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LE PI~LICAN DANS LE BESTIAIRE DE PHILIPPE DE THAUN Entre 1121 et 1135 Philippe de Thaun rddige un bestiaire, trait6 alltgoris6 se situant dans la longue tradition du physiologus (V. plus loin) et premier en date ~t avoir 6t6 6crit en langue romane, dans lequel l'auteur s'attache indiquer la signification alltgorique des proprittts des animaux qu'il dtcrit (Walberg 1900: 85-87). Dans cet ouvrage, compos6 de 37 chapitres, prtctdts d'un prologue et suivis d'un 6pilogue, le 28 ~me est consacr6 au ptlican. Ce que Philippe nous dit de l'ttymologie du nora de cet oiseau, de ses proprittts ou 'natures', comme il dit, et de sa 'signefiance' nous a sembl6 tellement curieux, que nous proposons ici une lecture commentte de ce chapitre, tout en indiquant les probltmes que nous y avons rencon- trts et en proposant parfois des solutions. Notre contribution est articulte en trois parties, comme le texte de Philippe: il s'agira successivement du nora, des proprittts et de la 'signefiance' du ptlican. Pellicanus est num D'oisel de tel fagun; ~o est grue en vertt, 04 En Egypte est truvt. Dous manieres en sunt, Dejuste le Nil vunt; L'une en eves abite, 08 De peissuns est sa rite, L'altre manjue es illes Laisardes, cocodrilles, Serpenz, pulentes bestes; 12 Mult sunt de malvais estres. Honocrotalia, En griu itel num ha; E en latin sermun 16 ~o est longum rostrum; En franceis lunc bec est. ~ Pour commencer: de quel oiseau s'agit-il? Suivant Philippe de Thaun le 'pellicanus' est en rtalit6 une grue (v. 3). Mac6 de La Charitt, dans sa Bible, est d'avis qu'il s'agit plut6t d'un htron. Du moins c'est ainsi qu'il traduit le mot 'onocrotalus' de l'Aurora 2 (rubr. 706-7), 3 qui lui a servi de source (Lops, 1982, XIII), et qu'il suit litttralement en ajoutant pour plus de clart6 que ce htron ressemble au cygne. Li herons a verayement 6548 Au signe grant resemblement. (Verhuyck, 1977: 29) Huguitio de Pise 4 est du meme avis, quand il dit: Et est avis, ut dicunt, similis cigno (Daly 1975: 499). Guillaume le Breton, 5 lui aussi, nous apprend que le ptlican ressemble au cygne, mais en pr6cisant qu'it est un peu plus grand que celui-l~: Et est aliud pellicanorum genus in Nilo pene cignis simile nisi quia paulo maiores sunt (Daly 1975: 540-1). D'aitleurs, suivant Mac6 de La Charit6 l'oiseau 'Porfires' (poule sultane?) ressemble ~ son tour au ptlican: Neophilologus 79: 377-387, 1995. © 1995 Kluwer Academic Publishers. Printed in the Netherlands.

Le Pélican dans le Bestiaire de Philippe de Thaun

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LE PI~LICAN DANS LE BESTIAIRE DE PHILIPPE DE THAUN

Entre 1121 et 1135 Philippe de Thaun rddige un bestiaire, trait6 alltgoris6 se situant dans la longue tradition du physiologus (V. plus loin) et premier en date ~t avoir 6t6 6crit en langue romane, dans lequel l 'auteur s'attache

indiquer la signification alltgorique des proprittts des animaux qu'il dtcrit (Walberg 1900: 85-87). Dans cet ouvrage, compos6 de 37 chapitres, p r t c td t s d 'un prologue et suivis d 'un 6pilogue, le 28 ~me est consacr6 au ptlican. Ce que Philippe nous dit de l ' t tymologie du nora de cet oiseau, de ses proprittts ou 'natures', comme il dit, et de sa 'signefiance' nous a sembl6 tellement curieux, que nous proposons ici une lecture commentte de ce chapitre, tout en indiquant les probltmes que nous y avons rencon- trts et en proposant parfois des solutions. Notre contribution est articulte en trois parties, comme le texte de Philippe: il s'agira successivement du nora, des proprittts et de la 'signefiance' du ptlican.

Pellicanus est num D'oisel de tel fagun; ~o est grue en vertt ,

04 En Egypte est truvt. Dous manieres en sunt, Dejuste le Nil vunt; L 'une en eves abite,

08 De peissuns est sa rite,

L'altre manjue es illes Laisardes, cocodrilles, Serpenz, pulentes bestes;

12 Mult sunt de malvais estres. Honocrotalia, En griu itel num ha; E en latin sermun

16 ~o est longum rostrum; En franceis lunc bec est. ~

Pour commencer: de quel oiseau s'agit-il? Suivant Philippe de Thaun le 'pellicanus' est en rtalit6 une grue (v. 3). Mac6 de La Charitt, dans sa Bible, est d'avis qu'il s'agit plut6t d 'un htron. Du moins c'est ainsi qu'il traduit le mot 'onocrotalus' de l 'Aurora 2 (rubr. 706-7), 3 qui lui a servi de source (Lops, 1982, XIII), et qu'il suit litttralement en ajoutant pour plus de clart6 que ce htron ressemble au cygne.

Li herons a verayement 6548 Au signe grant resemblement. (Verhuyck, 1977: 29)

Huguitio de Pise 4 est du meme avis, quand il dit:

Et est avis, ut dicunt, similis cigno (Daly 1975: 499).

Guillaume le Breton, 5 lui aussi, nous apprend que le ptlican ressemble au cygne, mais en pr6cisant qu'it est un peu plus grand que celui-l~: Et est aliud pellicanorum genus in Nilo pene cignis simile nisi quia paulo maiores sunt (Daly 1975: 540-1).

D'aitleurs, suivant Mac6 de La Charit6 l'oiseau 'Porfires' (poule sultane?) ressemble ~ son tour au ptlican:

Neophilologus 79: 377-387, 1995. © 1995 Kluwer Academic Publishers. Printed in the Netherlands.

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Porfires, ce dient auquant, 6568 Est semblables au pelliquant (Verhuyck 1977: 29).

Dans la version des Septante: L6v. XI, 18 et Deut. XIV, 18, of 1 l 'on s'attendrait d'ailleurs ~ 'onocrotalus' , le texte grec donne 'pelikana', ce qui correspond h l'h6breux 'racham', que Buber traduit par 'Erdgeier' (vautour):

Diese sollt ihr verabscheuen vom Geflfigelten, sie sollen nicht gegessen werden, Scheuel sind sie: den Aar, den Beinbrecher, den Bartadler... den Uhu, die Dohle, den Erdgeier, den Storch... (Buber 1954: 299).

Le p61ican vit en Egypt au bord du Nil (Vv. 4-6). Isidore de S6ville dit dans ses Etymologies: Pellicanus est avis Egyptia, habitans in solitu- dine Nili fluminis, unde et nomen assumpsit, nam Canopus Egyptus dicitur; Et est aliud pellicanorum genus in Nilo pene cignis simile . . . (Lindsay 1957 Lib. XII, vii, 26). "Pellicanus est un oiseau de l 'Egypte, vivant dans le d6sert du fleuve du Nil, il y dolt son nora, car Canopus veut dire Egypte; mais il existe aussi une autre esp6ce de p61icans du Nil, tout ~t fait semblable au cygne." Philippe distingue ensuite deux esp6ces, suivant qu'elles vivent "en eves" ou "es illes" (Vv. 7-9). Chez Guillaume le Breton nous retrou- vons les eaux, mais non pas les ~les: pour lui il s 'agit des eaux et du d6sert: "Item pellicanorum duo genera dicuntur: unum in aquis e s t . . , et unum in solitudine . . ." (Daly 1975: 540-1). "On dit aussi qu ' i l existe deux genres de p61icans: l 'un vit dans l ' e a u . . , et l 'autre dans le d6sert". C'est le cas aussi put Guillaume le Clerc: 6 "Cil qui habitent es rivieres • . . cil q u i . . , habitent en la desertine." (Hippeau 1970: vv. 520 et 523). Ce d6sert a sans doute 6t6 inspir6 par le verset 6 du psaume CI: "Similis factus sum pellicano solitudinis", - "Je suis devenu semblable au p61ican du d6sert" - que Gervaise 7 met en exergue h l 'article qu' i l consacre au p61ican (Meyer 1872: 437). Signalons quand mEme que l ' iconographie respr6sente parfois le p61ican dans une ile. C'est ainsi que Lesky montre l 'emblSme d 'un p61ican illustrant la devise "Omnia vincit amor", et qui se sacrifie pour ses petits, tandis qu'il se penche sur son nid, qui, lui, se trouve dans une ~le bord6e d 'arbres (Lesky 1973: 80-3). Quant h leur nourriture, Philippe traduit fidSlement sa source, sans se soucier,semblerait- il, de l 'apparent contresens d 'un p61ican qui mangerait des crocodiles (Vv. 8-11). M~me si l 'on admet que Philippe n 'avai t jamais v u l e s animaux en question, il n 'a probablement pas non plus pris la peine de se ren- seigner chez Isidore, qui explique que les crocodiles mesurent vingt coudes de long, et qu'ils sont r6put6s pour a f6rocit6 de leurs dents et de leurs ongles et pour l 'extrEme duret6 de leur carapace: "Crocodillus: a croceo colore dictur . . . . animal quadrupes in terra et in aquis valens, longitudine plerumque XX cubitorum, dentium et unguium immanitate armatum, tantaque cutis duritia ut quamvis fortium ictus lapidum tergo repercutiat" (Lindsay 1957: XII, vi, 19-20). "Crocodillus: ainsi appel6 d'aprSs sa couleur safran6e (est) un quadrupSde vivant sur terre aussi bien que dans l 'eau, long en g6n6ral de vingt coudes et arm6 d'horribles dents et ongles et dont la

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carapace est tellement dure qu'il renvoie de son dos les coups des pierres les plus dures." L'auteur du bestiaire les d6crit donc somme s'il s'agissait de grands 16zards (v. 10), confusion dont parle d6j/~ H6rodote, qui dit que les habitants de la Ionie les appelait crocodiles, ce qui voulait dire: 16zards, parce qu'ils ressemblaient tant aux 16zards vivant ~ l ' int6rieur de leurs enceintes, et qu'ils appelaient crocodiles. 8 On retrouve cette id6e encore chez le philosophe et naturaliste genevois Charles Bonnet (1720-1793) dan sa Contemplation de la Nature. 9

Mais ne pourrait-on pas avoir affaire ici ~ ce clue Christoph Gerhardt a appelE une "Typenkontamination", de sorte que les propri6t6s d 'un certain animal sont attribuEes ~ d'autres en marne temps? (Gerhardt 1974:115-8) . Ces confusions sont fr6quentes dans la tradition de cette litt6rature animale didactique. Pour Philippe de Thaun le p61ican est au fond une grue, pour Mac6 de La Charit6 'onocrotalus' se traduit par heron, mais un h6ron qui ressemble au cygne, alors que l 'oiseau qu'il appelle 'porfires ' a pour lui tous les dehors du pelican. Et Buber croit qu'il s'agit plut6t d 'un vautour. Duns une polEmique du XIII e si~cle entre les po&es lyriques allemands der Marner e t de r Meissner, le dernier fair mention d 'une ruse dont se sert le pelican pour attaquer et tuer un serpent: pour pouvoir atteindre son but il se roule dans la boue, et s'6tant rendu de cette fagon m6connaissable, il fait peur au serpent. Mettant sa queue devant sa tEte en guise de bouclier il l 'attaque et arrive h percer de son bec, qui lui sert d'Ep6e, la tEte du reptile, et finit par mettre ~ mort son adversaire. I1 est vrai que le p61ican s'attaque dans cet exemple ~t un serpent, mais Gustav Roethe cite la m~me ruse utilis6e par un hydre contre un crocodile! (Roethe 1887:184 sqq.). L'Apocalypse de Li6bana (VIII e si6cle) contient une illustration d'Apoc. XII, 15-8 - la lutte de la femme contre le dragon 1°- ~ laquelle a EtE ajoutE un commen- taire relatant cette m~me ruse dont se sert "un certain oiseau qui vit dans les pays d'Orient" pour vaincre de son bec "grand, dur et arm6" un dragon, n Dans la version du Meissner, cette 'quedam avis' est devenue le p61ican. Etant donne les confusions ornithologiques signalEes plus haut d 'un c6tE et celles entre dragon-serpent-crocodile de l 'autre, on s '6tonnera donc peut-Etre moins d 'un pelican mangeant des crocodiles.

Pour ce qui est du nom de l 'oiseau, Philippe de Thaun le fait remonter ~t onocrotalus (v. 13). Comme nous l 'avons dEja indiqu6 plus haut, ce mot ne se trouve pas dans la version grecque de l 'Ancien Testament. La Vulgate de J6r6me par contre porte: "Omnes ayes mundas comedite. Immundas ne comedatis: aquilam scilicet, et gryphem, et . . . o n o c ro t a lu m , et charadrium, singula in genere suo". On remarquera que l 'oiseau compte donc parmi les oiseaux impurs, qu'il est interdit de manger. Est-ce pour cette raison qu'il se nourrit lui-m~me de "pulentes bestes '? (v. 11) Philippe de Thaun pr6sente 'honocrotal ia ' comme un nora commun, synonyme de p61ican (v. 13-4), mais Guillaume le Breton pense que le genre s'appelle 'pellicanus', dont il existe une esp~ce qu 'on nomme 'onocrotalus ' (Daly 1975: 541). "I1 existe une autre esp~ce de p61icans vivant darts le Nil,

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ressemblant beaucoup aux cygnes, mais qui sont un peu plus grands et que certains appellent onocrotali".

Quoique Philippe de Thaun traduise 'onocrotalus' par lunc bec (v. 17), d'autres, parmi lesquels Guillaume le Breton, sont d'avis que ce mot veut dire tEte d'fine. '2 Nous constatons doric que d 'un c6t6 Philippe de Thaun 6vite de donner du mot 'honocrotalia ' l '6tymologie suivant laquelle ce mot remonterait ~ onos -- ~ne et que de l'autre il ne propose aucune origine du mot 'pellicanus' , alors qu'il doit tr6s probablement avoir connu les 6tymologies en cours ~ l'6poque. I1 retient seulement que 'honocrotalia' veut dire lunc bec. I1 s'agit d 'un choix, car, comme il est peu probable que l 'auteur (pas plus d'ailleurs que les autres que nous avons cit6s) ait jamais vu de ses propres yeux l'oiseau en question (v. 4), il faut admettre qu'il a voulu s'appuyer uniquement sur l'autorit6 de ceux qui servaient son dessein en parlant de ce lunc bec, suivant la vieille conception qui veut que les noms s'appliquent aux choses, non pas par convention mais par n a t u r e . 13 Dans cet ordre d'id6es nous nous permettons de renvoyer aux remarques si int6res- santes qu 'a faites Christoph Gerhardt g propos d 'un pamphlet paru au XVI e si6cle et relatant la r6action d 'un paysan allemand pr6s de Annaberg voyant un horrible oiseau inconnu, qui r6siste longtemps et violemment quand le paysan l'attaque et que ce demier finit finalement par tuer en lui perqant le cou de son fusil. Et le pamphlet d'ajouter que pendant cette mEme ann6e (1561) un grand nombre de ces oiseaux ont 6t6 tu6s dans la r6gion de Th~ringen. D'apr6s la description minutieuse qu'en donne le pamphlet, cet oiseau se trouve 6tre un p61ican. Cette histoire montre le gouffre qui s6pare la r6alit6 du r6gne animal et l 'id6e qu 'en avaient ceux qui ne le connaissaient que par la tradition livresque. Ce gouffre 6tait tel, qu'on ne reconnaissait mEme pas le p61ican: il faisait peur et on ne cherchait qu'~ le tuer (Gerhardt 1981: 121-2). 14 II est curieux aussi de constater que ce terme savant de 'onocrotalus' a eu longue vie: quand Rabelais raconte 'Comment on vestit Gargantua', il pr6cise que 'pour son plumart pourtoit une belle grande plume bleue, prince (= prise) d 'un onocrotal du pays de Hircanie la saulvaige, bien mignonement pendente sus l'aureille droicte' (Boulenger 1985: 29). 15 D'ailleurs, ce n 'est qu'g partir de la fin du XW si6cle qu'on a pu voir pour la premi6re fois en Europe des animaux exo- tiques, dans la m6nagerie du roi Henri II PlantagenEt (1154-1189) Woodstock ou dans celle de Fr6d6ric II (1212-1250). Les connaissances de Philippe de Thaun (_ 1121) dans ce domaine doivent donc avoir 6t6 purement livresques et il s'accroche aux 6tymologies traditionnelles. On voit la confirmation de cette d6marche de l'esprit dans la reprise quatre fois r6p6t6e du mot bec et de son d6riv6 verbal dans ce chapitre:

24 Prenent le a bechier; 29 Dunt les beehe e prent; 37 De sun bee fert sun cors; 58 Boche al pere l'oillet.

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Apr~s la pr6sentation du nom de l 'oiseau et de son 6tymologie (Vv. 1-17), l 'auteur introduit sa "nature" (Vv. 18-42).

E de tel nature est: Quant vient a ses oisels

20 E il sunt granz e bels E [il les] volt joir, De ses eles cuvrir, Li oiselet sunt tier,

24 Prenent le a bechier, Volent le devurer E ses dous uiz crever. [Li pere] est curuci6

28 Quant [ill se sent plai6, Dunt les bech6 e prent, Sis ocit a turment, E puis les laisse atant,

32 Morz les laisse gisant. Puis repaire al tierz jur, Morz les trove a dolur; Dunc en fair dol si fort

36 Quant ses oisels veit mort, De sun bec fiert sun cots Q u e l i sans en ist fors. Li sans vait degutant

40 Sur les oisels chaant: Li sans at tel baillie Par lui vienent a vie. E iqo demust rum

44 Par Go que sis pe ignum] 6

Ce sont en g6n6ral ces natures ("physeis") qui d6concertent au plus haut point le lecteur modeme. M~me un Bossuat, m6di6viste renomm6, a pu parler de l ' ignorance dans laquelte se d6battait l 'humanit6 pendant ces si6cles. I1 qualifiait les bestiaires d 'un "tissu d 'extravagances". Pourtant au XIW si6cle d6j~ certains savants, parmi lesquels il faut surtout citer Albert le Grand, ont eu des doutes s6rieux devant ce que pr6tendaient le physiologue (prototype grec de cette litt6rature, r6dig6e probablement en Alexandrie au W Si6cle) et dans sa suite les bestiaires. Qu'Albert le Grand ait vainement essay6 de faire manger du fer ~ une grue qu' i l poss6dait, est chose connue, mais les esprits critques qui osaient mettre en doute la v6rit6 de ces trait6s avaient peu de chance d'6tre 6cout6s, car ils 6taient con- sid6r6s comme des h6r6tiques contestant l 'Ecriture Sainte qui dit que pour Dieu rien n 'es t impossible: " . . . quia non erit impossibile apud Deum o m n e v e r b u m " . ~7 En effet, si la grue couve ses 0eufs de son regard aigu et ardent, pourquoi le p61ican ne pourrait-il pas en faire autant de son propre sang? ~8 Ce comportement du p61ican est d'ailleurs mis par d 'autres chercheurs sur le compte du vautour. Cette id6e semble remonter aux hi6roglyphes de Horapollo, dont la transcription a 6t6 publide par G. Boas (Boas: 1950). Wellman avance que cette confusion est due au nora grec, tant6t utilis6 pour le p~lican, tant6t pour le vautour. (Wellmann t930: 50, n. 142.) ~9 Dans cette discussion on devrait peut-~tre se poser la question de savoir s 'il n 'e×iste pas souvent ce que la philosophie aristot61ico- scolastique appelle un 'fundamentum in re', une base darts la r6alit6: dire que le lion dort les yeux ouverts (all6gorisant ainsi le Christ, mort suivant son humanit6, vivant selon sa divinit6) est sans doute exag6r6, mais que les f61ins ne dorment pas d 'un profond sommeil est 6vident aussi: un rien les r6veille. Et un ornithologue ne m'a-t-il pas dit un jour clue le pigeon n 'a pas de fiel, ce que les bestiaires ont toujours pr6tendu pour expliquer que le Saint Esprit se ffiche mais sans 8tre rancunier: "columba est sine felle?" Inutile du reste de d6montrer encore apr6s les travaux de tant

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d 'au t res , tel un Friedrich Ohly et un Hennig Br inkmann, que la cl6 de vofite de ces bestiaires est th6ologique. Ce ne sont pas des traitas d 'his toire naturelle, la ' s ignef iance ' pr ime tout. C. Clair a trouv6 pour son atude sur les bestiaries le titre heureux de Unnatiirliche Geschichten. Pour ce qui est de la nature du palican, il y a encore quelques remarques ~ faire. Et tout d ' abord que sur certains datails t ous le s bestiaires ne sont pas d 'accord . C ' e s t ainsi que certaines traditions pratendent que ce n 'es t pas le palican qui tue ses petits, mais un serpent. C ' e s t entre autres la version que prasen- tent les auteurs de l'Image du Monde: le pal ican s 'absente et c ' e s t alors q u ' u n serpent s ' empare de son nid et tue les petits. Au X V F siacle encore on trouve cette variante chez Du Bartas:

car sitost qu'il les void meurtris par le serpent, I1 bresche sa poictrine et sur eux il respend Tant de vitale humeur, que, rachauffez par elle, Ils tirent de sa mort une vie nouvelle (Du Bartas 1611: 247). 2o

Cette version est sans doute gtla base de la lutte entre le palican et le serpent, dont nous avons parl6 plus haut. Le texte de Gui l laume le Clerc en contient probablement une raminiscence, quand il dit que Dieu nous a abandonnas aux mains du fe lon perfide, 21 car le diable est le ' se rpens ant iquus ' .

Ensuite, pour Phillipe de Thaun c 'es t le pare qui me ses enfants, 22 pour d 'autres, comme par exemple Gervaise 23 et Brunetto Latini, 24 ce sont le pare et la mare. Chez Philippe les petits sont ressuscitas par le pare, ainsi que chez Gervaise, 25 Gui l l aume le Clerc 26 et Pierre de Beauvais , 27 alors que Brunetto Latini pratend que c 'es t la mare qui les fait revivre. 28

Aux vers 43-5 Philippe de Thaun renvoie expressament ~ l ' iconographie , et surtout h la peinture, trait qui manque gt notre avis, dans le reste de la tradition.

Phi l ippe de Thaun termine son chapitre ' Pa l i c an ' sur une double ' s ignefiance ' :

48

52

Cist oisels signefie Le fiz Sainte Marie. Nus si oiselet sumes E en faiture d'umes, Si sumes releva, De mort resuscit6 Par le sanc precius Que Deus laissat pur nus, Cure li oiselet sunt Ki par treis jurz mort sunt. Or o~z par maistrie

56 Que i~o signefie, Pur quei li oiselet Beche al pere l'oillet Eli pere est mari

60 Quant les ocit issi: Ki nie verit6 Si volt crever l'oil Da, E Deus de cele gent

64 Prendrat sun vengement. Aiez en remembrance,

66 (70 est signefiance. 29

Premiarement le palican allagorise le Christ, qui, de Son sang nous ressus- cite de la mort; deuxiamement l ' h o m m e qui ne veut pas de la varit6 crave pour ainsi dire les yeux de Dieu, qui, Lui, s ' en venge. Le rapport avec le

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Christ n 'est pas historiquement parlant le premier symbolisme qu'on ait vu dans ce comportement du p61ican: il est le fait d 'auteurs chr6tiens. Darts le monde pr6chr6tien l 'oiseau d6signait l 'amour paterel, comme l'atteste Horapollo (Leemans 1835:277 sqq.). Le rapprochement avec le Christ est sans doute dfl au commentaire sur le psaume CI, v. 7: "Similis factus sum pellicano solitudinis". Mais nous remarquons d'abord qu'il s'agit ici du sang du p61ican lui-mSme: De sun bec fiert sun cors, Que li sans en ist fors (vv. 37-8), aspersione sui sanguinis (Guillaume Lebreton). En r6alit6 le P61ican conserve les possions qu'il a pris dans une vaste poche dont est munie la mandibule inf6rieure: l 'oseau nourrit ses petits en d6gorgeant devant eux ces possions qu'il a laiss6 mac6rer dans cette poche membraneuse. I1 presse son bec contre sa poitrine et les mati~res qui en sortent sont plus ou moins sanguinolentes. I1 n 'en faut pas plus pour croire qu'il s'agit de son propre sang. En outre, chez Philippe de thaun et, d'ailleurs dans presque tousles autres bestiaires h commencer par le physiologus grec, en passant par les versions latines et jusqu'~t Jacob van Maerlant, 3° le sang a pour effet de ressusciter les petits (Li sans at tel baillie par lui vienent a vie: vv. 41-2) et ne leur sert pas de nourriture. I1 n 'y a que le bestiaire de Pierre de Beauvais qui dit: Car li oiselet par nature rechoivent le sanc si tost comme il saut de la mere et le boivent. D 'un c6t6 ce sang qui nourrit semble beaucoup plus se rapprocher de ce qui se passe dans la nature, et d 'un autre rappelons-nous le proph~te Isaie disant: "Filios enutr ivi et exaltavi: ipsi autem spreverunt me" (I,2). Philippe dit que le p61ican perce son corps (v. 37), Gervaise 31 et Guillaume le Clerc 32 son eost~, ce qui est sans doute h mettre en rapport avec l'6vangile de Saint Jean: "Unus militum lancea latus ejus aperuit et continuo exivit sanguis et aqua." (XIX,34). Remarquons aussi que le sang tombe sur les petits (Li sans vait degutant sur les oisels chaant). C'est donc comme qui dirait une aspersion, terme largement attest6 dans le Nouveau Testament (H6br. IX,21; XII,24; I Pierre I, 2). L'effet du sang du Christ par rapport aux fid~les (qui le boivent!) est suivant le Nouveau Testament: 'acquirere' (Acres XX,28), 'justificare' (Rom. V,9); °redimere' (Eph. 1,7; Col. I, 14; I Pierre 1,19; apoc. V,9), 'prope fieri' (Eph. II,13), 'pacificare' (col. 1,20), 'emundare conscientiam' (H6b. IX,14), 'sanctificare' (H6b. X,29; XIII,12), 'emundare ab omni peccato' (I Jean 1,7), 'lavare a peccatis' (Apoc. 1,5), 'dealbare stolas' (Apoc. VII, 14), mais non pas "ressusciter"! Ce terme est r6serv6 au Christ lui-m6me. Saint Paul d i t e n effet: "Deus autem pacis, qui eduxi t de mor tu i s pastorem magnum ovium, in sanguine testamenti aeterni, Dominum nost rum Jesum Chr i s tum" (H6b. XIII,20). I1 faut donc admettre que darts la tradition des bestiaries, qui nous occupe ici, une autre confusion a encore eu lieu: celle entre le P~re (le p61ican) qui a ressuscit6 le Christ (le petit du p61ican) d 'un c6t6, et le Christ (le p61ican) qui de son sang rach~te les fid~les (les petits du p61ican) de l'autre. Car, th6ologiquement parlant, les fiddles ne sont pas les enfants, les ills, les petits du Christ.

Reste encore l'6quation: nier v6rit6 = crever Foil D6 (Ki nie Verit6, si

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volt crever l 'oil D6: vv. 61-2). Philippe est le seul gt le dire. Les concor- dances de la Bible ne nous ont gu6re avanc6 dans nos recherches. Le seul rapport que nous ayons pu d6couvrir entre ce passage et d '6ventuelles allusions bibliques se trouve dans le mot vengemen t (v. 64). Samson, aprSs avoir 6t6 rendu aveugle et forc6 par les Philistins de les amuser entre les piliers du temple de Dagon, s'adresse h son Dieu en disant: "Domine Deus, memento mei et redde mihi nunc fortitudinem pristinam Deus meus, ut ulciscar me de hostibus meis, et p ro amissione d u o r u m luminum u n a m ul t ionem recipiam" (Jug. XVI,28).

Faculteit der Letteren Vrije Universiteit De Boelelaan 1105 1081 HV Amsterdam The Netherlands

R.L.H. LOPS

Notes

1. (Traduction) Pellicanus est le nom d'un oiseau de l'apparence suivante: en r6alit6 c'est une grue que l'on trouve en Egypte. I1 en existe deux esp~ces, et elles vivent sur le bord du Nil. La premiSre vit dans l'eau et se nourrit de poissons, l'autre dans les ~les, off elle mange des 16zards, des crocodiles, des serpents, des bStes infectes: Ce sont 1/t des animaux tr~s m6chants. "Honocrotalia", voilh le nom qu'il porte en langue grecque, et en langue latine cela est "longum rostrum", en fran~ais c'est "lunc bec".

2. Bible rim6e en langue latine de Petrus Riga (XIIe Si6cle). Ed. Beichner 1944. 3. 'Par onocrotalus est cigno, sonitum dat in undis' (Beichner 1944: rubr. 706-7)

"Onocrotalus est semblable au cygne, il chante quand il flotte sur l'eau". 4. I1 s'agit de ses 'Derivationes', sorte de recueil ex6g6tique non encore publi6 et pour

lequel nous renvoyons au ms BN Nouv. acq. lat. 2042 6crit en 1274. 5. Fr6re franciscain (t229-1304), auteur d'une collection de "distinctiones", recueils

ex6g6tiques donnant dans un ordre vaguement alphab6tique les mots de la Bible avec leurs sens all6qoriques et parfois aussi avec leurs 6tymologies. Ed. Daly 1975.

6. Auteur du plus long bestiaire en vers fran~ais, intitul6 'Bestiaire divin' (1210). Ed. Hippeau: 1852.

7. Auteur d'un bestiaire. D6but XIIIe SiScle. Ed. P. Meyer 1872. 8. 'Der Name Krokodil stammt hiernach aus dem Jonischen, wo krokodeilos entsprechend

dem gemeingriechischen saura, sauros die Eidechse bedeutet'. (Wiedemann 1890: 300) 9. 'Le crocodile, ce terrible amphibie, dont la voracit6 est extrSme, qui hante les grands

fleuves de l'Inde, de l'Afrique et de l'Am6rique, et qui ressemble tant par sa forme au 16zard, est, comme lui, ovipare et pond comme lui dans le sable'. Contemplation de la Nature (1764), XI part., V. Chez lui ce genre d'observations fait partie de la loi (leibnizi- enne) de la continuit6, suivant laquelle les diff6rentes classes des animaux tiennent si 6troitement les unes aux autres, qu'il est impossible de fixer pr6cis6ment le point off chacune commence ou finit.

10. Ce dragon de l'Apocalypse devient dans la Bible rim6e de Mac6 de La Charit6 un serpent! Autre confusion (Lops 1982: 118, v. 38713 sqq.). V. d'ailleurs aussi Le Goff 1977: 253 et M. Eliade 1964: 179-82.

11. 'Quedam esse avis in regione orientali asseritur, que grandi et perduro armatoque rostro contra draconem quem audacibus lacessit sibilis pugnatura coenum de industria expetit,

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e cuius volutabro tetro habitu infecta sordescit et diversorum gemmas colorum quibus eam indulgentiam (indulgentem?) natura depinxit. Et (ut?) humili despecta vestitu ita hostem novitate deterreat et quasi vilitatis suae securitate decipiat. Caudam velut scutum ante faciem suam quadam arte bellatoris opponit audaci impetu in capud adversarii furentis adsurgit, impro- viso oris sui telo stupentis bestiae cerebrum fodit, et sic mirae calliditatis ingenio immanem prosternit inimicum'. "Dans les r6gions orientales vivrait un oiseau qui, voulant attaquer de son grand bec dur et arm6 un dragon, le d6fie hardiment des ses siffiements, et cherche ensuite en guise de ruse un endroit boueux; puis, se roulant la-dedans, il se salit en se donnant ainsi un habit sombre et sale, et se d6fait des couleurs bariol4es dont la nature l 'a dot& Et s '6tant rendu ainsi m6prisable par cet habit abject, il fait peur a son ennemi et le trompe pour ainsi dire grace a la s6curit6 que lui procure son humble 6tat. I1 met sa queue comme un bouclier devant sa t~te comme un guerrier exp6riment6 et se lance audacieusement vers la t6te de son adversaire, fend de son bec, qui sans que den ne le laisse pr6voir lui sert de poignard, la cervelle de la b~te stup6faite et abat ainsi, grace a cette 6tonnante et g6niale ruse cet ennemi sauvage."

12. 'Onocrotalus vel onocrotalon quaedam avis est. Et dicitur ab onos, quod est asinus, quia faciem gerit asini, nam sic dicitur stulta facies et obducta' (Daly 1975: 499). "Onocrotalus ou bien onocrotalon est un oiseau. Et il est appel6 ainsi d'apr~s 'onos ' , qui veut dire 'fine', parce qu'il a comme qui dirait la t~te d 'un ane: c 'es t ainsi qu 'on qualifie un visage h666t6 et mome".

13. Quoique la tradition des bestiaires et celle des "Distinctiones" proposent inchange- ablement l '6tymologie °pellicanus = Canopus = Egypte ' , il semblerait qu'Aristote ait mis le nom de l 'oiseau en rapport avec le verbe grec 'pe l ikao ' , "ronger", 6tymologie retrouv6e par les humanistes. Tout en citant Aristote, Wolfgang Franzius, dit "pell icanum dici a pelikao quod est rodere, quod soleat rostro percutere et rodere arbores" (Franzius 1612: 354). 'Pellicanus' se dirait d'apr~s 'pelikao' , ce qui veut dire ' ronger ' , puisqu'il a l 'habitude de flapper de son bec les arbres et des les ronger ainsi".

14. V. aussi la note 46 p. 136 de cet ouvrage. 15. Le mot revient sous la plume de Rabelais dans le prologue de son 'Pantagruel ' :

"J 'en parle comme un gaillard o n o c r o t a l e . . . " (Boulenger 1985: 169) 16. (Traduction) Et voici sa nature: quand il s 'approche de ses petits alors que ceux-ci

sont d6ja grands et beaux, pour les cajoler, les couvrir de ses ailes, ces petits se montrent cruels, se mettent a le piquer de leurs becs, au point de vouloir le d6vorer et de vouloir lui crever ses deux yeux. Se sentant bless4, le p~re se f~che, et alors, il les saisit, les pique de son bec et il les rue horriblement, puis il les abandonne et les laisse morts, 6tendus par terre. Ensuite, au troisi~me jour, il retourne, et se chagrine de les trouver morts; alors il s 'attriste a tel point de voir ses petits morts que de son bec il frappe son propre corps de sorte que le sang en sort. Le sant tombe en gouttes sur ses petits: ce sang a une force telle que c 'es t grace a lui qu'i ls reviennent a la vie.

Et cela, nous l 'exprimons en les repr6sentant ainsi en peinture. 17. Luc. I, 37. 18. Dans les stalles sculpt6es de Scharnebeck, les petits du p61ican ne sont pas encore

sortis de l'oeuf (Gerhardt 1979: 147). 19. Les recherches actuelles darts le domaine de l 'histoire naturelle aboutissent parfois

a des r6sultats qui confirment plus d 'une fois ce que pretendaient les auteurs des bestiaires m6di6vaux. Je n ' en veu× pour preuve que le comportement de ce renard, film6 en Russie, qui, pour tromper les oiseaux, s 'endui t de terre rouge et fair le mort: les oiseaux ne se doutant de rien, s 'approchent et quand il sont suffisamment pros, le renard les attrape! C'est exactement ce que disent les bestiaires. I1 ne s 'ensuit pas, 6videmment que ces trait6s m4di6- vau× d6crivent la r6alit6 et rien que la r6alit6, mais le contraire n 'es t pas vrai non plus.

20. V. aussi Wachinger 1973:155 rem. 16 et Schmidtke 1968:68 em. 97. Le Thierbuch de Conrad Gessner pr6sente 6galement cette version.

21. 'En la main au cuvert felon por nos pechiez morz estion' (Hippeau 1852: 209, Vv. 575-6).

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22. Toutefois, comme les vv. 27-8 manquent dans le manuscrit que suit Walberg - Londres, Mus6e Britannique, Bibl. Cott. Nero A. V. - l '6diteur a eu recours au ms Oxford, Merton College 249, qui donne 'La mere ' h cet endroit: Walberg a d6cid6 de le remplacer par 'Li pere ' ~t cause des vers pr6c6dents et notamment ~t cause des vv. 58-9 (Walberg 1900:86 et 143).

23. 'Et quant cil voient lor contraire Et les mauz que lor fil lot font, Sachiez que grant dolor en ont De ce que si les contralient: Ses bechent tant qu'il les occient ' (Meyer 1872: 437).

24. 1220-1294. Encyclop6diste, auteur du Livre du Tr~sor, 6d. Carmody 1948. 'Pelican est .i. oisel en Egypte, de cui li ancien dient que luer faons fierent o les eles

luer pere emni le visage, por quoi il se corroucent en tel maniere que il les occient ' . I1 faut donc interpr6ter ' luer pere' comme 'leurs parents' (Carmody: 150).

25. 'Quant ce vient d' i luec au .iij. jor, Li peres se beche ou cost6: Sainier se fait a grant plant6; Ses anfanz arose del sanc Que il trait de son destre flanc; Mei[n]tenant sunt resuscit6 Li pucin et tuit resan6' (Meyer 1872: 437-8).

26. 'Au tierz jor vient le pere a eus, Si les quenoist, piti6 a d'eus; Tant les aime d 'amor parfeite, Que donc vient et si les visite; De son bec perce son cost6; Tant qu'il en a d e l sanc cost6; De cel sanc, qui d ' i lec ist fors, Lor ramaine la vie el cors A ses poucins, n 'en dotez mie, Et en tel sens les vivifie ' (Hippeau 1852: 208).

27. 'au tierz jor fiert son cost6 et se couche sor les oiselez morz et espant son sanc de son cost6 sour aus et ainsi les suscite de mort ' (Mermier 1977: 64).27.

28. 'Et quant la mere les voit tuez, ele plore et fait grandisme dolor .iii. jors, tant que en la fin ele naffre ses costez a son bec et fait le sanc espandre sur ses fiz, tant que por ochoison dou sanc resordent et tornent en vie' . (Carmody: 150)

29. (Traduction) Cet oiseau signifie le ills de la sainte Marie: c 'es t nous qui sommes ses petits mais sous forme humaine, et nous sommes redress6s, c 'est-~-dire ressuscit6s de la mort grace au pr6cieux sang que Dieu a r6pandu pour nous, comme le sont ces petits oiseaux qui restent morts pendant trois jours.

Ecoutez maintenant (je m'appuie pour le dire sur les autorit6s), ce que signifie ce qui suit, h savoir pourquoi le petit pique de son bec l'oeil de son p~re et pourquoi le p~re s'attriste de les tuer ainsi: si quelqu'un dit non ~ la v6rit6, c 'est comme s'i l crevait l'ceil de Dieu, mais Dieu n'h6sitera pas ~ se venger de telles gens. Gardez-le en votre m6moire, c 'es t lh ie sens profond.

30. Encyclop6diste n6erlandais du XIIIe Si~cle. 'Drie daghe beweent hise onblide; So ondoet hi sijns selves side, Ende mit sinen bloede roet Verwect hise weder van der doet ' (Verwijs 1878: 273)

31. 'Li peres se beche ou cost6' (Meyer 1872: 437). 32. 'De son bec perce son cost6' (Hippeau 1852: 208).

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Ouvrages cit6s

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