite par Leiber et Phil Spector, que Benjamin Earl Nelson enre-gistre son premier titre en solo. Lachanson Spanish Harlem paraît début décembre 1960. Si elle negrimpe pas au sommet des ven-tes, elle va prendre le statut declassique avec les années.

La suite fait passer Ben E. Kingau stade supérieur. C’est Stand By Me, qu’il avait commencé à tra-vailler du temps des Drifters et qui va trouver avec l’aide et les ar-rangements de Leiber et Stoller toute sa saveur. Un ostinato à la basse, un triangle en contre-temps, un frottement sur une percussion, puis la voix de Ben E.King, presque plaintive, les cordesde l’orchestre, les chœurs ensuite.Cette ballade poignante devient leslow ultime à sa sortie début 1961.

Dans les années qui suivent, BenE. King enregistrera encore plu-

sieurs chansons de belle facture et des succès comme Ecstasy etDon’t Play That Song (You Lied) en 1962, I Who Have Nothing,en 1963, What is Soul ?, qui l’éloi-gne du répertoire des romancespour une approche plus énergi-que en 1966. Mais rien qui attei-gne l’impact de Stand By Me.

La vogue disco des années 1970donnera encore un succès (nu-méro 5 aux Etats-Unis) à Ben E. King, avec la chanson Supernatu-ral Thing. Après avoir quasiment cessé d’enregistrer dans les an-nées 1980, il reprendra une acti-vité plus fournie lors de concerts, par le biais de la nostalgie pour la soul music des années 1960, son répertoire mêlant les chansons des Drifters et ses succès. p

sylvain siclier

mais la dette qu’il eut à l’égard decelle qui le tira du décourage-ment et de la lassitude quil’avaient alors happé. Elle pré-sente Brassens à Ray Ventura,puis à Jacques Canetti, qui le fait embaucher chez Polydor et l’en-gage pour une tournée estivaleavec Patachou et les Frères Jac-ques.

Mais c’est aussi par elle que se-ront découverts Guy Béart – ellefut une excellente interprète en 1957 de Bal chez Temporel –, Jacques Brel, Jean-Claude Darnal,Maurice Fanon, Hugues Aufray,Frida Boccara, Nicole Croisille, Charles Aznavour.

Patachou était une muse, un

L’HISTOIRE DU JOUR2 400 « cajón » à l’unisson

lima - correspondance

L’ artiste Rafael Santa Cruz avait un rêve, celui de réunir descentaines de joueurs de cajón et faire honneur à cet ins-trument de percussion afro-péruvien longtemps ignoré.

Samedi 25 avril, ses vœux ont été exaucés quand 2 420 « cajone-ros » se sont donné rendez-vous dans le centre de Lima pourjouer à l’unisson et faire homologuer un record mondial de par-ticipation qui entrera dans le Guinness des records.

Pendant plus de deux heures, amateurs et professionnels ontfait vibrer la place d’armes de la capitale péruvienne aux sons deleur percussion, une caisse de résonance rectangulaire en bois, avec un trou arrondi sur la planche du fond en contreplaqué. Un moyen d’inaugurer de manière spectaculaire le huitième Festi-val international du cajón qui a lieu à Lima jusqu’au 2 mai, mais aussi de rendre hommage au « Maestro » Santa Cruz, le fonda-teur du festival, décédé en 2014 à l’âge de 53 ans.

« Nous sommes venus pour honorer la mémoire d’un grand ar-tiste qui a su raconter comment les Afro-péruviens ont utilisé le ca-

jón à la place du tambour, qui leur étaitinterdit à l’époque de l’esclavage, pourrevendiquer leurs racines africaines »,insiste Norma Lecca, venue jouer avecson fils. Dans un livre sur le cajón pu-blié en 2004, Rafael Santa Cruz écrit« qu’il n’existe aucune piste claire indi-quant que le cajón est né au Pérou »,mais ajoute « qu’il ne s’est enracinénulle part ailleurs aussi profondémentque sur le sol péruvien ».

Les premiers écrits relatifs à l’instrument dateraient de 1840 àLima. C’est pour lui donner une visibilité que Rafael Santa Cruz crée le Festival international du cajón en 2008. « Ce festival cher-che à faire connaître et reconnaître l’origine péruvienne du cajón, tout en montrant qu’il a dépassé les frontières et les genres musi-caux », explique Julie Guillerot, la femme de Rafael Santa Cruzqui a repris la direction du festival.

« Le cajón n’est plus utilisé uniquement dans la musique afro-pé-ruvienne, il est aussi présent dans le flamenco, le rap, le jazz, le rockou le reggaeton, s’amuse le grand cajonero péruvien Juan Me-drano Cotito. Désormais, c’est lui le protagoniste et lui qu’on ac-compagne. » Les enfants apprennent à l’école à jouer du cajón. « Ily a quinze ans, au conservatoire, jouer de cette percussion était mal vu. Aujourd’hui, tous les élèves ont un cajón à la maison », sourit Leslie Patten, professeure de musique à Lima. p

chrystelle barbier

DES AFRO-PÉRUVIENS ONT UTILISÉ LE CAJÓN À LA PLACE DU TAM-BOUR, QUI LEUR ÉTAIT INTERDIT À L’ÉPOQUE DE L’ESCLAVAGE

En 1952,

en fin de nuit,

elle auditionne

un drôle

de loustic,

Georges Brassens.

Il lui chante

« Le Gorille »

LES DATES

10 JUIN 1918Naissance à Paris

1956Sortie de l’album Pata-chou chante Brassens

1972Soixante récitals au Théâ-tre des Variétés, à Paris

30 AVRIL 2015Mort à Paris

LES DATES

23 SEPTEMBRE 1938Naissance à Henderson (Caroline du Nord)

1958-1960Membre du groupe vocal The Drifters

1960-1961Carrière en solo

30 AVRIL 2015Mort à Hackensack (New Jersey)

DenisGuénoun

www.theatre-chaillot.fr

«Nul ne sait ce que peut un corps. » Spinoza

Aux corps prochains(Sur une pensée de Spinoza)5 au 13mai 2015

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Charles

H.D

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0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 culture | 19

L’énigme van der Weyden à MadridLe Prado consacre une exposition exceptionnelle au peintre flamand

ARTS

madrid

Pour réussir une exposi-tion inoubliable, il peutsuffire d’un très petitnombre d’œuvres. Il y en

a 19 dans celle que le Prado consa-cre à Rogier van der Weyden (vers 1400-1464). N’y en aurait-il quecinq, ce serait encore plus que suf-fisant, cinq de sa main et qui ne s’étaient jamais trouvées réunies du vivant de l’artiste flamanddans son atelier.

Le musée de Berlin a prêté letritpyque dit Miraflores, du nom du couvent de Chartreux, près de Burgos, pour lequel il a été peintentre 1442 et 1445 et dédié à la Vierge. Le Triptyque des sept sacre-ments, exécuté vers 1450, a étéemprunté au Musée d’Anvers. Au Prado appartiennent une Vierge àl’enfant au long manteau rouge et la prodigieuse Descente de croix du début des années 1440. Et puis il y a la Crucifixion, qui se trouve d’ordinaire à l’Escurial et qui a bé-néficié d’une campagne de res-tauration qui vient de se termineret qui est la raison technique de l’exposition.

La Crucifixion est une huile surbois aux dimensions exception-nelles, 3,24 m de haut, 1,94 m de large. Elle a souffert, parce que lestrois panneaux de bois qui la por-tent n’avaient pas été ajustés par-faitement et parce que les fuméesd’un incendie, en 1671, l’avaientvoilée. Une restauration médio-cre, vers 1700, n’avait pas suffi. Celle qui a été accomplie à partirde 2011 fait renaître l’œuvre.

La composition est d’une sim­plicité symétrique absolue : leChrist en croix au centre et, au pied de la croix, la Vierge à gaucheet saint Jean à droite. Tous deuxsont drapés de blanc, un blanc dé­sormais intensément lumineux,parcouru par les lignes et les om­bres légères des plis. A l’exceptionde deux marges latérales grises,le fond est occupé par un draprouge, tendu de haut en bas, di-visé en carrés par les traces des plis. Au-dessus du Christ, il formeune sorte de dais à angle droit. Laterre et les pierres sont bistresombre, la croix presque noire.

Les figures, quasi-grandeur na-ture, sont comme projetées enavant par la blancheur des robes. Elles entrent dans l’espace danslequel le spectateur se trouve et il en est de même du Christ.

Pour autant, l’expression de ladouleur est retenue, comme poursuggérer que la Vierge et saint Jean savent que le supplice duChrist est la condition du salut de

l’humanité. Dans la Descente decroix, plusieurs visages manifes-tent un désespoir et un accable-ment sans limite et la Vierge s’évanouit. La Crucifixion est pos-térieure. Elle date des dernièresannées de la vie de Van der Wey-den, entre 1457 et 1464. L’artisteen fit don à un couvent bruxel-lois, que l’œuvre quitta en 1574pour l’Escurial. Faut-il déduire de cette différence entre les deux ta-bleaux que leur auteur serait par-venu à plus de sérénité à mesure qu’il vieillissait ?

Voisinages contemporainsCe n’est que l’une des interroga-tions que l’œuvre suscite. Sataille, sa géométrie à angles droits, l’usage récurrent des plis,

l’affrontement cru du rouge et dublanc : tout déconcerte. Le dessinbrisé des plis a la netteté et la flui-dité des natures mortes cubistesde Picasso les plus éloignées de laréalité, à la fin de 1911. L’ampleur,l’éclat et le rayonnement du rouge ont quelque chose du Ro-thko de la fin des années 1950. Onne peut douter que Van der Wey-den savait que cette couleur peutsubjuguer mieux que bien dessymboles et des récits religieux :par sa seule force visuelle.

De tels voisinages contempo-rains, s’ils suggèrent combien la Crucifixion demeure une œuvre vivante, n’expliquent en rien comment van der Weyden est ar-rivé à ce degré d’épure et de puis-sance, vers 1460. La proximité de

ses œuvres antérieures, loin de résoudre l’énigme, l’accentue.Même remarque à propos descomparaisons proposées avec Robert Campin et Juan de Flan­des – dont on ne sait quel était le nom de baptême quand il naquit dans les Flandres vers 1460. His-toriquement fondées, elles rap-pellent les règles de l’iconogra-phie du Christ et de la Vierge auXVe siècle, le goût aussi pour les éléments architecturaux gothi-ques. Et ne rendent que plus évi-dent ce que la Crucifixion a d’ex-ceptionnel et de solitaire. p

philippe dagen

Rogier van der Weyden. Museo del Prado, Madrid. Jusqu’au 28 juin. Museodelprado.es

La vieille casserole du « Cuisinier »Robert Gentile est soupçonné de savoir où se trouvent les tableaux dérobés en 1990, à Boston

ARTS

new york - correspondant

L e « Cuisinier » va-t-il se met-tre à table ? C’est l’ultime es­poir du FBI pour mettre la

main sur Le Christ dans la tempêtesur la mer de Galilée, un tableau deRembrandt volé il y a vingt­cinqans au Musée Isabella Stewart Gardner de Boston (Massachu­setts). « Le Cuisinier », c’est le so­briquet d’un mafieux de Philadel­phie (Pennsylvanie), Robert Gen­tile, 79 ans, qui vient de tomber pour avoir tenté de vendre une arme à un informateur du FBI. Cette crapulerie de plus, pour un homme qui en a commis biend’autres – il a été condamné pour jeu illégal, voies de fait graves, re­cel, contrefaçon –, n’est pas vrai-ment ce qui intéresse les enquê-teurs. Gentile serait l’un des seuls à savoir où se trouve l’œuvre.

Ce cambriolage est l’une desplus grandes énigmes de l’histoirede vols de tableaux. Le 18 mars 1990, à minuit, alors que Boston cuve la bière ingurgitée à l’occa-sion de la Saint-Patrick, deux hommes déguisés en agents de police persuadent les gardiens du musée de les laisser entrer sous prétexte de vérifier une « anoma-lie ». Après les avoir maîtrisés, ilsdécoupent à la hâte treize toiles, dont un Vermeer, Le Concert, un Manet, Chez Tortoni, et trois Rem-brandt, dont la fameuse Tempête,avant de se volatiliser. L’ensemble avait été estimé à l’époque à 500 millions de dollars.

La pègre de Philadelphie

Il y a deux ans, le FBI avait affirméavoir identifié les auteurs : des membres de la pègre de Philadel-phie, qui sont aujourd’hui tous morts. Les œuvres, elles, restent

introuvables. Mais l’arrestation de Gentile, mi-avril, a redonnéune lueur d’espoir aux enquê-teurs. L’homme est en effet soussurveillance depuis plusieurs an-nées. Ce dispositif a permis en 2014 d’enregistrer à son insu une conversation avec un infor­mateur dans laquelle il évoquaitles œuvres dérobées.

La veuve d’un gangster de Bos­ton avait même raconté en 2009 aux enquêteurs que son mari avaitassisté au début des années 2000 àun rendez­vous sur un parking de Portland (Maine), où Gentile avait placé dans le coffre de sa voiture plusieurs tableaux volés au mu-sée. Enfin, en 2012, le FBI avait trouvé chez lui la liste du butin.

Depuis, les enquêteurs ont toutessayé avec le mafieux, y compris de l’appâter avec les 5 millions de dollars de récompense offerts par le musée à quiconque serait capa­

ble de fournir des renseigne­ments pour retrouver les toiles. Mais rien n’y a fait. Gentile a tou­jours nié avoir un quelconque lienavec le casse de Boston. « Il y a unecertitude de 99 % que M. Gentile aitmenti lorsqu’il a dit qu’il ne savaitrien à propos du casse du Gardner Museum », a accusé le procureur lors de sa comparution devant le tribunal d’Hartford (Connecti­cut), le 20 avril, en vain.

Si le gangster ne risque rien danscette affaire, les faits étant désor­mais prescrits, il encourt en re­vanche, au regard de ses antécé­dents, dix ans de réclusion pour avoir tenté de revendre une arme.Autrement dit, alors qu’il est hy­pertendu, diabétique et fragile du cœur, « le Cuisinier » risque de fi­nir sa vie en prison, emportantsans doute avec lui le mystère du casse du Gardner Museum. p

stéphane lauer

« Crucifixion » (vers 1460), de Rogier van der Weyden. BAZTÁN LACASA JOSÉ

GA

LE

RI

E PASCALE MARTHINE TAYOUVNH GalleryC’était, jusqu’à l’hiver 2014-2015, la galerie Yvon-Lambert. C’est désormais la VNH Gallery, fondée par deux jeunes femmes, Victoire de Pourtalès et Hélène Nguyen-Ban. Difficile de pren-dre possession d’un espace à l’enseigne d’un galeriste légen-daire, qui a reçu tant d’artistes illustres : les deux nouvelles oc-cupantes ont choisi la solution la plus radicale, tout changer.Pour l’ouverture, la direction des travaux a été confiée à l’ar-tiste d’origine camerounaise Pascale Marthine Tayou, qui n’a pas choisi la demi-mesure. Il a cassé les murs, ouvert des passa-

ges, révélé les recoins oùLambert avait ses réserveset sa bibliothèque. Puis il adisposé ses œuvres récentesselon les lieux, jouant engrand virtuose, tantôt del’ampleur, tantôt de l’exi-guïté des espaces.Ses longues compositionsde bâtons de craie éclairentl’entrée. Un olivier portantdes têtes de cristal de style« primitif » – comme on di-

sait jadis – suspendues à ses branches étire celles-ci dans la nef centrale, sous des nœuds serpentins de tuyauteries et entre des pieux aiguisés et peints, qui semblent des crayons de couleur démesurés. Plus loin, sur des troncs d’arbres sciés, ce sont ses Poupées Pascale, ces « fétiches » de style « nègre » en cristal que Tayou habille d’étoffes, de plumes, de crayons, de jouets – de tout ce qu’il trouve. Des colonnes de céramiques chinoises su-perposées font semblant de supporter le plafond d’une sorte de temple où s’accumulent des coupes piquées d’épingles pour des envoûtements amoureux et des dessins de couples – visi-blement amoureux eux aussi – tracés sur des nattes avec du fu-sain et du cirage.Quand on croit le parcours achevé, il repart dans une autre di-rection, vers des dessins monumentaux, une grappe de cale-basses et un étroit et profond corridor de néons, changé en ruelle d’un bazar. Dans chaque œuvre, références, détourne-ments, hybridations prolifèrent. Mémoire de l’abstraction, pri-mitivisme surréaliste, globalisation des marchés, permanence clandestine des rites anciens, occidentalisation forcée du monde, mélange du sacré et du profane : toutes ces notions, tous ces sujets se cristallisent dans des œuvres qui ont la force de l’évidence, ce qui est le propre des grands artistes. p ph. d.

Gri-Gri, de Pascale Marthine Tayou. VNH Gallery, 108, rue Vieille-du-Temple, Paris 3e. Du mardi au samedi, de 10 heures à 19 heures. Jusqu’au 20 juin. vnhgallery. com.

CINÉMALe documentaire « La Glace et le Ciel » en clôture de CannesLe documentaire La Glace et le Ciel, du réalisateur français Luc Jacquet, oscarisé pour La Marche de l’empereur, sera projeté hors compétition en clôture du 68e Festival de Cannes, dimanche 24 mai, ont annoncé jeudi 30 avril les organisateurs. La Glace et le Ciel évoque les découvertes

du scientifique Claude Lorius, parti en 1957 étudier les gla-ces de l’Antarctique, et qui s’est inquiété dès 1965 du ré-chauffement climatique.Le Festival a dévoilé la pro-grammation de la section Cannes Classics, consacrée aux films de patrimoine : des hommages à Costa-Gavras, Alfred Hitchcock, Orson Wel-les, Ingrid Bergman et Ma-noel de Oliveira sont notam-ment prévus. – (AFP.)

« Sans titre », de Pascale Marthine Tayou. VNH GALLERY, PARIS

SDISyndicat desDistributeursIndépendants

SORTIE NATIONALE LE 6 MAISORTIE NATIONALE LE 6 MAI

Un joyau d’Alger. Le Monde

Poétique, poignant... Le Nouvel Obs

Une grâce inouïe. Positif

20 |télévisions DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

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1945, une victoire au goût de cendreDeux documentaires, dont l’excellent « La Chute du Reich », retracent les derniers moisde la seconde guerre mondiale, qui furent les plus meurtriers

Après onze mois d’effroyable vio-lence marqués par des combatsacharnés, des pillages, des viols,des crimes de guerre et des

massacres épouvantables, le 8 mai 1945, lesAlliés parvenaient à terrasser l’hydre nazie.Pour accompagner les célébrations du 70e anniversaire de la fin de la secondeguerre mondiale, TF1 et France 2 proposentrespectivement Délivrance, de Jean-Fran-çois Delassus (le 7 mai à 21 h 00) et La Chutedu Reich, d’Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza (le 8 mai à 20 h 50).

Soit deux documentaires portant sur lesultimes combats – les plus meurtriers detoute la guerre – peu ou mal connus dugrand public français, la mémoire natio-nale s’attachant davantage à la date du dé-barquement en Normandie, le 6 juin 1944,voire à celle de la Libération de Paris, la même année le 25 août.

Une méconnaissance que tentent de cor-riger ces deux films avec une inégale réus-site. Si d’emblée on peut louer l’excellent travail du tandem Wieviorka-Korn-Brzoza,il n’en va pas de même de celui de Jean-François Delassus dont le parti pris de dé-part, plus resserré dans le temps (six moiscontre onze dans La Chute du Reich) se veutmoins militaire et stratégique qu’humain.Soit. Mais alors pourquoi se contenterd’une poignée de témoignages d’anony-mes pour cerner l’état d’esprit des popula-tions ? Témoignages qui se mêlent au récitdes combats et des exactions soviétiques sur lequel s’attarde lourdement le réalisa-teur, sans donner toutes les clés de com-préhension de ce déchaînement de vio-lence. De même, pourquoi tant d’allers-re-tours entre le front (plus développé que l’intention initiale) et l’arrière, éclairé de cefait de manière parcimonieuse ?

A ce récit bancal et lacunaire, sous-tendupar le désir de dispenser une « pédagogie par l’émotion » selon Jean-Claude Delassus,on préférera conseiller la remarquable le-çon d’histoire dispensée – et non assénée –par Olivier Wieviorka, spécialiste de la se-conde guerre mondiale qu’il enseigne àl’ENS de Cachan, et David Korn-Brzoza, auteur de plusieurs documentaires tels le stimulant Churchill, un géant dans le siècleou encore Dénoncer sous l’Occupation, écrit avec l’historien Laurent Joly.

Remarquable, cette fresque – qui a néces-

sité plus d’un an et demi de travail et de re-cherches dont quatre mois de montage –l’est à plus d’un titre. En particulier par laqualité d’écriture qui lie avec finesse et so-briété le commentaire lu par Vincent Lin-don, les archives visuelles souvent rares etcolorisées avec soin, les sources écrites (journaux intimes, articles, discours, let-tres) qui permettent d’éclairer avec intelli-gence ce récit d’histoire totale à dimensioneuropéenne.

Complexe, ce récit demeure limpidegrâce au souci didactique constant mis au service d’une ambition : comprendre le ca-ractère particulièrement meurtrier de cesonze mois de guerre (du 6 juin 1944 au8 mai) à travers à la fois les errements et leserreurs de jugements des Anglo-Améri-cains (entre autres les bévues du généralMontgomery lors de la prise d’Anvers ou dela sanglante opération « Market Garden ») qui pronostiquaient, à l’été, la victoire pourNoël.

Esprit juqu’au-boutisteMais aussi la « Grande Guerre patriotique »menée par les Soviétiques avec son lot depillages, de massacres et de viols (2 000 Al-lemandes de tous âges en seront victimes),poussant à l’exode des millions de person-nes. Et enfin – sans doute est-ce le fil narra-tif le plus intéressant – à travers la radicali-sation progressive du pouvoir nazi, à partirde l’attentat raté contre Hitler, le 20 juillet1944, et avec elle, celle d’une population al-lemande partagée entre l’aveuglement (leparti nazi compte encore 8 millions d’ad-hérents en 1944), la peur du régime qui nese privera pas, le moment venu, d’exécuterles déserteurs, et celle provoquée par les exactions soviétiques instrumentaliséespar la propagande de Goebbels.

Basé sur ce triptyque, le récit nous en-traîne du front ouest au front est, en pas-sant par l’Allemagne, où l’économie – adossée notamment à la terrible mécani-que concentrationnaire – continuera defonctionner à plein régime et la vie quoti-dienne de s’écouler paisiblement, aumoins jusqu’à la fin 1944, comme le figu-rent d’étonnantes images bucoliques d’une baignade près de Dachau, ou celle d’un Noël bourgeois à Berlin. La dramatur­gie de cette fresque ne se veut pas seule­ment militaire, stratégique et diplomati-

que. Même si ces dimensions sont essen-tielles pour comprendre les fourvoie-ments et le cynisme meurtrier des différents acteurs et les ferments de la guerre froide.

Incarnée autant par les grandes figureshistoriques (politiques, militaires, écri-vains) que par de simples civils, cette leçond’histoire se veut aussi terriblement hu-maine. Toujours à bonne distance, afin de ne sombrer ni dans l’émotionnel ni dans lejugement vindicatif, Olivier Wiewiorka et David Korn-Brzoza donnent à voir, à en-tendre et surtout à comprendre l’état d’es-prit jusqu’au-boutiste des Allemands, mais également cette « école de la haine »dans laquelle plonge l’armée soviétique.Laissant à chacun le soin de juger cette vic-

toire au goût de sang et de cendre.Devant la qualité de leur travail, on ne

s’étonnera guère que France Télévisionset le producteur, Cinétévé, aient recon-duit ce tandem pour un nouvel opus quicouvrira les années 1945-1949 : celles dela reconstruction et… d’une nouvelleguerre froide. p

christine rousseau

Délivrance, de Jean-François Delassus (Fr., 2015, 90 min). Jeudi 7 mai sur TF1à 20 h 55.La Chute du Reich, d’Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza (Fr., 2015, 100 min). Vendredi 8 mai sur France 2 à 21 heures. Disponible en DVD, dès le lendemain de la diffusion (ZED, 16,99 euros).

A gauche : le 2 février, les troupes américaines entrant dans Colmar. MAURICE EDE /KEYSTONE/

GAMMA

En haut : soldats soviétiques à Varsovie. RIA NOWOSTI/AKG-IMAGESR Ci-contre : civils de la milice populaire Volkssturm, créée par Hitler, en partance pour le front est. MONDADORI PORTFOLIO/

DAGLI ORTI

Incarnée autantpar les grandes

figures historiques quepar de simples

civils, cette leçon

d’histoire

se veut aussi

terriblement

humaine

« En prime time, j’assume la colorisation »ENTRETIEN

A uteur de nombreux documen-taires historiques, David Korn-Brzoza évoque son travail sur la

chute du Reich.

Comment s’est formé votre tandem avec Olivier Wieviorka ?

L’idée du film revient Olivier Wie-viorka, qui l’a proposée à Cinétévé, la so-ciété de production de Fabienne Servan-Schreiber, qui ensuite m’a contacté. J’ai sauté sur l’occasion, car la période m’in-téressait, en particulier l’angle choisi desonze derniers mois. En France, on a sou-vent l’impression que le conflit se ter-mine en 1944 avec le Débarquement en juin, voire la Libération de Paris, en août.Or, il faut compter encore huit mois avant que ne soit signé l’armistice. Ce sont les plus meurtriers de tout le con-flit. Si le front ouest est connu, le sont moins le front est et le quotidien des Al-lemands. Toute l’écriture du film et sa dramaturgie reposent sur ce triptyque.

De quelle manière votre collaboration s’est-elle établie ?

Olivier Wieviorka a écrit une « bible »d’une centaine de pages qui donne le ca-dre historique. Volontairement nousavons laissé de côté certains événe-ments, comme ce qui se produit dans les Balkans. Il faut se préserver de vou-loir tout raconter, sinon vous perdez en force et en profondeur. Pour cela, il fautsuivre une ligne et définir quelques per-sonnages précis. A partir de ces pages,j’ai commencé à écrire un commentaireen salle de montage qui a épousé les images trouvées tout au long du proces-sus de dérushage et de visionnage. Peu àpeu, l’alchimie a opéré. Texte et images s’influençant en permanence, jusqu’à ladernière touche, qui est l’enregistre-ment par le comédien.

Une grande partie de votre film est co-lorisée. Quelle est votre position vis-à-vis de ce procédé ?

S’agissant d’une diffusion en primetime, sur France 2, j’assume la colorisa-tion d’autant que ce film est un récit his-torique et non un documentaire d’ana-lyse des archives. S’il s’était agi d’un do-cumentaire de ce type, où l’on tente depasser derrière la caméra et d’utiliser

l’archive comme témoin d’un choc del’histoire, d’un massacre, dans ce cas, je n’aurai pas colorisé. Tout au long de la colorisation, j’ai validé chaque plan afin que nous ayons une parfaite harmoni-sation entre les archives colorisées et celles déjà en couleur.

On sent une volonté de ne rien assé-ner, simplement d’offrir les éléments nécessaires de compréhension pour que le spectateur se forge sa propre opinion.

Je me souviens d’une phrase d’un scé-nariste qui disait en substance que, lors-qu’une histoire est assez forte, la mise enscène doit s’effacer. A l’inverse, quand l’histoire est faible, le metteur en scènedoit ramer. Ce qui n’est évidemment pasle cas ici. Il n’y a donc pas besoin de tout décrypter, de tout mâcher, de dire aux spectateurs ce qu’il doit ou non penser. Il doit trouver pleinement sa place dans le film. Les regards placés dès le généri-que sont des appels aux spectateurs afinde l’inviter à entrer dans le film, à deve-nir le témoin de l’histoire. Les auteurs n’étant que des passeurs. p

propos recueillis par ch. r.

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Lucian Sârb, sans frontièresEn six ans, le directeurde la rédaction d’Euronewsa su dynamiser les programmes dela chaîne d’information en continu

PORTRAIT

ecully (rhône)

Même au sein d’unechaîne internatio-nale d’informationen continu où l’on a

l’habitude des coups de chaud, cette journée du 18 mars se révèleplus agitée que d’habitude. Entre l’attentat du Musée du Bardo, à Tu-nis, le discours de Vladimir Pou-tine à l’occasion du premier anni-versaire du « retour » de la Criméeau sein de la « mère-patrie », l’ana-lyse des élections israéliennes, la rencontre entre le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le premier mi-nistre français, Manuel Valls, à Bruxelles et l’attente imminente d’un entretien exclusif à Kiev avec le président Petro Porochenko, la régie d’Euronews est en ébullition.

Debout, chemise blanche et re-gard pétillant, un hommes’adresse alternativement en an-glais et en français à ses troupes. Le Roumain Lucian Sârb donneses directives, apaise certaines an-goisses, encourage les initiatives. Dans la tempête de l’actualité chaude, le capitaine semble tenir la barre. Quelques minutes plus tard, dans le calme de son petit bureau, celui qui dirige depuis six ans cette grande rédaction cos-mopolite de plusieurs centaines de journalistes représentant vingt-cinq nationalités a encoreles yeux qui brillent. « Oui, c’est une journée spéciale, un peu plus tendue que d’habitude. Mais ça peut être pire », lance-t-il en fran-çais et en roulant les « r ».

« Tout est allé très vite »

Né en 1967 à Cluj, au cœur de la Transylvanie, l’homme fait partiede la jeune génération qui a « dé-truit Ceausescu », selon ses pro-pres termes. « Ma région natale est ouverte, on y a toujours en-tendu parler allemand, hongrois,roumain. J’ai commencé des étudesd’ingénieur à Cluj. Mais ma pas-sion, c’était la lecture. » L’obten-tion de son diplôme coïncide avec la chute du régime de Ceausescu. Il quitte sa ville pour Bucarest, se fait un plaisir de refuser toute pro-

position concernant un poste d’ingénieur et se lance, avec pas-sion, dans des études de journa-lisme, de communication et de re-lations internationales. A 27 ans, ildécroche son premier vrai job à la télévision publique roumaine.

Après quelques mois, le voilàcorrespondant de politique inter-nationale. « J’étais toujours entre deux avions, le monde était mon jardin. J’en ai profité pour effectuerdes stages aux Etats-Unis, en Italie,au sein de structures spécialisées dans les relations internationa-les. » Son carnet d’adresses s’enri-chit. Et la suite de sa carrière s’ac-célère. A 33 ans, il devient le plus jeune chef des infos de la télévi-sion publique. « Tout est allé trèsvite. Mais c’est le genre de parcourspossible en Europe de l’Est : il y a dusang frais, une jeunesse très bien formée et éduquée, curieuse, avide de découvrir le monde, aspirant à un mode de vie plus ouvert. »

Lucian Sârb connaissait le jour-nalisme, il découvre le manage-ment. Ses qualités ne passent pasinaperçues. Lorsqu’un groupe demédias privés, déjà propriétaired’une chaîne d’info en continu enRoumanie, décide de lancer,en 2006, The Money Channel,première chaîne d’info économi-que en Europe de l’Est, c’est lui quiest choisi pour la diriger. Elle estdiffusée vingt-quatre heures survingt-quatre en roumain avec dessous-titres anglais. C’est un suc-cès. « A cette époque, l’économieexplosait en Europe de l’Est. Ce fut

une expérience très originale. Etlorsque mes copains de CNBC Lon-dres sont venus me voir à Buca-rest, ils n’en croyaient pas leursyeux, épatés par la qualité de la chaîne. J’y avais recruté des poin-tures de la presse écrite qui n’avaient jamais fait de télé. Ilssont devenus excellents. »

« La plus ouverte au monde »

Que l’homme ouvert sur le monde quitte un jour les médias roumains pour une structure plusinternationale n’étonne guère. Mais Lucian Sârb ne s’attendait pas à être approché par un chas-seur de têtes installé à Paris, qui

lui demande s’il est intéressé parEuronews. « Se mesurer à CNN etcompagnie, cela ne se refuse pas. »Il débarque, en 2009, à Ecully, dans la banlieue lyonnaise, siège de la chaîne créée en 1993. « A mon arrivée, il n’y avait qu’environ 10 % de sujets spécifiques à Euro-news. Le reste était constitué d’images d’agences internationa-les. Aujourd’hui, 75 % de nos pro-grammes sont labellisés Euro-news, et de plus en plus de chaînes internationales utilisent nos sujetsalors que, auparavant, c’était en sens inverse ! Pourquoi ? Parce quela façon dont on traite les sujets estvalable pour tous les pays. »

Créations de magazines, person-nalisation un peu plus poussée de l’antenne, changements de ryth-mes et de formats, ouvertures de bureaux à Athènes et à Budapest, renforcement massif du bureau deBruxelles passé en cinq ans d’un à quinze journalistes, ajout de cinq langues (turc, ukrainien, persan, grec, hongrois) aux huit déjà exis-tantes, Lucian Sârb a multiplié les chantiers. « Il a révolutionné le fonctionnement d’une rédaction qui somnolait un peu. Nous som-mes passés d’un robinet à info à une chaîne plus vivante et inno-vante », estime l’un de ses adjoints.

« Notre force, c’est de toujours

proposer notre propre perspective. Dans cette maison, on ne peut avoir une obsession éditoriale uni-que, le monde entier nous inté-resse. La richesse de notre rédac-tion doit se voir à l’antenne, carc’est probablement la newsroom la plus ouverte intellectuellementau monde. Nous parions sur les faits, pas sur les commentaires. Chez nous, il n’y pas de “bla-bla” », estime le « boss », dans un anglaisimpeccable. La suite ? Il sourit, se voit bien continuer l’aventure dans les futurs locaux des bordsde Saône, où la rédaction emmé-nagera dans quelques mois. p

alain constant

Une « cheffe » d’entreprise ne fait pas le printempsMalgré la désignation de Delphine Ernotte à la présidence de France Télévisions, les femmes restent sous-représentées dans l’audiovisuel

P as encore patronne deFrance Télévisions, Del-phine Ernotte, alors à la

tête d’Orange France, ne mâchait pas ses mots, en janvier 2013, sur le site Lesnouvellesnews.fr.

Répondant à David Abiker au su-jet de l’égalité professionnelle femmes-hommes, elle disait no-tamment : « En gros, en caricatu-rant, quand vous proposez un poste à un homme, c’est tout justeassez bon pour lui ; quand vous le proposez à une femme, elle vous demande tout de suite : “Mais pen-sez-vous que je vais être capable dele tenir ?” Il faut que ça change. » Avant d’ajouter : « La question n’est pas de savoir si les hommes etles femmes, c’est différent. Tout ça, c’est un faux débat. Ce qu’il faut,c’est savoir si on respecte le prin-cipe d’égalité en droit : y a-t-il éga-lité des salaires dans l’entreprise. Ety a-t-il égalité des promotions ?

C’est ça, la question. » Si le projet de Dephine Ernotte,

élue PDG de France Télévisions jeudi 23 avril, prévoit « une direc-tion resserrée et paritaire », onpeut supposer qu’elle voudra aussi mettre à mal les chiffres dont font état deux rapports offi-ciels récents du Conseil supérieur de l’audiovisuel et du Centre na-tional de la cinématographie quant à « la place des femmes dans l’audiovisuel public ».

Des chiffres et constats jugés« atterrants » par les profession-nelles de la télévision invitées à la table ronde organisée sur ce sujet par le festival Séries Mania, lundi 20 avril. Alors que « les femmes re-présentent 52 % de la population (Insee), 56 % de l’audience TV, 50 % des usagers d’Internet (Médiamé-trie) et 51 % des diplômés de l’ensei-gnement supérieur (Insee) », comme l’a rappelé le CSA, « il est

logique que la sous-représentationdes femmes dans les instances audiovisuelles ne soit quasiment jamais évoquée et étonne : on n’y trouve quasiment pas de fem-mes ! », commentait la scénariste Sophie Deschamps, présidente duconseil d’administration de la So-ciété des auteurs compositeurs dramatiques (SACD).

En faveur des quotas

Et de détailler : seulement 16 % de réalisatrices en télévision (7 %dans le domaine des séries) ; un tiers de femmes cadres dans les sociétés de production, un quart de femmes parmi les dirigeants de sociétés audiovisuelles. « En dessous du seuil de 30 %, c’est ceque l’on nomme “l’invisibilité”, ajoutait Sophie Deschamps, on fait partie des minorités invisi-bles… » Sans oublier que le peu de réalisatrices qui travaillent ga-

gnent un tiers de moins que les hommes, seules les scriptes, actri-ces et cascadeuses sont en moyenne mieux rémunérées que les hommes.

Certes, la loi pour l’égalité réelleentre les femmes et les hommesvotée le 4 août 2014 devrait per-mettre à terme de changer la donne. Mais en attendant, non sans manifester quelques réser-ves, l’ensemble des femmes réu-nies lors de cette table ronde pro-fessionnelle se sont prononcées en faveur de l’application tempo-raire de quotas afin que davantagede femmes puissent mener un projet audiovisuel. Ce qui existe déjà en Suède. « Après ces cin-quante dernières années d’injus-tice, on n’a pas le choix, il faut en passer par là, répondait Sophie Deschamps à une question sur la perversité des quotas. Il faut faire monter les femmes, sinon on voit

bien qu’elles n’ont quasiment aucune chance de faire carrière ! »

Constatant, par ailleurs, quelorsque les concours publics ont lieu à l’aveugle – derrière un para-vent pour les musicien(ne)s clas-siques, par exemple –, les femmes sont beaucoup plus souvent re-crutées, l’ensemble des partici-pantes à cette table ronde parve-naient à la même conclusion :hormis à Arte, dirigée par Véroni-que Cayla et qui compte 67 % de femmes, peu ou pas de femmes sont présentes dans les instancesde décision, de même à la tête de téléfilms ou de séries, ce qui lesempêche de se former, d’acquérir une compétence et donc d’êtreensuite appelées à exercer leur métier…

Sans décision de parité tempo-raire et raisonnée, pas de vraischangements à attendre. p

martine delahaye

« Il faut faire

monter les

femmes, sinon on

voit bien qu’elles

n’ont aucune

chance de faire

carrière ! »

SOPHIE DESCHAMPSprésidente du conseil

d’administration de la Sociétédes auteurs compositeurs

dramatiques

STEPHANE AUDRAS/REA

« La rédaction somnolait

un peu. Avec Lucian Sârb, nous

sommes passésd’un robinet à

info à une chaîneplus vivante

et innovante »,estime l’un

de ses adjoints

LES DATES

1967Naissance à Cluj, en Roumanie.

1994Entre à la télévision publique roumaine (TVR).

2001Nommé chef des informationsà la TVR.

2006Dirige The Money Channel,à Bucarest.

MAI 2009Directeur de la rédactiond’Euronews.

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Les mensonges du nucléaire françaisUne enquête édifiante sur les secrets de cette industrie dont on nous vante les mérites depuis les années 1960

CANAL+LUNDI 4 – 22 H 55

DOCUMENTAIRE

A en croire ce documen-taire, les mensongessur le nucléaire fran-çais sont aussi toxi-

ques que la radioactivité. Depuis les années 1960, les différents gouvernements nous assurentque les centrales nucléaires sont extrêmement sûres, au pointqu’ils n’ont jamais eu à déplorer lemoindre accident. Et ce n’est pastout : l’énergie électrique – pro-duite par les 58 réacteurs du pays –est propre et peu onéreuse. Un mythe, selon les auteurs de Nu-cléaire, la politique du men-songe ?, qui se font un malin plai-sir de déconstruire – pour ne pas dire dégommer – la trop belle « fa-ble » des bienfaits de l’atome.

Cette nouvelle enquête de « Spé-cial investigation » commence dans un village du Loir-et-Cher, Saint-Laurent-Nouan, où se trouve la centrale de Saint-Lau-rent-des-Eaux qui, depuis son inauguration en 1963, a connu deux accidents passés sous silencepar EDF. Le premier date de 1969, le second – plus grave – remonte à 1980. En cause : un défaut de maintenance qui a entraîné la sur-chauffe et la fusion de l’un des deux cœurs de réacteur, libérant ainsi du plutonium – matière hau-tement radioactive et dangereuse – que les responsables du site ontdécidé, pour s’en débarrasser, de rejeter dans… la Loire. Une prati-que illégale à cette époque et qui l’est toujours de nos jours.

SurréalisteIl est regrettable que les dirigeantsactuels d’EDF n’aient pas souhaités’exprimer. Seul Marcel Boiteux, ancien président du groupe (de 1979 à 1987), et artisan du nu-cléaire, a accepté de parler. Ce qu’ildit semble à peine croyable, et sonentretien avec le journaliste, sur-réaliste. Interrogé à propos de cequi a conduit les responsables à déverser le plutonium dans laLoire, M. Boiteux répond sans

ciller : « C’est quand même pas grand-chose. » « C’est du pluto-nium, c’est interdit », s’étonne le journaliste. « Oui, bien sûr, ce n’est pas bien, mais ce n’est pas grave », se défend l’ancien patron. « C’estillégal », insiste le reporter. « C’est illégal de tuer son voisin quand vous êtes en voiture, et que vous rencontrez la voiture d’en face etque vous tenez mal votre volant. En cas d’accident, il se passe deschoses illégales, quand on est cons-cient », explique en souriant le président d’honneur d’EDF. Un telaccident, pourtant, devrait systé-matiquement obliger à l’évacua-tion des habitants alentour.

deux fois plus que le chiffreavancé par EDF.

Documents inédits à l’appui,cette enquête démonte habile-ment – et avec pédagogie – le dis-cours tenu aujourd’hui sur le nu-cléaire français. Un discours qui se veut rassurant, notamment par l’usage de certains mots plutôt qued’autres. Les communicants préfè-rent par exemple parler de « relâ-chement » et jamais de « fuite ». L’euphémisme en dit long. p

mustapha kessous

Nucléaire, la politique du mensonge ?, de Jean-Baptiste Renaud (Fr., 2015, 55 min).

Les journalistes ont la paroleLes grands reporters racontent l’évolution de leur métier depuis 1950

TOUTE L’HISTOIREDIMANCHE 3 – 20 H 45

DOCUMENTAIRE

A l’époque, pas si lointaine,le téléphone portablen’existait pas. Evitant au

reporter envoyé sur le terrain à l’autre bout du monde, de recevoirdes messages incessants en prove-nance de sa rédaction en chef à Pa-ris. « C’était formidable ! », résumeen souriant Martine Laroche-Jou-bert, grand reporter à France 2 qui a couvert de multiples conflits. Pas de téléphone portable, certes, mais parfois d’énormes difficultéspour envoyer les images, les arti-cles, les sons.

Ces problèmes de transmissionont longtemps fait partie des pro-blématiques inhérentes au mé-tier. Mais cette série documen-taire (3 × 52 minutes) qui donne la parole à de nombreux journalis-tes de télévision, radio et presse écrite ne se limite pas à cette pro-blématique technique. Quel rôle tient le journaliste en zone de con-flits ? Comment faire son métier dans des conditions difficiles ? Jusqu’où peut aller le reporter sans risquer sa vie ou celle des autres ? Autant de questions évo-quées en compagnie de fortes per-sonnalités qui ne sont pas rési-gnées à faire du journalisme un métier comme un autre. Même si, à l’heure du tout-info et de la bana-lisation du direct, l’image hier en-

core idéalisée du grand reporter a pris un sacré coup derrière la tête.

Le premier épisode de la sérierappelle l’heure des pionniers :des types apprenant le job sur le tas, et parfois sur le tas de cada-vres, en première ligne, comme pendant la guerre de Corée, du-rant laquelle les correspondants de presse, peu protégés, ont payé un lourd tribut. Corée, Indochine,Algérie, les conflits ne manquent pas, les journalistes de talent non plus. Henri de Turenne et FrançoisPelou (Agence France-Presse), Phi-lippe Labro (France Soir), Jacques Duquesne (La Croix), Jean-Claude Guillebaud (Sud-Ouest) évoquentdes souvenirs souvent poignants.

« L’international »Le deuxième épisode couvre la pé-riode 1970-1990. La technologie évolue, les conflits demeurent. Chili, Vietnam, Iran, Liban, Polo-gne, Afrique du Sud, les anecdotes ne manquent pas. Et comme lerappelle Alain Louyot, alors grand reporter au Point : « Ce qui faisait

vendre le journal dans les années 1970, c’était l’international ! Nous avions des moyens extraordinai-res. » Cas à part, la guerre du Viet-nam est la seule durant laquelle les journalistes font à peu près ce qu’ils veulent, l’US Army laissant les reporters accrédités aller où bon leur semble. « C’est là que j’ai découvert le plaisir des hommes à faire la guerre », se souvient Jean-Claude Guillebaud.

Dans certaines circonstances,comme au Chili durant la dicta-ture militaire ou au Liban pendantla guerre civile, le reporter peut-il rester simple témoin pour préser-ver la neutralité qu’exige la profes-sion ? « Personne ne pourra me convaincre que l’on peut être objec-tif dans ce métier ! Mais on peutêtre neutre », estime Patrick Baz,célèbre photographe de l’Agence France-Presse.

La troisième partie rappelle lesconflits plus récents, l’émergence de nouveaux médias et les ris-ques de plus en plus fréquents quimenacent celles et ceux dont le métier est d’aller partout pour in-former et témoigner. Là encore, les évocations sur le Rwanda, la Bosnie ou l’Irak rappellent que ce métier demeure dangereux. Et passionnant. p

alain constant

Le Siècle des journalistes, de Bruno Lorvao(France, 2015, 3 × 52 min).

D I M A N C H E 3 M A I

TF120.55 BattleshipScience-fiction de Peter Berg. (EU, 2012, 150 min).23.25 Esprits criminelsSérie policière créée par Jeff Davis.France 220.55 Les Enfants du maraisComédie dramatique de Jean Becker (Fr., 1999, 115 min).22.50 Non élucidéL’affaire Suzanne Viguier : l’inexplicable absence Magazine présenté par Arnaud Poivre d’Arvor. France 320.50 Inspecteur BarnabySérie créée par Caroline Graham (GB, 2 x 90 min).0.15 L’Invincible ArmadaFilm d’aventures de William K. Howard (GB, 1937, 90 min).Canal+21.00 Football35e journée de Ligue 1: Nantes - PSGFrance 520.40 Des pâtes, des pâtes, oui mais à quel prix ?Documentaire de Camille Roperch (Fr., 2015, 50 min).22.25 Maghreb 39-45, un destin qui basculeDocumentaire de Bernard George (Fr., 2015, 52 min).Arte20.45 MogamboFilm d’aventures de John Ford (EU, 1953, 110 min).22.35 Grace, face à son destinDocumentaire de Patrick Jeudy (Fr., 2006, 60 min).M620.55 CapitalGrand nettoyage de printemps Présenté par François-Xavier Ménage. 23.00 Enquête exclusive

Hongkong, l’eldorado chinois Magazine présenté par Bernard de La Villardière (180 min).Lundi 4 maiTF120.55 Mes amis, mes amours,

mes emmerdes

Série. J.-M. Auclair, M. Luce David et T. Lassalle (saison 4, ép. 1 et 2/8).22.50 New York, unité spéciale Série créée par Dick Wolf (S15, ép. 24/24, S14, ép. 23/24).France 220.55 Major CrimesSérie créée par J. Duff, M. M. Robin et G. Shephard (S1, ép. 1 à 3/10).23.00 Mots croisésMagazine animé par A.-S. Lapix.France 3 20.50 L’Ombre d’un douteL’Affaire Dreyfus Magazine présenté par Franck Ferrand. 23.45 L’Espionne aux tableauxDocumentaire de Brigitte Chevet (Fr., 2015, 55 min).Canal+21.00 Le Bureau des légendesSérie créée par Eric Rochant.22.55 Spécial InvestigationNucléaire : la politique du mensonge Magazine présenté par Stéphane Haumant. France 520.40 Le Grand CharlesTéléfilm de Bernard Stora (Fr., 2005, 90 min).22.35 C dans l’airMagazine présenté par Yves Calvi.Arte20.50 Pacific ExpressWestern de Cecil B. DeMille (EU, 1939, 130 min).23.00 Pietà

Drame de Kim Ki-duk (Corée du Sud, 2012, 100 min).M620.55 Cauchemar en cuisine

Présenté par Philippe Etchebest.

La centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher). PREMIÈRES LIGNES TÉLÉVISION

Quid ensuite des sites de stoc-kage des déchets radioactifs ? Etpeut-on affirmer que le nucléaire est une énergie propre ? Anne

Lauvergeon, ancienne présidented’Areva, a récemment assuré que le nucléaire produit, en termes de déchets, l’équivalent d’« une pis-cine olympique ». Vrai ou faux ? Selon les calculs et les différentesrévélations du documentaire, le volume de ces déchets correspon-drait plutôt à près de 200 piscinesolympiques. On est loin du compte.

De même, on est bien loin de lavérité lorsqu’on nous assène que le nucléaire ne coûte pas cher. En effet, la note des travaux de re-mise en état des centrales nu-cléaires engagés depuis 2012 s’élè-verait à 110 milliards d’euros, soit

Les pionniers

apprenaient

le job sur le tas,

et parfois sur les

tas de cadavres,

en première ligne

Depuis son

inauguration en

1963, la centrale

de Saint-Laurent-

des-Eaux a connu

deux accidents

passés sous silence par EDF

La guerre vue des coloniesOu comment l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont vécu la seconde guerre mondiale

FRANCE 5DIMANCHE 3 - 22 H 25

DOCUMENTAIRE

L e 8 mai 1945, la France est enliesse : l’Allemagne vient decapituler. C’est la fin de la

seconde guerre mondiale. Mais, ce jour-là, sur un autre continent,au-delà de la Méditerranée, une autre guerre, qui ne porte pas en-core de nom, vient tout juste de commencer. A Sétif, en Algérie – qui appartient, à cette époque, à la France –, des militaires français,aidés par des colons organisés en milices d’autodéfense, répriment dans le sang des manifestations nationalistes.

En effet, le Parti du peuple algé-rien (PPA, dissous en 1939) profite des cérémonies officielles pour ré-clamer la libération de son diri-geant, Messali Hadj. La foule criedes slogans, tels que « Nous vou-lons être vos égaux », « Istiqlal ! » (« indépendance »), « L’Algérie aux Arabes », et brandit pour la pre-mière fois le futur drapeau algé-rien. Etrange contraste : quand la métropole rit, l’Algérie pleure.

Domination et cynismeCe massacre (il y en a eu d’autres) démontre une fois de plus aux yeux des « Indigènes » la cruautéde la puissance coloniale, sa soifde domination et son cynisme.

Mais est-ce si surprenant ? Duranttoute la période de la seconde guerre mondiale, de 1939 à 1945,les Algériens ont pu voir l’éclat de la « mère patrie » pâlir. Ils ont été les témoins d’une France envahieen un temps record par les Alle-mands, puis d’un déchirement entre les Forces libres et le régime de Vichy… Et si, finalement, la France n’était pas aussi puissante qu’elle le prétend ?

Le documentaire Maghreb39-45, un destin qui bascule ra-conte comment l’Algérie ainsi quele Maroc et la Tunisie ont été en-traînés dans la seconde guerre mondiale. Ce conflit a poussé un certain nombre de leurs leaders à exiger l’indépendance pour leur pays. Ces futures nations ont été aussi, pour les Alliés, « un trem-plin » pour reconquérir l’Europeet chasser les Allemands.

Ce film dense – un peu trop sansdoute – est uniquement raconté par des historiens maghrébins qui enseignent dans des universités d’Afrique du Nord ou françaises. Cechoix de la narration permet d’avoir un point de vue différent sur la seconde guerre mondiale. p

m. ks.

Maghreb 39-45, un destin qui bascule, de Jean-Noël Jeanneney et Bernard George (Fr., 2015, 52 min.).

V O SS O I R É E S

T É L É

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 télévisions | 23

HORIZONTALEMENT

I. Une fois signé son pacte n’est pas

souvent respecté. II. Répand une

odeur de violette chez le parfumeur.

Pend au bout du nez. III. Inscrivirent

dans le temps. Partout quand le

monde va mal. IV. Lecture strasbour-

geoise. Sans relance possible. Moto

mal montée. V. Assassin d’Aga-

memnon. Sortie du Chaos avant Eros.

VI. Petite ouverture sur l’extérieur.

Sortis de mon esprit. VII. Côté cou-

chant. Ofensa. VIII. Ouverture sur la

gamme. Plutôt diiciles à franchir.

Points en opposition. IX. Ouvre les

vannes. Essaie de faire aussi bien.

X. De gros trous qu’il faudra combler.

VERTICALEMENT

1. Même si les gallinacés n’y sont

pour rien, les automobilistes n’appré-

cient pas. 2. Homme des bois de Su-

matra. 3. Se débrouille avec les

grosses. Voie de communication.

4. Amateur de chardons. Ses graines

et son huile sont à l’oice. 5. S’occu-

pât des afaires. Belle allure pour la

monture. 6. Poursuivie par Pan, elle

était amoureuse de Narcisse. Poème

du Moyen Age. 7. Canton de la

Mayenne. Produit de la condensa-

tion. 8. Pas très malin. Immobilise

sur le tapis. 9. Suit le vu de près.

Monstre de papier. 10. Volubiles et

colorées. Ouvre les comptes. 11. Pas-

sé à l’huile. Mit en bonne place.

12. Commercent en gros et en détail.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 103

HORIZONTALEMENT I. Queue-de-morue. II. Ultimatum. NS. III. Ane. Item.

Bit. IV. Dartre. Epura. V. Ringards. VI. Ure. Tau. Alep. VII. Pela. Store.

VIII. LSD. Ebattu. IX. Epeautre. Ios. X. Susmentionné.

VERTICALEMENT 1. Quadruplés. 2. Ulnaire. Pu. 3. Eternelles. 4. Ui. Tg.

Asam. 5. Emirat. Due. 6. Dateras. Tn. 7. Eté. Dutert. 8. Mûmes. Obéi.

9. OM. Ara. 10. Bulletin. 11. Unir. Ton. 12. Estampeuse.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 104

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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1945

En partenariat avec

H I STO I R E

Les matins jazzEn 1995, un jeune Noir de 14 ans, Emmett Till, était assassiné, simplement pour avoir voulu séduire une Blanche. Ce drame, qui fut un des événements à l’origine du mouvement afro-américain pour les droits civiques, sort de l’oubli grâce au dessinateur Floc’h. Avec Etienne de Villars, il revient sur ce meurtre qui lui a inspiré Emmett Till. Derniers jours d’une courte vie (éd. Sarbacane, 70 pages, 19,50 euros).Lundi 4 mai – TSF jazz – 6 heuresCinémaLa Nouvelle InternationaleRéalisateur pour la télévision et chef opérateur de Bertrand Tavernier, Alain Choquart est l’invité de la matinale, à l’occasion de la sortie de son premier long-métrage, Ladygrey. sur l’après-apartheid.Mardi 5 mai – Radio Nova – 8 h 40.LittératureLes Carnets nomadesColette Fellous nous entraîne dans les pas de Roland Barthes. Plus précisément, dans la Lumière du Sud-Ouest, titre d’un de ses ouvrages les plus sensibles. Entre l’Adour, le vieux Bayonne, les odeurs de chocolat, la plage de Biarritz, ce vagabondage en terre d’enfance aura pour guide notamment Tiphaine Samoyault, sa biographe.samedi 9 mai – France Culture – 12 heuresConcertJuliette Gréco dans A’liveJeudi 7 mai – France Inter – 21 heures

Les artistes ouvrent leur agendaDu lundi au vendredi, sur Radio Nova,Linda Lorin engage ses invités à dévoilerleur emploi du temps, pour mieux aborder leur travail

RADIO

Elle a cette qualitéd’écoute qui relève d’uneenvie profonde, celled’aller à la rencontre des

autres et de mieux les connaître.Linda Lorin n’est pas de ces jour-nalistes ou animatrices qui veu-lent parler à tout prix et inter-rompent leurs invités quand ilss’attardent un peu trop sur eux-mêmes. Elle préfère tendre l’oreille, attentive et discrète, à lamanière d’un Jacques Chancel,qu’elle cite comme un de ses pè-res spirituels. N’hésitant pas,dans la foulée, à en évoquer unautre : Jean-François Bizot, co-fondateur en 1981 de Radio Nova– entre autres –, qui disait : « Ilfaut respirer dans les marges. »

Laisser respirer les artistesqu’elle reçoit, c’est justement cequi guide sa chronique quoti-dienne Memento dans l’émission« Le Grand Mix Matin », queLinda Lorin anime, du lundi auvendredi, de 9 h 30 à 13 h 30, sur

Radio Nova. Même si l’exercicene dure que trois ou quatre mi-nutes, il s’appuie sur un conceptsuffisamment fort pour surpren-dre l’invité et ainsi l’amener àdire des choses qu’il n’évoque pasforcément ailleurs.

De quoi s’agit-il ? Tout simple-ment de faire ouvrir leur agendaaux artistes afin de connaître leurs activités, leurs rendez-vous,et donc leurs goûts et surtoutleur travail. « Je cherchais unemanière différente de les faire par-ler. Un jour, je me suis demandé ceque pouvaient bien faire les artis-tes – forcément des choses éton-nantes – pendant que moi je mènema vie ordinaire. D’où l’idée de l’agenda », explique Linda Lorin.

DiscrétionSi certains invités ont commencépar manifester un peu de résis-tance, voire de la méfiance, ilsont fini par se plier et… se pren-dre au jeu. « Sauf que les artistespensent avoir une vie d’une bana-lité affligeante », s’amuse l’ani-

matrice. Qu’importe puisqu’elle ne l’est pas et qu’elle permet de li-vrer des confidences bien sou-vent inédites et surprenantes.« Je pense que l’agenda les désta-bilise, remarque Linda Lorin. Lepremier jour, cette question quiest toujours la même, “Qu’est ceque vous faites le lundi ?”, ouvreune brèche à partir de laquelle ilspeuvent aller où bon leur sem-ble. » Cette entrée en matière ori-ginale permet en effet de laisserlibre l’invité. « Moi, je ne fais rien.Je m’efface et suis la premièreauditrice de cet exercice auquelchacun a accepté de se prêter. Je recueille les confidences au mêmetitre que l’auditeur. Je suis juste lepasseur. »

Cette discrétion a pour qualitéde placer l’artiste en confiance.D’autant que, à l’inverse de nom-breuses interviews qui prennent prétexte de l’actualité d’un ar-tiste pour l’emmener ensuite surun terrain plus personnel, Me-mento part de l’intime pouraboutir à des révélations profes-sionnelles. Après JacquesAudiard, Joann Sfar, CharlotteGainsbourg, Philippe Decouflé,Raymond Depardon et tantd’autres, c’est Olivier Assayas qui,du 4 au 8 mai, ouvrira sonagenda, à l’occasion du 60e Salonde Montrouge (tourné vers lascène artistique émergente) dontle réalisateur est cette année le président. p

véronique cauhapé

Memento, sur Radio Nova. Du lundi au vendredi à 11 heures précises, dans « Le Grand Mix matin » (de 9 h 30 à 13 h 30).Linda Lorin, animatrice du « Grand Mix Matin ». ANGELIK IFFENNECKER

Le procès Pétain rejoué par des comédiensFrance Culture recrée en feuilleton les trois semaines d’un événement historique

RADIO

L e 23 juillet 1945, au Palais dejustice de Paris, débute leprocès du maréchal Pétain.

A 89 ans, l’ancien chef de l’Etat du régime de Vichy est inculpé d’at-tentat contre la sûreté intérieure de l’Etat et d’intelligence avec l’en-nemi. Avant de garder le silence pendant la suite de son procès, Philippe Pétain tient à prendre la parole face aux juges.

De la voix chevrotante d’unvieillard tapi dans son fauteuil, il dit : « L’Occupation m’obligeait aussi contre mon gré, et contre

mon cœur, à tenir des propos, à ac-complir certains actes dont j’ai souffert, plus que vous. Mais devantles exigences de l’ennemi, je n’ai rienabandonné d’essentiel à l’existence de la patrie… »

« Comme si on y était »Des paroles révoltantes qui plon-gent l’assistance dans un climat explosif. Trois semaines plus tard, le maréchal Pétain est condamné àmort. Sa peine sera commuée en prison à perpétuité et il mourra à l’île d’Yeu, en 1951.

Ce sont ces trois semaines d’unprocès historique que font enten-

dre la productrice Dominique Mis-sika et le réalisateur Etienne Vallès dans ce feuilleton radiophonique d’une grande puissance dramati-que que rediffuse France Culture. « L’idée de départ, c’est de raconter le procès comme si on y était. Car unprocès, c’est comme une pièce de théâtre, sauf que ce n’est pas écrit d’avance… Il peut y avoir des coups de théâtre ! », explique DominiqueMissika, auteure de programmes consacrés à de grands procès histo-riques (Klaus Barbie, Paul Touvier, Maurice Papon).

« La particularité de ce procès estqu’il n’existe pas d’enregistrements

sonores. Nous avons donc dû le re-constituer avec des comédiens. Pour recréer son atmosphère et évi-ter les anachronismes, je me suis inspirée des comptes rendus d’audiences parus dans les jour-naux de l’époque et écrits par de grandes plumes comme Léon Werth, François Mauriac, Jules Roy ou encore Joseph Kessel », poursuit la productrice.

Très bien construit et interprétépar de grands comédiens, ce feuilleton se veut avant tout fidèle à la réalité historique. Dominique Missika regroupe avec minutie les extraits les plus marquants du

compte rendu sténographique, re-prenant les propos exacts tenus pendant le procès, en respectant lachronologie et sans y ajouter de commentaire. « J’ai gardé les mo-ments forts, mais aussi laissé les temps morts, les longueurs du pro-cès. Il s’agissait d’éviter le piège qui consiste à refaire le procès comme un procès idéal », précise-t-elle. Un document édifiant. p

hélène delye

Le Feuilleton : Le Procès Pétain, de Dominique Missika (France, 2010, 15 × 25 minutes). Du lundi au vendredi, de 20 h 30 à 20 h 55.

S É L E C T I O NR A D I O

24 | styles DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

0123

Ciel, ma fille vire « veggie » !Le sacro-saint rosbif du dimanche ? Elles n’y toucheront plus. Une « conversion » qui concerne de plus en plus de jeunes femmes, et sème parfois la zizanie au sein des familles

USAGES

Quand, le cœur affolé,Ophélie l’a annoncé àses parents, ils ont,dit-elle, tenté de dissi-muler leur désappro-

bation, puis se sont inquiétés, et même sentis un peu coupables – qu’avaient-ils raté dans son édu-cation ? Bien sûr, ils continue-raient de l’aimer telle qu’elle était.Et cette lubie lui passerait, forcé-ment… Ophélie Véron, 29 ans, ra-conte son « coming out » alimen-taire comme un tremblement de terre familial.

Lorsqu’elle a 22 ans, cette joliebrune à tâches de rousseur,auteure d’une thèse en géogra-phie politique, s’avoue végéta-rienne. A 25 ans, elle se revendi-que « végane » – excluant de son mode de vie tout produit prove-nant des animaux (alimentation,vêtements, cosmétiques, etc.), dont elle refuse l’exploitation. « Très, très dur » face à des parentsqui incorporent leur amour dans les petits plats du terroir. « Poureux, c’était incompréhensible.J’avais une maladie psychiatri-que ! » « Ce n’était pas comme si elle s’enrôlait dans l’Etat islami-que, tout de même, tempère sa maman, sexagénaire. Mais c’étaittrès étrange, ça la coupait de lanourriture des autres, donc de nous. » Depuis, les légumes ontrétabli la paix familiale.

Faire une croix sur la viande, lepoisson, et même parfois le lait et les œufs, voilà le choix, mesuré en 2012, d’environ 3 % de la popula-tion (sondage Terra eco-Opi-

nionWay). Depuis, bien des indicesprouvent une accélération de la tendance, notamment chez les jeunes, filles en tête. Les livres decuisines végétarienne et végéta-lienne font le bonheur des édi-teurs, des blogueuses en vogue (comme Ophélie, alias « Antigone XXI ») qui concoctent leurs plats véganes pour 20 000 lecteurs quo-tidiens. Les restaurants poussent comme des champignons. Même Carrefour lance ses produits végé-tariens de marque distributeur.

Les carences inquiètent

« Le phénomène monte clairement depuis quatre ou cinq ans, surtout chez les urbains diplômés, observe la jeune professeur de mathémati-ques, qui préside l’Association vé-gétarienne de France, Elodie Vieille-Blanchard. Nous avions 500adhérents en 2007, nous en comp-tons 4 000 aujourd’hui, dont beau-coup de jeunes. Sur nos 70 000 fansFacebook, les trois quarts sont des femmes, près de la moitié, des 18-34 ans. » Sur les campus, quel-que 10 % d’étudiants se revendi-quent végétariens ou végétaliens, 3 % de plus qu’il y a trois ans (en-quête Cnous – Centre national des œuvres universitaires et scolaires).

S’ils prennent double ration decourgettes au restaurant universi-taire, c’est d’abord par sensibilité à la cause animale et environne-mentale. Ajoutez à cela une pincéede bonnes résolutions (manger sain) et une large rasade d’infor-mations, accessibles sur Internet, partagées à l’envi sur les réseaux sociaux. « Les jeunes ne croient plus en l’efficacité du politique, dit

Cécile Van de Velde, sociologue à l’Ecole des hautes études en scien-ces sociales. A défaut de pouvoir agir sur la grande société, ils chan-gent leur propre vie quotidienne à travers l’engagement de proximité et la consommation, qui devient unlevier d’action politique. »

Dans les familles, la « conver-sion » au culte végétal ne se fait pas toujours dans l’harmonie. Entémoigne ce souvenir, gravé dans chaque mémoire, du jour fatidi-que de l’annonce aux parents. « C’était l’anniversaire de mes17 ans », « Le 5 avril 2014 », « Pen-dant les courses de Noël avec ma mère », « Ma résolution du Jour de l’an, en 2011 »… Au pays de la gas-tronomie, du sacro-saint repas commun, du gigot du dimanche, les réactions ne sont pas forcé-ment enthousiastes.

« Qu’est-ce que vous allez man-ger ? Vous allez nous compliquer lavie ! », s’est affolée la mère de Ca-mille et Cécile Revel, des jumelles devenues végétariennes à 18 ans qui, pour aider leurs jeunes congé-nères en transition alimentaire, ont ensuite créé le forum Internet Génération végane. « Tu es mani-pulé », ont soupçonné les parents d’Alexandre Rozenblum, 17 ans, avant ce coup de grâce : « Tu fais tacrise d’ado sur le tard ! » « On n’a rien compris… Dire qu’elle aimait lerosbif saignant », s’interroge en-core Natacha Coquille-Chambel, mère de Marie, 16 ans.

Autant que le casse-tête aux four-neaux, ce sont les éventuelles ca-rences qui inquiètent. Un seul moyen d’y couper court, savent lesjeunes : promettre visite chez le

nutritionniste et analyse de sang régulière. Les parents carnivores espèrent que tout cela n’est que passade. Ils tentent la stratégie du lardon dans la quiche aux légu-mes. Ou du poisson à toutes les sauces, avant d’intégrer l’impensa-ble : lui aussi est banni.

« Le cri de la carotte »

Comme l’éphémère dure, chaque repas vire à la guerre d’usure. Avec,pour armes, les sempiternelles ré-flexions : « Et le cri de la carotte qu’on arrache de terre, tu ne l’en-tends pas ? » (le père) ; « Ce n’est pas parce que tu ne manges plus deviande qu’on va arrêter de tuer des animaux » (le grand frère) ; « On voit que tu n’as jamais connu la faim » (le grand-père) ; « Et ton bébé, tu le nourriras comment ? » (la grand-mère) ; « A ton mariage, on va manger de l’herbe ? » (les on-cles et tantes)… Jusqu’au conflit ouvert, avec prises de bec. « Mes parents aiment la viande, ils ne voulaient pas lâcher, se souvient Margaux Simonet, 24 ans, salariée d’une régie publicitaire. J’enlevais les petits morceaux cachés dans la purée, et c’était des engueulades, surtout avec mon père. » Valérie Ventura, secrétaire stéphanoise, s’est retrouvée à jouer les casques bleus entre un fils « très remonté » et une fille « un peu dans la pro-voc » : « Elle lui disait devant son steak “tu manges un mort”, et cela partait en dispute… »

Quand les parents se sont faitune raison, arrachant qui une concession sur le poisson ou les œufs, qui une promesse d’autono-mie (l’exalté fera lui-même ses

courses et son frichti de tofu au sé-same, quinoa et graines germées),reste à composer avec les amis. Fa-tigant de se justifier sans cesse. Oud’apporter son drôle de gâteau au chocolat sans lait, ni œufs dans lessoirées. Maëlle Dravet, 17 ans, se sent « comme un fardeau » dansles sorties entre copains : « Je n’habite pas dans une grande ville, il n’y a pas de restau végétarien, c’est toute une affaire de choisir où nous allons manger. »

Si les véganes de son genre sontsouvent perçus comme extrémis-tes, les végétariens ne suscitent plus guère d’opprobre. La viande n’est plus en odeur de sainteté nu-tritionnelle. Arrêter d’en consom-mer, chez les jeunes, peut relever de l’imprégnation familialequand père et mère pratiquent le « flexitarisme » sans le savoir (le végétarisme intermittent). So-phie, décoratrice d’intérieur, voiten sa fille Lucie, élève de termi-nale et végétarienne, « l’expres-sion la plus poussée de ce que res-sent la famille », qui a déjà quasi-ment renoncé à la viande rouge.

Après une crise d’adolescenceau kebab, Nicolas Celnik, en ter-minale dans les Hauts-de-Seine,fils d’une mère végétarienne, d’un père pas loin de l’être, frèred’une jeune végane qui peint des vaches culpabilisantes devant les restaurants, a suivi le mouve-ment en 2014. Question d’éthi-que, une fois informé sur les con-ditions d’élevage. Et d’efficacitédans les soirées. « Etre veggie, riende tel pour draguer les filles. » p

pascale krémer

et catherine rollot

« Ce n’était pas

comme si elle

s’enrôlait dans

l’Etat islamique.

Mais c’était très

étrange, ça

coupait notre fille

de la nourriture

des autres,

donc de nous »

MME VÉRON

mère d’Ophélie, végane

LEXIQUE

LE VÉGÉTARIENIl exclut de son alimentation toute chair animale (viande, poisson, fruits de mer).

LE VÉGÉTALIENIl rejette non seulement la chair des animaux (viande, poisson, fruits de mer…), mais aussi tout aliment issu du monde animal (produits laitiers, œufs, beurre ou encore miel…).

LE VÉGANEC’est un végétalien qui, par ailleurs, supprime de son quoti-dien tout produit ou loisir repo-sant sur l’exploitation de l’ani-mal (cuir, laine, produits cosmétiques contenant des graisses animales, équitation, vi-site de zoo…).

LE « FLEXITARIEN »C’est un végétarien occasionnel. Il reste un omnivore, mais limite sa consommation de viande à une ou deux fois par semaine.

EUGENIA LOLI

0123DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015 carnet | 25

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AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Robert Allard (†),son époux,

Pascal, Dominique, Marie-Ange (†),Bénédicte, Christophe (†),ses enfants,

Ses petits-enfantsEt arrière-petits-enfants,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Mme Marcelle-AnnaALLARD,

née BOUQUET,chevalier de l’ordre national du Mérite,

médaillée de la ville de Lille,

survenu le 28 avril 2015,dans sa quatre-vingt-douzième année.

La célébration religieuse de sesfunérailles aura lieu le lundi 4 mai,à 9 h 30, en l’église Notre-Dame-deConsolation, place Catinat, à Lille,suivie de la crémation, à Herlies.

Présidente depuis 1970 de VaubanLoisirs Animation, fondatrice du ClubExtension Lucien-Rauwel, elle fut unegrande figure de la vie sociale dans lamétropole lilloise. Précurseur dansl’organisation de loisirs culturels et deservices respectueux de l’autonomie despersonnes âgées, toujours discrète etattentive aux autres, elle n’eut jamaisqu’une seule ambition : servir.

218, rue Colbert,59000 Lille.

Cyrille Cahen,son époux,

Les familles Cahen et Barnett,

ont la tristesse de faire part du décès de

Jane CAHEN,née SIEFF,

survenu le vendredi 24 avril 2015,à Boulogne-Billancourt,dans sa quatre-vingt-cinquième année.

L’inhumation a eu lieu le mardi28 avril, au cimetière de Boulogne.

[email protected]

Montgeron (Essonne).

Danielle, François, Alain, Odile,Catherine, Sylvette,ses enfants

Et toute la famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Françoise CHEVILLETnée BOSNE,

survenu le 28 avril 2015,à l’âge de quatre-vingt-seize ans.

Elle rejoindra son cher époux,

Paul,

au cimetière de Montgeron.

Mme Marcelle Dauriac,son épouse,

M. Claude Dauriac,M. et Mme André Dauriac,Mme Chantal Dauriac,

ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,Ses parents et amis,

ont la douleur de faire part du décès de

Yves DAURIAC,chevalier de la Légion d’honneur,

oficier dans l’ordre national du Mérite,proviseur en retraite,

ancien membre du comité central,de la Ligue des droits de l’homme.

survenu dans sa quatre-vingt-quinzièmeannée.

Un dernier hommage lui sera rendule mardi 5 mai 2015, à 10 h15, aucrématorium de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques).

Mme Marie-Claude Delestre,son épouse,

David et Emmanuelle Delestre,Marianne et Rémi Delestre-Calvayrac,

ses enfants,Margot, Olivia, Sarah, Noémie,

Eléonore,ses petites-illes,

Ses frères,La parentéEt les amis,

ont la douleur de faire part du décès deM. Antoine DELESTRE,

survenu à l’âge de soixante-neuf ans.Ses obsèques seront célébrées lundi

4 mai 2015, à 14 h 30, en l’église dePoilly-lez-Gien (Loiret), suivies del’inhumation au cimetière d’Autry-le-Châtel (Loiret).

Nicole Dufaysa mère,

Juliette Dufay,son épouse,

Nicolas, Camille, Jeanne et Lou,ses enfants,

Julien, Perrine et Marguerite Dufay,son frère, sa belle-sœur et sa nièce,

Pierre Marcel,son ami,ont l’immense douleur d’annoncer le décèssoudain de

Guillaume DUFAY,survenu le 25 avril 2015, en Gironde.

Ses obsèques ont eu lieu dans l’intimitéfamiliale, le 29 avril.

Une cérémonie religieuse en l’église deCardan, a été suivie de l’inhumationau cimetière de Cardan.

11, rue Jacob,75006 Paris.Château Cayla,33410 Rions.

Le docteur Pierre DUMASnous a quittés le 18 avril 2015,à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Il laisse dans une grande tristesseles familles Dumas et Kolb.

Ses obsèques ont eu lieu le 24 avril,en la chapelle de Granon, à Marmande(Lot-et-Garonne).

Victor Rémy ESMIOL,inspecteur général honoraire

de la Police nationale,oficier de la Légion d’honneur,

oficier de l’ordre national du Mérite,est décédé le 28 avril 2015, à Antibes,à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.

Il sera inhumé dans le caveau defamille, au cimetière des Carmes,à Clermont-Ferrand.

Paris.

Mmes Florence Goldenberget Danièle Peretz,

ont la tristesse de faire part du décès deleur ami

M. Bernard FREMAUX,comédien,

ancien responsable de formation à l’INA,

survenu le 26 avril 2015.

[email protected]

Nice. Prunay-le-Temple.

Jean Giusti,son époux,

Christian Giusti,son ils,

Familles, parents et alliés,

ont l’immense douleur de faire part dudécès de

MmeChristiane GIUSTI,née LE BÉCHENNEC,

survenu à Monaco, le 22 avril 2015,à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Les obsèques ont été célébréesà Monaco, dans la stricte intimitéfamiliale.

De 1966 à 1996, Christiane et JeanGiusti ont créé puis fait vivre un bistrotniçois, La Mérenda.

Cet avis tient lieu de faire-part.

9, quai des Deux Emmanuel,06300 Nice.

15, rue de la Rolanderie,78910 Prunay-le-Temple.

Lélia Dimitriu,sa femme,

David et Micha,ses ilset leur mère, Sophie,

Anna, Abigail et Juno,ses petites-illes,

Marie,sa belle-ille,

ont la tristesse de faire part du décès de

Jean LESCOT,né Jean WAJSBROT,

comédien,

survenu le 28 avril 2015,à l’âge de soixante-seize ans.

Les obsèques auront lieu le mardi5 mai, à 14 h 30, au cimetière parisien deBagneux, 45, avenue Marx Dormoy(Hauts-de-Seine).

Cet avis tient lieu de faire-part.

Mme Carole Muller Guillonneau,sa ille,

M. Xavier Guillonneau,son gendre,

Raphaël, Adrien et Clément,ses petits-enfants,

Mme Béatrice Gigax,sa compagne,ses enfants et ses petits-enfants,

Mme Michelle Orengo,son ancienne épouse,

ont la douleur de faire part du décès de

Gérard MULLER,survenu le 27 avril 2015,à l’âge de soixante-dix ans.

Les obsèques seront célébrées enl’église Sainte-Anne-de-Polangis ,de Joinville-le-Pont, le lundi 4 mai,à 15 h 30, suivies de l’inhumation aucimetière de Joinville-le-Pont (Val-de-Marne).

Mme Béatrice Gigax,9, place des Vosges,75004 Paris.

Henri Plomik,son mari,

Corinne,sa ille,

Jérôme Tafani,son gendre,

Clémence, Alexandrine et Cyprien,ses petits-enfants,ont l’immense tristesse d’annoncerle décès de

Mme Marthe PLOMIK,née LAUFER,

survenu le 23 avril 2015,à l’âge de soixante-treize ans.

Le président de l’universitéSorbonne Nouvelle-Paris 3,

Le directeur,Les enseignantsEt les étudiants

de l’UFR langues, littératures,cultures et sociétés étrangèreset du département monde anglophone,

L’ensemble des personnels enseignantset administratifs de l’université,s’associent au deuil de la familleet des proches de

M. Henri QUÉRÉ,professeur de littérature anglaise

à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3.

Catherine et Patrice Bougy,Dominique (†) et Egbert Heger,François et Laura Saint-Martin,

ses enfants,Caroline et Patrick Boileau,Cécile et Charles Duportail,Jan Heger,Eric Heger et Karolina,Frank et Carina Heger,Silvia Heger et Dominik,Louis Saint-Martin et Marie,Victor Saint-Martin,

ses petits-enfants,Ses arrière-petits-enfants,Toute la familleEt les amis,

ont la tristesse de faire part du décès deM. Yves SAINT-MARTIN,chevalier de la Légion d’honneur,

chevalierde l’ordre national du Mérite,

commandeurdans l’ordre des Palmes académiques,

ancien élève du Prytanée militairede La Flèche (matricule 2567 B),

ancien professeurau lycée Van Vollenhoven (Dakar)

et au Prytanée militaire,membre de l’Académiedes sciences d’outre-meret de l’Académie du Var,

survenu à Caen, le 25 avril 2015,dans sa quatre-vingt-treizième année.

Un dern ie r hommage lu i serarendu le jeudi 7 mai, à 11 heures, aucrématorium de Caen, rue de l’Abbayed’Ardenne.

Fleurs naturelles uniquement.Catherine Bougy,11, résidence Olympia,14000 Caen.François Saint-Martin,10, rue de l’église,72350 Avessé.

Jacques Arrighi de Casanova,son époux,

Vanina, Elisa et Bertrand,ses illes et gendre,

Gabrielle, Maxime et Hadrien,ses petits-enfants

Et toute la famille,ont la tristesse de faire part du décès de

Carola SANGUINETTI,épouse ARRIGHI de CASANOVA,

avocate généraleprès la Cour d’appel de Paris,

survenu le 29 avril 2015, à Paris.Une cérémonie aura lieu ultérieurement

en Corse.

Marseille. Aix-en-Provence.

Isabelle et Corinne Meyer,ses illes,

M. Philippe de Saintdo,

Les familles Boccara, Hasson, Cattan,

ont la tristesse de faire part du décès de

MmeSylvia SCHACHTER,née BOCCARA,

survenu le 21 avril 2015,dans sa quatre-vingt-cinquième année.

Elle repose en paix dans le caveau defamille.

Villa La Colonie,1578, chemin des Frères Gris,13080 Luynes Aix-en-Provence.

Lyon. Paris. Et partout ailleurs.

Florence, Daniel, Marcosa nièce et ses neveux,

font part du décès de

Mme Dora VALAYER,pasteure à la retraite

de l’Eglise réformée de France,

survenu le 28 avril 2015,à la maison de retraite du Châtelet,à Meudon (Hauts-de-Seine).

L’incinération aura lieu le 4 mai 2015,à 10 heures, au crématorium du Parc,104, rue Porte de Trivaux, à Clamart.

Anniversaire de décès

Il y a vingt-neuf ans,

Sophienous quittait avec

Tina.Merci à tous ceux qui en gardent vivant

l’affectueux souvenir.

Souvenirs

Il y a trente-sept ans,

Henri CURIEL,militant anti-impérialiste

et « médiateur de la paix »dans le conlit israélo-palestinien,

était abattu à Paris.

Les commanditaires de cet assassinatrestent encore impunis.

Sa famille et ses amis exigent toujoursque justice soit faite.

Les parents,que d’événements depuis dix ans…

Vous ne nous croirez pas, maisHollande est devenu président de laRépublique en 2012 !Papa, c’est Claude Bartolone qui estprésident de l’Assemblée nationale,maintenant. Tu vois qui c’est ?Maman, il y a eu la réforme de l’université,et tu n’aurais pas aimé.

Mais il y a des choses qui ne changerontjamais.

Vos illes,Jeanne, Martin et Pierre,

vos petits-enfants,Vos amis,

pensent à vous chaque jour.Vous nous accompagnez.

Odile et Claire Mopin.

« Un pas, une pierre,un chemin qui chemine,

C’est la vie le soleil,C’est tout ce qui nous reste,

C’est un bel horizon,C’est le soufle du vent,

La promesse de vie. »Les eaux de mars.

Communications diverses

Les Amphis de l’AJEF

« La croissance perpétuelleest-elle une idée périmée ? »

débat avec P. Artus (Natixis)et

C. de Perthuis (Paris-Dauphine),

mercredi 6 mai 2015, à 20 heures,au lycée Louis-le-Grand,

123, rue Saint-Jacques, Paris 5e.

Inscriptions : [email protected]

Remise des prix et symposiumGlobal Award for Sustainable

Architecture™ 2015lundi 4 mai 2015.

Entrée libre,inscription obligatoire sur citechaillot.fr

14 heures : accueil par Guy Amsellem,président de la Cité de

l’architecture & du patrimoine.14 h 15 : annonce des lauréats

par Alfredo Pérez de Armiñán,sous-directeur général pour la culture,

UNESCO.

Conférences des architectes lauréatsdu Global Award for

Sustainable Architecture 2015.

Modération : Marie-Hélène Contal,directeur du développement culturel,

Cité de l’architecture & du patrimoine.14 h 30 : Juan Román Pérez,directeur fondateur de l’Écoled’Architecture de Talca, Chili.15 h 10 : Santiago Cirugeda,

Recetas Urbanas, Séville, Espagne.15 h 50 : Jan Gehl,

Copenhague, Danemark.17 heures : Marco Casagrande,Casagrande Laboratory, Helsinki,

Finlande, Taïwan.17 h 40 : Rotor, Tristan Boniver,

Lionel Devlieger et Maarten Gielen,membres fondateurs,Bruxelles, Belgique.

Co-organisé par le Fonds LOCUS,créateur du Global Award,et la Cité de l’architecture

& du patrimoine.

Cité de l’architecture & du patrimoine,Auditorium,

7, avenue Albert de Mun, Paris 16e

(métro Iéna ou Trocadéro).

26 |0123 DIMANCHE 3 - LUNDI 4 MAI 2015

0123

Graphiquement, l’invi-tation est très belle.Rouge, comme il sedoit, avec au centre

une cocarde d’or frappée de la fau-cille et du marteau et cette inscrip-tion, en cyrillique : « Guerre patrio-tique, 70 ans. » Au verso s’alignent les noms des ambassadeurs de six pays qui se sont associés à celui de la Russie, à Paris, pour célébrer le soixante-dixième anniversaire de la victoire alliée dans la seconde guerre mondiale. A Moscou, la vic-toire est commémorée le 9 mai. Pour des raisons de commodité, la réception à Paris aura lieu le 5 mai.

Politiquement, le message estplus compliqué. Les six pays (Ar-ménie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Biélo-russie) qui ont accepté de cocélé-brer l’événement avec la Russie à Paris sont, en quelque sorte, des rescapés de l’ex-URSS : le 9 mai 1945, l’Union soviétique victo-rieuse comptait quinze républi-ques. Depuis, les sept autres, si l’onaccorde le bénéfice du doute au Kirghizistan, qui aurait peut-être fait partie de la fête mais n’a pas d’ambassade en France, ont pris un autre chemin. Les trois républi-ques baltes sont aujourd’hui membres de l’OTAN, de l’UE et de la zone euro. La Géorgie, la Molda-vie et l’Ukraine ont signé en 2014 un accord d’association avec l’UE. Quant au Turkménistan, il arrive àson satrape de prendre ses distan-ces avec Moscou.

A elle seule, cette invitation sym-bolise les risques qu’encourent les leaders politiques à vouloir jouer avec l’Histoire. En cette année de commémorations, deux diri-geants, Vladimir Poutine et ShinzoAbe, l’apprennent à leurs dépens dans des registres pourtant oppo-sés, l’un à la tête d’un pays vain-queur, l’autre d’un pays vaincu.

Les Occidentaux absentsSur la place Rouge, samedi 9 mai, la participation de 16 000 soldats au défilé pharaonique prévu pour marquer la mémoire de la « grande guerre patriotique » ne masquera pas les trous dans la ga-lerie des VIP. Quelle différence avec le soixantième anniversaire, en 2005 ! Tout le monde, ou pres-que, était là, aux côtés du prési-dent Poutine : George W. Bush, Jac-ques Chirac, Gerhard Schroeder, le Chinois Hu Jintao, le Japonais Juni-chiro Koizumi, le Polonais Alek-sander Kwasniewski… au total, unebonne cinquantaine de dirigeants.Boudant dans leur coin, les mau-vais joueurs de Lituanie, d’Estonie ou de Géorgie étaient passés ina-perçus.

Cette année, en revanche, malgréquelques belles prises (le Chinois Xi Jinping, l’Indien Narendra Modi), c’est surtout l’absence des Occidentaux et de bien d’autres qui sera remarquée : sur 68 invita-tions lancées, on frise pour l’ins-tant péniblement les 30 partici-pants. Encore était-ce avant la dé-fection du leader nord-coréen KimJong-un, retenu chez lui par des « affaires intérieures » – quelque bataille électorale acharnée, sans doute. Un an après l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine et son mépris du droit ne font plus re-cette. Même les amis hongrois évi-teront le déplacement et, à Prague,

les velléités de participation du président Milos Zeman ont provo-qué une minicrise politique. En juin 2014, François Hollande arri-vait encore à justifier la présence du chef de l’Etat russe à l’anniver-saire du Débarquement en Nor-mandie. Un an plus tard, la politi-que a emporté l’Histoire. A trop vouloir se servir de la « grande guerre patriotique », M. Poutine s’est brûlé les ailes.

Le premier ministre japonais lui,se trouve dans la situation in-verse : il voudrait faire oublier l’Histoire. A la veille d’une impor-tante visite aux Etats-Unis, où il a été, le 29 avril, le premier chef de gouvernement japonais à interve-nir devant les deux Chambres du Congrès réunies, il a confié au WallStreet Journal sa lassitude de de-voir regretter, à chaque déplace-ment, le rôle de son pays pendant la seconde guerre mondiale. Cette attitude « en vigueur depuis soixante-dix ans, notamment dans l’éducation », a généré « un man-que de fierté » chez les Japonais quisont aujourd’hui « incapables de s’affirmer ». Elle a aussi favorisé « une passivité face aux réformes » qui handicape sérieusement le ré-formateur que veut être Shinzo Abe, l’homme par lequel le Japon, même pacifiste, doit redevenir grand et fort.

Jouant obstinément sur les motsà l’approche du 70e anniversaire dela fin de la guerre qui, dans le Paci-fique, est célébré en août, M. Abe veut bien parler du « repentir » desJaponais, mais on ne lui fera pas prononcer le mot « excuses ». Ce-lui-là a été formulé en bonne et due forme pour le 50e anniversairepar son prédécesseur Tomiichi Murayama, il y a souscrit et c’est bon. En Australie il y a un an, M. Abe a évoqué son « humilité face aux horreurs de l’Histoire » et aprésenté, au nom du Japon, ses « condoléances aux nombreuses âmes qui ont perdu la vie ». A Bandung, en Indonésie, le 22 avril, pour le 60e anniversaire de la nais-sance des non-alignés, il a dit les « sentiments de profond remords » de son pays. Mais à Washington, il a fait « le service minimum », selon Robert Dujarric, directeur de l’Ins-titut des études asiatiques con-temporaines à l’université Temple,à Tokyo, en saluant à nouveau « lesâmes » mortes et en reconnaissant« la souffrance causée aux peuples d’Asie », sans aller plus loin.

« De toute façon, on ne s’excu-sera jamais assez », plaident les di-plomates japonais qui, face aux revendications répétées de Pékin et de Séoul, ont l’impression d’avoir satisfait aux exigences de la morale. Sans doute. Le pro-blème, c’est qu’il ne s’agit plus demorale, mais de politique. « Si Abeétait Bismarck, dit Robert Dujar-ric, il comprendrait qu’il faut enfaire plus. » Mais pas plus quePoutine, Abe n’est Bismarck. En Asie aussi, la politique bousculel’Histoire. p

PS. Merci aux lecteurs qui ontoffert des explications à l’indiffé-rence à la crise des migrants enMéditerranée, comparée à celle des boat people d’Asie du Sud-Est. J’y reviendrai dans une prochainechronique.

[email protected]

C e n’est plus de la politique-fiction : àforce d’en brandir la menace, leRoyaume-Uni pourrait bien sortir

de l’Union européenne (UE). Le premier mi-nistre conservateur, David Cameron, l’a dit et répété durant la campagne pour les élec-tions législatives du 7 mai : s’il est recon-duit, il organisera, d’ici à 2017, un référen-dum sur le maintien ou non de son pays dans l’UE. Et les sondages indiquent que lestrois quarts des électeurs approuvent cette initiative, même s’ils sont très fluctuants sur l’issue d’un tel vote.

Déjà, la sortie de l’Union a son acronyme,le « Brexit » pour « British exit », et surtout de nombreux partisans. Le Parti conserva-teur, qui a longtemps été celui de l’Europe, est dominé par des europhobes, convain-

cus que Bruxelles bafoue la souveraineté deWestminster et que le royaume, dont les in-dicateurs économiques sont au beau fixe, atout intérêt à se détacher d’un continentessoufflé.

En outre, sous la menace du Parti pourl’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) de Nigel Farage, M. Cameron multiplie les su-renchères et se fait fort de négocier avec l’Union une réforme de ses traités constitu-tifs conformes à ce qu’il considère comme les intérêts britanniques.

Tout paraît donc prêt pour le scénario-ca-tastrophe : une glissade du royaume hors de l’UE, pour ainsi dire par accident. La presse populaire dénonce quotidienne-ment, et souvent jusqu’à l’absurde, le coûtinsupportable de l’Europe, ses réglementa-tions, son intrusion dans les affaires britan-niques.

Les subventions aux projets d’infrastruc-tures et aux agriculteurs sont ignorées, demême que les bénéfices du marché unique.Certes, les avocats du maintien dans l’UE sefont entendre, à commencer par Ed Mili-band, le candidat travailliste à la successionde David Cameron, qui met en garde contreles conséquences « désastreuses » d’unesortie de l’Union. Mais le soutien des mi-lieux d’affaires à l’UE, longtemps acquis,s’effrite.

Il est donc urgent, autant qu’il est possi-ble, d’aider les Anglais à sortir du piège

europhobe où ils sont en train de s’enfer-mer. L’évidence, en effet, est que la Grande-Bretagne fait partie de l’Europe. Elle y ad’autant plus sa place qu’elle s’y est taillé, au fil des années, un statut particulier qui tient déjà un large compte de son identité insulaire : elle ne fait partie ni de la zone euro ni de l’espace Schengen. Le « Brexit »signerait une perte d’influence considéra-ble pour Londres.

Mais il aurait aussi des conséquences gra-ves, voire désastreuses, pour l’Union euro-péenne. Sans la Grande-Bretagne, l’Europe ne serait plus tout à fait l’Europe.

Sa puissance économique et financière,sa capacité de négociation dans toutes lesdiscussions commerciales en cours, son in-fluence sur la scène mondiale seraient sé-vèrement amputées. Et ses équilibres re-mis en cause : la prééminence de l’Allema-gne se trouverait renforcée au sein de l’UE, et la France, plus isolée, serait privée d’unprécieux partenaire diplomatique et mili-taire.

Pour éviter ce scénario-catastrophe, ilfaut sans doute négocier des accommode-ments susceptibles de faire basculer l’opi-nion britannique.

Mais aussi aider les défenseurs de l’idéeeuropéenne outre-Manche à mettre en évi-dence tous les apports de l’Union en ma-tière de liberté de circulation, d’emploi et de paix. p

À TROP VOULOIR SE SERVIR DE LA

« GRANDE GUERRE PATRIOTIQUE »,

M. POUTINE S’EST BRÛLÉ LES AILES

LONDRES ET LE PIÈGE DU « BREXIT »

L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE

par sylvie kauffmann

A l’Est, la politique emporte l’Histoire

SHINZO ABE VEUT BIEN PARLER DU

« REPENTIR » DES JAPONAIS, MAIS NE PRÉSENTERA

PAS D’« EXCUSES »

Tirage du Monde daté samedi 2 mai : 339 704 exemplaires

co-réalisation

www.villagillet.net

débats/lectures /lIbraIrIe

uN FestIVal POur tOus les lecteurs25 - 31 mai 2015 aux subsistances / lyon

assises Internationales du roman

en partenariat avec

photo©adrénalineélastique

soirée d’ouverture :

Kenzaburō Ōé / JaponPrix Nobel de Littérature

+++« L’identité troublée »

avec les écrivains américainsNickolas Butler, DavidSamuels et Adelle

Waldman

lundi 25 maidès 19h