5
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. Introduction Le sentiment d’injustice est un phénomène à prendre en considération car c’est par lui que nous découvrons la nécessité de son contraire. En effet, CORRIGÉ © Hatier 2007

Le sentiment d'injustice autorise t-il le recours à l'illégalité?

Embed Size (px)

DESCRIPTION

C O R R I G ÉLes titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.IntroductionLe sentiment d’injustice est un phénomène à prendre en considération car c’est par lui que nous découvrons la nécessité de son contraire. En effet,© Hatier 2007LA JUSTICE ET LE DROIT • SUJET291. Nature et intérêt du sentimentA. La plainte Le sentiment d’injustice est une donnée importante de l’expérience humaine. Il s’exprime dans des textes très anciens. Les T

Citation preview

Page 1: Le sentiment d'injustice autorise t-il le recours à l'illégalité?

C O R R I G É210

L A J U S T I C E E T L E D R O I T • S U J E T 29

■ Dégager la problématique et construire un plan

La problématiqueLa problématique vient du fait que le sentiment d’injustice est un phé-nomène suffisamment important pour qu’on ne puisse pas le négliger,mais qu’il est délicat de déterminer son statut et sa portée légitimes. Leproblème est dû à la complexité du mot justice. Il y a un sens de lajustice qui renvoie à notre sensibilité, et une idée de la justice quiimplique le droit. Ce dernier aspect est d’ordre intellectuel ourationnel. Il définit ce qui est légal. Ce domaine demande un effort deconnaissance pour être compris, et de la réflexion pour être élaboré. Dece point de vue, le sentiment va apparaître comme une donnée insuffi-sante. L’ordre juridique ne peut pas avoir pour règle le cri du cœur,mais le droit n’a pas non plus le monopole de la valeur de justice. Voilàle problème qu’il s’agit de traiter.

Le planOn commencera par mettre en évidence la nature et l’intérêt du senti-ment d’injustice. Dans un deuxième temps nous en marquerons lesfailles. Il sera alors question du concept de droit. Dans un derniermoment, on essaiera de voir comment harmoniser le sentiment et l’idéede la justice.

■ Éviter les erreursUne erreur majeure serait de ne pas distinguer les significations de lanotion de justice, et notamment celle du légal et du légitime. Celaconduirait notamment à simplifier la question en accordant trop au sen-timent ou à la loi.

Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun casfigurer sur la copie.

IntroductionLe sentiment d’injustice est un phénomène à prendre en considération carc’est par lui que nous découvrons la nécessité de son contraire. En effet,

C O R R I G É

29_PHI060927_04C.fm Page 210 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10

© Hatier 2007

Page 2: Le sentiment d'injustice autorise t-il le recours à l'illégalité?

C O R R I G É211

L A J U S T I C E E T L E D R O I T • S U J E T

Le s

ujet

La

cul

ture

La ra

ison

et l

e ré

el

La

pol

itiqu

e La

mor

ale

Suje

ts d

’ora

l

29

lorsque la justice règne, il n’y pas lieu de se plaindre. La découverte del’injustice nous sensibilise à l’importance de la justice en introduisant ennous le désir d’un ordre conforme au droit. Quelle portée doit-on cependantaccorder à cette expérience ? La conviction intime d’assister ou d’êtrevictime d’un scandale conduit à réagir. Autorise-t-elle pour autant à s’affran-chir des lois établies ? Ce pas paraît légitime, mais il pose une doubledifficulté. Le sentiment est-il un guide sûr ? En second lieu, transgresser leslois, n’est-ce pas toujours commettre à son tour une injustice ? Il faut doncévaluer ce sentiment dans ses rapports avec la légalité.

1. Nature et intérêt du sentimentA. La plainteLe sentiment d’injustice est une donnée importante de l’expériencehumaine. Il s’exprime dans des textes très anciens. Les Travaux et les Joursd’Hésiode, au VIIe siècle avant Jésus-Christ, expriment la plainte de l’hommevictime des rois corrompus, « mangeurs de présents », qui rendent desjugements iniques. Dans la Bible, des prophètes juifs clament leur colère envoyant les riches mépriser les pauvres et les puissants écraser les faibles.La plainte de la conscience blessée par le spectacle de l’injustice a unedouble valeur. Elle exprime une souffrance et elle accuse en son nom. Ledroit en a conservé la trace. Nous portons plainte quand nous estimonssubir un dommage. Les tribunaux prennent alors notre cas en charge, maisla naissance du processus n’est pas juridique. Il provient d’un sentimentd’indignation et de révolte.

B. Les situations injustesLa perception de l’injustice est celle d’un inégalité criante. Toute inégalitén’est pas injuste. Certaines obéissent à une règle de proportionnalité. Nousne sommes pas forcément choqués que certains aient un salaire supérieur àd’autres, mais le cas des « parachutes dorés » nous indigne. L’injustice estdonc synonyme de disproportion ou d’une différence que rien ne vientfonder. On parle alors de discrimination. Lorsqu’un emploi est refusé à unepersonne sur la seule base de son accent ou de son nom de famille, nouspercevons nettement l’existence d’une injustice quelles que soient nosconnaissances en matière juridique. Le cas récurrent des personnes sansabri montre bien que les moyens d’accéder à un logement décent ne sontpas répartis de façon suffisamment égale.Ces situations ont été résumées et éclairées par Paul Ricœur, qui distinguetrois cas fondamentaux : les partages inégaux que nous jugeons inaccepta-bles, les punitions ou les récompenses excessives ; et les promesses nontenues. Dans le premier cas, l’injustice concerne un mode de distribution ou

29_PHI060927_04C.fm Page 211 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10

© Hatier 2007

Page 3: Le sentiment d'injustice autorise t-il le recours à l'illégalité?

C O R R I G É212

L A J U S T I C E E T L E D R O I T • S U J E T 29

de répartition ; dans le deuxième, la rétribution ; et dans le troisième caselle surgit avec la trahison de la confiance accordée par autrui, car unesociété ne peut exister sans un minimum de confiance partagée. Ricœurdécèle dans ces trois cas les prémices du droit pénal (la sanction) et dudroit des contrats qui règle les échanges de biens et de services.

[Transition]Cette dernière remarque est importante car elle donne une légitimité ausentiment d’injustice. Il semble être à l’origine du besoin du droit. Maisqu’est-ce que la légalité ?

2. La raison d’un conflitA. La justice légaleL’intitulé du sujet nous en avertit. Le sentiment d’injustice peut entrer enconflit avec l’ordre légal. Comment cela est-il possible puisque la légalitépasse souvent pour la définition de la justice ? Dans nos sociétés la justicelégale se présente sous une forme juridique – un corps de lois écrites –,et judiciaire – des tribunaux pour régler les conflits. Pour que la sentencesoit juste, il faut qu’elle ait été précédée par un échange de discours oùchaque camp expose ses arguments et ses griefs.On le voit, la justice légale n’a pas la rapidité d’un sentiment. Elle est plusréfléchie et plus rationnelle. Elle est cette « voie longue » ou procéduralealors que le sentiment s’enflamme vite à la vue de l’injustice. Toutefois cetteorganisation est rendue nécessaire par la fonction du droit. Celui-ci sedéfinit par l’ensemble des lois positives, c’est-à-dire des mesures ou desdispositions générales qu’un État impose pour faire régner un ordrecommun. Le droit est dit alors objectif car il apparaît dans sa dimensioncontraignante à l’égard des désirs individuels. Les lois expriment dans uneforme écrite l’ensemble de ce qui obligatoire, interdit et autorisé. Ellesconstituent un système articulé dans des codes qui essaient de faire préva-loir des valeurs de justice, d’égalité. La complexité des rapports sociaux faitque l’élaboration des règles juridiques est un travail très spécialisé.

B. Raison juridique et sentiment moralLa définition d’un tel ordre ne peut prendre pour principe le sentiment carc’est une donnée bien trop subjective et aléatoire. Un sentiment peut varieralors que les lois ont pour but de stabiliser les rapports entre les personnes.Le point de vue légal peut reprocher au sentiment de ne pas prendre lerecul nécessaire par rapport à l’étendue des cas à traiter. L’indignation estl’expression d’un seul point de vue sur le sujet. Ainsi, dans le cas du loge-ment, la justice légale doit aussi prendre en compte le droit du propriétairedont les locaux sont occupés. Le droit reconnaît la propriété privée comme

29_PHI060927_04C.fm Page 212 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10

© Hatier 2007

Page 4: Le sentiment d'injustice autorise t-il le recours à l'illégalité?

C O R R I G É213

L A J U S T I C E E T L E D R O I T • S U J E T

Le s

ujet

La

cul

ture

La ra

ison

et l

e ré

el

La

pol

itiqu

e La

mor

ale

Suje

ts d

’ora

l

29

étant une manifestation de la liberté de la volonté. Légaliser une occupationreviendrait à dire que cet acte a une portée générale, donc qu’il peut êtrerépété au même titre qu’on acquiert un logement par l’achat. N’est-ce pascommettre une injustice envers ceux qui ont acquis leur bien par le travail etpar contrat ? En même temps, nous voyons que des lois permettent dessituations intolérables. La distribution des biens ou des chances d’y accéderest injuste quand elle porte atteinte à la dignité humaine. Mais s’indignerest-il en soi une justification pour violer les lois ?

[Transition]Devons-nous en rester au face-à-face de la plainte et de la loi ? C’est enapprofondissant leurs rapports que nous pourrons dépasser la simpleconfrontation.

3. Le légal, le juste et le bonA. L’ambiguïté du cœurCette difficulté est mise en évidence par les débats relatifs à la place ducœur. Ce terme désigne, en philosophie, le principe du sentiment. Il a en safaveur d’être sincère. Dans le Discours sur l’origine et les fondements del’inégalité, Rousseau fait l’éloge de la pitié, « seule vertu naturelle » quipousse chacun à ne pas nuire à autrui et à lui venir spontanément en aide.La sensibilité à l’injustice trouve ici un de ses arguments les plus puissants.Devant une agression, notre cœur nous pousse à intervenir et c’est, selonRousseau, notre raison qui nous en détourne en nous faisant réfléchir auxconséquences possibles. La raison viendrait donc corrompre la bonté ducœur en lui apprenant à réfréner son indignation. Cependant, ressentirl’injustice et y réagir peut conduire à une négation globale de la justice.Kleist l’illustre de façon romanesque dans Michel Kohlhaas, l’histoire d’unpetit propriétaire qui met l’Allemagne à feu et à sang pour se venger dudommage qu’un seigneur lui a causé. La violence de son sentiment leconduit à causer des injustices bien plus grandes que celle qu’il a subie. Lavictime devient criminelle en cédant au désir de vengeance. Elle bafoue ledroit et la morale en se faisant justice à soi-même. Nul ne doit être juge etpartie, car l’évaluation du tort ne saurait être objective ni rencontrer l’accordde l’autre personne.

B. La réflexion du droit sur lui-mêmeSi M. Kohlhaas n’aurait pas dû agir ainsi, il reste qu’il devint violent car ledroit féodal ne voulut pas reconnaître le bien-fondé réel de sa plainte. Saprise en compte aurait permis une amélioration du droit. Alain déclare ence sens que « la justice est le doute sur le droit qui sauve le droit ». Il fautque les législateurs et les gouvernants sachent s’interroger sur la justice

29_PHI060927_04C.fm Page 213 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10

© Hatier 2007

Page 5: Le sentiment d'injustice autorise t-il le recours à l'illégalité?

C O R R I G É214

L A J U S T I C E E T L E D R O I T • S U J E T 29

qu’ils définissent. En dépit de ses abus possibles, la force du sentimentd’injustice vient donc du fait qu’il conduit à questionner la justice de la loiétablie. Après tout, les lois positives sont des créations humaines.Pensons au cas exemplaire de ceux que l’on nomme les Justes et que laRépublique a honorés au Panthéon en janvier 2007. Ces personnesdoivent ce titre glorieux au fait d’avoir sauvé des Juifs alors que les lois deVichy exigeaient qu’ils soient livrés. Cela montre que la légalité n’est pasforcément identique à la légitimité. Les Justes ont agi au nom de valeursuniverselles que l’ordre légal de l’époque bafouait, et il est frappant deconstater que les motifs de leur action furent fréquemment inspirés par lesentiment simple mais invincible d’une injustice commise à l’égard despersécutés. La voix de leur conscience leur a fait penser que les lois deVichy ne devaient pas être suivies. Les Justes eurent entièrement raisonde s’autoriser des actes illégaux, car en agissant ainsi ils sauvaient le sensmême de l’idée d’humanité. En les honorant, la République affirme l’unitéindispensable du légal et du légitime.La justice apparaît ainsi comme une vertu située « entre le légal et le bon »selon le mot de Ricœur. Elle appartient au double registre de la légalité et dela moralité, ce qui la rend parfois difficile à définir. Un esprit trop légaliste nevoit pas que certains cas d’urgence autorisent une transgression de la loi.Inversement, un esprit qui ne jure que par le sentiment ne comprend pasque son désir de justice doit se concrétiser légalement pour être effectif, cequi implique la prise en compte de la complexité juridique des situations.

ConclusionNous avons vu que la difficulté de ce sujet tient au fait que la notion dejustice inclut la dimension du sentiment, tout en entretenant à son égardune suspicion ou une critique car sa subjectivité peut le conduire à provo-quer des injustices supérieures à celles qu’il entend corriger. Toutefois,comme les lois sont parfois violemment injustes ou en tout cas perfectibles,le droit s’honore en réfléchissant à sa propre amélioration. Ce point peutaller jusqu’à l’introduction de nouveaux droits. Des débats récents le mon-trent bien. Un droit au logement opposable devrait être reconnu à ceux dontles conditions de vie bafouent la dignité humaine. Le recours à l’illégalitén’est légitime qu’en tant qu’il est le « dernier recours » pour faire progresserle droit. Sa raison d’être est donc de cesser d’être dès que le tort estréparé.

29_PHI060927_04C.fm Page 214 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10

© Hatier 2007