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ARTICLE ORIGINAL Le peau à peau dans la prise en charge des nouveau-nés de faible poids de naissance > Skin-to-skin contact in the care of low birth weight neonates V. Pierrat *, H. Bomy, C. Courcel, S. Dumur, V. Caussette, N. Bouckenhove, N. Casen, A.-C. Rombaut Service de médecine néonatale, hôpital Jeanne-de-Flandre, 2, avenue Oscar-Lambret, 59037 Lille cedex, France MOTS CLÉS Nouveau-né ; Prématurité ; Peau à peau ; Méthode kangourou KEYWORDS Newborn; Prematurity; Skin-to-skin contact; Kangaroo mother care Résumé Le portage des nouveau-nés de faible poids de naissance en peau à peau a pris une place croissante dans les unités de néonatologie. Cette méthode privilégie les interactions parents–enfants mais présente de nombreux autres avantages, souvent moins bien connus par les équipes soignantes. Elle favorise notamment la stabilité cardiorespiratoire, l’équilibre thermique et le sommeil du nouveau-né. Son intérêt a également été démontré dans la réussite de l’allaitement maternel et dans la diminution des manifestations liées à la douleur au cours de prélèvements sanguins. Enfin, le devenir à moyen terme des nouveau-nés chez qui ce type de portage a été privilégié est meilleur en termes de développement psychomo- teur et d’interactions avec leurs parents. Ceux-ci sont par ailleurs plus compétents dans les situations de stress de la période néonatale mais aussi dans l’environnement qu’ils procurent à domicile. Sa pratique nécessite cependant une formation des équipes afin d’en tirer tous les bénéfices, en respectant au mieux la stabilité neurocomportementale du nouveau-né. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Skin-to-skin contact has spread out in many neonatal units. This method enhanced parent–infant interactions, but has many other advantages, which are less well known by the neonatal teams. It promotes infant’s cardio-respiratory stability, tempera- ture regulation and sleep. It has also shown interest in improving breast-feeding of low birth weight infants, and in diminishing the response of preterm neonates to blood punctures. Finally, the outcome of babies cared skin-to-skin, is better in terms of psychomotor development and interactions with the parents. Those parents are also more competent to face stressful situations during the neonatal period and to improve the environment of the baby at home. However a better qualification of the neonatal staff is necessary to take benefit of all the advantages of skin-to-skin care, respecting the neurobehavioral stability of the newborn. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. > Travail présenté aux 5 es Journées des infirmières de pédiatrie, Nice, septembre 2002 et aux Journées francophones de recherche en néonatologie, Marseille, décembre 2003. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Pierrat). Journal de pédiatrie et de puériculture 17 (2004) 351–357 http://france.elsevier.com/direct/PEDPUE/ 0987-7983/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.jpp.2004.07.008

Le peau à peau dans la prise en charge des nouveau-nés de faible poids de naissance

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ARTICLE ORIGINAL

Le peau à peau dans la prise en chargedes nouveau-nés de faible poids de naissance >

Skin-to-skin contact in the care of low birthweight neonatesV. Pierrat *, H. Bomy, C. Courcel, S. Dumur, V. Caussette,N. Bouckenhove, N. Casen, A.-C. RombautService de médecine néonatale, hôpital Jeanne-de-Flandre, 2, avenue Oscar-Lambret,59037 Lille cedex, France

MOTS CLÉSNouveau-né ;Prématurité ;Peau à peau ;Méthode kangourou

KEYWORDSNewborn;Prematurity;Skin-to-skin contact;Kangaroo mother care

Résumé Le portage des nouveau-nés de faible poids de naissance en peau à peau a pris uneplace croissante dans les unités de néonatologie. Cette méthode privilégie les interactionsparents–enfants mais présente de nombreux autres avantages, souvent moins bien connus parles équipes soignantes. Elle favorise notamment la stabilité cardiorespiratoire, l’équilibrethermique et le sommeil du nouveau-né. Son intérêt a également été démontré dans laréussite de l’allaitement maternel et dans la diminution des manifestations liées à la douleurau cours de prélèvements sanguins. Enfin, le devenir à moyen terme des nouveau-nés chezqui ce type de portage a été privilégié est meilleur en termes de développement psychomo-teur et d’interactions avec leurs parents. Ceux-ci sont par ailleurs plus compétents dans lessituations de stress de la période néonatale mais aussi dans l’environnement qu’ils procurentà domicile. Sa pratique nécessite cependant une formation des équipes afin d’en tirer tous lesbénéfices, en respectant au mieux la stabilité neurocomportementale du nouveau-né.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Skin-to-skin contact has spread out in many neonatal units. This methodenhanced parent–infant interactions, but has many other advantages, which are less wellknown by the neonatal teams. It promotes infant’s cardio-respiratory stability, tempera-ture regulation and sleep. It has also shown interest in improving breast-feeding of lowbirth weight infants, and in diminishing the response of preterm neonates to bloodpunctures. Finally, the outcome of babies cared skin-to-skin, is better in terms ofpsychomotor development and interactions with the parents. Those parents are also morecompetent to face stressful situations during the neonatal period and to improve theenvironment of the baby at home. However a better qualification of the neonatal staff isnecessary to take benefit of all the advantages of skin-to-skin care, respecting theneurobehavioral stability of the newborn.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

> Travail présenté aux 5es Journées des infirmières de pédiatrie, Nice, septembre 2002 et aux Journées francophones derecherche en néonatologie, Marseille, décembre 2003.* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (V. Pierrat).

Journal de pédiatrie et de puériculture 17 (2004) 351–357

http://france.elsevier.com/direct/PEDPUE/

0987-7983/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.jpp.2004.07.008

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Introduction

Décrite pour la première fois à Bogota [1] la mé-thode Kangourou s’est largement développée dansles pays où les ressources destinées à la santé sontfaibles. Les pays dits développés n’en ont le plussouvent retenu qu’un des aspects, le peau à peau,mais celui-ci a pris une place croissante dans laprise en charge des nouveau-nés de faible poids denaissance. L’objectif initial de cette méthode étaitde diminuer le taux d’infections nosocomiales liéesau partage d’incubateurs. D’autres études ont dé-montré l’intérêt de la méthode kangourou ou dupeau à peau dans des situations plus diverses [2].Les puéricultrices sont souvent les premières à

proposer aux parents de nouveau-nés prématurésde prendre leur enfant en peau à peau. Diversentretiens, réalisés dans le service de médecinenéonatale du CHRU de Lille, nous ont amené àconstater que les connaissances de celles-ci sur lesavantages de cette méthode étaient très variables,souvent incomplètes, voire inexactes. Le corollaireen est bien sûr que les informations données auxparents peuvent être contradictoires selon les équi-pes, erronées et que les bénéfices pour l’enfant etsa famille ne sont pas ceux que l’on pourrait atten-dre. Au terme de ces constations, nous avons cons-titué un groupe de travail, réunissant puéricultri-ces, cadre-soignants et pédiatre. Ce groupe s’étaitdonné pour objectif d’améliorer ses connaissancessur l’intérêt du peau à peau dans la prise en chargedes nouveau-nés de faible poids de naissance, et deles transmettre ensuite à l’ensemble de l’équipe. Ilnous a paru intéressant de faire partager ce travailet ce, d’autant que la littérature francophone surce sujet est rare.

Méthodes

Le groupe s’est réuni de façon mensuelle pendantun an. Au cours de ces réunions, une revue et uneanalyse de la littérature ont été réalisées. Lesdifficultés des puéricultrices françaises à aborderla littérature anglo-saxonne sont largement parta-gées et la plupart des articles ont été analysés aupréalable par le pédiatre. Un enseignement sur lesprincipes statistiques de base et sur l’analyse d’unessai a été nécessaire. Au terme de chaque réu-nion, un résumé était réalisé par les puéricultricesafin de constituer un support destiné à l’ensemblede l’équipe, aux stagiaires, aux nouvelles puéricul-trices permettant à chacun de pouvoir se référer àun document écrit.La revue de la littérature a été réalisée à partir

de la base de données Medline avec les mots clés

suivants : « skin-to-skin contact », « kangaroo mo-ther care », « kangaroo mother method », « in-fants », « low birth weight infants ». Elle a étécomplétée avec les fichiers personnels des pédia-tres. Ce sont surtout les articles issus de la littéra-ture médicale qui ont été analysés compte tenu desplus grandes difficultés d’accès à la littératureparamédicale. De nombreux travaux de rechercheont néanmoins été publiés dans les journaux despuéricultrices anglaises et américaines. Ils appor-tent pour la plupart une confirmation des donnéesde la littérature médicale.Notre analyse a permis de dégager plusieurs thè-

mes où l’intérêt du peau à peau a été démontré : lemaintien de la stabilité des paramètres physiologi-ques comme la fréquence cardiaque, la saturationen oxygène ou la consommation en énergie, lemaintien de la température, le sommeil, l’allaite-ment, la douleur, l’attachement. La méta-analysede la Cochrane Library [2] porte sur la méthodekangourou et ses conclusions ne s’appliquent pas àla population des nouveau-nés pris en charge dansnotre pays. Ce travail peut néanmoins apporter deséléments de réponse à des questions n’ayant pasété étudiées et a donc été résumé.

Résultats

Stabilité des paramètres physiologiques

Les paramètres physiologiques les plus étudiés sontla fréquence cardiaque, la saturation en oxygène etla consommation d’énergie. Leur évolution au coursdu peau à peau a été le plus souvent analysée àpartir d’études d’observation, avant, pendant etaprès le peau à peau et analyse de la variance. Ellessont résumées dans le Tableau 1.La plupart [3–7] n’ont pas mesuré de différence

significative, et donc pas d’effet négatif sur cesdifférents paramètres que l’enfant soit en incuba-teur ou en peau à peau. Dans une étude portant surle plus grand nombre d’observations mais avec lespériodes d’observation les plus courtes, il a été misen évidence des effets positifs sur la saturation enoxygène [8].Un auteur a étudié le nombre d’apnéeschez les enfants en peau à peau ou en incubateur :[9] il était identique. Plus récemment, Bonhorst[10] a mesuré les mouvements respiratoires, le fluxnasal, la fréquence cardiaque et la SaO2 avec etsans peau à peau chez 22 nouveau-nés dont 12 rece-vaient de l’oxygène. Cette étude est la seule à avoirinclus des enfants qui n’étaient pas parfaitementstables. Elle a noté une augmentation de la fré-quence cardiaque et de la fréquence respiratoireau cours du peau à peau (p < 0,01) ainsi qu’une

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augmentation de la fréquence des épisodes d’hy-poxémie de 0,4 (0,7–2) avant à 0,6 (0–14,3) pendantet 0,9 (0–12,6) après (p < 0,05). Par ailleurs, lepourcentage de respiration régulière était moindreau cours du peau à peau (7 %) que dans l’incubateur(14 %) (p < 0,1). Loin de remettre en cause le peauà peau, les conclusions de ces auteurs invitaient àrecourir à cette pratique avec prudence chez lesenfants instables, à veiller à l’installation dunouveau-né pendant le peau à peau, à ne le prati-quer que sous surveillance monitorisée en accor-dant une attention particulière au maintien de latempérature. Les auteurs proposaient en effetl’hypothèse que l’augmentation de la températurependant le peau à peau (de 36,9 à 37,3 °C) pouvaitexpliquer ces effets indésirables.On peut donc conclure de ces études que le peau

à peau n’entraîne pas de détérioration de l’étatclinique de l’enfant, voire procure des effets posi-tifs. Cependant, une approche individualisée estnécessaire en évitant de proposer le peau à peau àdes enfants qui ne seraient pas parfaitement sta-bles.

Température

Une des réticences à la pratique du peau à peauréside dans la crainte que l’enfant prenne froid. Or,toutes les études s’accordent pour dire que le

maintien de la température est excellent lorsqueles enfants sont pris en charge en peau à peau(Tableau 2). Une seule réserve a été émise chez lesenfants les plus immatures, au cours de la premièresemaine de vie [7]. Il a en effet été montré que ladéperdition de chaleur lors du transfert de l’enfantde moins de 28 semaines hors de l’incubateur, aucours de la première semaine de vie, entraînait uneperte importante de la température qui n’était pascompensée par la mise en peau à peau. Pour lesenfants nés après 28 semaines d’âge gestationnel(AG), le gain de température moyen était de 0,3 °C(p = 0,007) et ce, dès les premiers jours de vie.Au-delà la 1re semaine de vie, l’AG n’a pas d’in-fluence sur la température rectale qui augmentedans les deux groupes de 0,2 °C entre le début et lafin du peau à peau (p < 0,05) [7]. Il faut notercependant qu’il est souvent observé une augmen-tation de la température pendant le peau à peau,ce qui justifie également le monitorage de l’enfantafin de le découvrir si nécessaire pour rester dansune zone de neutralité thermique.

Sommeil

Une idée communément transmise aux parents estque le peau à peau ne doit pas durer trop long-temps, sous peine de fatiguer l’enfant. Deux études[4,7] se sont plus particulièrement intéressées aux

Tableau 1 Synthèse des données de la littérature sur les variations de paramètres physiologiques au cours du peau à peau.

Auteur Population Intervention Paramètres étudiés RésultatsAcolet (1989)[3]

n = 14 Peau à peau ou positiondorsale pendant10 minutes

FC Augmentation de la FC aucours du peau à peau

AG = 28 (25–31) PO2, SaO2

PN = 1060 g (600–1430) Tirage au sort PO2, SaO2 stablesLudington(1990) [4]

n = 8 Observation avant,pendant et après le peau àpeau

FC Stable

AG = 34,5 (34–36)

PN = 2136 g (1475–2765) Périodes séparées par unrepas

Bauer (1996)[5]

n = 11 Peau à peau 60 minutesaprès repas et pendant60 minutes

FC, FR, VO2, VCO2 StablesAG = 29 (28–32)PN = 1180 g (560–1390)

Blaymore(1996) [8]

n = 50 Observations journalièresde 10 minutes176 observations peau àpeau versus 137 contrôles

FC, FR, SaO2 FC, FR stables

AG = 28 (24–33) versus 27(24–33)

SaO2 augmentée pendantle peau à peau (p < 0,001)

Bauer (1997)[6]

n = 22 Observation avant,pendant et après le peau àpeau

Consommation O2 Stable

AG = 29 (25–31)

PN = 1200 g (772–1380) Périodes de 1 hBohnhorst(2001) [10]

n = 22 Observation avant,pendant et après le peau àpeau

FC, FR, SaO2, Augmentation de la FC etFR pendant le peau à peau(p < 0,01)

AG = 29 (24–31) Bc et épisodes d’hypoxémie Augmentation des épisodesd’hypoxémie pendant lepeau à peau (p < 0,05)PN = 1310 (725–1890) Périodes de 2 heures

AG : âge gestationnel ; PN : poids de naissance ; FC : fréquence cardiaque ; FR : fréquence respiratoire ; Bc : bradycardie.

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effets du peau à peau sur la durée de sommeil. Dansla première, les enfants étaient en peau à peaupendant toute la période entre deux repas [4]. Dansla deuxième, le peau à peau était pratiqué pendant60 minutes [7]. Ces deux études concluent à uneaugmentation significative du sommeil lorsque lesenfants sont en peau à peau. L’augmentation de ladurée de sommeil concerne surtout le sommeilcalme : 13 % avant versus 26 % pendant et 12 %après, p < 0,001 [7]. Parallèlement, le niveau d’ac-tivité est plus faible (p = 0,002) pendant le peau àpeau [4]. Cette augmentation de la durée de som-meil est significative pendant le peau à peau quelque soit l’AG [7]. Feldmann [11] s’est plus intéres-sée à la qualité du sommeil. Elle a pu montrer quel’organisation du sommeil était meilleure chez lesenfants pris régulièrement en peau à peau avecplus rapidement des périodes de sommeil et d’éveilcalme plus longues (p = 0,01). Par ailleurs, la matu-ration du tonus vagal, entre 32 et 37 semaines,était plus rapide (p = 0,02).

Allaitement

Dans une enquête récente réalisée dans deux cen-tres de néonatologie de niveau III et portant sur lesconnaissances des soignants sur l’intérêt du peau àpeau, les bénéfices sur l’allaitement ont été peuévoqués [12,13]. Des effets positifs ont cependantété décrits. Whitelaw [14] a étudié deux groupeshomogènes de nouveau-nés pesant entre 700 et1500 g, randomisés de telle façon que l’un soit prisen charge en peau à peau (n = 35), et que l’autreserve de groupe témoin (n = 36). Le nombre demères souhaitant allaiter était aussi fréquent dansles deux groupes (77 versus 81 %, non significatif[NS]). La durée d’hospitalisation était comparabledans les deux groupes (30 versus 37 jours, NS). Ladurée d’allaitement était plus longue dans legroupe peau à peau (9,2 semaines versus 5,1 semai-nes, p = 0,01) et 55 % des mères du groupe peau àpeau ont allaité pendant plus de six semaines.Blaymore [8] a également randomisé deux groupes

d’enfants (peau à peau ou soins standard) dont lesmères souhaitaient allaiter. Cinquante enfantsd’AG moyen de 28 semaines et de poids de nais-sance < 1500 g ont été répartis dans ces deuxgroupes. La production de lait était identiquequelle que soit la prise en charge au cours des dixpremiers jours de l’étude, même si elle était plusstable dans le groupe peau à peau. Quatre-vingt-dixpour cent des mères du groupe peau à peau versus61 % des mères de l’autre groupe ont allaité pen-dant toute la durée de l’hospitalisation (p < 0,05).Cinquante pour cent des mères du groupe peau àpeau versus 11 % des mères du groupe témoin ontallaité au-delà d’un mois après la sortie (p < 0,01).Par ailleurs, la pratique du peau à peau est intégréecomme un des éléments permettant la réussite del’allaitement maternel chez les nouveau-nés pré-maturés par les équipes dont l’expérience dans cedomaine est la plus incontestable [15].

Douleur

Peu de travaux ont montré l’effet analgésique ducontact peau à peau chez des nouveau-nés sains.Leur méthodologie était cependant particulière-ment rigoureuse. Même si elle porte sur desnouveau-nés à terme, nous détaillerons l’étude deGray [16], pionnière dans ce domaine. Celle-ci amontré que le peau à peau entre la mère et sonnouveau-né pouvait réduire les manifestations dou-loureuses de ce dernier lors d’un prélèvement san-guin à la lancette. Ce prélèvement était standar-disé, chez des nouveau-nés indemnes de pathologienéonatale ou de malformation congénitale. Le peauà peau était réalisé dans des conditions strictes oùla mère et l’enfant étaient invités à se « relaxer »dans un lit surélevé 15 minutes avant la prise desang. Il était conseillé à la mère de contenir et derassurer l’enfant en lui appliquant la main sur le doset en évitant les stimulations potentiellement irri-tantes comme les caresses. L’évaluation de la dou-leur se faisait sur les expressions faciales et lerythme cardiaque. Le groupe témoin était prélevé

Tableau 2 Synthèse des données de la littérature sur les variations de la température au cours du peau à peau.

Auteur Sujets Intervention a RésultatsBauer (1996) [5] n = 11 60 minutes 36,2 versus 36,9 °C

AG : 29 avant-pendant-après p < 0,5Bauer (1997) [6] n = 22 60 minutes 36,9 versus 37,1 °C

AG : 29 avant-pendant-après p < 0,1Bauer (1998) [7] n = 11/16 60 minutes 37,1 versus 37,1 °C

AG : 25–27/28–30 avant-pendant-après ; S1–S2 NSBonhnorst (2001) [10] n = 22 120 minutes 36,9 versus 37,3 °C

AG : 29 avant-pendant-après p < 0,1a Décrit la durée des périodes d’observation et le type d’observation (avant-pendant-après le peau à peau). NS : non significatif ;AG : âge gestationnel.

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de façon habituelle dans le berceau. Le cri et lagrimace étaient réduits respectivement de 82 et65 % du temps (p < 0,0001) dans le groupe « peau àpeau » lors de la piqûre. Ces résultats s’étendaientau cours de la phase de récupération. Par ailleurs,contrairement au groupe « témoin », il n’a pas étémontré d’augmentation significative de la fré-quence cardiaque (p < 0,0001) pendant le prélève-ment. Les auteurs signalent que la participation desparents à cette étude a été très importante, mêmes’ils ne savaient pas d’emblée si l’enfant feraitpartie du groupe « témoin » ou « peau à peau ». Onpeut penser qu’un niveau de coopération élevé dela part des parents serait possible dans ce cadre deprévention de la douleur. Johnston [17] a montrédes résultats similaires dans une population denouveau-nés faiblement prématurés, nés entre32 et 36 semaines. Les manifestations douloureusesétaient moindres lorsque les enfants étaient tenusen peau à peau 30 minutes avant et pendant toutela durée du geste douloureux. Ces résultats peuventêtre rapprochés de ceux de Carbajal [18] qui amontré que la mise au sein au cours d’un prélève-ment veineux chez des nouveau-nés prématurésavait des effets antalgiques.

Attachement

L’intérêt du peau à peau sur l’attachement mater-nel a été décrit dès 1972 par Klaus [19] dans descirconstances qui sont actuellement loin de nospratiques puisque les visites des parents aux en-fants étaient très limitées. Plus récemment, White-law [14] n’a pas montré de différence significativeentre deux groupes d’enfants de faible poids denaissance, pris en charge ou non en peau à peau,lorsqu’il a étudié la confiance qu’avaient les mèresen elles-mêmes, les sentiments d’optimisme ou dedépression qu’elles ressentaient à propos de leurbébé, la nécessité d’être soutenues au moment dessoins.À partir d’une étude rétrospective réalisée en

Suède [20] Affonso [21] a bâti une étude prospec-tive qualitative comparant 33 mères prenant encharge ou non leur enfant en peau à peau. Cetteétude a permis de mettre en évidence le fait queles mères faisant du peau à peau passaient au coursde l’hospitalisation par différentes phases, bienidentifiées. Au cours de la première phase, cesmères cherchaient à donner un sens à leur expé-rience autour des circonstances de la naissance etde l’accouchement. Elles posaient alors des ques-tions très techniques sur leur vécu. Cette premièrephase s’achevait souvent par un moment de criseémotionnelle intense au cours de laquelle ces mè-res se sentaient parfois incapables de prendre leurbébé en peau à peau. Ultérieurement, les mères du

groupe peau à peau retrouvaient confiance et maî-trise d’elles-mêmes. Elles exprimaient moins d’an-xiété par rapport à l’univers hospitalier, aux visi-tes. Elles prenaient leur enfant plus volontiers, quece soit dans les bras ou pour l’allaiter. Au cours dela dernière phase de l’hospitalisation, le sentimentd’estime de soi était plus fort chez les mères ayantpratiqué le peau à peau que chez les autres. Paropposition, les mères n’ayant pas pratiqué le peauà peau restaient tout au long de l’hospitalisationplus préoccupées par les aspects techniquesconcernant la prise en charge de leur enfant. Ellesétaient beaucoup plus hésitantes par rapport à lasortie et la fréquence de l’allaitement était moin-dre.Une autre étude randomisée et contrôlée sur

488 enfants de poids inférieur à 2001 g, a montréque la qualité de l’attachement était meilleurelorsque les mères prenaient leur enfant en peau àpeau [22]. Par ailleurs, dans les situations de stress,lorsque la durée de l’hospitalisation était prolon-gée, les mères du groupe peau à peau se montraientplus compétentes et plus à même de faire face àdes situations difficiles que les mères du groupetémoin.Dans toutes ces études, l’importance de l’ac-

compagnement des mères par une équipe entraînéeet sensibilisée aux aspects psychologiques entou-rant la naissance et l’accouchement prématuré aété soulignée de même que l’importance de laqualité des premières expériences de peau à peausur leur réussite ultérieure.

Devenir à moyen terme

Le devenir à moyen terme des enfants et des mèresayant pratiqué le peau à peau en période néonatalea été étudié récemment dans un groupe de 73 nou-veau-nés de 30 semaines d’AG comparé à un groupetémoin après randomisation [23]. Ces deux groupesétaient identiques pour le poids de naissance, lescore de gravité à l’entrée dans le service de néo-natologie, l’âge de la mère, le niveau d’éducationdes parents, la primiparité et le niveau d’aidesociale. Les mères du groupe peau à peau s’enga-geaient à porter leur nouveau-né de cette manièrependant au moins une heure et 14 jours consécu-tifs. Au voisinage du terme, les mères du groupepeau à peau se décrivent comme moins dépressives(p < 0,05) et elles perçoivent leur enfant commemoins anormal (p < 0,001). Les interactions mère-–bébés sont meilleures, notamment en ce quiconcerne le toucher (p < 0,001) et les interactionsvisuelles (p < 0,001). Par ailleurs, l’enfant est luiaussi plus vigilant (p < 0,001), et présente moinsd’épisodes d’évitement relationnel (p < 0,05). Àl’âge de trois mois, les scores de Home (Home

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Observation for the Measurement of the Environ-ment) sont meilleurs (p < 0,5) aussi bien en ce quiconcerne la mère que le père. À six mois, lesquotients de développement mental et moteur sontplus élevés dans le groupe peau à peau (p < 0,01 etp < 0,05) alors que les interactions mère–enfantdeviennent plus comparables entre les deux grou-pes.

Hygiène et peau à peau

Cette question est formulée de façon récurrentepar les puéricultrices et d’autant plus que l’expé-rience de l’équipe autour de cette pratique estmoindre [8]. Les études qui se sont intéressées àl’impact du peau à peau sur les infections nosoco-miales ont toutes été réalisées dans des pays oùcelui-ci n’était qu’un des aspects de la méthodeKangourou. Dans la population de Charpak [24], lenombre d’infections nosocomiales était moindredans le groupe kangourou comparé au groupe té-moin (3,8 versus 7,8 %, p = 0,02). La méta-analysede la Cochrane Library [2] sur l’intérêt de cetteméthode et portant sur 1362 enfants rapporte unediminution du nombre d’infections nosocomiales à41 semaines avec un risque relatif de 0,49(0,25–0,93). Au terme de notre travail et comptetenu des pratiques du service, il nous a paru légi-time de rappeler simplement aux parents des règlesd’hygiène de base comme le lavage des mainsjusqu’aux coudes et la nécessité d’attacher descheveux longs. La crainte du risque d’infectionsnosocomiales est peu formulée dès que les équipessont plus entraînées à cette pratique [8].

Méta-analyse de la Cochrane Librarysur la méthode kangourou

La méta-analyse, publiée dans la Cochrane Library[2], s’est intéressée à l’intérêt de la méthode kan-gourou pour diminuer la mortalité et la morbiditéchez les enfants de faible poids de naissance. Lesrésultats sont présentés dans le Tableau 3. Ils met-tent en évidence les bénéfices de cette méthodesur de nombreux aspects de la prise en charge desnouveau-nés. Par ailleurs, la prise de poids journa-

lière moyenne à la sortie était sensiblement supé-rieure avec la méthode kangourou (différencemoyenne de 3,6 g par jour, (IC 95 %, 0,8–6,4). Lesscores d’évaluation des compétences maternelles àla fin du séjour hospitalier étaient meilleurs dansles groupes peau à peau (différence moyenne de0,31, (IC 95 %, 0,13–0,5). À l’inverse, les scores deperception maternelle du soutien des équipes aucours de l’hospitalisation étaient moins bons dansle groupe peau à peau (0,28, IC 95 %, 0,8–6,4)différence moyenne de –0,18, (IC 95 %, 0,35–0,01).Les auteurs soulignaient cependant que la qualitéméthodologique des essais était discutable, dans lamesure où l’aveugle n’était pas respecté. Ilsconcluaient que la méthode réduisait la morbiditésans effet indésirable majeur, mais que les preuvesn’étaient pas suffisantes pour en recommander unediffusion large, en l’attente d’études randomiséesplus larges.

Conclusion

Références

[1] Rey ES, Martinez HGM. Manejo rational de mino pre-maturo. Proceedings of the Conference I Curso de MedicinaFetal Y Neonatal. Bo gota: Colombia 1981. p. 137–51.

[2] Conde-Agudelo A, Diaz-Rossello JL, Belizan JM. Kangaroomother care to reduce morbidity and mortality in lowbirthweight infants. Cochrane Database Syst Rev 2003;(2)CD002771.

Tableau 3 Synthèse de la méta-analyse de la Cochrane Library sur la méthode kangourou.

Risque relatif IC 95 %Infections nosocomiales à 41 semaines 0,49 0,25–0,93Pathologies néonatales sévères 0,30 0,14–0,67Infections respiratoires basses à 6 mois 0,37 0,15–0,89Allaitement mixte 0,41 0,25–0,68Non–satisfaction des mères avec la prise en charge 0,41 0,22–0,75

IC : intervalle de confiance.

Dans nos pays, il semble intéressant de favo-riser la prise en charge en peau à peau dans lesunités de médecine néonatale, non pas tantpour diminuer la morbidité hospitalière quepour favoriser l’attachement, les compétencesdes mères, la réussite de l’allaitement mater-nel [25,26]. Aucun effet négatif du peau à peaun’a été décrit. L’implantation de cette pratiquedans les unités de soins doit s’appuyer sur uneformation des équipes et sur une réflexion surles conditions de mise en peau à peau respec-tant au mieux la stabilité neurocomportemen-tale du nouveau-né prématuré.

356 V. Pierrat et al.

Page 7: Le peau à peau dans la prise en charge des nouveau-nés de faible poids de naissance

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