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Les déterminants – Cours de grammaire – Monsieur Madrid LES DÉTERMINANTS En français, le nom est identifié principalement par la présence d'un déterminant : "le commencement", "un garçon", "le boire et le manger", "son arrivée", "mon rouge préféré"... On notera toutefois que les noms propres sont "auto-déterminés" et ne prennent donc généralement pas de déterminant : "Monsieur Dupont", "Pierre"... Certaines structures sont également suffisamment actualisées dans le discours par des marques diverses pour pouvoir fonctionner sans déterminants : c'est le cas des pluriels pris dans une énumération en français contemporain "Feuilles, déchets, bouteilles en plastique, tout s'envolait dans la ville envahie par le vent". C'était le cas de plus nombreuses structures en français plus ancien dont les proverbes ou dictons ont conservé la trace : "Pierre qui roule n'amasse pas mousse" : notons qu'ici c'est la relative déterminative qui permet l'actualisation du nom en l'absence de tout article ; on ne pourrait dire "Pierre n'amasse pas mousse", sans penser immédiatement à un nom propre ! On distingue traditionnellement : les déterminants définis les déterminants indéfinis les déterminants possessifs les déterminants démonstratifs les déterminants numéraux (ces "déterminants" nommés ainsi par un terme qui indique la fonction, sont parfois appelés aussi "articles", terme qui dès lors ne fait plus allusion qu'à la petite taille de ces mots : article, qui vient du latin articulum veut dire "petite partie"). On fera attention à ne pas confondre les déterminants et les pronoms, petites parties du discours dont les fonctions sont complètement différentes : le déterminant fonctionne toujours avec un nom qu'il détermine, le pronom fonctionne à la place du déterminant et du nom qu'il remplace : Ex. "mon livre" : "mon est un article possessif ; "le mien est plus beau que le tien" : "le mien" et "le tien" sont des pronoms possessifs 1

les déterminants et les adjectifs

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LES DÉTERMINANTS

En français, le nom est identifié principalement par la présence d'un déterminant : "le commencement", "un garçon", "le boire et le manger", "son arrivée", "mon rouge préféré"... On notera toutefois que les noms propres sont "auto-déterminés" et ne prennent donc généralement pas de déterminant : "Monsieur Dupont", "Pierre"... Certaines structures sont également suffisamment actualisées dans le discours par des marques diverses pour pouvoir fonctionner sans déterminants : c'est le cas des pluriels pris dans une énumération en français contemporain "Feuilles, déchets, bouteilles en plastique, tout s'envolait dans la ville envahie par le vent". C'était le cas de plus nombreuses structures en français plus ancien dont les proverbes ou dictons ont conservé la trace : "Pierre qui roule n'amasse pas mousse" : notons qu'ici c'est la relative déterminative qui permet l'actualisation du nom en l'absence de tout article ; on ne pourrait dire "Pierre n'amasse pas mousse", sans penser immédiatement à un nom propre !

On distingue traditionnellement :

les déterminants définis les déterminants indéfinis

les déterminants possessifs

les déterminants démonstratifs

les déterminants numéraux

(ces "déterminants" nommés ainsi par un terme qui indique la fonction, sont parfois appelés aussi "articles", terme qui dès lors ne fait plus allusion qu'à la petite taille de ces mots : article, qui vient du latin articulum veut dire "petite partie").

On fera attention à ne pas confondre les déterminants et les pronoms, petites parties du discours dont les fonctions sont complètement différentes : le déterminant fonctionne toujours avec un nom qu'il détermine, le pronom fonctionne à la place du déterminant et du nom qu'il remplace :Ex. "mon livre" : "mon est un article possessif ; "le mien est plus beau que le tien" : "le mien" et "le tien" sont des pronoms possessifs remplaçant "mon livre" ou "ton livre"."cette table est ronde, celle-ci est carrée" : "cette" est un déterminant démonstratif, "celle-ci" est un pronom démonstratif."le garçon mange une pomme" : "le" est un déterminant défini" ; "le garçon la mange" : "la" est un pronom.

Les déterminants définis

L'article défini peut recevoir une interprétation générique :

"La femme est l'égal de l'homme"

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ou une interprétation spécifique :

"La femme tenait un livre dans sa main" (la femme dont on parle et non pas la femme en général)

Cet usage spécifique peut être confirmé, renforcé par le recours à des compléments du nom qui précisent davantage la spécificité voire l'unicité du référent :

"La femme de Pierre tenait un livre dans sa main"

Le déterminant défini varie en genre et en nombre avec le Nom, coeur du GN(Groupe Nominal) qu'il détermine :

Le livreLa tableLes bouteilles

Dans un texte, la situation et le contexte jouent chacun à leur façon et, parfois, chacun à leur tour, un rôle dans l'identification du référent :

"Passe-moi le livre" (identification situationnelle)

"Arrivèrent un homme et une femme. La femme tenait un livre dans sa main" (identification contextuelle).

Les déterminants indéfinis

Cette catégorie de la grammaire traditionnelle est souvent très hétérogène. La principale distinction qu'il convient d'opérer parmi les déterminants indéfinis est toutefois celle qui permet d'opposer des quantificateurs (le plus nombreux) et des qualificateurs.

Le premier indéfini que l'on cite généralement est "un/une" (dont le pluriel se fait en "des"/"de" selon le contexte) :

Un garçon, une fille, des enfants, de gentils enfants..."

Les autres quantificateurs peuvent être classés ainsi, selon qu'ils n'admettent pas ou peuvent admettre d'être précédés d'un autre déterminant (le, un...) :

En 1 les définis qui commutent avec "le" ou "un". Ex. "aucun homme" et non pas *"un aucun homme"

. En 2 les définis qui peuvent apparaître après "un" ou "le", mais également seuls. On

peut avoir aussi bien "quelques hommes" que "les quelques hommes..." - avec bien sûr une valeur différente.

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En fonction de leur singularité/pluralité variable on les classe généralement de la façon suivante (la liste des indéfinis ici ne prétend pas être exhaustive : ces exemples sont donnés à titre indicatif) :

Ensemble vide Singularité Pluralité Totalité Distributif

type 1aucunpas un

nul

quelquen'importe quel

plusieurscertain(e)(s)

maint(e)(s) (muchas)tout(e) chaque

type 2 -- certainquelques

diversdifférents

-- --

Les indéfinis non quantificateurs (ou qualificateurs) sont essentiellement "même", "autre" et "tel" qui s'emploient ou bien avec "un" ou "le", ou bien seuls devant un nom :

"Telle personne"/"Une telle personne" ; "même nouvelle"/"la même nouvelle" ; "tel homme"/"un tel homme"

Les déterminants possessifs

Ce sont des marques personnelles qui accompagnent le nom, indiquant par là que le nom ainsi déterminé concerne une personne évoquée (soulignant parfois l'appartenance par exemple, quand il s'agit d'un objet) :

"Mon livre", "mon travail actuel""Ton cousin", "ton patron""Sa robe", "son organisation""Nos aventures", "nos dernières vacances""Vos attributions nouvelles""Leurs affaires"

On comprend bien que le terme d'"appartenance" ou de "possession", souvent utilisés, ne sont pas toujours heureux, car si à proprement parler une robe peut appartenir à quelqu'un (ou tout objet concret), c'est plus difficile à dire d'"attributions" ou de l'organisation du temps, ainsi que de toute donnée abstraite ! De même, lorsqu'il y a des relations personnelles (que ce soit d'ordre familial, ou concernant des rapports sociaux), ce n'est pas exactement une "possession" qui est en cause : "ton cousin", "ton patron"... C'est pourquoi nous préférerons dire que le nom ainsi déterminé par un possessif "relève de la personne", ou "concerne la personne" évoquée. Il marque des "relations" (qui n'est qu'accidentellement de possession ou d'appartenance).

Les déterminants possessifs s'accordent en genre et en nombre avec le nom qu'ils déterminent.

"Mon bateau / ma maison"

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Toutefois, quand il y a accord de nombre, on notera la disparition de marques de genres sur le déterminant :"nos bateaux" / "nos maisons"On parlera de neutralisation des marques de genre.

En ce qui concerne les déterminants possessifs, le nombre peut caractériser l'élément "possédé" ou les "possesseurs" :"nos maisons" indique qu'il y a plusieurs maisons ; "notre maison" indique qu'il y a plusieurs "possesseurs".Ceci est valable pour toutes les "personnes du pluriel" : Ex. : "vos livres / votre livre" ; "leurs enfants / leur enfant".

On rappellera aussi la "neutralisation" du genre chaque fois que le substantif commence par une voyelle : de fait, il faudrait dire qu'au féminin, diversement marqué en français, on a la répartition suivante :

ma + consonne : Ex. "ma petite amie"

FEMININ

mon + voyelle : Ex. "mon amie"

"mon", prononcé [mõn], est "lié" au substantif selon un enchaînement syllabique régulier en français à l'intérieur d'un groupe syntaxique dont les constituants entretiennent des relations étroites.

Les déterminants démonstratifs

Du point de vue morphologique, les démonstratifs sont marqués en genre et en nombre :"ce garçon/cet homme", "cette fille/cette assiette", "ces livres/ces enfants".

On voit que le genre est neutralisé au pluriel : les marques de genre disparaissent du déterminant proprement dit ; en revanche il faut souligner que la présence immédiate d'un mot commençant par une voyelle (nom ou adjectif antéposé) entraîne une variation de la forme du démonstratif. Ce phénomène constant pour les déterminants (cf. le garçon / l'enfant, mon garçon / ma fille / mon enfant / mon épouse) se manifeste pour les démonstratifs selon le modèle phonique suivant :

au singulier, pour le masculin : [səgarsõ] / [sɛtɔm] : ce garçon / cet homme au pluriel, quel que soit le genre

[legarsõ] / [lezɔm] / [lezepuz] : les garçons, les hommes, les épouses.

Du point de vue syntaxique, les déterminants démonstratifs introduisent le syntagme nominal mais peuvent être séparés du nom lui-même par un certain nombre d'adjectifs ou d'autres déterminants :"ces trois enfants" / ces petits garçons", etc.

Dans un texte suivi il est indispensable d'étudier l'enchaînement des déterminants qui se succèdent, selon des règles d'anaphore caractéristiques et en lien avec les pronoms : Ex. "Un homme et une femme

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arrivaient. La femme portait un sac ; celui-ci était en cuir noir. Quant à l'homme, il semblait épuisé et découragé. Elle lui dit..."

Les déterminants numéraux

Ces déterminants qui fonctionnent tantôt comme l'indéfini "un", tantôt comme les indéfinis qualificateurs du type "autres", par exemple, ne posent aucun problème particulier :"Deux hommes mangent assis sur un banc""Les trois enfants jouent à la marelle"

En conclusion, provisoire, il conviendra de ne jamais oublier que la détermination - terme par lequel on désigne communément le mode d'introduction d'un nom dans le discours par un morphème qui le précède en français (cf. ci-dessus les déterminants définis, indéfinis, possessifs, démonstratifs, numéraux) - est un terme qui reçoit aussi d'autres acceptions. Parmi celles-ci nous retiendrons surtout que les divers composants du syntagme nominal concourent tous à la "détermination" du nom : "le petit garçon qui joue dans le jardin chaque samedi" : ici le nom "garçon" est beaucoup plus déterminé que dans la séquence "le garçon". On voit que concourent à la détermination du nom les adjectifs, les structures relatives, etc. (sur lesquelles nous reviendrons au chapitre sur les adjectifs. C'est d'ailleurs en raison de ce rôle pour la détermination du nom qui peut être joué par d'autres éléments, qu'une séquence comme "Pierre qui roule n'amasse pas mousse" peut fonctionner dans le discours : "qui roule", en l'absence même de tout article déterminant, comme c'était possible en français plus ancien, apporte ce qu'il faut de détermination au substantif "pierre" pour qu'il puisse fonctionner dans le discours et former le syntagme nominal sujet de "n'amasse pas mousse". Michel Arrivé, FRançoise Gadet et Michel Galmiche à l'article "détermination" dans La grammaire d'aujourd'hui : Guide alphabétique de linguistique française(Flammarion, 1986) disent très explicitement :

C'est bien dans cette perspective que nous étudierons le syntagme nominal avec ses déterminants et ses divers adjectifs ou structures adjectivales dans ce cours.

L’adjectif

La catégorie de l'adjectif en français n'est guère identifiable morphologiquement, même si certains adjectifs (mais pas tous) continuent à s'accorder en genre et en nombre avec le nom qu'ils déterminent (définition classique). Les adjectifs sont de formes très diverses (bon/bonne ; rouge, vert/verte ; agréable, incompréhensible, adorable, soluble...), ne s'accordent pas toujours (cf. une robe marron, une robe vert bouteille) ; des substantifs servent fréquemment d'"adjectifs" (peuvent avoir une fonction d'épithète comme le souligne M. Noailly lorsqu'ils sont postposés au nom-noyau du SN) ; en outre des groupes prépositionnels, des relatives, tiennent effectivement lieu d'"adjectifs", c'est-à-dire permettent de préciser la valeur du nom : "le garçon blond", "un travail fatigant", "une promenade agréable" ; "un billet aller-

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retour", "un papier cadeau" ; "une cuillère à café", "un sac en cuir", "le fils de Pierre" ; "l'homme qui porte une chemise rouge", "le chien dont je t'ai parlé"...

Sauf quand ils sont attributs, les adjectifs sont toujours des éléments facultatifs de la phrase, c'est-à-dire que ce qu'ils signifient peut être laissé implicite (relève de la situation) ; la présence de nombreux adjectifs, ou locutions adjectivales diverses, est de ce fait extrêmement révélatrice et le choix, la place, l'abondance des adjectifs peut être un élément très significatif pour la description d'un texte littéraire.

On retiendra donc que parmi les diverses études grammaticales proposées ici, l'étude des adjectifs est particulièrement significative pour comprendre un texte, car s'ils sont souvent des "compléments" grammaticalement non indispensables, ils sont des éléments essentiels pour décrire une situation, des personnages, des événements… Leur place, leurs caractéristiques formelles et sémantiques doivent souvent être l'objet d'une analyse minutieuse.

Dans une phrase comme "Cet homme blond qui m'a parlé devant la porte m'a retenue alors que je devais prendre le bus pour Monaco" : "blond", "qui m'a parlé devant la porte" ne sont pas indispensables grammaticalement à l'existence d'une phrase, même s'ils ont une fonction sémantique non négligeable : comparer avec la phrase "Cet homme m'a retenue" (de même que "alors que je devais prendre le bus pour Monaco", complément de phrase, non essentiel, comme on dit quelquefois).

L'adjectif attribut, ce complément de verbe particulier, quant à lui, s'accorde en principe en genre et en nombre avec le sujet dont les caractéristiques "traversent" le verbe pour se reporter sur l'attribut. Toutefois, ce test commode de reconnaissance d'un attribut connaît quelques limites puisque tous les adjectifs ne portent pas des marques de genre et de nombre. C'est donc en procédant à des commutations que l'on peut aisément mettre en évidence la fonction d'attribut :

"Cette robe est rouge" (pas d'accord en genre) ; "Cette robe est grande" (accord de "grande" qui prend la marque de féminin de robe manifestée sur le déterminant démonstratif) "La femme est fatiguée" (l'accord ne s'entend pas, même s'il doit être indiqué à l'écrit : à l'école primaire autrefois on conseillait de faire commuter avec un participe-adjectif dont l'accord s'entendait : par exemple "la femme est faite"... mais cet accord disparaissant considérablement à l'oral ordinaire en français, il n'est plus guère possible de recourir à ce test pour des élèves qui ne le pratiquent plus.

La place de l'adjectif

La place de l'adjectif est une question complexe, de sorte que les grammairiens font de ce problème un thème privilégié de recherche.

Certains adjectifs ne peuvent apparaître qu'après le nom. Mais beaucoup d'autres apparaissent selon le cas avant ou après le nom. Les facteurs qui interviennent pour

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régler la place de l'épithète sont de natures diverses. On traitera successivement ci-dessous de facteurs formels, puis de facteurs sémantiques.

Au plan formel, on a souvent évoqué la question de la taille de l'adjectif : les adjectifs brefs (notamment monosyllabiques) étant considérés comme antéposables, alors que les adjectifs longs (polysyllabiques) ne le seraient pas. En fait ce critère est le plus contestable. Si l'on trouve des adjectifs brefs antéposés ("une longue route", "un grand bateau", "de noirs desseins"…) on trouve également devant le nom des adjectifs longs ("une agréable promenade", "une ravissante idiote", "une exceptionnelle aventure"…), et l'on trouve également des adjectifs brefs postposés ("une robe rouge", "un homme vieux", "un adjectif bref"…), aussi bien que des longs ("une promenade agréable", "un enfant insupportable", "une histoire extraordinaire"…). Dans un cas comme dans l'autre, on peut se demander si les contre-exemples ne sont pas aussi nombreux que les exemples !

Toujours au plan formel mais plus significatifs sont les éléments tenant à la structure du syntagme nominal ou à la structure du syntagme adjectival lui-même. Arrivé, Gadet, Galmiche, 1986, rappellent les facteurs suivants :

la présence dans le SN d'un complément prépositionnel facilite l'antéposition : "un travail facile" (l'antéposition est peu vraisemblable) mais "un facile travail de documentation" (l'antéposition est rendue possible) ;

quand l'épithète constitue elle-même un syntagme, avec un (ou des) complément(s), elle est normalement postposée : "une grammaire remarquablement bonne" (avec toutefois : "une très bonne grammaire"), "un bon spectacle" (l'antéposition est seule possible) mais "un spectacle bon pour les enfants".

Mais les facteurs sémantiques jouent également un rôle très importants. On devra recourir à ces données pour expliquer que tous les adjectifs ne peuvent occuper toutes les positions. Ainsi :

*" Cette verte robe lui va bien "

est une phrase peu imaginable en français. Gardons-nous toutefois de dire au vu de cet exemple que les adjectifs de couleur ne peuvent jamais être antéposés en français : on citera :

"Ses noirs desseins terrifiaient son entourage." "Il baisa ses blanches mains.""A ses pieds s'étendaient de vertes prairies."

Si ces associations dans cet ordre sont possibles, c'est en fait parce qu'il y a un "lien" entre l'adjectif et le nom qu'il qualifie : on pourrait dire qu'ils ont "un sème commun", soulignant ainsi un phénomène largement culturel : une prairie est "verte" en quelque sorte par définition, des mains que l'on baise (cf. le baise-main) sont "blanches". Quant à la première phrase, on soulignera la valeur particulière de "noirs" dans ce cas, qui

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d'ailleurs ici ne désigne pas à proprement parler une couleur mais relève beaucoup plus de l'ordre moral.

De fait comme le précisent Arrivé, Gadet et Galmiche, déjà cités (p. 37-38) :

"L'épithète antéposée qualifie le contenu notionnel (le signifié du nom). L'épithète postposée qualifie le référent visé, dans les circonstances ponctuelles de l'énonciation, par le syntagme nominal."

C'est en raison de l'explication sémantique précédemment avancée (un sème semblable dans le nom et l'adjectif) que l'adjectif antéposé qui qualifie le contenu notionnel joue le rôle d'"intensificateur sémique" ; c'est aussi pourquoi, concrètement, les adjectifs "de dimension" peuvent être souvent antéposés (avec d'ailleurs dans ce cas un sens différent du sens qu'ils prennent quand ils sont postposés) :

"un grand homme""une large avenue" - ou "un large consensus" !"un gros commerçant".

Ici, les mots "homme", "avenue", "commerçant" ainsi que la plupart des mots concrets français, contiennent un sème référant à la notion de dimension qui se trouve ainsi "intensifiée" par le sème "dimension" de l'adjectif. De ce fait "un grand homme" n'est pas un homme "grand" mais quelqu'un qui est "grandement homme", "un gros commerçant" n'est pas un commerçant gros, mais quelqu'un qui est "grossement commerçant", c'est-à-dire qui a un gros commerce, et "l'agréable promenade" est une promenade qui est "agréablement promenade".

L'adjectif antéposé manifeste ainsi l'une des qualités intrinsèques du nom, et il ne représente pas une propriété extérieure au contenu notionnel, comme lorsqu'il est postposé. Il n'y a pas des adjectifs antéposés "en soi", mais des adjectifs qui s'antéposent plus naturellement devant certains noms ; en outre certains adjectifs peuvent être plus aisément antéposés que d'autres, car ils ont la propriété d'avoir un usage plus large, d'être utilisables avec de nombreux noms pour lesquels ils deviennent intensificateurs sémiques.

Comme le disent Arrivé, Gadet, Galmiche, ces observations permettent de rendre compte de plusieurs phénomènes :

les adjectifs qui désignent des qualités distinctives, dont l'énonciation permet des classifications, sont généralement postposés. C'est le cas des adjectifs de couleurs, de formes, ainsi que des adjectifs relationnels [voir ci-dessous]. Quand, par exception, un adjectif de couleur perd cette fonction classificatrice (par exemple quand la couleur est une qualité inséparable, ou jugée telle, du signifié du nom, l'antéposition redevient possible : Ex. : "les vertes prairies" ;

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inversement les adjectifs qui désignent des qualités considérées comme affectant de façon permanente le contenu notionnel du nom ont tendance à s'antéposer. On constate alors que l'opposition entre l'anté- et la postposition n'est pas un trait qui affecte l'adjectif seul, mais l'ensemble qu'il constitue avec le nom. Il est donc inutile de dresser des listes d'adjectifs, qu'il serait facile de confirmer avec certains noms et de falsifier avec d'autres ;

quand on observe une différence de sens caractérisée entre l'adjectif selon qu'il est antéposé ou postposé à un même nom, cette différence se laisse le plus souvent analyser selon la règle énoncée plus haut. On cite souvent sous cette rubrique une liste très restrictive d'adjectifs : grand (grand homme / homme grand), simple (une simple lettre / une lettre simple), ancien (un ancien professeur / un professeur ancien " qui a de l'ancienneté"), vague (une vague idée / une idée vague), vrai (une vraie aventure / une aventure vraie), apparent (une apparente folie / une folie apparente) et quelques autres. En réalité, ce fonctionnement atteint, de façon plus ou moins claire selon le sens de l'épithète et du nom, un grand nombre d'adjectifs : une belle femme est une femme en qui la féminité est belle ; une femme belle est belle sans référence spécifique à sa nature de femme. Cependant, le fonctionnement est parfois masqué par le fait que certaines postpositions sont peu grammaticales, pour des raisons de sens plus ou moins évidentes. Ainsi, on parlera volontiers d'un "gros industriel" ou d'une "petite hystérique" (une personne chez qui l'hystérie est légère), mais on aura plus rarement l'occasion d'alléguer "un industriel gros" (obèse) ou "une hystérique petite" (de petite taille). Cependant, la construction attributive est possible ("cet industriel est gros"), avec le sens qu'aurait l'adjectif postposé ;

on observe dans certains cas une neutralisation de l'opposition de sens entre l'épithète antéposée et postposée. Ainsi il est difficile de distinguer entre "une luxueuse réception" et "une réception luxueuse". Cette suspension de l'opposition s'explique par le fait que les deux mécanismes qualificatifs produisent le même effet de sens.

Il reste que certains adjectifs, qui ne peuvent pas être intensificateurs sémiques (devant aucun nom) ne peuvent en principe pas être antéposés. On citera :

les participes passés : un enfant énervé (… qui est énervé ou qu'on a énervé) les participes présents : un paquet encombrant (qui est encombrant)

les adjectifs relationnels : un bâtiment municipal (de la municipalité).

Dans les deux premiers cas, la valeur verbale reste présente comme le montrent les périphrases avec relatives proposées ("qui est") ; pour les adjectifs relationnels, leurs propriétés particulières, qui les distinguent assez largement des qualificatifs, suffisent à expliquer leur fonctionnement syntaxique particulier. Arrivé, Gadet, Galmiche parlent de deux sous-classes d'adjectifs (pp. 33-34) :

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Document"a) certains adjectifs indiquent une qualité, ou propriété essentielle ou accidentelle, de l'objet désigné par le nom (ou le pronom) : "une robe rouge", "un livre intéressant", "celui-ci est mauvais". b) d'autres adjectifs établissent une relation entre le nom et un autre élément nominal : dans "le discours présidentiel", l'adjectif est l'équivalent d'un complément de la forme : "du président" ; il indique une relation entre le nom "discours" et le référent désigné par le nom "président". de même, dans "le voyage alsacien du Ministre", l'adjectif "alsacien" […] est l'équivalent de "en Alsace".Du point de vue syntaxique, on observe entre les adjectifs de ces deux sous-classes les différences suivantes :

sauf phénomène de blocage sémantique, les adjectifs de la première classe (qualificatifs au sens strict) sont aptes à marquer les degrés de la qualité signifiée : "un livre très (assez, plus, moins, etc.) intéressant". Cette possibilité est évidemment interdite aux adjectifs de la seconde classe (parfois dits relationnels) : "le voyage du président" ne peut pas être dit "très (assez, plus, moins, etc.) présidentiel" ;

les qualificatifs peuvent fonctionner comme attributs ("cette robe est rouge", "ce livre paraît intéressant"). Les relationnels ne le peuvent généralement pas : "ce voyage est présidentiel" (voir cependant plus bas) ;

le qualificatif épithète peut se voir substituer une relative ("la robe qui est rouge"). L'adjectif relationnel ne le peut pas : "le voyage qui est présidentiel"

L'ensemble de ces traits différentiels amène certains linguistes à donner aux éléments de la 2e classe - les relationnels - le nom de pseudo-adjectifs. Cependant, la frontière entre les deux classes n'est pas d'une rigueur absolue. L'adjectif relationnel peut en effet se charger des qualités de l'objet désigné : il est alors reversé à la classe des qualificatifs. Ainsi, un discours très présidentiel sera interprété comme "au plus haut point conforme à ce qu'on peut attendre d'un président"."

Arrivé, Michel, Gadet, Françoise, Galmiche, Michel, 1986, op. cit.

Il conviendrait de citer encore certains "noms" qui servent d'adjectifs, et qui ne peuvent être que postposés, même si la relation nom - adjectif n'est plus une relation passant par le verbe être (relation d'attribut) : on peut gloser cette relation au moyen de divers verbes :- "un enfant modèle" c'est "un enfant qui sert de modèle"- "un papier cadeau" c'est "un papier qui enveloppe les cadeaux"- "une lessive miracle" c'est "une lessive qui fait des miracles"etc.

Dans tous ces cas (paraphrase par "qui est" ou paraphrase avec d'autres verbes), il y a une relation verbale sous-jacente, et dans tous ces cas l'antéposition est impossible. La paraphrase souligne la différence de ces adjectifs jamais antéposables avec les adjectifs antéposables qui ne peuvent être paraphrasés par "qui est X" : un "grand

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homme" ce n'est pas un homme qui est grand (on dit que "Napoléon était un grand homme", mais l'on sait qu'il était justement très petit), mais quelqu'un dont l'humanité est grande, qui est grand dans sa façon d'être homme (et non pas grand physiquement).

De fait - et les explications sémantiques données ci-dessus expliquent cela - peu d'adjectifs, pour un nom donné, sont susceptibles de devenir intensificateurs sémiques et donc d'être antéposés ; en outre la classe de ces adjectifs tend à être de plus en plus limitée, dans le français courant en particulier (dans les divers créoles, langues issues du français, mais qui sont devenues des langues autonomes, la classe des adjectifs antéposables / intensificateurs est une classe close qui comprend très peu d'individus). De toutes façons, on ne peut antéposer plusieurs adjectifs à la suite, et l'ensemble reste globalement fort restreint.

En revanche, après le nom, plusieurs classes d'adjectifs sont possibles. On peut s'interroger sur d'éventuelles contraintes d'ordre :- On va effectivement des caractéristiques les plus intrinsèques au caractéristiques les plus externes : cf. "un enfant blond, fatigué, qui n'a pas appris ses leçons". Tout changement dans l'ordre des adjectifs/propositions relatives est ici impossible.- Les "compléments de noms" (compléments indirects introduits par "de") suivent à peu près immédiatement le nom : aussi bien quand ils expriment la possession ("le fils de mon frère") que la provenance "le train de Paris", ou le contenu "une tasse de café", etc.

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