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Les cas marginaux d’ouverture à cassation I L’excès de pouvoir I Définition La notion d’excès de pouvoir est apparue à la Révolution et est née du principe de la séparation des pouvoirs, édicté par la loi du 16-24 août 1790. Il a été consacré la première fois par l’article 27 de la Constitution des 3-14 septembre 1791 qui conférait au procureur général près le Tribunal de cassation le droit de se pourvoir contre les actes des tribunaux, qui, en empiétant sur les pouvoirs législatif ou exécutif, constituait un excès de pouvoir de l’autorité judiciaire. Ce magistrat a conservé jusqu’à présent cette prérogative, qui lui est actuellement dévolue par l’article 18 de la loi du 3 juillet 1967, qui lui permet de former un pourvoi en cassation qui échappe à de nombreuses causes d'irrecevabilité et dans des affaires dans lesquelles il n’est pas partie. Il peut en effet être formé contre tous les actes judiciaires même normalement insusceptibles de recours de la part des parties, comme, par exemple, une simple mesure d'administration judiciaire. C'est un pourvoi exceptionnel, qui doit être ordonné par le Garde des Sceaux (il n'y a pas d'exemples récents). A la différence du pourvoi dans l'intérêt de la loi, l'annulation pour excès de pouvoir s'impose aux parties, comme si elles avaient elles- mêmes formé le pourvoi. Mais la notion d’excès de pouvoir a dépassé depuis le simple cadre de cette prérogative exorbitante du procureur général et la seule méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs. De façon prétorienne, la Cour de cassation en a fait un cas particulier d’ouverture à la cassation qui permet aux parties de se pourvoir contre des décisions normalement insusceptibes d’un tel recours et d’échapper aux causes d’irrecevabilité. lorsqu’il existe « une impérieuse nécessité de sanctionner immédiatement la méconnaissance par le juge des principes essentiels

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Les cas marginaux d’ouverture à cassation

I L’excès de pouvoir

I Définition

La notion d’excès de pouvoir est apparue à la Révolution et est née du principe de la séparation des pouvoirs, édicté par la loi du 16-24 août 1790.

Il a été consacré la première fois par l’article 27 de la Constitution des 3-14 septembre 1791 qui conférait au procureur général près le Tribunal de cassation le droit de se pourvoir contre les actes des tribunaux, qui, en empiétant sur les pouvoirs législatif ou exécutif, constituait un excès de pouvoir de l’autorité judiciaire.

Ce magistrat a conservé jusqu’à présent cette prérogative, qui lui est actuellement dévolue par l’article 18 de la loi du 3 juillet 1967, qui lui permet de former un pourvoi en cassation qui échappe à de nombreuses causes d'irrecevabilité et dans des affaires dans lesquelles il n’est pas partie. Il peut en effet être formé contre tous les actes judiciaires même normalement insusceptibles de recours de la part des parties, comme, par exemple, une simple mesure d'administration judiciaire. C'est un pourvoi exceptionnel, qui doit être ordonné par le Garde des Sceaux (il n'y a pas d'exemples récents). A la différence du pourvoi dans l'intérêt de la loi, l'annulation pour excès de pouvoir s'impose aux parties, comme si elles avaient elles-mêmes formé le pourvoi.

Mais la notion d’excès de pouvoir a dépassé depuis le simple cadre de cette prérogative exorbitante du procureur général et la seule méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs. De façon prétorienne, la Cour de cassation en a fait un cas particulier d’ouverture à la cassation qui permet aux parties de se pourvoir contre des décisions normalement insusceptibes d’un tel recours et d’échapper aux causes d’irrecevabilité. lorsqu’il existe « une impérieuse nécessité de sanctionner immédiatement la méconnaissance par le juge des principes essentiels qui légitiment sa fonction » (rapport de M. Charruault à propos de Cass ch. mixte 25 janvier 2005) Elle permet ainsi lorsque le juge a méconnu gravement son office ou l’étendue de ses pouvoirs, de déclarer recevable un pourvoi en cassation normalement interdit ou prématuré. L’excès de pouvoir, en ce sens, n’a pas la même signification, ni la même portée, que l’excès de pouvoir du droit administratif.

L’excès de pouvoir en matière judiciaire peut être qualifié comme une voie de fait commise par le juge quand celui-ci sort gravement des limites de ses attributions, spécialement lorsqu’il enfreint une règle d’ordre public relatif à son office.

B Applications

1°/ Méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs

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C’est le cas le plus classique, mais également l’un des plus rares. On ne retrouve que très peu de décisions récentes le retenant.

Il y a excès de pouvoir lorsque le juge empiète sur les prérogatives du pouvoir législatif ou de l’administration (1ere civ, 20 février 2001, bull n° 37, 9 décembre 2003, bull n° 185).

C’est le cas dans l’arrêt Bidalou (Cass 1ere civ, 15 janvier 1980, Bull Civ n° 25) :

Sur le pourvoi du procureur général de la Cour de cassation,

Vu l’article 18 de la loi n° 67-723 du 3 juillet 1967 ;

Attendu que…le tribunal d’instance a estimé qu’il était nécessaire, pour la solution du litige, que la politique gouvernementale en matière de chômage soit exposée à la barre par le chef du Gouvernement … et a …invité les parties ou la plus diligente d’entre elles à mettre en cause le Premier ministre ou son représentant dûment mandaté ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que les orientations de la politique du Gouvernement et les actes de mise en œuvre de cette politique entrent dans l’exercice des prérogatives que la Constitution confie à celui-ci et échappe à la connaissance des tribunaux judiciaires, le tribunal d’instance a excédé ses pouvoirs et que sa décision doit être annulée ;

2° La voie de fait du juge

Il y a aussi excès de pouvoir lorsque le juge commet un acte incompatible avec ses fonctions juridictionnelles ou viole l’un des devoirs professionnels généraux qu doivent gouvernent d’une façon permanente la conduite d’un magistrat.

Cette hypothèse est également très rare, la décision la plus récente remontant à 1967, un jugement s’étant, sans utilité pour la décision du litige, livré à une critique irrespectueuse d’un texte réglementaire (Cass 1ere civ 30 mai 1967, bull n° 188).

Commet aussi un excès de pouvoir le juge qui, dans ses motifs, formule, sans utilité pour la solution du litige, en dehors de tout débat contradictoire avec les intéressés, des appréciations d'un caractère général et outrageant pour les personnes qui y sont visées (Req 14 février 1911, bull 1911, I p 224).

3°/ La méconnaissance par le juge de l’étendue de ses pouvoirs juridictionnels

Pour reprendre une formule ancienne de la Cour de cassation : « il y a excès de pouvoir lorsqu’un juge refuse de se reconnaître un pouvoir que la loi confère, aussi bien dans le cas où il sort du cercle de ses attributions légales ; dans les deux cas, le trouble des juridictions est de même nature »(Ch civ, 14 mai 1900, bull civ n° 68).

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C’est l’hypothèse la plus courante.

Ainsi, l’excès de pouvoir peut être aussi bien positif que négatif.

a) L’excès de pouvoir est positif lorsque le juge rend une décision qui ne lui est pas légalement permis de prononcer.

Ainsi, à titre d’exemples :

- le premier président qui arrête l’exécution provisoire attachée de plein droit à un jugement (Cass 2eme civ, 17 juin 1987, bull n° 131)

- le juge qui, sous couvert de rectification d’une erreur matérielle, modifie par voie de retranchement une partie du dispositif de sa décision antérieure (Cass com, 12 mai 1992, bull civi n° 182)

- le juge qui, après avoir déclaré une demande ou un recours irrecevable, se prononce au fond (Cass 2eme civ 9 décembre 1997, bull n° 306, 21 septembre 2000, n° 99-10.493)

- la cour d’appel qui statue au fond en confirmant le jugement qui lui était déféré, alors qu’elle avait constaté que l’appel dont elle était saisie était sans objet (2eme civ 15 janvier 1994, bull n°3)

- le premier président, saisi d’une demande de prolongation de rétention administrative d’un étranger en situation irrégulière, radie l’affaire alors qu’il lui appartenait de statuer dans les 48 heures de sa saisine (2eme civ 23 janvier 2003, bull n° 12)

- la cour d’appel qui accueille un contredit de compétence formé contre un jugement ayant déclaré incompétente la juridiction étatique en raison de la stipulation d’une clause d’arbitrage alors qu’il appartenait à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence (2eme civ 27 juin 2002, bull n° 146)

- le juge des enfants qui statue au fond après l’expiration des mesures provisoires (Cass 1ere civ 25 février 1997, bull n° 71)

b) L’excès de pouvoir est négatif :

- lorsque le juge méconnaît l’étendue de ses pouvoirs en n’en usant pas pleinement

- lorsque le juge refuse de se prononcer alors qu’il était tenu de le faire.

La première situation résulte de ce qu’une juridiction se déclare dans l’incapacité, ou au contraire dans l’obligation, d’ordonner ou de ne pas ordonner une mesure dont le prononce par elle est facultatif. Elle se rencontre particulièrement dans les procédures collectives où, selon la loi, le tribunal « peut » étendre un redressement ou une liquidation judiciaire à un dirigeant, condamner celui-ci à combler le passif, prononcer contre lui la faillite personnelle.

Mais elle peut se trouver aussi en toute matière, que ce soit en matière procédurale, par exemple lorsqu’une cour d’appel, malgré l’effet dévolutif de l’appel, renvoie au tribunal le soin de se prononcer sur tout ou partie du litige (Cass 2eme civ, 7 novembre 1994, bull civ n° 220, Cass 2eme civ 22 mai 1996, bull civ n° 99), ou au

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fond, par exemple en matière d’indemnisation du préjudice, lorsque le juge s’interdit d’allouer une indemnité sous forme de rente (2eme civ 21 novembre 1973, bull n° 304) ou se croit lié par des critères légaux pour accorder des délais de paiement alors que l’article 1244 du Code civile lui laisse le pouvoir d’apprécier souverainement si ces délais peuvent être accordés (Cass com 21 janvier 1953, D 1953, 197)

La seconde situation concerne les hypothèses dans lesquelles le juge s’abstient de statuer, ce qui caractérise de sa part un déni de justice (Cass 3eme civ, 6 février 2002, bull civ n° 34, 3eme civ 28 mai 2002, n° 00-21.475).

Ainsi, méconnaît son office le juge qui délègue ses pouvoirs à un notaire (Cass 1ere civ, 2 avril 1996, bull civ n° 162) ou à un expert (2eme civ 16 octobre 2003, bull n° 305), ou qui refuse de prêter son concours à la constitution d’un tribunal arbitral au motif de l’existence d’une difficulté sérieuse (2eme civ 8 avril 1998, bull n° 121)

4° mais ne constituent pas un excès de pouvoir :

a) l’incompétence. L’excès de pouvoir se distingue de l’incompétence en ce que le juge est bien compétent pour connaître du litige

b) la violation des règles de procédure. Si, pendant longtemps, il a été considéré par la Cour de cassation que l’excès de pouvoir pouvait aussi résulter d’une violation caractérisée des droits de la défense (Ch civ, 10Janvier 1900, bull civ n° 3) car, par une telle violation, le juge méconnaît gravement son office, la jurisprudence récente adopte une conception plus restrictive de la notion.

C’est ainsi que la 2eme chambre civile vient de rappeler qu’« aucun excès de pouvoir ne peut résulter de la violation d’une règle de procédure » (2eme civ 29 janvier 2004, bull n° 21) après que la première chambre civile a jugé que ne constituait pas un excès de pouvoir la méconnaissance du principe de la contradiction (cass 1ere civ 28 avril 1998, bull n° 151, 10 mai 1995, bull n° 193 ) et la chambre sociale l’absence de motivation (Cass soc 21 novembre 1990, bull n° 579, 7 juin 1995, bull n° 187).

Mais ont doit préciser que cette jurisprudence n’est cependant pas partagée par la chambre commerciale qui considère pour sa part, en matière de droit des procédures collectives qui soumet l’exercice des voies de recours à un régime particulièrement rigoureux, que constitue une l’excès de pouvoir la « violation d’un principe fondamental de procédure » (Cass com 3 mars 1992, bull n° 193 ; 26 avril 1994, bull n° 154), tel que, notamment l’impartialité du juge (cass com 9 janvier 1996, n° 93-21.356) et l’obligation de motivation des jugements (Cass com 30 mars 1993, bull n° 132).

S’agissant du principe de la contradiction, la Chambre mixte vient d’affirmer qu’elle ne constituait pas un excès de pouvoir (Ch mixte 28 janvier 2005, à paraître – contra : cass com 14 février 1995, bull n° 45, 28 avril 1998, bull n° 134)

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c) le mal jugé ou l’erreur de droit, n’est pas non plus un excès de pouvoir (Cass 1ere 6 décembre 1994, bull n° 364), même s’il est soutenu une violation de dispositions d’ordre public (Cass com 25 janvier 1994, bull n° 32)

D Mise en oeuvre

L’ouverture du pourvoi en raison d’un excès de pouvoir conduit intellectuellement a examiner d’abord l’efficacité du moyen invoqué et fondé sur l’excès de pouvoir, pour déterminer si le pourvoi est recevable ou non. Mais, en cas de cassation, la rédaction de l’arrêt respecte l’ordre naturel : recevabilité d’abord, fond ensuite. Le schéma adopté généralement est le suivant :

Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :

Attendu que la recevabilité du pourvoi immédiat est contesté au motif que… ;

Mais attendu que le pourvoi est immédiatement recevable en cas d’excès de pouvoir ;

Sur le premier moyen ;

Vu l’article … ;

Attendu que (chapeau)

Attendu que pour décider que …, l’arrêt retient que …. ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé le texte susvisé ;

Par ces motifs,

Casse et annule.

II L’incompétence

L’incompétence, en ce qu’elle constitue un cas spécifique et autonome d’ouverture à cassation, ne se rencontre pas chaque fois q’un problème de compétence est posé.

En effet, si une décision est critiquée devant la Cour de cassation au motif que la juridiction qui l’a prononcée, soit en premier et dernier ressort, soit qu’il s’agit d’une cour d’appel statuant sur contredit, ou, à la fois sur la compétence et au fond, aurait été incompétente – comme, inversement, s’il lui est reproché d’avoir refusé de connaître l’affaire – le demandeur au pourvoi fera état du texte qu’il prétendra avoir été mal appliqué ; il mettra ainsi en oeuvre un moyen pris d’une violation de la loi ou d’un manque de base légale.

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Ainsi se posera posé un problème non d’incompétence, mais d’interprétation d’une règle relative à la compétence.

Une décision ne tombe sous le coup d’une censure pour incompétence que lorsqu’elle émane d’une juridiction qui ne pouvait pas la rendre, sans que celle-ci ait été saisie d’une exception d’incompétence.

Or, il a été jugé par une chambre mixte (24 mai 1975, bull n° 4) « qu’aux termes de l’article 14 du décret du 20 juillet 1972 (devenu art. 74 du NCPC),les parties ne peuvent soulever les exceptions d’incompétence qu’avant toutes exceptions ou défenses et qu’il en est ainsi alors même que les règles de compétence seraient d’ordre public », ce dont il résulte que le moyen par lequel une partie discuterait, pour la première fois devant la Cour de cassation, d’une telle incompétence serait nécessairement irrecevable (Cass soc 18 juillet 1996, n° 95-40.122)

Le moyen ne peut donc qu’être soulevé, d’office, par la Cour de cassatriion, et à condition que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative, ou échappe à la connaissance de la juridiction française (art. 92 du NCPC) ou,s’il s’agit d’une incompétence territoriale dans les litiges relatifs à l’état des personnes dans les cas ou la loi attribue compétence à une autre juridiction (art. 93 du NCPC).

Son examen peut donner lieu éventuellement à une question préjudicielle (Soc 2 mai 2000, n° 97-42.753).