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Les accidents graves li6s aux m6tabisulfites Y. MARIA*, P. VAILLANT*, N. DELORME**, D.A. MONERET-VAUTRIN* R]~SUMl~ SUMMARY Le risque d'intol~raoee aux m~tabisulfites est estim~ ~t 8 p. 100 dans l'asthme extrins~que et h 20 p. 100 dans la triade ~< poly- pose naso-sinusienne, asthme, intolerance ~traspirine >~.La pos- sibilit~ de choc anaphylacto'ide et d'~tat de real asthmatique suraigu dolt ~tre parfaitement connue. Deux observations d'asth- matiques soot rapport~es. Le premier cas est celui d'une femme de 35 ans, porteuse d'un asthme intrins~que avec intolerance aux aicools, ayant pr~sent~ un ~tat de mal asthmatique suraigu dans les minutes qai suivent rinjection intraveineuse d'uue cycline asso- cite aux m~tabisulfites. L'autre patiente, fig~e de 33 ans, est por- teuse d'un asthme allergique, eta pr~sent~ un bronchospasme aigu lors d'une bronchoscopie pr~c~d~e par une anesth~sie locale utilisant, de mani~re fortuite, la Xyloca'ine adr~nalin~e. Les auteurs attirent i'attention sur la muitiplicit~ des m~dicaments contenant des m~tabisulfites utilis~s chez les asthmatiques, sous formes injectables, orales, inhalatoires, locales et sur le risque de consommation de fortes doses quotidiennes dans les boissons alcoolis~es. Cette intolerance pourrait contribuer ~t rentretien d'une r~action inflammatoire chronique bronchique et m~rite uu d~pistage syst~matique. Mots el6s : sulfites, 6tat de real asthmatique, polypose naso- sinusienne, conservateurs anti-oxydants. Serious hazards related to suifite sensitivity. Metabisnifite intolerance is encountered in 8 p. 100 of cases of extrinsic asthma and in 20 p. 100 of cases of the ~< aspirin triad ~> with nasosinusai polyposis, asthma and aspirin sensitivity. The possibility that anaphylactoid shock or acute severe asthma lea- ding to status asthmaticus, might be related to snifite sensitivity must be well known. Two case reports are set out. The first obser- vation is that of a 35-year-old woman suffering from intrinsic asthma with alcohol intolerance, who developed status asthma- ticus a few minutes after intravenous administration of Doxyey- dine associated with a metabisulfite preservative. The other 33-year-old patient presented with an acute bronchospasm in the course of a fiberoseopy using Lidocaine associated by mishap with epinephrine, as local anesthetic. The authors point to the miscellaneous drugs containing sulfites, that are employed in asth- matics by different routes, i.e. parenteral, oral, inhalational and other local treatments. Heavy metabisnifite intake may also arise from daily alcohol consumption. Sulfite intolerance could con- tribute to the persistence of chronic inflammatory processes in bronchial asthma and therefore should be systematically investigated. Rev Med Interne 1989 ; 10 : 36-40. Les m6tabisulfites (MBS) sont couramment utilis6s dans l'industrie alimentaire comme agents conserva- teurs, antioxydants et antifungiques s'opposant h l'alt6- ration (d6coloration, brunissement) de maintes pr6pa- rations culinaires. Les MBS sont 6galement indispen- sables pour contrfler la fermentation des alcools. Par ailleurs, certains m6dicaments d'usage courant chez l'asthmatique contiennent ce type de conservateur en * Service de mddecine <~ D ~, mddecine interne et allergologie (Pr Grilliat, Pr Moneret- Vautrin) ** Service des insuffisants respiratoires (Pr Polu), Tour Drouet CHU de Brabois, Allde du Morvan, 54511 Vandoeuvre-l~s-Nancy. Tir6s ~t part : Dr Y. Maria, adresse ci-dessus*. quantit6 susceptible d'Stre ~t l'origine de r6actions adverses graves, en fonction de la sensibilit6 des sujets. Le risque est actuellement bien documents chez l'asthmatique ; si le bronchospasme aigu a 6t6 la pre- mibre manifestation d6crite (1), plus r6cemment d'autres sympt6mes ont 6t6 rapport6s : urticaire et aed~m e de Quincke (2), choc anaphylactiqu e (3), mort subite; Selon une enquSte am6ricaine 6manant en 1984 de la FDA, six d6c6s ont 6t6 mis en relation avec une ingestion de nourriture contenant des sulfites, sur un total d'environ deux cent cinquante r6actions adver- ses (4). L'emploi des MBS 6tant tr6s r6pandu en France, iI parait utile de souligner le risque inh6rent ~ l'utilisa- tion de ces substances ~ propos de deux observations. Re~u le 27-11-1987 Renvoi pour correction le 5-2-1988 Acceptation d6finitive le 2-3-1988

Les accidents graves liés aux métabisulfites

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Page 1: Les accidents graves liés aux métabisulfites

Les accidents graves li6s aux m6tabisulfites

Y. MARIA*, P . VAILLANT*, N. DELORME**, D . A . MONERET-VAUTRIN*

R]~SUMl~ SUMMARY

Le risque d'intol~raoee aux m~tabisulfites est estim~ ~t 8 p. 100 dans l'asthme extrins~que et h 20 p. 100 dans la triade ~< poly- pose naso-sinusienne, asthme, intolerance ~t raspirine >~. La pos- sibilit~ de choc anaphylacto'ide et d'~tat de real asthmatique suraigu dolt ~tre parfaitement connue. Deux observations d'asth- matiques soot rapport~es. Le premier cas est celui d'une femme de 35 ans, porteuse d'un asthme intrins~que avec intolerance aux aicools, ayant pr~sent~ un ~tat de mal asthmatique suraigu dans les minutes qai suivent rinjection intraveineuse d'uue cycline asso- cite aux m~tabisulfites. L'autre patiente, fig~e de 33 ans, est por- teuse d'un asthme allergique, e t a pr~sent~ un bronchospasme aigu lors d'une bronchoscopie pr~c~d~e par une anesth~sie locale utilisant, de mani~re fortuite, la Xyloca'ine adr~nalin~e. Les auteurs attirent i'attention sur la muitiplicit~ des m~dicaments contenant des m~tabisulfites utilis~s chez les asthmatiques, sous formes injectables, orales, inhalatoires, locales et sur le risque de consommation de fortes doses quotidiennes dans les boissons alcoolis~es. Cette intolerance pourrait contribuer ~t rentretien d'une r~action inflammatoire chronique bronchique et m~rite uu d~pistage syst~matique.

Mots el6s : sulfites, 6tat de real asthmatique, polypose naso- sinusienne, conservateurs anti-oxydants.

Serious hazards related to suifite sensitivity. Metabisnifite intolerance is encountered in 8 p. 100 of cases of extrinsic asthma and in 20 p. 100 of cases of the ~< aspirin triad ~> with nasosinusai polyposis, asthma and aspirin sensitivity. The possibility that anaphylactoid shock or acute severe asthma lea- ding to status asthmaticus, might be related to snifite sensitivity must be well known. Two case reports are set out. The first obser- vation is that of a 35-year-old woman suffering from intrinsic asthma with alcohol intolerance, who developed status asthma- ticus a few minutes after intravenous administration of Doxyey- dine associated with a metabisulfite preservative. The other 33-year-old patient presented with an acute bronchospasm in the course of a fiberoseopy using Lidocaine associated by mishap with epinephrine, as local anesthetic. The authors point to the miscellaneous drugs containing sulfites, that are employed in asth- matics by different routes, i.e. parenteral, oral, inhalational and other local treatments. Heavy metabisnifite intake may also arise from daily alcohol consumption. Sulfite intolerance could c o n - tribute to the persistence of chronic inflammatory processes in bronchial asthma and therefore should be systematically investigated.

Rev Med Interne 1989 ; 10 : 36-40.

Les m6tabisulf i tes (MBS) sont c o u r a m m e n t utilis6s dans l ' indus t r ie a l imenta i re c o m m e agents conserva- teurs, ant ioxydants et ant i fungiques s 'opposan t h l 'alt6- ra t ion (d6colorat ion, brunissement) de maintes pr6pa- ra t ions culinaires. Les MBS sont 6galement indispen- sables p o u r c o n t r f l e r la f e rmen ta t i on des alcools . Pa r ail leurs, certains m6dicaments d ' u sage couran t chez l ' a s t h m a t i q u e con t iennen t ce type de conserva teur en

* Service de mddecine <~ D ~, mddecine interne et allergologie (Pr Grilliat, Pr Moneret- Vautrin) ** Service des insuffisants respiratoires (Pr Polu), Tour Drouet C H U de Brabois, Allde du Morvan, 54511 Vandoeuvre-l~s-Nancy.

Tir6s ~t part : Dr Y. Maria, adresse ci-dessus*.

quant i t6 susceptible d 'Stre ~t l ' o r ig ine de r6act ions adverses graves, en fonc t ion de la sensibilit6 des sujets.

Le r isque est ac tue l lement bien d o c u m e n t s chez l ' a s t h m a t i q u e ; si le b r o n c h o s p a s m e aigu a 6t6 la pre- mibre man i fe s t a t ion d6crite (1), plus r6cemment d ' au t r e s sympt6mes on t 6t6 rappor t6s : ur t icai re et aed~m e de Quincke (2), choc anaphylac t iqu e (3), mor t subite; Selon une enquSte am6ricaine 6manant en 1984 de la F D A , six d6c6s ont 6t6 mis en re la t ion avec une ingest ion de nour r i tu re con tenan t des sulfites, sur un to ta l d ' e n v i r o n deux cent c inquan te r6act ions adver- ses (4).

L ' e m p l o i des M B S 6tant tr6s r6pandu en France , iI para i t ut i le de soul igner le r i sque inh6rent ~ l 'u t i l i sa- t ion de ces substances ~ p ropos de deux observa t ions .

Re~u le 27-11-1987 Renvoi pour correction le 5-2-1988 Acceptation d6finitive le 2-3-1988

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Tome X Accidents graves lids aux mdtabisulfites 37 Numdro 1

OBSERVATIONS

Observation 1

Une femme de 35 ans prdsente depuis 5 ans une maladie asthmatique et une polypose naso-sinusienne. L'asthme est en tr6s nette aggravation depuis deux ans, n6cessitant l 'emploi rdpdt6 et & forte dose de corti- coides.

En d6cembre 1986, & l 'occasion d 'une bronchite, la patiente doit recevoir une antibiothdrapie par voie intraveineuse, une doxycycline avec prdsence de MBS. Dans la minute qui suit la premidre injection du trai- tement prdvu, la patiente d6crit une dyspnde brutale, avec impression de mort imminente, suivie d 'une perte de connaissance imposant un transfert par SAMU en service de r6animation. La patiente est alors admise comateuse et cyanos6e. Un traitement 6nergique 6vi- tera la ventilation contr616e et permettra le retour ~ la conscience en vingt minutes. La patiente est revue trois mois plus tard, pour le diagnostic d 'une allergie m6di- camenteuse suspect6e & la doxycycline.

L'interrogatoire apprend que la patiente pr6sente, depuis plusieurs anndes, une intoldrance aux alcools. En effet, l 'ingestion d 'un verre de vin est suivie, quel- ques minutes plus tard, d 'un 6rythbme du visage, d 'une rhinorrh6e aqueuse, d 'une toux quinteuse pr6cddant une crise d'asthme.

La patiente a pris par la suite de la doxycycline en comprimds, sans rioter une recrudescence de la dyspnde.

La recherche d 'une allergie mddicamenteuse, effec- tude par des tests cutands (prick tests, prick-patch tests, et intradermordactions aux concentrations 10 -3 et 10 -2 de la solution commerciale) et un TDBH, s'est rdv616e n6gative. Le test de provocation orale au mdtabisul- rite de sodium en solution officinale est r6alis6e h doses croissantes espacdes de trente minutes, en simple aveu- gle contre placebo. La dose de 7,5 mges t responsable d 'une chute de 34 p. 100 du d6bit de pointe avec appa- rition de sibilances dans les deux champs puhnonai- res. En doublant la dose, nous obtenons une chute de 64 p. 100 ; ce test ddmontre ainsi l 'effet dose-r6ponse (fig. 1).

Observation 2

Une femme de 33 ans pr6sente un asthme depuis l 'enfance. I1 existe une composante allergique connue, aux acariens des poussi~res de maison et aux pollens de gramin6es.

En octobre 198 l, une fibroscopie bronchique est r6a- lis6e, les bilans cardiologiques et m6taboliques 6tant normaux. Au d6cours de l'anesth6sie locale, & base de Xyloca'ine adr6nalin6e, la patiente pr6sente, dans la minute qui suit, une perte de connaissance en relation avec un 6tat de mal asthmatique suraigu n6cessitant l ' intubation et la ventilation assist6e. A l '6poque, la cause de cet 6tat de real n'est pas comprise. Il est soup- r le r61e du stress inh6rent & la r6alisation de l'endoscopie et, bien que ce soit discutable, le r61e d 'un abus de bata-2-agonistes dans les heures pr6c6dentes.

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---OEP 15 mg

Fig. 1 Variation du ddbit expiratoire de pointe & des doses croissantes

de m&abisulfites par voie orale.

La patiente est vue en 1985 et on suspecte alors une rdaction d'intoldrance aux MBS. Le test de provoca- tion orale, en simple aveugle, & 30 mg, est responsa- ble d 'une chute du ddbit de pointe de 35 p. 100, con- firmant cette hypoth~se diagnostique.

DISCUSSION

Les MBS sont des agents conservateurs, antioxy- dants, antiseptiques, d 'usage courant dans l 'industrie alimentaire. Les vins, le cidre, la bi~re, certains sodas & l 'orange, en contiennent (5). Les crevettes, crusta- c6s, poissons s6ch6s en sont tr~s riches. Les fruits secs, salades sous cellophane, plats cuisin6s, le vinaigre, la moutarde en contiennent 6galement (6, 7). Une esti- mation am6ricaine montre que la quantit6 quotidienne de MBS absorbde est de 2 & 3 mg par jour, de 5 & 10 mg s'il s'agit d 'un buveur de vin, de 25 & 300 mg dans les salades compos6es au restaurant (8).

Les MBS sont 6galement utilis6s comme agents antioxydants dans l 'industrie pharmaceutique (6, 8).

Les rdactions adverses ne sont pas rares. En effet, il existe une population & risque ; une 6tude r6cente montre que 20 p. 100 des patients qui pr6sentent la triade & l'aspirine, ou syndrome de Fernand Widal, ont une intoldrance aux MBS (9, 10). La frdquence dans l 'asthme allergique est encore l 'objet de controverses, 5 & 10 p. 100 des patients prdsenteraient cette intold- rance, c'est-~t-dire moins que dans l 'asthme intrinsd- que. Simon, dans l 'asthme chronique, largement cortico-d6pendant, retrouve cette dernibre proport ion de patients intoldrants aux sulfites, apr~s test de pro- vocation en double aveugle au moyen de capsules (8). Bush et coll. observent une frdquence plus faible, 3,9 p. 100, lh encore dans une population d'asthmati- ques cortico-d@endants, qualifi~e & risque (11). Ces derniers auteurs insistent, comme d'autres l 'ont ddj~

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38 Y. Maria et coll. La Revue de Mddecine lnterne Janvier-Fdvrier 1989

fait, sur la fiabilit6 m6diocre des r6sultats obtenus par des tests de provocation en simple aveugle, puisque 55 ~t 80 p. 100 de leurs patients ayant eu un test de pro- vocation oral positif aux sulfites en simple aveugle, ne sont pas confirm6s intol6rants apr6s test en double aveugle. Par ailleurs, la m6thodologie de ces tests de provocation varie selon les auteurs, les uns utilisant du MBS en solution, donnant plus souvent des r6sultats positifs, surtout si le pHest acide, les autres utilisant des MBS en g61ules.

Le bronchospasme aigu n'est pas la seule manifes- tation clinique grave d'intol6rance. Des chocs anaphy- lacto~des ont 6t6 rapport6s avec la publication d'un cas de d6c~s (4). L'autopsie a r6v616 l'existence de bou- chons muqueux au sein des petites bronches, laissant supposer que le d6c6s est en relation avec une asphyxie aiguE par 6tat de mal asthmatique.

Plusieurs m6canismes physiopathologiques ont 6t6 propos6s. Dans la majorit6 des cas, le bronchospasme est li6 h l'inhalation de SO2 qui se d6gage ~ partir de l'anhydride sulfureux (12). Le gaz stimule les r6cep- teurs d'irritation de l'6pith61ium bronchique, point de d6part d 'un arc r6flexe parasympathique. Cette bron- choconstriction a pu ~tre pr6venue par l'injection d'atropine (1). Un m6canisme moins sp6ciflque serait li6 ~t l'irritation caus6e par l'acidit6 de l'a6rosol. Dans ces cas, les patients ne pr6senteraient qu'une intol6- rance de type respiratoire aux sulfites (13).

Le d6gagement de SO2 est .d6pendant du milieu. L'acidit6 augmente l'importance du d6gagement (8). Dans l'asthme, il existe une inflammation constante des bronches, responsable d'une acidose locale, favo- risant le d6gagement de SO2 ~ partir des m6tabisulfi- tes contenus dans le sang. Cette hypoth6se explique- rait les accidents graves li6s aux injections. I1 est impor- tant de noter que les cortico~des ne bloquent pas les r6actions adverses, lorsqu'ils sont associ6s aux sulfites.

Le deuxi~me m6canisme 6voqu6 est un d6ficit en sul- fite oxydase (8). Le m6tabolisme cellulaire produit en grande quantit6 - - 1 000 mg par jour - - des sulrites, totalement oxyd6s en sulfates inactifs par une enzyme, la sulfite oxydase. Certains asthmatiques auraient un

d6ficit partiel de cette enzyme. Dans le m~me ordre d'id6es, Drouet et Sabbah constatent l'aggravation de l'asthme chez deux patients intol6rants aux sulrites et porteurs de candidoses ; ces auteurs 6mettent l 'hypo- th6se du r61e n6faste de l'6quipement enzymatique de Candida albicans, capable de r6duire les sulfates en sulrites (14).

Sabbah a montr6 qu'il existe un parall61isme entre l'asthme ~t l'aspirine et aux MBS (15). Des similitudes cliniques (age de survenue, sexe, rhino-sinusite, poly- pose) et spirographiques (m~me p6riode r6fractaire, modifications spirom6triques semblables) sont not6es. L'auteur 6voque une physiopathologie similaire, c'est- a-dire l'activation des phospholipides membranaires et le blocage de la d6gradation de l'acide arachidonique par la cyclo-oxyg6nase.

Les travaux de Pryor vont dans le m~me sens (16). Le SO2 ou les bisulfites pourraient s'auto-oxyder en ions radicalaires SO~, premi6re 6tape d'une oxydation

de l'acide arachidonique, avec conversion accrue des d6riv6s Hydroxy Peroxy Eicosa Penta Enoi'ques (HPETE) ; par ailleurs il 6met l'hypoth6se que les sul- rites, en r6agissant avec des d6riv6s 6poxy des HPETE g6n6rent des compos6s bronchospasmog6nes dont tes propri6t6s seraient proches de certains sulfido-peptides connus (leucotri6nes).

L'allergie imm6diate, IgE-d6pendante, est rare. Des tests cutan6s positifs (pricks et IDR) et in vitro, une histamine-release positive, ont 6t6 d6tect6s chez certains patients pr6sentant une intol6rance aux MBS. L'anaphylaxie cutan6e passive a confirm6 un m6ca- nisme IgE-d6pendant (4).

CONDUITE A TENIR

Les asthmatiques pr6sentent donc un risque parti- culier de r6actions aux m6tabisulrites. Stevenson a d6montr6 le r61e important des vapeurs de dioxyde de soufre dans l'entretien de la maladie asthmatique (17). L'asthmatique est expos6 aux MBS par l'alimentation, les m6dicaments, d'autant plus qu'il existe une fr6- quente autom6dication de ces malades. C'est d'ailleurs la publication aux I~tats-Unis d'un bronchospasme aigu li6 ~ un a6rosol d'iso6tharine (Bronkosol | qui a per- mis de mettre en 6vidence ce risque iatrog~ne (18). Toute aggravation brutale de l'asthme doit faire sus- pecter une intol6rance ~t un additif, qu'il soit conser- vateur ou colorant (19). Dans les aliments, le SO2 et les m6tabisulfites correspondent aux num6ros cod6s E220 ~ E227.

Un certain nombre de m6dicaments utilis6s dans l'asthme font courir un risque ~ ces sujets. De nom- breux produits utilis6s par voie injectable contiennent des sulrites ou m6tabisulfites (tableau I).

Par cons6quent, la pharmacop6e n'est pas adapt6e aux asthmatiques, puisque de nombreux m6dicaments renfermant des sulfites sont couramment utilis6s chez eux.

D'un point de vue pratique, deux 616ments m6ritent d'etre soulign6s. La n6cessit6 fr6quente d'une cortico- th6rapie parent6rale fait pr6f6rer la m6thyl-prednisone (Solum6drol| qui est de dur6e de vie courte et sans additif. L'aggravation d'un patient asthmatique avec survenue d'un 6tat de mal asthmatique n6ccessitant une ventilation assist6e a 6t6 d6crite apr~s perfusion de dexam6thasone (24 mg) qui contenait 24 mg de m6ta- bisulfites. Ult6rieurement, un test de provocation oral en simple aveugle avait permis d'incriminer les sulfi- tes (20). D'autre part, la plus grande prudence doit &re conseill6e concernant l'emploi de Xyloca'ine adr6nali- n6e, d'usage courant, en ORL, pour les r6tractions de muqueuse avant rhinoscopie, et en stomatologie et den- tisterie, comme le soulignent notre cas clinique et l'6tude de Schwartz (21). Enfin, un cas de broncho- spasme secondaire par l'administration de collyre renfermant des sulfites a 6t6 d6crit par le m~me auteur (22).

Un d6pistage syst6matique des asthmes ~ risque est donc propos6, ~t l'aide d'un test de provocation, utili-

Page 4: Les accidents graves liés aux métabisulfites

T o m e X A c c i d e n t s graves li#s a u x m#tab i su l f i t e s 39 N u m # r o 1

Tableau I

MEDICAMENTS D'USAGE CQURANT CONTENANT DES SULFITES

Antibiotiques Surtout les aminosides - gentamycine (Gentalline | - kanamycine (Kanamycine | - tobramycine (Nebcine | - amikacine (Amiklin | - sisomycine (Sisolline | Certaines cyciines - doxycycl ine (Vibraveineuse |

Corticoides (*) - dexamethasone (Soludecadron | - br (C61est6ne | (3,2 mg/ml)

M~dications cardiologiques (* *) - chlorydrate de dopamine (Dopamine | - isopr6naline (Isuprel |

Produits de nutrition parent~rale Vintene | Azonutril |

Produits anesth(~siques Xylocai'ne adrenalin6e et autres anesthesiques Iocaux avec vasoconstricteurs (Alphacafne, etc.).

Par voie inhalatoire A I'oppos6 des Etats-Unis, les bronchodilatateurs utilises en France ne contiennent aucun sulfite, sauf le Dyspn6e- Inhal |

Certains collyres en contiennent, surtout en Suisse et aux 1~tats-Unis.

Par voie orale De nombreux sirops et g61ules contiennent des sulfites.

(*) L'acetate ou la succinate d'hydrocortisone utilises en France ne contiennent pas de sulfites, & I'oppose de certaines formes employees aux Etats-Unis (Hydrocortone-' m,osphate).

(* *) La lidocalne (Xylocaine | enest exempte, contrairement & celle des Etats-Unis.

sant le solut6 officinal de bisulfite de sodium, dont la teneur en anhydride sulfureux est de 30 g/100 ml. La fragilit6 de la solution & l'oxydation n6cessite sa con- servation en r6cipient clos, maintenu compl~tement rempli (addition de billes de verre) et A l'abri de la lumi~re. 0,05 ml (15 mg) sont introduits dans un peu d'eau et ing6r6s par le patient qui mesure son d6bit expiratoire de pointe avec un appareil de Wright & 1 minute 30 secondes, 3 minutes, 5 minutes, 15 minu- tes, 30 minutes, 60 minutes, et 90 minutes. Une chute de 20 p. 100 au moins du d6bit expiratoire de pointe est tenue pour significative. En cas de n6gafivit6, le test est r6p6t6 aux doses de 30 mg, voire 60 mg. Nous uti- lisons pour des raisons pratiques, le plus souvent un test de provocation en simple aveugle, du fair du nom- bre assez important de patients chez lesquels sont r6a- lis~s ce type de test. Une bonne information du patient lors de la pratique d'un test en simple aveugle permet de diminuer la fr6quence des r6actions psychog6nes.

L'emploi de mani6re excessive de colorants ou de conservateurs augmente le risque iatrog6ne en expo- sant certains patients & de graves complications. Parmi les antioxydants, les MBS sont fr6quemment incrimi- n6s ; les accidents peuvent ~tre s6v~res : 6tat de mal asthmatique ou mort subite. I1 existe une population

risque, particuli~rement expos6e, que constituent les sujets atteints d 'un syndrome de Fernand Widal et, un degr6 moindre, les asthmatiques atopiques. Le m6decin, par un interrogatoire simple, dolt s'efforcer de d6tecter ce risque. Toute aggravation brutale d 'un asthme au cours d'un traitement bien conduit doit faire rechercher une intol6rance aux MBS.

Lorsque le diagnostic est confirm6, un r6gime excluant toutes boissons alcoolis6es, fruits secs, cer- taines pr6parations culinaires, est conseill6. Un Sulfi- test (*), bandelette r6active ~ tremper dans les aliments et boissons, est propos6 aux malades (23).

(*) Center Laborator ies , Div. of E .M. Industries Inc., 35 Channel

Dr ive . Po r t Wash in g to n , NY, 11050 U S A .

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