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Revue de l’Énergie, n° 604, novembre-décembre 2011 1 D epuis le milieu de la décennie pas- sée, les notions de « pauvreté éner- gétique » et de « précarité énergé- tique » ont fait irruption dans le débat public européen, le « vieux continent » constatant alors, avec surprise, son incapa- cité à assurer le welfare énergétique mini- mum de tous ses citoyens. Mais ce sujet dépasse largement l’horizon des 27. À ce jour, 1,3 Md d’habitants de la planète n’ont toujours pas accès à l’électricité, et 2,4Mds vivent sans condition de cuisson des ali- ments propre (1). À l’aube d’une année 2012 placée par l’ONU sous le sceau « Substainable energy for all », les inégali- tés sont là: 20 M d’habitants de l’État de New York consomment annuellement l’équivalent énergétique de 800 M d’habi- tants de l’Afrique sub-saharienne! Et pour- tant, les experts de l’AIE estiment qu’il suf- firait de multiplier par 5,3 les programmes afférents (2) et de consacrer, d’ici 2030, 48 Mds$/an à la pauvreté énergétique pour garantir à cet horizon un accès uni- versel à l’énergie de tous les habitants de la planète. Soit un effort annuel mondial équivalent à l’achat de 128Airbus A380! Si l’on revient dans l’espace européen, dans un contexte de récession larvée de notre éco- nomie, la question de la vulnérabilité énergé- tique des consommateurs s’impose désor- mais comme une priorité, non seulement pour les États, mais aussi pour l’Union elle- même. La Commission européenne estimait l’an dernier que 65 M d’Européens étaient confrontés à cette précarité énergétique, qui frappe donc – au bas mot – un Européen sur huit. La difficulté majeure réside cependant dans l’hétérogénéité des définitions utilisées par les différents pays, et dans la grande confusion concernant l’usage des termes « précarité énergétique » et « pauvreté éner- gétique ». La « précarité énergétique » implique une dimension d’incertitude et de vulnérabilité pouvant entraîner, en fonction des circonstances, tel ou tel foyer dans une situation fragilisée, tandis que la « pauvreté L’énErgIE accEssIbLE pour tous, un DéFI moDErnE par michel DErDEvEt Maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Paris (*) Les notions de « pauvreté énergétique » et de « précarité énergétique » ont fait irruption dans le débat public européen et mondial. Cette question de la vulnérabilité énergétique des consommateurs s’impose désormais comme une priorité, non seulement aux États, mais aussi à l’Union européenne. Cet article présente ce concept qui regroupe des notions différentes selon les États et constate que si les causes sont diverses, les conséquences sont identiques. Après l’examen de la situation actuelle en France, l’auteur propose des pistes de réflexion pour lutter contre cette situation et arrive à la conclusion qu’un « plan Marshall » autour de la solidarité européenne permettrait à la fois d’améliorer cette situation et de renforcer le projet européen. (*) Auteur notamment de Les réseaux électriques au cœur de la civilisation industrielle, Timée, 2007, avec Christophe BouneAu et Jacques PerCeBois et L’Europe en panne d’énergie, Descartes, 2009. (1) Aie – World energy outlook 2011. (2) L’accès à l’énergie mobilise aujourd’hui 9,1 Mds $ dans le monde, essentiellement issus des organisations multilatérales (34%) et des aides bilatérales au développement (31%).

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Article de Michel Derdevet, maître de conférences à l'IEP Paris, sur l'accès à l'énergie, alors que les notions de pauvreté énergétique, précarité énergétique, sont désormais des notions du débat énergétique européen et mondial

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Revue de l’Énergie, n° 604, novembre-décembre 2011 1

Depuis le milieu de la décennie pas-sée, les notions de « pauvreté éner-gétique » et de « précarité énergé-

tique » ont fait irruption dans le débatpublic européen, le « vieux continent »constatant alors, avec surprise, son incapa-cité à assurer le welfare énergétique mini-mum de tous ses citoyens. Mais ce sujetdépasse largement l’horizon des 27. À cejour, 1,3 Md d’habitants de la planète n’onttoujours pas accès à l’électricité, et 2,4Mdsvivent sans condition de cuisson des ali-ments propre (1). À l’aube d’une année2012 placée par l’ONU sous le sceau« Substainable energy for all », les inégali-tés sont là : 20 M d’habitants de l’État deNew York consomment annuellementl’équivalent énergétique de 800 M d’habi-tants de l’Afrique sub-saharienne! Et pour-tant, les experts de l’AIE estiment qu’il suf-firait de multiplier par 5,3 les programmesafférents (2) et de consacrer, d’ici 2030,

48 Mds$/an à la pauvreté énergétiquepour garantir à cet horizon un accès uni-versel à l’énergie de tous les habitants de laplanète. Soit un effort annuel mondialéquivalent à l’achat de 128Airbus A380!

Si l’on revient dans l’espace européen, dansun contexte de récession larvée de notre éco-nomie, la question de la vulnérabilité énergé-tique des consommateurs s’impose désor-mais comme une priorité, non seulementpour les États, mais aussi pour l’Union elle-même. La Commission européenne estimaitl’an dernier que 65 M d’Européens étaientconfrontés à cette précarité énergétique, quifrappe donc – au bas mot – un Européen surhuit. La difficulté majeure réside cependantdans l’hétérogénéité des définitions utiliséespar les différents pays, et dans la grandeconfusion concernant l’usage des termes« précarité énergétique » et « pauvreté éner-gétique ». La « précarité énergétique »implique une dimension d’incertitude et devulnérabilité pouvant entraîner, en fonctiondes circonstances, tel ou tel foyer dans unesituation fragilisée, tandis que la « pauvreté

L’énergie accessibLe pour tous,un défi moderne

par michel derdevetMaître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Paris (*)

Les notions de « pauvreté énergétique » et de « précarité énergétique » ont faitirruption dans le débat public européen et mondial. Cette question de la vulnérabilitéénergétique des consommateurs s’impose désormais comme une priorité, non seulement

aux États, mais aussi à l’Union européenne. Cet article présente ce concept quiregroupe des notions différentes selon les États et constate que si les causes sont diverses,

les conséquences sont identiques. Après l’examen de la situation actuelle en France,l’auteur propose des pistes de réflexion pour lutter contre cette situation et arrive à la

conclusion qu’un « plan Marshall » autour de la solidarité européenne permettrait à lafois d’améliorer cette situation et de renforcer le projet européen.

(*) Auteur notamment de Les réseaux électriques au cœurde la civilisation industrielle, Timée, 2007, avec ChristopheBouneAu et Jacques PerCeBois et L’Europe en panned’énergie, Descartes, 2009.

(1) Aie – World energy outlook 2011.

(2) L’accès à l’énergie mobilise aujourd’hui 9,1 Mds $ dans lemonde, essentiellement issus des organisations multilatérales(34%) et des aides bilatérales au développement (31%).

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énergétique » se traduit, elle, par un manquede ressource avéré par rapport à un seuildéfini. Les deux termes sont à l’évidence uti-lisés d’une façon trop indifférenciée et méri-teraient un travail conceptuel plus appro-fondi. La précarité énergétique évoque unesituation temporaire, face à laquelle on s’enremet à Dieu (3). La pauvreté énergétiquerenvoie, elle, à la condition sociale et faitintervenir des facteurs exogènes (évolutiondes prix, conjoncture économique) et desfacteurs endogènes (choix de vie, de localisa-tion, de logement, vieillissement, évolutiondes revenus).

i. — La « pauvreté/précaritéénergétique »,

un concepteuropéen diffus

Si tous les pays européens ont engagé cesdernières années des programmes de luttecontre la pauvreté/précarité énergétique,force est de constater qu’ils mettent derrièreces notions des contenus différents.

Les Anglais, souvent caricaturés pour leur« libéralisme », ont paradoxalement été lespremiers à réfléchir sur cette fuel poverty. LeLabour en fit, début 2000, l’un des objectifsmajeurs de sa politique sociale visant, à l’ho-rizon 2018, la disparition totale de la fuelpoverty dans tous les pays du Royaume-Uni.Cette notion est définie chez eux, demanière « objective », comme la situationd’un foyer qui doit dépenser plus de 10%de ses revenus pour maintenir un niveausatisfaisant de chaleur dans son logement(21° C dans la pièce principale et 18° dansles autres pièces occupées). Pour ce faire,trois données sont agrégées : le revenu dufoyer (full income + basic income), le prix del’énergie (calculé par prix moyen par région,sur la base de quatre usages – chauffage,ECS, éclairage et appareils électroménagers,cuisson – et de plusieurs fuel mix) et laconsommation d’énergie. Cette définition

limite certes le diagnostic de la pauvreté auseul chauffage, excluant ainsi d’autresbesoins essentiels tels que la cuisson ou l’eauchaude, mais au moins, c’est un début d’ap-proche générale, dont l’Europe pourraits’inspirer.

Autre pays européen ayant lui aussi essayéde mieux cerner cette notion, la Belgique,qui, dès 2007, a défini au niveau fédéral le« client protégé », pouvant bénéficier destarifs sociaux d’électricité et de gaz, commecelui recevant déjà des aides sociales prédé-finies ou des allocations via des organismessociaux reconnus. Ce statut de « client pro-tégé », qui peut être élargi au niveau régio-nal (4), permet de bénéficier de dispositifsparticuliers gratuits (compteur à budget,fourniture garantie en gaz et électricité du1er novembre au 15 mars,…).

En 2008, L’Italie et l’Espagne adoptaientelles aussi, au plan national, des dispositifsassez similaires de bonus elettrico ou de bonosocial. En Italie, sont concernés plus de 5 Mde foyers pour l’électricité et 3,5 pour legaz; l’Espagne, elle, estimait l’an dernier lesbénéficiaires potentiels du bono social à 5 Md’Espagnols. Dans les deux cas, le tarifsocial n’est valable que pour la résidenceprincipale, pour une puissance souscriteinférieure à 3kW, et n’est déclenché qu’endeçà de minima de revenus (7500 €/an enItalie) et/ou de situations spécifiques(retraites minimales, chômage, …) ; et cetarif est progressif selon le nombre de per-sonnes dans le foyer. Par contre, le finance-ment de cette tarification sociale diffèreentre les deux pays ; en Espagne, ce sont lesproducteurs qui financent le bono social,pour un montant annuel estimé entre 0,45et 1 Md d’€ ; le bono elettrico italien est, lui,financé via la tarification par tous lesconsommateurs finals, à l’image de lacontribution au service public de l’électri-cité (CSPE) française.

Pour terminer ce rapide panorama européenpar l’Allemagne, force est de constater l’ab-sence de définition précise de la Brennstoff-

Armut dans ce pays. Il n’y a pas en Allemagnede tarif social fédéral, la structuration du sec-teur autour de 900Stadtwerke (5) faisantd’elles les principales opératrices des poli-tiques sociales de lutte contre la pauvretéénergétique. Ainsi n’existent outre-Rhin quedes tarifs sociaux locaux, à l’initiative desLänder (6), portés par les entreprises énergé-tiques locales ou régionales.

Enfin, en France, un groupe de travail sur laprécarité énergétique fut mis en place dans lecadre du Plan bâtiment du Grenelle de l’en-vironnement et un rapport sur le sujet a étéremis en janvier 2010. Suite à cettedémarche, notre pays a défini la précaritéénergétique dans la loi du 12 juillet 2010portant engagement national pour l’environ-nement de la manière suivante: Est en situa-tion de précarité énergétique une personne quiéprouve dans son logement des difficultés parti-culières à disposer de la fourniture d’énergienécessaire à la satisfaction de ses besoins élémen-taires en raison de l’inadaptation de ses res-sources ou conditions d’habitat (7). Les collec-tivités locales sont invitées, dans le cadre duprogramme « habiter mieux » piloté parl’ANAH, à identifier les propriétaires occu-pants à revenus modestes pour leur proposerdes aides en vue d’améliorer l’isolation ther-mique de leur résidence.

C’est un premier pas, qui va dans le bonsens, de même que le lancement, toujoursen 2010, d’un « engagement nationalcontre la précarité énergétique » et la miseen place, en 2011, d’un « Observatoirenational de la précarité énergétique » quitravaille en partenariat avec l’ensemble des

(3) en latin, precarius signifie « obtenu par prière ».

(4) Ce qui est le cas en Wallonie.

(5) Compagnies municipales.

(6) régions.

(7) Loi « Grenelle 2 », article 11, alinéa 4.

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entités concernées (administrations, entre-prises, ONG) et devrait permettre à la foisun recensement exhaustif des dispositifs delutte déjà existants, une qualification plusprécise de la précarité énergétique par croi-sement des sources de données existantes etune vision plus étendue de cette notionintégrant les transports et la mobilité. Iln’empêche que, comme beaucoup d’autresgrands pays européens, nous donnons lesentiment de découvrir, sur l’obstacle, cettequestion structurelle, bercés que noussommes – encore – par le mythe de « l’éner-gie la moins chère du monde » …

ii. — des causes muLtipLes,aux conséquences

identiques

La précarité énergétique est souvent issue,partout en Europe, d’un cercle vicieux, issud’un cumul des handicaps: peu de res-sources, reléguant les locataires dans des« passoires » thermiques, ne permettant pasde faire face à l’envolée des prix de l’énergie.

Au final, un constat, terrible, s’impose: lapauvreté énergétique est un facteur dedégradation de la santé des personnes qui lasubissent. Les différentes études médicalesont montré sa très forte corrélation avecl’apparition de syndromes touchant princi-palement les enfants et les personnes âgées.L’Organisation mondiale de la Santé estimeà 1,5 M les décès dus annuellement aumanque d’énergie propre et aux fumées decombustion dans la cuisson des aliments.Même au Royaume-Uni, au pays de laCity (!), on estime que la surmortalité hiver-nale causée par les mauvaises conditions dechauffage des logements oscille entre25000 et 40000 décès supplémentaires ! Lefroid constant et l’humidité des logementsfavorisent en effet la multiplication depathologies respiratoires (bronchite,asthme, …), souvent mortelles. Les méde-cins estiment, généralement, qu’il y a risque

d’infections respiratoires en dessous de 16 °,danger cardiovasculaire en dessous de 12° etrisque d’hypothermie au-delà de deuxheures en dessous de 6°.

La faiblesse des ressources financières estbien sûr le premier facteur de paupérisation,car l’énergie reste pour les plus démunis unposte de dépense incompressible, répon-dant à des besoins essentiels, de plus en plusdifficile à couvrir si l’on est en deçà desminima sociaux, si l’on est au chômage ou àtemps partiel et si l’on est surendetté. Enpleine crise des dettes souveraines, l’Europecomprend déjà de nombreux « pauvres »,définis comme étant en dessous du seuil de60% du revenu médian, c’est-à-dire parexemple disposant en France d’un revenuinférieur à 7740 €/an/personne. L’Italie etl’Espagne comptent ainsi 19% de leurpopulation dans cette situation, contre 18%en Grande-Bretagne et 12% en France.

Il faut ajouter à ce phénomène la hausse dis-continue des loyers (+ 6,2%/an en moyenneen France depuis 20 ans; 100% de 2000 àaujourd’hui en Italie ;…) qui pousse leslocataires vers des logements moins chers,pas ou peu isolés, fortement « énergéti-vores ». Comme la Commission euro-péenne l’observe justement (8), les régle-mentations thermiques datent toutes enEurope, pour l’essentiel, d’il y a vingt outrente ans ; les logements disponibles, sur-tout dans les parcs sociaux, sont donc forte-ment consommateurs d’énergie. 19 M delogements, plus de 60% du parc français,datent ainsi d’avant 1974 et sont caractéri-sés par une isolation défectueuse et des sys-tèmes de chauffage inadaptés.

Enfin, ces dernières années, on a pu obser-ver dans beaucoup de pays, dont la France,un recul des grandes politiques publiques demaîtrise de la demande qui furent pourtant,au lendemain du premier choc pétrolier, lesmeilleurs véhicules d’une sensibilisation del’opinion au « moins consommer ». Lagrande période des années 70 de la « chasseau gaspi », des campagnes de communica-

tion vers le grand public visant à inciter lesFrançais à diminuer leur consommationénergétique, semble lointaine. En 40 ans, laconsommation d’énergie primaire françaisea augmenté de 70%, pour atteindre aujour-d’hui 259 Mtep; elle est composée aujour-d’hui pour l’essentiel d’électricité (40%) etde pétrole (30%). La réussite du pro-gramme nucléaire, déclinée à la fois sur lethème de l’indépendance nationale retrou-vée, de la faiblesse comparée des prix finalset du développement du chauffage élec-trique individuel, a placé au second rang lecoût réel de la facture énergétique (9) et laquestion de l’exclusion des plus modestes.Tout se passe comme si l’engagement col-lectif d’un pays autour d’un message simplede sobriété avait été « gommé » par d’autresenjeux. Et notamment, depuis 2007, celuide « mieux consommer », en limitant lesémissions de CO2 à l’échelle d’un conti-nent, l’Europe, puis du Monde. L’opinionest pourtant prête à se mobiliser autour dessujets liés à la maîtrise/réduction de laconsommation énergétique, via notam-ment des actions symboliques : « uneminute – ou une heure – de répit pour laPlanète », initiative heureuse de l’ONGWWF; mais dans le même temps, laconsommation électrique individuelle aug-mente toujours, d’année en année, du faitdes usages multiples et développés de l’élec-tricité … créant ainsi une fracture et unedépendance supplémentaires !

Les progrès réalisés en matière d’efficacitéénergétique sont patents. Mais les nouvellestechnologies ne sont pas, mécaniquement,génératrices de moindre consommation carelles induisent – souvent – une augmenta-

(8) ePee Project – eie/06/158/s12.447367 – programmeintelligent energy.

(9) La facture énergétique de la France s’est élevée en 2010 à46,2 Mds€ , soit 2,4% du PiB ou l’équivalent du déficit du com-merce extérieur ; elle comprenait 35,6 Mds€ d’achats de pro-duits pétroliers et 9,4 Mds€ de gaz.

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tion des usages. Cette apparente contradic-tion avait déjà été notée, il y a 150 ans, parWilliam Stanley Jevons qui observait dansl’Angleterre du XIXème siècle, que laconsommation de charbon augmentaitrapidement depuis/malgré les améliorationsde la machine à vapeur introduites parJames Watts. L’augmentation de l’efficacitéénergétique réduit relativement le coût del’utilisation de l’énergie ; mais elle induitégalement de la croissance économiquedont le contenu énergétique reste fort, sur-tout en l’absence de politique de maîtrise dela demande.

À la croisée de ces différentes tensions, leCambridge Energy Research Associates(IHS-CERA) prévoyait l’an dernier, auniveau européen, que les prix de gros del’électricité pourraient augmenter de 56%entre 2010 et 2030 (10), prévision anté-rieure à Fukushima qui en fait donc unehypothèse basse. L’accident japonais et ladécision allemande de sortir du nucléairevont révéler des sources supplémentaires dehausse des coûts et des prix de l’électricité,qu’il s’agisse de coûts de prolongation ou dedémantèlement des centrales existantes, destockage des déchets, ou d’investissementsdans les nouvelles filières renouvelables. Le« momentum » énergétique européenimpactera donc, à l’évidence, à la hausse lesmarchés de gros de l’électricité, marchésauxquels la France est liée par le jeu des cou-plages de marchés (entre la France, leBenelux et l’Allemagne). Ainsi, de nom-breux facteurs vont se conjuguer, demain,pour placer le prix de l’électricité sur unetendance haussière, hausse qui sera d’autantplus forte en France que les tarifs sont enretard par rapport à la réalité économique.Aujourd’hui, le tarif français est de36€/MWh (part de l’énergie en base) ;mais il ignore les coûts de développement àlong terme qui seront d’au moins 70€pour le nucléaire, 90 à 100€ pour descycles combinés au gaz et de 100 à 150€pour les énergies renouvelables. La hausseinéluctable qui arrivera, un jour, élargira

encore le fossé entre les démunis et les bien-munis énergétiques !

iii. — La situation en france

Notre pays n’est pas à l’écart, loin s’en faut,du phénomène décrit ici. 8,1 M de Françaissont en dessous du seuil de pauvreté ; 6,5 Mhabitent dans des « logements passoires » etont souffert du froid l’hiver 2010/2011;2 M sont éligibles aux tarifs de premièrenécessité (TPN) et aux tarifs sociaux. Lafacture énergétique représente, enmoyenne, un peu plus de 8% du budget desménages, avec une répartition entre lesdépenses concernant le logement (4,6%) etcelles concernant le transport individuel(3,6%). Ces chiffres placent l’énergie aumême niveau que les dépenses de loisir et deculture ou encore que celles de l’habille-ment. Et cette charge pourrait augmenteraprès les élections présidentielles, du fait desretards accumulés concernant les prix dugaz et de l’électricité.

En fait, derrière cette moyenne de 8%, sedissimulent de profondes inégalités. Lesménages les plus pauvres consacrent envi-ron 15% de leur budget à l’énergie contre6% pour les plus aisés ; et ces ménagespauvres et modestes, qui représentent unménage sur six, dépensent la moitié (47%précisément) de leurs revenus pour lesdépenses liées à leur logement.

Un ménage français dépense en moyenne2500 € par an pour s’éclairer, se chauffer,faire fonctionner les appareils électro-ména-gers, se déplacer. Ces achats d’énergie per-mettent de satisfaire des besoins essentiels :éclairage, chauffage, cuisson, besoins d’élec-tricité spécifiques, de force motrice, de mobi-lité. Entre 1979 et aujourd’hui, le poids deces dépenses « contraintes » (logement, eau,électricité, assurances, …) dans le budget desménages pauvres a bondi de 24 à 48% ! Pourles hauts revenus, ces dépenses « contraintes »

ne sont passées – sur la même période – quede 20 à 27% (11).

Les inégalités de situations se sont doncaggravées entre les ménages modestes et lesménages riches, entre la ville et la cam-pagne, entre centre-ville et banlieues maldesservies, entre les jeunes et les personnesâgées, en fonction du type d’habitat.L’Ademe a bien relevé ces inégalités : la fac-ture énergétique d’un Parisien est inférieure de44% à celle d’un habitant d’une communerurale ou encore la part des achats de com-bustibles fossiles dans le revenu des ménagespeut être multipliée par six entre un riche cita-din et un rural pauvre (12).

Plus de 15% des ménages français, soit 4 Mde ménages, sont donc considérés aujour-d’hui comme étant en situation de précaritéénergétique; ils sont obligés de consacrer aumoins 10% de leurs revenus à l’achatd’énergie pour leur logement, afin de sechauffer correctement. Comme indiquéprécédemment, ce phénomène résulte de lacombinaison de trois facteurs principaux: lavulnérabilité des foyers à faibles revenus, lamauvaise qualité thermique des logementsoccupés et le coût croissant de l’énergie.Conjugués, ces éléments forment une spi-rale descendante : impayés, endettementprogressif, coupures d’énergie, puis restric-tion et privation de chauffage.

Dans le système français, des tarifs sociauxet des aides diverses existent, dans le cadrenotamment du service public de l’électricitéet du gaz, mais leur fonctionnement actuelamène à s’interroger sur leur performance etleur pertinence. Toutes ces aides sont trèscomplexes, peu connues et peu sollicitées

(10) IHS-CERA, Electricity Poverty : A New Challenge forSuppliers and Policy Makers, par Andrew ConWAy et Fabienroques, 2010.

(11) enquête Credoc, à partir de Maubeuge et ruiz (2008) &des enquêtes Budget de l’insee.

(12) Ademe « Le poids des dépenses énergétiques dans le bud-get des ménages en France », Ademe & Vous, avril 2008.

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par leurs bénéficiaires potentiels. Comments’y retrouver, il est vrai, dans le « maquis »administratif d’aides telles que les fonds desolidarité pour le logement, le fonds d’aideà la rénovation thermique, le tarif de pre-mière nécessité électrique, le tarif spécial desolidarité pour le gaz,… ? Tout cela res-semble à une addition de mesures ponc-tuelles, sans que le cadre général, lisible partous, ait été pensé et surtout expliqué à nosconcitoyens.

Conséquence: beaucoup de bénéficiairespotentiels sont éliminés de facto. Ainsi, lespersonnes susceptibles de bénéficier du tarifélectrique première nécessité (TPN), carrecevant la couverture maladie universellecomplémentaire (CMU – C), sont estiméesà deux millions de foyers, mais dans les faits,le médiateur de l’énergie a constaté queseules 650000 ont bénéficié en 2010 decette réduction moyenne de 95 €/an surleur facture d’électricité, en recul par rap-port aux 940000 bénéficiaires de 2009.Même constat pour le tarif spécial de soli-darité (TSS) qui donne droit à des réduc-tions sur les factures de gaz: 300000 foyersen ont bénéficié en 2010, alors que lenombre d’ayants droit est évalué à plus de800000 par les opérateurs.

Il y a donc un grand effort d’harmonisation,de simplification et d’information à faire surces dispositifs d’aide. Quelques exemples,parmi d’autres : le tarif social en gaz (TSS) estproposé par tous les fournisseurs (EDF,GDF/Suez,…) alors que le TPN, lui, relèveuniquement d’EDF; la réduction sur la fac-ture apportée par ce dernier tarif porte sur les100 premiers kilowattheures par mois, etcouvre ainsi les besoins de base (éclairage,réfrigérateur,…), mais les dépenses de chauf-fage, qui dépassent toujours ce plafond, nebénéficient pas de ces mesures (13) ! Il fautdonc, à l’évidence, revoir de fond en combleles modalités mêmes de toutes ces aides et lesplacer peut-être sous un pilotage unique,public, déconnecté des opérateurs. Certainsavancent en ce sens l’idée d’un fonds natio-nal de solidarité pour l’accès à l’énergie,

financé par une contribution prélevée surtoutes les ventes d’énergie, qui pourrait êtreplacé sous la responsabilité de la Caisse desdépôts et consignations.

Plus globalement, en pleine crise desfinances publiques, notre pays doit s’interro-ger sur l’importance de la solidarité qu’ilsouhaite consacrer à ce sujet politiquemajeur. Lors de l’adoption de la loi du10 février 2000 organisant le secteur élec-trique, les missions de service public furentdéfinies globalement, et une contributionspécifique pour les couvrir fut inventée, por-tée par l’opérateur historique, la contribu-tion au service public de l’électricité (CSPE).Cette CSPE agrège différents objectifs et estrépartie sur la facture de tous les consomma-teurs. Force est de constater que la partconsacrée à la pauvreté énergétique y estdevenue, aujourd’hui, résiduelle. En 2011, àl’intérieur de la CSPE, les charges prévuespour le social (TPN, TSS, …) ne s’élèverontqu’à 46,4 M€ (1,4% !) contre 2,414(74,9%) pour les obligations d’achat (quisoutiennent les énergies renouvelables, lacogénération,…) et 766 M€ (23,7%) autitre de la péréquation tarifaire (DOM &Corse). 1,4% alors que cette même CSPEpayée par tous les consommateurs augmentepour 2011 de 66% en rythme annuel, celarelève plus du symbolique que de la prioritépolitique nationale ! On est loin du débatparlementaire du printemps 46, préalable àl’adoption de la loi de nationalisation du8 avril, au cours duquel un groupe parle-mentaire avait plaidé pour la gratuité del’électricité, au même titre que l’eau, consi-dérés comme des biens essentiels.

iv. — Les grands chantiersde demain

À l’avenir, pour lutter contre la précaritéénergétique, on pourrait envisager de com-biner à la fois des actions à vocation sociale,par l’adoption d’un grand plan de solidariténational garantissant un accès de tous à

l’énergie, un volet bâti avec un programmede rénovation thermique d’ampleur, etenfin une refonte complète de la tarificationénergétique, afin que celle-ci soit demain àla fois plus écologique et solidaire.

Sur le premier point, beaucoup d’associa-tions (14) et de responsables politiques ontévoqué ces derniers mois la mise en placed’un « bouclier énergétique » global (15),qui se matérialiserait par un chèque énergie,valable pour toutes les énergies (électricité,gaz, chauffage urbain, carburants,…). LaFondation Terra Nova estime à 5 M lenombre de ménages qui pourraient bénéfi-cier de ce véritable dispositif global de soli-darité et de cohésion sociale, qui seraitfinancé via une transformation de l’actuelleCSPE en une taxe-chapeau générale, bapti-sée « Contribution au service public del’énergie » (16). Le chèque énergie pourraitintervenir en « curatif », pour aider au règle-ment des factures d’électricité ou de gaz ouà l’achat de carburants en l’absence de trans-port collectif, ou en « préventif » en encou-rageant le choix d’équipements plus éco-nomes en énergie. Par une approche multi-énergies, il toucherait le plus grand nombre,et inclurait des domaines inexistants à cejour (aides au transport) ou disparus pré-maturément (prime à la cuve en 2008). Cedispositif se substituerait aux nombreux dis-positifs sociaux évoqués précédemment, etfaciliterait la prise en charge des bénéfi-ciaires par les associations caritatives et les

(13) 95 €/an, en moyenne, d’aide au titre du TPn, c’est à peine10% de la facture d’un foyer équipé d’un chauffage électrique.or, en France, l’utilisation répandue du chauffage électrique faitque chaque fois que la température baisse d’un degré celsius,nous consommons 2 300 Mégawatts en plus. soit l’équivalentde deux fois la consommation de la Ville de Marseille.

(14) Fondation Abbé Pierre, …

(15) Cf. « Plaidoyer pour un bouclier énergétique européen »,cosigné par l’auteur avec Fabien roques, in La Tribune,1er février 2011.

(16) Maîtriser l’énergie, un projet énergétique pour unesociété responsable et innovante, Terra nova, juillet 2011.

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collectivités locales. Il faudra simplement,dans la mise en œuvre de ce dispositif,veiller à ne pas créer une catégorie spéci-fique, figée, de personnes assistées, disquali-fiées définitivement au plan social. Le« bouclier énergétique » devra, en ce sens,répondre plus à une logique de besoins quede statut. La solidarité doit éviter la stigma-tisation, l’intériorisation de la pauvreté, etrenforcer au contraire l’envie de se battre !

Concernant le logement, il faudrait renfor-cer le programme « Habiter mieux », encou-rager la réhabilitation du parc privé, y com-pris locatif, reprendre l’effort en matièred’éco-prêt à taux zéro (PTZ) et de logementsocial. Certains évoquent par ailleurs lalimitation, par étapes, de la possibilité delocation des logements non performants auplan thermique, ce qui contraindrait lesbailleurs à réaliser des travaux d’isolation.Parmi les orientations actuelles, il faut sou-ligner les actions entreprises dans le cadredu Plan européen pour la Relance écono-mique dont l’une des mesures concernel’amélioration de l’efficacité énergétiquedans les bâtiments. Le FEDER mène unprogramme d’envergure dans ce cadre. Au31 mars 2011, 50000 ménages à revenumodeste ont bénéficié d’un soutien pour larénovation thermique du logement. Labaisse des dépenses de chauffage pour lesménages bénéficiaires est estimée de l’ordrede 40%. Ce résultat montre que la luttecontre la précarité constitue une opportu-nité majeure d’amélioration de l’efficacitéénergétique et de réduction des émissionsde gaz à effet de serre. Dans ce sens, notrepays pourrait s’inspirer du Green Deal quiest en train d’être développé au Royaume-Uni : la rénovation thermique des loge-ments y est encouragée par un système pay-as-you-save ; le coût des mesures d’efficacitéénergétique est remboursé via l’énergie nonconsommée.

La réflexion pourrait aussi porter sur la tarifi-cation énergétique, afin de la rendre plusjuste et équitable. Le mouvement ATDQuart Monde demande ainsi que soient mis

en place des systèmes de tarification progres-sive permettant ainsi de limiter les coûts fixespour les ménages aux revenus modestes et dedistinguer la consommation de base et laconsommation supplémentaire (17). En lamatière, il y a un vrai paradoxe: les premierskilowattheures consommés le sont auxheures de pointe, ce qui en fait au plan éco-nomique les plus coûteux; ils devraientdonc être vendus à un prix élevé. Or, onvoit bien que les préoccupations socialesincitent plus à une tarification progressive,avec une première tranche peu coûteuse,puis une augmentation progressive des prix.Cette tarification progressive serait plus éco-logique, et pourrait intégrer le prix del’abonnement dans le coût unitaire de l’élec-tricité et du gaz, dont le niveau serait fixéselon la puissance souscrite (18). La factureserait progressive dès le premier kWhconsommé, et les tarifs évolueraient enfonction d’objectifs environnementaux etde sécurité du système électrique. Ce dispo-sitif pourrait ainsi inciter les Français à déca-ler/effacer leur consommation aux périodesles plus sensibles. Quelle que soit la formuleretenue, l’outil tarifaire devra être repenséavec précaution, en se rappelant, parexemple, que la tarification à tranche béné-ficie à tous les consommateurs (y comprisles moins nécessiteux) alors que la tarifica-tion progressive, considérée comme plusjuste, risque in fine de pénaliser ceux quiconsomment beaucoup du fait d’une isola-tion défectueuse de leur foyer (19). Unechose est sûre : les tarifs de demain devrontà la fois couvrir les coûts réels (prolonga-tion, sécurisation et démantèlement dunucléaire,…) et les priorités politiques(développement des renouvelables, efface-ments de consommation, précarité énergé-tique,…).

Ces différents chantiers passent par uneimplication plus grande des collectivitéslocales. Dans le cadre de la loi du 12 juillet2010, dite Grenelle II, et de son pro-gramme « Habiter mieux », elles sont déjàen charge d’identifier les propriétaires occu-

pants à revenus modestes pour leur propo-ser des aides afin qu’ils améliorent le confortthermique de leurs maisons individuelles. Siun système de gestion efficace et uniquevoit le jour (cf. idée de « chèque énergie »),elles auront, via les CAF et les MSA, un rôlecentral à jouer, pour s’assurer notammentque les bénéficiaires sont bien ciblés et quel’effort de la collectivité arrive aux bonsendroits. Tout dispositif de soutien oud’aide ne fonctionne en effet que si, en per-manence, il est observable et vérifiable ;l’Italie, de ce point de vue, fut le contre-exemple « parfait » puisque, jusqu’au débutdes années 2000, près de 22 M d’Italiensbénéficiaient de tarifs sociaux du fait d’unmauvais « ciblage »...

Enfin, la dernière dimension, incontour-nable, de la question de la précarité énergé-tique est la dimension européenne. Unconsensus politique apparaît aujourd’hui,au sein des 27, pour s’attaquer à ce phéno-mène, qui ne peut que s’aggraver du fait desaugmentations attendues des prix de l’éner-gie. 81% d’Européens souhaitent que lalutte contre la précarité énergétique soit ins-crite parmi les priorités de l’Union (20).Mais chaque pays continue à raisonner enterme national, à l’abri de ses frontières. Cesujet pourrait être inscrit, prioritairement,parmi ceux traités au niveau européen, carl’Europe, ce n’est pas qu’un marché, c’estaussi un espace solidaire, qui doit répondreaux attentes et aux préoccupations de seshabitants par des politiques communes.

(17) ATD quart Monde, Pacte de la solidarité et de l’écologie,26 janvier 2010.

(18) Le nouveau compteur Linky prévoit d’ores et déjà une tari-fication plus fine selon la puissance souscrite, avec un pas de1 kVA contre un pas actuel de 3 à 6 kVA.

(19) Cf. notamment les propositions de Terra nova (rapportprécité – pp. 122 à 124) de mise en place d’une « tarificationau coût de développement », intégrant les tendances structu-relles de la période (renchérissement de l’énergie, lutte contrele changement climatique).

(20) enquête Parlement européen 2011.

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Mais, paradoxe, l’Europe, au titre des ser-vices d’intérêt économique généraux(SIEG) n’exige que la fourniture ininter-rompue d’électricité sur l’intégralité du ter-ritoire concédé, et les tarifs sociaux relèventclairement, jusqu’ici, de choix et pratiquesnationaux.

Face à cette très grande disparité d’ap-proche, il est important que l’Europe se sai-sisse de ce sujet et remette lescitoyens/consommateurs au cœur du jeu.Plusieurs axes de travail existent, débattusnotamment ces derniers mois au Parlementeuropéen, à l’initiative de la députée britan-nique Eluned Morgan qui fit de ce sujet son« cheval de bataille » lors de la discussion du3ème paquet Énergie. Plus d’informations etde transparence sur les factures énergé-tiques, afin de permettre aux consomma-teurs de s’orienter vers les fournisseurs lesmoins chers ; la mise en œuvre de technolo-gies innovantes autour des « compteursintelligents ». Est aussi évoquée, opportuné-ment, la mise en place d’un « bouclier éner-gétique européen », afin de garantir à tousles foyers en situation de pauvreté énergé-tique un accès minimum à l’énergie pour lesusages essentiels.

L’Europe doit surtout rechercher uneapproche commune de la précarité énergé-tique, qui pourrait être définie commeaffectant les foyers européens ne disposant

pas d’un revenu suffisant pour acheterl’énergie nécessaire aux usages essentiels.Cela obligerait à distinguer les usages essen-tiels de l’énergie tels que la cuisson, l’éclai-rage, le chauffage, ou certains types detransports, des usages dits de confort ou deloisir tels que les voyages ou les équipementsélectroniques. Il faudrait ensuite réfléchir aufaisceau de mesures permettant de garantirpour tous les foyers un accès à l’énergie pources usages essentiels. Deux axes de travailnous semblent importants : la réflexion surles tarifs sociaux, jusqu’ici nationaux, dou-blée de la mise en place d’un « bouclierénergétique européen », ainsi que demesures structurantes permettant de traiterle problème à la source en améliorant parexemple l’isolation des logements, celarejoignant bien sûr toutes les actions enga-gées au titre de l’efficacité énergétique et duprojet de nouvelle directive actuellement endiscussion.

Dans une période où l’Europe est traverséepar la crise et le doute, on pourrait aussiesquisser un pacte européen fixant desobjectifs nationaux de recul de la pauvretéénergétique (21), comme il y a aujourd’huiun pacte de stabilité et de croissance, avecdes objectifs de réduction des déficitspublics. Aux yeux de tous, un tel pacteconsacrerait la dimension stratégique etvitale de l’énergie (accessibilité, tarifs et prix

abordables, régularité, fiabilité,…), et incar-nerait une Union à l’écoute des siens, trai-tant de sujets proches des citoyens.

L’Europe pourrait s’inspirer, utilement, de lavolonté politique affichée ces derniers moispar le Président Obama; malgré la crise quiaffecte les États-Unis, les aides aux plusdémunis énergétiques ont été multipliéespar 20 ces deux dernières années : de230M$ en 2009 à 5 M$ en 2010 (22) !

À l’évidence, une telle initiative euro-péenne, un « plan Marshall » autour de lasolidarité énergétique, concourrait à uneplus forte harmonisation sociale, souhai-table pour renforcer et redonner du sens auprojet européen. En pleine crise écono-mique et financière, la réduction de la« fracture énergétique » pourrait constituer,demain, un vrai chantier commun et unsignal fort envoyé par les décideurs vers lespeuples européens �

(21) « Pour un service public de l’énergie en europe », point devue de l’auteur et de Pervenche Berès, présidente de la com-mission de l’emploi et des Affaires sociales du Parlement euro-péen, Les Échos, 15.09.2010.

(22) Le seul Low Income Energy Assistance Program aporté sur 4,71 Mds $ en 2010, avec des aides pouvantatteindre 1500 $ par ménage – in « Précarité énergétique –des instruments d’intervention contrastés » Aurélie Goin etHannah sCHWinD (École polytechnique) – références éco-nomiques pour le développement durable n° 20 – 2011 –Conseil économique pour le développement durable.