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Français en Afrique au XIXe siècle. Ouvrage orné de 43 cartes et de 247 photographies Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Les Francais en Afrique

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Français en Afrique auXIXe siècle. Ouvrage

orné de 43 cartes et de247 photographies

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Van Cleemputte, Paul Adolphe (1837-1916). Français en Afrique au XIXe siècle. Ouvrage orné de 43 cartes et de 247 photographies. 1901.

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LEO

FRANÇAIS EN AFRIQUEAU XIXe SIÈCLE

PAR

CHARLES SIMOND

ILLUSTRÉDE 247 COMPOSITIONSET CARTES

H.-E. MARTIN, ÉDITEUR

LIBRAIRIE D'ÉDUCATION DE LA JEUNESSE

7, RUE DES CANETTES, 7

PARIS

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LES

FRANÇAIS EN AFRIQUE'

§iu XIXe SIECLE

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Droits de traduction cl de reproduction réservés pour toits pays,

y compris la Suède et la Norvège.

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Chemin dans l'oàSS^de M'eid, près Biskra.

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CHARLES SIMONDLAURÉAT DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

LES

AiȤ/ AU XIXe SIECLE

OUVRAGE ORNE DE 43 CARTES ET DE 247 PHOTOGRAPHIES

PARIS

H.-E. MARTIN, LIBRAIRE - ÉDITEUR

7, RUE DES CANETTES, 7

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M£kNT-PROPOS

Par ses acquisitions coloniales, la France est deve-

nue, en Afrique, la voisine non seulement du

Maroc, mais de la Tripolitaine turque, de l'Empire

abyssin, de l'Egypte équatoriale, de puissantescolonies européennes. C'est une situation qui a

ses avantages, mais qui comporte des soucis et

des charges.

ALFRED RAMBAUD.

i a publié des milliers d'ouvrages sur l'Afrique. J. Gay, qui en

dressa le catalogue méthodique en un volume in-octavo à deux colonnes,

paru en 1875, en comptait déjà a cette époque 3.000. Depuis vingt-cinq ans

ce nombre s'est accru certainement d'autant et la matière n'est pas épuisée.

L'étude de ce continent, jadis presque entièrement ignoré et maintenant ouvert

à toutes les entreprises, ne t'ait, à proprement parler, que débuter : sa

géographie n'est jusqu'ici qu'incomplètement connue; son histoire, encore

inapprotbndie ou toute légendaire, ne pourra être écrite sérieusement que

lorsque le folk-lore et les traditions locales auront apporté leur contingent

de documents à l'investigation des faits remplaçant les conjectures et les récits

imaginaires ; son commerce ne fournira des matériaux vraiment importants

aux économistes qu'après l'établissement de statistiques précises sur la richesse

du sol et ses productions, sur les possibilités et les prévisions de transactions

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II AVANT-PROPOS

entre les divers pays africains et les autres nations; enfin, les arts dans leurs

souvenirs, surtout les monuments archéologiques, ne révéleront leurs trésors

encore existants, particulièrement dans le nord, l'est et le sud-ouest, que grâce

aux fouilles, à peine commencées en un petit nombre d'endroits; les lettres,

les sciences, autrefois florissantes sous les dominations égyptiennes, éthiopiennes,

arabes, ne s'apprécieront à leur valeur que si l'on parvient à retrouver, comme

il est permis de l'espérer, la plus grande partie des manuscrits dont quelques-

uns à peine sont aujourd'hui entre les mains des savants.

Or, tout ce travail ne peut s'effectuer qu'à la faveur de la civilisation

ouvrant partout des voies pacifiques. Celles-ci, tracées principalement dans la

dernière moitié du xixe siècle, s'élargissent, il est vrai, mais la tâche est loin

d'être achevée. Malgré l'activité incessante déployée par la colonisation, il

faudra y employer encore d'immenses efforts et des capitaux considérables.

11 y a là des institutions à créer, des transformations à opérer, des volontés

et des énergies à mettre en ceuvre, des influences à exercer, qui imposent,

dès à présent, aux puissances se partageant l'Afrique, un rôle sans doute

glorieux mais impliquant de grands devoirs et de lourdes responsabilités.

Parmi les bénéficiaires de ce partage se trouvent la France, l'Angleterre,

l'Allemagne, la Belgique, le Portugal, et accessoirement l'Italie et l'Espagne; sur

quelques points régnent encore des souverains ou des suzerains musulmans ; ailleurs

se reconstruit l'ancienne Ethiopie sous l'autorité d'un chef capable, entre-

prenant et favorisé par de premiers succès. Ces diverses dominations n'obéissent

toutes et n'obéiront pendant longtemps qu'à la loi de l'expansion se heurtant

aux intérêts de la conservation et aux résistances de l'autonomie. Il n'y aura,

par conséquent, pas de sitôt entre les possesseurs de l'Afrique, quelle que

soit la forme de leur gouvernement, une entente ayant pour objet le progrès.

La politique seule orientera toutes les tendances.

Cette politique coloniale n'hésitera pas, comme elle le fait en ce moment

même dans l'Afrique australe, comme elle le fera vraisemblablement, à une

date plus ou moins rapprochée, en Abyssinie, en Tripolitaiue, au Maroc, à faire

de la guerre l'instrument décisif et le dernier mot de la diplomatie. On verra,suivant les circonstances, se renouveler des procédés d'occupation territoriale

que réprouve le droit des gens, mais qui ont des partisans, malheureusement

nombreux. La thèse de la force n'attendant sa légitimation que des résultats,au mépris de l'équité, n'a pas cessé de triompher. 11 se produira encore

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AVANT-PROPOS in

des exemples de convoitises s'appuyant sur la supériorité numérique des

armées pour répandre la désolation et la mort là où le labeur patient et

sage avait créé la vie. L'invasion du pays des Boers, telle qu'elle a été prati-

quée en ces derniers temps, est une méthode qui se répétera ailleurs. Puisqueceux qui ont eu recours à ce système l'ont fait déclarer juste par des législateurs

et sanctionner par des millions d'hommes, enivrés d'impérialisme à outrance,

on ne reculera point, si l'occasion s'en représente, devant une reprise des

mêmes agissements, sauf à préparer plus sûrement ses armes. Le cas échéant,si l'occasion ne s'offre pas assez vite, on la fera naître. D'autres, qui la secondent

par leur alliance ou par leur morale expectante, se conduiront de même.

L'Angleterre a pris, en Afrique, l'initiative de ce genre d'extension de ses

colonies. Le mode n'est, à vrai dire, pas nouveau pour elle. La théorie de la

mission des races supérieures ayant pour fonction sociale de dépouiller les

races moins avancées et de les exterminer successivement pour assurer la

réalisation des projets conçus par des maîtres qui prétendent diriger le monde

à leur profit exclusif, s'est affirmée au xixe siècle clans les expéditions africaines

de la Grande-Bretagne. Si quelques-uns de ses pionniers, comme Livingslone, y

ont fait exception, les événements prouvent que tout en faisant, dans certains

cas, acte de souplesse ou en s'adaptant aux nécessités, jamais elle ne s'est départie

de sa maxime qui est de ne rien entreprendre sans qu'il en résulte pour elle

un bénéfice matériel et personnel. Et c'est pour cela que si souvent elle a

rencontré la France comme adversaire.

Le fonds national, qui constitue le propre de notre caractère et que l'on

reconnaît toujours lorsqu'on ne se contente pas d'une observation rapide ou

superficielle, est en effet tout différent des instincts anglais. Rien ne le montre

plus éloquemment que l'histoire de ces Français dont les travaux, au cours

du xixe siècle, ont eu pour marque distinctive le désintéressement. Comme ces

chevaliers qui s'en allaient, à travers l'inconnu, vers l'idéal, ne voulant avoir

d'autre mérite que le renoncement au profit avec la recherche du danger, et

courant aux aventures simplement parce qu'elles étaient séduisantes, ces fils

de France qui furent, suivant une belle expression, les derniers paladins de

l'Europe, tels jadis René Caillé et, plus près de nous, de Brazza, sont restés

fidèles à l'impulsion française. Nous les verrons, en ces pages où l'auteur de

ce livre essaie de les suivre dans leurs routes, donner toute leur âme à leur

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IV AVANT-PROrOS

patrie, sans penser à eux-mêmes, et, en ne songeant qu'à elle, se rappeler

toujours qu'elle s'honore d'être l'avant-garde de l'humanité.

Sans doute, l'expérience a prouvé que si les causes désintéressées ont,

pendant une grande partie du xixe siècle, attiré de préférence l'intrépidité

française, il n'était plus possible, en face de la politique coloniale anglaise ou

allemande, de laisser ces puissances, qui sont pour nous des rivales quand elles

ne sont pas des ennemies, s'implanter en Afrique sans que la France leur y

disputât le terrain et y prit vigoureusement en mains la défense de son salut

et de son avenir; mais ces considérations nécessaires n'ont pas modifié

le tempérament des Français frayant des voies nouvelles et, quoi qu'en

aient pu dire quelques détracteurs — on en rencontre même en son propre

pays — aucun de ces explorateurs n'a inscrit dans les Annales de l'Afrique,

comme l'ont fait par exemple les Anglais et les Allemands, un nom maudit

par les indigènes. C'est ce contraste que nous^a_vorrs voulu faire ressortir.

£"o -^IS il i' 'g/Charles SIMOND.

V „:--'. 7Juillet 190i <^V.tàjy*y

T^TT

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CAUTE DE L Xwn'Ql'E AU XVIIIe SIÈCLE (1778)

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CARTE DE L'AFMQI/E AU COMMENCEMENT DU XIX° SIÈCLE (1808)

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CAIITE DE~VAl"llIQUE EN 1900

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Page 22: Les Francais en Afrique

SÉNÉGAL. CHEMIN DE FER DU IIAUT-FLEUVE

LE PARTAGE DE L'AFRIQUE

CARIE DU PARTAGE DE L'AFRIQUE

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L'histoire de l'Afrique est entrée depuis une

vingtaine d'années dans une phase toute nou-velle : celle du partage.

Après vingt ans seulement, presque tout est

pris en Afrique et lorsque les co-partageantsvoudront s'étendre encore, ce ne pourra être

qu'aux dépens des plus faihles d'entre eux.

ROBERTDE CAIX DE SAINT-AYMOUR.

Aujourd'hui, il n'y a pas une seule région poli-tique de l'Afrique qui ne soit entièrement déter-minée, mais aux partages territoriaux qui pouvaientse faire pacifiquement, le continent étant assezvaste pour satisfaire bien des appétits, ont succédé

déjà les conflits d'influence, les querelles de voisi-nage, toutes ces manifestations dont s'entretientl'état de guerre.

EDOUARDDRIAULT.

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TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS EN ARRIÈRE-GARDE

(Campagne du Fouta, colonne Dodds.)

D'après le tableau de Marius PERRET (Musée du Luxembourg.)

CHAPITRE PREMIER

LE PARTAGE DE L'AFRIQUE

1

E grand fait du xixe siècle est la conquête de l'Afrique par l'Europe. Tâche prodi-

gieuse et qui n'a point cessé de paraître inouïe, maintenant qu'elle est presqueentièrement achevée, tant il a fallu surmonter de difficultés pour pénétrer au

coeur de ce continent resté si longtemps mystérieux. Des obstacles sans nombre s'y

opposaient en effet partout aux pionniers, qui n'y ont jalonné leurs chemins que par des

catastrophes et des cadavres. Aucun nécrologe n'est plus sinistrement remidi de victimes.

Sur ces routes frayées par l'intrépidité inlassable, des centaines de héros, chefs et com-

pagnons d'expéditions, ont succombé tour à tour à la fatigue, à la fièvre, à l'insolation, aux

attaques des bètes féroces, à la trahison des guides, au fanatisme des peuples indigènes.

Cependant ces dangers, ces menaces, ces leçons et ces deuils, si souvent répétés, n'ont, à

aucune époque, ralenti les courages. Inébranlables dans leur dessein, tous ceux qui prirent

part à la lutte de la civilisation contre la barbarie ont successivement — qu'ils aient ou non

atteint le but — apporté leurs efforts, leur zèle, leur audace, leurs travaux à l'oeuvre

commune dont ils ont préparé ou assuré le triomphe. Grâce à cette énergie indémentie, les

régions côtières et intérieures de l'Afrique sont devenues, l'une après l'autre, dans leur

plus vaste étendue, accessibles au progrès, au commerce, à la science. Des centres de com-

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4 LES FRANÇAIS EX AFRIQUE AU XIX 0 SIÈCLE

municalion s'y établissent; des institutions sociales s'y fondent et avec elles se transforment

ou se créent les administrations politiques, les organisations civiles, militaires, judiciaires,

les écoles, foyers de l'éducation. Des voies ferrées y tracent et développent leurs réseaux,

l'influence européenne y exerce son action, dont l'efficacité est souvent contestable, sans que

Carte des explorations en Afrique au \ixe siècle.

l'on puisse mettre en doute son impor-

tance croissante ; la colonisation y ac-

quiert des avantages qui ne se traduisent

pas encore en bienfaits, mais que l'ave-

nir ne pourra manquer de rendre fé-

conds, lorsque tous les appétits étant sa-

tisfaits, les causes de conflit auront cessé.

Pour bien saisir la valeur de ces ré-

sultats obtenus, surtout au cours de ces

vingt dernières années (18S0 à 1900), on

doit faire la comparaison du présent

avec le passé.Dans l'antiquité, les notions sur le

continent africain étaient tout à fait in-

certaines (1). Les Grecs et les Romains

le peuplaient, dans leur imagination, de

monstres fantastiques et de génies mal-

faisants. Ils n'en connaissaient, et en-

core 1res inexactement, qu'une bande

étroite du nord et une partie de la vallée

moyenne du Ml. Pour eux l'Afrique ne

s'étendait qu'à une faible distance au

sait de la Méditerranée. Ils axaient, il est vrai, entendu dire que les Phéniciens en firent le tour

par ordre du roi d'Egypte .Xécliao ; mais ils ne faisaient que répéter ce qu'Hérodote rapportait

de ce voyage auquel il ajoutait lui-même peu de foi. Ils parlaient aussi du Périple d'Hannon

le Carthaginois, quoiqu'ils ne possédassent sur ce navigateur et sur son entreprise cpie des

données fort vagues. Au reste beaucoup de savants se persuadaient, dans ces temps reculés,

1. En réalité ces notion* se bornent à ce qui suit : l'Egypte des Pharaons et les Hébreux ne connaissaient queles noirs de la ré-ion du Unnt-Xil. Au xi" siècle avant notre ère, 1rs Phéniciens explorèrent la cote occidentale de

l'Afrique, fonderont «les colonies sur la cèle marocaine et connurent la partie de l'Océan Atlantique entre le 20° etle 40" de laliiude. lieux siècles plus laid. les Carthaginois longèrent une partir de la cèle d'Afrique, niais, commel'a établi Vivien Saiiit-Marlin {Le nord de l'Afrique dans fantù/uilè et Histoire de ta (jéoi/rapliie). leur voyage eut

pour limite h. Cbernro el ne lui pas un périple, (une circumnavigation). Au v" siècle avant. J.-G., Hérodole — et l'onsa il aujourd'hui que la plupart de ses narrations sont d'une grand,- exactitude — divisait l'Afrique en deux régions :celle îles I.ybies il.ybie habitée, Lybie sauvage ou «les oasis, l.ybie sablonneuse ou désert) et celle de l'Ethiopie. AuiV siècle avant J. C, le Phocéen Eulhymene parvint, en descendant au sud la cote, à l'estuaire d'un grand neuve

qu'il appelai) Chréiuel.'s ,q c|lli ,.s| vraisemblablement le Sénégal. Au u« siècle avant J.-C, Eudoxe de Cy/ique, à quiil ne manqua que la boussole pour devenir le Colomb de l'antiquité, après avoir parcouru les cotes de la Jléditer-ranee jusqu'à Gabés avec le projet de découvrir une libre communicalion entre l'Atlantique et la mer Erythrée,péril dan. colle entreprise qui dépassai! les forces ,1e l'an!iquilé. Sous les Romains, l'olybe, chargé par ScipionEmilieiid explorer la clé occidentale de l'Afrique, ne poussa pas au delà du cap liai-bas. Les relations des expéditionsromaines ne soûl, au surplus, que lrés sommaires. Ce qu'en disent Pline et Slrabon se réduit à quelques rensei-eneuiéuu loup „.„., vaille,. Huant a Ptolémee, il y a lieu ,1e supposer qu'il s'est inspiré du vovage d'Hannon et dece ,pi en avait rapporte la lilleraluro carthaginoise, dont le seul monument qui ait survécu pour nous est cette inscrip-tion en langue punique que nous ne connaissons que par une traduction grecque. De Ptolémee jusqu'à l'époque desbarbares, l'ère des déroLiverles se referme.

"

Page 26: Les Francais en Afrique

LE PARTAGE DE L'AFRIOUE

que la terre était un disque plat —quelques-uns le disaient

renflé —qu'entourait l'Océan. Dans celle théorie, il ne pou-

vait être question d'une Afrique méridionale. Plus lard, quandon admit la sphéricité de noire planète (I), les géographes,considérant qu'elle ne peut, en vertu de sa définition même,

exister sans être symétrique, démontrèrent la possihililé e|

même la nécessité d'une région africaine au delà de l'équa-

leur, faisant équilibre à la niasse lerraquée de l'Afrique

septentrionale. Entre ce monde, hypothétique et le monde réel

connu, ils plaçaient une zone lorride, c'est-à-dire brûlée par

le soleil, et enveloppée de brouillards. Une partie de celle zone

était, suivant ces suppositions, envahie par des monts inl'ran- bakou, spahis arabe.

chissables dont le bassin alimentait, croyait-on, le Ail, ce fleuve prenant naissance dans

l'Antichtone, ou terre opposée à la latitude nord. C'était là. à très peu près, l'opinion de

Pomponius Mêla, et la plupart des cosmographes s'y ralliaient avec quelques divergences

conjecturales sur le climat de ces contrées inabordées.

Peu à peu, à mesure que le commerce, augmentant ses débouchés, s'ouvre des voies

nouvelles dans toutes les directions, ces vues se modifient. Des marins grecs, Diogènès,

Théophilos, Dioscuros, passent la ligne en longeant la cùle orientale d'Afrique. Des

généraux romains, Flaccus, Maternus. traversent le Sahara et poussent jusqu'à Agysimba,

que Marius de Tyr place au 24° de latitude sud, en donnant sur la cote aux caps Rhaplum

et Prasum une position trop méridionale. Ptolémee corrige ces erreurs au if siècle de notre

ère, mais il est lui-même très imparfaitement informé en ce qui concerne la cote occidentale,

quoique les Carthaginois eussent des rapports commerciaux avec les des qui s'essaiment

à l'approche du continent. Il fait cependant mention de deux fleuves, qui sont probablement

la Gambie et le Sénégal, et il signale, à quelque distance au sud de ceux-ci, un grand

golfe au delà duquel, selon lui, la cùle africaine va se perdre à l'ouest de l'Atlantique.

Au moyen âge, la géographie de l'Afrique, au lieu de faire des progrès, recule. La

théorie des antipodes et celle de l'Anlichlone son! vivement combattues. Un va même

jusqu'à les taxer d'hérésies. Presque tous les géographes qui appartiennent à l'Kglise tes

rejettent comme dangereuses et impies. D'autres veulent bien admettre l'existence d'une

Afrique australe, mais la disent entièrement submergée. Les caries de celle époque sont

très curieuses. Elles reviennent au disque qui baigne dans l'Océan. Les idées avancées —

celles de la sphéricité et les autres — ne sont acceptées qu'avec une prudente circonspection

par une minorité, très faible, d'esprits qui devancent leur siècle. Quoi qu'il en soit, jusqu'en

1300 et même après, la conviction parait s'imposer à tous que l'hémisphère sud est

inabordable, que sous l'équaleur le soleil dévore tout, qu'aucun être humain n'y peut

vivre. Quelques-uns. hardis autant qu'inventifs, émettent l'opinion que ces régions équa-

toriales se trouvent plongées dans des ténèbres perpétuelles, au milieu desquelles sévissent

de violentes tempêtes. Quant aux habitants, ce sont des êtres fabuleux, étranges, n'ayant

qu'une jambe et qu'un oeil, ou des pieds de bouc avec une tète d'oiseau, quand ce n'est

pas de chien (ornilhocéphales, cynocéphales), et il y en a de si bizarres et téralulogiques

qu'ils se font un parasol de leur lèvre supérieure.

1. Déjà Parménide l'Eléate, disciple de Xénophane iv" s'ècle avant J.-C.) avait soutenu que la terre était ronde.

'dobeuse et posée comme un centre au fin milieu du monde; 'I haies et les stoïciens l'ont lenue pour ronde comme

une boule; Platon même admet les antipodes; enlin Aristote (341 ans avant J.-C.) el Eralosthène concluent égale-

ment que la terre est ronde et supposent des antipodes et des continents non découverts.

Page 27: Les Francais en Afrique

6 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX<= SIÈCLE

Les grands géographes d'alors sont les Arabes, Maçoudi, Edrisi, Ibn-Batoulah(l); mais

leur science n'a aucun écho en Europe. Maîtres du littoral méditerranéen, les sectateurs de

Mahomet et de ses successeurs y fondent des États puissants dont les centres, le Caire,

Kairouan, Fez, répandent leur rayonnement au loin pendant que les caravanes franchissent

le désert et les autres barrières mises de-

vant elles par la nature. L'Islam multiplie

ainsi ses établissements sur les cotes sep-

tentrionale et orientale de l'Afrique. Les

Arabes conquérants, qui ne rencontrent au-

cune résistance, arrivent jusqu'à Timbouc-

tou, au lac Tchad, à Sokoto, jusqu'à Mélinde

et Mombasa. Leur domination demeura tou-

tefois stérile. Non seulement ils ne firent

pas disparaître l'esclavage, ce fléau africain

qui sévissait dans toute sa terreur, accom-

pagné des massacres de tribu à tribu,

mais ils lui donnaient des moyens de

prospérer en protégeant les nids de pirates

et les vaisseaux négriers.

Telle était la situation de l'Afrique, sous le

rapport de la civilisation, quand, auxve siècle,

les Portugais, sous l'impulsion de leur prince

René CAILLÉ. Henri, entreprirent les voyages qui prélu-

dèrent à la découverte de la nouvelle route

maritime (2). Le point le plus éloigné atteint jusqu'alors, comme en témoignent la carte

catalane de 1372 et celle plus récente de Fra Mauro (1457-1459), était, sur la cùte occidentale,

le cap Bojador. Malgré l'activité de l'Observatoire de Sagres, d'où dom Henrique le Naviga-teur dominait l'Océan, ce fut seulement après sa mort que son initiative porta des fruits.

En 1487, Barthélémy Diaz parvint au cap Vol ta, au sud du fleuve Orange. Bepoussé de

1. Il fit pour Roger II, de Sicile, une sphère terrestre en argent où était gravé en arabe tout ce qu'on savaitalors delà géographie.

2. Il résulte d'un important travail publié dans le Bulletin du Comité de l'Afrique française (avril à juin 1900)par M. L.-L. Binger, que l'entrée en scène des marins d'Europe dans l'exploration africaine doit se placer aucommencement du xm 0siècle. Parmi les voyages qui eurent lieu alors, l'auteur cite comme l'un des premiers celuide Cadamosto, frère mendiant espagnol de l'ordre des Franciscains; il visita le Maroc, considéré alors comme lacapitale de l'Afrique. Son expédition, qui se serait achevée vers la fin de la dynastie des Almohades, aurait comprisdans son itinéraire, certains affluents du Sénégal et du Niger. Pendant la seconde moitié du xm" siècle, un Génoisd'origine française, Lancelot Maloisel, aborda aux iles Canaries, avec lesquelles s'établirent, dès ce moment desrelations suivies, comme le prouvent le voyage des frères Vivaldi et la présence dans cesparages un peu plus tard denavires de Majorque, Pise, Gênes, Bruges et plusieurs villes d'Espagne. Les expéditions portugaises ne vinrentqu'après, en 1341, sous le roi Alphonse IV. Les chroniques portugaises qui relatent avec un luxe de détails lesmoindres criques ou anfractuosités de la côte, auxquelles les navigateurs du Portugal ont donné des noms nedisent rien qui permette de supposer que ce sont les navigateurs de ce pays qui ont baptisé du nom d'Areuin labaie du cap Blanc. Toujours est-il que les marins catalans et mayorquins avaient connaissance de l'existence d'ungrand fleuve sur la côte d'Afrique, qu'ils désignent sous le nom de fleuve de TOr. Le portulan médicéen de 1351(Allas de la bibliothèque laurentienne de Florence) donne déjà à toute la côte occidentale une forme générale et desinflexions analogues à celles qui existent. Cette configuration, caractéristique, n'est certainement pas l'effet d'unheureux hasard, et l'on peut en conclure qu'avant 1351, la côte avait été visitée jusqu'à une certaine distance ausud de l'équateur. Le Sénégal y figure sous le nom de Sénégany. Le voyage de Jacques Ferer date de 1346 celuide Béthencourt et de la_Salle est de 1402, et entre les deux se placent de nombreuses tentatives vers les mêmesrégions.

Page 28: Les Francais en Afrique

LE PARTAGE DE L'AFRIQUE

la côte par la tempête et ne pouvant atterrir, il doubla le

cap méridional sans le savoir, continua de naviguer versl'est jusqu'au Rio do Infante et dut renoncer à s'aventurer plusloin à cause de la frayeur de son équipage révolté. Il reprit laroute d'Europe, reconnut le cap, et en souvenir de la tourmente

qu'il avait subie, l'appela Gap des Tempêtes (Gabo ïormentoso).Le roi de Portugal, Joao II, changea ce nom en celui de Gapde Bonne-Espérance, parce que ce souverain avait l'espoirde trouver de ce côté la route de mer tant cherchée.

Cette découverte de Diaz démontra que le sud de

l'Afrique ne se rattachait pas, contrairement à l'opiniongénérale, à un grand continent. A vrai dire, quoique per- Type [le Marocainsonne n'eût aperçu le promontoire avant ce navigateurou ne s'en fût fait gloire, l'existence n'en était plus mise en doute dès le commen-cement du xve siècle. On le voit en effet figurer sur la carte de Fra Mauro, quil'appelle Cap du Diable (Gabo do Diab) et mentionne le fait qu'une jonque indienne ledoubla en 1420. Plus tard, en 1488, Pedro Covilhao, qui, sur l'ordre du roi, avait visité

l'Abyssinie, assura que si des vaisseaux suivaient la côte occidentale toujours au sud, ilsfiniraient par atteindre l'extrémité réelle de l'Afrique.

Du reste, les Portugais avaient, depuis 1415, dessiné le profil du continent africain àl'ouest. En 1434, Gil Eannes avait franchi le cap Bojador (1); en 1443, le cap Blanc avaitété découvert et Antonio Gonzalez avait atteint l'embouchure du Sénégal et le cap Vert ; de

1455 à 1456, la côte de Guinée avait été reconnue; en 1471, Diego Cane avait effectué le

passage de la ligne. Ce furent ces indications et celles de Diaz qui préparèrent la grande

expédition de Vasco da Gama.

La mort ravit, en 1496, à Joao II, la gloire qui devait s'attacher à la réalisation de ses

grands desseins. Son fils, dom Manoel, acheva l'oeuvre qui révolutionna la science géogra-

phique et, avec celle-ci, le commerce de l'Europe : quand le découvreur de la route des mers

1. Suivant M. Binger, la carte catalane de 1375 annote le port de Buietder (Bojador), au delà du cap, ce quisuffirait pour indiquer que ce fameux cap avait été doublé bien avant l'exploit tant vanté de Gil Eannes. A cette

époque, les Canaries sont connues en détail. Sur la carte catalane de 1375 les îles sont déjà très bien groupées et lalecture en est facile. Des faits et des cartes dénotent et attestent que des marins d'autres nations que le Portugal,et entre autres des Normands, fréquentaient ces côtes dès le xm" et le xiv" siècles et que leurs voyages les portèrent,en les mettant en contact avec les noirs, jusqu'aux parages du Sénégal et du Cap Vert et peut-être même au delà.Les preuves historiques, dit M. Binger, ne permettent pas d'attribuer ces premières expéditions aux héros des

Lusiades, au moins en ce qui concerne les îles de la partie des côtes de l'Atlantique jusqu'au Sénégal et au Cap Vert.Dans cette première période qui s'étend de 1415 à 1445, pendant une trentaine d'années, les navigations portu-

gaises dans l'Atlantique n'étaient que les essais graduels d'un peuple novice dans la piatique de la mer. « Us en

étaient, dit d'Avezac, encore aux cinglages journaliers d'un timide cabotage, quand leurs devanciers voguaienthardiment au large pour se rendre en droite ligne à leur destination. » Cette timidité, cette inexpérience, est du

reste avouée par de Barros, le Tite-Live portugais, et Cadamosto nous confirme clans cette appréciation. A cette

période d'entraînement succède l'épopée biillante à laquelle le prince Henri a su mener la marine portugaise en

étendant son action et ses investigations du Cap Vert aux Indes. Une seule nation revendique cependant pour la

gloire de sa propre marine l'envoi de quelques navires marchands pendant le [recèdent siècle au golfe de Guinée.

C'est la France, au nom de ses marins normands. Cette constatation ne diminue en rien le grand oeuvre de l'épopée

portugaise; elle n'ajoute qu'un peu de gloire à celle de la Normandie.

En réalité, l'ère des grandes découvertes portugaises ne s'ouvre que vers la deuxième moitié du xv° siècle. Or,les Portugais n'étaient pas seuls à fréquenter ces parages; des voyages isolés, clandestins parfois, y étaient effectués

par les Castillans et les Français. Martin Behaim cite le cas d'un Français possédant, en 1488, une des îles du

Cap Vert, et il est avéré que, dès 1501, le rôle de nos marins devient considérable dans l'exploration de la côte

occidentale d'Afrique. Les Portugais n'y admettent notre présence qu'en 1542. En fait elle date de cinquante-

quatre ans plus_tôt.

Page 29: Les Francais en Afrique

LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

eût montré le chemin à ceux qui iraient, après lui, établir la ligne ininterrompue de navi-

gation entre le Cap et Aden, et par là-même entre les colonnes d'Hercule et l'entrée de la

mer Rouge, en faisant le vrai périple ; la configuration exacte de l'Afrique put être déterminée

avec assez de précision pour permettre aux cartographes (on en a la preuve dans la carte de

Libeiro qui est de 1529), d'en dresser le tracé en lui donnant bien sa forme aujourd'bui

connue d'un triangle ayant sa pointe tournée vers le sud.

Il restait toutefois à connaître et à figurer la masse continentale même, et sur ce point

on ne savait encore que très peu de chose. Toutes les cartes du xvi" siècle donnent, en effet,

un développement exagéré à l'espace com-

pris de l'ouest à l'est, entre le Cap Vert et le

cap Guardafui, et pour ce qui concerne l'in-

térieur, c'est toujours à Ptolémée que l'on

s'en rapporte, en ne modifiant que ses conjec-

tures sur les sources du Nil. On place celles-

ci, à environ 10 degrés au-dessous de l'équa-

teur, car la tendance presque unanime des

savants d'alors est de faire naître la plus

grande partie des fleuves africains dans les

régions australes.

Cependant les Portugais explorèrent le

pays du Zambèse dès 1560, et les Jésuites

de Goa, le P. Gonçalo do Silveira notam-

ment, firent à cette date la traversée des

bouches de ce fleuve à Tèté pour se rendre

au Monomotapa. En 1665, un voyageur por-

tugais, Manoel Godinho, parle de ses voyagessur le Kouana (nom donné anciennement au

Zambèse) et sur le Cliiré. En 1710, un autre

religieux décrit des territoires qui envi-

ronnent ces cours d'eau.

Toutefois ces expéditions, entourées d'un.IKAN LAHORDE *

Consul de France à Madagascar. profond mystère SU11S doute parce que

les souverains du Portugal voulaient s'en

assurer, avec un silence jaloux, le bénéfice exclusif — restent ignorées des contempo-rains et, par conséquent, sans profit pour la civilisation. Aussi celle-ci ne retire-t-elle

presque rien de tant de brillantes tentatives. Lorsqu'elles cessent, à l'avènement des

princes qui perdent tout ce que leurs ancêtres avaient gagné, l'Afrique s'enveloppe denouveau pour l'Europe de ténèbres insondables.

II

L'Europe n'avait eu, en fait, aucun renseignement sur les secrets intimes de ce conti-nent ; elle en ignorait le sol et ses productions, éléments principaux de ce qui pouvait enfavoriser les conditions économiques ; c'était pour les commerçants européens une terreingrate et périlleuse, parce qu'inconnue, et dont personne ne songeait à affronter lesmystères.

Page 30: Les Francais en Afrique

LE PARTAGE DE L'AFRIQUE 9

D'autres horizons éveillaient d'ailleurs et attiraient les ambi-tions de l'Europe : les navires hollandais transportaient lesmarchands et les colons vers les régions où, sur les bords du

Pacifique, le sol promettait des richesses inépuisables ; les

Anglais s'établissaient dans l'Amérique du Nord et se diri-

geaient vers l'Inde; la France envoyait ses aventuriers etses missionnaires au Canada, dans la vallée du Mississipi,dans les petites Antilles et dans les Indes ; l'Espagne tirait deses possessions du Nouveau Monde des trésors qu'elle devait

surtout à l'oppression.Cela dura jusqu'à la fin du XVIII" siècle. Ce fut l'initiative

française qui ramena les yeux sur l'Afrique délaissée par Type de la Côted'Ivoire.

les explorateurs. Les grands travaux astronomiques de nos

Delambre, Lalande et Laplace, les grands voyages de circumnavigation de nos Bougainvillcet Lapérouse, joints à ceux des Anglais Cook et Vancouver, les grands voyages scientifiquesde nos Volney et autres favorisèrent les progrès des sciences physiques et naturelles, en

même temps qu'ils créèrent la linguistique et l'ethnographie modernes ; les Encyclopédistes

provoquèrent le courant des idées humanitaires, et ainsi fut donnée l'impulsion à

un mouvement qui devait être fertile en résultats heureux.

Il faut reconnaître cependant que la France ne fit qu'indiquer l'oeuvre à entreprendre.L'honneur de l'avoir mise à exécution revient surtout à l'Angleterre. La relation des aven-

tures de James Bruce eut, sous ce rapport, une influence considérable. Cet Ecossais

cherchant dans l'exploration de l'Afrique septentrionale l'oubli de ses chagrins causés

par la perte de sa femme, et parcourant l'Abyssinie, la vallée du Nil Bleu, le Scnnaar, la

Nubie, réveilla, suivant une expression pittoresque, le Bobinson Crusoé qui dort au fond de

toutes les âmes, même les plus placides et les plus indifférentes. Lorsque parut, en 1790, son

Voyage, qu'il avait écrit dans sa retraite dix-huit ans après son retour en Europe, tous les

lecteurs — et le nombre en fut immense — se passionnèrent pour ces ruines d'Axoum, pources moeurs abyssines auxquelles il prêtait le charme d'un coloris merveilleusement vif et la

séduction d'un style animé. L'enthousiasme s'en mêla. Ses peintures eurent une vogue presque

égale à celle du livre de Marco Polo. L'Afrique fut à la mode. L'impatience d'y aller voir hanta

les cerveaux les plus calmes. Sans doute il y avait dans les récits de Bruce, à côté d'observations

strictement exactes, beaucoup de fables et de choses imaginaires, mais n'y en a-t-il point dans

Hérodote, Strabon et de Foe? Toujours est-il que l'exploration africaine y puisa de précieuxstimulants.

Au vrai, l'initiative anglaise avait, même avant la publication des cinq volumes de

Bruce, donné une base et une direction scientifiques à cette exploration en fondant à Londres,

le 9 juin 1788, l'Association africaine qui eut pour but, d'une part, de reconnaître les

richesses du continent noir, et, d'autre part, d'y combattre l'esclavage. Ceux qui étaient à la

tète de cette institution occupaient dans la société britannique un rang éminent, soit par leur

mérite personnel, soit par leur fortune. Biches et savants, ils apportèrent à l'Association un

concours de talent et d'argent qui lui permit de rendre de grands services. Sous ces auspices

plusieurs voyageurs, dont le nom est inscrit on lettres d'or dans les annales géographiques,

pénétrèrent dans l'Afrique inexplorée : Browne visita le Darfour, Mungo-Park le Soudan

occidental et la vallée du Niger, Hornemann le Fezzan, Nicholls la région du Vieux Kalabar.

Page 31: Les Francais en Afrique

10 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

III

Dès les premières explorations organisées par YAfrican Association, la mort guette les

pionniers : Hornemann, après avoir quitté le Caire pour se rendre à Sioua, à Mourzouk, au

Bournou, au Noùpé sur le lac Niger, succombe à la maladie en 1801 à Bakkani; Nicholls est

emporté par la fièvre en 1805, avant d'avoir pu reconnaître l'embouchure du Niger ; en 1806,

Mungo-Park et ses compagnons d'expédition Scott, Anderson, Martyn se noient ou sont mas-

sacrés par les indigènes. C'est le tribut payé à l'Avayxï), qui réclame les funèbres prémices de

ces offrandes de dévouement. Tandis q\ie sur presque tous les points de l'Afrique les explora-

teurs affrontent, à peu près en même temps et avec la même constance, les périls qui se mul-

tiplient sous leurs pas, le

climat leur est encore plus

hostile que le nègre. La ter-

rible dysenterie n'en épar-

gne guère et quand ce n'est

pas elle qui les tue, les

fièvres intermittentes les

emportent. Cowan, en 1808,

subit ce sort avec la plus

grande partie de son escorte

dans l'Afrique du Sud où

il explorait le Limpopo ; en

1816, le capitaine Tuckey,

accompagné de Tudor,

Cranch et Galwey, meurt en

remontant le Zaïre, et les

T r>, i r i ! . , H ™ ,.»,. trois autres membres de laLa Place Jean Laborde et la nouvelle Place d Andaholo

à Madagascar. mission le suivent bientôt

dans la tombe. En 1817, le

Suisse Burckhardt de Kirschgarten, qui avait achevé heureusement un premier voyage

en Nubie et un second à Chendi et à Souakim, tombe malade au Caire et ne peut être sauvé

par les médecins. La même année disparaissent dans des conditions semblables les pionniers

qui tentent de résister aux épidémies meurtrières du Sénégal : Peddie, Cowdrey, M'Rae,

Campbell, Kummer, Stokkoe et, bientôt après eux, Burton, Picard, Nelson, ajoutent leurs

noms à cette liste déjà si lugubre. L'orientaliste français Bouzée, qui a fourni d'importants

renseignements sur le Haut-Sénégal, expire en 1820 à Saint-Louis, brisé par les

fatigues.Mais rien n'abat les âmes : la volonté humaine est plus forte que la mort. Où l'un

échoue, aussitôt un autre, non moins vaillant, lui succède. A dire vrai, la plupartde ces sacrifices d'hommes d'élite, mourant pour la civilisation, n'étaient connus que d'un

nombre très restreint de personnes qui s'intéressaient spécialement aux découvertes géo-

graphiques. Les travaux de l'Association africaine de Londres, quelque utiles qu'ils fussent,

et tout en ayant droit à l'admiration universelle, n'attiraient l'attention que de très peu de

savants. Tous les esprits étaient absorbés par le spectacle de la lutte gigantesque et décisive

Page 32: Les Francais en Afrique

LE PARTAGE DE L'AFRIQUE 11

entre Napoléon Ier et les autres souverains de l'Europe. Il fal-lait attendre la paix pour se rendre bien compte de l'utilité et !de la portée de ces voyages lointains, de ces missions dont

on voyait encore très peu le plan d'ensemble. L'insuccès de

quelques-unes de ces explorations contribuait, d'ailleurs,

à les rendre presque toutes peu sympathiques au public quin'en saisissait que la témérité. Lorsque Tuckey, qui avait

espéré remonter le Congo, eut laissé sa tâche inachevée,

beaucoup de gens, même parmi ceux dont on admettait

la compétence, la déclarèrent chimérique. Cela suffit pour;' |

détourner tous les regards de cet immense bassin si admi-I

ralliement propre pourtant à l'établissement des voies de navi-.. rr , .- • ! -, <., ,..., , Jeune Arabe Ouled-Said.

galion, loutetois Je grand neuve avec ses aliments resta

l'énigme qui dicta les recherches. En attendant qu'on les reprenne en ces régions mêmes,

on tourne autour, dans les diverses directions du nord, du sud et de l'est.

Les problèmes à résoudre étaient complexes autant que nombreux. Le principal, au

nord-ouest, devait avoir pour objet d'éclaircir cette question des sources du Niger qui avaient,

pendant des siècles, défié la sagacité scientifique. Tout ce que l'on en connaissait jusqu'aux

voyages de Mungo-Park était absolument hypothétique. La science n'accordait, au surplus,

depuis longtemps plus aucune valeur à ce qu'en disaient, prétendait-on, les anciens, les

Arabes et les indigènes pour qui l'Afrique n'avait que deux grandes artères fluviales, l'une

dans le Soudan, l'autre en Ethiopie et Egypte, toutes deux se confondant. On ne faisait pas

plus de cas de l'assertion qui donnait le lac Tchad pour déversoir commun au Niger et au Nil.

Enfin l'on se contentait de noter avec toute réserve les opinions qui considéraient le Niger

comme un tributaire du golfe de Guinée ou de la Méditerranée. Mungo-Park fit un peu de

lumière sur celte obscurité en exprimant la conviction qu'il fallait étudier et explorer avant

tout le Niger dans sa vallée supérieure, et que celle-ci s'orientait vers l'est. Malheureusement

ni Mungo-Park, ni ceux qui, durant vingt aimées, suivirent après lui la route où il avait

péri, Nieholls, Roentgen de Neuwild, Peddie et Campbell, l'Allemand Kummer, Tuckey, le

major Gray, ne fournirent, chacun à leur tour, que des points de repère imprécis. Il s'agis-

sait en réalité d'atteindre d'abord Timbouctou, la cité légendaire, où était, selon toute vrai-

semblance, la première clef de l'énigme, et que le major Laing, en 1827. n'avait pu visiter

qu'en payant son audace de sa vie. Jusqu'à celte date, un seul de ces voyages dans l'Afrique

impénétrable s'était terminé sans issue fatale: celui du Français Mollien, un des survivants

du naufrage de lu Méduse, qui, le 18 avril ISIS, avait découvert, dans un bouquet d'arbres

touffus, les sources du Fleuve noir (nom que les natifs donnaient au Sénégal). Un autre

Français, René Caillé — un élève de Robinson Grusoé, celui-là, comme il l'a avoué— un

pèlerin de la science, suivant le mol d'Elisée Reclus, triomphale premier de tous les obstacles,

un an après l'assassinat de Laing par son guide entre Timbouctou et Araouan.

René Caillé, parcourant l'Afrique occidentale, pénétra dans le bassin supérieur du Niger,

entra à Timbouctou, y séjourna quinze jours, puis traversant le Sahara et réglant sa marche,

à l'exemple des Arabes, le jour sur le soleil, la nuit sur l'étoile polaire, il vil l'endroit où les

oiseaux de proie avaient déchiqueté le corps du major Laing, et arriva, sain et sauf, par les

oasis du Tafilet, à Tanger d'où il se rendit en France.

Les Anglais n'avaient, cependant, pas été inaclifs avant et pendant cette exploration. Si

la mission Laing s'était terminée par la mort de son chef, elle avait eu, malgré cet échec

Page 33: Les Francais en Afrique

12 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

final, [tour résultat marquant la découverte, en 1821, des sources du Niger et l'indication pré-

cieuse que ce fleuve, après avoir couru au nord durant une centaine de milles, s'infléchissait

vers l'est dans la direction de Timbouctou. De 1822 à 1824 une expédition également anglaise,

conduite par Oudncy, Denham et Clappcrton, avait opéré dans la région du Tchad, visité le

Soudan centra], le Sokoto, l'Adamaoua, relevé le cours inférieur du Ghari, établi d'une

manière désormais indiscutable la distinction entre le Niger et le Tchad, démontré qu'il n'y a

point de communication de l'un avec l'autre, et complété de cette façon les données dont on

allait bientôt se servir pour dresser la carte hydrographique de l'Afrique centrale.

Un quart de siècle, ou pour parler plus exactement — car les entreprises dataient de la

fondation de YAfrican Association — près de quarante ans avaient ainsi été employés à ce

travail persévérant, et l'on n'en était encore qu'à l'acquisition de quelques faits scientifiques

aidant à débrouiller un système de distribution

naturelle des eaux sur un point de cette

Afrique toujours mystérieusement fermée. En

apparence le résultat semblait ne pas répondreà l'effort, mais, en l'examinant attentivement,

on pouvait y voir une probabilité d'arriver au

coeur de ce continent, qui commençait à faire

parler de lui en Europe.Sur les cartes d'Afrique, les blancs im-

menses trahissaient encore l'ignoranceprofondede la science européenne (I) et montraient les

étendues, pour ainsi dire infinies, réservées à

l'oeuvre de la civilisation. Il y avait là des

millions de kilomètres carrés occupés par des

indigènes avec lesquels n'existait jusqu'alorsaucun contact pour l'Europe, et l'on ne pouvait

prévoir combien de temps il faudrait à celle-ci

avant d'avoir planté sur ces territoires un seul

jalon qui ne fût pas aussitôt renversé ou un

seul drapeau qui fût un signe incontesté et

respecté d'une prise de possession effective.

Fusilier abyssin.Nous dirons Plus loin> daQs cet ouvrage,

quelles furent les révélations successives etd'abord très lentes de cet inconnu alors vraiment effrayant. Constatons ici, cependant, quetoutes les grandes nations civilisées et principalement l'Angleterre, l'Allemagne, la France,redoublant et rivalisant de volonté, attaquèrent le continent noir de plusieurs côtés à la fois,en joignant l'obstination à la témérité, et avec la ferme décision de poursuivre ces dangereuxtravaux jusqu'à ce que la civilisation eût définitivement gain de cause.

IV

Parmi les hommes à qui l'humanité doit à cet égard une éternelle reconnaissance, il fautnommer, aussitôt après Cook et Caillé, l'Anglais Barth et l'Allemand Nachtigal. Le premier

1. Chose très singulière, ces blancs n'existent pas dans les cartes antérieures à la fondation de VAfrican Asso-ciation, ni même dans celles qui furent dressées en 1778, c'est-à-dire dix ans àpeine avant cette date, comme on peut levoir plus haut. C'est que ces géographes travaillaient encore selon Ptolémée et s'en tenaient aux relations conjecturales.

Page 34: Les Francais en Afrique

LE PARTAGE DE L'AFRIOUE 1.!

lourmt, grâce a un itinéraire levé- à la boussole, les basesmêmes de la connaissance exacte de la région du Tchad et du

moyen Niger : le second révéla à lTmrope les Klals du SoudanOriental. Le voyage de Barlh, qui eut lieu de ls:jl à 1855,celui de Nachligal, qui se prolongea de 1809 à 1874, eurent

tous deux pour point de départ. Tripoli et [tour direction

Kouka, le Bournou, le Baghirmi, cVsl-à-dire toute celle

Nigritie où s'était implanté l'Islam et dont les Arabes •

autant que les indigènes défendaient jalousement l'accès.

Dans l'intervalle, entre ces deux expéditions, capitales parleurs résultats géographiques, le Rrémois Gérard Rohlfs ]

opérait, de 1862 à 1861, la traversée du Sahara marocain de ~ ~ .Type ncgre Iurnsicn.

l'ouest à l'est par l'oasis de Tonal, en gagnant de là Ghada-

mès et la Tripolilaine ; puis, sans prendre de repos, il affrontait, de 1865 à 1867, l'Afrique

septentrionale par le Bournou. en pénétrant dans les forêts vierges de Joruba et en

atteignant le Soudan central.

La France, établie en Algérie depuis 1830, et au Sénégal depuis le xvnf siècle, partait,

elle aussi, de ces deux points d'amorce, vers le coeur du Soudan et le bassin supérieur du

Niger. Duveyrier, en 1859, jalonna le commencement de celle roule de jonction des deux

possessions françaises. Avant Rohlfs il s'avança vers le Touat. qu'à vrai dire il ne put

atteindre, et vers Ghadamès cl Rhat. Celte pointe hardie dans le pays des Touareg du Nord

démontra la possibilité de franchir ces territoires qui allaient être, dans la suite, l'objectif

d'explorations et de missions dont nous ferons le récit détaillé.

Timbouctou, l'inviolable, ouvrit ses portes à Oscar Lenz en 1880, au lieutenant Caron

en 1887, en attendant que sur ses murailles on vit flotter les couleurs françaises. D'autres

succès continuent l'o'iivre et la complètent. Binger pénèlre à Kong, cité encore plus mysté-

rieuse que Timbouctou. Monteil relie les itinéraires de Caillé et de Binger à celui de Barlh,

Hourst descend le Niger jusqu'à son embouchure, et bientôt la conquête scientifique du Sou-

dan français est réalisée. Dodds s'empare du Dahomey en 1892 et ouvre, par suite, la voie

de pénétration vers le Niger moyen et vers ces contrées de la Boucle, qui seront si vive-

ment disputées par les trois puissances européennes, dont les ambitions coloniales trouvent

un aiguillon et un aimant dans les avantages obtenus par chacune d'elles. La France n'y

reste point au-dessous de sa lâche: à mesure qu'elle conquiert, elle étudie. Les levés

topographiques s'exécutent avec autant de réussite que les reconnaissances : les lieutenants

à la tète des détachements dressent les cartes qui doivent marquer, par terre et par eau,

les voies de communication, et, pendant qu'ils réunissent les matériaux pour la science.

agrandissent, d'étape en étape, le champ des acquisitions ou des influences territoriales et

politiques de l'Europe et en particulier de la France.

L'Afrique équaloriale. et dans celle-ci les bassins du Zambèze. du Nil supérieur, du

Congo, furent — mais seulement à partir de 1850 — explorés avec la même persistance que

l'on avait mise en o'uvre dans le bassin du Niger. Les problèmes n'y étaient pas moins nom-

breux, ni moins ardus. Les grands cours d'eau, leur aire de développement. leurs sources,

leur tracé offraient, là. comme dans l'Afrique du nord-ouesl. des obstacles à 1 investigation.

Livingstone, qui suivit le Zambèze depuis la naissance de ce fleuve jusqu'à son embou-

chure, Burlon. Granl et Speke, qui remontèrent jusqu'aux sources du Nil. Slanley, qui

contribua puissamment à la solution de celle question cl fit avec une indomptable énergie

Page 35: Les Francais en Afrique

14 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX= SIÈCLE

l'exploration des lacs Victoria et Tanganyka, Brazza, qui remonta la vallée de l'Ogooué et

reconnut le cours supérieur de l'Alima et de la Licona, ces affluents du Congo, pendant que

ce dernier livrait son secret au pionnier anglo-américain, Schweinfurlh, à qui l'on doit la révé-

lation du Pays des Rivières, Serpa Pinto qui fit la quatrième traversée do l'Afrique et sut frayer

la route de Bcnguélla à Port-Natal, vingt autres, dont nous ne nommons ici que les Français,

Poncet, Caillaud, Lejean, Raffray, Denys de Rivoirc, Borelli, Ballay, Jacques de Brazza,

Dolisie, Cholet, Fourneau, Mizon, Edouard Foà, concoururent aux victoires de la civilisa-

tion, et leurs résultats, que l'on peut appeler aujourd'hui gigantesques, s'écrivirent de place

en place sur cette carte de l'Afrique transéquatoriale où les noms de lieux visités sont main-

tenant si serrés les uns près des autres qu'il semble n'être plus possible d'en découvrir de

nouveaux.

Le voile était donc partout levé, la science géographique pouvait faire l'inventaire de

ses richesses africaines, l'ère des procès et des

débats scientifiques allait être close, et l'on

entrait dans celle des actions gouvernemen-

tales, qui impliquaient ou une communauté

de tendances vers un même but, celui de l'abo-

lition de l'esclavage, ou des conflits suscités

par des desseins de suprématie. L'Association

internationale africaine, fondée en 1880, sous

la présidence d'honneur du roi des Belges,

Léopold H, et la présidence effective, en

France, de Ferdinand de Lesseps et du cardi-

nal de Lavigeric, parut, pendant quelque

temps, se renfermer dans le cadre strictement

humanitaire et se borner à tâcher d'assurer

l'affranchissement ou tout au moins la protec-tion des nègres, dont les musulmans faisaient

ou favorisaient dans des proportions illimitées

la traite sur toute l'étendue de l'immense con-

tinent depuis le Niger jusqu'au Zambèze. Le

programme avait l'accent d'une croisade mo-P. SAVORGNAN DE BRAZZA. , , , , .. , .

derne : opposer les résolutions énergiques etles armes de l'Europe à l'Islam, qui regarde comme une oeuvre agréable à Dieu le mas-sacre ou l'esclavage des noirs que Mahomet appelle des êtres malfaisants ; entrer en

rapports suivis avec les rois indigènes, se faire leurs protecteurs contre l'oppression desuzerains ou contre les menaces de tribus plus puissantes ; fonder, dans les régionsexplorées, des ports fortifiés et des stations de secours pour les corps expéditionnaires ; dis-

siper, en s'appuyant sur l'entente européenne, les ténèbres africaines en poursuivant sansrelâche la marche en avant, quel bel idéal et quel rêve ! On ne tarda pas à se convaincre quele sentiment, si noble soit-il, s'efface, pour la plupart des gouvernements, devant l'intérêt, et

que le progrès n'y a le plus souvent pour signification que le profit personnel. « L'Associa-tion internationale africaine, avait dit le roi des Belges dans son discours d'inaugurationadressé aux représentants des puissances, discutera et précisera en commun les voies à

Page 36: Les Francais en Afrique

LE PARTAGE DE L'AFRIQUE lg

suivre, les moyens à employer pour planter définitivementl'étendard de la civilisation sur le sol de l'Afrique. » L'expériencedémontra que celte magnanimité et ce désintéressement nose conciliaient point avec les visées exclusivement ambitieusesdes pays qui avaient envoyé leurs délégués à la conférence doBruxelles. Le roi Léopold II lui-même se laissa entraîner parStanley à fonder le « Comité d'Études du Haut-Congo », qui,sous couleur d'abolition de la traite, d'amélioration morale etmatérielle des indigènes, d'exploration scientifique do l'Afrique,se proposait de travailler à l'organisation d'entreprises com-

merciales, celles-ci devant prévaloir, et les bénéfices à réaliser,restant, peu à peu, le but unique des efforts. Type de Malgache.

L'Association internationale africaine n'était, dans ces con-

ditions, plus viable. Elle disparut bientôt ; les fièvres décimèrent les expéditions qu'elleavait organisées et l'on n'eut rien à attendre des stations qu'elle avait construites. Stanley

jugea plus utile de créer des postes qui auraient à sauvegarder avant tout les intérêts

belges et ne s'occuperaient qu'accidentellement des nègres. Pour bien préciser son plan,le Comité d'Etudes, entrant dans la période d'action, fut remplacé par l'Association

internationale du Congo, celle-ci n'ayant d'ailleurs pour objet que de se rendre maîtresse

de tout le cours de ce fleuve, depuis Léopoldville jusqu'aux Falls, et, par des trailés

avec les rois nègres, de s'arroger la souveraineté sur un territoire qui comprendenviron tout le bassin du Congo, de ses sources à l'Oubanghi, du lac Tanganika à l'embou-

chure, et s'étend sur presque toute la largeur de l'Afrique, de part et d'autre, à l'équateur.Les puissances s'aperçurent que le roi des Belges et Stanley étaient les habiles marchands

de la nouvelle Association internationale, et qu'au vrai l'intérêt international n'y figurait dans

l'opération que comme étiquette. L'Angleterre, faisant appel à sa diplomatie, s'empressa de

signer avec le Portugal, ou plutôt d'imposer à ce dernier l'accord du 26 février 1884, qui fer-

mait à l'entreprise belge l'issue vers la mer et l'arrêtait par là même dans son développe-ment en mettant obstacle à ses communications avec l'Océan, et par conséquent avec

l'Europe. L'État indépendant du Congo —nom donné aux territoires africains gouvernés par

Stanley — devenait par cette manoeuvre britannique, dépendant de l'Angleterre, qui, tout en

attribuant les bouches du Congo au Portugal, instituait un condominium anglo-portugais,

percevant les droits de douane à l'entrée du bassin, ayant ainsi la haute main sur la vie éco-

nomique du Congo libre, et exerçant sur lui une tutelle politique et commerciale dont la

portée était facile à prévoir.

Il était hors de doute que si ce jeu avait eu quelque chance de réussite, le Congo indé-

pendant aurait tôt ou tard été absorbé par l'Angleterre ; les autres puissances le virent claire-

ment et protestèrent. La Prusse prit l'initiative d'un Congrès qui se tint, à Berlin, sous la

présidence de M. de Bismarck. Le chancelier de fer dérogea, en cette occasion, à ses maximes

accoutumées, et fit décider que le droit primait la force. Trois points furent admis par l'Acte

général de Berlin, signé le 26 février 1885 : la liberté de navigation du Congo et du Niger, le

principe de l'Hinterland, permettant aux colonies de la côte d'étendre à l'intérieur leur sphère

d'influence ou d'intérêts en occupant, quand elles le pourraient, les territoires considérés

comme des dépendances géographiques et politiques de leurs possessions et nécessaires au

développement de celles-ci ; enfin l'engagement réciproque, pris par les signataires de la

convention, d'empêcher le commerce des esclaves sur ces territoires et de s'employer par de

Page 37: Les Francais en Afrique

lli LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

sérieuses garanties et par de sages mesures à améliorer les conditions d'existence morales et

matérielles des populations indigènes. La Conférence de Berlin ratifia la reconnaissance de

l'État libre du Congo par les puissances, qui donnèrent leur assentiment à la souveraineté

deLéopoldll sur cette partie de l'Afrique et limitaient le nouvel Etat ouvert à l'activité de

toutes les nattons et spécialement de la Belgique.

L'Élal indépendant du Congo, attribué ainsi à litre personnel au roi des Belges, et partici-

pant indirectement de la neutralité dont jouit la Belgique, prit, en verlu du Congrès de Berlin, le

caractère de ce que l'on est convenu d'appeler politiquement un État-tampon, comme l'est la

Belgique elle-même en Europe ou l'Afghanistan en Asie. 11 reçut pour rôle d'amortir les chocs

des grandes nations rivales qu'il séparait lerrilorialemenl, cl, se dressantentre les ambitions,

il assuma l'obligation de ne travailler qu'avec un esprit de paix à son accroissement écono-

mique. Depuis quinze ans. ces engagements ont été tenus.

La France a. de son côté, grâce à la délimitation de l'Etat libre, fait reconnaître sa

propre situation dans ce bassin.

La doctrine de l'IIinlcrland, ou de l'arrière-pays, constituait une innovation dans le droit

de conquête. Non seulement elle offrait aux puissances le droit de se mouvoir librement dans

la zone côlière de leurs possessions déjà acquises, mais elle encourageait l'exploration, et

avec celle-ci l'occupation, en traçant devant elles sur la carie, d'avance, comme une arène où

les ambitions étaient conviées à faire preuve d'appétit.

Or, il importait que ce champ de travail ne fût pas un ehampde bataille, que la colonisa-

tion ne tournât point à l'entreprise de conquêtes diverses, que chacun de son côté s'occupâtdu développement de son bien successivement augmenté des enclaves qui pourraient s'y

ajouter, et que la paix entre les différents possesseurs ne fût troublée par aucun empiétementde voisin à voisin. Projets théoriques qui, dans l'histoire, se combinent quelquefois parla

diplomatie, mais dont la diplomatie se charge toujours elle-même de défaire la trame, si

sagement ourdie qu'elle' puisse paraître.

Ce qui est aujourd'hui un fait bien déterminé, et auquel l'avenir n'apportera plus quedes modifications particulières d'influences ou d'absorptions, c'est d'une part la main-mise

de l'Europe sur toute l'Afrique, et par suite l'onirée du continent africain tout entier dans

l'évolution historique des peuples, d'autre part l'expansion des trois grandes puissances. An-

gleterre, France, Allemagne, sur cette vaste superficie qui formera au xxQ siècle une Nouvelle-

Europe— il faut l'espérer —quand le dernier esclave africain sera, à l'égal de nos nègres des

Antilles, un homme libre jouissant de tous les droits civils et politiques de la race blanche.

Embouchure dd'Oribat. —Expédition du Rio-Minez.

Page 38: Les Francais en Afrique

UNE HALTE AU MAROC.

LE MAROC

CARTE DU MAROC.

Page 39: Les Francais en Afrique

Aux portes de l'Europe, conservé par les jalousies quila divisent, s'agite ce dernier vestige du moyen âgemusulman.

R. DE CAIXDE SAINT-AYMOUR.

Les Arabes sont des peuples faibles qui ont besoin de

tuteurs; ce sont des têtes riches en imagination, mais

dans lesquelles le manque de travail, les coutumes et le

fatalisme ont laissé s'étioler absolument la véritable

intelligence et le feu pratique, et qui demandent, criantdans l'obscurité, à être éclairées par les lumières euro-

péennes.

LUDOVICDE CAMPOU.

Page 40: Les Francais en Afrique

CAVALIER MAROCAIN ET SON SERVANT.

CHAPITRE II

LE MAROC

I

N a comparé la civilisation au fleuve qui, de sa source à son embouchure, va de

l'avant, poussé vers son but inéluctable par une force irrésistible. Il y a des

obstacles qui l'arrêtent dans son cours pendant un certain temps, mais l'imma-

nente loi du mouvement les brise, renverse, franchit ou tourne. On ne peut pas plus lui

barrer le chemin qu'il ne serait possible de supprimer l'existence des grands agents de la

nature, de paralyser la gravitation des astres, d'immobiliser la terre. Cette évolution, quiest dans l'ordre des choses, doit s'accomplir ici fatalement, là nécessairement. Tels empires,encore debout, s'effondreront, disparaîtront, quoi qu'ils fassent pour se soustraire à l'anéan-

tissement qui les menace et qui aura lieu pour les uns à des dates prochaines, pour les autres,

plus tardivement, mais tout aussi sûrement. Le Maroc est du nombre des condamnés. Dans

le partage définitif de l'Afrique il disparaîtra de la carte. Cet empire qui croule, suivant une

expression souvent répétée mais aussi juste que pittoresque, sera forcément submergé par le

flot de la civilisation. Un pays a beau être inaccessible grâce à ses côtes, à ses montagnes,au peu de praticabilité de ses routes, au fanatisme de ses populations belliqueuses toujours

prêtes à la résistance ; sa conquête n'est, au vrai, qu'une affaire de temps, de circonstance et

d'occasion, lorsqu'il est désorganisé intérieurement et lorsque le trône n'y a d'autres assises

que le despotisme barbare, les exactions de toute nature, l'arbitraire sous toutes les formes.

Le Maroc est un édifice dépourvu de fondements, de contreforts, de soutiens, construit

sans aucun respect de l'équilibre. Croire qu'un tel échafaudage ait des chances de durée au

milieu du monde moderne pouvait ne pas paraître absolument paradoxal tant que l'Afrique

elle-même dans son ensemble, et surtout dans sa partie septentrionale, n'était point trans-

formée par l'action politique et coloniale de l'Europe. Il n'était pas illogique, il y a quinze

ou vingt ans, d'admettre, en se plaçant plus haut que les horizons étroits do quelques ambi-

tions isolées, qu'un peuple, tenu à l'écart du progrès par ses souverains et s'en détournant

volontairement par haine de l'étranger, eût, à raison de son caractère propre, de ses éléments

5

Page 41: Les Francais en Afrique

20 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 8 SIECLE

naturels, assez de vitalité pour dresser des remparts inexpugnables contre ceux qui, convoi-

tant cette proie, se tenaient mutuellement en respect par leurs rivalités. Mais les événements

changent les points de vue, et ce qui paraissait vrai ou vraisemblable hier perd aujourd'hui

toute force d'argumentation.

C'est désormais un fait indis-

cutable que si l'empire maro-

cain ne se décompose pas de

lui-même ou ne tombe pas

en pièces comme une cons-

truction mal bâtie, il sera

fatalement morcelé entre les

États qui en font un des fac-

teurs futurs de leur puissanceafricaine :France, Angleterre,

Allemagne. Nous ne parlons

pas de l'Espagne : atteinte

pour longtemps dans ses des-

tinées par ses pertes en Amé-

rique, elle ne saurait songerà intervenir décisivement

dans un débat où elle ne

pourrait s'appuyer que surCarte des explorations du Maroc au xi.V siècle. . ,

une diplomatie n ayant der-

rière elle ni flotte ni armée.

Évidemment le Maroc luttera aussi énergiquement qu'il le pourra contre cette fin de

son indépendance. Il mettra en oeuvre, pour conjurer sa déchéance, toutes les ressources

et tous les artifices dont il pourra disposer, et son passé l'inspirera d'ailleurs à cet égard.Mais ces procédés, qui consistent surtout à faire des traités avec ceux dont les menaces

l'obligent à céder, quitte à déchirer les parchemins quand se présente le moment propice, ne

le sauveront pas. Son sort dépend en somme de l'attitude des prétendants à sa succession dès

maintenant virtuellement ouverte avant décès. Or, aucun de ces trois prétendants ne cache

que le pays des Chérifs prend place dans les calculs d'annexion que l'on fait à Londres, Paris

et Berlin, et si la réalisation n'en a pas encore eu lieu, c'est uniquement parce que chacun

espère s'arroger non seulement une part du territoire marocain, mais le territoire tout entier.

Tout d'abord l'Angleterre, qui commande déjà le détroit avec Gibraltar, a les yeux bra-

qués sur Ceuta et Tanger, dont elle compte bien faire, un jour ou l'autre, des possessions

britanniques. Elle y travaille patiemment, en patelinant, mais en se réservant le cas échéant

d'agir brusquement manu militari. Pour cela, elle s'est assuré des appuis, des instruments,des concours dans les conseils du sultan marocain, autour duquel elle monte la garde avec

vigilance. Elle lui recommande en toute occurrence le statu quo, lui offrant au besoin son épécpour trancher les noeuds gordiens que la diplomatie britannique ne pourrait défaire. Et,attendant qu'un motif plus ou moins plausible lui permette de renouveler à Tanger la comé-die naguère jouée au Caire, elle espère bien saisir ou faire naître le prétexte de prendre le

Maroc sous sa tutelle, comme il est arrivé pour l'Egypte (1). D'un autre côté, et secrète-

1. Une revue anglaise qui fait autorité, The Forlnighily Review (août 1901), déclare très nettement qu'il n'y apas d'autre moyen de mettre fin à la crise marocaine.

Page 42: Les Francais en Afrique

LE MAROC 21

ment, elle maintient en activité les ferments séparatistes quidoivent contribuer à la désagrégation de l'empire chérifien.

Ce rêve de l'Angleterre, l'Espagne l'avait fait aussi, et il seserait peut-être rapproché do la réalisation si la politique espa-gnole avait eu, depuis vingt ou trente ans, d'autres pilotes queceux qui ont conduit leur navire sur les écucils. On n'a jamaissu profiter à Madrid des magnifiques avantages acquis parl'occupation de Ceula, Peiion de Vclcz, Alhucema, Mellila, lesîles Zaffarines, Bio de Oro, et il est à craindre que maintenant ilne soit trop tard pour les héritiers do Charles-Quint d'en tirertout le bénéfice espéré (1). La convention de Melilla en 1893 a

prouvé du reste que l'Espagne n'avait, dès ce moment, en vue SICHÉRIPED-DIN,cheik desBeni-Zidd'une semblable aventure, c'est-à-dire d'une guerre déclarée au

Maroc, ni assez de soldats, ni assez de capitaux. Aujourd'hui elle en a moins encore, sa

position est pire et ne s'améliorera pas de sitôt. Par conséquent ce n'est pas elle qui seraen mesure d'élever des prétentions, de faire valoir des revendications, même si le chérifoubliait, encouragé par les embarras qu'elle éprouve, de lui faire les versements encore àéchoir de l'indemnité encourue par lui en 1894 (2). L'Angleterre sait l'Espagne impuissanteet ne voit pas en elle une rivale sérieuse à Tanger; mais d'une rivale qui, forte, aurait puêtre une ennemie, qui sait si la diplomatie britannique, experte en astuce, ne songe pasà faire, un jour, moyennant quelques promesses, une auxiliaire ou une complice, en

recommençant, au profit d'Albion bien entendu, la comédie de Bertrand et Bâton? (3)L'Allemagne ne saurait invoquer diplomatiquement aucun lien la reliant, de la façon

même la plus éloignée, au Maroc; mais elle n'entre pas moins en tiers dans la questiondu partage futur. Ce n'est pas sans intention qu'elle a envoyé des agents au coeur mêmedu territoire marocain. Le long séjour qu'y a fait Bohlfs, entre autres, n'avait assurément

pas uniquement pour but une exploration scientifique. Dans la chasse aux possessionsafricaines, les Allemands se présentent partout avec cette conviction qu'il peut arriver un

moment où il serait commode et facile de faire main basse sur ceci ou cela. Il ont pris un lopinde l'Afrique occidentale, un autre de l'Afrique orientale, ils ne désespèrent pas de tirer piedou aile de la question marocaine en obtenant aussi quelque coin dans l'Afrique du nord-ouest.

L'Italie, prenant exemple sur l'Allemagne, son alliée, de par Bismarck et Crispi,

pendant qu'elle a les yeux sur la Tripolitaine, les en détourne parfois pour regarder Tanger;mais, comme l'Espagne, elle ne prendra pas d'initiative dans l'affaire marocaine. Quantau Portugal, ses prétentions historiques ne pèseraient très probablement d'aucun poidsdans la balance. Il posséda, il est vrai, Tanger, en 1471, sous Alphonse V surnommé

l'Africain, et exerçait alors ses droits au tribut sur nombre de provinces, villes et vil-

lages du Maroc, mais plus de quatre siècles se sont écoulés depuis ces temps si lointains,

et la diplomatie actuelle ne se croit pas tenue de s'en souvenir, surtout quand elle a intérêt

à manquer de mémoire.

1.11 faut cependant rendre a l'Espagne cette justice qu'elle n'a pas négligé, avant la guerre hispano-américaine,d'étudier ce que l'on appelle la • question du camp de Gibraltar », et d'examiner les moyens de rendre impuissante,le cas échéant, la position des Anglais qui prétendent tenir les clefs de la Méditerranée avec leurs batteries comman-

dant le Détroit. Un très intéressant mémoire technique a été publié sur ce sujet en 1899-1900, par M. Garcia Roure.

2. A la suite d'un conflit avec l'Espagne, provoqué par les pillages des Riffains, et terminé par une convention

de 18J4, le Maroc s'engagea à payer au gouvernement espagnol 20 millions de pesetas et à châtier les coupables,3. C'est bien dans ce sens que parle la Fortnighlly Review, citée plus haut.

Page 43: Les Francais en Afrique

22 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Les titres de la France sont plus incontestables. Le Maroc confine à nos possessions

algériennes; nous avons, sur cette frontière, des intérêts considérables à protéger. En

outre notre commerce oranais principalement est appelé à pénétrer dans le Maroc comme

un flot rompant la digue, dès que les obstacles opposés encore aujourd'hui à cette pénétration

auront cessé d'exister.

Le sort du Maroc est fatal et le maître de l'heure, comme disent les musulmans, a écrit

d'avance l'année de

la chute de cet État

barbare. L'Europe ne

peut pas se contenter

des huit ports que la

condescendance des

Chérifs a ouverts sur

les côtes marocaines,

à Tanger, Tétouan, El

Arach, B'bat, Azem-

mour, Mazagan, Sa-

fi et Mogador. Elle

voudra et saura entrer

au coeur de ce pays

qu'elle sait riche et

où son chiffre d'affai-MAROC— Vue de la ville à vol d'oiseau. res est maintenant

insignifiant (1); elle

ne laissera pas en friche un champ aussi fécond sur lequel ne vivent aujourd'hui quedes populations subissant la sujétion et la misère, quand elles auraient droit à une grande

prospérité. On ne saurait trop le répéter : le seul moyen d'en finir avec les éléments dissol-

vants et morbides du Maroc, avec sa dynastie actuelle qui ne vit que d'oppression,de concussion et de pillage, avec l'état moral des Marocains eux-mêmes, qui, courbés

sous le joug, ne savent pas vouloir leur relèvement, c'est la conquête.

Envisagée comme obligatoire pour l'Europe, en principe, cette conquête du Maroc

s'effectuera de deux façons : ou bien une seule puissance s'y décidera, ou bien les préten-dants à la succession marocaine conviendront d'un partage. L'entreprise unilatérale estentourée de difficultés. Quel que soit celui qui s'y risque, il aura non seulement affaireau Maroc même, mais aussi à toutes les ambitions européennes. Ce qui était encore prati-cable hier pour un seul ne l'est déjà peut-être plus aujourd'hui et ne le sera évidemment

plus demain. Des traités ont été signés, les hinterlands sont délimitées, il y a des enga-gements auxquels on ne pourra se dérober. Dans ces conditions, le partage deviendra

l'unique alternative à choisir, parce que tous les concours y travailleront.

II

Or, que vaut cet empire des Chérifs?

Dans la langue du pays, le Maroc s'appelle El-Moghrib-ul-Aksaf ou El Maghreb el Aksa,

1. La partie du Maroc sur deux mers où la navigation est très suivie, et sur le détroit de Gibraltar, avec uneétendue de côtes de 1780 kilomètres, dont 420 sur la Méditerranée, 00 sur le Détroit et 1200 sur l'Atlantique, est trèsfavorable au commerce. Le climat du littoral marocain est avantageux pour la production végétale. L'agriculture

Page 44: Les Francais en Afrique

LE MAROC 23

c'est-à-dire « l'extrémité do l'Occident ». Le nom de Maroc quenous lui donnons vient de l'italien, Marocco, corruption do

Marrakech, une des capitales au temps dos Romains. Tout le

nord-ouest de l'Afrique, depuis la Tripolilaine jusqu'à l'embou-

chure de l'Oued Dràa, limite méridionale du Maroc actuel,ne formait alors qu'une seule région indécise, compre-nant à l'est, l'Afrique proconsulaire du pays de Carlbage avec la

Byzacène et la Tripolilaine; à l'ouest, la Numidie avec Consfan-

tinc pour capitale; plus à l'ouest encore, les trois Maurilanies :

la Sétifienne, capitale Sélif; la Césarienne, chef-lieu Cherche]];

la Tingitane, capitale Tanger. A ce tout les Arabes donnèrent

l'appellation d'El-Maghreb (l'Occident), et les Européens, la Type nègre du Maroc.

dénomination de Berbérie ou États barbaresques. Le

Maghreb s'étend du détroit de Gibraltar aux frontières d'Egypte. Il porte, en arabe, les

appellations de Maghreb el Aaoula (Tunisie), Maghreb el Aouçaht (Algérie), Maghreb el Aksa

(Maroc). Ce dernier, dans ses limites d'aujourd'hui, correspond à une partie de l'ancienne

Mauritanie Césarienne, à la Mauritanie Tingitane et à la Gétulie. Il fut, aux temps les

plus lointains dont l'histoire fasse mention, occupé par les Carthaginois, puis il passa aux

Bomains, puis aux Vandales. Les généraux de Justinien, empereur d'Orient, s'en emparèrent.

Ensuite les Califes, successeurs de Mahomet, en devinrent les maîtres. Des chefs arabes s'y

saisirent tour à tour du pouvoir et fondèrent les dynasties successives. La dernière, celle

des Alides ou Hosieni, eut pour fondateur Mouley-Ali et règne encore de nos jours.

Monarchie absolue et héréditaire, le Maroc a pour chef suprême le sultan ou Chérif, qui

est appelé iman ou vicaire de Dieu sur la terre (Emir el Mumenin). Tout lui obéit, dans le

temporel et le spirituel. Il est le pouvoir fait homme. Rien n'est au-dessus de lui et il tient

tous ses sujets au pied de son trône. Le gouvernement c'est lui; la religion c'est lui également.

Il ne partage son autorité sans bornes avec personne. Il n'a ni conseil d'empire, ni ministère.

Ses actes comme sa volonté échappent à la discussion et au contrôle. Aucune autocratie n'est

plus arbitraire, aucun despotisme plus entier. Ceux qui l'assistent dans sa puissance, que

rien ne restreint ni ne réfrène, sont plutôt des esclaves que des fonctionnaires; un seul signe

de sa main suffit au bourreau pour faire tomber leurs tètes. Son vizir ou secrétaire des

commandements décrète ce que le Chérif a d'avance ordonné, et ce qui est décidé par cet

interprète au nom de l'iman est sans appel. Autour du Chérif, d'autres ombres, un garde des

sceaux, un trésorier, un échanson, un grand maître des cérémonies, un général, qui tous

exécutent et font exécuter les résolutions du maître. Avec l'étranger il n'a point de rapports

personnels. Son agent à Tanger (vizir-el-ouassitha) le représente et sert d'intermédiaire entre

le monarque et les ministres ou résidents des autres États.

Le pays est partagé en provinces et celles-ci en tribus, qui à leur tour se subdivisent en

douars (réunion de tentes dans les plaines) et en ksours (réunion de maisons dans les

montagnes). Chaque tribu vit séparément; elles sont presque toutes ennemies entre elles et

il n'est pas rare de les voir aux prises. Les provinces n'ont pas d'administration régulière ( 1).

Le kaïd ou gouverneur qui est considéré comme le lieutenant du sultan, agit, en réalité, à

pourrait s'y développer considérablement, et l'exploitation minière, aujourd'hui interdite, y fournirait de précieux

rendements. Le commerce marocain avec l'étranger est aux mains de l'Angleterre et delà France, mais l'Allemagne

tend à les y concurrencer.

1. En réalité, le Maroc est à peine un empire. La souveraineté du Chérif, à mesure que l'on s'éloigne de

Marrakech, décroit jusqu'à devenir nominale et nulle. Beaucoup de fractions sont tout à fait indépendantes.

Page 45: Les Francais en Afrique

24 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

son gré, n'ayant pour charge que de faire entretenir les routes par la corvée, de réquisitionner,

pour l'armée de l'iman, les chevaux et les hommes qui sont emmenés de force, d'extorquer

en forme d'impôts le plus d'argent possible aux populations, afin d'alimenter le trésor ché-

rifien et de répondre aux exactions de l'entourage du souverain. Les kaïds rendent la tribu

tout entière responsable de l'acquittement des obligations individuelles. Les cheiks, à qui ils

délèguent le soin de faire verser les sommes exigées, menacent à leur tour les chefs de douars

qui pressurent sans pitié. Quand les contri-

butions n'arrivent pas assez vite à Fez,

l'iman ordonne le pillage du douar trop

lent et parfois commande en personne la

razzia. Les sources de la fortune du sultan

et de ses agents sont les diverses sommes

provenant de ces moyens pratiqués par

les kaïds. Ceux-ci invoquent pour aboutir

à leurs fins ou le Coran ou simplement

leur bon plaisir. En vertu du Coran ils

réclament la dîme (achour) et l'aumône

obligatoire (zekat), qui est de 2 pour 100

au moins de la valeur des produits. A ce

double impôt prescrit par la religion s'ajoutetoute une série d'extorsions qui ne pro-cèdent que de l'arbitraire : la taille (naïba),les présents (edya), les amendes (dheyra),la capitation (djezia) prélevée sur les Juifs,

les douanes et péages. Cela rapporte de 12

à 13 millions de francs par an. C'est peu

pour payer et nourrir l'armée, pour don-

ner quelque salaire aux cadis (juges), aux

omena (administrateurs des douanes), aux

mohtasseb (chef de la police des marchés),aux nahder (gardiens des mosquées), à

ceux qui dirigent les écoles (zaouias). Les

kaïds se servent eux-mêmes, soit par desUne rue de Tanger. prélèvements sur les impôts perçus, soit

par des taxes additionnelles que le bâton

fait acquitter. D'ailleurs toute la population, du petit au grand, est rapace. Qui ne peut avoir

vole, intrigue, tue. Ces six millions d'individus (1), qui occupent une superficie de plus de

800.000 kilomètres carrés et qui, peu soumis au sultan, n'obéissent en réalité qu'àleurs marabouts, appartiennent à différentes races, n'ayant entre elles qu'un seul traitde ressemblance : l'esprit de piraterie. Ce sont des Berbères (Amazighes ou Riffains dansles montagnes du nord et du centre, Ghillouks dans celles du sud, Touaregs dans lesoasis sahariennes), des Arabes, pasteurs et nomades, des Maures, commerçants habitant lesvilles; des Juifs, mêlés parmi ces derniers, riches comme eux et ayant en leurs mains tout

1. C'est l'estimation généralement adoptée par les statistiques; mais s'il faut en croire certains documentsrécents, et principalement ceux fournis par M. Mouliéras, le Maroc serait une fourmilière et n'aurait pas moins de2b millions d'habitants.Voir à cet égard la relation des voyages de Mohamed-ben-Taïeb, publiée tout dernièrement.

Page 46: Les Francais en Afrique

LES DERNIERS REBELLES.

Tableau de Benjamin Constant (Musée du Luxembourg).

Page 47: Les Francais en Afrique
Page 48: Les Francais en Afrique

LE MAROC 27

le commerce maritime et l'administration; des nègres, la

plupart esclaves; des Européens, en petit nombre et presquetous espagnols.

Quelques villes du Maroc offrent de l'intérêt; au nord, dansla province d'Er-Rif, Tanger et Tétouan; dans celle d'El-Rharb,El Arach et Ouczzan; dans celle des Bcni-Hassen, Méquinczet R'bat; dans celle do Fez, la cité de même nom; au centre,dans le Doukkala, Mazagan ; dans l'Abda, Safi ; dans le Chiàd-

ma, Mogador; dans le Ramna, Maroc; au sud, dans le Sous,

Taroudant; dans le Dràa, Talla. Classés suivant leur popu-lation, ces groupements urbains se rangent dans l'ordre suivant

Fez (140.000 habitants), Maroc (50.000), Rabat (40.000); Type nègredu Maroc.

Tétouan, Méquinez, Mogador, Taroudant (20.000); Tanger

(12.000), Tatta et Ouezzan (10.000); El Arach et Safi (8.000); Mazagan (5.600).A l'est, les divisions administratives du Maroc étaient jusqu'au commencement de

1900 les oasis de Tafilet et de Figuig. Nous verrons bientôt comment elles ont été

occupées par la France (1).

III

Les Marocains appellent Tanger la ville des chiens, parce qu'elle est habitée par des

Européens. Elle est située au fond d'une baie, mais les vents d'est qui s'y engouffrent en

rendent la rade dangereuse ; aussi n'y accoste-t-on point directement : ce sont de grandes

barques, manoeuvrées par d'habiles rameurs, qui viennent prendre les arrivants au large où

le navire a jeté l'ancre à quelques centaines de mètres de la ville même. Par une rue escarpéeoù l'on s'engage après avoir franchi la voûte de l'établissement des douanes, on monte vers

la Kasbah, qui est l'acropole de Tanger, sur une hauteur dominant tout le panorama déployé à

ses pieds. Le point de vue est pittoresque. Le regard court sur un entassement de construc-

tions cubiques, presque toutes petites et d'une blancheur très vive tranchant sur le bleu cru

de la mer et s'inondant de lumière aveuglante sous l'ardente clarté du soleil. Chaque

habitation, à l'aspect de neige scintillante, est terminée par une terrasse blanche et percéed'une ouverture carrée ; au-dessus de ces claque-dents crayeux, auxquels le nom de maison

ne siérait point, se dressent de petits belvédères, et, plus haut que ceux-ci, s'élèvent quelques

palmiers qui rivalisent avec les deux minarets des mosquées. A voir l'ensemble on croirait

d'une ruche qu'enferme une enceinte fermée d'un côté par la mer, de l'autre par un mur

crénelé. A l'horizon s'étale la campagne, où les figuiers, aussi nombreux que les étoiles du

ciel, semblent faire des vergers au milieu des champs de fèves et de pins bordés d'aloës et de

nopals. Des maisons, celles-ci méritant l'appellation, s'échelonnent dans les environs do la

ville, et réunissent dans leurs jardins la plus luxuriante végétation tropicale, magnolias,

dattiers, bananiers, lauriers roses, orangers, dont les fruits parfumés, ces délicieuses tange-

rines, grosses comme le poing, ont une saveur succulente. Au fond de l'horizon s'estompent

les monts d'Espagne que l'on aperçoit toujours — car le ciel est d'une invariable pureté —

par les échappées s'ouvrant sur la mer.

1. Les frontières marocaines ont toujours été mal délimitées au sud. D'après les évaluations les plus récentes, le

Maroc comprendrait une superficie de 812.300 kilomètres carrés, dont 439.240 seulement seraient sous l'autorité

effective du Chérif. 11 n'y a du reste aucune base précise de statistique quant à l'étendue de ce pays. Les chiffres

que l'on donne généralement sont calculés erronément d'après la population kilométrique de l'Algérie, tandis qu'ilaurait fallu prendre pour comparaison la densité de la Kabylie.

(i

Page 49: Les Francais en Afrique

28 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Quelle déception lorsqu'on redescend dans la ville, par un chemin choisi au hasard —

car les rues n'ont aucune désignation qui les fasse reconnaître l'une de l'autre, et toutes sont

également sales, inextricables, pavées de façon à former comme un lit de rivière où les

eaux croupissent quand le soleil ne les a pas bues !

Le centre de la ville est la place du Petit-Zocco, qui mesure une trentaine de mètres en

longueur sur une douzaine en largeur, c'est le rendez-vous accoutumé des dix ou douze mille

habitants qui s'y rencontrent pour faire leurs emplettes dans les boutiques des marchands

Un intérieur de harem.

juifs et arabes dont les échoppes, pauvres et exiguës, sont à peine assez grandes pour

contenir avec les marchandises pêle-mêle le vendeur accroupi sur ses talons et fumant

toute la journée le kif, quand il ne prise pas du tabac. L'acheteur se tient debout, dans

la rue, abrité du soleil ou de la pluie par le volet de fermeture qui, en se relevant, forme

une sorte d'auvent.

Le petit Zocco a pour concurrent Zocco-el-Kébir (le Grand-Zocco), où se tient le marché,

un seul jour de la semaine, et où les objets mis en vente sont déposés en tas sous des tentes

et sur des nattes. C'est le bazar improvisé autour duquel grouillent bêtes et gens, les cha-

meaux, mulets et ânes disputant la place à la foule et mêlant leurs cris à la clameur humaine.

Au milieu de cette cohue circulent les charmeurs de serpents, les bandes de nègres musiciens

mariant le tapage de leurs énormes castagnettes en fer aux sons aigus et perçants de

clarinettes, tous s'évertuant d'ailleurs, auditeurs et exécutants, comme vendeurs et acheteurs,

à produire un affreux vacarme. Un autre spectacle, qui écoeure, est celui de la boucherie en

Page 50: Les Francais en Afrique

LE MAROC 2!)

plein air, les bestiaux amenés vivants étant égorgés, dépouillés,dépecés sous les yeux des chalands, qui emportent la viandetoute chaude de sang ruisselant.

Les caravanes qui convoient les marchandises au Zocco-el-Kébir viennent de l'intérieur du pays et les principales transac-tions se font en grains, tissus et fruits. On paie en monnaies dotoutes effigies, mais le plus fréquemment en pièces espagnoles et

françaises, or et argent, dont l'aloi est douteux, et mal frappéesou usées, rognées, passées par toutes les mains. L'appoint se fait

en billon qui fournit les centimes ou flon, correspondant comme

représentation au farthing anglais. On pèse au quintal ou à la

livre, qui vaut le demi-kilo; on mesure à l'aune (codo, coudée) Type de Tanger.

qui se subdivise en tomins et à la canne (cana). Pour les liquideson compte par fanègues qui équivalent à environ 56 litres et demi et ont plusieurs subdivi-sions. Les affaires se font lentement, acheteurs et vendeurs cherchant à se tromper récipro-quement, l'un demandant trois fois plus que l'objet ne vaut, l'autre en offrant toujours le

tiers, jusqu'à ce que l'on arrive à se mettre d'accord.

A part la Kasbah, les Zoccos, grand et petit, Tanger n'a de curieux à visiter que la plaged'un beau sable doré où se promènent les Européens, dont la plus grande partie se composedes représentants diplomatiques et du personnel des légations. Quant à la populationindigène, son aspect général trahit sa pauvreté. Il n'est pas difficile de voir que le sort de

ces gens est des plus misérables ; ils sont d'ailleurs trop indolents, trop fatalistes pour ychercher remède. Ils se résignent à la volonté d'Allah, courbant la tête comme ont fait leurs

pères, et attendant l'avenir sans en rien espérer. Et ce qui est vrai, sous ce rapport, d'un

point du pays, l'est de tous; aussi n'est-il besoin d'en visiter qu'une seule ville, pour se

rendre exactement compte de ce que sont les autres.

IV

La France a eu, pendant longtemps, le tort de ne pas attacher assez d'importance à la

question marocaine. Le poste de Tanger était considéré par les diplomates français comme

une étape intermédiaire et indifférente, où l'on ne pouvait rien apprendre, ni rien entre-

prendre, et qui ne comptait, dans la carrière, qu'à titre de services d'entrée. On a reconnu

heureusement au quai d'Orsay qu'il y avait mieux et plus à faire, et qu'il était temps

d'envoyer auprès du chérif un chef de légation française rompu aux affaires musulmanes et

capable d'exercer une influence efficace, non seulement à Tanger, mais dans d'autres villes

du Maroc, à Fez, à Méquinez, c'est-à-dire sur les points de l'empire marocain les plusdistants les uns des autres. Assurément cette tâche n'est pas aisée; il faut y apporter un

grand tact, de la longanimité, de la prudence et cependant de l'action, en réunissant des

qualités qui semblent, à première vue, s'exclure réciproquement. Le point capital, c'est de

tenir les clefs du Maroc et de les tenir d'une telle manière que l'Europe, en d'autres termes

Londres, Berlin, même Saint-Pétersbourg, n'y contredisent point. Or, cela est loin d'être

commode. Nous ne sommes plus au temps où le prestige européen pouvait rentrer pour une

grande part dans le rapprochement du chérif avec une nation puissante comme la France,

Page 51: Les Francais en Afrique

30 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX* SIÈCLE

Si sous Louis XIV, il y eut un sultan marocain, Mouley Ismaïl, qui, après avoir repris Tanger

et El Arach aux Anglais, envoya demander par son ambassadeur extraordinaire la main de

Mlle de Blois, fille du grand roi et de Mlle de La Vallière ; si, sous Napoléon Ier, un autre

chérif, Mouley Suleiman, chargea un plénipotentiaire de rechercher l'amitié de l'Empereur

des Français pour la dynastie des Hosieni, la République Française, qui n'a ni fille à marier,

ni épée prête à se teindre du sang des kaïds rebelles, ne peut apparaître au souverain du

Maroc et à son entourage comme une alliée qui aspire avant tout à la guerre. Son assistance,

en réalité beaucoup plus utile, servirait surtout à protéger le Maroc contre les captations et

à y faire l'éducation des esprits. Sur ce terrain, tout à fait pacifique, et qui aurait — si on

le veut, car la politique de désintéressement absolu n'est plus bien possible — pour avantagefutur d'assurer à la France le droit d'être cette puissance civilisée à laquelle il faudra néces-

sairement que le Maroc se donne pour qu'il puisse exister sur les produits de sa richesse

économique — il y a une position à prendre pour nous — et c'est la seule rationnelle, mais

y parviendra-t-on?

Quoi qu'il en soit, ce serait une grave erreur diplomatique et politique de croire quel'état actuel puisse se prolonger indéfiniment. Au milieu du torrent de civilisation quientoure le bloc marocain et le ronge peu à peu, comme l'écrivait encore récemment un

juge compétent en la matière, on ne saurait considérer 1er statu quo comme une de ces

magiques formules qui servent à justifier l'indécision de la diplomatie. Le mécanisme

subsistera sans doute aussi longtemps que nous ne serons pas prêts à profiter de sa

disparition. Mais il faut nous y préparer dès à présent ( 1), fautant plus que l'Angle-terre y songe (2).

1. Bulletin du Comité de l'Afrique Française. Les affaires du Maroc, mai 1900.2. Voir à cet égard un intéressant article publié par M. Gibson Bonles, qui parle d'intelligences entre

l'Espagne et la France pour précipiter le règlement définitif de la question du Maroc. Cet article tendancieux etsans doute officieux aurait eu pour objet de fomenter en Angleterre une querelle anglo-espagnole, qui serait lepremier jalon d'une entreprise méditée par M. Chamberlain et analogue à l'affaire sud-africaine. La presse madri-lène et catalane a constaté, en outre, que les Anglais travaillaient les esprits en Espagne même, pour y susciterdes courants d'opinion hostile à la France.

VUE DU MAROC — L'ENTRÉED'UNEVILLE.

Page 52: Les Francais en Afrique

ALGÉRIE. — LE HODNA — ROUTE DE SÉTIF.

LGÉRIE

CARTE DE L'ALGÉRIE.

Page 53: Les Francais en Afrique

Quiconque a pu voir les prodigieux travaux exécutés

par les Français en Algérie, n'éprouvera qu'un senti-

ment de pitié pour ceux qui, en présence de toutes ces

oeuvres admirables, osent encore prétendre que les

Français ne savent pas coloniser.

ROOLFS,Petermanns Miltheilungen.

S'il est vrai que la fondation d'un établissement colo-

nial est un placement à intérêts lointains et que peu de

colonies, même parmi les plus florissantes aujourd'hui,aient atteint l'âge adulte avant un siècle de croissance, il

est permis de constater avec une patriotique fierté que.

quarante ans à peine après l'achèvement complet de sa

conquête, l'Algérie était déjà en situation, non seule-

ment de se suffire à elle-même, mais encore de con-

tribuer aux charges de la mère patrie.

TIRMAN.

Page 54: Les Francais en Afrique

ALI.EU VU I>E LA util.

CHAPITRE III

L'ALGFRIE

I

I'ENTRÉE du Maroc dans l'orbite de la France favoriserait la reconstitution de

l'ancienne Berbérie et féconderait la cause de la civilisation dans toute l'Afriquedu Nord. Cette ancienne Berbérie, dont nous croyons la reconstruction possible,

élait plus vaste que ne le serait notre Afrique septentrionale comprenant la Tunisie, l'Algérieet le Maroc. Elle renfermait en outre, à l'est, la Tripolilaine, qu'il serait provisoirement

expédient de laisser subsister comme État tampon entre la Tunisie et l'Egypte. Elle avait

aussi dans ses limites le Sous, ce Pérou du Maroc, qui était encore indépendantavant 1873 et que le sultan Mouley-Hassan rattacha depuis à sa couronne, sachant bien

ce que vaut ce fleuron, ce que peuvent y rapporter les mines de cuivre, les céréales, les

oliviers et les amandiers, et comptant sur les hauteurs pour la défense de la côte.

Une série de circonstances topographiques contribuent à rendre cette Berbérie entière

éminemment propre à la colonisation, comme nous en avons fait l'expérience concluante en

Algérie et en Tunisie. Elle appartient, en effet, physiquement au système du bassin de la

Méditerranée, quoique sa configuration soit déterminée par les montagnes de l'Atlas. Elle est

abondamment irriguée, et en ce qui concerne plus particulièrement l'Atlas marocain et ses

ramifications, les huit grands fleuves, qui y prennent naissance avec leurs affluents,

pourraient, si on les utilisait savamment et sagement, faire du Maroc « une petite Egypte ».

Les ports ne font pas défaut, et, quant à l'intérieur du pays, laferfilité y peut devenir d'autant

plus grande que, sauf sur la côte méridionale, le sol y est rarement sablonneux ou pierreux.

On sait au surplus que, dans l'antiquité, les Carthaginois, les Grecs et les Bomains fai-

saient le plus grand cas des récoltes de cette région, et aucune des influences naturelles qui

secondaient ces rendements si vantés n'a disparu. La nature, jalouse de ses trésors, les a, il est

Page 55: Les Francais en Afrique

34 LES FRANÇAIS EX AFRIQUE AU XLX« SIÈCLE

vrai, recelés avec avarice, mais l'homme peut s'en rendre maître, comme il l'a fait ailleurs

et même plus facilement.

Aussi les Phéniciens, quand ils abordèrent, vers l'an 1000 avant notre ère, sur cette

cùle nord de lAfrioue. s'v établirent-ils à demeure, en y fondant toute une chaîne de villes:

Carte dos explorations de l'Algérie au xix* siècle.

Utique, Hippone, Hadrumetum, Leptes

et plus tard Carthage. Ils ne pénétrèrent

pas très avant dans les terres où s'étaient

fixés au nord-ouest les Maures, et à l'est

les Numides; ils se bornaient à faire le

commerce du cabotage avec les riverains,

depuis les Syrtes jusqu'au détroit de

Gibraltar, et à envoyer quelques cara-

vanes chez leurs voisins d'Afrique et

quelques navires marchands dans les

ports de la Méditerranée. Parmi ces

voisins vinrent figurer, vers le vuc siècle

avant Jésus-Christ, des Grecs qui bâ-

tirent Cyrène, point de départ de leurs

jalonnements dans toute la Pentapole

Cyrénaïque et le plateau de Djebel Akdar

(Barcaj. Ces Grecs étaient des séden-

taires, tandis que les Numides et les

Maures menaient la vie errante, parta-

gés en tribus indépendantes, et presque

complètementincivilisées,telslesGétules.

Dès la seconde guerre punique, les Bo-

mains prirent pied dans le nord de l'Afrique.

Syphax et Massinissa étaient alors les plus puissants de ces cheis des hordes numides divisées

entre elles. Carthage prit parti pour le premier, Borne soutint le second et ce fut Borne

(jui triompha. La défaite de Syphax eut pour résultat l'incorporation de son royaume à celui

de Massinissa. Carthage, définitivement vaincue, devint sous le nom d'Afrique une pro-vince romaine. Les ferments de révolte y subsistèrent. La guerre de Jugurtha le démontra.

Prisonnier de Marius. puis étranglé à Borne, son territoire fut annexé également. La Mauri-

tanie eut le même sort quand le roi Juba, rangé avec son peuple armé sous les enseignesde Pompée, eut succombé aux efforts de .César, qui l'emmena à Borne pour orner son

triomphe. Auguste rendit la couronne au fils de Juba, dont l'autorité ne fut plus quenominale. Caligula fit assassiner le successeur de ce pseudo-souverain et annihila son

royaume qu'il scinda en deux provinces romaines.

Le nord de l'Afrique ainsi subjugué par les Césars, ceux-ci y étendirent leur territoire

(prolalandopomoeria imperii asque ad Africain) et lui donnèrent pour frontières, d'une partla Grande Syrte. de l'autre les cotes de l'Atlantique.

Ce vaste empire africain rivalisa de prospérité avec Borne mémo. Les villes importantesqui s'y fondèrent successivement atteignirent en peu de temps l'apogée de leur splendeur,ri leur- ruines M'aiment grandioses attestent encore aujourd'hui leur puissance, par exemplecelles de El-Ilainan en Tunisie, de Timgad, Tébessa et Zana en Algérie, de Lambessa dans

pes monts Aurès au sud ver? le Sahara.

Page 56: Les Francais en Afrique

L'ALGERIE 35

Pour contenir la population de cette immense région, Borne

n'y garda que deux légions formant environ vingt-quatre millehommes ; mais tel était le respect inspiré par ses armes que cenombre restreint des troupes réparties sur plusieurs pointssuffit pour dominer les Africains et pour protéger la constructiondes grandes routes militaires, l'achèvement des aqueducs de

Bussicada, Hippone et Cirta, des temples, des amphithéâtresdestinés à gagner l'amitié des peuples par la force et les jeux,ces deux leviers de la politique romaine.

Constantin remania la division administrative de l'Afrique

qui, après le partage de l'empire entre l'Orient et l'Occident,subit encore des changements. Les discussions religieuses, les Type algérien.réveils de l'insoumission, les querelles entre les généraux,

gouverneurs des provinces, leurs sortes de pronunciamientos ayant pour objet de s'éman-

ciper de la tutelle romaine, toutes ces causes et d'autres affaiblirent la sohdité du ciment

de l'édifice africain. Les Vandales s'en emparèrent facilement et en restèrent les possesseurs,de 429 à 533 jusqu'à ce que Bélisaire, en cette dernière année, les eût écrasés.

Au cours de la période de domination des Vandales, des insurrections avaient éclaté

parmi les Numides et les Maures dont Borne croyait n'avoir rien à craindre. Ils profitèrentde la chute des Vandales et de la décadence de la plupart des colonies romaines d'Afrique

pour redoubler d'audace dans leurs révoltes. Bientôt toutes les tribus de l'intérieur recon-

quirent leur liberté et s'emparèrent de la Tingitane, région du littoral. Byzance ne resta plusmaîtresse que de Carthage et de quelques points sur la côte. Le flot arabe vint, au vne siècle

de notre ère, inonder l'ancienne Afrique romaine. En 647, Abdallah-ben-Saïd, parti d'Egypteavec quarante mille hommes, battit le préfet ou patrice Gregorius près de Tripoli. Cependantles vainqueurs ne poursuivirent leur marche qu'à dater de 665 jusqu'à 670. Akbah (Sidi-

Okba), qui était à la tête des Arabes, conquit toutes les grandes villes du littoral, de Tripolià Tanger, fonda Kairouan, poussa jusqu'au rivage de l'Atlantique et jusqu'au grand désert.

Les tribus de cette dernière région l'arrêtèrent pendant quelque temps, mais les Arabes ne

désarmèrent point, et en692, Hassan, général du calife Abd-el-Malek, mit fin à la domina-

tion gréco-romane en Afrique.

Carthage fut prise, pillée et détruite par les Arabes. Les populations africaines leur

opposèrent encore quelque résistance, mais elles furent vaincues et enfin converties à l'Islam.

Le principal auteur de cette conquête territoriale et religieuse fut Mussa-ben-Noséir,

quoiqu'il ne lui fût pas facile d'opérer la conversion des Kabyles, issus des Vandales et des

Numides et réfugiés dans l'intérieur du pays où ils vivaient insoumis et sans foi religieuse.Les représentants de l'autorité du calife dans le nord de l'Afrique résidèrent à Kairouan,

mais leur pouvoir ne fut pas assez fort pour maîtriser ces mêmes Kabyles rebelles à toute loi

et prenant les armes à chaque chute de dynastie. En 789, les provinces de l'Ouest se sépa-

rèrent des autres et Edris-ben-Abdallah fonda le royaume du Maghreb-el-Aksa qui devint le

Maroc. Des changements ininterrompus de dynasties et de politiques désagrégèrent, à partir

de ce moment, la puissance africaine du nord qui se décomposa en souverainetés indépen-

dantes auxquelles on attribua le nom d'États barbaresques et qui eurent pour centre et

capitale Alger, Oran, Bougie, etc.

C'est vers cette époque que commença la réaction de l'Occident chrétien contre l'Afrique.

Les Maures d'Espagne furent rejetés dans le Maghreb, où ils s'abritèrent principalement sur

7

Page 57: Les Francais en Afrique

36 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

les côtes dont les ports devinrent des nids de pirates, agissant d'abord par représailles

contre les puissances qui les persécutaient, puis par esprit de rapine. Les Espagnols, sous

Ferdinand le Catholique, s'efforcèrent de les rendre tributaires, débarquèrent en Afrique,

prirent Ceuta, Melilla, Oran, Bougie, l'île d'Alger, et en 1509, Tripoli, Tlemcen, Tunis. De

leur côté, les Portugais opérèrent une descente sur la côte du Maroc, d'où, après de grands

progrès, ils furent forcés de se retirer.

Ces avantages remportés par les chrétiens sur les mahométans du nord de l'Afrique

déterminèrent des relations entre ceux-ci et les Turcs. Alors commence réellement l'histoire

de la Berbérie, les Turcs ayant formé le dessein d'ériger la piraterie en système et créant

COXSTANTINE. — Vue générale prise de la route de Hansourah.

à cet effet des ports de refuge. Les Espagnols voulurent empêcher cette politique en

attaquant l'émir de la Métidja. Ce dernier appela au secours le chef des piratesturcs, Horuk Barberousse, qui, au lieu de venir en aide à ses alliés, s'empara de leur

pays et se fit proclamer sultan. Tué dans un combat en 1518, il eut pour successeur son

frère Kaireddin (Hariadan) Barberousse qui, ne pouvant pas se mesurer avec l'Espagne,sollicita l'appui du sultan de Constantinople Selim Ier. Kaireddin repoussa les Espagnols,et prenant le titre de pacha, s'efforça d'établir la domination turque sur tout le nord de

l'Afrique. D n'y parvint pas. Mouley-Hassan, bey de Tunis, le repoussa en 1554 ; mais, l'année

suivante, le vainqueur lui-même, battu par Charles-Quint, dut se reconnaître tributaire de

l'Espagne, qui entra également en possession de la Tripolitaine, grâce aux chevaliers deMalte. L'Espagne n'escompta pas longtemps ces succès. En 1571, un capitan pachareconquit Tripoli et, en 1575, Tunis; il les soumit l'une et l'autre à la suzeraineté du sultan.Dans le même siècle, et au cours des trente années qui s'écoulèrent de 1520 à 1556, les des-cendants du chérif arabe Mulley-Mohamed renversèrent les mérinites du Maroc, Fezet Vêlez, pour fonder la dynastie chérifienne qui règne encore aujourd'hui.

II

L'histoire de l'Algérie, dans ses origines, se trouve intimement liée à celle de la Ber-bérie et il était indispensable de bien étudier celle-ci avant de pouvoir se rendre compte

Page 58: Les Francais en Afrique

ABD-EL-KADER.

Page 59: Les Francais en Afrique
Page 60: Les Francais en Afrique

L'ALGERIE 39

exactement de l'évolution de celle-là. Lorsque, au xvic siècle, eut lieu, comme nous venonsde l'indiquer, la conquête des différents États barbarcsqucs ou plutôt leur reprise par lessultans, Alger (ou comme disent les Arabes Al Djczar, ce qui signifie les îles, réunies plustard au continent par une jetée) entra nominalement dans l'histoire. Le sultan y exerçaitun droit de suzeraineté et y avait pour représentant l'agha, chef de la milice, qui pritplus tard le nom de dey avec des prérogatives de pacha. Élu par les troupes, à peu prèscomme le général que les soldats romains, sous leurs ordres, proclamaient imperator (empe-reur), le dey, dont le territoire était divisé en beyliks ou districts, devait donner satisfactionaux aventuriers qui le portaient au trône, et, lorsqu'il se refusait à contenter leurs appétits de

brigandage, ils se débarrassaient de lui par le poignard ou la prison. Aussi lapiraterie fut-elle

érigée par les maîtres d'Alger, de Constantine et des autres régions beylicales, à la hauteurd'une institution. Cette piraterie n'allait pas sans la vente des esclaves, qui étaient nonseulement les nègres amenés sur les marchés algériens par les caravanes venant de l'inté-rieur de l'Afrique, mais aussi les blancs captivés dans les abordages. Ces esclaves européensétaient vendus pour le service des galères, la pêche, la culture, et ne pouvaient recouvrer

leur liberté qu'en se faisant racheter. Les pirates d'Alger, terreur des nations civilisées,

exerçaient leur odieux métier d'écumeurs des mers presque impunément (1): ils bravaient avec

audace l'Europe qui les menaçait de loin en loin et leur infligeait quelque défaite sanglante

toujours vaine. Et telle était en réalité leur puissance (2) que beaucoup d'États d'Europe, non

seulement faisaient avec eux des échanges réguliers de marchandises, mais encore recher-

chaient souvent leur alliance ou leur accordaient des avantages, afin de mettre les navires qui

passaient dans leurs eaux à l'abri de leurs coups de main. La France ne s'abstint pas de

négociations de ce genre. Elle entretint avec les deys, au xvie siècle, des rapports diploma-

tiques qui prirent même un caractère d'amitié si prononcé qu'un moment il fut question,sous Charles IX, de mettre le duc d'Anjou, frère du roi et plus tard roi lui-même sous le nom

de Henri III, à la tète de ces Algériens, c'est-à-dire de ces pirates. Le projet échoua; il n'yeut à Alger, au lieu d'un dey français, qu'un consul à qui l'on fit expier le refus du prince

royal. Henri IV intervint auprès du sultan pour demander réparation des violences dont

son représentant diplomatique avait été l'objet, et le sultan, ne voulant pas avoir de querelleavec la France, fit étrangler le dey Kader; mais bientôt après, la crise recommença et la

France se vit obligée de subir d'humiliantes conditions pour obtenir des traités que les deys

s'empressèrent d'ailleurs de déchirer à la première occasion, massacrant nos agents, pillantnos cargaisons, et vendant comme esclaves les Français faits prisonniers dans ces rencontres.

La situation en était arrivée sous Louis XIV à être si tendue que la guerre ne pouvait

plus être évitée. Le duc de Beaufort d'abord, puis Duquesne, parurent l'un et l'autre avec

une escadre devant Alger qui, bombardé en 1682 et en 1683, aurait sans merci été détruit,

si le vicaire apostolique chargé du consulat, le Père Levacher, n'avait fait appel à la clémence.

Celle-ci ne servit, à vrai dire, qu'à rendre les Algériens plus hardis, car une révolution du

palais ayant eu pour résultat le massacre du dey, un usurpateur prit aussitôt sa place, fit

attacher le Père Levacher et vingt-deux Français à la bouche des canons et obligea Duquesne

1. Les expéditions étaient de véritables entreprises commerciales, auxquelles s'intéressaient les riches particu

liers, souvent le dey lui-même. Tout était réglé avec la plus grande précision. Au retour, un secrétaire des prises,

assisté de chaouchs, de changeurs, de mesureurs, de crieurs, faisait débarquer et vendre les marchandises et les

esclaves; ensuite, il procédait à la répartition; un droit fixe était prélevé par l'État: le reste, les frais déduits, était

partagé par moitié entre l'armateur et l'équipage. Personne à bord ne touchait de solde. On naviguait à la part.

Voir M. WAHL : L'Algérie.2. Cette puissance avait une forme de gouvernement ÏOdjak, oligarchie militaire et religieuse fondée sur la

haine des chrétiens, en vue de leur destruction.

Page 61: Les Francais en Afrique

40 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX« SIÈCLE

à rentrer à Toulon. Cette retraite augmenta l'insolence des Algériens. Tourville, en 1684,

reprit les hostilités contre eux, mais n'obtint que des réparations verbales qui ne reçurent pas

d'exécution. D'Estrées, qui détruisit plus de neuf mille maisons d'Alger sous la pluie des

bombes, n'intimida pas davantage ces pirates. Il fallut, pour leur donner une leçon, mettre à

mort dix-sept prisonniers turcs tombés entre les mains de l'amiral. A la suite de ce châti-

ment, les Algériens envoyèrent un ambassadeur à Versailles et conclurent, en 1690, un

traité de paix, qui fut observé cette fois et renouvelé successivement en 1764, 1791 et 1793.

Cependant la bonne foi des Algériens restait suspecte : ils prouvèrent combien peu il

fallait se fier à leur parole quand, pendant l'expédition d'Egypte, ils lancèrent leurs corsaires

sur les établissements français et ne craignirent point de charger de fers l'agent de la Bépu-

bhque et de tuer les nationaux français. Ln

moment, Bonaparte les tint en respect par le

prestige de la victoire d'Aboukir, mais Trafal-

gar ayant démontré qu'il n'était pas invincible,

ils jetèrent le masque et recommencèrent leurs

entreprises. Le dey donna l'exemple de la

haine contre les Français et alla jusqu'à faire

vendre comme esclaves des savants français,

entre autres le grand astronome Arago : pris en

mer par un corsaire, puis relâché, puis jeté par

une tempête à Bougie, U fut enchaîné et envoyéde force à bord d'un vaisseau de la Bégence

pour y servir d'interprète, y subir les souf-

frances de l'esclavage, qui ne cessèrent qu'au

bout de deux ans. Napoléon Ier, malgré toute

l'énergie qu'iï déploya, en donnant des ordres

sévères au capitaine Boutin, un héros, ne par-Adnt pas à trancher ces redoutables difficultés.

L'empire napoléonien tomba, et ce fut

l'Angleterre que le Congrès de Vienne choisit,

en 1815, pour empêcher radicalement l'esclavage des chrétiens capturés par les corsaires

barbaresques. Lord Exmouth bombarda, en 1816, Alger, qui lui opposa une résistance

si ferme qu'en dépit des milliers de projectdes lancés contre la ville, en dépit de l'écrase-

ment de la flotte algérienne, la démonstration anglaise fut inefficace.

En 1818, les événements donnèrent la succession du dey Ali-Kodja, mort de la peste, à

un Smyrniote de basse extraction, Hussein, qui dut son élévation à l'intrigue.Le traité de 1628 entre la France et Alger nous obligeait à payer des redevances

annuelles considérables au dey ainsi qu'au bey de Constantine. Ces redevances que payaientnos nationaux en Afrique étaient devenues plus lourdes d'époque en époque, suivant les

exactions des deys. Elles s'élevaient en 1790 à 90.000 francs; en 1816, à 270.000 francs; les

exigences algériennes se montèrent en 1817 jusqu'à 300.000 francs; Hussein en réclama

même 380.000, et Louis XVHI, sur l'avis du consul, par une convention de 1820, s'engagea,cédant aux créanciers, à payer annuellement 220.000 francs. Stimulé par ce succès, le deyredoubla de hautaine intimidation. B s'ingéra personnellement dans le procès fait par deux

Juifs d'Alger, Bacri et Busnach, qui avaient vendu au gouvernement français des blés pour2 milliards de francs. Ces créances dataient de la Bévolution, et les deux Juifs, qui avaient de

Puits artésien. - La chèvre des sondages pendant le repos-

Page 62: Les Francais en Afrique

MAC-MAHON.

Page 63: Les Francais en Afrique
Page 64: Les Francais en Afrique

L'ALGÉRIE 43

plus fourni des vivres et des approvisionnements à l'armée d'Egypte, réclamaient le prin-

cipal avec les intérêts. Hussein prétendit que la dette française était, dans ce cas, de plus de

14 millions. Louis XVIII la fit réduire de moitié, mais avant de verser les 7 millions et pour

sauvegarder les droits des créanciers personnels des créanciers français qui avaient fait

opposition sur les deniers à compte aux deux Juifs, le roi s'était réservé la faculté de rendre

la Caisse des dépôts et consignations gardienne de 2.500.000 francs à prendre sur ce

versement jusqu'à ce que le litige eût été réglé par les tribunaux. Hussein ne voulut pas

accepter cet arrangement. La guerre aurait éclaté entre la France et l'Algérie si celle-ci

n'avait eu un différend avec l'Angleterre, qui, moins patiente que nous, fit bombarder

Alger en 1824 par l'amiral sir Henry Neale. Ce bombardement fut sans effet et l'insolence du

dey ne fit que s'accroître : il alla jusqu'à signifier des sommations au gouvernement français.

III

Notre consul à Alger, M. Deval, était un homme faible, toujours prêt à désarmer les

querelles par une soumission craintive. Il avait d'ailleurs pour instructions de ne pas brus-

quer les choses et de répondre à l'animosité de Hussein par une attitude pleine de correction.

Sans engager le fer avec le dey et en se tenant à une prudente distance, que lui dictait la

résolution du ministre des affaires étrangères de France, M. de Damas, décidé à ne pas

donner de réponse aux prétentions algériennes, il se renfermait dans la stricte courtoisie

diplomatique. Hussein, d'un tempérament irascible, croyant avoir affaire à une nature qu'il

pouvait braver, attendait, au contraire, une occasion de faire un coup d'éclat.

Le 30 avril 1827 était la veille de la fête du Baïram. Le consul de France alla, suivant

l'usage, complimenter le dey, qui l'accueillit en l'apostrophant avec colère :

— Pourquoi, lui cria-t-il, votre ministre n'a-t-il pas répondu directement à la lettre que

je lui ai écrite, au lieu de me faire transmettre celte réponse par vous? Suis-je un manant,

un homme de boue, un va-nu-pieds?

Le consul voulut répliquer. Le dey, de plus en plus exaspéré, lui fit signe de se taire, et

continuant ses invectives :

— C'est vous qui lui avez conseillé de ne pas m'écrire.

Et comme M. Deval protestait avec un geste énergique :

— Vous êtes un méchant, un infidèle, un idolâtre, s'exclama Hussein.

En même temps se levant de son siège, il frappa le représentant de la France à trois

reprises différentes avec le manche de son chasse-mouches.

C'était un cas de guerre. Le consul s'empressa d'informer son gouvernement de l'inci-

dent. M. de Damas en saisit le Conseil des ministres, qui, de concert avec le roi Charles X,

exigea une réparation immédiate et éclatante. M. Deval reçut l'ordre de rentrer en France.

La plupart de nos nationaux s'embarquèrent avec lui.

Le sort en était jeté. Il n'y avait plus que le sang qui put laver l'injure (1).

Le commandant Collet se présenta avec une escadre dans les eaux d'Alger, livra bataille

aux corsaires, bloqua la ville. Une année se passa dans ces conditions, les combats alternant

avec les négociations.

1. Le pays avec lequel la France allait se trouver en lutte était occupé' par des populations jalouses et indépen-

dantes. Pendant que les pirates étaient encore maîtres à Alger, les Arabes nomades tenaient les plaines où ils trans-

portaient d'un lieu à un autre leurs tentes et leurs troupeaux ; dans les villes, en particulier à Coustantine, des beys,

sous la suzeraineté nominale de la Sublime forte, gouvernaient une population mélangée de Turcs, Maures, Juifs et

Berbères. Enfin les Kabyles se retranchaient dans leurs villages, suspendus comme des nids d'aigles au bord des

précipices, au milieu des montagnes. (E. MARÉCHAL.)

Page 65: Les Francais en Afrique

44 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIÈCLE

En 1829, La Bretonnière, qui remplaçait Collet, renouvela avec le vaisseau la Provence

une démonstration navale devant Alger. Hussein fit cribler la Provence de boulets. La mesure

était comble. Un seul obstacle pouvait encore arrêter le gouvernement français dans sa réso-

lution de tirer vengeance des outrages subis : c'était le rôle joué auprès de Hussein par

l'Angleterre, qui voulait empêcher à tout prix laFrance de s'emparer dans le nord de l'Afrique

d'une position maritime formidable ; mais Charles X ne tint pas compte de ces manoeuvres

britanniques et lorsque le cabinet de Londres lui exprima ses vues dans une note diploma-

tique, le roi fit répondre avec fermeté qu'il avait pris le parti de détruire définitivement les

nids de pirates, d'abolir l'esclavage des chrétiens et de mettre fin à l'abus créé par le paiement

d'un tribut à la Bégence.Le pacha d'Egypte, Méhémet-Ali, offrit de se charger, moyennant une forte prime en

Type Franco-Arabe, le Bas-de-cuir de l'Algérie.

argent (20 millions et quatre ATaisseaux de

ligne) d'écraser les forces algériennes, et M. de

Polignac, qui était, au commencement de

1830, à la tête des affaires, avait donné son

approbation à cette combinaison. Les ministres

de la marine et de la guerre désapprouvèrentcette combinaison, et leur avis prévalut.

En conséquence, le 25 mai, le général Bour-

mont se mit à la tête d'une armée de trente-

sept mUle hommes, formant trois divisions sous

les ordres des généraux Berthezène, Loverdo et

d'Escars, pendant que le vice-amiral Duperré

prenait le commandement de la flotte qui

comptait 103 bâtiments de guerre montés par2.700 marins, 377 bâtiments de transport et

225 radeaux. Le débarquement eut heu à Sidi-

Ferruch, à l'ouest d'Alger, le 14 juin. Le deyavait confié sa défense à l'aga Htrahim, son

généralissime, qui attira l'ennemi vers le pla-teau de Staouëli, où pendant cinq jours se livra

i*n combat acharné. Le 19, une bataiïle déci-

sive se termina à l'avantage des Français. Le

4 juillet, le Fort de l'Empereur (Sultan Kalassi),qui protégeait Alger et qui avait été construit par Charles-Quint, sauta, après une résistanceformidable. Deux soldats, Lombard et Dumont, s'élançant à travers les ruines fumantes,allèrent planter le drapeau blanc au sommet des murailles. Le dey enfermé dans la Kasbahn'avait plus qu'à capituler. B signa sa déchéance, s'embarqua pour Naples avec sa suite, eten y arrivant le 31 juiBet, y apprit au débarquer que Charles X, son vainqueur, avaitcomme lui pris le chemin de l'exil.

IV

Ce fut la monarchie des Orléans qui célébra le triomphe remporté par la monarchie desBourbons. A vrai dire, ce triomphe était loin d'être définitif. On avait su vaincre, mais oncommença par ne pas savoir profiter de la victoire. La nouveBe administration française inau-gurée à Alger y commit faute sur faute, par ignorance du pays, de ses moeurs, de ses races,

Page 66: Les Francais en Afrique

L'ALGÉRIE 45

de ses aspirations, et tout ce que l'on entreprit n'aboutit qu'augaspillage des finances, à la désorganisation de l'autorité. En vain

Bourmont, qui pour prix de ses succès avait été nommé maréchalde France et gouverneur d'Algérie, fit-il occuper Oran et Bône;en vain, dans l'espoir de se faire un allié, consentit-il à laisser

Mustapha Bou-Mczrag, bey de Tittcri en possession de son

influence; les indigènes, et surtout les Arabes et les Kabyles, ne

cessèrent de se montrer menaçants. La chute de Charles X les

encourageait dans leurs bravades, et lorsque Bourmont, accep-tant le sort de la dynastie qu'il avait servie, résigna son

commandement, son départ fut interprété par les Algérienscomme un aveu d'impuissance.

Type nègre d Alger.Son successeur, Clauscl, qui avait fait ses preuves dans les

guerres de la Bévolution et de l'Empire, essaya de mettre de l'ordre dans une situationoù tout était à régulariser. Il ne parvint qu'à l'embrouiller davantage. On ne tint aucun comptedes arrêtés auxquels il prétendait donner force de loi. Bloqué dans Alger, dès qu'il y fut

arrivé, ne recevant point de renforts de France où Louis-Philippe et ses ministres étaient

eux-mêmes aux prises avec les plus graves difficultés, il se sentait exposé à un désastre qui

pouvait devenir fatal. Afin de le conjurer, et prévoyant qu'il allait avoir à soutenir un véri-

table siège s'il laissait approcher le bey de Titteri, il marcha contre lui avec huit mille hommes,

parmi lesquels figuraient les deux nouveaux corps qu'il avait créés, les spahis, cavaliers

indigènes, et les zouaves pris dans la tribu kabyle des Zouaouas. Grâce à cette marche en

avant, le danger fut évité. Bou-Mezrag, pour garantir sa capitale Médéah, se porta à la ren-

contre des Français. Il fut battu au col de Mouzaïa, entre Blidah et Médéah, où le vain-

queur installa un nouveau bey allié de la France. Mais Clausel avait des adversaires dans le

gouvernement de Louis-Philippe et à la Chambre où beaucoup de députés étaient opposés à

l'occupation permanente de l'Algérie. Un traité avantageux fait par le gouverneur avec le

bey de Tunis servit de prétexte pour le désavouer et pour motiver son rappel.

Berthezène, qui lui succéda en Algérie, s'efforça, avec une faible armée de neuf mille hom-

mes mise à sa disposition, d'agir utilement, de porter secours au nouveau bey de Médéah et

d'occuper la plaine de la Métidja, Oran, Mostaganem, Bône et Bougie, qu'il eut à reprendresuccessivement. Malgré ce succès, il se retira au bout d'une année de lutte avec le ministère.

Casimir-Périer, en prenant la présidence du Conseil, ne fit pas comme ses prédécesseurs.Il comprit que, puisque la France s'était emparée de l'Algérie, elle devait avant tout la garderet que, pour cela, le plus sur moyen était d'y avoir une armée organisée et aussi nom-

breuse que l'exigeaient les positions à défendre. Politique excellente assurément, mais que le

nouveau ministre s'empressa de rendre lui-même stérile en remplaçant Berthezène, un soldat,

par Savary, duc de Bovigo, un policier. On ne pouvait faire un choix plus malheureux. Il ne

suffisait pas, en effet, d'avoir conquis l'Algérie, il fallait faire accepter cette conquête par les

indigènes et les convaincre des bienfaits qu'elle pouvait leur promettre et leur accorder pro-

gressivement. Au lieu d'agir dans ce sens, celui que l'histoire a surnommé l'homme de Vin-

cennes et de Bayonne, et qui, en toute circonstance, confondit l'énergie avec la brutalité,

s'aliéna les Algériens en les écrasant d'impôts, en noyant dans le sang les révoltes, et en éle-

vant de distance en distance les blockhaus (ports fortifiés) qui enfermaient l'Algérie dans une

ceinture militaire équivalant à un cmbastillemcnt. Secondé dans son système de terrorisation

par le général Boyer, qui commandait à Oran et que la population surnomma Pierre le Cruel,

Page 67: Les Francais en Afrique

46 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

le duc de Bovigo se fit exécrer. Toute son administration se réduisit à semer la haine où il n'y

avait qu'à faire germer des sympathies, et sa rigueur, qu'il prétendit seule efficace, fut des

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plus funestes. Ces mesures draconiennes comparables h celles de certains prêteurs de l'an-

cienne Rome portèrent les fruits qu'elles devaient engendrer. L'Algérien comprit dès ce jour

qu'il n'avait dans le Français qu'un maître, et que ceux qui annonçaient la fin de l'esclavage

Page 68: Les Francais en Afrique

L'ALGERIE 47

y substituaient la tyrannie. Savary, pour s'appuyer sur l'armée, augmenta celle-ci par la

création des tirailleurs indigènes, des chasseurs d'Afrique, de la légion étrangère. Le régimedu sabre n'avait de la sorte qu'à s'affirmer avec toute la sévérité qu'il s'arrogeait. Et il ne

s'en fit pas faute.

Cependant il était impossible do ne voir dans les indigènes que des vaincus, sur les-

quels on ferait éternellement peser une oppression d'autant plus lourde qu'elle n'était

dictée que par la cruauté des insurrections. Des hommes plus préoccupés de coloniser

l'Algérie que de la rançonner s'attachèrent à mettre en contact l'élément militaire français

avec l'élément civil indigène. La création des bureaux arabes, dont la première idée fut due

au général Trézel, et l'organisation définitive du corps des zouaves, commencée parBourmont et complétée par Clausel, rendirent des services importants. Les bureaux

arabes avaient pour but de faire des officiers placés à leur tète et concentrant dans

leurs mains la justice, les finances, l'administration, des intermédiaires entre le gou-

vernement et les chefs de tribus, en même temps qu'ils se rendaient compte des usages et

des aspirations du pays, accueillaient les griefs et y donnaient satisfaction légitime, apaisaient

les différends et châtiaient les malveillances. Ces officiers devaient, dans la pensée du

général Trézel et aussi du général Voirol qui remplaça (avril 1833, juillet 1834) Savary

malade, être des hommes actifs, fermes autant que prudents, justes et conciliants, payant

en toute rencontre de leur personne. Lamoricière, un des premiers chefs de bureau arabe,

sut s'entourer d'un prestige qui impressionna vivement les soldats et les indigènes (1).

Il gagna la confiance des Arabes sans se départir envers eux de la sévérité nécessaire. On

le respectait et on l'aimait parce qu'il possédait toutes les qualités que le musulman veut

rencontrer dans un homme supérieur; il était brave, téméraire, infatigable, impétueux,

imposant sa volonté tantôt par la persuasion, tantôt par la menace, qui de la parole pas-

sait rapidement à l'exécution. Il avait le caractère ardent et aventureux, n'hésitant pas à

affronter tout seul ceux qui auraient tenté de le braver et les dominant par son geste et son

regard. Les zouaves qu'il commandait, et dont il fit un corps d'élite légendaire en Afrique

en les trempant comme une épée, en les accoutumant à la bravoure, à l'endurance, l'ado-

raient; les Arabes qui l'avaient surnommé Bou-Aroua (le père du bâton) parce qu'il se faisait

obéir, le redoutaient et l'aimaient. Le général Voirol eut en lui un auxiliaire précieux, grâce

auquel on réalisa des améliorations habiles et fécondes. Sans doute les bureaux arabes,

quand ils oublièrent leur rôle et leur devoir, commirent des excès regrettables et en plusieurs

cas leur autorité, leur gestion se signalèrent par des faits qui étaient tyranniques et con-

damnables, mais toutes les fois qu'ils se renfermèrent dans leurs attributions et les exer-

cèrent loyalement, on les trouva à la hauteur de la lâche, d'ailleurs difficile, qu'ils avaient à

remplir. Plusieurs de ces chefs, suivant l'exemple de Lamoricière, travaillèrent à l'assimilation

du pays. A vrai dire ils furent souvent empêchés dans la poursuite de leurs desseins par le

mauvais vouloir, l'indécision, l'obstination de ceux qui ne croyaient pas au progrès et qui

considéraient la colonisation comme une utopie dangereuse, n'y voyant qu'un gouffre où

l'on avait jeté l'argent de la métropole et qui ruinerait celle-ci. Voirol réagit contre ces préven-

tions. Il associa les mesures pratiques aux actes de prompte fermeté, tint tète aux tribus

hostiles contre lesquelles il empêcha les razzias, enleva Bougie aux Kabyles, se maintint dans

Bône, contraignit un grand nombre de cheiks à l'alliance ou à la soumission, unit enfin

1. Christophe-Léon-Louis Juchault de Lamoricière, né le 5 lévrier 'lS(il), à Nantes, axait une àme vraiment

bretonne. Toute sa carrière militaire fut héroïque. Sa foi bretonne en lit un défenseur de la cause pontificale dans

les affaires de Rome. 11 fut, en toute rencontre, un champion de ce qu'il estimait le ilmit. Comme tel, il tint tète à

Louis Napoléon dans l'Assemblée législative. 11 mourut le 10 septembre 1805. Sa vie a été écrite par Kellcr.

Page 69: Les Francais en Afrique

48 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIÈCLE

l'équité et la droiture à la résolution. Les indigènes apprécièrent cette attitude et les caïds, qui

étaient leurs interprètes, firent l'éloge du général en lui apportant, à son départ pour la France,

de nombreux présents en témoignage de leur reconnaissance, en même temps que les natio-naux français lui offraient une médaille d'honneur en signe de dévouement et de gratitude.

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Page 70: Les Francais en Afrique

L'ALGÉRIE 49

La première période de l'occupation algérienne était clôturée. Le gouvernement françaisavait fini par comprendre que l'Algérie pouvait et devait avoir une valeur coloniale, et par-tant de cette thèse, il se décidait à la longue, non seulement à la conserver, mais à y étendrenotre puissance. Une commission fut nommée pour étudier sur place les meilleurs moyensd'atteindre ce but. Une enquête sur le passé de l'administration algérienne fut ordonnée afinde préparer des plans de réorganisation pour l'avenir. Cette commission, composée du lieu-

tenant-général Bonnet et de MM. d'Haubersart, de la Pinsonnière, Piscatory, Benard,Laurence, s'acquitta impartialement de son mandat. Elle décida que le régime introduit parSavary était blâmable et qu'il fallait l'abandonner, pour entrer dans une voie où l'on ne

prendrait plus conseil de l'arbitraire.

Une ordonnance royale, en date du 22 juillet 1834, attribua à l'ancienne régence d'Algerle nom de « Possessions françaises dans le nord de l'Afrique ». Le général Drouet d'Erlonen fut le premier gouverneur général. Ce n'était pas une sinécure qu'on lui donnait. LesArabes avaient compris qu'ils pouvaient fonder un puissant espoir sur l'insurrection. Il leursuffisait d'avoir un chef dont le prestige et la vaillance fussent assez forts pour électriser les

populations. L'homme attendu se rencontra dans Abd-el-Kader. Né en 1807, issu d'une tribu

redoutée, il avait par sa piété et son courage mérité les deux titres qui donnent l'autorité et lavénération : Marabout, c'est-à-dire saint, et Émir, c'est-à-dire prince. Il s'était mis à la tètedes indigènes de Mascara et bientôt les tribus voisines avaient accepté sa prépondérance.Téméraire et inflexible, il entraînait ses troupes au combat, en faisant impitoyablement mettre

à mort ceux qui refusaient de le suivre ou fléchissaient. Son armée n'était pas nombreuse,mais aguerrie et indomptable. Le général Desmichels, qui commandait à Oran, voulant

déjouer les plans de l'émir et l'empêcher de prendre Tlemccn et Mostaganem, entra en négo-ciation avec lui; Abd-el-Kader accepta un traité dans lequel la souveraineté de la France

n'était pas reconnue. Désavoué par le gouverneur général, le commandant fut remplacé. Son

successeur, le général Trézel, ne put tenir tète aux Arabes. L'émir occupa Milianah et

Médéah, puis livra bataille aux Français dans une position qui leur était désavantageuse,entre les marais de la Macta et des collines boisées. Les Arabes y perdirent trois mille

hommes, les Français quatre cents et la victoire resta aux indigènes (2G juin 1835).Cette défaite ramena le maréchal Clausel en Algérie. Il vengea l'affront fait à nos armes,

enleva à Abd-el-Kader sa capitale Mascara et fit une tentative sur Constantine. La campagneaurait peut-être traîné en longueur, si Clausel n'avait eu pour principal aide le général Bugeaud

qu'Abd-el-Kader lui-même appelait un «un renard ayant à sa suite pour armée un serpent »(1).Le 5 juillet 1836, Bugeaud, forçant le passage de la Sikkah, affluent de la Tafna, accula

l'émir à un ravin, tailla ses forces en pièces, et entra triomphant à Tlemccn où Cavaignac

avait, pendant tout le temps de l'opération, tenu tète à l'ennemi. De son côté le maréchal

Clausel infligeait un échec décisif aux Kabyles et, pour assurer la marche de sa colonne,

faisait établir une route de 16 kilomètres, facilement praticable pour les voitures et aboutis-

sant au sud de Médéah.

Bugeaud crut qu'il ne fallait pas seulement faire face à l'émir, mais aussi ruser avec lui,

peut-être même essayer, en lui offrant des concessions importantes, de le transformer en allié.

Aussi lui fit-il savoir que la France pourrait examiner les bases d'une entente. Cette politique

était habile, car l'on avait affaire, en même temps qu'à Abd-el-Kader, au bey de Constantine,

1. Bugeaud de la Piconnerie (Thomas-Robert), né en 1785, mort en 1849, entra comme grenadier aux velites de

la garde impériale. Sous-lieutenant en 1806, il lit les campagnes de Prusse et de Pologne, puis passa en Espagne où

il se distingua aux sièges de Saragosse et de Pampelune. Après s'être rallié aux Bourbons, il les abandonna pendant

les Cent jours. La Restauration le tint à l'écart. Il reprit du service sous Louis-Philippe et s'illustra en Afrique.

Page 71: Les Francais en Afrique

50 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Ahmed, autrefois vassal du dey d'Alger et, depuis 1830, tout à fait indépendant. Le maréchal

Clausel avait demandé au ministère Thicrs l'autorisation de commencer les opérations à l'est.

Elle lui avait été accordée, mais le ministère Mole, qui arriva ensuite au pouvoir, fut moins

favorable à ce plan. Aussi le premier siège de Constantine échoua-t-il : on manquait

d'hommes, de batteries, de moyens de transport; en outre les pluies, qui tombaient par

torrents sans discontinuer, retenaient nos soldats dans ce qu'ils appelaient des camps de

boue.

Le gouvernement, qui avait pris pour système de rendre les chefs responsables de l'issue

de leurs expéditions, rappela Clausel et donna

des instructions à Damrémont pour entrepren-

dre un nouveau siège de la place, réputée

imprenable, quand les négociations de Bugeaud

à Oran avec Abd-el-Kader auraient abouti. Le

traité de Tafna, signé le 1er juinl 837, nous ayant

valu la cessation des hostilités avec l'émir, on

s'occupa aussitôt de diriger tous les efforts

contre Constantine. Damrémont ayant sous

ses ordres les généraux Valée, Perrégaux,

Bohault de Fleury, Trézel, Bulhières et le duc

de Nemours, partit de Bône avec treize mille

hommes. Ben-Aïssa défendait Constantine et le

bey Ahmed protégeait l'accès de la ville en

tenant les alentours avec neuf miUe cavaliers

pour inquiéter l'armée française.

Assiégés et assiégeants firent preuve d'un

héroïsme épique. La prise du plateau de Kou-

diat-Aty par nos troupes nous donna l'avan-

tage, mais alors la ville résista encore pendant

quatre jours de bombardement. « Tant qu'unde nous sera vivant, les Français ne prendront

pas Constantine. » Cette réponse de Ben-Aïssa aux sommations de Damrémont électrisa les

musulmans. L'assaut fut fixé au 13 octobre. La veille, le général Damrémont s'étant avancé

à découvert sur le plateau, pour examiner la brèche et voir si elle était praticable, fut tué parun boulet, et le général Perrégaux, son chef d'état-major, qui se trouvait auprès de lui,

tomba blessé mortellement. Le lieutenant-général Valée prit le commandement en chef, et le

lendemain nos troupes escaladèrent la roche en trois colonnes sous le commandement du lieu-

tenant-colonel Lamoricière et des colonels Combes et Corbin.

A sept heures les tambours donnent le signal. Les zouaves s'élancent au pas de

course, malgré la fusillade. Lamoricière les conduit. Le capitaine Garderens plante le

drapeau tricolore sur la brèche; la ville est envahie. Tout à coup retentit une explosionformidable : une mine vient d'éclater sous les pieds des assaillants. Jeté à dix pas parl'explosion, Lamoricière reste sans blessure ; mais le colonel Combes est frappé à mort,Turcs et Arabes s'enfuient, se précipitent du haut des murailles dans les ravins. Constantineest au pouvoir des Français. Le bey Ahmed, à cheval sur une hauteur voisine, assistait àla chute de sa capitale ; il versa des larmes et s'éloigna. Le général Valée devint maréchalde France et gouverneur de l'Algérie. Il n'y avait plus qu'à pacifier la Kabylie. La domi-

Une mendiante à Alger.

Page 72: Les Francais en Afrique

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Page 73: Les Francais en Afrique
Page 74: Les Francais en Afrique

L'ALGÉRIE 83

nation française dans l'est était désormais assurée. Elle ne pouvait plus être mise en péril

que par la France elle-même. Il y eut en effet, à la Chambre des pairs, un certain

nombre do partisans de l'abandon de Constantine. M. de Casparin proposa de démanteler

la place et d'y renoncer ensuite. M. Duvergier de Hauranne s'éleva avec animation

contre cette campagne qu'il appelait funeste. MM. Jobert et Desjobart allaient plus loin :

ils réclamaient l'évacuation de toute l'Algérie (1).

Cette politique de lassitude ou do défaillance ne pouvait triompher. L'honneur de la

France était engagé. Il fallait, quelle qu'en fût la difficulté, poursuivre une expédition quiavait déjà coûté tant de sacrifices et dont l'abandon no pouvait être interprété par l'Europe

attentive que comme un aveu d'impuissance. Le gouvernement le comprit, et, appuyé sur la

majorité des Chambres, donna l'ordre au nouveau gouverneur de se rendre en personne avec

un imposant déploiement de forces militaires, du pays de Constantine à Alger, en passant par

Sétif, pour impressionner vivement l'imagination des Arabes. Le maréchal Valée exécuta

cette marche, ayant à côté de lui le duc d'Orléans. Il franchit le défilé du Biban ou des Portes

de fer, col étroit dominé par des rochers à pic et qui formait la frontière des territoires

reconnus à l'émir par le traité de la Tafna.

Abd-el-Kader n'attendait qu'une occasion de reprendre la lutte. Il prétendit que le traité

était violé et rentra en campagne. Aussitôt les Arabes, dont la ferveur était excitée par les

prédications de la guerre sainte, se rangèrent autour de lui et les Kabyles firent de même.

Le massacre de plusieurs détachements français fut le commencement des nouvelles hostilités.

L'émir marcha sur Mostaganem en février 1840. Il emmenait avec lui, outre son infanterie

régulière, les contingents de quatre-vingt-deux tribus.

Les Arabes, au nombre de douze mille, attaquèrent le petit village de Mazagran, situé sur

une hauteur, mais n'ayant pour défense que cent vingt-trois chasseurs d'Afrique retranchés

dans un marabout. Le combat dura quatre jours. Les Français résistèrent héroïquement à

l'ennemi et l'obligèrent à se retirer, quand une sortie de la garnison de Mostaganem vint les

dégager.

Pour répondre à cette agression d'Abd-el-Kader et la châtier, le maréchal Valée parfit

de Blidah avec dix mille hommes, accompagné des ducs d'Orléans et d'Aumale, alla dégager

Chcrchcll où le commandant Cavaignac était bloqué par les Kabyles et arriva au pied de

l'Atlas. Abd-el-Kader avait concentré toutes ses forces au col de la Mouzaïa. La position

semblait imprenable. Les Arabes occupaient les plateaux et y tenaient ferme. On était forcé

de gravir chaque rocher sous leur feu ininterrompu. Duvivier, Lamoricière, Changarnier, le

duc d'Orléans menèrent l'attaque vigoureusement. La victoire leur resta définitivement, le

12 mai, et ce résultat permit à l'armée française de s'emparer successivement de Médéah

et de Milianah.

Le remplacement du maréchal Valée par le général Bugeaud, au mois de janvier 18il,

1. En réalité, beaucoup d'esprits s'effrayaient à l'idée d'une occupation complète de l'Algérie. M. de Broglie

avait donné sa délinition de l'entreprise en disant : - Alger n'est qu'une loge à l'Opéra »; et le mot avait fait for-

tune parmi les doctrinaires qui, suivant l'expression de Louis Plane dans son Hisloiie de di.r ans, manquaient

souvent de portée dans leurs vues. Quant au roi Louis-Philippe, il ne s'intéressait que médiocrement, à cette

campagne. « Peu importe, disait-il, qu'on tire en Afrique cent mille coups de canon, on ne les entend pas en

Europe. • Restait M. Thiers pour qui l'Algérie n'était qu'une pépinière à soldats, une sorte de champ de manoeuvres.

Il ne songeait aucunement à la colonisation. 11 n'avait que des idées vagues sur l'avenir de l'Algérie : cependant il

croyait qu'il importait de la soumettre, et, pour cela, il était d'avis de ne pas s'en tenir aux dernières mesures.

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34 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 8 SIECLE

contribua beaucoup à activer les événements. L'émir trouvait devant lui un adversaire qui ne

lui laisserait plus de repos. En dépit de la rapidité de leurs mouvements et de leur courage,

les Arabes, traqués sans relâche, chassés de leurs différents points stratégiques, Tadekempt,

Mascara, Saïda, Tlemcen, étaient battus par le nombre et par la tactique des Français. La prise

de la smala d'Abd-el-Kader à Taguin, c'est-à-dire de sa famille, de ses esclaves, de ses

troupeaux, de ses chevaux et de ses trésors, par le duc d'Aumale et le général Yousouf

(16 mai 1843), fut un désastre pour les musulmans. L'émir n'échappa aux vainqueurs qu'en

se jetant dans le Maroc. Il y détermina le chérif

Abd-er-Bhaman à s'associer à sa cause, et, en

même temps, il chargea les marabouts de sou-

lever en sa faveur les populations marocaines.

Bugeaud, que ses succès avaient fait nom-

mer maréchal de France, accourut lorsque les

Marocains attaquèrent le général Lamoricière

au bord de la Mouilah. Le gouverneur général

avait sous ses ordres douze mille hommes. Au

passage de l'Isly il rencontra quarante miUe Ma-

rocains, dont trente mille cavaliers. Il leur livra

bataille et les mit en déroute. Ce fut pour les

musulmans une défaite écrasante autant qu'im-

prévue. Ils avaient eu tant de confiance dans

leur supériorité, que pour attacher les prison-niers qu'ils comptaient faire, ils s'étaient pour-vus de chaînes. La bataille de l'Isly (13 août

1844), un des plus brillants faits d'armes de

cette campagne, valut à Bugeaud le titre de duc.

Le Maroc vaincu dut accepter les conditions de

Type et costume des femmesde Constantine. paix que iuj (jjcta ia France. Elles se bornèrent,au reste, à l'expulsion d'Abd-el-Kader et à

l'occupation d'un point de la frontière. La France, assez riche pour payer sa gloire, comme

l'écrivit un journaliste d'alors, ne réclama pas d'indemnité de guerre.

Cependant Abd-el-Kader ne désarma point. Comptant sur l'aide de Bou-Maza, Père de

la Chèvre, qui avait soulevé trente-cinq tribus dans la province d'Oran et faisait lui-même,avec ses cavaliers infatigables, de fréquentes incursions dans cette région, il se livrait sans

relâche à des coups d'audace comme la prise du marabout de Sidi-Brahim (21-24 sep-tembre 1845), et s'avançait même jusque dans la plaine de laMétidja, aux portes d'Alger.

Bepoussé, privé en dernier lieu de l'assistance de Bou-Maza, qui, découragé, se rendit

(12 août 1S47), l'émir chercha pour la seconde fois un refuge au Maroc. Inlassable dans la

lutte, il tenta de renverser Abd-er-Bhaman pour mettre sur le trône Mérifé, un fils du pré-cédent sultan, et avoir en lui un auxiliaire. Cette conspiration échoua; les Marocains se

retournèrent contre le chef arabe et le chassèrent de leur territoire. Le général Lamoricière,

prévenu par des espions, avait fait garder tous les chemins. Abd-el-Kader, averti de son côté,et comprenant qu'il ne pouvait plus s'échapper, fit sa soumission. La guerre d'Algérie étaitterminée dès ce moment. Il n'y avait plus qu'à pacifier le pays. Bugeaud, avant d'être

remplacé comme gouverneur général par le duc d'Aumale, avait indiqué le programmede l'avenir : Ense et aratro, occuper militairement le pays et le coloniser. Tâche

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L'ALGÉRIE 85

longue et difficile, qui ne pouvait s'accomplir qu'en surmontantde nombreux obstacles.

VI

Une nouvelle période s'ouvre alors : celle des insurrections.La domination de la France en Algérie était assurée, il est vrai,mais les montagnards de la Kabylic et les douars des oasis

sahariennes n'avaient pas fait leur soumission. Toutes ces tribus

pouvaient être menaçantes, et l'eussent sans aucun doute été

pendant longtemps, si la division n'avait régné entre elles. Dès

le lendemain du traité de la Tafna, les populations belliqueusesdes Aurès, qui avaient donné asile aux ennemis de la France,étaient rentrées en scène et avaient opposé une résistance

Arabe nomade.

énergique aux meilleurs généraux français. A la tête des musulmans se trouvait le beyAhmet. Le soulèvement ne cessa qu'en 1848, lorsque Ahmet fut capturé avec sa smala

sur les bords de l'oued El-Adred. Ce n'était toutefois qu'une trêve. En 1849, un ancien

cheikh d'Abd-el-Kader, riche et populaire, Bou-Zian, prêche dans toutes les oasis du Sahara

la guerre sainte. Betranché dans Zaatcha, il tient les Français en échec pendant dix joursen faisant égorger et mutiler ses prisonniers. On ne pouvait répondre à ces cruautés que parde terribles représailles. Le colonel Canrobert, sous les ordres du général Herbillon, assiégeala ville. Elle fut prise maison par maison. Bou-Zian périt fusillé et aucun des révoltés n'obtint

de merci. Cependant cette exécution ne désarma pas les habitants de l'Aurès. Canrobert dut

recourir, pour en venir à bout, aux mesures les plus rigoureuses. On écrasa les rebelles sans

mettre fin à la rébellion. Le feu couva sous la cendre, et lorsque l'occasion s'offrit, les

insurgés reparurent. On en eut la preuve en 1871 quand les montagnards embrassèrent la

cause d'El-Mokrani. Une colonne envoyée contre eux les réduisit à l'impuissance, mais, en

1879, il y eut une nouvelle tentative d'indépendance qui eut pour résultat le carnage de la

population d'El-Hammam.

Pendant que se déroulaient ces événements, la Kabylie, impatiente de toute autorité

étrangère, luttait avec acharnement pour conserver sa liberté. On ne peut nier que cette

guerre fut conduite par certains généraux français, à qui Bugeaud avait donné l'exemple,

d'une manière sauvage. Les Kabyles se livraient de leur côté à des actes de barbarie atroce,

mais ils étaient exaspérés par les cruautés employées contre eux. Les Français, promenant

partout l'incendie, lançant des chiens dressés à la poursuite des indigènes, tuaient tous ceux

qui tombaient entre leurs mains, sans même faire grâce aux femmes et aux enfants. Le

massacre était le mot d'ordre général. Bugeaud, en agissant ainsi, était persuadé qu'il n'y

avait qu'un seul moyen de vaincre en ces circonstances : répandre la terreur, incendier,

détruire, semer la mort. Ses grandes qualités militaires n'ont jamais été contestées. On lui a

reproché, avec justice, d'y avoir joint des procédés que condamne la civilisation. Mais c'était

avant tout un soldat et il avait la conviction que, en menant la campagne comme il le faisait,

il accomplissait une oeuvre utile à son pays. Ce sont ses propres paroles. Il ajoutait : « L'armée

n'est pas faite pour protéger, mais pour marcher à la conquête et s'illustrer par des victoires. »

Il resta fidèle à cette manière de voir. Et d'autres, Pélissier surtout, firent comme lui. La

grande Kabylie et la petite furent dévastées et, de 1850 à 1857, en dépit des succès de nos

armes, on ne put les dompter. Le gouverneur général Bandon, aidé des généraux Mac-Mahon,

Page 77: Les Francais en Afrique

56 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

Benault, Yousouf, eurent à opposer trente-cinq mille hommes de troupes régulières aux

montagnards indigènes pour les défaire ou les contraindre à demander l'aman. Des routes

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militaires ouvertes dans leurs montagnes et la construction du fort Napoléon bâti sur le

plateau de Souk-el-Arba rendirent, dans la suite, les résistances impossibles ou vaines.

Page 78: Les Francais en Afrique

L'ALGEIUE 57

On le croyait du moins ; mais les révoltes

continuèrent à être fomentées, principalementdans le Sud-Oranais, où les razzias sur leterritoire français se répétèrent dès 1859. Les

Ouled-Sidi-Cheikh marchèrent môme sur Gé-

ryville, ayant pour chef Si-Sliman, et quandcelui-ci eut péri, son frère Si-Mohammed-ben-

Hamza dirigea l'insurrection en ralliant autourde lui les tribus du Djebel-Amour et du Tell.

Mohammed fut tué dans une rencontre. Si-Lala,son oncle, continua la campagne. Le maré-

chal Pélissier ne put la terminer. Les tribus ;-.dissidentes ne mirent bas les armes quelorsque le maréchal de Mac-Mahon, gouverneur

général, après avoir surmonté beaucoup de

difficultés, confia l'expédition aux généraux

Wimpfen et Ghanzy. C'était en avril 1870.

Quelques mois plus tard, la guerre franco-aile- Flllette arabe'

mande et les nouvelles de nos désastres ren-

dirent l'espoir aux indigènes. Si-Lala et un autre chef Si-Kaddour-ben-Hamza furent repoussésle 25 décembre 1871 et s'enfuirent. Ils attendirent l'heure, qui arriva en 1880, quand le

marabout Bou-Amama se leva contre la France au sud de Géryville. Les hostilités furent dès

lors, pour ainsi dire, ininterrompues et en réalité elles n'ont pas encore cessé. Il y a toujoursdes ferments d'inimitié, de haine, et les événements tout récents en ont fourni des témoignages.

C'est que la paix n'existe pas vraiment lorsqu'elle n'a point jeté de racines dans lame

même d'une nation, lorsqu'elle n'est pas le germe que fécondent des sentiments de reconnais-

sance. Toute pacification assise sur la conquête ne peut devenir durable que longtemps après

que le conquérant aura fait oublier aux vaincus combien, pour les soumettre, il les a terro-

risés. Ni les montagnards de l'Aurès, ni les Kabyles n'ont abdiqué leurs espoirs de vengeancecontre des maîtres qui ont commencé par brûler leurs villages et par détruire leurs djemaas.Ils ne se résoudront pas de longtemps à une soumission complète. C'est qu'ils ne voient pas

que la conquête, après avoir été militaire, comme l'entendait Bugeaud, peut devenir civilisa-

trice, comme elle l'est maintenant. Ils ne saisissent pas que si leurs troupeaux ne sont plusrazziés comme autrefois par leurs voisins, s'ils peuvent les laisser paître dans les vallées sans

être obligés de se tenir eux-mêmes constamment sur le qui-vive pour repousser les voleurs,

si la protection qui les défend est efficace et leur permet de donner du développement aux

ressources naturelles de leur pays, ils doivent en définitive tous ces avantages auxBoumis,

aux Français.

VII

Nous n'avons pas à rappeler ici comment la conquête a procédé d'étapes en étapes.

Ce sont des faits connus, mais il importe de constater que, dans toute colonie comme dans

tout sol, il y a un tuf qui ne disparaît pas, quelle que soit la couche qui lui est superposée.

Au sens ethnographique, ce tuf est représenté par la race indigène dont les éléments

biologiques et sociaux se modifient au cours des événements, des influences et des temps,

Page 79: Les Francais en Afrique

58 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX* SIÈCLE

mais ne perdent jamais complètement leurs caractères originels. Les traditions et l'ata-

visme conservent, en dépit de l'oeuvre des siècles, leurs droits indéfectibles autant qu'in-

délébiles. C'est une loi-constante et dont témoigne toute l'histoire du monde. Elle s'affirme

surtout dans ces générations sémitiques qui ont échappé le plus aux mélanges de sang,

comme les Arabes et les Juifs. Le vieux fond n'est pas entamé et aucune culture ne

saurait parvenir a le

supprimer. Or, les pro-

grès de notre admi-

nistration algérienne se

sont, depuis soixante-

dix ans; accomplis pres-

que sans exception d'a-

près un programme qui

n'a jamais été basé sur

la nécessité de res-

pecter cette loi ethno-

logique. Il en est ré-

sulté que notre prise de

possession de l'Algérie,

quoiqu'elle date déjà de

si loin, n'a pas encore

abouti à une suprématie

incontestée par tous

ceux sur qui elle s'exer-

ce. Notre conquête maté-

rielle repose sur notre oc-

cupation militaire, mais

nous n'avons pas fait

complètement la con-

quête morale de ces po-

pulations avec qui nous

sommes depuis trois

quarts de siècle en con-

tact. Cette faute, qu'on

n'a pas comprise ou

pas voulu comprendre,

sous les divers gouverne-

ments qui se sont succédé

Le Cardinal DE LAV.CER.E.eQ FranCG dePuis 1830'

Tableaude BoiWT (Muséedu Luxembourg). a eu les plus graves con-

séquences, et celles-ci

se sont multipliées d'époque en époque, de ministère en ministère, jusqu'à nos jours. On

s'est refusé à voir les Arabes tels qu'ils sont, ne formant pas un peuple, mais fragmentés en

tribus, et n'ayant qu'un seul lien entre eux : la religion. On a prétendu les plier à nos usages,à nos conceptions, à nos institutions, voire à nos croyances, et l'on ne s'est pas aperçu quel'on ne travaillait qu'à augmenter parmi eux la désaffection. L'Arabe est resté réfractaire,

Page 80: Les Francais en Afrique

L'ALGERIE 59

dit-on, et l'on s'en étonne.

Cependant sa conduite est

logique. Pourquoi se don-

nerait-il coeur et âme à

un régime qui va ouverte-

ment et parfois brutalement

à l'encontre de toutes les

idées résumant pour lui la

patrie? Vaincu, puis main-

tenu sous le joug adminis-

tratif, qui fut d'abord exclu-

sivement partial, par la

législation et l'autorité, il

a courbé la tète devant la

fatalité, qu'il considère com-

me un dogme, mais il n'a

fait en définitive que se

résigner, sans qu'il y ait eu». . , . Juifs d'Oran.tusion entre les conqué-rants et ceux qui sont conquis. Toutes les enquêtes algériennes le démontrent.

La France, en commençant par donner à l'Algérie une organisation fondamentalement

française, a cru de très bonne foi agir non seulement dans son propre intérêt, mais aussi

dans celui de la colonie. Il pouvait sembler rationnel qu'une civilisation française s'impo-sant à l'évolution arabe, on s'efforçât de déraciner celle-ci en quelque sorte, pour préparerle terrain à un ameublissement meilleur. Les vainqueurs annonçaient qu'ils arrivaient les

mains pleines de bienfaits. Qui pouvait les blâmer de vouloir tenter cet essai loyal de

régénération d'un peuple doué de grandes qualités propres à être appliquées à un

idéal de justice plus élevé que la demi-barbarie où il avait vécu jusqu'alors? Le bien quel'on veut faire ne vaut, toutefois, que par les moyens qu'on y emploie. On ne saurait

nier aujourd'hui que les mesures prises en vue du but indiqué ne furent, parfois et trop

souvent, que violentes et oppressives. Oubliant qu'il s'agissait d'émanciper peu à peu des

mineurs, pour les mener par la douceur vers nous, en gagnant leur amitié, on a tout subor-

donné à un code absolu dans lequel il n'était plus question ni de la personne de l'indigène,ni de ses titres à la propriété, ni de ses coutumes, ni de ses souvenirs et encore moins de

ses espérances. S'il n'est pas arrivé qu'en voulant pacifier on ait créé la solitude, suivant

l'expression de Tacite, il est hors de doute que le système mis en oeuvre n'a produit qu'é-

checs, désillusions et sacrifices stériles.

Les ferments de révolte subsistent. Que doit-on entreprendre pour les détruire? La

réponse n'est pas aisée à donner. Des éléments de discorde tout récents se sont joints aux

causes de mécontentement antérieures.

VIII

Il y a deux manières de résoudre le problème algérien : on les a définies en les appelant

la manière forte et la manière douce. La première, s'appuyant sur la supériorité numérique

qui écrase, a prévalu tant que l'esprit de conquête fut le seul à réclamer l'initiative et l'au-

10

Page 81: Les Francais en Afrique

60 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XLX° SIECLE

torité. L'énergie et l'habileté de la plupart des commandants d'armée envoyés en Algérie ont

eu pour résultat les succès que l'on connaît. Ce régime n'était toutefois pas propre à fonder

la paix. La période des bureaux arabes et de la prépondérance militaire l'a démontré. Bugeaud

voulait, comme nous l'avons vu, que l'épée ne fût jamais éloignée de la charrue. Il est arrivé

que, le plus souvent, l'épée a fauché ce que le laboureur avait fait naître.

La manière douce est tout autre. Elle s'attache à créer une oeuvre d'apaisement des

antagonismes de race et de religion, une oeuvre de justice et d'humanité. Elle n'a été

reconnue supérieure à la manière forte qu'il y a peu de temps, grâce aux décrets de

juin 1901. Ceux-ci ont remis à la décision du gouverneur général, non seulement la direction

entière de la colonie, mais tout ce qui concerne la sûreté intérieure, la police des frontières,

l'occupation et l'organisation des territoires de commandement. Les indigènes se trouvent

ainsi placés sous la tutelle immédiate du représentant de la métropole à qui cette dernière

délègue l'intégralité des pouvoirs qu'elle tient de la législation. Si ces réformes aboutissent,

c'est — on l'espère du moins — la fin des tiraillements entre les partisans de la manière forte

et ceux de la manière douce. Et c'est aussi l'entrée dans une ère où l'Algérie cessera d'être,

comme on l'avait jusqu'alors toujours regardée, un morceau dé la métropole et deviendra

une véritable force coloniale pouvant travailler au progrès économique et mdral en dévelop-

pant les travaux pacifiques (1). A5; .

Ouvrir des voies de communication aux transactions commerciales et des écoles aux

intelligences, faire en sorte que les impôts ne soient pas un drainage indirect de la productiondu pays, mais servent directement à faire prospérer l'agriculture et à rendre l'existence de

tous, colons et indigènes, plus sûre et plus aisée; rendre par des entreprises sagement com-

binées de canalisation, de routes, de reboisements, par des méthodes sincères d'assolement

et d'amodiation la culture des terres, qui sont excellentes, plus apte aux riches moissons, en

faisant appel aux bras, sous la garantie d'une administration éclairée et vigilante, associant

la sollicitude à la fermeté, tel est le programme à suivre, en même temps qu'il convient

d'inaugurer une politique d'apaisement et d'éducation. L'avenir démontrera, dans une dizaine

d'années d'ici, jusqu'à quel point ces promesses et ces espérances se seront réalisées, mais

pour qu'elles ne soient pas un leurre, il faudra, on peut le prévoir dès maintenant, avec

le concours des circonstances et des actes, celui des hommes.

1. Voir à cet égard Les Colons de l'Algérie, par M. ROUIRE(Revue des Deux-Mondes, 15 sept. 1901 et suiv.).

Environs de Batna, arc de triomphe de Timgad (côté ouest).

Page 82: Les Francais en Afrique

TUNISIE. — VUE GÉNÉRALEDU KEF.

(Collec«t7rnOEr-fQffice Colonial.)

m/A TUNISIE

CARTE DE LA TUNISIE.

Page 83: Les Francais en Afrique

Tunis, à l'heure actuelle, est une sorte de chaudière

où se tentent la fusion et l'assimilation à la haute culture

européenne de tous les retardataires de la Méditerranée.

ANONYME.

Chaque année, quand il pleut, la Tunisie entière passe,à quelques mois de distance, par la plus affreuse aridité

et par la plus fougueuse fécondité. De Sahara, sans un

brin d'herbe, elle devient tout à coup, presque en quel-

ques jours, comme par un miracle, une Normandie

follement verte, une Normandie ivre de chaleur, jetanten ses moissons de telles poussées de sève qu'ellessortent de terre, grandissent, jaunissent et mûrissent à

vue d'oeil.

GUY DE MAUPASSANT.

Page 84: Les Francais en Afrique

LE PONT DE BIZERTE.

(Collection de la Société de Géographie de Paris.)

CHAPITRE IV

LA TUNISIE

Il faut remonter jusqu'au ix° siècle avant notre ère, selon certaines chronologies,

pour retrouver la date du premier établissement des Phéniciens sur la côte d'Afrique, séparéede la Sicile par la Méditerranée. Les deux colonies qu'ils y fondèrent, à cette époque, confon-

dirent leur histoire à travers les âges pendant six siècles et demi : Tunis et Carthage.

Après la destruction de cette dernière par Scipion Emilien, en 146 avant notre ère, le

territoire maintenant occupé par la Tunisie fut compris dans la province romaine composéede la Zeugitane et de la Byzacène et bornée par la Numidie. En l'an 46 après Jésus-Christ, ces

trois régions, auxquelles on annexa une partie des Gétules, furent réunies en une seule pro-vince. En l'an 53, les deux Mauritanies, Tingitane et Césarienne se rattachèrent à la Répu-

blique. L'Afrique septentrionale avait changé de face dans l'espace de deux siècles et

l'influence qui s'étendait d'Alexandrie à Tanger allait ramener la vie sur ses rivages des-

séchés (1).

Quoique effacée méthodiquement de la carte du monde par ordre du Sénat, Carthage

s'était relevée sous César et sous Auguste. Ce n'est pas à elle que pouvait s'appliquer le

mot célèbre : ses ruines n'avaient pas péri. Les habitants des villes voisines l'avaient recons-

truite avec ses décombres. Ainsi reconstituée, elle prit le nom de Colonia Julia Carthago.

Cette nouvelle Carthage grandit promptement. Elle devint en peu de temps la cité la plus

importante de l'Afrique romaine et succéda à Utique comme chef-lieu de la province. Les

lettres et le christianisme y firent de rapides progrès et c'est de ses écoles que sortirent les

Apulée, les Tertullien, les Cyprien, les Augustin (2).Au ve siècle, les Vandales, refoulés par lesVisigoths et les Suèves, quittèrent l'Espagne et

1. V. DURUY, Histoire des Romains, t. III (Paris, Hachette).

2. Gaston LOTH, Histoire de la Tunisie, depuis les origines jusqu'à nos jours (Paris, Armand Colin).

Page 85: Les Francais en Afrique

fii LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

vinrent s'abattre sur le diocèse de Carthage alors soumis aux empereurs romains d'Orient.

Ils s'emparèrent de la ville et en firent la capitale de leur royaume qui subsista pendant près

de cent ans (439-533). Bélisaire, général de Juslinicn, défit leur roi Gélimer, les chassa de

l'Afrique et occupa la ville, dont il releva les fortifications.

Un empire nouveau, celui des Arabes, se crée au siècle suivant. Abdallah ravage en 647

la Tripolitainc cl la Tunisie; Okba conduit une expédition en Mauritanie et fonde à son retour

la ville de Kairouan, qui fut la résidence des gouverneurs envoyés par les califes. En 697,

Hassan, gouverneur arabe de l'Egypte, expulse les Byzantins de Carthage et rase la ville. Dès

ce moment elle entre, peut-être à ja-

mais, dans la solitude à laquelle l'avait

vouée le second empire africain et elle

n'est plus qu'une vaste carrière où l'on

vient chercher de toute part des maté-

riaux ( 1).

Les Arabes s'établirent à Tunis, qui

est plus éloignée de la mer. La dynastie

des Sassanides, puis celles des Aghla-

bites et des Fatimites, celles des

Almohades et des Hafsides étendent

tour à tour leur empire sur la Tunisie,

la Tripolitainc et l'Algérie orientale.

C'est pendant la dix-huitième année du

règne de Mohammed-Mostancer, petit-

fils d'Abd-el-Oulaïd, chef de la famille

des Beni-Hassi, que saint Louis entre-

prit, en 1270, la croisade qui lui coûta

la vie.

L'empire de Tunis était alors très

florissant et s'étendait jusqu'au Maroc.

Tlemcen et Ceuta avaient été conquis et

les villes algériennes de Bône, Bougie,

Carte des explorations de la Tunisie ;iu xi.V siècle

la Callc, ainsi que Tripoli, reconnaissaient l'autorité du souverain tunisien.

En 1390, sous la dynastie des Méiïnidcs, les Génois réclament l'appui de la France contre

les Tunisiens, redoutables par leurs pirateries. Le roi Charles VI envoya contre Tunis une

flotte commandée par son oncle Louis II, duc de Bourbon. Cette expédition échoua.

Au xvi° siècle la domination arabe est remplacée par la domination turque. Le corsaire

Kheir-Eddine (Ilaiiadan) Barberousse enlève, en 1535, Tunis à Moulai-Hassan. Celui-ci,

dépossédé, s'adresse à Charles-Quint, qui, après un siège de cinq semaines, s'empare de la

Gonlelte et entre dans Tunis. Moulaï-Hassan remonte sur le trône, mais il est renversé

presque aussitôt par son fils qui lui fait crever les yeux et l'envoie en Sicile où il va finir

misérablement ses jours.

En 1574 les Turcs renversent la dynastie Hafside et la Porte envoie à Tunis un pacha

1. On a pratiqua depuis quarante ans à Carthage des fouilles qui n'avaient pas jusqu'en ces derniers tempsapportr de grandes révélations, (iràce à la persévérance des archéologues et surtout aux efforts du U. P. Delattre etde M. P. (iatickli'r, ces travaux ont mis à découvert des preuves de l'antique grandeur de la ville. —Voir P. GAUCKLER,l'Aix-luJutijijie de la Tunisie (Paris, Berger-Levrault).

Page 86: Les Francais en Afrique

LA TUNISIE

Femme tunisienne.

bey qui reconnaît sa suzeraineté et gouverne de concert avec le

dey, devenu vassal du sultan. Mais le Divan, ou conseil du vice-

roi, composé des principaux officiers des janissaires, possèdeen réalité toute l'autorité. Aussi, la nouvelle organisation ne

dura-t-clle que deux ans. De même qu'à Alger, la milice brutale

s'empare du pouvoir; les janissaires désarment les membres du

Divan, en nomment d'autres et confèrent le pouvoir à un dey,fonctionnaire révocable à son gré.

En 1650, Ali-Bcy rend le pouvoir beylical héréditaire dans

sa famille et laisse, après un règne paisible, sa succession à

Mohammed avec lequel le maréchal d'Estrées conclut, en 1685,Femme tunisienne.

au nom de la France, les capitulations qui réglèrent pendanttrois siècles les droits et les privilèges de nos nationaux établis en Tunisie.

Mohammed a pour successeur son frère Ramadan. A partir de cette époque et pendantla plus grande partie du xvne siècle commence et se poursuit une période de massacres,

d'assassinats, d'intrigues et de luttes. Les beys sont un à un déposés, expulsés, décapités.Des guerres continuelles éclatent entre Tunis et Alger.

En 1705, Hassan-bcn-Aly (Hussein-ben-Ali), secondé par l'armée, s'empare du pouvoir et

fonde la dynastie des Hassenides qui règne encore aujourd'hui. En 1770, sous Louis XV, la

flotte française, à la suite d'actes de piraterie, bombarde Porto-Farina, Bizerle, Sousse,

Monastir. Hamouda-Bey essaye de profiter des guerres de la Révolution pour rompre le

traité qui liait la Régence à la France; mais notre marine met promptement fin à cette

tentative d'hostilités. En 1797, le Directoire reçoit une ambassade tunisienne chargée de

présents et en 1800 Hamouda-Bey conclut avec la République française un nouveau traité.

Onze ans après, ce prince s'émancipe de la souveraineté ottomane. Il meurt en 181 i, après un

règne de trente-deux ans. Son frère Osman lui succède et est assassiné trois ans après. Le

pouvoir passe alors aux mains de Mahmoud, prince de la branche aînée des Hassenides.

En 1816 Mahmoud supprime la piraterie et abolit l'esclavage des chrétiens. Il laisse, en 1825,

le trône beylical à son fils aîné Hussein, qui ratifie les avantages accordés à la France. Son

frère Mustafa règne après lui pendant trois ans jusqu'en 1837, date de l'avènement d'Ahmed,

prince intelligent et ami du progrès.

En 1842, Ahmed, marchant sur les traces de ses prédécesseurs, décrète la mise en liberté

de tout enfant né de parents esclaves, abolit ensuite entièrement l'esclavage, émancipe les

Juifs et, pour cimenter son alliance avec la France, il fait, en 1846, un voyage à Paris. Grâce a

l'énergique concours du gouvernement de Louis-Philippe, il introduit en Tunisie des

réformes considérables dans la voie de la civilisation. Il meurt en 1855, regretté de tous ses

sujets, et a pour successeur son cousin Mohammed-ben-Hussein, qui règne quatre ans, met à

la disposition du sultan, dans la guerre de Crimée, des secours importants contre les Russes,

promulgue la Constitution et publie la loi organique ou pacte fondamental (1858). Sou frère

Mohammed-es-Sadok monte sur le trône en 1859. Prince instruit, il est à son tour l'auteur

d'une constitution qui n'est mise en pratique que pendant deux ans.

La Tunisie semblait désormais en paix lorsqu'en 186i, le pays fut agité par une insur-

rection assez grave pour nécessiter l'intervention des escadres française, anglaise cl

turque. Le bey triomphe du désordre avec l'aide du khasnadar Mouslafa et continue 1 o'iivre

de ses prédécesseurs. Il encourage les arts et l'industrie, protège l'agriculture et coopère à

l'Exposition universelle de 1867 par l'envoi des principales productions de la Régence.

Page 87: Les Francais en Afrique

66 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

La mort de Mohammed-es-Sadok donne le trône en 1882 à Sidi-ali-Bey, vieillard alors

âgé de soixante-cinq ans et qui avait pour héritier présomptif son frère cadet Sidi-Moham-

med-Toueb-bey.

II

De même qu'à la fin du xvme siècle, Hamouda-Pacha avait essayé de tirer parti d'un

embarras extérieur pour déchirer le pacte qui le liait à la France et se tourner contre elle, de

même, à la suite de nos désastres de 1870, Mohammed-es-Sadok, conseillé par le général

Kheireddine, voulut se soustraire à notre influence et ramener la Tunisie sous la suzerai-

neté de la Porte. Le firman du 13 octobre 1870 consacra cette politique et réduisit le pachalik

de Tunisie au rôle d état vassal.

Le bey ne pouvait, sans l'inter-

vention du sultan, ni faire la

guerre, ni conclure la paix, ni

consentir aucune remise de terri-

toire et, en cas de conflit armé

avec une autre puissance, il devait

mettre ses troupes à la dispositionde la Porte.

La France ne voulut pas re-

connaître ce firman. Le bey lui-

même, comprenant qu'il faisait

fausse route, destitua Kheireddine

et rompit avec la Turquie. Dès ce

moment la Tunisie fut le théâtre

des rivalités d'influences des trois

grandes puissances maritimes de

l'Europe ayant des intérêts dans la Méditerranée. En 1873 le bey signa avec l'Angleterreun traité resté sans effet, par lequel il plaçait la Tunisie sous le protectorat anglais, en

autorisant le gouvernement britannique à créer à Tunis une banque d'État et à construire

un chemin de fer de la Goulette à la frontière d'Algérie. Ces intrigues furent déjouées parnotre gouvernement. Mais celui-ci rencontrait une rivale cauteleuse dans l'Italie dont le

consul Maccio secondait les projets avec une activité des plus remuantes.

La France, dont l'action était depuis longtemps très puissante dans la Régence, ne pou-vait voir ces tendances sans en prendre ombrage. Trois incidents la déterminèrent à inter-venir. Ce furent les affaires de Bône-Guclma, de l'Enfida et les actes de vandalisme des

Khroumirs.

L'affaire de Bône-Guelma affectait directement nos intérêts. La Compagnie de Bône-Guelma avait obtenu la concession de la voie ferrée de Tunis à Sousse. La Compagnieitalienne Rubattino, sur l'instigation du consul Maccio, contesta la validité des titres de la

Compagnie française, bien qu'un traité signé entre le bey et Napoléon III, en 1865, eût déjàaccordé à la France l'exploitation des réseaux télégraphiques de la Tunisie. Les Italiens ne sebornèrent pas à protester : ils s'opposèrent de fait à la construction d'une gare à Rhadès parla Compagnie de Bône-Guclma, quoique aucune clause de la concession n'autorisât cette

opposition. Le bey n'empêcha pas cette violation du droit de nos nationaux.

Une rue à Djarra el Kebira.

(Collection de l'Office Colonial.)

Page 88: Les Francais en Afrique

LA TUNISIE 67

TUNIS. — Aqueduc de Zaghouan.(Collection de l'Office Colonial.)

L'affaire de l'Enfida eut plus do retentis-sement. L'Enfida était un domaine de 150 millehectares environ commençant un peu en avantde Bou-Ficha et s'étendant à l'est jusqu'à la

mer, à l'ouest jusqu'à la chaîne des montagnesqui limitent la plaine; il comprenait une terredes plus fertiles. Le bey en avait fait don àson premier ministre Kheireddine. Quand celui-ci fut disgracié et se retira à Constantinople,il voulut, par prudence, pour réaliser sa for-tune immobilière, vendre ses biens, en bloc, àla Société marseillaise. Les ministres tunisiens

virent de mauvais oeil une partie importantedu territoire passer en des mains françaises.

L'Angleterre et l'Italie y sentirent une menace

pour leur influence. On eut recours à des

subtilités de droit musulman pour essayer de

faire de l'Enfida une question de conflit inter-

national. Un Israélite, Joseph Lévy, sujet an-

glais, éleva des prétentions sur le domaine en

invoquant un droit de préemption (cheffaa),

disposition légale qui donne à un propriétaire le privilège de priorité pour acquérir la terre

abornant la sienne. Les caïds tunisiens prirent fait et cause pour Lévy et envoyèrent des

lettres menaçantes aux caïds algériens. L'effervescence allait croissant dans les tribus.

Depuis de très longues années, notre frontière algérienne était perpétuellement

inquiétée ; nos tribus limitrophes de la Tunisie ne pouvaient jouir d'un seul instant de

repos.Violation de territoire par les troupes tunisiennes, par des populations insoumises;

incendie des forêts ou contrebande de guerre; refuge donné à des malfaiteurs; razzias, pillagede navires, vols de toute espèce, meurtres, assassinats, tous ces délits et ces crimes se

multipliaient d'une façon intolérable. Le gouvernement du bey était absolument impuissantà empêcher ce mal invétéré, même quand il le voulait — ce qui n'arrivait pas toujours —

et les réparations, quand nous en obtenions, étaient loin de toute proportion avec les dom-

mages, sans parler des atteintes constamment infligées à notre légitime prestige par l'impunitédes coupables qui, par là même, profitaient de la connivence des autorités locales.

Parmi les tribus pillardes les plus hardies étaient celles des Out-chesâ et surtout des

Khroumirs(l). Ces dernières poussèrent l'audace jusqu'à venir faire une razzia dans le douar

1. L'origine des Kroumirs ou Khroumirs est enveloppée de l'obscurité la plus profonde. Avant l'expédition

française on ne possédait que fort peu de renseignements sur les habitants d'un pays où aucun Européen n'avait

pénétré. M. Cherbonneau, dans un article de la Revue de Géographie, les rattache à la race berbère. M. Henri

Duveyrier, dans son remarquable ouvrage sur la Tunisie, dont les documents ont été sans doute puisés aux sources

directes à Tunis auprès de l'administration du bey, les considère, au contraire, comme Arabes, sauf une fraction.

Une légende recueillie depuis l'occupation par les officiers du bureau de renseignements d'Aïn-Draham est venue

jeter un rayon de lumière au milieu de ces affirmations contradictoires. Les vieillards kroumirs racontent que, il y

a plusieurs siècles, un Arabe nommé Abdallah-el-Kroumiri vint s'établir dans le massif montagneux qui porte

aujourd'hui le nom de Kroumen : ce fut le père de tous les Kroumirs. Il eut sept fils dont les noms ont été

conservés et chacun donna naissance ù l'une des fractions de la tribu. Si l'on rapproche cette tradition des quelques

données fournies par les historiens arabes, on peut arrivera des conclusions qui présentent certains caractères de

vraisemblance. Ben-Kadour nomme les Homr parmi les voisins des Beni-Ali, l'une des subdivisions de la grande

11

Page 89: Les Francais en Afrique

68 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIECLE

des Aouaoucha algériens, sous prétexte de venger un des leurs, tué en flagrant délit de vol-.

Cette attaque inopinée, qui eut lieu les 15 et 16 février 1881, décida la France hésitante.

Le gouvernement ae ni

République, après avoir

épuisé tous les moyens de

conciliation, résolut de

châtier le brigandage des

tribus tunisiennes. Nos

armées intervenaient

comme alliées et auxiliaires

du bey et non comme enne-

mies. On poussa le scrupule

jusqu'à inviter le bey à

coopérer à la répression.Mohammed-es-Sadok re-

fusa et se réclama de la

suzeraineté de la Porte. Il

protesta contre l'entrée des

troupes françaises sur son

territoire, adressa un appelaux puissances de l'Europeet déclara ne pas répondredes désordres qui pouvaientse produire.

La France n'éprouvait,à ce moment, aucun besoin

de reculer ses frontières en

Afrique; elle n'était pasencore entrée dans l'ère de

la politique coloniale ; mais

si elle n'avait pas relevé le

gant qu'on lui jetait, c'en

était fait de son prestige et

de sa sécurité en Algérie,où 1 attitude des conquérants exerce toujours une impression profonde sur le pays conquis,les indigènes et surtout ceux qui les poussent à la révolte, se laissant facilement persuader

que le gouvernement, chargé de les maintenir en les administrant, n'est qu'uncolosse aux pieds d'argile.

Notre consul général M. Roustan prit une résolution énergique : il déclara que la

France n'hésiterait pas à rendre le bey et ses ministres responsables de tout attentat du

fanatisme musulman.

Le commandement en chef de l'expédition fut confié au général de division Forgemol do

Une rue à Kairouan. — (Collection de la Société de Géographie.)Mission de MM. le Dr ROOIRE et H. VAFFIËR.

tribu arabe des Salem. Homr peut en forçant l'aspiration se prononcer Kromr; on pourrait donc voir dans Homr laracine de Kroumir ou Kromir. Une fraction ou un groupe considérable de Homr devait se séparer du reste de latribu pour aller s'établir dans les montagnes qui dominent Tabarka. Les Kroumirs sont restés, depuis l'occupationde l'Algérie par la France, à moitié nomades. (Ernest FALLÛT, Par delà la Méditerranée. Paris. Pion, Nourrit et Cie.)

Page 90: Les Francais en Afrique

LA TUNISIE 6<J

Intérieur tunisien.

(Collection de l'Office Colonial.)

Bostqucnard, ayant sous ses ordres les

divisions Delebccque et Logerot. La pre-mière pénétra, le 26 avril, dans le payskhroumir, occupa, le 8 mai, le mara-

bout de Si-Abdallah-bcn-Djemel et

reçut, le 29 mai, la soumission des der-

nières tribus rebelles. La seconde

quitta Soukahras le 4 avril, occupale Kef (1) le 16, livra quelques engage-ments et prit possession de Béja. Un

corps de troupes, protégé par la flotte,

avait débarqué dans l'Ile de Tabarka;un autre, sous le généralBréart, occupaBizertc (2). Le bey n'en continua pasmoins à protester et à faire de nouveaux appels aux puissances étrangères. Les troupes se

portèrent alors sur Tunis où le général Bréart entra le 12 mai. Le même jour Mohammed-es-Sadok dut signer le traité de Kasr-el-Saïd (Kasar-Saïd) ou du Bardo (3), qui plaçait la

Tunisie sous le protectorat de la France.

Le corps expéditionnaire fut dissous le lendemain et les troupes d'Afrique regagnèrentleur garnison. Mais à peine avaient-elles.quitté la Bégenco qu'une grande effervescence éclata

parmi les populations de Kairouan (4), fanatisées par les ulémas qui prêchaient la guerresainte. Au mois d'août, des incendies furent allumés par la malveillance dans tous les

massifs forestiers. Des bandes de révoltés circulèrent. L'inquiétude s'empara des colons.

Une nouvelle expédition fut reconnue urgente. Le général Saussier en prit le commandement

et marcha sur Kairouan avec deux colonnes parties de Tunis et de Sousse (5). Une troisième

colonne quitta Tebessa pour soutenir l'attaque ainsi combinée et livra des combats à Enchir-

1. El-Kef (le Rocher) est, après Tunis et Kairouan, la troisième ville de la Régence, mais elle doit son importancemoins à sa population qu'à son activité. Située à 203 kilomètres de Tunis, elle est bâtie sur l'emplacement de

l'ancienne ville numide Sicca-Veneria, dont il est question clans le Jugurlha de Salluste, et où il y avait un templed'Astarté (la déesse Thanet). La ville est entourée d'une enceinte de murs protégée par des bastions ayant la forme

d'un demi-cercle. A El-Kef, marché très fréquenté, les tribus voisines apportaient leur orge et leurs olives qu'elles

échangeaient contre des cotonnades, de la quincaillerie, du café, du sucre, de la poudre.2. Bizerte est l'antique Zarytus syrienne. Le nom latin a gardé sa forme grecque. La ville est située au milieu

d'une baie profonde à l'embouchure d'un canal qui relie la mer avec un grand lac intérieur entouré de montagnes.C'est ce lac qui a été converti en un port magnifique. Dans la partie voisine de l'Oued-Tindja au point nommé Sidi-

Abdallah, on a construit un grand arsenal pour notre marine de guerre. Grâce à ces travaux et à d'autres, déjàachevés ou en cours d'exécution, Bizerte, qui était jadis un des meilleurs ports de la Méditerranée, pourra recouvrer

son antique importance. (V. Ch. Mauméné, Annales de Géographie (15 juillet 1895); F. de Béhagle, Revue de Géogra-

phie, 1895; H. Déhérain, L'OEuvre de la France en Tunisie, Revue scientifique, 1893; Chailley-Bert, La Tunisie et la

civilisation française.)3. Le Bardo, situé à environ 3.000 mètres de Tunis, est la résidence habituelle du bey. En face du Bardo se

trouve le palais de Kasr-Saïd. Par le traité du Bardo, la France garantissait l'intégrité du territoire tunisien, assu-

mait la responsabilité de l'ordre à l'intérieur, l'obligation de défendre la Régence contre toute attaque du dehors.

Les traités précédemment conclus par le bey avec d'autres puissances (Angleterre, Italie) furent reconnus. Le bey

s'engageait à ne faire, sans notre assentiment préalable, aucun acte international. Les deux parties contractantes se

réservaient de procéder à une réorganisation totale du système financier de la Régence. (Alf. Rambaud, L'Empirecolonial français.) Le traité du Bardo fut complété par celui de la Marsa (8 juin 1883) qui nous autorisa à opposer un

veto à tout acte du souverain pouvant nuire à la bonne administration du pays.4. Kairouan est la capitale religieuse de la Tunisie, comme Tunis est la capitale politique et commerciale. Fondée

par le chef arabe Obka au vu* siècle de notre ère, elle a toujours eu, aux yeux des musulmans, un prestige sacré

qui ne lui était disputé par aucun autre sanctuaire. (Voir Guy de Maupassant, Vers Kairouan, Revue des Deux-Mondes,

février 1889.)5. Sousse, capitale du Sahel est l'Hadrumetum des anciens. C'était autrefois un des plus grands comptoirs cartha-

ginois. (Voir Mme Anna de Voisins. Sousse, Revue politique et littéraire, octobre 1881.)

Page 91: Les Francais en Afrique

70 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Roubaria et à Koudial-el-Halfa. Lorsqu'elle arriva, le 28 octobre, à Kairouan, la ville sainte

était déjà au pouvoir des Français. Le 14 décembre, la colonne rentra à Tébessa où elle

fut dissoute. Kairouan et les principaux centres tunisiens furent occupés par nos garnisons.

Les puissances de l'Europe acceptèrent le fait accompli : L'Italie elle-même dut

renoncer à son opposition systématique. Le consul Maccio qui, en toute occasion, s'était

montré l'ennemi déclaré de l'influence française, à Tunis, fut rappelé, et à la suite du traité

du Rardo, le ministère italien, présidé par M. Cairoli, tomba.

L'expédition de Tunisie fut bien plus une marche de nos colonnes qu'une campagne.

L'imposant déploiement de nos forces, la sagesse de certains gouverneurs tunisiens, évitant

l'effusion du sang par une prompte capitulation, l'habileté avec laquelle furent dirigées nos

opérations, la certitude absolue des indigènes de ne pouvoir nous résister, la sûreté des

manoeuvres de notre escadre, tout contribua en quelques semaines à terminer à notre profit,

et aussi à l'avantage du bey, ce conflit suscité par l'Italie bien plus que par la France elle-

même. L'établissement du protectorat suffit pour régler notre situation sur la Régence et

y assurer notre sécurité. Le bey continue à régner (1). Un résident général, représen-

tant la République française, est placé auprès de lui, remplit les fonctions de ministre diri-

geant et préside le conseil des ministres (2). Le résident général, en vertu d'une délégation

spéciale du Président de la République, rend exécutoires pour les Français et les étrangersles lois édictées par le bey pour ses sujets. Aucune loi n'est valable si elle n'a été promulguéeau Journal officiel et cette promulgation ne peut avoir lieu que par les soins du secrétaire

général du gouvernement tunisien qui est un agent français. II y a ainsi deux législateurs :

un souverain de leur race et de leur choix pour les Tunisiens, et le représentant de la France

pour les Français. Chacun reçoit la loi de son chef naturel et cependant il n'y a qu'une loi.

Grâce à ce régime, la Tunisie a poursuivi pacifiquement et dans les meilleures condi-

tions le développement de son commerce, de son industrie et de sa colonisation. L'admi-

nistration générale a réalisé des progrès considérables, et les travaux utiles entrepris pourfavoriser la prospérité du pays ont, surtout pendant ces dix dernières années, été conduits

avec une remarquable activité.

III

Parmi ces travaux il faut, en tout premier lieu, citer ceux des quatre grands ports :

Bizerte, Tunis, Sousse et Sfax, appelés à desservir un trafic important. Le port de Bizerte,

qui servira également à la défense militaire, est une oeuvre grandiose, dont l'achèvement

constituera le principal élément de l'avenir tunisien. En même temps que l'on créait des

puissants facteurs économiques, comme on les a justement appelés, des améliorationsnotables ont été apportées aux escales de Tabarka, Mehdia, Gabès, Zarzis, de manière à

assurer pendant toute l'année la sécurité des transactions commerciales. L'industrie de la

pèche qui est une des grandes ressources de la Régence, en a profilé, cl les centres, comme

Tabarka, la Goulelte, Mehdia, Sfax, Djerba ont augmenté d'année en année leur mouvement

1. Le bey Mohammed-es-Sadok a eu pour successeur, conformément à la coutume, son frère Ali, qui est montésur le trône le 22 octobre 1882.

2. Ce conseil des ministres comprend deux membres indigènes, l'un prenant le titre de « premier ministre »l'autre appelé ministre de la justice et de la plume; deux ministres français : le résident général de France, quidirige les relations extérieures et communique directement avec le Ministre des Affaires étrangères à Paris- leministre de la guerre, qui est le général commandant le corps d'occupation; le secrétaire général du gouvernement,qui est également français.

Page 92: Les Francais en Afrique

LA TUNISIE 71

Le D' ANDRÉ,membre de la mission Roudairo.

d'affaires. La navigation, principalement le cabo-

tage, ont tiré des avantages précieux de l'éclairagedes côtes par les phares de Ras-Tino et de Ras-

Tugoenes, ce dernier dans l'île de Djerba. Les

routes, empierrées depuis l'organisation du protec-torat et formant déjà un réseau de près de 2.000 ki-

lomètres en parfait état de viabilité, ont trans-

formé les communications en les multipliant. Ces

voies, dont beaucoup n'existaient pas auparavantou qui étaient impraticables, la plupart à l'état de

nature, permettent aujourd'hui, pour un nombre

croissant de localités, le transport des produits

agricoles ou des troupeaux, moulons et porcs,dont l'élevage devient ainsi des plus profitables.

L'aménagement des eaux rend de réels services :

c'était une question vitale pour la Tunisie, où une

saison d'hiver presque toujours pluvieuse succède

à une saison d'été d'une sécheresse presqueabsolue. L'alimentation de Tunis était insuffisante;la capitale de la Régence est maintenant pourvue,

grâce au captage des sources de la région du

Bagore, éloignée de près de 130 kilomètres de la ville; d'autre part, les marcs

croupissantes, les puits effondrés, dus à l'incurie des indigènes, ont successivement

disparu. Ailleurs et tout particulièrement dans le sud, on a procédé à des forages

artésiens, qui dans quelques régions comme Gabès, Djerba, Zarzis, ont réussi. On

a reconnu que les projets de M. Roudairc pouvaient être mis à exécution, sinon en totalité

du moins en grande partie, et que les nappes artésiennes de la Régence pouvaient procurerdes ressources dépassant même l'attente.

Ces projets méritent ici une mention spéciale. Vivement combattus à une certaine

époque, non seulement par l'opposition routinière, toujours hostile à toute innovation, mais

aussi par certains savants obstinés dans leurs théories, ils avaient peu à peu été abandonnés.

On sait qu'ils avaient pour but d'utiliser les bassins des chotts ou sebkhas par la création

d'une mer intérieure. La question avait, dès les premières années qui suivirent les

événements de 1870, préoccupé les officiers d'Etat-major chargés des travaux géodésiques

en Algérie. En 1872, le capitaine Roudairc et le capitaine Yillars eurent à exécuter les

opérations de la méridienne de Biskra. Le nivellement trigonométrique fournit la preuve

que le fond des chotts Mclrir (occupant à 70 kilomètres au sud de Biskra une superficie

d'environ 6.000 kilomètres carrés), Sellcm, à l'est, Bharsa, sur la frontière tunisienne,

était à 24 mètres en moyenne au-dessous du niveau de la mer. M. Roudairc reçut,

en 1876, la mission d'explorer de même la région des chotts tunisiens. Il acquit, au

cours de ses travaux, la certitude qu'il serait possible d'introduire les eaux de la

Méditerranée dans la région des chotts, c'est-à-dire de faire pénétrer la fertilité, le

commerce, la vie jusqu'au coeur du Sahara algérien, en transformant en mer intérieure des

lagunes dangereuses et insalubres. Il affirmait que l'eau exercerait ainsi sur le climat une

influence bienfaisante, en même temps que l'on opposerait une barrière aux sauterelles et

aux sables envahissant les dunes ; on neutraliserait les effets désastreux du sirocco, qui

Page 93: Les Francais en Afrique

72 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

cesserait d'être un vent desséchant; on ouvrirait à travers des contrées presque inacces-

sibles une route de commerce maritime, commode et peu coûteuse; on établirait des

comptoirs et des marchés par les échanges avec les caravanes do l'Afrique centrale ; on

améliorerait les conditions hygiéniques de la contrée; on assurerait enfin la sécurité

complète de l'Algérie, en permettant à nos troupes de débarquer au sud de Biskra (1). Le

projet Roudairc était plein de promesses séduisantes ; c'était aux yeux de quelques savants

une raison suffisante pour le combattre. L'Académie des sciences, appelée à donner son

avis, le formula en deux sens opposés : les uns étaient partisans de l'idée, les autres résolument

M. RouoAinE, chef de la mission.

(Collection de la Société de Géographie de Paris.)

hostiles. Ce furent ces derniers qui l'empor-

tèrent et la commission nommée en 1882

par le Gouvernement pour examiner le pro-

jet, conclut qu'il n'y avait pas lieu d'encou-

rager l'entreprise. M. Roudairc mourut en

1885. La mer intérieure reste à créer. On y

reviendra peut-être quelque jour. En atten-

dant, on se borne en Tunisie aux travaux

hydrauliques proprement dits.

L'activité des services administratifs

s'est appliquée aussi à reconstruire les bâti-

ments où ils étaient logés.Tout était à faire

sous ce rapport. Non seulement les bâti-

ments étaient en général dans un état de

délabrement indicible, mais aucun d'eux ne

s'appropriait à sa destination. Tunis a été

doté d'édifices qui, comme l'Hôtel des Postes,

l'Hôpital français, le Palais de Justice sont

de véritables monuments. Simultanément

on y a réalisé les principales commodités de

la vie urbaine, en y construisant des abat-

toirs, des marchés, des égouts, et en

assurant convenablement l'éclairage des rues et des places. On a fait de même à Sousse

et à Sfax, tout en respectant dans chacune de ces villes le caractère pittoresque et en

conservant l'aspect original des quartiers indigènes.

C'est surtout en ce qui concerne les chemins de fer que les progrès de la Tunisie ont

été marquants. Au moment de l'occupation, il n'y avait que deux lignes : celle de

Bônc-Guelma, qui reliait Tunis à la frontière algérienne et Bône par la vallée de Medjerdah,

puis celle qui desservait la banlieue nord de Tunis. Aujourd'hui, cette dernière qui était

exploitée par une compagnie italienne, est devenue française. Des ports de Tunis, Bizerte,

Sousse, Sfax, partent les amorces des lignes de pénétration qui relient déjà directement ou

par embranchements, Tunis, Bizerte, Zaghouan, le pont de Fahs, Soliman, Nabeul, Sousse,

Kairouan, Mokeninc ; un chemin de fer relie Sfax à Gafsa et aux inépuisables gisements de

phosphate du Mctlaou. Toutes ces lignes ont été faites sans recourir à l'emprunt; les

lignes de Tunis à Bizerte, Zaghouan et à Nabeul, de Sousse à Kairouan et Mokenine, avec

leurs embranchements, ont été payées directement par le gouvernement tunisien à l'aide

1, Voir L. LANIER, Lectures et analyses de Géographie; la Tunisie (Afrique). (Paris, E. Belin et Cie.)

Page 94: Les Francais en Afrique

LA TUNISIE 73

de réserves constituées avec les excédonts budgé-taires; la ligne de Sfax à Gafsa a été construitesans subvention par une compagnie françaisequi a eu en compensation le droit d'exploiter les

gisements de phosphate pendant soixante ans (1).

IV

La Tunisie était autrefois un pays exclusive-

ment agricole; mais par suite du peu de sécurité

et de facilité des moyens de transport et de

communication, ses exportations étaient entra-

vées, en même temps que ses importations se

trouvaient forcément restreintes. C'est ainsi que

pendant les cinq années qui précédèrent le

traité du Bardo, le chiffre le plus élevé atteint

par son commerce total était à peine de 27 mil-

lions de francs. Aujourd'hui ce total dépasse100 millions de francs. Il faut attribuer ce dévelop-

pement à diverses causes : d'abord à la réorganisa-tion administrative et judiciaire du pays, qui a

Le Chef de poste (mission Roudaire).(Collection de la Société de Géographie de Paris.)

eu pour conséquence l'accroissement de la production locale; ensuite aux conditions

douanières favorables accordées à quelques-uns des produits tunisiens entrant en France.

Ces modifications aux tarifs ont donné à la France le moyen d'aborder avec avantageles marchés de la Tunisie où elle avait eu jusqu'alors pour rivales victorieuses, l'Italie et

l'Angleterre (2). Réciproquement, la Régence a expédié à la France ouverte pour elle, des

céréales, de l'huile d'olive, du bétail, des peaux, des alfas, des minerais, etc.

L'industrie tunisienne a pris également de l'essor. Elle était, sous l'ancien gouverne-ment, tombée en décadence, quoique, dans le passé, Tunis entre autres eût en quelquesorte le monopole de l'approvisionnement des marchés de l'Algérie et de la Tripolitainc

pour les chéchias (bonnets rouges), les tapis (de Kairouan), les couvertures de laine

(Ferrachra et Batania de Gafsa ou Djerba et du Djerid), les poteries de Djerba et de Nabeul.

Le désordre administratif et l'insécurité avaient ruiné les tissages. Le nouveau régime a

réparé ce désastre. L'introduction de l'outillage mécanique, le perfectionnement des

procédés chimiques ont, il est vrai, évincé les soieries et les cuirs tunisiens, pendant quel'Autriche s'est acquis la spécialité des chéchias ; mais les ateliers indigènes de maroquinerie,la fabrication des tapis, des carreaux de faïence, ont repris, grâce à l'habileté professionnelleet au goût artistique des ouvriers du pays.

1. Notice sur la Tunisie publiée par la Section tunisienne de l'Exposition Universelle de 1900. R. Mares, Notice

agronomique sur la Tunisie. (Paris, Joseph André, éditeur.)2. Un examen attentif du commerce tunisien d'importation conduit à cette constatation que, pour un très

grand nombre d'articles importants, la France a déjà acquis un avantage très marqué sur ses concurrents. Tels sont

les farines et semoules, les matériaux de construction, les tissus de laine, de chanvre et de soie, les cuirs et chaus-

sures, les machines et mécaniques, les ouvrages en métaux, la carrosserie,' les bougies, la lingerie cousue et les vête-

ments confectionnés. Depuis quelques années déjà, à conditions égales, les produits français ont la préférence sur le

marché tunisien. Les seules marchandises pour lesquelles la prépondérance est restée à des maisons étrangères sont

celles que la France ne produit pas ou n'exporte pas, telles que les bois de construction et le pétrole, ou bien

celles que l'industrie française n'est pas en état de fournir.

Page 95: Les Francais en Afrique

74 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

Ce qui doit contribuer à cette renaissance industrielle de la Tunisie et ce qui peut faire

augurer avantageusement de son avenir économique, c'est que les ouvriers capables peu-

vent retrouver la vogue qu'ils avaient jadis, en s'appliquant à conserver à leurs objets d'art,

entre autres, le caractère propre qui les distinguait dans les temps antérieurs au

protectorat, La faïence, les poteries, les tapis, le damasquinage, l'orfèvrerie, les bois

sculptés, les stores ouvragés des Tunisiens, avaient, il y a trente ans encore, de la réputation.

S'ils l'ont perdue, c'est parce que l'on a maladroitement pastiché la production européenne.

On se corrige maintenant et l'on revient aux traditions purement arabes. La photographie

apporte ici son utile concours : c'est elle qui fournit aux ouvriers d'art les spécimens

typiques en leur mettant entre les mains des reproductions fidèles des objets trouvés dans

les fouilles. Maintenant ils peuvent recopier de la sorte les anciennes lampes d'argile si

estimées des collectionneurs, et ils ont la possibilité de s'inspirer, dans leurs créations, de

masques, bijoux d'or, amulettes qui remontent à l'époque de Didon, de même que des

mosaïques d'Oudua, de Médenia. La photographie a sauvé de cette manière l'art agoni-

sant des Noukrh-Hadida ou stucs découpés en fer. Ajoutons que les musées du Bardo et

de Sousse, le musée de Carthage, fondé par les Pères Blancs, en recueillant ces objets et en

les offrant à l'examen des ouvriers d'art, ont servi admirablement ce progrès. Les

mosaïques richement décorées fournissent des thèmes de toute beauté pour les faïences

et les tapis, et chaque jour amène de nouvelles découvertes des trésors de ce genre (1).

Somme toute, le régime du protectorat a fait ses preuvèis, en Tunisie. Avec ses

propres ressources, sans imposer de charges à la France, .elle travaille, personnellement à

son évolution dans toutes les directions de la prospérité, si bien que l'on a pu dire d'elle,

que ses progrès ont été plus rapides que dans l'Algérie même (2).

1. Voir les communications faites à l'Académie des inscriptions et beHestfettres en septembre 1901, parM. Gauckler, directeur du service des antiquités en Tunisie, au sujet des baptistères de Siagu, de l'Oued Kamel, de

Hammam el-Enf, d'Upenna, d'Henchir Hakaïma, de Sfax et surtout de Carthage, à peu de distance des thermes

d'Antonin. Ces baptistères sont des édifices composés d'un oratoire et de fonts baptismaux ; ils sont pavés et

décorés de riches mosaïques.2. Voir A. RAMBAUD, L'Empire colonial français, Histoire générale. (Armand Colin.)

TUNISIE. — Ruines de Chemtou.

(Collection de la Société de Géographie de Paris.)

Page 96: Les Francais en Afrique

UNE RUE A TBIPOLI, MOSQUÉE AVEC SON MINARETET SA KOUBLA

(Collection de la Société de Géographie de Paris.)

LfeTRIPOLITAINE

CARTE DE LA TRIPOLITAINE.

Page 97: Les Francais en Afrique

La Tripolitaine est comme le vestibule du Sahara par

ses déserts de sable, ses plateaux rocailleux, ses oasis,

seules parties habitées.

L. L.VNIEIt.

La Tripolilaine sera sans doule la dernière case de

l'échiquier africain où se réfugiera l'islam. Ce sont les

Turcs pur sang qui y dominent, et on ne les expulsera

du gouvernement et de l'administration que lorsqu'onaura jeté le croissant dans la Méditerranée.

CHARLESSISIOND.

Page 98: Les Francais en Afrique

TRIPOLI

Vue prise de la mer près du Camp Turc.

(Collection de la Société de Géographie de Taris.)

CHAPITRE V

LA TRIPOLITAINE

La Tripolitainc comprend ce que l'on appelait anciennement la Cyrénaïquc (aujourd'hui

Barka), la Subvcntana (aujourd'hui Tripolitainc propre), le pays des Psyllcs et le pays des

Garamantcs. La Cyrénaïquc prit, sous les Ptolémécs, le nom de Pentapolc, pays des cinq

villes qui étaient : Apollonie (aujourd'hui Marsa-Sousa), Ptolémaïs (Tolmclta), Teuchcira

(Tokra) appelée plus tard Arsinoé, Bérénice (Benghazy) et Cyrené (aujourd'hui ruines

de Qrcnnah). Les Grecs avaient donné à cette région la dénomination de Tripolis (trois

villes) à cause de ses trois principaux centres de population (OEa, Sabrata, Leptis). La

seconde guerre punique la fit passer sous l'autorité de Rome qui l'abandonna aux rois de

Numidie. Ceux-ci disparus, elle redevint possession romaine, d'abord réunie à la province

d'Afrique, puis, sous l'empire, constituée en Tripolitanaprovincia ayant une certaine auto-

nomie. Au vne siècle le littoral tripolitain tomba au pouvoir des Arabes. Son histoire se

confond alors avec celle de la Berbérie. Un seul incident y parle de l'Europe, quand Roger de

Sicile s'en empare en 1146; mais, après la mort du héros normand, les musulmans ressai-

sissent tout le territoire qui reste aux Almohades pendant toute la durée de leur dynastie.

La chute de cette dernière amène le gouvernement des Beni-Amer. Abou-Farez, roi

de Tunis, les détrône, mais est vaincu lui-même par les Espagnols en 1510. Vingt ans

Page 99: Les Francais en Afrique

78 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

Carte des Explorations de la Tripolitainc au \ix' siècle.

après, Charles-Uuint cède inpoli aux

chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

En 1551, un pirate turc, Dragut,

infestant la Méditerranée pour le

compte de Sinan-Pacha, chasse les

chevaliers et fait de la région un

pachalik de l'empire ottoman, ou plus

exactement un nid de corsaires tra-

vaillant pour la Sublime-Porte. Quand

l'autorité des califes décline, Tripoli

n'est plus comme Alger qu'un théâtre

de despotisme et d'anarchie. Les vrais

maîtres sont les janissaires; c'est d'eux

que relève le pacha, vassal nominal

du sultan, à qui il paie tribut, mais

il est en réalité l'esclave de sa milice.

Révoltes, assassinais, supplices, guerres

avec l'Europe, lasse de cette odieuse

piraterie, les annales tripolitaines n'en-

registrent plus d'autres faits. Parfois

des Etals européens signent des trai-

tés de paix avec ces assassins et

ces écumeurs de mer, et ne répu-

gnent pas à leur payer le prix de leur alliance. Parfois s organisent contre eux

des croisades. Les plus importantes furent celles des Français qui en 1085 et 1728

bombardèrent Tripoli et la détruisirent presque complètement sans mettre fin au bri-

gandage (1). Dans l'intervalle le pachalik tentait de s'affranchir de la suzeraineté ottomane.

Achnied Caramanli y parvint en réalité par l'expulsion des Turcs en 1714 et le massacre de

leurs officiers. Le sultan reconnut, comme toujours, le fait accompli, et laissa la Régence à

l'usurpateur, dont les descendants régnèrent jusqu'en 1835.

Comme tous les États Barbaresques. la Tripolitainc se prétendait en droit de capturer

les navires et les équipages et cargaisons des pays avec lesquels elle n'avait aucun engage-

ment. Ces déprédations durèrent jusqu'en 1830 et même au delà. L'Europe avait décidé

enfin, au cummencemenf du xixe siècle, qu'il fallait réagir énergiquement contre cet état de

choses intolérable au sein de la civilisation, et, le 8 octobre 1819, une escadre anglo-fran-

çaise parut devant Tripoli. Le pacha était alors ce Youssouf qui, en 1790, avait assassiné son

frère aine et, quelques années après, était devenu souverain de la Tripolitainc à la suite de

l'abdication de son second frère. Les menaces des alliés anglo-français ne l'intimidèrent pas,à la vérité, mais lui firent craindre qu'on ne songeât à lui interdire avec la piraterie le

trafic <les esclaves. Il céda sur le premier point pour ne pas être inquiété sur le second. Son

arrogance ne tarda toutefois pas à se manifester de nouveau, quand la guerre gréco-turquelui permit de venir au secours de l'Islam en péril et de réclamer avec hauteur la rétribution

de ce service. La Sardaigne crut devoir envoyer, le 25 septembre 1825, le chevalier Sivoli

à Tripoli pour y jeter l'ancre à l'entrée du port et exiger la cessation des actes odieux

1. lniquesnc châtia les corsaires en 1683, d'Estrécs bombarda Tripoli en 1085, de Grandpré en 1728.

Page 100: Les Francais en Afrique

TRiPOLf^r^lace du Marché.

(Collection de M. le marquis DE CROIZIC.Photographie communiquée par la Société de Géographie.)

Page 101: Les Francais en Afrique
Page 102: Les Francais en Afrique

LA TRIPOLITAINÊ # si

des pirates. Youssouf répondit qu'avant d'entrer en pourparlers, il réclamait une sommede 30.000 piastres. Sivoli lui fit dire qu'au lieu de 30.000 piastres, il lui enverrait30.000 balles de fusil et des boulets de canon.

La fermeté des Italiens eut raison de l'outrecuidance de Youssouf, qui souscrività tout; ce qui ne l'empêcha point, l'année suivante, de faire la capture de trois navires

romains, qu'une flotte de guerre française l'obligea à restituer.

Au cours des négociations ouvertes à ce sujet, le consul français à Tripoli, M. Rousseau,s'attira la colère du pacha, et, presque dans le même temps, le major Laing, revenant de

Timbouktou, fut assassiné. La nouvelle de ce meurtre arriva bientôt aux oreilles de

M. Rousseau, qui avait des intelligences à Ghadamès. Les papiers du malheureux majoraAraient été détruits par les assassins. Le consul français, informé de tout, fit des représen-tations à Youssouf. Le pacha se contenta d'accuser M. Rousseau d'avoir en sa possession les

papiers dérobés, et ces insinuations eurent assez de crédit auprès du gouvernement britan-

nique pour créer un conflit diplomatique entre la France et l'Angleterre. Notre consul quitta

sur-le-champ Tripoli avec notre pavillon et demanda une enquête qui lui fut favorable. La

France résolut alors de châtier d'une manière exemplaire la calomnie qui n'atteignait passeulement notre représentant, mais aussi notre honneur national. Le 9 août 1830, un mois

après la prise d'Alger, qui mit en émoi et en effroi toute la côte septentrionale de l'Afrique,le contre-amiral Rosamel vint mouiller devant Tripoli. Le troisième jour, Youssouf, en pré-sence de nos batteries, signa les stipulations qui lui étaient imposées; il déclara que ses accu-

sations contre Rousseau étaient fausses et mensongères, adressa d'humbles excuses au roi

de France, s'obligea à payer une indemnité de guerre de 800.000 francs, à abolir définitive-

ment, dans ses États, la piraterie et l'esclavage, à renoncer à tout monopole, à tout tribut quilui étaient encore consentis par certaines puissances européennes.

Cette convention fut fatale à Youssouf. Pour en assurer l'exécution, il dut extorquer de

grands impôts aux Arabes de la Régence. Le mécontentement de ses sujets favorisa la

rébellion. Abd-el-Djelil, cheik des Beni-Soliman, puissante tribu établie entre Tripoli et le

Fezzan, se mit à la tête du mouvement. Il avrait longtemps servi sous les princes de Cara-

manli et connaissait leur caractère, leurs secrets, leurs espérances, leurs desseins. Youssouf

crut pouvoir maîtriser la révolte en opposant d'autres tribus à celle d'Abd-el-Djelil, mais

celui-ci les battit ou les rallia à sa cause. Déjà le Fezzan était en son pouvoir et Youssouf

se trouvait réduit au Sahel et à la Meschija, quand apparut tout à coup un ennemi plusredoutable. L'Angleterre envoya, en juillet, une flotte à Tripoli avec ordre de bombarder la

ville si le pacha ne payait pas sans autre délai les 200.000 piastres espagnoles qu'il devait

à des négociants anglais. Dans son désarroi, Youssouf prit une mesure qui lui coûta le

trône : il frappa d'impôts les Arabes de la Meschija, jusqu'alors entièrement exemptsde toute charge (1). La population, en fureur, courut aux armes, renversa Youssouf et nomma

à sa place son petit-fils, Sidi-Mohamed. Le Sahel fit cause commune avec l'insurrection.

La ville de Tripoli seule'resta fidèle au pacha, qui, se sentant privé de tout moyen de

résistance, abdiqua en faveur de son fils, Sidi-Ali.

Cette abdication de Youssouf donnait satisfaction, non seulement aux rebelles,

1. Une autre cause de sa perte, fut son intempérance. Il s'était en vieillissant adonné à l'ivresse et non seule-

ment sa santé, mais sa volonté s'en ressentait. La confiance qu'il avait inspirée jusqu'alors à ses sujets et qui était

le principal appui de sa force, disparaissait avec son prestige. L'homme tuait le chef. Les Tripolitains, ne voyant

plus en lui qu'un esclave de ses propres vices, désertaient sa cause. Il crut les ramener à lui par le despotisme et

l'exaction. 11ne fît que précipiter sa ruine et la rendre fatale.

Page 103: Les Francais en Afrique

82 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

mais aussi aux intérêts de la dynastie. Une des plus importantes tribus du Djebel se

déclara prête à soutenir Sidi-Ali, et le Benghazi se soumit à lui. Le chef de la révolte,

Abd-el-Djelil, lui fit également des ouvertures. La France et l'Angleterre étaient opposées à

ces combinaisons. Toutes deux voulaient la restauration des Caramanlis, qui sauvegar-

deraient l'indépendance de la Tripolitaine, car cette indépendance se conciliait avec les plans

du gouvernement français, impatient d'attirer dans sa sphère d'influence en Afrique tous

les petits États situés sur la Méditerranée. Elle concordait aussi avec les vues du gouver-

nement britannique, qui approvisionnait Malte sur le marché tripolitain.

Malheureusement la France et l'Angleterre ne purent s'entendre, chacune d'elles visant

à s'arroger le plus d'avantages exclusifs (1). Elles commirent aussi la faute grave et inconce-

vable de faire le jeu de la Porte, qui profita de notre mésintelligence pour reconstituer sa

suzeraineté, à laquelle Sidi-Ali consentit. Le sultan s'empressa d'accepter ce pacte. Shekir-

Bey fut chargé comme ambassadeur de la Turquie d'aller à Tripoli se rendre compte de la

situation. Le rapport qu'il adressa à Constantinople eut pour conséquence un firman d'in-

vestiture reconnaissant, assurait-on, Sidi-Ali comme pacha vassal de l'empire, en même

temps que la Turquie enjoignait aux rebelles de déposer les armes. Ils refusèrent, comme

on y comptait à Stamboul. Pour les punir, Mustapha Nedjib Pacha prit le commandement

de la flotte turque et de six mille hommes dirigés sur Tripoli. Les troupes ottomanes débar-

quèrent du 25 au 28 mai 1835. Sidi-Ali les mit en possession de tous ses moyens de dé-

fense et, no se croyant pas encore assez à l'abri, chercha un refuge sur le vaisseau amiral

turc. On l'y garda prisonnier, puis il fut transporté à Constantinople. Le coup de main avait

réussi. Mustapha Nedjib donna alors lecture du firman qui le nommait lui-même pacha de

Tripolitaine; il fit ouvrir les portes de la ville et proclamer la fin de l'insurrection. Ce ne

fut, à vrai dire, que l'avant-dernière : vingt ans après, en 1855, les principaux chefs de

tribus tentèrent une nouvelle révolte qui fut étouffée dans le sang. La Turquie resta mai-

tresse du vilayet et il semble qu'on ne l'en dépossédera pas avsnt longtemps.

1. L'Angleterre suivant sa coutume intriguait contre la France. Il était visible que le cabinet de Londres voulaitseconder un coup de main du sultan, et non seulement favoriser occultement sa visite, mais pousser à la révolte lebey de Constantine et seconder les mécontents algériens. Une démonstration navale de l'amiral Lalande et duprince de Joinville prévint cotte manoeuvre.

Une Rue à Tripoli.

Page 104: Les Francais en Afrique

SAHARA. — ARRIVÉE DE LA CARAVANE DANS L'OASIS.

LE SAHARA

CARTE DU SAHARA.

Page 105: Les Francais en Afrique

Le Sahara tout entier est aujourd'hui domaine de la

France, domaine en grande partie encore purement théo-

rique, d'une valeur effective peut-être médiocre, mais

dès à présent d'une importance politique immense et dont

l'occupation raisonnée et progressive, maintenant com-

mencée, sera sans doute plus rapide qu'on ne semble le

prévoir. Désormais maîtresse sans conteste de celle

terre peut-être trop méprisée, en tout cas habitée pardes populations qui ne sont pas sans avenir, la France,

certainement, ne faillira pas à sa tùche.

Louis ROUSSELET.

Une modification radicale des habitudes d'un peuplene s'impose pas brusquement par la pression extérieure

d'une civilisation plus avancée.

COMTEGOBLETD'ALVIELA.

Page 106: Les Francais en Afrique

ARABE CHARGEANT UN CIIISIEVU. — (Collection delà Société de Géographie.)

CHAPITRE VI

LE SAHARA

I

M^^j NTRE le port algérien de Philippeville, construit sur l'emplacement de l'antique

^ JL Bussicada, et Constantinc, nid d'aigle bâti par les Arabes, là où les puissants

^ rois numides Masinissa et Jugurtha avaient jadis leur aire, court une grande voie,suivie autrefois par les caravanes et la seule qui les menât au coeur de l'Afrique. Elle se

dirige vers Batna, fondée en 1844, et arrive à mi-chemin de Gonstantine à Biskra. Là, sur

une hauteur de plus de mille mètres d'altitude, s'élève la forteresse dont le canon couvre

les Monts Aurès. De Batna la route gagne, par un pays de roches déchiquetées aux tons

rougeàtres, une gorge que les Arabes appellent Foum-cs-Sahara (la bouche du désert); un

vieux pont romain est resté jeté d'une paroi à l'autre de la passe. Par la brèche on découvre

dans toute sa magnificence un tableau qui arrache un cri de surprise et d'admiration. Ce sont

les palmiers d'El-Kantara, l'oasis la plus septentrionale de l'Afrique. Le spectacle est d'au-

tant plus merveilleux qu'il apparaît comme par un coup de baguette magique, inattendu,

saisissant, enchanteur. Au milieu des dattiers, qui se comptent par dix mille, se trouvent

disséminées ou suspendues sur des roches les huttes du village faites de limon. Des orangers,

des grenadiers, des figuiers, des amandiers, des lauriers, des myrtes augmentent la féerie de

ce décor; des roses magnifiques y forment un jardin ravissant : tel un paradis terrestre.

Au temps des Bomains, la passe étroite que l'on franchit un peu plus loin se

nommait le « Soulier d'Hercule ». C'était une position stratégique des plus importantes. Les

Page 107: Les Francais en Afrique

80 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

ruines que l'on y voit encore attestent le prix qu'on y attachait. On arrive ensuite à El-

Outaja, où il y a également des vestiges de constructions romaines. Une petite bourgade

dévastée y témoigne des

insurrections réprimées par

le fer et le feu. Les ornières

s'allongent à travers la plaine

de cailloux. A quelques kilo-

mètres de cet endroit, au col

de Sfa, on a la vue du désert,

semblable à une mer, quand,

à l'approche du soir, le soleil

rase de ses rayons cette im-

mense étendue. Aussi loin

que le regard peut porter,une surface plane, nue, d'un

gris clair uniforme, se con-

fond avec la ligne circulaire

de l'horizon. On marche

dans cette solitude sous

l'impression de l'infini. A la

fin on atteint Biskra, laZaba

des Bomains. C'est le dernier

Les Explorations du Sahara au xix" siècle.

avant-poste de la civilisation sur les confins du Sahara et la principale des oasis

d'Ez-Ziban.

La ville, cachée à demi sous la végétation verdoyante, repose dans un bouquet de

bananiers. Les rues tirées au cordeau sont bordées de hautes maisons. Partout des avenues

de cyprès, des plantations de palmiers donnent un ombrage touffu. Là où n'existait jadis quele sol aride, quelques aimées ont suffi pour créer, comme en une féerie, un parc splendide,

qui, aux heures tièdes de la journée, se remplit de promeneurs : Arabes et Kabyles, Toua-

reg et nomades, mélis de tout croisement, cheiks à la démarche majestueuse, chasseurs

d'Afrique, colons, enfants biskris, vifs et agiles, nailetles, filles des nomades de l'Oulcd-

Naïl, qui toutes vont et viennent, le visage découvert, les cheveux dénoués flottant sur leur

cou aux tons de bronze, et pittoresques en leurs costumes voyants richement ornés.

Centre du Sahara algérien, Biskra étend sa protection militaire sur tout le pays au sud,au sud-ouest, au sud-est. De ce dernier côté se développe la région des Chotts, Melrir,Merouan. La caravane, en quittant l'oasis, descend au midi, soit vers l'Oucd-Serel, où

elle rencontre El-Oued; soit vers l'Oued-Bihr, où elle atteindra Touggourt, après avoir faithalte à Kel-Ambra, à Maser, à Si-Amras, à Si-Bached.

Touggourt, avec ses murailles crénelées et bastionnées, ses maisons crépies d'oerc

jaune, sans étages, délabrées, lézardées, ses terrasses où, au coucher du soleil, les femmesse réunissent pour écouler les nouvelles ou les répéter, sa population active, presque toute

employée, indigènes et colons, à la culture des dattiers, offre un aspect qui échappe à toute

comparaison. C'est une ville et un douar, un de ces points de jonction des deux courants,celui de la vie européenne et celui de la vie africaine, avec une plus forte empreinte dece dernier élément. Au delà de Touggourt, la région des Cour, l'Erg ou Areg, le granddésert, le Sahara mystérieux.

Page 108: Les Francais en Afrique

LE SAHARA 87

Targui, type du Sahara.

II

Plus que toute autre partie de l'Afrique, le Sahara a faitdonner à celle-ci le nom sinistre de continent noir. Tous les

siècles, en effet, antérieurs au xixe, l'ont cru enveloppé de nuitet inaccessible. Le mystère pesait sur ces vastes étendues queles cartes désignaient par une place vide. Il semblait qu'un voile,

pareil à celui dont ses habitants couvrent leur visage, dût cacher

à jamais, aux regards des Européens, ces régions où aucun d'eux

n'avait pénétré. Les voyageurs modernes ont eu plus d'audace.

Joignant le mépris de la fatigue et des dangers à la fermeté de

la résolution, ils se sont hardiment imposé la tâche de faire la

traversée de ces solitudes redoutables, et ils l'ont accomplie. Toutefois, pendant longtemps,en dépit de leurs efforts et des résultats acquis, la science a refusé de s'affranchir des

croyances vieilles et naïves sur lesquelles elle s'appuyait. De tous ces préjugés scientifiques,le plus tenace a été celui qui ne voyait dans le Sahara qu'une plaine de sable, un ancien fond

de mer desséché, situé sur une longueur de 2.000 kilomètres au-dessous du niveau de

l'Océan. Cette erreur n'a été abandonnée qu'il y a cinq ans, en 1893, après la preuve fournie

par M. Henri Schirmer de la fausseté de l'opinion traditionnelle.

Grâce à cette démonstration décisive, nous savons aujourd'hui que le Sahara n'est pasune alluvion abandonnée par les flots, mais une formation de structure variée, ayant ses

granits, ses grès, ses cailloux crétacés, ses calcaires éocènes, ses terrains volcaniques, et ne

différant point, géologiquement, des autres parties du globe.Deux questions importantes se trouvent ainsi résolues. En premier lieu, l'uniformité

supposée du relief saharien n'existe pas ; des contrastes marquants le caractérisent au con-

traire : puissante élévation du sol en larges bassins, plateaux, rochers et sables en appa-rence sans fin, montagnes et vallées, sites d'une végétation luxuriante et endroits désolés où

rien ne pousse. En second lieu, le domaine géographique et ethnographique du Sahara ne

correspond point aux limites généralement admises.

En réalité, près de la moitié du Maroc lui appartient ainsi que toute l'Algérie au sud de

l'Atlas, une grande partie de la Tunisie. Dans la Tripolitaine il s'avance jusque près de la

Méditerranée et la moitié de l'Egypte occidentale avec l'oasis lybicnne sont à lui. Au sud, il

entre dans le Darfour, le Ouadaï, et ses frontières naturelles avec le Bornou, le Haoussa, le

Soudan français seront peut-être encore longtemps indéterminées. Il se trouve à vrai dire

aujourd'hui amoindri considérablement comme territoire par la conquête, mais celle-ci est

loin de l'avoir absorbé dans son orbite.

La physionomie du Sahara n'a, d'ailleurs, pas changé quoique certaines de ses tribus

aient perdu leur indépendance et leurs possessions.Aussi les populations sahariennes de l'Oued-Bihr et de l'Oucd-Serel, rattachées récem-

ment à notre domination algérienne, doivent-elles être l'objet de notre attention vigilante.

Elles sont encore, sous bien des rapports, pour nous ce qu'étaient pour les Bomains sous les

Césars ces annexions lointaines de la province byzacène, où l'on avait sans cesse à craindre

quelque soulèvement. Il y a dans plus d'une oasis un Bou-Zian, un Mohammed-ben-

Abdallah prêt à prêcher la guerre sainte, et qui ne se laisserait détourner de l'insurrection et

des rêves d'autonomie, ni par les souvenirs de Zaatcha ni par ceux d'Ouargla. On a pu dire

Page 109: Les Francais en Afrique

88 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

que notre forteresse d'El-Golcah domine, comme une sentinelle avancée dans le désert, la

route suivie par les caravanes : la paix n'est pas faite dans tous les coeurs.

III

Il serait difficile qu'elle le fût. L'enfant du désert garde le rêve de sa liberté qu'il espère

reconquérir un jour, grâce au prophète. Aucun n'a abdiqué son droit à cet espoir.

Eugène Fromentin (I) raconte à ce sujet, dans son beau volume sur le Sahel, une anecdote

qui confirme ce fait resté vrai :

« Je me souviens, un soir, pendant un

séjour que je fis à Blidah, d'avoir rencontré

un Arabe qui faisait ses dispositions pour

passer la nuit. Il était vieux, fort misérable,

mal couvert de haillons, qui le cachaient à

peine, harassé comme s'il eût fait une longue

étape; il rôdait autour du rempart, évitant

d'être vu par les sentinelles et cherchant parmi

les cailloux de la route un petit coin pour s'y

coucher.

« Dès qu'il m'aperçut, il se leva et me

demanda comme une aumône la permission

do rester là.

« — Tu ferais mieux d'entrer dans la

ville, lui dis-je, et d'aller loger au fondouk.

« Il me regarda sans répondre, prit son

bâton qu'il avait déjà posé par terre, renoua

sa sacoche autour de ses reins, et s'éloigna

dans un silence farouche. Je le rappelai, mais

LE SAHARA.— Le Puits de l'Oasis. en vain ; il refusait une hospitalité offerte dans

nos murs et la pitié le faisait fuir.

« Ce que ces proscrits volontaires détestent en nous — car ils nous détestent — ce n'est

pas notre administration, plus équitable que celle des Turcs; notre religion, tolérante envers

la leur; ce n'est pas notre industrie dont ils pourraient profiter; notre commerce, qui leur

offre des moyens d'échange ; ce n'est pas non plus l'autorité, car ils ont la longue habitude de

la soumission, la force ne leur a jamais déplu et, comme les enfants, ils acceptent l'obéis-

sance, sauf à désobéir souvent. Ce qu'ils détestent, c'est notre voisinage, c'est-à-dire nous-

mêmes; ce sont nos affaires, nos coutumes, notre caractère, notre génie. Ils redoutent jus-

qu'à nos bienfaits. Ne pouvant nous exterminer, ils nous subissent; ne pouvant nous fuir,

ils nous évitent. Leur principe, leur maxime, leur méthode est de se taire, de disparaître le

plus possible et de se faire oublier.

« En attendant, cerné de toutes parts, rebelle à tout progrès, indifférent même aux

destinées qu'on lui préparc et aussi libre, néanmoins, que peut l'être un peuple exproprié,sans commerce, presque sans industrie, ce peuple subsiste en vertu de son immobilité même

et dans un état voisin de la ruine, sans qu'on puisse imaginer s'il désespère ou s'il attend. »

1. Eugène FROMENTIN,Une année dans le Sahel, Paris, P Ion.

LE SAHARA.— Le Puits de l'Oasis.

Page 110: Les Francais en Afrique

LE SAHARA 89

IV

C'est celte résistance passive, guettant sans cesse l'occasion

d'un coup de main, d'une trahison, d'une attaque, d'un assas-

sinat, qui a rendu la conquête du Sahara si longue et si difficile

en y multipliant les victimes de la perfidie et de la férocité des

indigènes, dont le nom de Touareg signifie brigands do nuit.

Ces nomades, maintenant vaincus, n'étaient en effet que des

bandits, pillards et meurtriers, attendant l'étranger au passage

pour le voler et le tuer, en considérant ces actes comme l'exer-

cice d'un droit. A l'époque où l'Algérie servait d'intermédiaire au ChefTargui, indigènedu Sahara.

trafic de l'Europe avec l'Afrique, les caravanes faisaient halte en

leurs voyages dans les oasis du Sahara où elles vendaient les produits apportés du centre du

continent noir. In-Salah, le Touat, Timbouktou étaient riches et peuplées, et quoique les

marchands eussent à affronter de grands périls pour arriver dans ces divers marchés, ceux-

ci jouissaient d'une prospérité vantée partout. La domination des Turcs et des Maures, leur

despotisme et leurs exactions mirent fin à cette période d'or. Les caravanes cherchèrent des

chemins plus sûrs et, jusqu'au xixe siècle, elles s'éloignèrent presque complètement de ces

routes jadis si fréquentées. L'occupation du pays par les Français ne modifia guère la situa-

tion et l'aggrava plutôt. Le fanatisme musulman n'accueillit nos pionniers, nos explorateurs,

qu'avec défiance et haine. On ne peut affirmer que cette hostilité fût l'oeuvre occulte des

Anglais, mais il est certain qu'ils en firent leur profit, lorsque les marchands abandonnèrent

la direction d'Alger pour prendre celle du Maroc et de la Tripolitaine, en allant faire leurs

achats à Gibraltar et à Malte.

Cependant les efforts individuels ne manquèrent point pour rouvrir aux caravanes la

voie du Tell algérien. Malheureusement le gouvernement français n'accorda aucune aide à

cette initiative. Les légendes les plus sinistres couraient sur le Sahara. Le grand désert

épouvantait ceux qui en parlaient de loin et les énergies les plus tenaces renonçaient suc-

cessivement à l'aborder de près. Le Touat semblait devoir rester à jamais inaccessible. Sans

doute quelques Français hardis avaient risqué cette aventure, mais leurs résultats ne repré-sentaient rien d'appréciable. En 1840, M. Sutil, résident à Mourzouk, proposa à Louis-

Philippe de faire prendre la route de Constantine aux caravanes se rendant à Tripoli et en

Egypte. Le roi accepta, mais les ministres ne firent rien. Plus tard, sous le second Empire,

en 1856, un vaillant officier, le capitaine Bonnemain, annonça qu'il avait pu pénétrer dans

Ghadamès, sous un costume arabe, et que les indigènes étaient disposés à entrer directe-

ment en rapports commerciaux avec la France. On ne le crut point. Deux ans après, un

interprète arabe du bureau de Laghouat alla jusqu'à Ghat avec quelques marchands fran-

çais; on leur ferma les portes de la ville, mais ils purent vendre avantageusement leurs mar-

chandises. En 1858, M. Henri Duveyrier, à peine âgé de dix-huit ans, entreprit de voir le

Sahara central, jusqu'à Ghadamès, grâce à la protection du chef des Touareg, et explora le

Fezzan et le Hogghar, où aucun Européen n'avait jusqu'alors été admis. Le voyage dura trois

ans et la relation qui en fut publiée était de nature à stimuler d'autres courages. Dans l'in-

tervalle, le commandant Colonieu et le lieutenant Burin avaient tenté d'atteindre Timimoun,

mais les chefs des tribus, qui ne voyaient en eux que des espions, leur interdirent de

pousser plus loin. Les marchands arabes comprenaient, toutefois, qu'il était de leur intérêt

Page 111: Les Francais en Afrique

90 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

de faire du commerce avec la France, et ils prirent même les devants pour opérer une

entente dans ce sens. Un chef targui vint avec une nombreuse escorte à Paris en 1862 et

leur costume fit événement sur les boulevards de la capitale. Napoléon III leur fit remettre

une réponse favorable à leur désir de nouer des relations commerciales avec nous, et le

maréchal Pélissicr, alors gouverneur général d'Algérie, reçut l'ordre d'envoyer à Ghadamès

des délégués militaires pour conclure le traité demandé. Une convention fut signée le

26 novembre 1862. Le commerce français en témoigna sa vive satisfaction, et Marseille,

Lyon, les grands centres de production s'organisèrent et s'outillèrent en vue de cette nou-

velle source d'affaires. Elle fut tout à coup fermée par l'insurrection du sud et par la mort

SAHARA. — Une Oasis.

du maréchal Pélissier. Les Touareg ne don-

nèrent pas suite à leurs offres. Leurs fermes

dispositions pour la France se changèrent

soudain en une animosité à outrance et lorsque

les événements de 1870 et de 1871 firent croire

à l'Algérie que c'en était fait de nous indubi-

tablement, les tribus sahariennes prêtèrent

assistance à la grande révolte arabe sur leurs

confins. Les mesures de répression vigoureu-

sement mises.en oeuvre par les généraux de

Lacroix et de Galiffct, l'écrasement des re-

belles rendirent les tribus du Touat moins

hautaines envers nous. Elles envoyèrent des

délégués pour protester de leurs bons desseins.

On eut le tort, en France, de se laisser leurrer

par ces démonstrations. En 1873, MM. Norbert,

Dournaux-Dupéré et Joubert sollicitèrent le

patronage du gouvernement et le concours du

ministère du commerce, de la Société de Géo-

graphie de Paris, de la Chambre de Commerce

d'Alger pour se rendre à Timbouktou par

louggourt et le plateau au Hoggnar : us lurent assassines par des rôdeurs chaamba avant

d'avoir atteint leur but.

Cet échec ne découragea point d'autres explorateurs. Tour à tour Solcillet et Largeau

essayèrent mais vainement de pénétrer dans In-Salah. Le cheik auquel ils s'adressèrent leurfit répondre que la tribu était sujette de l'empereur du Maroc et que le souverain ne voulait

point d'Européens dans les oasis. Largeau, dont l'intrépidité était indémentie, renouvela àtrois reprises différentes sa tentative. La première fois, seul, il réussit avec l'aide de l'aghade Touggourt, à visiter Ghadamès, où il signa un traité avec les principaux négociants.Cette convention resta toutefois sans effet. Dans une seconde expédition, Largeau offritaux habitants de Ghadamès son concours pour repousser les pillards chaamba et touareg.Un combat sanglant leur fut livré, mais malheureusement sans issue, à cause de la perfidiede la population même de la ville. L'explorateur, découragé, se retira avec la conviction quetoute tentative d'ouvrir un chemin aux caravanes de la côte était vaine. Cependant il repritune troisième fois son projet en 1876. Ce nouvel effort ne fut pas plus heureux que lesautres. Il en fut de même de l'exploration au delà d'Ouargla, dans l'oasis de Tcmassinin, parla mission Say, Lemay et Foureau.

Page 112: Les Francais en Afrique

L'ARRIVE^TANS L'OASIS.

14

Page 113: Les Francais en Afrique
Page 114: Les Francais en Afrique

LE SAHARA 93

Il semblait que personne no dût jamais franchir ces barrières. Mais, d'autre part, il

y avait une nécessité qui s'imposait. La France devait ouvrir à l'Algérie des voies de

communication avec les contrées populeuses du Soudan, afin de faire, bénéficier celles-ci

des conquêtes de la civilisation et aussi pour fournir un débouché nouveau à nos produits.La création d'un chemin de fer pouvait seule résumer le problème. C'était bien là l'idée

de Soleillet; malheureusement il s'était vu arrêté, comme nous l'avons dit, dans l'exécu-

tion. Etait-ce une raison pour y renoncer à jamais? Quelques esprits tenaces ne le

crurent pas. De ce nombre était M. de Duponchel qui, en 1879, publia sur ce sujet un

ouvrage important, très remarqué par la presse politique ou coloniale et qui fut également

pris en considération par le ministère des travaux publics, M. de Freycinct.

Le gouvernement décida de mettre la question sérieusement à l'élude et chargea une

commission officielle de présenter un rapport sur les voies et moyens de réalisation. On

s'arrêta définitivement à deux tracés, l'un à l'ouest, l'autre à l'est. Le premier devait partir

de la province d'Oran et fut confié à la mission Pouyanne, Chenavard et Bailli, qui dut

rebrousser chemin; le second, considéré comme le plus important fut étudié par M. Choisy,

d'une part, et par le colonel Flatters de l'autre. M. Choisy parcourut son itinéraire dans

d'excellentes conditions. Il n'en devait pas être de même de la mission Flatters (lj. Celle-ci

fut constituée à la fin de décembre 1879 el quitta Paris le 7 janvier 1880. Le colonel s'était

adjoint les capitaines Masson el Bernard, les sous-lieulenants Le Chatelier et Brosselard, des

ingénieurs de l'Etat, MM. Béringer, Cabaillot, Babourdin; un ingénieur des mines M. Boche,

et le docteur Guiard. La caravane fui organisée à Biskra et se compléta à Ouargla. Elle com-

prenait, outre les dix membres de la mission, une escorte de quatre-vingts hommes.

Le colonel Flatters avail reçu des instructions strictement pacifiques; mais il était trop

bien informé des dispositions des Touareg pour se faire illusion sur l'accueil qu'il devait

attendre d'eux. Le bruit s'était répandu, en effet, dans le désert, devançant la mission,

que les Français projetaient une conquête par le fer et par le feu. Pour dissiper ces soupçons,

le colonel fit savoir qu'au contraire, il n'avait que des intentions amicales.

Croyant que ces déclarations suffiraient pour décider les Touareg à renoncer à toute

malveillance, la mission poussa jusqu'à 120 kilomètres de Ghat, après avoir négocié le prix

du passage avec un marabout. On ne larda pas à se convaincre que celui-ci méditait quelque

trahison et, pour ne pas donner dans le piège, voyant parfaitement que l'on ne pouvait

avancer qu'en marchant d'une manière presque certaine à la mort, el que dans tous les cas

on devrait livrer bataille, le colonel, voulant rester fidèle à son mandat, jugea préférable de

rebrousser chemin et de regagner Alger, où l'on attendrait jusqu'à l'hiver suivant. C'était

un aveu d'insuccès et les Touareg y puisèrent une audace qui se manifesta par des démons-

trations menaçantes. La retraite s'opéra toutefois sans que l'on dût en venir aux mains;

mais les indigènes eurent la conviction que les Français ne reculaient que par impuis-

sance.

Le colonel était impatient de reprendre son oeuvre. La commission du Transsaharien

l'y invitait et lui-même en avait le ferme désir. En octobre 1880. il quittait la France avec

de nouveaux compagnons parmi lesquels figuraient encore quelques membres de la première

expédition. A son arrivée à Laghouat, il apprit que le chef des Hogghar, Ahitàrhen, était très

1. Paul-François-Xavier FLATTERS, né à Laval en 183?, était le Mis du statuaire du même nom. Il s> lit remar-

quer pendant la campagne d'Italie. Envoyé on Algérie après la guerre do 1870, il y lut chargé du commandement

supérieur de Bougie, puis île Laghouat. L'expédition qui lui fut conliée, pour rechercher un tracé de chemin de 1er

transsaharien, lui fut fatale.

Page 115: Les Francais en Afrique

94 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

hostile et qu'il ne fallait se fier à aucune de ses promesses. Ces mauvaises nouvelles se

trouvaient, il est vrai, corrigées par celles qu'on lui donna d'un autre chef, et qui étaient

plus rassurantes. Le colonel Flatters avait cette fois avec lui le capitaine Masson, les ingé-

nieurs Boche et Béringer, le docteur Guiard, et comme nouveaux membres de la mission,

le lieutenant d'infanterie de Dianous, l'ingénieur civil Santin, les sous-officiers Dennery et

Pobéguin. La caravane comprenait en outre quatorze ordonnances, trente-six chameliers,

sept guides chaamba et plusieurs Touareg. Elle emmenait 97 chameaux de monture,

180 chameaux de charge, des vivres en quantité suffisante pour quatre mois, huit jours de

provision d'eau, des bagages, etc.

On pouvait espérer qu'avec ces ressources, et grâce à l'organisation de l'expédition, le

succès ne serait pas douteux, mais, même avant

de quitter Ouargla, on put se convaincre que

la sécurité ne serait pas de bien longue

durée. Le consul général de France à Tripoli,

M. Féraud, avait, en effet, informé le colonel

Flatters des manoeuvres préparées par Ahità-

rhen. Le chef de la mission ne crut pas à la

gravité du péril et mit ces rumeurs fâcheuses

sur le compte des intrigues de marchands du

Touat, de Ghat ou de Ghadamès qui voulaient

faire impression sur l'esprit des Français et

les empêcher d'arriver jusque sur leurs mar-

chés. Aussi décida-t-il de passer outre. Le 4 dé-

cembre, la mission quitta Ouargla, satisfaire

connaître son itinéraire. Le 17, le colonel écri-

vait à sa femme : « L'exploration marche bien.

Nous sommes à la limite extrême-sud de

l'Algérie, si même nous ne l'avons pas dépassée.Aucun Européen n'a visité ce pays. » Le 18 jan-

vier, il confirmait le bon état de la mission :

Le Chasseurdu désert. « Tout le monde va bien, quoique la fatiguesoit grande, mais nous supportons la fatigue. »

Cependant le manque d'eau devenait grand. Cette circonstance avait obligé la caravane à

s'écarter du Sahara central et à se diriger vers l'est. Le colonel se sépara du capitaine Masson

pour aller explorer les alentours avec MM. Béringer et Boche. Il devait passer entre les Azdjer,à l'est, et les Hogghar, à l'ouest, en ayant les Touareg de l'Aïr, au sud. Or, ces deux dernières

confédérations étaient ennemies de la France, et la troisième, sinon ouvertement hostile, au

moins sujette à caution. Le chef des Hogghar, Ahitàrhen, avait dressé ses embûches.

Le 16 février — les renseignements à cet égard ne sont pas précis — la mission devait

se trouver à sept journées de marche dans le nord-ouest du puits d'Asiar, qui est sur la

frontière des Touareg de l'Aïr. Laissons ici la parole à M. Henri Duveyrier, qui publia le

récit exact de ce qui se passa.« On fit une étape : le colonel demande au guide targui où est l'eau, pour camper

auprès. Ce guide répond qu'il s'est trompé et qu'on a dépassé le puits, mais qu'il vaut

mieux camper où l'on est et envoyer chercher l'eau nécessaire aux besoins de la caravane.

Le colonel veut rebrousser chemin; le guide insiste et répond qu'en marche il est le maître.

Le Chasseur du désert.

Page 116: Les Francais en Afrique

LE SAHARA 9S

Tout surprenant que ceci paraisse, il n'y a pourtant là rien

que de très naturel. Partout, dans le Sahara central, l'autorité Hdu guide est absolue dans toutes les questions de marche et do

campement. On campe donc. A 11 heures, le colonel Flatters,le capitaine Masson, le docteur Guiard et MM. Béringer et Bocheveulent aller examiner le puits. Avant qu'ils ne s'éloignentdu camp, le guide chaamba Ceghcïr-Ben-Cheikh aurait recom-

mandé à son frère, El Alà, et à deux autres de ses compagnonsde voyage, de ne pas décharger leurs chameaux, mais de suivre

de loin ceux de la mission. En arrivant à l'eau, MM. Béringer et

Boche s'engagent dans un ravin de la montagne, sans doute

pour y faire des observations géologiques; le colonel Flatters, le chef de Caravane.

capitaine Masson et le docteur Guiard examinèrent le puits, qui est

situé dans une vallée, entre des montagnes noires et ravinées. Tout à coup Cheïk-Ben-Bou-

Djen se précipite vers ces Messieurs en criant : « Colonel, tu es trahi! Que viens-tu faire

« ici? » Le colonel n'attacha pas tout d'abord une grande attention à cet avis ; il croit quec'est une fausse alerte, comme il en avait déjà vu parmi les Chaamba. Il avait à ses côtés

deux Touareg, le guide envoyé par Ahitàrhen et Cégheïr-Bcn-Cheïk. Bientôt, se retournant,les membres de la mission voient arriver de tous côtés des masses d'hommes. Le colonel

les salue, mais s'apercevant que ces hommes ont leurs sabres tirés hors du fourreau, les

trois Français courent à leurs montures. Le guide des Hogghar tenait le cheval du capitaine

Masson; Cégheïr-Ben-Cheïkh, celui du colonel Flatters. Le colonel met le pied dans l'étrier

et reçoit au même moment un coup de sabre de Cégheïr-Ben-Cheïkh. Il lâche l'étrier, prendson revolver et en décharge le premier coup. Un deuxième coup de sabre l'atteint à l'épaule,un troisième lui coupe les jambes et il tombe. Alors les Touareg transpercent son corps à

coups de lances pour s'assurer qu'il est bien mort. Le capitaine Masson ne put arriver

jusqu'à son cheval, que le guide avait déjà enfourché. Comme il tire son revolver et se

défend bravement, un coup de sabre lui fend le crâne, un autre lui coupe les jambes, et il

tombe aussi. Le maréchal des logis Dcnncry met le revolver à la main et tire sur les Touareg

en courant vers la montagne. Mais, à bout de forces et ayant brûlé sa dernière cartouche, il

est mis hors de combat par un coup de sabre qui lui fend l'épaule. Quatre chameliers des

Chaamba et des Oulad-Naïl et un tirailleur étaient morts en défendant le colonel. Dix autres

tirailleurs et six chameliers avaient également péri en défendant les chameaux. Quatre

Chaamba avaient déchargé leurs armes sur l'ennemi et pris la fuite. Trois Chaamba et un

homme d'In-Çàlah avaient passé à l'ennemi. Ajoutons que les agresseurs avaient débouché

précisément par le ravin où s'étaient engagés MM. Béringer et Boche. Il est malheureu-

sement bien probable que ceux-ci avaient déjà été tués au moment où le colonel Flatters fut

averti.

« A une heure, un tirailleur atteint le camp en criant : « Aux armes! » Le capitaine

Dianous et l'ingénieur Santin partent au secours du colonel avec vingt hommes, laissant

vingt hommes et le maréchal des logis Pobéguin pour garder les bagages. A 4 heures ils

arrivent au puits. Voyant tous les ravins remplis de six cents à sept cents Touareg, sans

compter Cegheïr-Bcn-Cheïkh, qui est monté sur la jument du colonel, et le guide targui

sur celle du capitaine Masson, ils comprennent l'impossibilité de secourir le colonel, et le

capitaine Dianous se préoccupe de sauver les débris de l'expédition. Il revient au camp, où

il compte encore soixante-trois hommes. Pensant bien qu'on ne tardera pas à venir

Page 117: Les Francais en Afrique

9(5 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

l'attaquer à son tour, le capitaine Dianous fait fortifier le camp au moyen d'un mur crénelé,

formé avec les bagages, mais un instant do réflexion lui.fait choisir une marche désespérée

sur Ouargla, avec chance de sauver au moins quelques'hommes, plutôt que d'attendre, là

où il est, une mort assurée par la soif. Il brise les caisses, y prend des vivres et l'argent de

la mission, et part le 16 février dans la soirée. Cette fuite a dû être un prodige, car en douze

jours on refit les dix-neuf ou vingt dernières marches. On prit, le 21, quatre chameaux

appartenant aux Touareg et on mangea les quatre lévriers de la mission. Le 26 au soir, les

provisions étaient épuisées. Le 27, un des Chaamba fut enlevé par l'ennemi, qui poursui-

vait sans relâche le capitaine Dianous. Le 1er mars, on arrive à Inrhelmàn-Tikhsin où

LE SAHARA.— TIMBOUKTOU(d'après une vieille gravure.

Pobéguin et deux tirailleurs tuèrent trois onagres. Les huit jours suivants, on voit les

Touareg empêcher les soldats de faire provision d'eau, et d'autres chercher à reprendredes chameaux qu'ils ont vendus et dont ils ont touché un prix exorbitant.

« Le 8, des Tédjéhi-Mellen viennent offrir de vendre des dattes, des moutons et des

chevaux, et de donner des hommes qui serviraient de guides jusqu'à Ouargla. Cependant,les jours suivants, ils se comportent d'une manière moins amicale, et clans la nuit du

9 au 10 mars, une fois Ain-El-Kerma dépassée, ils apportèrent des dattes réduites en pous-

sière, dont tout le monde mangea(1). Ces dattes étaient mêlées à de la poussière des feuilles

d'une plante que les Arabes, surtout ceux de l'Azaouàd, appellent cl-bethîna, et qui n'est

autre qu'une espèce de jusquiame extrêmement vénéneuse, et l'une de nos rares découvertes

botaniques. Chacun subit les effets du poison, qui produit tantôt (nous l'avons éprouvé

nous-mêmes) un refroidissement et des défaillances, tantôt une folie furieuse. Six tirailleurs,

1. « A l'exception des Chaamba qui avaient peur qu'elles ne fussent empoisonnées » (Rapport officiel), et quiavaient sans doute de bonnes raisons pour en avoir peur, étant les complices de la trahison des Touareg.

Page 118: Les Francais en Afrique

LE SAHARA !17

sous l'action de cette jusquiame, prirent la fuite. Le capitaine Dianous tirait des coups de

fusil sur ses hommes.

« A peine remis, on continua la fuite désespérée; deux hommes envoyés pour acheter

des moulons, furent tués sous les yeux de leurs compagnons impuissants aies sauver.

« Le 20 mars, à Amdjid (Amguid), il fallut livrer un combat aux Touareg qui gardaient

le puits.« Le capitaine Dianous tomba mort, l'ingénieur Santin succombait au même moment

des suites du poison de la veille. Un Français, Brame, ordonnance du colonel, recevait

une balle en pleine poitrine. C'étaient les fusils Gras enlevés à la mission qui servaient à

l'ennemi; celui-ci perdit trente-trois hommes. Enfin, le 11, on s'arrêta à une source appelée

par les Arabes Aïn-Saba, et qui est au fond d'une vaste cavité dans le sol. C'est là que

les premiers émissaires arrivés à Ouargla proposèrent au maréchal des logis Pobéguin

d'être détachés pour aller demander du secours (1). »

Ce n'était pas la fin du drame. Pobéguin restait avec quelques hommes, sur lesquels

son autorité fut bientôt sans force. Le camp se partagea en factions où dominait unique-

ment l'instinct féroce de la conservation. Les Oulcd-Naïl ne songeaient qu'à massacrer les

tirailleurs, et plusieurs de ceux-ci méditaient des trahisons semblables. Ceux qui avaient

quelque bagage de valeur étaient assassinés par leurs propres compagnons. Le manque de

vivres et d'eau ne tarda pas à faire de ces hommes, livrés à leur égoïsme, des êtres dénués

de tout sentiment humain. La voix de Pobéguin n'était plus écoutée. On se battait, on

s'entretuait pour s'arracher les morceaux de cadavre des chameaux qui avaient succombé.

On alla même jusqu'à dépecer le corps de deux tirailleurs qui avaient péri dans une que-

relle. On fit un repas de cette chair humaine; ceux qui allaient au puits pour rapporter de

l'eau y étaient accueillis à coups de revolver par d'autres, avec l'intention de les tuer pour

les manger. Un de ceux que l'on accusait d'avoir mis à mort deux de ses camarades,

Djcdid-Ben-Mohammed, est surpris. Il avait devancé la colonne et était presque mourant.

On décide de l'égorger pour faire cuire son sang. Pobéguin tente vainement de le sauver.

Djedid-Ben-Mohammcd est fusillé à bout portant, dépecé, découpé, mangé. Une tempête

s'élève à ce moment et les hommes, pour se soustraire à l'action du vent brûlant qui souffle

toute la journée, sont obligés de se couvrir entièrement île sable. A peine celle trombe

a-t-elle cessé qu'ils se jettent sur l'un d'eux, le percent de coups et le dévorent. La seule

nourriture sur laquelle on puisse compter encore est de la chair humaine. Le boucher de la

colonne, Belkacem-Ben-Zebla, redouté de lous, se charge avec un cynisme révoltant de la

tuerie successive. Les jours se suivent et se ressemblent. Les hommes envoyés au puits,

pour rapporter de l'eau, ne reparaissent que rarement. On les y attend pour les massacrer.

Pobéguin, mourant de soif, se traîne jusque-là. Belkacem-Ben-Zebla propose à ses compa-

gnons de faire subir au chef le sort des autres. Le bouclier ne tient pas compte du refus de

lui venir en aide. Il décharge cinq coups de son revolver sur Pobéguin, puis dépèce

le cadavre du malheureux sous-officier.

Ceux qui survécurent à ces horreurs tombèrent entre les mains des Touareg et l'affreux

désastre de la mission ne fui connu en France que par des rapports donl les détails étaient

empruntés à des récits qui ne purent être vérifiés, mais qui étaient encore très vraisembla-

blement au-dessous de la vérité.

L'échec de la mission Flatters produisit parmi les populations indigènes un effet qui

1. Henri DLVEYRIER, Bulletin de la Société de Géoyraphie de Paris.

Page 119: Les Francais en Afrique

98 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

pouvait à jamais ruiner notre influence dans le Sahara. Les Touareg durent se persuader

que cette puissance des Français, qu'on leur avait dépeinte comme invincible, était, au vrai,

incapable de pénétrer dans le désert. D'autre part, en France même, on ne fut pas éloigné

d'ajouter foi à ces assertions. Il régnait d'ailleurs, à cet égard, un malentendu qui no fut

pas aisément dissipé. La plupart de ceux qui croyaient bien connaître le Sahara étaient

d'avis que les massacres commis par les Touareg ne devaient s'attribuer qu'aux inévitables

conséquences des razzias, et que celles-ci pouvaient être rendues impossibles par une entente

avec les chefs de l'Aïr, des Hogghar ou des Azdjer, qu'il suffirait d'ouvrir avec eux des négo-

ciations et d'établir des relations d'intérêt réciproque. Les Touareg semblaient, d'après cette

manière de voir, être, non des nomades, mais des tribus organisées, qui avaient des droits

réels sur le pays et ne les céderaient que moyennant des traités en duc forme.

C'est à M. Fernand Fourcau que revient l'honneur, nous pouvons dire la gloire, d'avoir

mis fin à cette erreur par les voyages qu'il a faits dans ces régions, avant el après le massacre

de la mission Flatters. Pendant qu'il poursuivait, pour le compte du gouvernement français,

ses explorations, qui furent couronnées de succès, des entreprises privées, surtout celles de

M. Gaston Méry et de M. Bernard d'Atlanoux, s'efforcèrent d'atteindre le même but. M. Méry

fut chargé d'une mission, en 1892, par la Société d'études du chemin de fer de Biskra à

Ouargla, et par MM. Bolland et Blanc, qui s'occupaient avec une compétence remarquable

des projets de création d'un transsaharien. Pour cette ligne ferrée plusieurs tracés étaient

proposés : à l'ouest d'Aïn-Sefra au coude du Niger, par le Touat; au centre de Blidah au

Niger, par El Goléa; à l'est de Biskra au lac Tchad, par Ouargla. Mais avant de pouvoir rien

entreprendre dans l'une ou l'autre direction, il fallait s'assurer des intentions des Touareg

et les amener autant que possible à comprendre qu'ils avaient, autant que les Européens, un

très grand intérêt à laisser s'établir celte voie qui devait Tavoriser les transactions commer-

ciales et, par conséquent, la prospérité des oasis. M. Gaston Méry accomplit cette tâche

entourée de difficultés et de dangers. Une première fois, la résistance de ses guides, au

cours de la marche, l'empêcha d'entrer en contact avec les Touareg. Une seconde tenta-

tive, dont le résultat fut plus favorable sans être complet, lui permit de reconnaître que la

nature a frayé, dans la vallée de l'Ighargàr aux environs de Temassinin, une voie directe, libre

de sable, offrant un facile accès vers le sud et pouvant conduire sans obstacles au pays d'Aïr,

appelé à devenir le débouché naturel du Soudan central et la clef commerciale de ces vastes

el riches contrées. Les chefs touareg, avec qui il put avoir une entrevue, lui confirmèrent

ces indications. En 189i, M. Bernard d'Altanoux suivit la même route pour le même comité,

pénétra également chez les Touareg, dans la région des Ighargarcn, renouvela les pourpar-lers avec le chef des Azdjer, mais tout en obtenant l'assurance que les indigènes étaient

disposés à entrer en accord, n'obtint aucune solution sur laquelle on put fonder un établis-

sement, Il restait acquis que la pénétration par le nord ne pouvait être effectuée par l'initiative

privée, que les nomades, ces coupeurs de routes, comme on les a bien appelés, continueraient

d'infester les chemins entre In-Salah et Ghadamès, et qu'il fallait, pour atteindre ce but,créer des postes militaires aux diverses étapes, comme Bel Hairam, où l'eau est abondante;

El-Bipd, qui est point central; Temassinin, où doivent passer les caravanes; Hassi-Messe-

guen, que doivent traverser ceux qui vont d'In-Salah à Ghadamès ou à Chat. Croire quel'on pouvait traiter avec les pillards en n'ayant recours qu'à la persuasion toute pacifique,sans appui d'armes, ne devait être qu'une généreuse mais fatale illusion. L'expédition du

marquis de Mores en donna la preuve en 1896. Parti de la frontière de Tunisie pour gagnerBhub et l'Aïr, il tomba sous les coups de ses guides touareg aux confins mêmes du désert.

Page 120: Les Francais en Afrique

LE SAHARA 99

Les explorations de M. Fourcau furent accomplies dans le même but de pénétration,d'établissement du transsaharien et d'ouverture des débouchés, mais sans perdre de vue les

moyens de défense à mesure que s'opérait la reconnaissance des passages et des pointsd'eau. Conduites avec autant do prudence que d'esprit de suite, ces expéditions — il y en eut

quatre, toutes également importantes — démontrèrent qu'on ne pouvait traverser réguliè-rement et avec quelque sécurité le pays des Touareg, (m'en s'appuyant sur la force et en

chargeant des garnisons bien armées do faire la police le long des routes à tracer entre le

Soudan et l'Algérie. Le gouvernement se rallia enfin à cet avis. La mise à exécution d'un

plan conçu d'après ces données était d'autant plus nécessaire que les conventions avec

l'Angleterre nous attribuaient la possession des rives du Tchad, et de l'autre la régionsaharienne de Sokoto et du Bornou, en nous permettant ainsi de relier ces régions avec nos

territoires de l'Afrique du sud et du Soudan français. Une expédition fut organisée à cet effet.

M. Foureau en reçut la direction scientifique, le commandant Lamy la direction militaire.

La mission quitta Biskra le 24 septembre 1898 pour s'enfoncer dans le Sud. Elle

atteignit Temassinin deux mois après; le 9 février, elle n'était plus qu'à une dizaine de

marche des premiers villages de l'Aïr. Jusqu'alors elle n'avait rencontré aucun indigène.Tout à coup elle cessa de donner de ses nouvelles et ce silence causa les plus vives alarmes

en France. Les renseignements venus par Tripoli donnaient lieu de croire que les nomades

lui avaient barré la route. On parla même d'un massacre semblable à celui de l'expéditionFlatters. Ces bruits étaient heureusement exagérés. La mission avait pu continuer normale-

ment sa marche, mais l'attaque qu'elle dut repousser était réelle. Campée dans l'Aïr, elle

s'était vue deux fois aux prises avec les Touareg. Victorieuse, la colonne avait repris sa marche

et atteignit Zinder, où elle était en sûreté.

Pendant ce temps, la mission Gentil luttait contre le sultan Babah, dont les agressionsrenouvelées réclamaient une action énergique de la part de la France, M. Foureau et ses

compagnons poursuivirent leur marche vers le Tchad et l'atteignirent en décembre tS99,

puis ils gagnèrent la voie du Chari pour revenir à la côte. Le commandant Lamy, le

capitaine de Cointet et le lieutenant Meynicr qui l'accompagnaient, reçurent l'ordre de

rejoindre la mission Gentil. Ils succombèrent en obéissant au devoir.

Le Sahara français se trouve aujourd'hui politiquement modifié par notre occupation

des oasis du Touat, région placée à 900 kilomètres environ au sud de la côte

méditerranéenne, à mi-chemin à peu près entre Laghouat et Timbouktou. Il comprend

trois districts principaux : le Gourara au nord ; le Touat proprement dit au sud du

Gourara, et le Tidikelt à l'est et au sud-est du Touat. Le Tidikelt a pour centre principal

In-Salah, qui, depuis plus de dix ans, était le foyer actif de la propagande antifrançaise et

du fanatisme musulman. L'occupation d'In-Salah qui assurerait la possession du Touat s'im-

posait donc à la France tant pour la sécurité même de l'Algérie que parce que ce centre

d'approvisionnement est aussi celui des communications entre le nord de l'Afrique et le

Soudan. Depuis 1845, cette région était sans maître, mais les Marocains cherchaient à s'en

emparer, en entravant nos efforts de pénétration. Les influences étrangères, les conseils

des Anglais et des Allemands l'y incitaient. La proie valait d'ailleurs qu'on fit main liasse

sur elle. Les trois districts du Touat représentent un ensemble de 203.000 habitants répartis

en 332 ksour sur une étendue de 2.000 kilomètres carrés et pouvant mettre en ligne15

Page 121: Les Francais en Afrique

100 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

31.400 fantassins et 2.850 cavaliers. Ces territoires ne produisent guère que des dattes,

mais le nombre des palmiers s'y élève à 7 millions. Deux caravanes (akabar), l'une partant

de la plus méridionale des oasis du Tidikelt à deslination.de Timbouktou, en mai et reve-

nant à son point de départ en novembre, l'autre faisant l'inverse de novembre en mai,

transportent au Soudan ou en rapportent des marchandises do diverses natures. Neuf mille

chameaux sont employés à ces voyages et le chiffre d'affaires réalisé par ce mouvement

d'exportation atteint chaque année environ deux millions de francs.

Il fallait expulser les Touareg de ce nid où ils espéraient trouver une impunité défiant

toute surprise. Il importait aussi et surtout de ne pas s'y laisser devancer par le sultan du

Maroc qui déjà, dès 1887, affirmait le rattachement nominal du Touat à son empire. Les

notables du Touat, pour ne pas être tributaires des Français, envoyaient fréquemment des

émissaires au chérif afin de l'inviter à faire acte do souveraineté sur leurs oasis. L'an-

nexion du Touat au Maroc était à la merci du premier incident. Laisser s'accomplir cette

annexion eût été une faute impardonnable et peut-être irréparable. Le Touat transformé

en province marocaine aurait arrêté notre expansion vers le Soudan et rendu nuls nos droits

à cet égard, stipulés parla convention du 5 avril 1890. C'était renoncer à notre hinterland

algérienne, et ne plus pouvoir arriver aux pays touareg que par un couloir étroit entre le

territoire turc de Ghadamès et le territoire chérifien d'In-Salah;. «L'Algérie aurait été de

fait coupée du Soudan (1). »

Heureusement cette menace a été déjouée. En 1899 le gouverneur général de l'Algérie,M. Laferrière, annonçait au Conseil supérieur de l'Algérie son intention d'étendre, suivant un

programme déterminé, les territoires du Sahara algérien en les reportant à trois degrés plusau sud. A peine avait-il fait connaître ce plan qu'on recevait la nouvelle de l'occupation d'In-

Salah par la mission Flamand-Pein.

Organisée pour l'étude géologique de la région, celte mission, qui n'avait pour escorte

qu'un goum de cent cavaliers chaamba montés à méhara et quarante autres indigènes, atteignitle 26 décembre 1899 le premier ksour de Tikidclt, dont la population lui fit un accueil très

bienveillant, mais le surlendemain elle fut attaquée par douze cents hommes venus d'In-Salah.

Il y eut un combat et les indigènes furent mis en pleine déroute. Cependant la mission aurait

résisté difficilement à de nouveaux agresseurs si elle n'avait été rejointe par les spahis quisuivaient de loin. Le capitaine Pcin entra alors sans coup férir à Ksar-el-Kebir, principalcentre du district d'In-Salah, et s'y retrancha avec la mission. Celle-ci eut à combaltre les

débris de ses premiers assaillants et remporta sur eux une nouvelle victoire qui brisa touterésistance. Une garnison française fut solidement établie à In-Salah. L'occupation de tout leTouat n'était plus désormais qu'une affaire de temps très court. Elle ne se fit pas attendre.Et ainsi s'achevait véritablement, vers la fin du siècle, la conquête du territoire algérien.

1. Général DERRÉCAGAIX,La Géographie (Bulletin do la Société de Géographie, 15 février 19J0).

Lcchameau du désert.

Page 122: Les Francais en Afrique

PENDE. — ARRIVÉE L'UNE CARAVANE.

LE SOUDAN

GARTE-BU SOUDAN,

Page 123: Les Francais en Afrique

Un champ immense est ici ouvert à l'énergie euro-

péenne, pour faire revivre le commerce qui, sous un

gouvernement stable, a autrefois animé cette partiede l'Afrique, et qui pourrait refleurir encore dans de

grandes proportions.BARTH.

C'est un aphorisme devenu presque banal — ce n'est

pourtant qu'un préjugé — d'affirmer que la France dans

ses colonies, ne peut agir avec esprit de suite.

G. BINGER.

Page 124: Les Francais en Afrique

CHEMIN DE FER DE KAYES.

CHAPITRE VII

LE SOUDAN

I

E Soudan, c'est le pays des Noirs, la Nigritie. Soudan est, en effet, le pluriel del'arabe Assaoued, qui signifie nègre, noir. Belad-es-Sondan, pays des Noirs, futdonc la dénomination imposée par les anciens géographes arabes à toute la partie

de l'Afrique qui s'étendait au sud de la région méditerranéenne occupée par les populationsblanches, arabes, maures et berbères.

Aujourd'hui, le nom de Soudan est plus spécialement appliqué à cette vaste contrée,aux limites assez imprécises, qui s'étend entre le Sahara au nord et le bassin du Congo au

sud, le massif éthiopien à l'est et les montagnes qui séparent les bassins du Haut-Sénégal etdu Haut-Niger des petits fleuves se jetant dans l'Atlantique à l'ouest.

Ce pays, grand environ dix fois comme la France, n'est pas, à vrai dire, une région géo-

graphique, c'est un ensemble d'Etats musulmans et de colonies, dépendant de puissances

européennes, qui peut se diviser en trois parties principales, correspondant aux trois bassins

du Niger, du Tchad et du Nil. Les deux premières parties composent principalement le

Soudan français et le Soudan anglais, la troisième, le Soudan égyptien.Sur cet immense territoire vit une population appartenant à de multiples races et qui

ne peut guère être évaluée à moins de vingt-cinq à trente millions d'habitants. A côté de la

race noire indigène sont venus se placer, pour ne citer que les trois principaux peuples étran-

gers, les Foulahs, que l'on croit être venus de l'est, ainsi que les Arabes et les Touareg,venus du nord, c'est-à-dire trois peuples provenant de race blanche, qui n'ont pas eu de

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104 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

peine à imposer leur domination à l'élément nègre indigène et qui lui ont communiqué, en

partie, avec la religion islamique, certaines de leurs qualités. Les populations du Soudan

sont hardies, guerrières, dominatrices, et ont toujours opposé aux conquérants et aux colo-

nisateurs européens une résistance vigoureuse.

Trois puissances européennes se partagent la domination du Soudan. La France d'abord :

établie depuis longtemps sur le Bas-Sénégal, elle a peu à peu étendu ses domaines sur le

haut fleuve et dans la vallée du Niger, puis elle songe aujourd'hui à relier à travers le

Soudan ses possessions de l'Afrique occidentale et du bassin du Congo à son empire algérien.

L'Angleterre ensuite qui, dé-

jà installée sur le Bas-Niger,

s'est ouvert, par la vallée de

la Bénoué, la route du lac

Tchad. L'Allemagne enfin,

dont les possessions du

Cameroun confinent par

l'Adamaoua à la partie mé-

ridionale du lac Tchad.

Le lac Tchad semblait

être le but vers lequel s'avan-

çaient les pionniers de cha-

cune des trois nations. Tandis

que les Anglais s'y ouvraient

un passage par le Sokoto et

le Bornou, que les Allemands

y marchaient par l'Ada-

Carte des Explorations du Soudan. maoua, les Français s'avan-

çaient à la fois par l'ouest

venant du Niger et par le sud en remontant la vallée de l'Oubanghi pour descendre

dans celle du Chari.

La part de gloire qui revient aux Français dans la découverte et l'exploration de

cette région qui, naguère encore, restait en blanc sur toutes les caries de l'Afrique, est

proportionnelle à la vaste étendue du territoire que la France a pu s'y réserver.

Si les Portugais, à la recherche de l'empire mystérieux du Prêtre Jean, envoyèrent au

xv0 siècle quelques expéditions qui ne s'avancèrent jamais dans l'intérieur du pays, c'est à un

Français, le matelot Paul Imbert, que revient l'honneur d'avoir le premier visité en 1632 la

région de Timbouktou; malheureusement il ne nous est parvenu aucune relation de son

voyage. Après lui, le géographe Bourguignon d'Anville, dès l'année 1749, rectifia nombre

d'erreurs relatives à la conformation topographique du pays. Il affirma, contrairement à

l'opinion générale, que le Niger coulait « d'Occident en Orient », ce qui lui permit, sur la

carie d'Afrique qu'il publia à cette époque, de corriger nombre d'indications erronées,

fournies par les géographes anciens. Il sépara nettement du Niger le lac Bornou que toutes

les cartes indiquaient jusqu'alors comme étant traversé par le fleuve et le plaça à peu près

exactement à l'endroit occupé par le lac Tchad. D'Anville refusait également d'admettre

que le Sénégal, la Gambie, la Cazamance, etc., fussent des émissaires du Niger; il faisait de

chacun d'eux un fleuve distinct et son opinion à ce sujet fut plus tard confirmée par Mungo-Patk en 1790.

Carte des Explorations du Soudan.

Page 126: Les Francais en Afrique

LE SOUDAN 105

II

lype Soudanais.

L'Ecossais Mungo-Park fut le premier véritable explorateurdu Soudan. Parti do l'embouchure de la Gambie, il traversa le

Sénégal a Kayes et atteignit le Niger à Ségou. Dans une

seconde expédition, il descendit le Niger, mais fut massacré avec

tous ceux qui l'accompagnaient.Où avait échoué Mungo-Park, noire compatriote, René

Caillé, réussit. Dès l'âge do seize ans, il s'était rendu au Sénégal

et, à la suite d'une caravane, avait pénétré jusqu'au Boundou.

En 1827, il repartait et, s'avançant dans l'intérieur par la vallée

du Rio-Nunez; il traversa le Foula-Djallon, atteignit le Haut- Type Soudanais.

Niger, franchit le fleuve, explora le Ouassoulou et gagna Djennédans le Massina, après avoir traversé toute une partie du plateau oriental, qui n'a

jamais été foulée depuis par un pied européen jusqu'à ce que nos officiers y aient pénétréen ces dernières années. Près de Djenné il s'embarqua sur le Niger et gagna Timbouktou.

Soigneusement déguisé, se donnant comme un musulman égyptien, il put pénétrer dans la

ville mystérieuse où il séjourna deux semaines (1). De Timbouktou il remonta vers le Nord

à travers le Sahara et arriva au Maroc qu'il put explorer, grâce à son déguisement et à la

connaissance parfaite de la langue et des moeurs arabes. C'est seulement soixante ans plustard que le Dr Lenz put faire le même voyage, en se dirigeant du nord au sud.

Dans la partie orientale du Soudan, nombre de voyageurs s'efforcèrent de remonter le

Nil pour en découvrir les sources. Sans atteindre le but principal de leur voyage, ils rap-

portèrent d'utiles renseignements sur toute cette vaste contrée.

En 1821, l'expédition anglaise de d'Oudney, Clappcrton et Denham découvrit le lac

Tchad et acquérait la preuve qu'après avoir coulé de l'est à l'ouest, le Niger s'infléchissait

vers le sud et se jetait dans le golfe do Bénin. Les trois explorateurs périrent tués par le

climat.

Depuis lors les expéditions anglaises se multiplièrent dans la région du Niger.

Puis les Allemands entrent à leur tour en lice. Le long voyage du D 1'Henri Barth et

d'Owerwcg, qui dura six années, de 1850 à 1856, fournit nombre de documents sur la

région qui s'étend entre le lac Tchad et l'Adamaou au sud-est et Timbouktou au nord-ouest.

Le Dr Vogcl avait remplacé Owcrwcg décédé. Barth revint seul, rapportant sur la région de

Timbouktou et sur la ville elle-même des renseignements du plus haut intérêt.

A Henri Barth succède, en 1860, Gerhard Bohlfs qui, ayant déjà deux fois visité le

Maroc, accomplit de 1866 à 1867 une nouvelle traversée de l'Afrique; il part de Tripoli

pour aboutir au golfe de Bénin, passe par le Fczzan, le Bornou, le pays des Haoussas et

le Gorouba. Puis Nachtigall part également de Tripoli en 1869 et gagne le Bornou par le

Tibcsti ; de là il se dirige vers le Ouadaï, traverse le Darfour et pénètre dans la vallée du Nil

qu'il descend pour revenir en Europe. Ce grand voyage, dont l'importance est égale à ceux

de Bcné Caillé, de Clappcrton et de Barth, est de ceux qui ont le plus puissamment aidé à

connaître la topographie du Soudan.

Bien d'autres explorateurs appartenant à toutes les nationalités ont été tentés par cette

1. En 1S26, déjà le major anglais Laing avait pu pénétrer dans Timbouktou après un long et périlleux voyage

en prenant Tripoli comme point de départ. (Voir plus haut le chapitre I.)

Page 127: Les Francais en Afrique

10G LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

terre si longtemps mystérieuse. Flégel, en 1882, découvre les sources de la Bénoué, les

Italiens Buonfanti et Massari traversent la région tout entière de 1881 à 1883, l'Allemand

Lenz gagne Timbouktou, les Anglais enfin, pour les besoins de leur commerce et de leur

politique, parcourent le pays des Haoussas et du Bas-Niger ; quant aux Français, leurs soldats

et leurs explorateurs, par leur vaillance et leur dévouement incessant, conquéraient le vaste

territoire connu sous le nom de Soudan français.

III

La partie du Soudan qui est revenue à la France à la suite des conventions diplomatiques

conclues avec l'Angleterre et avec l'Allemagne, comprend : 1° Toute la partie située à l'ouest

du Niger moins les colonies anglaises de la côte d'Or et du Lagos avec leurs hinterlands ;

2° le Djerma et le Maouri, sur la rive orientale

du Niger, les provinces du Tessaoua et du

Damerghou au nord du Sokoto et du Bornou;

3° le Kanem, ancienne dépendance du Bornou à

l'ouest du Tchad, le Baghirmi, le Ouadaï et les

petits États du Dar-Bounga, du Dar-Banda et

du Dar-Fertit. Jusqu'à présent, aucun de ces

derniers territoires, situés dans le bassin du lac

Tchad n'a été occupé d'une façon effective.

Seuls quelques postes isolés y affirment la domi-

nation française.Pour pénétrer dans cette contrée, trois

côtés s'offrent aux explorateurs : le nord, l'ouest

et le sud.

La route du nord est celle qui semble

présenter le plus de difficultés : le Sahara et

les Touareg la gardent. Dans ce siècle, Laing,Barth et Lenz ont réussi, au prix d'énormes

souffrances, à la parcourir jusqu'au bout, mais

que de tentatives infructueuses ont été tentées

SOUDAN.— FemmeSoudanaiseavecsonenfant. qui n'ont abouti, hélas! pour certains des

plus braves et des medleurs, qu'à leur faire

rencontrer la mort. C'est en vain que Durncaux-Duperré, que Soleillet et Largeau en 1874,

que Flatters en 1880 puis en 1881, que Palat, que Douls et tant d'autres s'efforcent de s'en-foncer dans le sud en partant de l'Algérie et de la Tunisie ! Leurs successeurs, Roland, Méry,d'Attanoux, Foureau, doivent se borner à l'exploration du Sahara septentrional.

La route de l'ouest, moins longue, traversant des régions plus facilement abordables, futde tout temps la plus fréquentée : c'est celle qu'avaient prise Mungo-Park et Bené Caillé ;c'est celle que prirent les explorateurs et les colonnes expéditionnaires qui donnèrent danscette partie de l'Afrique un empire à la France.

Déjà André Bruc, au commencement du xvm° siècle, avait envoyé de nombreux explo-rateurs pour visiter le Galam, le Khasso et le Bambouk, mais jusqu'à l'arrivée du général

SOUDAN.— Femme Soudanaise avec son enfant.

Page 128: Les Francais en Afrique

LE SOUDAN 107

.Type Soudanais.

Faidhcrbo au gouvernement du Sénégal, aucune [tentativesérieuse ne fut faite pour ouvrir des relations suivies entre

Saint-Louis, Dakar et le Soudan.

Faidhcrbe avait bien compris que c'était de ce côté que le

Sénégal français trouverait son expansion naturelle; aussi, dès

1856, il créa le poste de Médine et pendant tout le tempsqu'il resta dans la colonie, il étudia pratiquement les moyensde pénétrer dans la vallée du Niger par la voie que semblait

ouvrir la partie navigable du Sénégal. Ce fut le but de la mis-

sion Mage et Quintin (1863-1866).

Après Faidhcrbe, ses successeurs ne songèrent pas à

reprendre ses projets. C'est seulement en 1877, que, avec l'as- .TypeSoudanais.sentiment du Ministre de la Marine, amiral Jauréguiberry, le

gouverneur du Sénégal, Brière-de-1'Isle, chercha à entrer en relations avec Ahmadou, sultande Ségou.

Le père d'Ahmadou, El Hadj-Omar, marabout toucouleur, après avoir passé plusieursannées à la Mecque, s'était acquis une réputation de sainteté qui lui avait permis, sous le

gouvernement de Faidherbe, de prêcher la guerre sainte dans toute la région située entre les

deux fleuves. Il avait envahi les vallées de la Falimé et du Sénégal et menacé les postesavancés de Bakel et de Sénoudébou. En quelques mois, le Kaarta, le Kasso, le Boundou, la

partie centrale du Fouta-Djallon avaient reconnu son autorité, et le prophète, grisé par son

succès, osa sommer Faidherbe d'avoir à évacuer tous les postes occupés par les Français.Faidherbe lui répondit par la construction de Médine dont, malgré tous ses efforts,

El Hadj-Omar ne put s'emparer. Cet échec diminua quelque peu son prestige; aussi, en 1860,

accepta-t-il des conditions de paix que lui offrit Faidherbe. Il reporta ses idées conquérantesvers le bassin du Niger, se rendit maître en 1861 du grand royaume de Ségou, entra à Tim-

bouktou l'année suivante et mourut en 1864, laissant à ses fils un vaste empire, qui s'étendait

du Fouta-Djallon à Sokoto et du Sahara jusqu'aux montagnes qui bordent le golfe de

Bénin.

L'ainé de ses fils, Ahmadou, avait hérité de la plus vaste partie de ses Etats. Le capi-taine Galliéni (1), de l'infanterie de marine, lui fut envoyé en ambassade par le gouverneur

Borgnis-Desbordes. Il quitta Saint-Louis le 30 janvier 1880 et eut d'abord à combattre à Dio,

une troupe de trois mille Bambaras qui voulaient lui barrer la route. Ce n'est qu'après avoir

vaincu ce premier obstacle que la mission put gagner le Niger et rencontrer Ahmadou. Le

sultan du Ségou retint la mission pendant près d'un an au village de Nango. Le capitaineGalliéni put enfin revenir à Saint-Louis après avoir signé, le 21 mars 1881, avec Ahmadou

un traité qui plaçait l'empire de Ségou sous le protectorat de la France. Il rapportait en

outre la carte du pays et les renseignements les plus utiles au triple point de vue politique,

commercial et géographique.

IV

Dans la môme année, le lieutenant-colonel Borgnis-Desbordes construisit le fort de Kita

et se heurta à un nouvel ennemi. L'Almamy Samory (2), avait déjà envahi et saccagé tous

1. Il est aujourd'hui général de division et gouverneur de Madagascar.

t. Samory n'était pas de race royale. Son existence fut celle d'un aventurier; d'abord simple guerrier dans les

bandes d'un marabout, il devint chef de bande lui-même au service du roi de Torondo contre lequel il se souleva

16

Page 129: Les Francais en Afrique

108 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

les États de la rive droite du Haut-Niger. Appelé par les habitants, le lieutenant-colonel

Borgnis-Desbordes traversa le fleuve ; il ne put arriver à temps pour sauver la ville de

Kéniéra, qui avait été incendiée par Samory. L'Almamy avait déjà fait preuve de ses

sentiments d'hostilité contre la France en retenant prisonnier, après l'avoir menacé de mort,

un lieutenant indigène nommé Alakamissa, qui lui avait été envoyé comme messager de

paix par le commandant du poste de Kita.

L'année suivante (1882-1883), le colonel Borgnis-Desbordes construisit le fort de

Bamakou et repoussa les incursions des partisans de Samory. Il battit même l'Almamy en

personne près de Kéniéra. La France plantait

définitivement son drapeau sur les rives du

Niger. En même temps une série de postes étaient

établis entre le Sénégal et le Haut-Niger, jalon-

nant la route de Saint-Louis à Bamakou.

Les nouveaux établissements ne furent que

peu troublés jusqu'à l'année 1885 où, sur les

bords du Sénégal même, dans notre vieille colonie,

entre Kayes et Bakel, se leva un prophète, Mahma-

dou-Lamine, qui ne tarda pas à prendre sur les

indigènes une influence considérable : il semblait

devoir jouer un rôle semblable à celui de El-Hadj-

Omar, c'était un autre Mahdi qui, pour les fana-

tiques musulmans, ne pouvait manquer de

vaincre les Français et de les chasser devant lui

comme à la même époque étaient chassés les

Anglais par le vainqueur de Khartoum.

Mais tous les Mahdis n'ont pas la même

fortune. Mahmadou-Laminc, d'abord battu par

Village d'Aardouakourou. le lieutenant-colonel Frey, fut rejeté dans la

et dont il prit le trône. S'étant acquis une grande supériorité sur les autres chefs, ses voisins, par l'excellente orga-nisation qu'il donna à une petite armée permanente qu'il réussit à se constituer, il les vainquit tous les uns aprèsles autres et réussit à établir sa domination sur toute la région que baignent le Haut-Niger et ses affluents, depuisla colonie anglaise de Sierra-Leone jusqu'au Nafana. Pour subvenir à l'entretien de ses guerriers, il se procurait de

l'argent par la vente des esclaves. Les Anglais de Sierra-Leone l'approvisionnaient d'armes et de munitions par l'inter-médiaire des Diallonkés du Fouta. et la perfection de son armement lui donna une formidable supériorité militairesur tous ceux contre lesquels il lui plut de diriger ses coups. Un seul d'entre eux, Tieba, roi de Kénédougou, luirésista victorieusement, devant Sikasso, sa capitale, en 1887 et 1888.

En dehors de son prestige militaire, Samory avait su se réserver de puissantes influences religieuses. Il n'avait

pas pris le titre de roi, mais celui d'Almamy, absolument musulman, et c'est au souci qu'il manifesta constammentdes intérêts de l'Islam et à son renom de saint marabout qu'il dut de conserver, même battu, une véritable puis-sance sur les populations qu'il avait autrefois vaincues et terrorisées.

M. Famechon nous donne sur l'armée et les méthodes de guerre de l'Almamy de fort intéressants renseigne-ments : « Les troupes de Samory sont généralement connues sous le nom de sofas. Ce mot, qui signifie cavalieren Malinké, leur a été donné à la suite de la terreur qu'inspiraient les groupes de cavaliers qui, grâce à la vitessede leurs chevaux et profitant d'une nuit obscure, pouvaient tourner les villages et en garder les issues, combinantleur attaque avec les corps de fantassins qui se présentaient au petit jour devant les tatas. Les guerres de Samoryne sont en somme qu'une suite de pillages et de cruautés inouïes, commis par des bandes comprenant de deux àtrois mille fantassins et cent cinquante cavaliers placées sous les ordres d'un de ses lieutenants et qui rayonnaientsur la limite de ses territoires comme les tentacules d'une pieuvre gigantesque. Après le passage d'une troupe desofas, on ne retrouvait plus absolument rien : les villages étaient brûlés; les cultures ravagées; les vieillards déca-pités parce que « il y a trop de malice dans la tête d'un vieil homme »; les vieilles femmes décapitées égalementparce qu' « elles parlent trop »; les jeunes femmes, emmenées en captivité; et les enfants à la mamelle tués • pour

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LE SOUDAN 109

Gambie par le colonel Galliéni et bientôt tué dans un combat

qu'il livra à l'une de nos colonnes.

Le prestige de la France fut considérablement accru parcette campagne. Nombre de petits Étals demandèrent à con-

clure des traités de protectorat.

Quant à Samory, il avait recommencé la campagne au

commencement de 1885, en cernant, près de Nafadié, dans un

petit tata (1), une compagnie de tirailleurs, qui fut délivrée et

ramenée au poste de Niagassola par le commandant Combes,

qui dut livrer près du t marigot de Kokoro une véritable

bataille contre les bandes de Samory. Cet échec, qui fut des T,rr,„ e„,,, .

plus meurtriers pour elles, leur laissa une telle impression

d'épouvante que l'Almamy menaça de punir de mort quiconque parmi ses guerriersprononcerait devant lui le mot de Kokoro. Lui-même, désireux de refaire ses forces et

de réparer son prestige, signa en 1886 un traité, renouvelé en 1887, puis confirmé plustard en 1889, par lequel il cédait à la France toute la partie de ses États située sur la

rive occidentale du Niger jusqu'au confluent du Tankisso et plaçait le reste sous le

protectorat du gouvernement français.Divers postes d'observation furent établis pour surveiller ses mouvements. Vers la

même époque, Ahmadou également signa (12 mai 1887) un traité par lequel il plaçait sous

le protectorat de la France ses États de Ségou et du Kaarta. Et cependant, ni lui, ni son fils

Madani, qu'il avait laissé dans sa capitale pendant que lui-même était allé s'installer à Nivra,

ne nous ménageaient les démonstrations d'hostilité.

En 1885,' le Niger, commandé par le lieutenant de vaisseau Davout, avait pu descendre

le fleuve et passer devant Ségou sans qu'aucune insulte lui fût faite et sans qu'on cherchât

à troubler ses travaux hydrographiques.Mais peu après, le sultan ferme au commerce la voie fluviale et interdit aux pêcheurs,

aux laptots et aux piroguiers, sous peine de mort, de franchir la barrière de Ségou. Puis

son fils Madani frappe de lourdes amendes les noirs qui fournissent de riz les canonnières

françaises et défend sévèrement d'approvisionner et même de laisser approvisionner de

bois les machines des embarcations françaises.

Le commandant du fort de Bamakou lui ayant adressé de justes observations, il répondit

avec insolence « qu'il se moquait des Français comme des moustiques bourdonnant à ses

oreilles ».

Enfin, en 1889, Ahmadou fit piller les villages du cercle du Koundou et enleva les

femmes et les enfants pour les vendre comme esclaves. Le colonel Archinard lui fit repré-

senter à quels dangers il s'exposait en violant ainsi nos frontières ; il répondit en refusant

toute discussion, « attendu que tout le pays, disait-il, lui appartenait et que les Français n'y

étaient qu'en qualité de commerçants et non de propriétaires ».

La réponse du colonel Archinard fut foudroyante. Le 6 avril 1890, nos troupes entraient

presque sans combat dans la capitale de Ségou-Sikoto d'où Madani s'était enfui. Puis,

ne pas embarrasser la marche » ; enfin les jeunes hommes, ou prêtaient un serment spécial sur le Coran et étaient

enrôlés comme sofas, ou refusaient le serment et étaient exécutés. Bien que l'Almamy fit soi-disant une guerre

sainte, la plus grande partie des recrues ainsi levées n'étaient même pas musulmanes. »

Notice sur la Guinée française (Exposition universelle de 1900).

1. Un tata est une enceinte en terre dans laquelle sont ménagés des créneaux. Quelques tatas ont même des

ftanquements et parfois des réduits.

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110 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

successivement, tous les États d'Ahmadou lui furent enlevés. Vainement il tenta un retour

offensif, il fut repoussé et sa seconde capitale, Nioro, tomba en notre pouvoir le 1er janvier

1891.

Le roi fugitif erra quelque temps sur les confins du Sahara, puis il se réfugia dans le

Macina où régnait son frère Mounirou, qu'il fit d'abord emprisonner, et dont il se débar-

rassa peu après par le poison. Devenu roi du Macina, et se trouvant de nouveau à la tête

d'une armée, l'ancien sultan du Ségou chercha à venger sa défaite.

Son fils Aguibou, qu'il avait fait roi du pays vassal du Dinguiray, avait accepté le pro-

tectorat français et pris ouvertement et sincèrement le parti des vainqueurs qui lui avaient

conservé son royaume. Ahmadou se retourna vers notre ennemi du sud-ouest, Samory,

et noua des relations avec lui.

Un dernier effort devait être tenté pour réduire ces deux constants ennemis de la

France.

Le 7 avril 1891, le colonel Archinard franchit le Niger, força l'Almamy à s'enfuir et

occupa sa capitale, Bissandougou. Puis le lieutenant-colonel Combes, aidé des capitaines

Briquelot et Dargclos, fractionnant ses troupes pour couvrir tout le pays, marcha vers le

sud, obtenant ce résultat doublement heureux de chasser devant lui les sofas et de couperaux Anglais établis à Sierra-Leone la route du Haut-Niger.

Pendant ce temps, le colonel Archinard conquérait le Macina, s'emparait de Djenné, le

plus important des centres de navigation du Niger, et le lieutenant Marchand poursuivait

Ahmadou qui devait se réfugier dans le Saï.

Le Macina fut donné à Aguibou en échange de son royaume du Dinguiray et, depuis

lors, le fils d!Ahmadou et ses sujets sont restés fidèles aux traités conclus par eux avec la

France.

Les progrès incessants de la domination française forcèrent plus tard l'ancien sultan de

Ségou à chercher un autre refuge, et jamais il n'a pu reconquérir une puissance qui lui

permette de recommencer la lutte.

Samory continua à lutter pendant quatre années. En 1894, une colonne commandée

par le lieutenant-colonel Monteil essaya de s'emparer de lui en partant de la côte d'Ivoire.

La tentative échoua. Ce n'est qu'en 1898, après la conquête du royaume de Kong,

que l'habile tactique du lieutenant-colonel Audéoud réussit enfin à mettre l'Almamy dans

l'impossibilité de résister plus longtemps. Il fut capturé, près de Nzo, le 29 septembre 1898,

par le capitaine Gouraud. Il avait fallu dix-sept années de luttes pour abattre la puissancedu Napoléon noir.

Cette capture fut dramatique. Voici comment la raconte un témoin oculaire. Le capi-taine Gouraud avait avec lui le lieutenant Jacquin, le sergent Bratièrcs, le caporal auxi-liaire Faganda-Tounkara et une section de tirailleurs. Samory se croyait en sûreté dans son

campement, quand tout à coup les tirailleurs apparurent. L'Almamy, qui lisait le Corandevant sa case, s'enfuit précipitamment sans avoir le temps de prendre une arme. Le caporall'aperçut courant comme un jeune homme à la recherche d'un cheval. Il se jette à sa suite.

Samory lui échappe par un brusque crochet. Alors les tirailleurs crient ho ! ho (halte,arrêtez!). A bout de forces, l'Almamy s'arrête. Le sergent Bratièrcs le saisit. Il s'assied etdit : « Tuez-moi! » Le lieutenant Jacquin accourt avec le reste de sa section. Samory, prison-nier, est ramené à sa case. Il était temps. De toutes parts les sofas prenaient les armes etla situation pouvait devenir'critique. Mais Samory fait un signe, toute fuite s'arrête; en unclin d'oeil la nouvelle est connue de tout le camp et met fin à la lutte. Les Marabouts et

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SOUDAN. — PASSAGE MPTECIIEBIE SUR LE TAN-HOÉ

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LE SOUDAN U3

Griets vinrent successivement faire leur soumission. Les deux principaux auxiliaires de

l'Almamy, Moktar et Saranké-Mory, prévenus de l'événement, apportent tour à tour leursarmes et leurs munitions. On brise, brûle, noie, met hors d'état tout ce qui pourrait servir de

moyen de défense, et la colonne se remet en marche, emmenant ses prisonniers. Samoryfut interné dans le village congolais de Njolé, en 1899. Il y mourut le 2 juin 1900.

Ahmadou et Samory n'étaient pas les seuls adversaires que la France eût à combattre

pour s'assurer la possession de la boucle du Niger. A diverses reprises, l'Allemagne et

surtout l'Angleterre lui suscitèrent de sérieux embarras. Aussi son premier soin dut-il

être d'occuper effectivement la plus grande étendue de pays possible afin de coupercourt à toutes les prétentions des puissances rivales.

Pendant sept ans, de 1883 à 1890, l'occupation de la boucle du Niger fut préparée parla construction d'un grand nombre de postes qui jalonnèrent jusqu'à Timbouklou les rives

du fleuve dont les officiers de marine Caron et Jaimc relevaient soigneusement le cours. A

la même époque, le chemin de fer de Kaycs à Bafoulabé, qui devait permettre à nos

troupes l'accès rapide du Soudan, était commencé.

Les années 1887 et 1888 furent marquées par un fait capital : le voyage du capitaine

Bingcr. Parti de Bamakou, sur le Niger, le 20 février 1887, avec douze hommes seulement,

tous Soudanais ou Sénégalais, il se dirigea vers Sikasso, capitale du roi Tiéba. La ville

étant assiégée par Samory, il ne put y pénétrer et se porta alors vers Kong, la cité

la plus importante de la boucle du Niger (1), et le principal centre commercial du Soudan.

Le 12 mars 1888, il quitta Kong, afin de pousser une reconnaissance latérale vers le Mossi,

et, après avoir parcouru les territoires du Dafina, il franchit la Volta noire, entra dans le

Gourounsi et arriva, le 8 juin, à Bouganiéna et le 15 à Waghandougou, résidence d'un

roitelet nègre despote qui l'empêcha de poursuivre son itinéraire jusqu'au Niger, en l'obli-

geant de rebrousser chemin.

Le vaillant explorateur revint à Bouganiéna, traversa ensuite le Gourounsi méridional,

le Mampoursi, le Dagomba et le Gondja. Le 8 octobre, il atteignit sain et sauf Salaga,

capitale du Gondja. Le 21, il était à Kintampo, puis il se transporta, presque sans prendrede repos, à Bondoukou. Le 5 janvier 1889, il rentrait à Kong, où il signa avec le roi et les

chefs un traité, mettant tout ce pays sous le protectorat de la France. Le 26 janvier, à Dak-

hara, capitale du Djinimi, il obtint du roi Dcmba un traité analogue. Le souverain de l'Anno

fit de même. Le 28 février, le lieutenant Bingcr était sur le point de s'embarquer à Attakrou,

que baigne la Comoé, rivière tributaire du golfe de Guinée, lorsqu'il tomba gravement

malade et faillit périr (2). Il se rétablit toutefois assez rapidement et put monter à bord de

la canonnière de l'État le Diamant, qui atterrit le 20 mars à Grand Bassam, sur la côte

d'Ivoire (3). Sept semaines plus tard, le 11 mai, M. Bingcr était de retour à Paris. Il avait

réalisé son dessein, au prix de difficultés qui paraissaient insurmontables au début, et,

après vingt-sept mois de fatigues, il revenait en France, ayant accompli, sans une goutte

1. Il dut marchera travers un pays inconnu, sous le soleil, du malin au soir, passant les rivières et les marais

à la nage, trouvant les villages en ruine, dévastés par la guerre entre Tiéba et Samory. les chemins jalonnés par

les cadavres.

2. Il était atteint d'une fièvre bilieuse hématurique, et fut sauvé, grâce aux soins que lui donna un chef nègre,

qui pourvut à ses besoins.

3. On le croyait perdu. La maison Verdier d'Assinie avait envoyé à sa rencontre un autre explorateur

M. Treich-Laplène. Ils se rencontrèrent à Kong, reprirent route ensemble et arrivèrent tous deux sains et saufs au

Grand-Bassam. M. Treich-Laplène mourut de ses fatigues en 1890.

Page 135: Les Francais en Afrique

114 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX* SIECLE

de sang versée, une entreprise à la fois brillante et féconde en résultats. Grâce à lui, en

effet, notre domaine africain, ou, comme on dit aujourd'hui, notre hinterland, se trouvait

agrandie de 250.000 kilomètres carrés.

Cette mission, si admirablement conduite avec autant de prudence que de persévérance,

nous fournit des renseignements précis sur la géographie, l'industrie et le commerce de la

boucle du Niger, et cimenta nos relations avec les naturels de cette partie de l'Afrique. En

même temps elle rendit possible une délimitation des territoires français et anglais dans

ces régions (1). Des conventions signées en 1889

et en 1891 préparèrent la solution d'une

question grosse de difficultés : la démarcation

des frontières dans la Haute-Guinée.

Une commission mixte franco-anglaise

fut nommée à cet effet. Le commissaire français

était le capitaine Bingcr, qu'accompagnaientle DrCrozat, le lieutenant Braulot et M. Marcel

Monnicr. Le commissaire anglais était le capi-taine Lang. Ce dernier, jugeant que les intérêts

de la colonie britannique n'étaient pas assez

favorisés, ne tarda pas à soulever des objec-tions en demandant que la frontière française

fût reculée vers l'est. Le dissentiment ne

s'arrêta pas là. M. Lang cherchait à remettre

en discussion chacun des points du tracé.

Bref, on ne s'entendit pas, il n'y avait qu'à

rompre ou à s'en référer à Paris et à Lon-

dres. Les deux commissaires se séparèrentAMON sans rien décider.

Chefdu village d'Aby traitant de la mission Verdier En attendant la solution, la mission fran-

çaise entreprit dans l'intérieur un itinéraire

de 2.000 kilomètres sur lesquels 4 à 500 kilomètres furent parcourus en pays inconnus.

La convention définitive, signée le 13 juillet 1894, donna gain de cause au capitaine

Bingcr. Par cet acte, Nougoua, que nous contestait M. Lang, demeurait en notre possession.La frontière était à cinq milles en amont de ce village. De là elle se dirigeait vers le nord,

pour gagner Bamianko qui restait à la France ainsi que le village d'Abourouferrassi. La

convention nous assurait, en outre, le libre accès dans la boucle du Niger. Le tracé passaitentre Bandagadi et Kirhindi pour atteindre la Volta noire, qu'il suivait dans la direction du

nord jusqu'au 9° parallèle. A partir de ce point, les limites restaient indécises et ne devaient

être fixées que « le jour où la France et l'Angleterre auraient déterminé l'une et l'autrel'étendue de leur sphère d'influence dans la boucle du Niger ».

Dans une autre région, sur le bas Niger, les mêmes difficultés se produisaient. Il s'agis-sait d'établir les limites devant séparer le pays de Sokoto dépendant de l'Angleterre des

possessions sahariennes et soudanaises de la France. Le cabinet de Londres proposa comme

1. La France a eu fréquemment des difficultés avec l'Angleterre dans cette partie de l'Afrique au sujet de lazone d'influence respective des deux nations. Un pacte international a été conclu, il est vrai, à Berlin, entre toutesles grandes puissances pour éviter les conflits, en laissant à chacune d'elles toute liberté dans sa sphère de péné-tration : mais l'Angleterre a plus d'une fois suscité des contestations dans le Soudan et, en 1896, elle les renouvelaitencore.

ASION

Chef du village d'Aby traitant de la mission Verdier

Page 136: Les Francais en Afrique

LE SofroV*. — KAYES.

Page 137: Les Francais en Afrique
Page 138: Les Francais en Afrique

LE SOUDAN ] 17

frontière la ligne de Saï à Barroua. Le colonel Monleil, chargé de reconnaître celle ligne,

accomplit une des explorations les plus hardies dont se puissent glorifier les officiers

français. Parti en 1891 du Sénégal, il traversa tout le Soudan jusqu'à Saï, signa des

traités de protectorat avec nombre de chefs indigènes; puis de Saï il gagna le lue

Tchad et, prenant alors la roule du Nord, il traversa, le Sahara et revint par Tripoli.Peu après, le lieutenant Hourst descendit le cours du Niger depuis Koulikoro

jusqu'à l'embouchure du fleuve. C'est la première fois qu'un Luropéen accomplissait un

tel voyage.

VI

Ces multiples efforts rendaient enfin possibles la conquête de la boucle du Niger. La

nécessité de repousser les attaques des Touareg et la campagne de la colonne Archinard

dans le Macina avaient amené nos avant-postes dans les environs de Timbouklou. l'ne

surprise des Touareg qui attirèrent dans une embuscade et tuèrent le second de la flottille

du Niger, le lieutenant Aube, força le colonel Bonnier de se porter au secours de nos

marins. Le 10 janvier 1894, sans coup férir, il entra dans la cité mystérieuse. Malheureu-

sement, cinq jours plus tard, cette colonne était massacrée presque tout entière dans un

guet-apens tendu à Takoubar par les Touareg, mais le colonel Jol'fre, après avoir secouru

les survivants renfermés dans Timbouktou avec le capitaine Philippe, assura l'occupation

définitive du pays, qu'il conquit sur les Touareg. Des forts furent construits, une ligne de

poste relia Timbouktou au Soudan, et, peu à peu, le Niger devint français effectivement

jusqu'à Saï.

Le pays frontière entre le Sahara et le Soudan ou Sahel tomba tout naturellement en

notre pouvoir à la suite des dernières campagnes contre Ahmadou.

Le 1er mai 1898, le colonel Audéoud, pour venger une insulte faite à la France par

Bemba, successeur du roi Tiéba, enlevait d'assaut la ville de Sikasso, ajoutant ainsi le

Kénédougou à notre domaine colonial.

En 1898 et 1899, notre domination, à la suite des traités conclus par nos chefs de

colonne et nos explorateurs avec les souverains du pays, était complètement assurée sur

tout le territoire riverain du Niger jusqu'à Saï.

D'autres colonnes, d'autres explorateurs s'efforçaient en même temps de relier le

Soudan aux possessions acquises par la France sur le golfe de Iténin. L'entreprise était

difficile, car Samory avait fermé cette; route à tous les Européens cl, a l'exception de celle

du Dr Krause, toutes les missions envoyées par les Anglais et les Allemands pour pénétrer

dans la boucle du Niger en parlant de, la côte d'Ivoire, avaient complètement échoué.

Ménard, puis le capitaine Marchand avaient exploré le cours du liandama et reconnu

que la forêt tropicale que l'on se représentait comme un obstacle infranchissable, n'avait en

cet endroit qu'une centaine de kilomètres d'épaisseur.

Dès 1894, la mission Toutée avait traversé le pays des Baribas e| créé le poste d'Aren-

berg; puis franchissant les rapides du Niger elle remontait le fleuve que Deeieur et lîaud.

en parlant également du Dahomey, atteignaient de leur côté à Saï après avoir fondé Curnol-

villc.

L'occupation effective de Saï parle commandant Deslenave. en 1N'.»7, compléta heu-

reusement celle série de brillants efforts pour assurer l'unité de l'empire colonial de la

France dans l'Afrique occidentale.

Page 139: Les Francais en Afrique

118 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

VII

Dans le courant de l'année 1898, les difficultés que devait fatalement amener avec

l'Angleterre, la rivalité des explorateurs et les empiétements territoriaux inévitables en des

régions encore mal connues, devinrent assez graves pour nécessiter une solution diploma-

tique immédiate. Les négociations entamées aboutirent à une convention qui fut signée le

14 juin de cette même année et qui reconnaissait à la France la possession de tous les payssitués sur la rive gauche du Niger à l'ouest du Dallou-Maouri, et au nord du pays de

Soto, du Bornou et du lac Tchad jusques et y compris le Tibcsti.

Le 17 octobre 1899, un décret organisa l'administration de l'immense territoire quiétait maintenant le domaine de la France. Le Soudan fut démembré; le Sénégal en reçut la

plus grande partie, avec tout l'ancien royaume d'Ahmadou, augmenté de la partie orientale

du Ouassoulou; la Guinée s'arrondit de la plus grande partie des États de Samory avec

tout le haut bassin du Niger; la côte d'Ivoire se vit attribuer une hinterland considérable et

le Dahomey s'étendit jusqu'à Saï sur le Niger. Seuls les territoires du nord de la boucle

du Niger et de la frontière saharienne ont continué à former deux gouvernements militaires.

Musiciens soudanais.

Page 140: Les Francais en Afrique

DAKAR.

£E SENEGAL

CARTE DU SÉNÉGAL.

Page 141: Les Francais en Afrique

Le Sénégal est la plus vieille colonie française.

LANIEB.

Pour étendre la domination de la France au Sénégal,

jamais les dévouements ne manqueront.

A. RAMBAUD.

Page 142: Les Francais en Afrique

SÉNÉGAL. — UNE RÉCEPTION A DAKAR.

CHAPITRE VIII

LE SENEGAL

I

'ÉTABLISSEMENT des Français au Sénégal remonte à la seconde moitié du xiv" siècle.

Des marins dieppois abordèrent, en 1368, dans la baie de Dakar, et fondèrent sur

la côte de la Sénégambie, depuis le Cap Vert jusqu'au fond du golfe de Guinée,

des comptoirs qui devinrent rapidement très prospères. Ils furent obligés de les aban-

donner au cours de la guerre de Trente ans. Les Hollandais et les Portugais s'en empa-

rèrent, mais, à la fin du xvie siècle, des Rouennais créèrent une compagnie qui obtint

un privilège royal, grâce à Richelieu, pour coloniser cette partie de l'Afrique. Cinquante

ans plus tard, trois autres compagnies, de Rouen, de Saint-Malo, de Paris, vinrent y suivre

leur exemple, ouvrant des débouchés aux produits français dans les pays situés entre le

Sénégal et la Gambie, entre Sierra-Leone et le cap Lopez, entre le cap Blanc et Sierra-

Leone. Bien que le cardinal leur eût accordé de nombreux avantages et se fût même person-

nellement intéressé comme associé aux bénéfices éventuels de leurs entreprises, celles-ci

ne donnèrent point les résultats qu'on en espérait, et les déceptions furent telles qu'elles

aboutirent à la cession des établissements à la Compagnie des Indes occidentales, qui n'y fut

pas plus heureuse.

Ce qui causait le manque de succès, c'étaient avant tout les défauts de l'organisation.

Il fallait à celle-ci un administrateur intelligent, capable, habile, ferme et résolu. Toutes

ces qualités se trouvèrent réunies dans André Bruc, qui, nommé directeur général de la

Compagnie de Paris à la fin du xvnc siècle, aborda le 4 juin 1697 à l'ile Saint-Louis, entra

immédiatement en relation avec les chefs indigènes, se concilia leur amitié, pénétra, grâce

à ces auxiliaires, dans l'empire des Fouis, dont le siratik (empereur) signa avec lui un traité

de commerce autorisant la création de comptoirs, protégés par des forts, sur tout ce terri-

toire, et jeta de la sorte les premières bases de notre puissance coloniale au Sénégal. André

Page 143: Les Francais en Afrique

122 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Brue ne se contenta pas de ces jalons ainsi plantés. Il travailla activement à l'expansion de

la colonie française, en faisant entrer clans sa sphère d'influence tous les États nègres limi-

trophes ou à des distances peu éloignées de notre domaine déjà conquis. Ceux des rois

noirs qui se montraient hostiles à cette oeuvre de civilisation furent, comme le damel ou chef

de Cayor, soumis par la force. Les plans de pénétration de Brue s'agrandirent d'étape en

étape; il voulait, en poussant jusqu'au Galam, au confluent du Sénégal et de la Falémé,

assurer à la France les mar-

chés commerciaux des Sar-

rakholais et des Mandingues,

qui avaient entre leurs

mains tout le trafic avec

l'Afrique occidentale. Son

idée, plus vaste encore, était

de relier le Sénégal au Niger

par une voie bien protégée

que pourraient suivre les

marchands et les voyageurs

français. Payant de sa per-

sonne, il explora la région

de la Gambie, fit visiter celle

du Bambouk, contrebalança

dans l'une ou dans l'autre

l'action des Anglais et ne

craignit point d'accepter une

Carte des Explorations au Sénégal au xix° siècle. entrevue avec le damel de

Cayor, son ennemi, qui le fit

prisonnier. Mis en liberté après avoir payé une forte rançon, il revint en France, où la

Compagnie le rappela pour le nommer directeur général du bureau central. Malheureuse-

ment les opérations auxquelles elle se livrait périclitèrent; elle dut vendre son privilège à la

Compagnie de Rouen. Cette dernière reprit André Brue à son service et le renvoya en

Afrique, où il fit des prodiges en étendant partout le réseau du commerce. Cinq ans furent

consacrés par lui à l'exécution de ces desseins, qui auraient été considérés comme téméraires

et chimériques s'ils avaient été poursuivis par tout autre. Lorsque, en 1719, la Compagnie

de Rouen fut dissoute et remplacée par la Compagnie de Law, celle-ci fit, comme les pré-

cédentes, appelait concours, d'ailleurs indispensable, de Brue. Il accepta avec empressement

celte occasion de reprendre sa recherche du chemin du Niger. Les événements le forcèrent

à revenir en France, pour résigner ses fonctions en 1720, mais il ne fit à Paris qu'un séjour

de trois années et, pour la troisième fois, retourna au Sénégal, en 1723. En quelques mois il

y réalisa la conquête des porls d'Arguin et de Portendik, sur la côte du Sahara occidental.

Quand enfin, après vingt-six ans de travail sans égal, il se crut le droit de laisser à d'autres

l'administration de la Compagnie, il avait accompli, sinon toute sa tâche, au moins une

biillantcs partie de son rêve. « En 1G77, dit M. Lnnicr, la France ne possédait sur la côte

occidentale d'Afrique que les deux porls de Saint-Louis et Corée. En 1724, elle avait cinq

porls: Saint-Louis, Arguin.Saiul-.loseph Saint-Pierre et Corée; et six comptoirs: Portendik,

Joal, Albreda, Biulan, Gérèges, Bissao. Son influence s'étendait en outre sur les contrées

riveraines du fleuve, et si elle n'avait encore ni territoire réel, ni sujets, ni colons, si le total

Page 144: Les Francais en Afrique

LE SENEGAL 123

des bénéfices de la Compagnie ne s'élevait qu'au faible chiffre i—de 300.000 livres, ses achats atteignant seulement un million,du moins elle était la première établie à l'embouchure d'un beau

fleuve, et elle tenait la véritable clef du Soudan (1). »

II

André Brue léguait à ses successeurs une mission magnifi-

quement commencée, mais il n'y eut personne après lui, pendantle reste du xvm° siècle, qui fût capable de recueillir cet héritageet d'en sauvegarder les prérogatives. Les administrateurs du

Sénégal ne firent qu'associer leur inertie aux fautes de la Femmesénégalaise,couronne. Les Anglais en profitèrent pour nous enleverGorée et Saint-Louis qui ne nous furent rendus définitivement que par le traité deVersailles en 1783. L'année suivante, le roi de France, Louis XVI, décida que la colonieserait placée sous la direction d'un gouverneur. Sous la République et pendant tout le

premier Empire, le Sénégal ne fit que subir des vicissitudes, tantôt passant au pouvoir des

Anglais, tantôt restitué par eux, puis encore repris, jusqu'à ce qu'enfin le traité de Paris de1814 nous y réintégra, en 1817, après trois ans de contestations diplomatiques.

Une nouvelle compagnie commerciale entra alors en jeu. Elle usa de sa concession quilui laissait le monopole des transactions dans la haute Sénégambie, mais, pendant les vingt-neuf ans qu'elle y fut maîtresse de tout le commerce, elle n'y fit que rendre plus auda-cieuses les attaques des chefs maures qui, depuis plus de deux cents ans, étaient en relationavec les populations nègres de la rive gauche du fleuve. Cet état de choses empira d'annéeen année. Napoléon III prit le parti d'y mettre fin, et le commandant du génie Faidherbefut chargé de l'administration du Sénégal avec tous les pouvoirs d'un gouverneur.

III

Faidherbe avait tout à faire, mais il était l'homme pour surmonter tous les obstacles.

Comme si lame d'André Brue se fût incarnée en lui, il alliait toute l'intrépidité de son glo-rieux devancier à toute la prudence dont il importait de faire preuve. L'oeuvre qui se

traçait devant lui était hérissée de périls et de nature à lasser la plus infatigable persévé-rance. Jamais elle ne le trouva au-dessous des exigences de la situation. Il livra pendantdouze ans, de 1854 à 1865, presque sans repos, des combats aux Maures, les harcelant

avec ses colonnes expéditionnaires, les délogeant des positions qu'infestaient leurs hordes

pillardes, délivrant les localités menacées par elles, construisant de nouveaux forts sur le

fleuve, Podor, Saldé, Matam, battant tour à tour les Trarza, les Brakna, les Douaich, et

réduisant à néant l'armée du marabout El-Hadj-Omar, qui voulait fonder l'empire musulman

de l'Afrique occidentale, de Timbouktou à Saint-Louis.

Ce danger écarté, Faidherbe consacra trois années, de 1858 à 1860, à signer de nou-

veaux traités plus étroits que ceux d'auparavant avec les rois et roitelets nègres du Sénégalet de la Gambie, puis, cette période de pacification achevée par la persuasion et, le cas

échéant, par les armes, il inaugura l'ère administrative. Elle ne fut pas moins féconde.

« Tout était à créer, dit le capitaine Ancclle, tout fut entrepris et exécuté; on construisit des

ponts, des routes, on transforma les ports, et particulièrement celui de Dakar, on établit

1. Voir sur André BRUEle très remarquable travail de M. Berlioux. (Lyon, 1874.)

18

Page 145: Les Francais en Afrique

124 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

des lignes télégraphiques reliant le chef-lieu de la colonie aux divers postes ; on fonda des

écoles, on bâtit des casernes; tout ce qui constitue la civilisation fut mis en oeuvre, sans

oublier les imprimeries, les banques, les musées, les journaux, le développement industriel

et agricole, favorisé par la culture du coton, de l'indigo et des arachides. En même temps

des officiers de grand mérite furent envoyés dans l'intérieur. Grâce à Faidhcrbe, aucun

point de notre territoire sénégalais ne resta inexploré. Ce fut le couronnement de son

oeuvre. » — « Il avait, écrit M. Lanier, assis solidement notre domination, donné des terres

à nos colons, assuré le trafic de nos marchands, imposé à des indigènes insolents le respect

de la France et préparé la conquête commer-

ciale du Soudan pour un avenir prochain. »

IV

A ces onze années d'activité incessante

succéda, comme après André Brue, une période

tout aussi longue, non d'inertie ou d'in-

capacité, mais de stationnement. Napoléon III,

aux prises avec les embarras politiques,

perdit de vue le Sénégal. Ses ministres lais-

sèrent dormir dans les cartons les plans de

Faidherbe. Puis vinrent les années 1870-1871,

la chute de l'Empire, les désastres de nos

armées en France, les dures conditions du

traité de Francfort, les travaux et les efforts

uniquement concentrés sur le relèvement

du pays. Une des premières oeuvres sages do

la troisième République fut de reporter son

Enfants sénégalais. attention sur les colonies, et avant tout sur

(Collectionde rÈcoieColoniale.) ie Sénégal. Le choix du colonel Brière de l'Isle,

en 1876, comme gouverneur, ne pouvait être plus heureux; mais on ne tarda pas

à s'apercevoir que les indigènes avaient repris de l'audace. Ahmadou, roi de Ségou et l'un

des fils d'El-Hadj-Omar, nous menaçait; il était nécessaire d'envoyer auprès de lui une mis-

sion, et celle-ci avait à craindre le sort de Flattcrs massacré avec toute son escorte. En 1880,

le capitaine Galhéni, les lieutenant Vallière et Piétri, les docteurs Toutain et Bayol, escortés

par une trentaine de tirailleurs et spahis indigènes et quelques laptots sénégalais, partirent

pour Kita, point de croisement des routes de caravanes entre le haut Sénégal, le haut Niger

et le Sahara. En traversant le Bélédougou, situé entre le massif de Kita et le Niger, la

mission, trahie par son guide, tomba dans une embuscade où elle aurait péri fatalement

sans la fermeté de Galliéni, qui, avec ses hommes, fit une trouée sanglante dans le rempart

des nègres amassés autour d'eux, ordonna de franchir le Niger, d'entrer sur le territoire de

Segou et de pousser jusqu'à la capitale d'Ahmadou. Il fit plus : à force d'habileté il parvint

à faire reconnaître par le fils d'El-Hadj le protectorat de la France sur le Niger. Ces résul-

tats rétablirent tout notre prestige dans l'Afrique occidentale. Us furent complétés par le

colonel Borgnis-Desbordes, qui, le 5 février 1883, inaugura solennellement la prise de pos-

session du haut Niger au nom de la France, en fondant sur le fleuve notre premier poste,celui de Bamako.

Page 146: Les Francais en Afrique

LE SENEGAL 125

Les autres grandes puissances européennes reconnurent cesdroits par les décisions de la Conférence de Berlin, en 1885;mais il fallait les affirmer à notre tour en poursuivant notre

campagne de pénétration et d'exploration. Une de ces expéditionsfut confiée au lieutenant-colonel Froy, qui révéla, dans un officierd'admirable initiative et de grande bravoure, un talent supérieurd'écrivain unissant la clarté de l'exposition aux charmes de laforme et à la couleur du style. Sa campagne, effectuée en 1885-

1886, sur le haut Sénégal et sur le haut Niger se divise en deux

périodes distinctes : la première comprit les opérations dirigéescontre les bandes do l'almamy Samory, qui fut rejeté sur la"

Type sénégalais.rive droite du Niger et forcé de conclure la paix; la seconde eut

pour objet de pacifier les provinces du haut Sénégal dont les habitants s'étaient soulevés

en masse sur les derrières de la colonne, à la voix du prophète Mahmadou-Laminc, et

avaient mis le siège devant le fort de Bakel.« La distance qui sépare les points extrêmes de ces deux théâtres d'opérations, Ba-

mako et Dembakané, est, dit le lieutenant-colonel Frey (aujourd'hui général), d'environ

900 kilomètres; si l'on considère que cette distance a été franchie, au retour, en moins de

deux mois, par des troupes déjà fatiguées, exténuées par une première campagne, que, tant

sur le Niger que sur le Sénégal, ces troupes durent livrer douze combats à un adversaire

fanatisé et toujours dix fois supérieur en nombre; si l'on ajoute le mauvais état des sentiers

et le manque de ressources des contrées traversées, les ravages causés par les maladies ou

par le feu de l'ennemi dans les rangs du petit corps expéditionnaire, on demeurera convaincu

que, seules, ces troupes d'un moral excellent, d'une confiance aveugle dans leurs chefs,admirablement entraînées et commandées par des officiers d'une grande énergie, étaient

capables de semblables efforts. Cet hommage sera pour le plus grand nombre d'entre elles,

et principalement pour le corps de tirailleurs, la seule récompense de tant de dévouement

et de tant de peines (1). »

La capture de Samory et les défaites écrasantes autant que décisives infligées à son fils

N'Tiéni Mory, à son lieutenant Bilali, mort dans la bataille de Cavally, ont modifié dans des

conditions extrêmement avantageuses notre situation au Sénégal. La pacification du Soudan

français, conséquence de la mise hors de combat du plus dangereux de nos ennemis, aura

une répercussion considérable sur l'avenir de nos possessions coloniales situées dans les

limites comprises entre Bakel et l'Atlantique, le désert et la Guinée portugaise. On sait que la

population sénégalaise, qu'on peut évaluer à 1.100.000 âmes environ, n'offre aucune homogé-

1. La modestie de l'auteur des lignes que nous venons de citer l'empêchait de revendiquer sa part de cet hom-

mage. Aucun de ceux qui ont suivi son expédition ne la lui contestera. Tous ses compagnons, officiers et soldats,dans cette tâche, savent que si cette longue et difficile mission aboutit au succès définitif, après avoir coûté à la

colonne expéditionnaire le tiers de son effectif, c'est à son chef, au colonel Frey (aujourd'hui général), qu'en revient

le premier honneur. 11réduisit Mahmadou-Lamine à l'impuissance après avoir contraint à la paix Samory.D'autres expéditions en Sénégambie suivirent celle du colonel Frey. Parmi les plus importantes il convient de

signaler la seconde campagne du lieutenant-colonel Galliéni (aujourd'hui général), qui avait déjà dirigé avec, tant

d'énergie la mission de 1880, puis celle du commandant Archinard, qui infligea plusieurs défaites à Samory, et qui

eut pour successeur dans ses opérations, en 1891-1892, le lieutenant-colonel Humbert.

Depuis 1881, toutes les années ont été signalées par des expéditions sur le « Haut-Fleuve ». Elles aboutirent à la

création de postes français de plus en plus avancés dans l'intérieur du Soudan, à tel point qu'en 1890 on sépara du

gouvernement du Sénégal, le Soudan français, dont Kayes, sur le Sénégal, devint la capitale.

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126 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

néité au point de vue ethnique. La plupart des peuplades indigènes de l'Afrique occidentale y

ont, en nombre plus ou moins considérable, leurs représentants. Or, la race pure des Pculhs,

la race mélangée des Toucouleurs, répandues l'une et l'autre dans le Toro, le Fouta, le Damga;

les Oulofs (Wolofs), qui forment un contingent encore plus grand dans le bas Sénégal, les

Sévères établis plus au sud, où ils sont de I60,000àl80,000, les Dhiolas, Balantes, Bagnouns,

qui forment un chiffre de même importance dans le bassin de la Casamance, les Mandingucs

et les Sarrakholais de la vallée du Niger, tous ces noirs et jusqu'aux Maures du Sénégal

septentrional, métis issus du croisement des Arabes avec les nègres, avaient l'espoir secret de

se soustraire un jour à notre administration, à notre protectorat immédiat ou politique. Ils

croyaient en l'étoile de ce sultan

du Ouassoulou, dont l'audace

avait défié jusqu'ici nos meilleurs

stratégistes : Frey, Galliéni, Ar-

chinard, Humbert, leur échappant

sans cesse, pillant au mépris des

traités la contrée, ^massacrant les

habitants, et réduisant en escla-

vage ceux qui n'avaient pas été

exterminés par les sofas (guer-

riers). A plusieurs reprises des

complots se tramèrent, en vue

de faire éclater une rébellion au

Sénégal ; les fauteurs de ces insur-SÉNÉOAL.- Une Station de Missionnaires rections, d'ailleurs promptement

(Collection de l'Office Colonial.)etouftees, n étaient autres que les

agents de Samory. Désormais le prestige du « sultan invincible », ainsi qu'on l'avait sur-nommé dans tout l'ouest de l'Afrique, n'existe plus, ses espérances sont déçues à jamaiset la soumission complète de toute la région est assurée. Ce sera, dans ces conditions,l'avènement, à date très brève, d'une nouvelle ère dont nous recueillerons bientôt les béné-fices. Tous les efforts poursuivis en ces dernières années par les gouverneurs qui ontsuccédé tour à tour à Faidherbe trouveront ainsi leurs fruits dans les grandes améliorations

que l'on va pouvoir réaliser.

Ajoutons que les conventions intervenues depuis 1885 entre la France et les autres

puissances européennes qui ont aussi des territoires dans l'Afrique occidentale, rendent nonseulement les litiges de délimitations difficiles, mais dessinent aussi exactement que possibleles sphères d'influence appartenant maintenant à la France, à l'Angleterre, à l'Allemagne,et peut-être d'une manière plus douteuse au Portugal.

Si le Soudan français a été érigé, par le décret du 27-31 août 1892, en gouvernementdistinct, c'était surtout parce qu'il importait de confier sa défense et sa sécurité à une vigi-lance toute particulière, nécessitée précisément par les razzias et les guerres sans relâche

qu'entretenait Samory, toujours occupé à enlever les indigènes de nos possessions età exciter contre nous les almamys du Fouta-Djallon. Mais cette organisation du Soudann'était, dans la pensée de notre haute administration coloniale, que provisoire. Elle corres-

pondait, suivant les termes mêmes des instructions données à M. Archinard, nommé gouver-neur du Soudan en 1892, à une phase dans le développement normal de ce pays et non à unétat définitif. C'était une exigence de l'heure alors présente, mais « il importait », disait le

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LE SÉNÉGAL 127

sous-secrétaire d'État aux colonies, M. Jamais, « de n'y voirqu'une étape vers l'unité complète do ces deux coloniesappelées à se soutenir l'une l'autre ». « Parla multiplicité desintérêts qui s'y rencontrent, par l'ancienneté des liens qui l'unis-sent à la France, ajoutait le document officiel, le Sénégalreprésente une force qu'il serait imprudent d'amoindrir aux

yeux des indigènes soumis à notre influence sur la côte occi-dentale de l'Afrique. » Cette phrase n'avait évidemment d'autre

portée que de faire pressentir la création d'un gouvernementgénéral de la Sénégambie française, dès que le Soudan auraitété délivré du fléau qui le ravageait, ou, en d'autres termes, dès Tque Samory serait tombé entre nos mains, mort ou vivant.

On peut donc aujourd'hui songer à mettre à exécution ce programme implicitementénoncé par le sous-secrétaire d'État aux colonies, il y a plusieurs années. Lorsque le faitde cette fusion des deux colonies en une seule sera accompli, Saint-Louis, Dakar, Gorée,Rufisquc, les quatre principales agglomérations sénégalaises prendront immédiatement del'essor commercial, et Kayes, Médine, Bafoulabé, Bakel, Kita, les villes soudanaises de déve-

loppement plus récent, acquerront de leur côté une plus grande prospérité.

VI

Certes, il y a beaucoup à faire pour atteindre ce but. Lorsque M. de Lamothe, alors

gouverneur du Sénégal, visita, au cours de 1892, le Foundioum et, entre autres localités,Sine, Salounl, il put se convaincre de ce qui, dans toute la colonie, restait encore à effec-

tuer, afin d'ouvrir des débouchés aux ressources et aux productions du pays, en même

temps qu'on y introduirait des institutions plus favorables à cette mise en valeur. Son voyagedans la Casamance, qui fit partie de son itinéraire d'inspection, confirma la nécessité deremédier à ces nombreuses lacunes, et ce fut dans ce dessein qu'il prit, en décembre 1892,un arrêté désannexant tout le deuxième arrondissement (Dakar), à l'exception d'un petitnombre de communes.

Cette mesure, qui était sans doute très sage, parce qu'elle secondait l'initiative des

indigènes, fut, à la vérité, très critiquée par ceux qui ne croient qu'aux vertus de la cen-

tralisation administrative et qui estiment que décentraliser équivaut à démembrer. On se

rappelle le conflit auquel donna lieu avec les bureaux du ministère des colonies celte

manière de voir de M. de Lamothe, si différente de la routine ordinaire, conflit qui détermina

le voyage du ministre lui-même au Sénégal et qui eut pour dénouement le transfert du trop

indépendant gouverneur au Congo.Il est à craindre que si l'on se décide, après l'avis de la bureaucratie toute-puissante, à

ne faire qu'un du Sénégal et du Soudan français, les mêmes impéritics qui ont triomphé de

l'esprit nouveau de M. de Lamothe ne s'arrogent le droit de tout régenter, selon les vieux

errements, dans la Sénégambie. Et pourtant l'oeuvre admirable de Faidherbe serait restée

stérile si elle ne s'était appuyée sur une volonté devant laquelle les bureaux durent s'incliner.

Non que les résistances lui aient fait défaut jusque dans les moindres détails de son adminis-

tration, telle qu'il l'organisa, mais parce que, durant les onze à douze ans de sa tâche, il ne

céda sur aucun point. Rien n'échappa, on le sait, à sa sollicitude sans trêve. Il donna un

port à Dakar, des écoles et des casernes à Saint-Louis, qu'il embellit et assainit en y créant

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128 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIÈCLE

des promenades, une rue de pourtour obligeant les habitants à la propreté, en y commen-

çant les travaux du puits artésien, utilisant le marigot de Lampsar, et apportant ainsi à la

population le bienfait de l'eau douce, qui remplace celle du fleuve, toujours saumàtre. Il

prévint les incendies par la défense d'établir des paillotes au centre de la ville. Il fit des

prodiges et, malgré tant d'activité certainement géniale, malgré tant de services rendus à

la colonie, dont il fut, après André Brue, le second fondateur, les bureaux parvinrent à

prévaloir contre lui. Lorsqu'il quitta le Sénégal, en 1865, il y eut, après son départ, onze

ans de stérilité administrative, comme pendant son séjour il y avait eu une période égalede brillante fertilité sous

tous les aspects.

Depuis 1876 on a re-

pris, au lieu de l'inertie,

la marche en avant dans

les routes tracées par

Faidherbe, et de grandeschoses ont été exécutées

au Sénégal. La division

de la colonie en cercles

administrés par un offi-

cier ou un commandant

civil a facilité le rôle des

autorités coloniales. L'or-

ganisation de l'ensei-

gnement primaire e-n

1881, de l'enseignementSAINT-LOUIS. — Le pont Faidherbe.

,r n . A MH „ , • ,, secondaire en 1882, le(Collection de 1 Office Colonial.)

développement du réseau

télégraphique dès 1877, l'établissement du service sanitaire en 1884, la fondation de la

Banque du Sénégal, dont le capital a été porté à 600.000 francs en 1888, l'ouverture de la

ligne ferrée reliant Saint-Louis à Dakar, la pose du câble sous-marin qui, partant de Dakar,

touche à Saint-Louis et atterrit à Ténériffc, d'où il est continué par le câble espagnol de Téné-

riffe à Cadix et par la ligne télégraphique de terre transmettant les dépêches de Cadix à la

frontière française, la concurrence entre les compagnies maritimes par la voie française,

anglaise ou allemande, les avantages assurés par les tarifs douaniers à l'exportation des

produits de la colonie, toutes ces innovations faites méthodiquement, poursuivies avec

suite et avec intelligence, ont démontré la vitalité du pays et ce qu'un gouvernement sage et

persévérant peut en attendre. Des chiffres précis en fournissent les preuves. Saint-Louis

n'avait que 16.000 habitants en 1878, sa population en 1892 s'était accrue du quart. Dakar,

qui ne comptait que 1.556 âmes en 1878, pouvait, dans ce même laps de treize années, en

faire recenser 8.737. Le même progrès s'est affirmé à Rufisque (1.293 habitants en 1898 et

8.091 en 1892). Le chemin de fer entre pour une très grande partie dans cet accroissement

de la prospérité du Sénégal, car les communications, en facilitant les transactions, les ont

considérablement multipliées.

Comprendra-t-on que l'avenir du Sénégal dépend tout entier de la continuation de

tous ces ensemencements de diverses natures? L'oublier ou le méconnaître systématique-ment serait une des fautes les plus impardonnables.

Page 150: Les Francais en Afrique

LE SENEGAL 129

VII

Lorsque aux 320.000 kilomètres carrés qui représentent la

superficie du bassin du Sénégal auront été ajoutés les 33 mil-lions d'hectares du Soudan français et les 12 millions d'hectaresdes États de Tiéba et de ceux de Samory, et surtout, lorsqueSaint-Louis et Kayes seront reliés par la jonction de la lignede Dakar à Saint-Louis à celle do Kayes-Bafoulabé-Bamako,

s'amorçant sur les routes de Kita, de Siguiri, de Koulikoro, les

produits du sol qui doivent encore, en beaucoup do cas, se trans-

porter à dos d'âne ou de mulet, ou par attelage de boeufs, ou

même et le plus souvent à bras d'hommes, arriveront plus

rapidement et en plus grande abondance sur les grands mar-

chés : les arachides, les autres graines oléagineuses, la gomme, , , , .. Type sénégalais.

le caoutchouc, la noix de kola, qui sont, au Sénégal et

généralement aussi au Soudan, les objets de commerce les plus importants, donneront

évidemment lieu à des affaires plus suivies, et des richesses encore inexploitées attireront

des colons nouveaux. On ira au Bambouk, au Boudou et au Buiré, extraire l'or qui y existe

en grande quantité et qui est demeuré inaccessible, faute de moyens de transport du matériel

d'extraction. On utilisera sur place, ou pour les envoyer en Europe, les précieuses essences

de bois, telles que le sapotillier qui fournit la gutta-percha, le karite qui, par incision, donne

également du caoutchouc, le palmier oléifère, le bananier, le ricin, et ce citronnier sans égal

qui fournit un coton d'une finesse supérieure à celle des plus beaux longue-soie. D'autre

part, les marchandises d'Europe, armes, poudre, plomb, cotonnades, sucre, etc., vendues

maintenant quatre fois ce qu'elles valent au pays d'origine, baisseront forcément de prix par

l'augmentation de l'offre, et une révolution économique transformera la Sénégambie.Mais pour que cet avenir ne soit pas un simple mirage, il est urgent de se souvenir

des leçons de Faidherbe et de les mettre en pratique.

VIII

Ainsi écrivait, en 1898, M. Victor Deville :

« Depuis 1853, nous avons fait d'immenses progrès dans cette partie de l'Afrique et

poursuivi méthodiquement la marche en avant, suivant la ligne qui joint le Sénégal au Niger.

Après avoir assuré notre domination dans la vallée du Sénégal et de ses affluents par la

création de postes fortifiés et sur les peuplades nègres et maures des deux rives du fleuve,

nous opérons, par l'établissement de notre protectorat sur le Fouta-Djallon, la jonction des

possessions du Sénégal avec les Rivières du Sud et la Gambie, réduisant les établissements

anglais et portugais de la Guinée et de la Gambie à de simples enclaves. Nous prenons

ensuite position sur la vallée du Niger, à Bamako, d'où nous nous avançons, au nord, vers

les États d'Ahmadou, dans le Ségou, le Kaarta, le Macina, au sud, vers les vallées supé-

rieures du Niger, où domine Samory, dans les contrées de la boucle du Niger, et enfin nous

complétons ces conquêtes par la prise de Timbouktou, qui nous assure la paisible possession

de toute la région du Niger que la convention anglo-française de 1890 place sous notre

influence. En même temps se poursuivent des essais de pénétration de la côte vers l'intérieur

par les Rivières du Sud, la Côte d'Ivoire, le Dahomey, de manière à grouper, en un seul

Page 151: Les Francais en Afrique

130 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

tout, nos possessions du Nord-Ouest africain. La République de Libéria et les établissements

anglais et allemands de la côte de Guinée se trouvent ainsi arrêtés dans leur expansion dans

l'intérieur par nos récentes conquêtes dans la courbe enveloppante du Niger (1). »

Cette situation s'est encore améliorée par les événements que nous avons indiqués dans

les pages précédentes. Aujourd'hui comme alors, la question de l'hinteriand sénégalaise reste

la plus importante. Il faut que le Sénégal tende de plus en plus à reculer ses frontières

vers l'est. Les conventions faites avec les États indigènes et leurs roitelets encore indépen-

dants ne'peuvent plus avoir d'autre objet. Déjà le traité de Mossi en établissant notre pro-

tectorat sur cette région a réalisé une

partie de ce programme. Notre péné-

tration doit se continuer de manière à

amorcer, puis à souder le rattachement

de nos autres possessions dans l'Afrique

occidentale avec le Sénégal même.

C'est la politique qu'a sagement adop-

tée le gouvernement. En réduisant la

République de Libéria à une étroite

zone côtière, nous avons assuré la sécu-

rité de notre sphère d'influence.

La France a, dans ces conditions,

acquis, en vertu du droit colonial qui

fait force de droit des gens, tout l'inté-

rieur de l'Afrique septentrionale et

occidentale d'Alger à Tunis, en com-

prenant dans son domaine africain tout

DAKAR.— La caserne. l'espace compris entre le Sénégal et le(Collection de l'Office Colonial.) ,...

Niger moyen.Cette main-mise sur une immense contrée ne s'est pas exercée, il est vrai, sans diffi-

cultés ; mais on peut affirmer aujourd'hui qu'elle a réussi, sinon complètement en fait, au

moins totalement en principe. Après la prise de Timbouktou, la défaite et la capture

de Samory et l'occupation du Touat, la soumission des dernières tribus du désert

n'est plus qu'une question d'heure. D'autre part, si le Transsaharien demeure encore à

l'état de prévision, le raccordement par voie ferrée du Sénégal avec le Niger est adopté, et

l'exécution n'en saurait plus être mise en doute. « Si, comme l'écrivait dernièrement

M. Binger, l'ouverture de chaque section de fil télégraphique n'a été obtenue qu'à la suite

d'une expédition, elle a aussi facilité l'expédition suivante et au fur et à mesure de l'exten-

sion du réseau, en raison directe de son avancement, les succès ont été plus éclatants, plus

durables, plus essentiellement décisifs. Ahmadou à Ségou, Babemba à Sikasso, Samorydans son empire, ont été abattus et irrémédiablement perdus par le fil électrique (2). »

1. Victor DEVILLE,Partage de l'Afrique. (Librairie Joseph André, 1898.)2. L.-G. BIXGER,La Géographie. — Bulletin de la Société de Géographie, 15 janvier 1900.L'établissement du réseau télégraphique dans l'Afrique occidentale française est le fruit d'un persévérant labeur

commencé sous l'impulsion de Faidherbe. C'est de 1862 que date au Sénégal la première création télégraphique.En 1868, la pacification du Oualo poursuivie par Pinet-Laprade permit de relier Saint-Louis à Richard-toll etDagana. En 1869, une ligne de 15 kilomètres relia le poste des pilotes de la barre du Sénégal à Saint-Louis. De1869 à 1875, le chef toucouleur Ahmadou-Cheikou fut un obstacle au prolongement de la ligne de Dagana vers lehaut fleuve, et ce n'est qu'après la chute de cet agitateur que le général Brière de l'Isle réussit à prolonger le réseaujusqu'à Podor en 1877. — L'hostilité du Bosséa remué par Abdoul-Boubakar, l'un des chefs prépondérants du Fouta,

Page 152: Les Francais en Afrique

LE SENEGAL 131

Or, ce qui est vrai de la ligne électrique l'est aussi, et même davantage, des lignesferrées. Le réseau des chemins de fer sénégalais s'est accru successivement et les travauxse poursuivent. La voie de

communication par rails de

Dakar à Saint-Louis par

Rufisque et le Cayor, sur

une longueur de 259 kilo-

mètres était achevée dès

1885 ; celle de Kayes à Ba-

foulabé et à Bamako se

trouvait en construction dès

1884, pour s'étendre sur un

parcours de 820 kilomètres ;

une autre ligne projetée de

M'pal à Médine aura 580 ki-

lomètres. Pour le raccor-

dément entre le Sénégal et

le Niger, on a fait les levés Une caravaneau Sénégal.de terrain de 1891 à 1893 et (Collectionderomeecolonial.)

l'on a constaté qu'il ne s'agit que d'ajouter 433 kilomètres aux 126 déjà prêts pour attein-

dre le Niger navigable. Les moins optimistes croient que l'on y parviendra en 1905 (1).

obligea les équipes à s'arrêter en 1880, à Saldé, alors qu'elles devaient pousser la pose du fil jusqu'à Matam et Ba-

kel, où le raccordement devait s'opérer avec la ligne commencée dans le haut Sénégal.Malgré les traités de 1881 et 1883 imposés par nos colonnes victorieuses, la ligne ne put être définitivement

posée qu'en 1885, après un nouvel arrangement, tout pacifique, conclu entre le gouverneur Seignac-Lesseps et lesdifférents chefs de cette turbulente population.

Cependant, du côté du haut Sénégal, on procédait avec plus de succès. Les heureuses campagnes de Borgnis-Desbordes nous avaient conduits à Bamako, sur les bords du Niger, et mettaient cette région en relation télégra-phique avec Saint-Louis et la France.

Dès 1881, en effet, la colonie put correspondre directement avec la métropole par un câble immergé entre lecontinent africain, les Canaries et l'Espagne. C'était un réel progrès, car la colonie ne communiquait avec l'Europeque par le câble des iles du Cap-Vert ; un aviso portait avant cette date les télégrammes de Dakar à Saint-Vincent.

A partir de cette époque, malgré la résistance intraitable d'Ahmadou, de Ségou, fils d'El-Hadj-IIomar, et la coa-lition qu'avaient su ourdir Abdoul-Boubakar, Aly-Boury et Samory, les postes français qui s'élevaient de toutes partssur le Haut-Niger ne restèrent jamais sans relations avec Saint-Louis et la France.

Pour sa part, le Sénégal, après quelques leçons infligées à Samba Laobé, aux Serrères et à Lat Dior, créait en1885 la ligne de Rufisque à .loal par Nianing, mettant ainsi en communication le littoral avec Dakar.

Enfin, au commencement de 1886, la vieille ligne de 1862, la première, fut reportée le long de la voie ferrée deDakar à Saint-Louis, desservant les centres naissants et actuellement très prospères de Thiès, Tivouavone, Ndande

Jlpal et Louga, et, en 1891, à la suite de la victorieuse tournée de Dodds dans le Fouta, le fil fut posé entre Saldé

et Kaëdi.A partir de cette époque, le fil électrique a progressé chaque année; en 1833,1e Baol, le Sine, Saloum étaient

rattachés au réseau ; en 1896 ce fut la Casamance, dont le réseau contourne la Gambie anglaise ; le fil du Soudan,

qui avait atteint Siguiri, Kankan et Ségou, fut poussé par San à travers la boucle du Niger jusqu'à Ouagadougou,en plein coeur du Mossi, et jusqu'à la si longtemps mystérieuse Timbouktou.

Des travaux d'une si grande importance devaient nécessairement amener prochainement la jonction des divers

réseaux. Aussi, pendant les années 1897-1898-1899,chacune des colonies intéressées, obéissant à cette pensée féconde,

s'efforçait d'en rechercher la réalisation.

La Guinée française, tout d'abord, sans qu'un seul kilomètre de fil existât sur son territoire, se relia avec

Kankan par Farannah et Kouroussa, mettant ainsi Conakry, sa capitale, directement en relation avec le Niger et

le réseau du Soudan.

Timbo recevait en même temps un embranchement.

Non contente de ce premier succès, cette jeune et prospère colonie voulut ouvrir une deuxième voie, lui per-mettant d'envoyer ses télégrammes au Sénégal plus directement, par le Sine et Tivouavone, et, dès l'année dernière,

19

Page 153: Les Francais en Afrique

132 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

IX

Cette vaste étendue coloniale, qui s'est successivement augmentée au profit de la France

depuis son premier établissement au Sénégal, fut, comme on le sait, partagée pendant long-

temps en deux ou trois circonscriptions administratives ou dépendantes. L'expérience a

démontré que cette autonomie ne faisait que favoriser les agitations et les soulèvements

de la population indigène. On a jugé nécessaire de modifier cette organisation et les nou-

velles dispositions prises en 1899

ont attribué à la colonie du Sé-

négal proprement dite toute la

vallée du fleuve et celle du haut

Niger, pendant que la Guinée

française, déjà reconnue adminis-

trativement comme juridiction

séparée par les décrets de 1891,

a étendu son autorité sur les Ri-

vières du Sud et les sources du

Niger dans l'hinterland de Sierra-

Leone et de Libéria.

Le Sénégal se trouve ainsi di-

visé actuellement en quatre com-

munes, avec les villes de Saint-

Campement dans la brousse. Louis, Gorée, Dakar et Rufisque,(Collectiondel'Officecolonial.) qui comptent ensemble 39.069 ha-

bitants; des enclaves territoriales occupées par 61.727 habitants; des protectorats directs

avec 951.556 habitants et les possessions des tribus maures de la rive droite du Sénégal ré-

elle obtenait ce résultat par un fil contournant la Guinée portugaise et se rattachant à Véligara au réseau séné-

galais.Au Dahomey on ne restait pas inactif. Un premier fil fut posé entre Kotonou et Porto-Novo, en 1890, dès l'ou-

verture des hostilités contre Behanzin. Il s'étendit rapidement, de 1892 à 1891, durant les campagnes du généralDodds, d'une part, jusqu'à Abomey, d'autre part, jusqu'à la colonie allemande voisine du Togoland, et, deux ans

plus tard, la ligne se jalonnait par Carnotville vers le moyen Niger et le Gourma, pour se raccorder à la ligne duSoudan à Ouagadougou.

A la Côte d'Ivoire, dont l'occupation ne date que de 1893, on se préoccupa tout d'abord de relier les postes dulittoral entre eux et le chef-lieu, et 600 kilomètres de ligne furent construits en deux années d'Assinie à la frontièrede Libéria.

Depuis, le fil se prolonge vers l'intérieur, reliant l'Indenié au chef-lieu, pour atteindre bientôt Bondoukou et

Kong, où la ligne se raccordera sous peu au réseau du Soudan, qui se prolonge par Sono et Bobo-Dioulasso, vers

Kong.D'un bout à l'autre de cet immense domaine africain, de Dakar à Timbouktou, de la Gambie au Niger, du golfe

de Guinée aux confins du désert, des poteaux ont été dressés et les signaux Morse circulent sur des conducteurs

électriques dont la longueur totale atteint 8.000 kilomètres.

Saint-Louis, point d'atterrissement du câble sous-marin des Canaries, est directement relié par terre à Conakryet à Porto-Novo, et les constructions en cours vont incessamment englober Grand-Bassam et la Côte d'Ivoire danscet immense réseau.

Bien que l'écoulement des correspondances n'ypuisse avoir lieu dans certaines sections que sur une voie unique,le réseau répond déjà largement aux besoins actuels des services administratifs et militaires et le commerce y trou-vera sans tarder une direction détournée, à tarif réduit, qui le dégagera des lourdes exigences des câbles étrangers.

1. (Page précédente.) D'après les évaluations, le kilomètre construit reviendrait à 90.000 francs, soit au total39 millions de francs, suivant le premier devis, 48 millions selon le dernier. La métropole et la colonie doiventfournir, en vertu de la convention de 1898, annuellement ouO.000francs, auxquelles viennent s'ajouter les empruntsfaits par l'administration coloniale pour couvrir les frais de l'entreprise.

Page 154: Les Francais en Afrique

LE SÉNÉGAL 133

présentant 80.000 âmes. A la tète de ces possessions coloniales est placé un gouverneur géné-ral, qui est en môme temps le principal directeur de nos colonies do l'Afrique occidentale. Ilest assisté par un Conseil général composé de vingt membres élus. L'ancien Conseil coloniala été remplacé en 1885 par un Conseil privé où siègent les hauts fonctionnaires et les nota-bles. Le budget de la colonie, élaboré et voté par le Conseil général, s'élevait dès 1892 à3.280.692 francs; il était, en 1900, de 4.454.611 francs. Les ressources budgétaires sontfournies pour 292.250 francs par des impôts directs, le reste par les contributions indirecteset les revenus douaniers. Le budget du Soudan français, en 1891, accusait 400.000 francs de

recettes seulement. Dans l'exer-

cice de 1899, elles sont prévues

pour 3.263.500 francs. La métro-

pole a voté en 1893, pour le Séné-

gal, un subside de 6.183.898

francs qui a été réduit en 1900 à

5.686.205 francs. Le Soudan a

réclamé en 1893 un subside total

de 5.189.622 francs, en 1895, de

9.384.622 francs, ramené en 1900

à 6.833.013 francs. Les circons-

criptions administratives ont,

d'autre part, leurs revenus pro-

pres qui les défraient et qui, en

1900, s'élevaient à 2.320.863 SAINT-LOUIS.- Vue du port.c T . . , , , (Collection de l'Ecole Coloniale.)Irancs. Les principales dépenses

budgétaires sont affectées aux travaux publics, parmi lesquels il faut mentionner, outre la

ligne du Niger, signalée plus haut, le chemin de fer de Saint-Louis au port de Dakar (264 ki-

lomètres de parcours), le câble direct de Saint-Louis à Ténériffe, avec son prolongement

intérieur jusqu'à Cadix. Un autre câble relie Gorée à Dakar. Les lignes télégraphiques sont

portées déjà jusqu'à Timbouktou. Enfin, l'on affecte de grosses sommes à l'amélioration des

ports de Saint-Louis, Dakar et Rufisquc, de manière à donner un plus grand élan au com-

merce colonial (1).

X

Il y a donc pour la France de grandes perspectives au Sénégal, mais là, comme dans

nos autres possessions africaines, il reste à coloniser en suivant les principes logiques et

rationnels, en se gardant de recommencer les incertitudes et les méprises qui ont retardé

1. Voici les statistiques des importations et exportations de 1882 à 1898 :

ANNÉES. IMPORTATIONS. EXPORTATIONS.

1882 22.399.000 francs. 22.399.200 francs.

1883 25.037.300 — 25.037.300 —

1890 15.190.700 — 15.190.700 —

1895 28.268.100 — 12.435.900 -

1898 35.155.600 — 29.189.700 —

Parmi les produits exportés figurent pour les plus forts chiffres, les arachides, en 1898, pour une valeur de

13.626.200 francs; la gomme (4.380.200 francs); le caoutchouc (1.191.800 francs). L'exportation d'or sénégalais à

atteint 336.600 francs en 1S98.

Page 155: Les Francais en Afrique

134 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

l'essor de l'Algérie. Là, comme en Algérie, il faudra se préoccuper non seulement de l'intérôt

des colons, que l'on fait trop souvent passer avant tout en y sacrifiant le reste, mais de la

pacification des esprits et de cette fusion si difficile des races. On ne doit en effet pas perdrede vue que les populations indigènes, même après qu'elles ont été soumises, conservent leurs

moeurs, leur caractère primitif et inclinent toujours vers la révolte dès que se réveille chez

elles les vieilles haines. L'Africain, surtout celui qui est imbu de la religion musulmane,

garde au fond du coeur son mépris pour l'Européen. Il n'apprécie qu'à la longue les bienfaits

de la colonisation, même quand elle supprime l'esclavage. Il est cet enfant de la nature sur

qui l'éducation n'agit que lentement, très lentement, et c'est à cette éducation que devront

s'employer tous les efforts, si l'on veut que notre Afrique devienne, au cours du siècle,vraiment française de conviction.

Un repas sénégalais.

Page 156: Les Francais en Afrique

GUINÉE FRANÇAISE.— PORTE DE MANEAH-FRIGUIAGBÉ.

Route de Conakry au Niger.

(Collection de MM. LEPBINCF. et MACLAUD, administrateurs de la Guinée française.Communinnfi nar M. GABORIAUD, délégué élu de la colonie.)

«^GUINÉE FRANÇAISE

CARTE DE LA GUINÉE FRANÇAISE.

Page 157: Les Francais en Afrique

Colonie qui n'a que dix ans d'existence, mais dont le

développement économique et le progrès vers la civili-

sation peut soutenir avec avantage la comparaison avec

tout autre essai de pénétration européenne en Afrique,

la Guinée française donne la meilleure preuve que

l'esprit colonisateur dont notre race a fait preuve il y a

deux siècles, est loin d'être éteint.

FAMECHON.

Les Français ont précédé sur la côte de Guinée tous

les autres peuples.L. LANIER.

Page 158: Les Francais en Afrique

CONAKRY. — PLACE DU MARCHÉ.

Collection LEPRINCEet MACLADD,administrateurs de la Guinée française. (Communiqué par M. GABORIAUD.)

CHAPITRE IX

LA GUINÉE FRANÇAISE

I

A côte occidentale d'Afrique, considérée, dans les premiers temps qui suivirent sa

découverte, comme une région inaccessible et sauvage, habitée par des populations

anthropophages, n'attira que fort peu l'attention des navigateurs. De plus, les

continuelles guerres qui désolaient alors l'Europe, et pendant lesquelles tout navire rencontré

au large était de bonne prise, empêchaient l'établissement de toute relation régulière parmer entre deux contrées éloignées.

Les Français furent, sans contredit, les premiers Européens qui tentèrent de commercer

dans le golfe de Guinée, car c'est le 28 septembre 1382 que partirent do Dieppe, à destina-

tion delà Côte d'Or, les trois bâtiments : la Vierge, le Saint-Nicolas et l'Espérance; mais

les efforts de nos compatriotes se portèrent surtout vers le Sénégal où nous voyons se

succéder : la Compagnie Normande ou Association des marchands de Dieppe (1) et de

Rouen de 1626 à 1664, la Compagnie des Indes-Occidentales de 1664 à 1673, la Compagnie

d'Afrique de 1673 à 1682, la Compagnie du Sénégal de 1682 à 1695, la Compagnie du

Sénégal cap nord et côte d'Afrique de 1695 à 1709, la Compagnie du Sénégal de 1709 à

1719 et la Compagnie des Indes de 1709 à 1758.

1. Les Dieppois, qui vinrent assez souvent visiter la côte, y achetaient du piment, du poivre, du gingembre,

de la poudre d'or. C'est de là que viennent les appellations que l'on trouve encore sur les vieilles cartes de « Cote

des graines », « Côte du poivre », « Côte de l'or ». Plus tard le commerce de l'ivoire et la traite des nègres firent

adopter le nom de <• Côte d'ivoire » et « Côte des esclaves ». Mais afin de conserver le monopole des épices qui se

vendaient un prix d'autant plus élevé que la route des Indes n'était pas connue ou que, du moins, elle commençait

seulement à l'être, nos compatriotes tinrent secret l'endroit d'où ils tiraient ces produits, et quand les préoccupations

des guerres avec les Anglais les firent renoncer au commerce on Afrique, il n'y eut plus que quelques rares aventu-

riers portugais à se hasarder dans ces régions.

Page 159: Les Francais en Afrique

138 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

Mais les Français se virent bientôt concurrencés par les Portugais, puis par les Anglais ;

cependant tous ces navigateurs, uniquement préoccupés d'intérêts mercantiles, n'ont fondé

aucun établissement durable.

Le commerce des épices, de l'ivoire et de la poudre d'or, puis des esclaves, lorsque la

destruction des indigènes américains obligea les colons à importer des travailleurs nègres,

était le seul but de leurs voyages; ils ne descendaient de leurs navires que pour opérer

leurs échanges sur le rivage même et sous la protection des canons du bord. Aussi, le pas-

sage des Dieppois, des Portugais et des Anglais n'a-t-il laissé aucun souvenir dans ces

contrées. C'est à peine si parfois, dans

1 un village écarté, on retrouve quelques

pièces de monnaie portugaise dont

l'effigie est à demi effacée, ou un vieux

pierrier remontant aux premières an-

!nées de l'artillerie.

L'insécurité de ces régions, pro-

venant des dispositions pillardes des

indigènes et des guerres continuelles

que se faisaient entre eux les chefs

de tribus, empêcha longtemps les com-

merçants d'avoir des installations défi-

nitives dans toutes ces régions où leurs

affaires étaient néanmoins très prospères

relativement, non quant au chiffre d'af-

faires, mais quant au bénéfice considé-

rable qu'il laissait entre leurs mains.

C'est vers le milieu du xvme siècle

seulement, que les marchands d'escla-

ves se virent obligés de construire des

magasins solides et défendus par de1 ' ' l'artillerie pour pouvoir conserver leur

Carte <icsExplorations de la Guinée au xix° siècle. marchandise humaine, sans qu'elle se

révoltât ou prit la fuite avant l'arrivéedes Irois-màts qui devaient la conduire en Amérique (1). De ce moment datent les construc-tions énormes dont on ne retrouve que des pans de murs enfouis sous la brousse, ou devieux canons rouilles nu Rio-Pongo, dans l'Ile de Matakong et la JMcllacorée (2).

Lorsque, en 1817, Corée redevint française, les Anglais développèrent leur colonie deFreetown (la ville libre) dans laquelle, afin d'en augmenter la population, ils firent con-duire tous les esclaves pris par leurs croiseurs sur les négriers. Pendant ce temps, nos pos-

Carte des Explorations de la Guinée au xix° siècle.

1. • Le traité donnait an xvm" siècle pour l'exportation, le chiffre énorme de cent mille nègres, et l'Angleterre,la France et le Portugal, étaient les nations dont les bâtiments transportaient le plus grand nombres d'esclaves. Enéchange de ces malheureux, les Européens donnaient à ceux qui les leur livraient, de mauvais fusils, de la poudre,du rhum, de l'eau-ile-vio et des étoffes de mauvaise qualité. L'Angleterre surtout déployait dans ce genre de com-merce une habileté particulière, les Compagnies, organisées pour la France, à Liverpool, à Bristol, à Londres etdans les colonies, n'y employaient pas moins de cent cinquante à deux cents vaisseaux, sur lesquels étaient exportésde quarante à cinquante mille noirs. » EYIIIIÏS et .IACODS, ]'nijai/e en Afrique.

± En décembre 1758, le- Sénégal est pris par les Anglais, repris le 29 janvier 1779 par le duc de Lauzun etdevient une colonie gouvernée par les officiers du roi, régime qui n a plus été interrompu que du 14 juillet 1809au %j jamicr 1817, seconde période d'occupation anglaise.

Page 160: Les Francais en Afrique

LA GUINÉE FRANÇAISE

sessions de la Guinée, comme du Sénégal, dépérissaient; l'aboli-tion de la traite avait détruit le seul commerce qui pût alorsattirer des navires sur ces côtes.

Pour la première fois en 1827, René Caillé, qui partait deRoké pour son grand voyage à travers le Soudan et le Sahara,attira l'attention du gouvernement et du public français vers le

Rio-Nunez, à l'embouchure duquel nombre de nos nationauxavaient déjà fondé des établissements. Mais le gouvernement de

Louis-Philippe se refusa à considérer les Rivières du Sud (1)autrement que comme une sorte de marché, dépendant il est

vrai de notre colonie du Sénégal, mais où la Franco n'avait pas à

intervenir tant que la vie de ses nationaux n'y serait pas menacée.

II

139

Fille Baza de Conakry.(Collection LEPBINCE-MACLAOD.)

Nous devions bientôt être contraints de sortir de cette politique de non interven-tion. Les nécessités mêmes de la répression de la traite amenèrent en 1849 le bombardement

et l'occupation de Roké par une corvette de guerre française, la Recherche, assistée d'un

navire belge.

Toutefois, c'est seulement en 1865, à la suite de traités passés avec le roi des Nalous

et avec l'almamy du Moréah, que commença la période d'occupation réelle du pays. Ces

traités furent complétés plus tard : en 1866, on traita avec le roi du Rio-Pongo, en 1879,avec celui du Samo, en 1883, avec celui de Rramayah et en 1884 avec celui du Lakata.

Tous ces chefs se plaçaient volontairement sous notre protectorat dans l'espoir d'une sub-

vention annuelle ou d'un appui en cas de lutte avec leurs voisins, mais, en général, ils ne

professaient pour l'autorité française qu'un respect nominal, et les noirs ne reconnaissaient

notre souveraineté que dans la limite où elle pouvait être appuyée par les canons de nos

avisos.

Là comme ailleurs, les Anglais firent tous leurs efforts pour indisposer contre nous et

attirer à eux les chefs des tribus les plus importantes. En 1878, le pays du Moreah fut mis

à feu et à sang par l'almamy Rokary, qui pilla ses propres sujets à l'aide de bandes recru-

tées dans la colonie anglaise, puis entreprit de chasser les Européens du pays. Les chefs de

village se réunirent et le déposèrent; le gouvernement français approuva cette mesure, mais

l'cx-almamy, réfugié sur territoire anglais, y levait régulièrement de nouvelles bandes avec

lesquelles, pendant quatre ans, il dévasta le pays. Il fallut envoyer des troupes régulières,tirailleurs et infanterie de marine, pour rétablir la paix et la sécurité.

Les Portugais se montrèrent dans la Guinée assez bons voisins; aucune difficulté

sérieuse ne troubla jamais le bon accord entre les deux colonies. Il n'en fut pas de même

avec les Allemands.

Des commerçants allemands, établis à Dubréka, firent connaître à leur gouvernement

que les pays environnants n'étaient pas liés avec la France par des traités et que, par con-

séquent, ils étaient à la disposition du premier occupant. Désireux d'étendre le plus pos-

sible son domaine colonial, le gouvernement allemand ne fit pas longtemps la sourde

1. Le nom qui fut donné pendant longtemps à notre colonie actuelle: « Rivières du Sud », provient de leur

disposition géographique par rapport au Sénégal; plus lard les Anglais établis à Sierra-Leone désignèrent cette

contrée sous le nom de North Hivers pour un motif analogue, en raison de la position du pays par rapport à leur

chef-lieu Freetown.

20

Page 161: Les Francais en Afrique

140 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

oreille : un croiseur allemand vint mouiller dans la baie de Sangerea, débarqua Adngt sol-

dats d'infanterie de marine et le Dr Nachtigall occupa Corrcrah au nom de Sa Majesté ger-

manique.

Cet incident suscita à Paris une certaine émotion : des représentations furent faites par

la France et à la suite des négociations diplomatiques qui s'engagèrent, il fut prouvé à

l'Allemagne que le chef de Corrcrah qui avait traité avec le Dr Nachtigall n'était que le

vassal du roi du Caloum qui, lui, s'était lié envers la France dès 1880; par la convention

du 24 décembre 1885, le cabinet de Rerlin reconnut nos droits sur tout le Caloum et sur

l'île de Conakry, bien qu'à cette

époque ce fût une maison allemande

qui y fit la plus grande partie des

affaires locales.

L'année suivante, des troubles

et des dissensions entre les chefs

ensanglantèrent le Caloum. Pour

mettre fin aux massacres et aux

razzias d'esclaves qui décimaient la

population, l'aviso VArdent prit

possession de File de Tombo, sur

laquelle s'élève le village de Cona-

kry, où étaient établies plusieurs

factoreries et y hissa le pavillon

CONAKRY.- Boulevard du Gouvernement. français. Quelques mois après, les

(CollectionLEPRINCE-MACLAUD.) factoreries et le détachement ayant

été menacés, une action énergique fut décidée. Conakry, Roulbiné, puis Dubreka furent

bombardés et l'ordre enfin rétabli par l'établissement d'un roi du Caloum.

Des guerres incessantes dévastaient les bords du Rio-Nunez, au cours desquelles,

malgré la garnison établie à Roké, les factoreries du bas de la Rivière étaient souvent pillées

et brûlées. Pour rétablir l'ordre, un aviso arrivait du Sénégal, remontait les rives du fleuve,

bombardait quelques villages et s'en retournait après avoir fait signer un traité au chef.

Mais à peine était-il hors de vue que les pillages et les massacres recommençaient. Il n'en

est plus de même maintenant qu'une compagnie de tirailleurs sénégalais a un posteinstallé en permanence à Conakry et un autre à Ouassou, appuyés par un corps de milice

locale. L'un des chefs indigènes qui le premier apprirent à leurs dépens que la liberté du

pillage était désormais supprimée, fut Dinah-Salifou, roi des Nalous. Il avait été envoyé

par le gouvernement à l'Exposition universelle de 1889 et reçu à Paris avec tous les hon-

neurs dus à un souverain protégé de la France. A peine rentré dans ses États, il se crut

un grand guerrier et saccagea toute la région qui s'étend du Rio-Nunez au Compony. Il

fut tout simplement arrêté et transporté au Sénégal où il vécut jusqu'en 1898 d'une faible

pension arrachée à la mansuétude du gouvernement français.

III

C'est de l'année 1890 que date l'organisation et l'on pourrait même dire l'établissement

de la colonie. Un décret du 1er août 1889 séparait du Sénégal les Rivières du Sud et dépen-

dances, qui étaient placées sous les ordres d'un lieutenant-gouverneur, résidant à Cona-

Page 162: Les Francais en Afrique

LA GUINEE FRANÇAISE 141

kry (1) et administrant les Rivières du Sud proprementdites; il relevait directement du gouverneur du Sénégal,et avait sous sa direction la Cèle d'Or avec un résidentà Grand Rassam et les Établissements français du Béninavec un résident à Porto-Novo. Cette organisation a étémodifiée successivement en 1891 et en 1893, et depuis lors lacolonie de la Guinée française se trouve constituée, par les bas-sins du Nunez, du Pongo, de la Dubréka, de la Mellacorée et le

protectorat du Fouta-Djallon. De 1892 à 1894, Samory avait étésuccessivement repoussé par les troupes soudanaises du moyen

Niger, du Dinguiraye, puis du haut Niger et rejeté dans l'hinter-land de Libéria. Le cercle de Faranah, qui avait été constitué Olababiano,chefduvillage,

par les autorités militaires (colonel Combe), au moyen d'une

partie du Couranko, du Sankaran, des pays Diallonkés et du Houré, fut rattaché à la

Guinée, le 1er janvier 1896.

Le gouvernement général de l'Afrique occidentale française a été créé le 16 février

1895. Toutes les colonies de la Côte occidentale d'Afrique, le Congo français excepté, sont

placées, au point de vue politique et militaire, sous la haute autorité d'un gouverneur généralrésidant à Saint-Louis. Néanmoins chacune conserve entière son autonomie économique et

budgétaire.

IV

Au delà de la région côtière s'élèvent de hautes montagnes qui forment le massif mon-

tagneux du Fouta-Djallon, ce pays, qui par sa position géographique, la douceur et la

salubrité relatives de son climat dues à son altitude élevée, deviendra peut-être un jour le

centre de notre empire colonial dans l'ouest africain (2).Là prennent leur source le Sénégal, la Gambie, les affluents de la rive gauche du haut

Niger, les fleuves qui arrosent la Guinée portugaise et la petite Scarcie. La population

appartient à des tribus très différentes de leurs voisines et qui semblent se rattacher à une

race originaire d'Egypte. Ce sont les Foulas, conquérants du pays, bien supérieurs comme

intelligence aux races noires, quoique dissimulés, menteurs, pillards et sanguinaires. Ils ne

sont musulmans que depuis deux cents ans et, comme tous les néophytes, ils ont la foi

ardente; ils ont toléré, à cause de la communauté de religion, l'arrivée dans le pays d'un

grand nombre de Malinkés qui, grâce à leurs aptitudes toutes spéciales pour le commerce,

1. Conakry était à ce moment un village de trois cents habitants, divisé en deux groupes, l'un Conakry proprement

dit, l'autre Boulbiné enfoui au milieu d'une brousse très dense couvrant toute la surface de l'île de Tombo qui a

trois kilomètres de long sur un de large. 11existait une factorerie allemande à Boulbiné, une factorerie française à

Conakry et un traitant européen non loin de cette dernière. Les débuts furent donc très pénibles. 11fallut tracer

des rues, bâtir des maisons et baliser le port, en même temps que maintenir l'administration dans les rivières, et

tout cela avec des ressources très minimes, le budget n'atteignant pas alors 400.0Û0 francs et la colonie ne recevant

aucune subvention de la métropole. Le budget s'élève aujourd'hui à trois millions et la ville de Conakry, si elle

n'est pas la plus importante par le chiffre de sa population, est du moins la plus jolie peut-être et la plus prospèrede toutes les cités de l'Afrique occidentale. Elle est bâtie sur File de Tombo, qui est rattachée à la presqu'île du

Caloum par un pont en fer. Une route carrossable conduit actuellement jusqu'à Friguiagbé, à 135 kilomètres dans

l'intérieur, et bientôt un chemin de fer suivra à peu près le tracé de la route actuelle et aboutira dans le voisinagede Timbo, capitale du Fouta-Djallon ; il sera plus tard continué jusqu'à Kouroussa, ville où se termine le bief navi-

gable du haut Niger.2. « Si un grand empire vient jamais à se fonder dans le Soudan français, disait le général Galliéni, c'est à

Timbo, dans le Fouta-Djallon, que sera la capitale. »

Page 163: Les Francais en Afrique

142 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

ont acquis la richesse et ont réussi, par ce moyen, à se faire quelquefois nommer chefs au

détriment des ATrais Foulas.

Le Foula est essentiellement pasteur; sa fortune consiste en boeufs, et en captifs qu'il

considère presque comme des membres de sa famille ; la case foulane est une petite hutte

ronde dans laquelle on n'entre qu'en rampant et n'est nullement comparable à l'habitation

confortable que constitue la case des Soussous de la côte; c'est plutôt un campement qu'une

maison proprement dite.

Les populations de race foula forment une ligne presque continue de l'Abyssinie au

Fouta-Djallon par le Darfour, le Ouadaï, le Rornou, le Rorgou et le Massina. Tout semble

démontrer, avons-nous dit, que ce

peuple est de race éthiopienne rou-

ge, ainsi que l'indique son nom qui

est encore celui des habitants de

l'Egypte ; les Foulas paraissent aus-

si avoir apporté dans le pays le

boeuf et surtout le zèbre, aux-

quels ils sont seuls à savoir donner

les soins qui leur conviennent (1).

A la suite de longues luttes

avec les premiers habitants du

pays, ils réussirent à fonder un

empire dont l'indépendance fut

toujours précaire, constamment

menacé qu'il était par les insur-

Marché de Torré. rections et par les attaques de ses

( collection LEPRINCE-MACLAUD.) puissants voisins. De plus, des

guerres civUes continuelles entre les prétendants au pouvoir suprême ne cessèrent de le

troubler jusqu'au jour où l'occupation française y établit un ordre de choses régulier.

Dans les premiers mois de 1896, l'almamy Rokar-Riro (il ne devait son trône qu'à l'appui

de la France qui l'avait soutenu moralement contre ses compétiteurs et lui avait permis de

recruter des troupes en territoire soussou pour chasser ses adversaires) se pro-

nonça contre nous et refusa nettement à l'administration do la colonie le terrain nécessaire

pour la construction d'un poste à Timbo. Dès que la fin de la saison des pluies le permit,

une colonne expéditionnaire fut envoyée dans le Fouta-Djallon. Elle occupa Timbo sans

difficultés. L'almamy Rokar-Riro, battu à Porrédaka, dut s'enfuir accompagné seulement de

quelques fidèles. Il tomba entre les mains de l'un de ses adversaires, Sori-Illély, qui le fit

décapiter. Sori-Illély nommé almamy par nous, fut assassiné peu après par les fils de sa

victime, et c'est son fils, Raba-Alimou, qui règne maintenant sur les Foulas.

1. Les Foulas sont arrivés au Fouta-Djallon à une époque relativement récente. Ils n'ont conservé qu'un souvenirassez indistinct du lieu dont ils sont venus et qu'ils désignent sous le nom de Kafi; ils se rappellent cependantavoir traversé la ville de Djenné. L'invasion foulane eut lieu en deux fois : la première s'opéra sous la directiond'un chef nommé Colipouli et se composait de Peuls complètement fétichistes, qui le sont même en grande partieencore aujourd'hui : les Foulacoundas, qui s'établirent dans la région nord du Labé. La seconde invasion, plusnombreuse et composée de gens ayant déjà été en relations avec des musulmans, entra dans le Fouta actuel parla vallée du Tinkisso. Cesdeux invasions s'accomplirent d'une façon toute pacifique. Avec l'autorisation des habitantsdu pays, les Diallonkés, les Foulas installèrent leurs campements et leurs parcs à bestiaux à quelque distance desvillages et dans les parties non cultivées. Peu à peu les premiers établis reçurent leurs parents et leurs amis, et leurnombre augmenta au point de devenir une menace pour les propriétaires du sol auxquels ils payaient une rede-vance.

Page 164: Les Francais en Afrique

LA GUINÉE FRANÇAISE 143

Mais le Fouta-Djallon, malgré cette ombre demonarchie indigène n'en a pas moins perdu son in-

dépendance; il est administré comme les autrescercles de la colonie et l'autorité do l'almamy nes'étend plus que sur trois provinces voisines de

Timbo.

V

Telle qu'elle est constituée aujourd'hui en vertu

des traités signés avec les puissances voisines et des

derniers arrangements conclus avec la colonie du

Sénégal et l'ancienne colonie du Soudan, la Guinée

française s'étend du 9° au 12°,30 de latitude nord et

du 10° au 17°,30 de longitude ouest. Elle est limitée

au nord par la Guinée portugaise, au nord-est par le

Sénégal et le Soudan, au sud par les établissements

anglais de Sierra-Leone. La frontière n'est pas encore '

tracée sur le terrain entre notre colonie et la Repu- GUINÉE.— Cased'indigène.

blique de Libéria (1).(Collection LiPBmcE-MACLAu».)

Le territoire de la colonie est formé de trois zones, nettement séparées :

1° Les pays Soussous, c'est-à-dire les bassins des fleuves côtiers du Nunez à la Kolenté

ou grande Scarcie ;

2° Le Fouta-Djallon, région de montagnes et de plateaux où les Foulas sont la popula-tion gouvernante, et d'où sortent le N'Gabouël, la Gambie, la Falémé, le Rafing, appelé plusbas Sénégal, et le Tinkisso, affluent du Niger. A cette région se rattache le Dinguiraye, dont

la population de race toucouleure a un chef particulier n'ayant aucune relation avec l'almamydu Fouta ;

3° Les pays Malinkés, qui s'étendent dans le bassin supérieur du Niger, forment le cer-

cle de Kouroussa, de Siguiri, de Kankan et une partie de celui de Faranah ; le Kouranko qui a

formé le sud du cercle de Faranah, le cercle de Kissidougou et une partie de celui de Reyla,n'est qu'une fraction des Malinkés ; enfin un groupe assez nombreux de Diallonkés, proba-blement de race soussou, venus du Fouta-Djallon, occupe la rive gauche du haut Niger, dans

1. Aussitôt que leur indépendance fut proclamée, les États-Unis de l'Amérique du Nord abolirent, en 1795, la

traite des noirs. L'esclavage continua, jusqu'à la guerre de sécession, à subsister dans les États du Sud, mais l'impor-tation de nouveaux esclaves y fut sévèrement interdite. Les quakers de Pensylvanie, à qui était en grande

partie due cette mesure d'humanité, rachetèrent alors autant d'esclaves qu'ils purent et les affranchirent. Mais,

comme les préjugés américains ne permettaient pas aux noirs émancipés de s'établir aux États-Unis et d'y vivre

dans une condition honorable, la Société américaine pour l'émancipation des hommes de couleur acheta sur la

côte d'Afrique un territoire où devaient être transportés les noirs et les hommes de couleur libres qui voudraient

s'expatrier. On espérait ainsi arrêter aux États-Unis l'accroissement de la race noire et établir au sein même des

régions africaines un foyer de civilisation.

C'est à la fin de 1821 que fut acheté, par la Société américaine, le territoire qui entoure le cap Mesurado, sur la

côte des Graines, et qui, en témoignage des nobles sentiments des antiesclavagistes américains, prit le nom de

Libéria. Le premier établissement ne fut pas heureux ; les émigrants eurent à lutter contre les maladies, à repousser

les attaques des indigènes et la plupart périrent. Biais peu à peu la paix s'établit avec les voisins, les conditions

hygiéniques s'améliorèrent, le nombre des colons augmenta ; la ville de Monrovia commença à s'élever au bord de

la mer et un port y fut créé. Au mois d'août 1847, l'indépendance de Libéria fut proclamée. La nouvelle république

se donna une constitution calquée sur les institutions américaines et, au contraire de Haïti, elle n'a cessé de se

développer sans qu'aucune révolution violente ne soit venue entraver son développement. Il est à remarquer que,

de par cette constitution démocratique, aucun blanc ne peut devenir citoyen de l'État de Libéria.

Page 165: Les Francais en Afrique

144 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

le voisinage de Faranah, s'étendant jusqu'à la rive gauche du Mongo, affluent de la Kaba

ou petite Scarcie.

Le climat de la Guinée tient de celui des deux régions entre lesquelles ce pays est situé :

le Congo et la Sénégambie. Des pluies périodiques y succèdent à des périodes de sécheresse

extrême. L'extrême chaleur et les fièvres en rendent le séjour prolongé dangereux pour les

Européens.

L'aspect de la côte est d'une rare magnificence. L'embouchure des rivières est ombragé

d'épaisses forêts de mangliers, de palmiers, d'arbrisseaux qui, avec les hautes herbes, for-

GUINÉE. — Pont sur la route du Niger.(Collection LEPBINCE-MACLACD.)

ment des buissons et des fourrés où l'on ne peut pénétrer qu'à l'aide de la hache. Des

faisceaux inextricables de plantes sarmenteuses tombent du sommet des arbres, puis, ayant

repris racine en touchant la terre, se dressent de nouveau pour s'attacher de nouveau à

d'autres branches.

« A part dans la région du Nunez, où l'on trouve des bancs de sable près de l'estuaire

de ce fleuve, dit M. Famechon, dans sa belle monographie de la Guinée française, publiéeà l'occasion de l'Exposition universelle de 1900, les côtes de la Guinée sont partout basses

et composées de terres alluvionnaires, bordées d'un épais rideau de palétuviers, et décou-

pées en une infinité d'Ues et d'ilôts par des canaux, qui constituent les estuaires des nom-

breuses rivières arrosant le pays. La marée se fait sentir assez loin dans l'intérieur, en

général sur tout le parcours où les fleuves sont navigables ; ainsi, pendant la saison sèche,

l'eau est saumâtrc jusqu'à Roké, dans le Nunez, et à Forécariah, dans la rivière de ce nom,

qui sont les points terminus de la navigation pour les petits caboteurs. Les parties basses et

marécageuses des côtes sont d'une fertilité extraordinaire et les populations, Ragas dans le

nord, Mandényi dans le sud, font croître dans cette boue noire et gluante d'abondantes

récoltes d'un riz à grains très gros et auxquels la cuisson fait prendre un volume consi-

dérable.

Page 166: Les Francais en Afrique

LA GUINÉE FRANÇAISE Wi

« Après les terres basses de la côte on pénètre dans la région des collines, qui est le

pays soussou proprement dit. D'innombrables rivières descendant du Fouta-Djallon coulentau fond des vallées, que leurs eaux fertilisent, et, de loin, tous les cours d'eau sont

indiqués par la ligne vert sombre de l'épaisse végétation qui les borde. Toujours à proximitéd'un ruisseau, au milieu d'un fouillis d'arbres fruitiers parmi lesquels dominent les colaticrset les bananiers, sont cachés les vil-

lages indigènes vers lesquels un bos-

quet d'énormes fromagers sert inva-

riablement à diriger la marche du

voyageur.« Les vallées du pays Soussou

sont d'une grande fertilité ; la popu-

lation y est assez dense, mais, à une

cinquantaine de kilomètres delà côte,

on se heurte à une première chaîne

de montagnes, aux sommets dénu-

dés, et aux pentes abruptes, qui est

assez pénible à franchir bien que

relativement peu élevée. Derrière ces

montagnes se trouve une région de Casede chef indigène.

plateaux presque horizontaux, mais (Collection LEPRIHCÏ-MACMED.)

légèrement inclinés vers le nord ou le nord-est, dont le sol est quartzeux ou argilo-ferru-

gineux et sur lesquels pousse pendant la saison des pluies une herbe verte, fine et drue, qui

constitue un excellent pâturage : c'est le oulaï des Soussous ou le boival des Foulas. Dès

qu'arrive la saison sèche, l'herbe jaunit, et au bout de quelques semaines, l'incendie, que

les noirs allument périodiquement, sans se rendre compte qu'ils ruinent les richesses

végétales de leur pays, se propage en quelques heures sur des étendues énormes, ne laissant

qu'un peu de cendre noire et de la roche calcinée là où l'on pouvait, deux mois auparavant,

se croire au milieu de pâturages du nord de la France. La comparaison avec nos prairies

d'Europe vient d'autant plus facilement à l'esprit que, dans toutes les ondulations du sol où

un peu de terre végétale a pu s'amasser, il croit de longues lignes d'arbres et d'arbustes

semblables aux haies vives de notre pays.« Au delà du Fouta-Djallon est le bassin du Niger; à part le pays montagneux du

Tembicounda, dont sort le fleuve, tout le pays traversé par le haut Niger et par ses affluents

est une vaste plaine où la terre arable a plusieurs mètres d'épaisseur, irriguée par do

nombreux cours d'eau... La plupart des plantes qui poussent clans les régions méridionales

de la France prospèrent dans le haut Niger, et on y trouve en abondance des forêts pour

ainsi dire inexploitées de touloucouna, de karité, de lianes à caoutchouc de différentes

espèces et d'une quantité de plantes non encore utilisées, ni même complètement connues. »

VI

Le territoire de la Guinée française est, en général, d'une très grande fertilité. Aussi la

colonie s'est-elle imposé d'assez fortes dépenses pour acclimater les cultures qui seraient

susceptibles d'être propagées avec avantage dans le pays. En même temps, on enseigne

aux indigènes les méthodes européennes d'agriculture. En 1897, un jardin d'essai a été créé

Page 167: Les Francais en Afrique

146 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

dans les environs de Conakry : nombre de plantes y ont été introduites qui semblent de-

voir donner, dans l'avenir, aux planteurs, des sources précieuses de profits. Près de Timbo,

dans une ferme modèle, on s'occupe plus particulièrement d'élevage, sous la direction de

l'administration du Fouta-Djallon.En attendant l'achèvement de la construction du chemin de fer qui doit relier Conakry

au Niger en traversant le Fouta, une route carrossable a été ouverte et les travaux en sont

poussés assez activement pour que l'on puisse disposer, à bref délai, de moyens de com-

munications rapides entre la côte et l'intérieur.

Déjà, depuis 1890, point de départ de l'existence propre de la colonie, a commencé une

période de développement continu des échanges commerciaux ; elle ne peut que s'accélérer

grâce à l'annexion, en 1901, des cercles de l'ancien Soudan qui ont doublé la superficie du

territoire guinéen. Aux arachides qui, depuis la suppression de la traite, constituaient le

principal objet d'exportation, a succédé le caoutchouc dont la récolte fort productive dépasse

aujourd'hui la valeur de six millions de francs.

Les grands travaux nécessités par l'accroissement de Conakry, la construction d'un

port, d'un chemin de fer, de routes, créent des besoins nouveaux, provoquent des agglomé-rations d'Européens et d'indigènes, qui exerceront les plus heureux effets sur le déve-

loppement ultérieur de la colonie. Il fallait surtout en finir avec l'état de dépendance éco-

nomique qui faisait de la Guinée française une sorte d'annexé de&établissements anglais de

Sierra-Leone. Des mesures de protection furent prises, en 1897 un droit spécial frappa les

marchandises étrangères européennes importées par voie indirecte. Aujourd'hui .tout le com-

merce de la colonie passe par Conakry, auquel ce mouvement donne une très grande activité.

Les négociants français du Sénégal, se rendant compte de l'importance sans cesse grandis-sante du nouveau centre commercial qui venait d'être créé, ont à leur tour installé des comp-toirs. De plus en plus nombreuses sont les compagnies qui viennent installer des succursales

à Conakry, mais, malgré les craintes que l'on en avait pu concevoir un instant, la capacitécommerciale du pays n'a pas été dépassée par l'extension de son mouvement d'affaires.

C'est à nos commerçants, à nos compagnies de navigation surtout à ne pas déserter la

lutte. La situation est des plus favorables pour eux : de leur adresse, de leur persévérance,dépend l'ouverture à leur profit d'un des marchés les plus importants et les plus actifs del'occident africain.

CONAKRI. — Porteurs indigènes.

Page 168: Les Francais en Afrique

DAHOMEY. — LE FLEUVE OUÉMÉ A SAGOU.

BE DAHOMEYET LA COTE D'IVOIRE

CARTE DU DAHOMEY.

21

Page 169: Les Francais en Afrique

Il serait intéressant que le Dahomey, devenu fran-

çais, fût complété au nord par la possession du terri-

toire qui s'étend jusqu'au Niger, c'est-à-dire jusqu'auSoudan français.

E. MARÉCHAL.

L'hinterland est une prime d'encouragement aux

explorateurs. C'est une arène offerte aux ambitions

des conquistadores contemporains.

Edouard DRIAULT.

Page 170: Les Francais en Afrique

PORTO-XOVO. — UN COIN DU PETIT MARCHÉ.

(Collection de M. TROULLET.)

CHAPITRE X

LE DAHOMEY ET LA COTE D'IVOIRE

E Dahomey est situé sur la côte des Esclaves; il est limité à l'ouest par le paysdes Achantis, occupé par les Anglais et les colonies allemandes de Togo et de

Popo ; à l'est par la République de Abcokouta et la colonie anglaise de Lagos ;au nord par les possessions françaises du Soudan. Sa longueur du nord au sud est d'environ

200 kilomètres ; il renferme une population de 200.000 à 300.000 habitants dont 60.000dans la capitale. Abomey, et iO.000 dans le principal fort, Ouidah. La colonie allemande de

Togo le sépare des établissements français de la Côte d'Ivoire que limite à l'ouest la Répu-

blique de Libéria.

Dès le xme siècle, cette partie de la côte de Guinée avait été visitée par les navigateurs

européens et la preuve semble faite aujourd'hui que, contrairement à ce que l'on croyaitautrefois, l'honneur d'y avoir fondé les premiers établissements ne revient point aux Por-

tugais, mais aux Français.L'escadre dieppoise qui, en 136(3. vint mouiller au cap Vert, dans une baie qui portait

encore trois siècles après le nom de Raie de France, descendit jusqu'à Sierra-Leonc et jus-

qu'à l'embouchure du Rio Sestos, auprès d'un village que les marins appelèrent le Petit

Dieppe. Le trafic entre cette côte et les ports de la Normandie continua et peu après le

comptoir du Petit Paris fut fondé. Le géographe hollandais Draper, décrivant en 1686 le fort

de las Minas, le représentait comme un bâtiment très ancien. Une des parties portait le nom

de Batterie des Français; elle renfermait une pierre portant gravés les deux premierschiffres du nombre 1300, mais il était impossible de distinguer les deux autres.

Vers la fin du xive siècle, les établissements français eurent à lutter contre les Portugais.Ils éprouvèrent des alternatives diverses de succès et de revers, de nouveaux postes furent

Page 171: Les Francais en Afrique

150 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

même créés à Accra et à Cormentin, en 1576, mais les Portugais finirent par l'emporter et

restèrent pour un temps les seuls maîtres du pays.

Ce furent encore les Dieppois qui, les premiers, fondèrent dans ces parages de nou-

veaux établissements. En 1635, un marin de ce port, nommé Jean Préault, obtint des chefs

indigènes l'autorisation de fonder un comptoir commercial et, depuis cette époque, le

pavillon français n'a plus cessé de flotter sur cette région. Sous le règne de Louis XIV,

le commissaire de la marine d'Elbéc se fit céder un territoire à Ouidah par le roi de

Ardra qui envoya une ambassade en France. Par un édit du 28 mai 1664, les différents

établissements de la côte furent

placés sous le contrôle de la Com-

pagnie des Indes Occidentales à

laquelle succéda, en 1685, la

Compagnie de Guinée qui obtint,

pour cette région, le monopole

de la traite des esclaves.

Au cours du XVIII" siècle, les

forts construits par nos natio-

naux furent tour à tour pris et

repris par les Français et les

Anglais. En 1797, le fort de

Ouidah cessa même d'être occupé

militairement, cependant le pa-

DAHOMEY.- Marché de Savaiou. villon tricolore y resta déployé,(Collectionde M. TROLMLLET.) gardé successivement par un an-

cien sous-officier, par le chef du salam ou quartier français et, enfin, par une maison de

commerce de Marseille.

Il subsiste encore, sur toute la côte, de nombreux vestiges de l'ancienne domination

française. Les mines des forts de Takoray, de Cormentin, d'Elmina, d'Ardra témoignent

du séjour de nos compatriotes et des luttes qu'ils y ont soutenues.

A l'époque où les Français et les Portugais fondèrent leurs premiers établissements sur

la côte de Guinée, qui forme maintenant le Dahomey, le pays était divisé en quatre grandsÉtats : les royaumes de Juda, d'Ardra, de Djaquin et le pays des Foins ou Foys. Le

royaume de Juda était situé sur la côte même; le pays des Foys s'étendait au nord des

marais de Co, et le royaume d'Ardra les séparait, touchant à la mer par les deux villes de

Godomey et de Kotonou. Quant au royaume de Djaquin, sa capitale était Abomey. Au

commencement du xvnc siècle, un chef nommé Tacoudounou s'empara du pays des Foys et

fonda le royaume du Dahomey qui, cent ans plus tard, de 1724 à 1727 devait, par la con-

quête, s'annexer les trois autres Etats et acquérir ainsi une importance politique considérable.

En l'année 1610, un frère de Tacoudounou allait s'installer dans les pays situés à l'est

d'Ardra et y fondait le royaume de Porto-Novo, qui subsiste encore aujourd'hui sous le pro-tectorat de la France.

L'histoire du royaume du Dahomey est celle de tous ces États militaires nègres,fondés sur la violence, se maintenant par la violence et le massacre. Il se maintint cepen-dant en paix avec les établissements européens fondés sur la côte; mais ceux-ci, pourse préserver du pillage, durent protéger leurs comptoirs en établissant des forts gardés

par des hommes en armes.

Page 172: Les Francais en Afrique

LE DAHOMEY ET LA COTE D'IVOIRE 151

Pendant toute la première moitié du xix° siècle, aucun effort nefut fait par la France pour ressaisir les comptoirs abandonnés.C'est seulement en 1856 qu'ils furent réoccupés, conformémentaux conclusions d'un rapport de l'amiral Rouct-Wuillaumez qui,dès 1842, avait installé à l'anse des Pêcheurs, sur la Côte d'Ivoire,un dépôt de combustible et de ravitaillement.

Cette nouvelle prise de possession fut consacrée par lestraités de paix et d'amitié conclus entre le gouvernement françaiset les chefs indigènes. C'est ainsi qu'en 1861, un protectorat nomi-

nal fut établi sur le royaume de Porto-Novo.

Avant cette époque, les Français ne possédaient dans cette

contrée que des factoreries; les Anglais, désireux d'étendre la zone Femmede Ouidah.

commerciale et politique de leur colonie du Lagos, avaient essayé,

par des présents d'abord, puis par des menaces, de se faire concéder le protectorat du pays.Le 23 avril 1861, passant de la menace à l'action, une canonnière anglaise bombarda Porto-

Novo. Le roi Sodji, craignant d'être dépossédé, comme l'avait été son voisin de Lagos,arbora le pavillon français et conclut avec les représentants de la France un traité de

protectorat. Deux ans après, en 1863, par une convention que confirma plus tard le

traité du 19 avril 1878, le territoire de Kotonou fut cédé à la France par le roi du Dahomey.En 1868, des différends se produisirent entre le roi Meppon, successeur de Lodji, et les

représentants de l'autorité française. Le 23 décembre de la même année, l'amiral Laffont de

Ladébat fit amener à Porto-Novo le drapeau tricolore, semblant ainsi abandonner ce pays

qui fut dès lors troublé par les incursions des Dahoméens. En 1870, l'évacuation complètedes colonies de la Côte d'Ivoire fut décidée. La maison Verdier, de la Rochelle, en obtint la

concession. Elle dut y défendre son commerce à ses risques et périls et par ses propres

moyens; elle apporta à cette tâche une telle énergie que, malgré les tentatives des Anglaisinstallés à la Côte d'Or, elle réussit à garder à la France les comptoirs du Grand Rassam et

d'Assinie, de même que, grâce aux maisons Régis et Fabre, de Marseille, notre drapeaucontinuait à flotter sur Porto-Novo.

En 1878, le roi Toffa, qui avait remplacé Meppon, rentra en relation avec le gouverne-ment français par l'intermédiaire des représentants des maisons de commerce, dont l'un

reçut le titre de vice-consul de France. C'est également par cette voie que les rapports furent

rétablis avec le roi du Dahomey, Glé-Glé, qui signa, le 19 avril 1878, un traité par lequel il

confirmait la cession de Kotonou et autorisait les Français à s'établir librement dans ses

États. Jusqu'en 1882, les influences françaises et anglaises luttèrent pour l'installation dans

ces régions d'un régime politique définitif.

La question fut tranchée pour le royaume de Porto-Novo par un décret du 14 mai 18S2,

rendu sur la demande même du roi Toffa et des principaux habitants du pays, et en

vertu duquel le protectorat de la France devenait effectif. Un résident fut établi à Porto-

Novo qui devait exercer les fonctions de « commandant particulier du golfe de Rénin ». Le

19 juillet 1883, un nouveau décret plaçait définitivement sous notre protectorat les Popos,

qui comprenaient alors Porto-Sejouro, Agoué, le Petit et le Grand-Popo.

Le 1er juillet 1884, le lieutenant-colonel d'infanterie de marine Disnematin-Dorat débar-

quait à Kotonou, avec un détachement de trente tirailleurs sénégalais, en qualité de résident

de France, chargé d'exercer le protectorat sur le royaume de Porto-Novo.

L'attention du nouveau résident fut immédiatement appelée sur le Dahomey où le roi

Page 173: Les Francais en Afrique

152 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Glé-glé, circonvenu par les Allemands, les Anglais et surtout par les Portugais, apportait

une mauvaise volonté évidente à remplir les engagements qu'il avait pris par le traité de

1878. Diverses communications officielles à lui adressées restèrent sans réponse. Un in-

cident grave se produisit à Kotonon même; le 13 septembre 1885, le pavillon portu-

gais y fut arboré en face du pavillon français, et le lieutenant Roget, résident intéri-

maire en l'absence du lieutenant-colonel Dorât, ne put que protester énergiquement

contre cette violation flagrante des conventions. Enfin le 18 janvier 1886, à l'instigation

de l'agent du roi Glé-glé à Ouidah, le chacha Julio du Souza, le Portugal fit une décla-

ration de protectorat sur le

Dahomey.

La situation devenait graATe.

Des négociations actives s'en-

gagèrent entre les cabinets de

Paris et de Lisbonne, à la suite

desquelles le Portugal reconnut

les droits de la France et

renonça à ses prétentions.

Quant au chacha Julio, Glé-glé

le fit arrêter en 1887, et il mou-

rut en prison en 1892, à Abo-

mey, peu avant l'arrivée des

troupes françaises dans cette

ville.

ROYAUMEDEPORTO-NOVO.— Les rois d'isanhim. Le 7 mai 1886, le colonel

(Collection de M. TROUILLET.) Dorat s'embarquait pour la

Franco, laissant de nouveau au lieutenant Roget l'intérim des fonctions de commandant des

établissements français du golfe de Rcnin, attachés au Sénégal par décret, trois mois après.

A la fin de la même année, le docteur Rayol, lieutenant gouverneur du Sénégal, débar-

quait aux Popos. Il avait pour mission de procéder aux travaux de délimitation dans la côte

occidentale d'Afrique et de régler la mise en application de la convention du 24 décembre 1885,

en vertu de laquelle l'Allemagne accordait à la France certaines concessions clans les rivières

du sud du Sénégal et prenait possession, en échange, des territoires de Porto-Seguno et

Petit-Popo, qui forment aujourd'hui la colonie du Togoland. Ces travaux étant achevés,

M. Rayol se rembarqua le 6 mars 1887, laissant le commandement provisoire des établisse-

ments à l'administrateur Pereton.

Cependant le gouvernement anglais ne cessait d'entraver le libre développement de la

colonisation française. De nouvelles difficultés surgissaient à chaque instant; les commerçants

de Porto-Novo se plaignaient d'un état d'incertitude et de troubles qui leur portait un sérieux

préjudice; presque chaque jour enfin, les tirailleurs sénégalais au service de la France et les

haoussas armés par l'Angleterre échangeaient des coups de fusil. Un incident, dont les con-

séquences auraient pu être incalculables, était toujours à craindre.

M. Victor Ballot, directeur des affaires politiques du Sénégal, dont le nom parait

ainsi pour la première fois dans l'histoire du Dahomey, fut chargé d'étudier sur place

le règlement de ces difficultés. Il se rendit à Lagos et signa, le 2 janvier 1888, avec le gou-

verneur de celte colonie, une convention provisoire, qui établissait un modus vivendi

acceptable pour les deux parties.

Page 174: Les Francais en Afrique

LE DAHOMEY ET LA COTE D'IVOIRE 153

Avant do repartir pour la France, M. Rallot jeta les bases de

l'organisation politique et administrative du protectorat.Le commencement de l'année 1889 amena de nouvelles diffi-

cultés : l'attitude du roi de Dahomey devint menaçante. Il déclaran'avoir jamais eu connaissance des clauses du traité de 1878, et ses

guerriers recommencèrent leurs incursions et leurs pillages sur leterritoire de Porto-Novo. Ils s'avancèrent jusqu'à une dizaine de

lieues de la capitale. Au mois de juin, M. Rayol, envoyé par le

gouvernement français, revint au Dahomey et se rendit à Abomey

auprès du roi Glé-glé. Le 12 octobre de la même année, à la suite

de la convention franco-anglaise du 10 août 1889 qui fixait,,...! . , , . , ., Jeune fille de Ouidah.les limites des possessions des deux pays jusqu au neuvième

degré, M. Ballot revenait prendre la direction du protectorat, en qualité de résident.

Sa tâche fut d'abord d'organiser le pays et d'y établir une administration juste et

éclairée. Puis, en raison des événements, il créa une milice, recrutée parmi les Européens et

les indigènes pour assurer" la protection du pays. Elle se composait de quatre cents

hommes et pouvait être mobilisée par le lieutenant-gouverneur, ou, en cas d'urgence, parle résident.

Le voyage de M. Rayol à Abomey n'avait pas eu, en effet, les résultats espérés. L'envoyéde France avait été reçu avec beaucoup d'égards, mais, pas une seule fois, il n'avait pu entre-

tenir Glé-glé du sujet de sa mission. En même temps, il put bientôt s'apercevoir qu'il était

l'objet d'une surveillance étroite, des plus menaçantes pour sa liberté. Enfin, le 29 décembre

1889, eut lieu une grande réunion de chefs, à laquelle assistait, non le roi Glé-glé, mais son

fils, le prince Kondo, depuis Behanzin. A peine M. Bayol eût-il commencé à exposer les

revendications de la France que Kondo lui répondit insolemment en déclarant que la bonne

foi de son père avait été surprise, que la loi du pays interdisait au roi d'aliéner aucune por-tion du territoire et que le gouvernement français avait renoncé à occuper Kotonou. M. Bayoln'avait plus qu'à se retirer. Le soir même il quittait Abomey et se dirigeait rapidementvers la côte. Sa marche fut rapide, heureusement pour lui, car des messagers avaient

été dépêchés à sa poursuite, avec ordre de le ramener à Abomey. Glé-glé était mort dans la

nuit même, et les intentions de Behanzin devenu roi (et qui, sans doute, avait hâté la fin de

son père), ne pouvaient être très rassurantes pour la sécurité du représentant de la France.

Rentré à Kotonou, M. Bayol s'empressa de demander des renforts. Le gouvernement

français décida que Kotonou serait occupé militairement et la guerre se trouva ainsi virtuelle-

ment déclarée.

Un corps expéditionnaire composé de quatre cents tirailleurs sénégalais et gabonais, avec

quatre canons de campagne, fut envoyé immédiatement à Kotonou où il débarqua le 3 janvier

1890. Le commandant Terrillon qui le dirigeait avait à combattre les vingt mille guerriers

et amazones de Behanzin. Il commença par s'assurer de la possession de Kotonou qui fut

attaqué et pris par les tirailleurs, le 23 février. Le lendemain, les Dahoméens revinrent à la

charge, ils furent repoussés. Le 1er mars une reconnaissance était dirigée vers Godomey, mais

le 4, au point du jour, Kotonou fut de nouveau attaqué avec une véritable furie. Les Daho-

méens étaient dix fois supérieurs en nombre à nos troupes. Ils purent un instant espérer

jeter les Français à la mer, mais ils se heurtèrent à une telle résistance, qu'après avoir subi

de grosses pertes, ils durent se retirer.

De nouveaux combats furent livrés à Bedji, puis à Atchoupa, où les Dahoméens perdirent

Page 175: Les Francais en Afrique

154 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

quinze cents hommes. Ce n'est pas sans avoir eu à surmonter de multiples obstacles que nos

troupes avaient pu remporter ces victoires. Non seulement la nature même du pays et le

climat entravaient leur action, mais l'armée même de Behanzin était loin d'être dénuée

de toute valeur militaire.

« Le Dahoméen, écrivait à cette époque M. Ed. Foa, fait la guerre par surprise ; arri-

ver sans bruit avant le point du jour, alors que le sommeil est profond, envahir un village

et s'en emparer presque sans coup férir, sont la base de sa tactique guerrière... — La

femme y est digne compagne de l'homme, plus

fanatique que lui encore, insouciante de la mort

et se battant avec rage. Les amazones daho-

méennes combattent à pied ; enrégimentées

d'une façon permanente, tandis que les hommes

ne sont appelés sous les armes qu'au moment

delà guerre, elles forment le noyau de l'armée;

elles possèdent un savoir militaire et une dis-

cipline incontestables formant contraste avec

l'attitude désordonnée du reste des troupes.

Les amazones, qui n'étaient, au début, que

des femmes étrangères choisies parmi les pri-

sonniers de guerre, sont aujourd'hui toutes

du pays. Au nombre de trois ou quatre mille,

elles servent au roi d'escorte, de garde d'hon-

neur, l'accompagnant partout où il va; elles se

livrent, en dehors de leurs obligations, à des

exercices continuels. Elles peuvent se marier

avec l'autorisation du roi, et c'est parmi les

FemmesMino de Popo.amazones que sont choisies la plupart des fem-

mes du monarque. »

Le despotisme même des rois de Dahomey faisait de leur domination un outrage à la

civilisation que la France ne pouvait tolérer. Dans aucun autre pays du monde, même en

Afrique, où elle a pourtant si peu de valeur, la vie humaine n'était sacrifiée avec autant

de mépris. C'était surtout à la fête de la Grande Coutume que les massacres faisaient

le plus de victimes.

La fête de la Grande Coutume se célébrait dans des circonstances graves, mais elle ne

prenait son entier et épouvantable développement qu'à la mort du roi. Sur la tombe du

monarque défunt, on immolait des soldats et des danseuses de la cour, et on enfermait son

crâne et ses ossements dans un grand vase d'argile pétrie avec le sang de milliers de victimes

humaines. Les cérémonies horribles de la Grande Coutume commençaient le lendemain de la

proclamation du nouveau roi, les tueries qui précèdent n'en étaient que le prologue. «Au point

du jour, cent hommes et cent femmes sont mis à mort dans l'intérieur du palais. Le roi sort

de sa demeure au bruit de la mousqueterie, et quatre-vingt-dix officiers, cent vingt princes

ou princesses viennent le saluer en lui offrant chacun quatre esclaves destinés aux sacrifices,

puis des boeufs, des moutons, des chèvres, de l'argent et du rhum. Le roi se rend ensuilc au

sépulcre royal, dans lequel on ensevelit soixante hommes vivants, cinquante moutons, cin-

quante chèvres, quarante coqs et une grande quantité de cauris. Il se dirige vers son palais

dont d fait le tour; arrivé devant la porte, on met à mort en sa présence et en son honneur

Page 176: Les Francais en Afrique

BEHANZIN, EX-ROI DU DAHOMEY, PRI^ÏWER DE GUERREAU FORT TARTENSAS (MARTINIQUE).(Photographie communiquée par M. Marcel DLMORET.)

Page 177: Les Francais en Afrique
Page 178: Les Francais en Afrique

LE DAHOMEY ET LA COTE D'IVOIRE 1S7

cinquante esclaves. Cette hécatombe faite, le monarque s'établit

sur une haute plate-forme construite devant son palais. De là,il adresse à son peuple un proche de guerre, lui promettant

beaucoup d'esclaves, et fait distribuer des cauris, des vête-

ments, du rhum. Vis-à-vis de la plate-forme et dans toute la

longueur de la place sont alignées des rangées de tôtes

humaines, fraîches saignantes. Le roi fait approcher trois chefs

ischaggans, spécialement chargés par lui d'aller apprendre à

son prédécesseur que les Coutumes seront désormais mieux

observées. Chacun de ces malheureux reçoit de la main du roi

une bouteille de rhum, une filière de cauris..., puis est immé-

diatement décapité. On apporte ensuite vingt-quatre mannes FemmeNagat de Porto-Novo.

ou corbeilles, contenant chacune un homme vivant dont la

tète seule sort. On aligne ces corbeilles devant le roi, puis elles sont précipitées sur le sol

de la place, où une multitude ivre de sang se dispute les victimes. Tout Dahomyen assez

favorisé pour saisir une victime et lui couper le cou peut aller échanger à l'instant même ce

trophée contre une filière de cauris (environ 2 fr. 50). Le roi ne se retire que lorsque la der-

nière victime est décapitée et quand deux piles sanglantes, l'une de tètes, l'autre de troncs

mutilés, sont élevées aux deux bouts de la place. Pendant dix jours il y a suspension de

massacres, mais le jour seulement, car la nuit ils continuent pour recommencer le dernier

jour de la Grande Coutume. Ce dernier jour a une certaine solennité. Deux hautes plates-

formes se dressent de chaque côté de la porte d'honneur du palais du roi et une troisième

s'élève au milieu de la cour principale. Sur chaque construction il y a seize captifs, quatre

chevaux et un alligator. Les captifs sont placés autour de trois tables, une pour chaque groupe,

ayant devant eux un verre de rhum. Le roi monte sur la plate-forme la plus élevée, adore

solennellement les fétiches nationaux et s'incline devant les captifs; ceux-ci, dont le bras

droit vient d'être délié, boivent à la santé du monarque qui les voue à la mort. On porte en

procession les vêtements du feu roi, et la revue des troupes dahomyennes commence. Dès

que le défilé est terminé, les captifs des trois groupes ont la tète tranchée ou plutôt sciée

avec des couteaux ébréchés. Les chevaux et l'alligator sont égorgés en même temps et les

sacrificateurs apportent un soin minutieux à mêler leur sang à celui des victimes humaines.

Les Grandes Coutumes sont terminées (1). »

De telles atrocités n'étaient possibles que chez un peuple abruti par le fétichisme le

plus grossier.

« Nulle part, dit M. Sauvai, on ne rencontre autant de marques de dévotion qu'au

Dahomey. A chaque coin de rue dans les villages, au pied de chaque arbre dans la cam-

pagne, dans les cours et dans les appartements des maisons, s'élèvent de petits monticules

de terre couverts de poteries pour les offrandes; jamais les gâteaux de manioc ou de maïs

et l'huile de palme n'y font défaut. Les féticheurs sont répandus dans toutes les familles,

parmi les femmes comme parmi les hommes ; les pratiques du culte se mêlent à tous les

actes de la vie. Il semble vraiment que ces malheureux se réfugient dans la religion pour

oublier l'épouvantable despotisme qui pèse sur eux. Le roi entretient une cour et une armée

qui sont tout à fait hors de proportion avec les ressources du pays. Pour subvenir à ses

dépenses, les impositions régulières ne suffisent pas; ses receveurs ont recours aux moyens

1. Revue de Géographie, janvier 1879.

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158 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

les moins avouables. Tantôt ils entourent quelques maisons et font main basse sur le bétail,

sur les vivres et sur la volaille ; tantôt ils arrêtent les marchandises dans les rues ou sur les

chemins. A Ouidah même, pour emporter chez eux des étoffes achetées aux factoreries, les

habitants sont obligés d'aposter des gens de confiance qui les avertissent si la route est libre

de gens du roi. Tout essai de résistance, si légitime qu'elle soit, le moindre signe de mécon-

tentement, sont considérés comme crime de rébellion ; celui qui s'en est rendu coupable sera

mené au roi, dépouillé probablement d'une partie de ses biens ou condamné à servir

comme soldat. Pour la même raison, l'homme qui s'enrichit est en butte à toutes les délations ;

on cherche à le prendre en

défaut pour avoir le prétexte

de le frapper d'amendes rui-

neuses. Aussi règne-t-il une

misère profonde dont on

cherche à peine à sortir.

Le roi ne s'en inquiète pas.

Au printemps il emmène

une partie de la population

à la guerre, quand les bras

seraient nécessaires à la ré-

colte de l'huile de palme ; les

régimes pourrissent en par-

tie sur les arbres ou, cueillis

tardivement, ne fournissent

„ „. , D . qu'une huile d'une qualitéKOTONOU. —Pirogue de Barre. ^ u

(Collection TBOUILLET.) inférieure. A quoi bon alors

donner des soins aux palmiers? quel intérêt aurait-on à les débarrasser, comme il serait

facile, des broussailles qui les étouffent? »

Mais, en 1890, le moment n'était pas encore venu où, sous la protection de la France, la

civilisation devait prendre possession du Dahomey. Le gouvernement français voulait la paix.

Au mois d'avril, M. Bayol avait dû rentrer en France, abandonnant la direction des

opérations au capitaine de vaisseau Fournicr, commandant du Sanè, qui avait amené les

troupes à Kotonou. Le capitaine Fournicr déclara la côte dahoméenne en état de blocus

et d'accord avec le colonel Klipfel, successeur du commandant Terrillon, fit achever les for-

tifications de Porto-Novo.

Le 8 juin 1890, le contre-amiral Cavelier de Cuverville, nommé commandant en chef

des forces de terre et de mer et remplissant les fonctions de gouverneur dans les établisse-

ments français du Bénin, arrivait, sur la Naïade, en rade de Kotonou. Ses instructions lui

prescrivaient de conclure une transaction avec le Dahomey, si un règlement définitif des

difficultés n'était pas possible.

Un missionnaire, le P. Dorgère, qui possédait une certaine influence auprès des chefs et

du roi lui-même, fut envoyé à Abomey pour négocier. Les pourparlers qu'il entama ame-

nèrent un accord dont les conditions furent résumées en un arrangement signé le

3 octobre 1890 : Behanzin reconnaissait le protectorat de la France sur le royaume de Porto-

Novo et le droit que nous avions d'occuper Kotonou ; en échange la France s'engageait à lui

verser annuellement une somme qui ne devait en aucun cas dépasser 20.000 francs.

Après le règlement définitif des difficultés de détail qu'entraînait l'exécution de l'arran-

Page 180: Les Francais en Afrique

LE DAHOMEY ET LA COTE D'IVOIRE 159

gement, la colonne expéditionnaire fut disloquée et, le 23 dé-cembre 1890, l'amiral de Cuverville quitta Kotonou.

La paix ne devait pas être de longue durée. La signaturede l'arrangement n'avait pas ramené la confiance. Le 31 jan-vier 1891, M. Ballay, gouverneur, arriva dans la colonie enmême temps que le commandant Audcoud et envoya à Bchanzinla mission qui était chargée de lui porter les cadeaux du Prési-dent de la Bépublique. CeLte mission, à la tète de laquelle étaitle commandant Audcoud, fut très bien reçue à Abomcy où elleresta environ un mois et où elle assista à des fêtes et à des

réjouissances de toute sorte.T , . . . Le Chef de Kitou.Jusqu au mois de mai, il ne se passa rien de particulier :

des vexations, des abus d'autorité, des arrestations de courriers, des entraves apportées auxtransactions commerciales, tous actes assez habituels aux agents des potentats nègres etcontre lesquels M. Ballay, désireux de ne pas rouvrir un conflit, se contenta de protester.

Vers la fin d'avril, Behanzin entreprit contre Abeokoutah une expédition pour laquelleil mobilisa le ban et l'arrière-ban de la population de son royaume. Celte expéditionn'obtint pas tout le succès qu'il espérait. Une autre campagne contre les Baribas lui valut

un sérieux échec. Aussi, pendant quelques mois, s'abstint-il de toutes manifestations

hostiles à la France. Cependant il continua à acheter en secret des fusils à tir rapide, des

munitions et même de l'artillerie. Désireux de faire exercer ses troupes à l'européenne, il

engagea comme instructeurs d'anciens sous-officiers allemands.

Bientôt les difficultés recommencèrent. Les autorités françaises, afin de s'assurer la

protection du fort de Kotonou contre toute attaque, avaient décidé la construction d'un

blockhaus ; en même temps un wharf devait être établi pour faciliter l'embarquement et le

débarquement des marchandises. Les Dahoméens n'osèrent pas s'opposer par la force à la

réalisation de ces projets, mais ils ne manquèrent pas de soulever autant d'incidents qu'illeur fut possible, encouragés en cela par les Anglais qui craignaient que l'établissement d'un

wharf à Kotonou ne diminuât l'importance de leur port de Lagos.Tout à coup le bruit se répandit que Behanzin avait réuni tous ses guerriers à Abomey

et qu'il se préparait à entreprendre une nouvelle expédition dont le but restait ignoré. Le

potentat nègre se trouvait en effet dans une situation assez difficile. Repoussé par les Egbaset les Baribas, il manquait de prisonniers ; or, il lui en fallait à tout prix, tant pour célébrer

par de nombreux sacrifices humains les funérailles de son père, que pour payer ses four-

nisseurs d'armes et de munitions; il comptait en effet s'acquitter envers eux en leur four-

nissant, non des esclaves, mais des travailleurs libres qui auraient été dirigés sur le

Cameroun allemand, la colonie portugaise de San-Tomé et le Congo belge.N'osant pas directement attaquer Porto-Novo ni Kotonou, Behanzin se jeta sur le pays

des Ouatchis, faisant simplement prévenir nos résidents que les habitants de ces paysl'avaient injurié en lui prenant trente-deux femmes de son palais. Or, les Ouatchis, qui

habitaient le territoire du Grand-Popo, étaient sous le protectorat de la France. Ils essayèrent

vainement de résister; pris au dépourvu par la soudaineté de l'attaque et déconcertés par

l'effet des armes nouvelles, ils étaient bientôt accablés. Tout ce qui ne fut pas tué sur place

fut emmené en captivité pour être vendu ou sacrifié aux mânes de Glé Glé. Le nombre de

ces malheureux atteignait, dit-on, près de deux mille !

Cette expédition avait naturellement produit une impression pénible sur les populations

Page 181: Les Francais en Afrique

KÏO LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

protégées. D'autre part le détachement de Grand-Popo

était trop faible pour prendre l'offensive en cas de be-

soin. Le résident qui s'était fait transporter par mer à

Grand-Popo dès la première nouvelle, se rendit compte

de notre fâcheuse posture, mais il dut se borner à pro-

tester auprès du roi, ce qu'il fit en termes très énergiques.

Behanzin se contenta de répondre qu'il n'avait aucune

intention contre Grand-Popo, mais qu'il avait simplement

voulu, en détruisant le Adllage de Ouatchicomé, venger

une injure personnelle. La présence du Héron et du

Talisman ramena heureusement un peu de calme parmi

la population du Grand-Popo, dont une partie avait

déjà pris la fuite ; mais il devenait de plus en plus évi-

dent que Behanzin n'attendait qu'une occasion pour

rompre le traité, écraser le roi de Porto-Novo et nous

chasser de Kotonou.

Au commencement de 1892, M. Ballot, nommé lieu-

COTED'IVOIRE.- Notablede Bondoukou. tenant-gouverneur, revenait prendre la direction de la

colonie. Son premier soin fut d'examiner quelles mesures

il convenait de prendre pour mettre un terme aux graves incidents qui venaient de

se produire dans la région des Popos. Les négociations entamées à ce sujet duraient

encore lorsqu'un nouvel incident se produisit. Le 27 mars, au matin, M. Ballot, quiavait été informé par un chef du Bas-Ouémé que les Dahoméens avaient attaqué et

détruit trois villages sur les bords de ce fleuve, quittait Porto-Novo, à bord de la canon-

nière la Topaze, pour faire son enquête sur place, lorsqu'ils furent attaqués par six cents

Dahoméens en armes. La Topaze répondit Aàgoureusement à l'attaque et, après deux

heures de combat, l'ennemi dut se retirer. Nos pertes avaient été minimes, mais l'affaire

revêtait un caractère d'autant plus grave que, lors de son passage à Ouidah, les ministres

de Behanzin avaient fait à M. Ballot, de la part du roi, les plus grandes protestationsd'amitié.

Puis, coup sur coup, on apprenait que les routes étaient fermées, que le roi concentrait

ses troupes à Allada, et qu'enfin les commerçants français de Ouidah étaient consignés dans

leurs factoreries, où ils se trouaient étroitement surveillés. Le 3 avril 1892, les troupesdahoméennes s'approchaient de Porto-Novo, et le 4, une lettre insolente de Behanzin à

M. Ballot ne laissait plus aucun doute sur les intentions belliqueuses du roi

Il différa cependant l'attaque de Porto-NoAro, et ses troupes, évaluées à seize mille hommes,se maintinrent sur une position défensive. A ce moment, la famine et la misère étaient

extrêmes au Dahomey ; c'est pour ce motif que le roi n'avait pu mettre en ligne un nombre

plus considérable de guerriers. En outre, il attendait de jour en jour, de Hambourg, de

nouvelles armes, qu'il espérait pouvoir faire débarquer secrètement à Ouidah. L'établisse-

ment du blocus l'empêcha de mettre ce dernier projet à exécution.

Le 2 mai, le croiseur le Sanê arrivait sur rade de Kotonou et, le lendemain, le Ville-de-

Cèara débarquait sur ce point une compagnie de tirailleurs sénégalais. La garnison totale du

Bénin se composait alors de 915 hommes et 27 officiers, ainsi répartis : à Kotonou,7 officiers et 166 hommes; à Porto-Novo, 21 officiers et 729 hommes. La région des

Popos était tranquille.

Page 182: Les Francais en Afrique

LE DAHOMEY ET LA COTE D'IVOIRE 161

Le 28 mai, le colonel Dodds débarquait à Kotonou et prenaitle commandement du corps expéditionnaire. Les premièresdémarches pacifiques qu'il entama n'obtinrent aucun succès. Onréussit seulement à obtenir la mise en liberté des prisonniers de

Ouidah. Il ne restait plus qu'à combattre.

La campagne fut Amoureusement menée.

Le 3 juillet, les canonnières bombardèrent Azaonissé,

capitale du Dekamé; le 17, la garnison de Grand-Popo était

renforcée, des troupes venues de France et du Sénégal furent

débarquées et l'on créa une troisième compagnie de tirailleurs

haoussas.

Le premier combat sérieux fut livrd à Dogba, le 19 sep-tembre. Les Dahoméens furent écrasés. Le 28 du même mois, les canonnières le Corail et

l'Opale, envoyées en reconnaissance sur l'Ouémé, furent attaquées par une partie de l'armée

dahoméenne, très bien retranchée sur les berges du fleuve. La lutte, qui dura une heure

et demie, se termina par la défaite des soldats de Behanzin.

A partir de ce moment, le contact avec l'ennemi devenait presque journalier et l'on peutdire que la marche du corps expéditionnaire, de l'Ouémé àCana, c'est-à-dire pendant prèsd'un mois et demi, ne fut en quelque sorte qu'un combat ininterrompu, au cours duquel nos

troupes firent preuve d'un courage admirable et d'une endurance à toute épreuve. De leur

côté, les Dahoméens défendirent le terrain pied à pied, luttant avec acharnement contre nos

soldats et ne se retirant qu'après avoir éprouvé d'énormes pertes. La liste, hélas! trop

longue, de nos officiers et de nos hommes tués à cette époque, prouve d'une manière très

éloquente que des deux côtés on avait combattu avec acharnement.

Le 13 novembre, le colonel Dodds apprenait, au camp de Cana, sa nomination au gradede général de brigade. Les pourparlers continuaient cependant avec Behanzin qui se rendait

parfaitement compte que s'il pouvait arrêter nos troupes à Cana, il lui serait facile de dire

ensuite que le général avait reculé devant lui. Il multipliait donc ses offres : otages, armes,

canons, énorme indemnité en argent; il se disait prêt à tout donner, même ce qu'il ne possé-dait pas, car il a été prouvé depuis que les fameux trésors d'Abomey n'existaient que dans

l'imagination des indigènes.La marche en avant fut reprise, et le 17 novembre nos troupes entraient dans Abomey,

que Behanzin avait éA7acuépour se réfugier chez les Mahis, à deux jours de marche de son

ancienne capitale, où il essayait de rassembler son armée et de reconstituer de nouvelles

troupes. Petit à petit, le calme rentrait dans les esprits ; aux Popos, tout restait tranquille ; nos

troupes étaient entrées à Ouidah sans coup férir, elles s'étendaient peu à peu dans la direction

d'Allada et vers Abomey, de manière à établir, par une suite ininterrompue de postes, les

communications entre la côte et l'intérieur et à assurer le ravitaillement de la garnison laissée

à Abomey.Sans attendre la soumission définitive de Behanzin, le général Dodds commença l'orga-

nisation administrative de la conquête. Puis, le 22 avril 1893, il rentra en France, laissant

l'intérim du commandement au colonel Lambinetqui continua son oeuvre. Le gouvernement

français était résolu à ne plus traiter avec le roi actuel, dont les offres pacifiques ne semblaient

pas sincères.

Le 30 août, le général Dodds revenait au Dahomey. La poursuite de Behanzin fut

vigoureusement organisée. Repoussé à l'est par les Anglais, à l'ouest par les Allemands (les

Page 183: Les Francais en Afrique

1C2 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

uns et les autres ne pommant le recevoir officiellement), assez mal reçu au nord par les Mahis,

qu'il avait autrefois si souvent pillés, le roi fugitif se trouvait pris sur les flancs et en queue

par nos troupes. Il n'avait donc d'autre ressource que de franchir nos lignes, de passer la

frontière anglaise et de se réfugier à Lagos où il aurait vécu en simple particulier, ou de

gagner la brousse par les Dassas; mais ces projets furent déjoués, et il fut obligé, finalement,

de venir se rendre au général à Goho (Abomey) le 26 janvier 1894.

Il fut dirigé sous bonne escorte à Kotonou et, de là, embarqué à destination de Dakar et

de la Martinique.Le Dahomey fut partagé en deux royaumes ; celui d'Abomey fut conféré à Agoli-Agbo,

frère de Behanzin, et celui d'Allada à Gi-Gla, représentant de l'ancienne famille royale

d'Ardra.

Un décret du 22 juin 1894 organisa définitivement les nouvelles possessions qui furent

séparées de la Guinée française et qui ont pu commencer à se dé\relopper librement sans

qu'aucun trouble sérieux ait jamais compromis la sécurité de notre domination.

Une flottille locale a été organisée, des appontements construits, les rivières draguées,

l'instruction publique organisée sérieusement; un jardin d'essai et une ferme modèle ont été

installés à Kotonou. De tous ces efforts on peut attendre les plus heureux résultats.

Vers le nord, l'hinterland de notre nouvelle colonie était mise à l'abri des convoitises

de nos voisins du Lagos et du Togo, qui ne cachaient pas leur désir de profiter de l'ébran-

lement causé par la chute de la puissance dahoméenne pour prendre possession des terri-

toires de la boucle du Niger et nous couper la route de ce fleuve.

La fondation de Carnotville, en septembre 1894, assura nos communications avec la

vallée du grand. fleuve soudanien, et, quand les conventions signées avec l'Angleterre et

l'Allemagne eurent consacré la domination française dans ces contrées, elles furent rattachées

administrativement au Dahomey. On peut espérer désormais que lorsque cette immense

région aura été complètement pacifiée par une administration ferme et prudente, les villages,désolés si longtemps par la guerre, se repeupleront et se reconstruiront; les caravanes,

certaines d'être respectées, porteront partout le commerce ; les ressources naturelles que le

pays peut offrir se développeront, et, une fois de plus, le drapeau de la France aura fait

proclamer la liberté où était l'esclavage, la paix où était la guerre, la ci\dlisation où régnaitla barbarie.

Palabre.

Page 184: Les Francais en Afrique

BRAZZAVILLE. — PIROGUE DU CONGO.

(Collection de l'Office Colonial.)

IJ^ONGO FRANÇAIS

CARTE nu CONGOFRANÇAIS.

23

Page 185: Les Francais en Afrique

Les traditions de douceur et de bonté introduites parM. de Brazza sont restées vivaces sur toute l'étendue

de notre colonie du Congo.

Serge BASSET.

Le temps où le Congo sera une source de richesses

est beaucoup plus rapproché qu'on ne l'avait d'abord

supposé.

A. RAMBAUD.

Page 186: Les Francais en Afrique

COMGO FRANÇAIS. — INDIGÈNES FAISANT L'HUILE DE PALME.

CHAPITRE XI

LE CONGO FRANÇAIS

I

N 1491, par une soirée d'automne, un homme d'une trentaine d'années suivait à

pas précipités le réseau des rues tortueuses do Nuremberg sans faire attention

aux passants qui s'arrêtaient pour considérer avec étonnement son costume

oriental.

Par instants, il interrogeait les façades gothiques des vieilles maisons, qui toutes lui

étaient certainement connues. A la fin, en tournant la Zistelgasse, il se trouva dcArant la

demeure du conseiller Michel Behaim et y entra comme chez lui. Le lendemain, le bruit

se répandit dans la ville que cet étranger, qui aA^ait excité la curiosité générale, n'était

autre que le propre fils du conseiller, ce Martin Behaim parti, il y avait longtemps, et

que tout le monde croyait mort; mais, après avoir annoncé qu'il entreprenait un voyage

à Venise, à Anvers, à Vienne, pour y faire le commerce des draps, il n'avait plus donné

de ses nouvelles. Or, on apprenait maintenant qu'il rcA'enait de Lisbonne et que le roi de

Portugal l'avait fait chevalier, afin d'honorer en lui un des plus grands savants du siècle.

L'année suivante, la stupéfaction fut au comble lorsqu'il eut achevé cette fameuse

sphère (1) où étaient indiquées, avec toutes les connaissances acquises jusqu'alors en

géographie, de nombreuses données sur les problèmes nautiques que devaient réaliser

I. Cette sphère est restée dans la famille de Behaim, dont les descendants existent encore à Nuremberg. C'est

un objet de pieuse admiration. Elle servit de modèle aux fabricants de - globes terrestres » nurembergeois quifurent pendant des siècles les plus renommés en Europe. (C. S.)

Page 187: Les Francais en Afrique

IGO LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

bientôt les illustres découvertes du Nouveau Monde et de la route des Indes par l'ouest.

Les historiens et chroniqueurs de l'époque appellent Martin Behaim le prince des cosmo-

graphes, et, de nos jours, il est à peu près démontré qu'il fut, avec Paolo Toscanelli (1),

l'inspirateur de Christophe Colomb, à qui tous deux montrèrent le chemin.

C'est à Martin Behaim également et à Diego Cao (Cam) qu'est duc la décoiwcrte du

Congo. Vers le milieu du xve siècle, il y avait de fréquents rapports entre l'Allemagne et

le Portugal. Beaucoup d'Allemands émigraient dans ce dernier royaume, où ils importaient

leur expérience commerciale ou industrielle. En outre, la Hanse allemande fournissait

souvent aux Portugais les caravelles et"^ "' =

les galiotes aATcc lesquelles les naviga-

teurs protégés par la cour de Lisbonne

s'aventuraient sur les mers. Martin

Behaim fut de ceux qui entrèrent

dans ce mouvement. En arrivant à

Venise avec l'intention d'y faire sim-

plement des affaires, il y entendit les

récits merveilleux des voyageurs qui

avaient vu des terres lointaines, igno-

rées de l'ancien monde, et se prit à

son tour de passion pour ces auda-

cieuses expéditions. Hanté, dès ce

moment, par la pensée de visiter ces

pays du Sud embellis par l'imagination

des narrateurs, il résolut de partager la

témérité de ces Portugais dont la gloire

éclipsait celle de tous ceux qui les avaient

précédés. El avec la ténacité qui était

le fond de son caractère, il se rendit

à Lisbonne, au lieu de poursuivre son

itinéraire projeté d'abord. Il y rencontraCarie des Explorations du Congo au xix' siècle. i -, , , , ,, . .

des esprits de haute culture qui s appli-

quaient, sous la direction scientifiquedes rois, à étudier dans l'observatoire de Sagres, fondé par Henri le Navigateur,toutes les questions se rattachant au mystère de la mer des Ténèbres, dont ils

s'efforçaient de lever le voile. Quoique jeune, il se présenta au milieu d'eux avec des

litres qui le recommandaient à leur estime. Nuremberg occultait alors un rang élevé dans

renseignement des malhémali<|ucs et de l'astronomie, et Regiomontanus y avait eu

Martin Behaim pour le meilleur de ses disciples. On en eut la preuve lorsque le jeune

cosmographe apporta aux savants portugais l'astrolabe dont il était l'inventeur (2).

Depuis îles siècles, les marins n'avaient eu pour guides sur les océans que les étoiles,

1. Sur la part qui revient à Martin Behaim et à Toscanelli dans la découverte du Nouveau Monde, voir notre

ouvrage : Charles SI.MMND,Cinhlnphe Culnmh (Paris, Leréne et Oudin), et les remarquables travaux de MM HarrvIlarrisse et César de I.ollis.

ii. C'était l'astrolabe de liayniond Lulle, mais perfectionné. Cet astrolabe de Martin Behaim, simple cerclediMse. muni dune alidade aux deux extrémités de laquelle se dressait une pinnule, resta, dit Jurien de laGrauere iLes nmrms <l„ xv" ri ,l„ xvi" siàrle, Paris, librairie Pion) en usage sur nos vaisseaux jusqu'aux dernièresannées du ,,-„,. ,1,. Louis XIV. Pour s'en servir, on le tenait généralement à la main, suspendu verticalement parun anneau.

Page 188: Les Francais en Afrique

LE CONGO FRANÇAIS 1G7

dont les positions relatives leur montraient plutôt par conjec-ture ou, suivant l'expression consacrée, par « estime de laroute », que réellement le lieu où ils naviguaient, et à ces

moyens souvent trompeurs d'orientation ne s'ajoutaient, pourcontrôler les indications, que des instruments très imparfaitsdus aux Grecs et qui servaient à mesurer les distances angu-laires du soleil, de la lune et des autres astres. Les astrolabes

des anciens étaient en bois et reposaient sur un trépied, appa-reils primitifs pouvant suffire aux levés géographiquessur terre ferme, mais occasionnant de grands inconvénients

sur les navires sujets au double déplacement de roulis et de Type congolais.

tangage. Martin Behaim, en construisant le nouvel instrument, fil

disparaître les inexactitudes de données résultant du terrain mouvant, mais il ne A'oulut

pas se renfermer dans la théorie de l'art nautique. Jean II céda au désir du Nurembergeoisen lui permettant de se joindre, en 1484, à l'expédition de Diego Cào. Ils mirent à la voile,

emportant deux padraos de pierre destinés à marquer la prise de possession des terres

qu'ils découvriraient. Après aAxoir doublé le Cap, qui était la limite extrême des terres

connues sur la côte d'Afrique, sous le roi Dom Alfonso, ils arrivèrent à un grand fleuve où

ils plantèrent leur pilier, et qu'ils appelèrent, pour cette raison, Rio de Padrao, nom auquelMartin Behaim substitua celui de Rio poderoso (le plus grand fleuA'c). En 1578, Lopez, quiA'isita Angola, A'it également ce puissant cours d'eau qu'il décrivit en assurant que les

indigènes le nommaient Zaïre, ce qui, comme l'a démontré Stanley, n'était qu'unecorrup-' tion de Nsari, Nsali, Ndjiali, etc., et \'oulait tout bonnement dire « fleuve ».

Diego Cào préjugea que sur ses bords devaient s'échelonner des Alliages et le remonta

jusqu'à une certaine distance. Les naturels, qui étaient tous noirs et crépus, racontaient

aux navigateurs qu'à l'intérieur du pays régnait un roi redouté. Diego Cào s'empressa

d'envoyer Arers lui quelques-uns des hommes de l'expédition, en leur recommandant de

revenir le plus promptement possible; mais, comme leur absence se prolongeait indéfi-

niment, il s'empara do plusieurs des naturels qu'il garda comme otages, soupçonnant le

massacre de ses compagnons, et reprit le chemin de l'Europe, en promettant de revenir

dans quinze mois. Pendant la tarversée, ces nègres prisonniers apprirent le portugais et

purent se convaincre de la supériorité intellectuelle des Européens. Aussi, quand DiegoCào les ramena au Congo, à son second voyage, lui servirent-ils d'interprètes et de garantsde sa bonne foi auprès du roi congolais, qui conclut un traité d'amitié avec lui. Un de ces

nègres, appelé Gazuta, repartit pour le Portugal avec plusieurs des indigènes, et tous

reçurent le baptême, le roi et la reine leur servant de parrain et de marraine. Ils furent

les premiers apôtres du Congo. Au sud du fleuve, on bâtit une ville, qui fut d'abord

nommée Ambassi, puis San Salvador. On y érigea une cathédrale et un certain nombre

d'églises. En 1534, un évoque y prit la direction des intérêts ecclésiastiques.

Les Portugais ne surent pas tirer parti de leur nouvelle colonie, qui périclita rapi-

dement jusqu'à la ruine complète; les naturels revinrent à leurs croyances fétichistes, les

églises et les monuments furent détruits ou abandonnés, et le seul revenu que donnât

aux Portugais le Congo fut le trafic des esclaves transportés par milliers en Amérique.

Le pays demeura aux mains du gouvernement de Lisbonne, qui ne fit rien pour y

introduire la civilisation et ne songea pas même à reconnaître le cours du fleuve, dont on

ignorait tout, sauf l'embouchure.

Page 189: Les Francais en Afrique

1G8 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX' SIECLE

II

Telle était la situation de cette contrée, quand, en 1816, le capitaine James Kingston

Tuckcy fut chargé d'une expédition dans cette partie de l'Afrique occidentale. Quoique

pourvue de tout ce qui pouvait contribuer au succès, elle échoua dans des conditions

désastreuses. Sur les trente-six Européens qui en faisaient partie, dix-huit succombèrent

en moins de trois mois, et Tuckey fut une des premières victimes. Il succomba à la fièvre

et son compagnon Smith revint en Europe; grâce à lui, on posséda enfin quelques notions

précises. A partir de ce moment

^^ë^fiHPfl WE''.V'^$Ë$^ ^'attention se fixe sur ces territoires

que l'on disait partagés entre de

petits chefs ou « mfaumou », et

l'on rêA^e de s'en emparer. Le mis-

sionnaire BoAArditch, qui séjourna

quelque temps au Gabon, commu-

nique, le premier, un petit nombre

d'informations sur le grand fleuve

Ogooué. En 1816 également, Ro-

bertson, en 1825 Vidal tentent de

remonter le Congo ;enl827etl828,

l'aventurier Douville pénètre dans

l'intérieur des terres ; A^ers la même

époque, le capitaine ÛAA'en relèAre

La Traite des Arachides. les embouchures et suit sur un(Collection de l'Ecole Coloniale.) •____j._4.i_i, r>

parcours important le bas Congo.

Par les traités de 1831 et 1833, les cabinets de Londres et de Paris avaient décidé de

mettre fin au commerce odieux de « l'ébône humain », nom donné par les Anglais aux es-

claves nègres. Afin d'assurer l'exécution de ces mesures, la France crut utile d'établir sur la

côte occidentale de l'Afrique une station où l'on pourrait s'installer d'une manière

à la fois efficace et durable. Le lieutenant de Araisseau Bouët-Willaumez, chargé de cette

mission, prit, en 1832, avec l'assentiment du roitelet nègre du Gabon, possession

de la rive gauche de l'estuaire de ce golfe, et, en 1841, un autre roi noir lui concédait

la rive droite. Quelques années après, les Français fondèrent Libreville. Mais le Gabon et

l'Ogooué étaient, en réalité, encore à peu près inconnus. Pigeard en 1845, Mecquet en

1846, continuent les travaux de Bouët-Willaumez. En même temps le médecin allemand

Tams, le Portugais Graça, s'attachent de leur côté à poursuivre scientifiquement cette

étude. Un Hongrois, Ladislas Magyar, arrive, en 1848, jusqu'aux cataractes de Faro-Congo

et devient le gendre du roi nègre de Bihé, ce qui lui permet, en 1849 et les deux années

suivantes, de découvrir le Arastc territoire du Coanza et du haut Zambèzc.

En 1851, du Chaillu, qui habitait le Gabon depuis neuf ans où il chassait le gorilleet qui était entré en relation avec les Pahouins et y faisait du commerce, a l'idée de s'yfaire donner une mission par le gouvernement des États-Unis et par l'Académie des sciences

naturelles de Philadelphie pour rechercher les sources du Congo. Ses efforts sont cou-

ronnés d'un certain succès et, quoique prêtant à de très légitimes critiques comme celle

Page 190: Les Francais en Afrique

LE CONGO FRANÇAIS 109

de H. Barth, établissent avec certitude que les quatre cours

d'eau Mouni, Mumda, Gabon, Bombe, n'ont d'importance quecomme irrigation de la côte, tandis que l'Ogooué, s'em-

bouchant dans le grand delta au sud du Gabon, est le seul

fleuve considérable de toute cette région, venant de l'inté-

rieur et, aA'ec un débit puissant, traversant les montagnes là

où le Gabon prend son origine. Quelle que soit la A7aleur

réelle des documents recueillis par du Chaillu, il peut être

considéré comme le pionnier ayant ouvert la route aux autres

en montrant ce qu'il restait encore à faire. En 1857, l'ethno-

graphe Adolphe Bastian, stimulé par cet exemple, parvient

à San-Salvador ou Ambassi, la A'ille mystérieuse, En 1857; Type congolais.et pendant les deux années qui suivirent, Hunt remonta encore

une partie du Congo, tandis qu'un mineur anglais, Joachim John Monteiro, probablement

d'origine portugaise et qu'il ne faut pas confondre avec le major portugais de même nom,

explorateur du bas Zambèze et du royaume de Cazembé en compagnie de Gamitto, s'établis-

sait comme marchand à Ambriz et faisait le premier voyage en steamer sur le Quanza. Il

resta près de quinze ans dans les possessions portugaises du Congo, et l'ouvrage qu'il

publia sur ces découA'crtes {Angola and the River Congo, 1875) eut du retentissement.

Vers 1860, Burlon, l'ancien compagnon de Speke, pénétrait chez les M'Fans (Pahouins),

anthropophages, et Beade A'isitait les basses plaines de l'Ogooué. En 1866, un négociant

anglais, Walker, et en 1867, un lieutenant de Araisseau français, M. Aymôs, trouvèrent

accès auprès du roi des Inengas dans l'Okanda ( 1 ).

La première tentative d'une expédition scientifique sur le cours de l'Ogooué n'eut

toutefois lieu qu'en 1872 et l'honneur en revient à deux Français, MM. Marche et de Com-

piègne, qui, grâce au concours d'un riche naturaliste, M. BouA'ier, purent accomplir leur

projet d'étudier l'histoire naturelle, la géographie et l'anthropologie du pays des M'Fans.

1. Longtemps auparavant, le célèbre missionnaire anglais David Livingstone, d'abord filateur de coton, puismédecin et théologien, était parti pour l'Afrique, où, devenu le gendre de Robert Moffat, l'un des premiers pionniers

africains, il se consacra lui-même, comme son beau-père, à la conversion des indigènes et à l'étude scientifique des

régions inexplorées. En 18*5, il avait accompli cette double tâche dans le Setschelé, en 1849 dans le Betchuala, en

s'avançant jusqu'au lac Ngami. En 1851, il s'était rendu à Linyvanti et, dans ce voyage, avait découvert le Liambyé,

puis, en 1852, remontant ce dernier cours d'eau et contournant au nord-ouest le petit lac Bilolo, il avait franchi le

Kassabe, le Quango, et le 31 mai 1854 était arrivé près de Loanda, sur la côte ouest. En 1857, il découvrit les

Victoria-Falls du Zambèze, et ses travaux exposés dans les Pelennanns Mitteilungen (en 1857 et 1858) et dans les

Proceedings de la Société royale de Géographie de Londres, firent événement. Infatigable, à peine revenu en Angle-

terre, il repartit aussitôt, cette fois avec son frère Charles et cinq autres Européens, parmi lesquels Kirk et le peintre

Baines; il explora le haut et le moyen Zambèze, avec son affluent le Chiré, qu'il remonta jusqu'à sa source dans le

lac Nyassa, près duquel il reconnut le Schirwa, presque aussi grand. Ayant pour objet principal de combattre la

traite des nègres et d'instruire les naturels dans la culture de la terre et dans la plantation du coton, il déploya une

activité admirable. En l(S6o, il se rembarqua, et aborda en 1866 à Zanzibar. Le bruit courut bientôt qu'il avait été

assassiné. Une expédition, conduite par Young et Faulkner, Reid, Bucklay, se mit à sa recherche et constata que

les rumeurs alarmantes répandues sur son sort étaient erronées. En réalité, il s'était courageusement porté vers le

lac Nyassa, et, après des difficultés sans nombre, surmontées avec intrépidité, il avait fait de nouvelles découvertes,

notamment celle de la grande rivière Tchambezi, au sud du Tanganika, et l'une des sources lointaines du Congo. 11

avait constaté que ce cours d'eau, coulant vers l'ouest, sort du lac Bangwelo, sous le nom de Luapula, se dirige vers

le nord et se jette dans le lac Moèro, d'où il émerge en prenant la dénomination de Lualaba. 11 l'avait retrouvé

ensuite et pour la dernière fois à Nyangwé, dans le Manyema, à 2.160 kilomètres de ses sources, et en ce

point où la rivière atteint une énorme expansion. Le voyageur, à bout de forces, s'était vu obligé de retourner à

Udjiji, où il se trouvait en péril quand il se rencontra avec Stanley, qui le cherchait depuis deux ans. (Voir Comment

j'ai retrouvé Livingstone, par STANLEY, 1872.) Ensemble ils avaient ensuite relevé l'extrémité septentrionale du lac

Tanganika et avaient poussé à l'ouest jusqu'à Unianiembe, où ils s'étaient quittés. Livingstone, victime de son dévoue-

ment, a succombé, le 1" mai 1873, à la dysenterie, à llala, sur la rive méridionale du lac Bangwelo.

Page 191: Les Francais en Afrique

170 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

Ils avaient formé également le dessein déjà conçu par du Chaillu de traverser l'Afrique,

mais ils échouèrent dans ce plan et furent obligés de rétrograder devant l'hostilité des

Ossyébas. Ces derniers furent mis en contact avec l'Europe par la mission allemande de la

Société africaine (1). Le docteur autrichien Oscar Lenz commandait cette expédition. Il

rayonna autour de Landana, autre centre du commerce des esclaves, et découvrit l'embou-

chure d'un nouveau fleuve, le Kouilou. Il fut rejoint chez les Okandas par une expédition

française, investie d'une mission officielle et à la tète de laquelle se trouvait l'enseigne de

vaisseau Savorgnan de Brazza accompagné du docteur Ballay, aide-médecin de la marine,

de M. Alfred Marche, qui avait été le compa-

gnon du marquis de Compiègne. Le quartier-

maître Hamon était également avec eux.

III

En octobre 1876, l'expédition chargée par

le Dailg Telegraph de Londres et le New- York

Herald d'aller, sous la direction de Stanley,

compléter les explorations de Livingstone,

atteignit la A'ille arabe de Nyangwé. C'est de

ce point que Stanley tenta la fameuse descente

du fleuve jusqu'à l'Océan. Après deux cent

quatre-vingt-un jours de voyage, il arriva en

A'iie de l'Atlantique ayant parcouru le fleuve

sur une étendue d'eiwiron 2.650 kilomètres et

effectué un parcours de 225 kilomètres parterre. Tchambezi, Bangwelo, Luapula, Moëro,

Lualaba n'étaient donc autre chose que le

cours supérieur du Congo, reconnu désormais

sur toute son étendue quatre siècles après la

découverte de son embouchure. Cette puissanteartère fluviale traversait en quelque sorte l'Afrique centrale de l'est à l'ouest, elle arro-

sait des régions fertiles, populeuses et riches en produits, elle était tout indiquée comme la

voie de pénétration naturelle vers le coeur même du continent noir. Ce fleuve incomparableallait devenir un puissant moyen de civilisation et ouvrir d'importants débouchés (2).

Pendant ce temps et sans que ni l'un ni l'autre des deux explorateurs eussent connais-sance de leur oeuvre parallèle, Savorgnan de Brazza accomplissait sur l'Ogooué un voyagequi faisait de lui le rival de gloire de Stanley.

Les géographes se persuadaient que l'Ogooué, qui se jette, un peu au sud de l'équateurdans l'océan Atlantique, était un grand fleuve venant de l'intérieur de l'Afrique. On espéraitaussi, très vaguement, pouvoir démontrer que l'Ogooué était le cours inférieur du Lualaba,ou tout au moins un bras du Congo. Brazza détruisit ces erreurs. Avec le docteur Ballay,

1. L'Association allemande, fondée en 1873 par Adolphe Bastian, déployait dans l'Afrique équatoriale beaucoupd'énergie. De nombreux voyageurs concouraient à son oeuvre : Gùszfeldt, Falkenstein, Pechuel-Loesche, Lenz, deMechow, Lindner, Soyaux, Lux, Pogge, Homeyer, Schtitt, Buchner (cf. Korrespondenzblatt der AfrikanischenGesellschaft, 1877 et 1878).

2. L. DELA KÉTIIULI.E,Le Congo historique.

Page 192: Les Francais en Afrique

LE CONGO FRANÇAIS 171

au milieu des plus grands dangers, il remonta l'Ogooué jusqu'àsa source et pénétra dans la région des affluents de droite

du Congo. En mars 1878, il atteignit les territoires de l'Avumbo.

Là, il put reconnaître qu'au lieu d'un fleuve 'puissant arrivant

de l'intérieur, il n'y avait que deux bras insignifiants, le Beba-

gui et la Passa, impropres à la navigation. Cependant, entre

le 13° et le 14° degré de longitude est (méridien de Greenwich),de Brazza découvrit une importante rivière, l'Alima, ayant155 mètres de largeur et qui ne pouvait être qu'un affluent do

droite du Congo. Forcé par le manque de vivres de laisser

partir Ballay avec le gros de l'expédition vers l'Ogooué, il

marcha avec une faible escorte lui-même au nord, franchit

plusieurs cours d'eau se dirigeant à l'ouest et également tribu-

taires du Congo, entre autres l'Olba, le Lebai-Nguco, la Licona. Il s'avança jusque près

d'Okanga, sur le Lebai-Ocoua, par 0° 30' de latitude nord et environ 12° 45' de longitude

est, et, après cinq mois de persévérantes entreprises, il rejoignit ses compagnons sur

l'Ogooué et revint avec eux à la fin de novembre au Gabon. Ce furent les premiers jalonsdu Congo français (1).

Ce premier succès se réalisait pendant qu'avaient lieu les découvertes de Stanley au

Congo. M. de Brazza n'attendait que le moment d'entreprendre un second Aroyage. Les sociétés

savantes et les Chambres s'intéressèrent à ses projets. Des subventions lui permirent de les

reprendre. Il rejoignit le Congo près du cours d'un de ses affluents, la Léfini, fonda Fran-

ceville sur l'Ogooué et signa avec Makoko, grand chef de la tribu des Batékès, un traité

de paix et d'amitié. Il descendit le Congo jusqu'au lac appelé depuis Stanley Pool, où il

établit dans un Alliage appelé N'Tamo, sur la rive droite du fleuve, une station qui fut

Brazzaville.

La principale préoccupation de M. de Brazza était d'ouvrir une communication pra-ticable avec la côte. Laissant donc à Brazzaville trois hommes sous le commandement du

sergent sénégalais Malamine, il partit avec les autres pour Libreville et, de là, regagna à

travers les forêts l'Ogooué et l'Alima. Là il installa le poste de Diélé, et, sans prendre de

repos, quoiqu'il fût grièvement blessé au pied gauche, il explora la vallée du N'Douo,

affluent du Niari (1882). Il constata que ces deux fleuAres n'étaient, en réalité, qu'un même

cours d'eau qui va se jeter dans l'Océan sous le nom de Kouilou. Il fut empêché d'aller plus

loin par les peuplades indigènes et dut retourner à Landana, d'où il s'embarqua pour la

France.

Mais un fait capital était désormais acquis, c'est que la véritable route commode de

Stanley Pool à la mer, et la seule permettant d'accaparer le commerce de tout le centre do

l'Afrique, ayant pour grande artère le Congo, était ce Niari-Kouilou découvert par do Brazza.

Stanley, averti de ces faits, voulut les exploiter sans tarder au profit du gouvernement

pour lequel il opérait. Il retourna aussitôt en Afrique, en suivant l'itinéraire tracé par

1. A la même époque, le major portugais Serpa Pinto, agissant sous les auspices de la Société de Géographie de

Lisbonne avec le concours du gouvernement, recherchait les communications fluviales entre le Zaïre et le Zambèze.

Avec les deux officiers de marine de Brito Capello et Ivens, il partit de Bengwela le 12 novembre 1877 et put gagner

Bihé, mais là il se trouva au seuil des régions inconnues; ses compagnons le quittèrent alors, chacun prenant une

direction déterminée, et Serpa Pinto fit seul avec quelques hommes la traversée de l'Afrique australe, pour aboutir,

le 12 février 1879, à Pretoria, dans le Transvaal. Les découvertes qu'il fit secondèrent les progrès de l'ethnographie

sud-africaine.

24

Page 193: Les Francais en Afrique

172 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

Oscar Lenz, et arriva assez vite sur les lieux pour y créer quelques postes qu'il comptait

faire valoir dans les arrangements futurs entre les occupants européens du Congo.

IV

La France comprit qu'elle n'avait pas à se laisser enlever ses avantages. Il y eut, dans

tous les centres, un grand élan de coopération à l'oeuvre de Brazza. Des manifestations

éclatantes lui témoignèrent la reconnaissance de toutes les classes du pays. Le Gouver-

nement, la Ville de Paris, la Société de géographie, la Chambre de commerce, la Presse,

la nation tout entière se

rallièrent avec enthousiasme

à ce premier retour victorieux

aux traditions si longtemps

oubliées ou dédaignées de

notre expansion coloniale.

M. de Brazza fut le héros du

jour, et, quoiqu'il eût tendu

lui - même cordialement la

main à Stanley, qui l'avait

attaqué ouA'ertement dans

plusieurs discours, le public

le plaça beaucoup au-dessus

de son rival. Le Parlement

français, après avoir ratifié

CONGOFBANÇAIS.— Dansla Brousse. son traité avec Makoko, vota(Collection de l'École Coloniale.) ., ^_„ ___ .

une somme de 1.275.000 fr.

affectée au développement de son entreprise. Au mois d'avril 1883, il organisa sa troisième

expédition, qui eut pour objet de resserrer les liens d'amitié avec les tribus déjà alliées et

de se faire des auxiliaires de celles jusqu'alors hostiles. Il s'acquitta avec une persévéranceadmirable de cette tâche si difficile et y réussit complètement. Il trouva, d'ailleurs, des colla-

borateurs dévoués autant qu'énergiques dans Dutreuil de Rhins et Dufourcq, qui explorèrent

l'Ogooué, d'après ses instructions, le docteur Ballay, M. de Chavannes et Decazes, son frère

Jacques de Brazza, qui relevèrent le cours de l'Alima, M. Paul Dolisie, qui fit de même

pour le bas Congo, le lieutenant de vaisseau Cordier, qui occupa le poste de Loango, le

capitaine de frégate Rivière, qui remonta l'Oubangui jusqu'à 1° 30', le capitaine Pleigneur,

qui se consacra à la topographie de la région située entre Loango et Brazzaville.

D'autres expéditions françaises suivirent sans interruption ces routes ainsi tracées.

Quelques-uns de ces pionniers payèrent leur héroïsme de leur vie. Tels Jacques de Brazza,

qui mourut des fatigues de son voyage, Pleigneur, qui se noya dans le rapide de

Kossounda, Paul Crampel, qui fut massacré en avril 1891, Biscarrat, tué à El Kouti, aux

abords du bassin de Chari, Thiriet, tué sur la rivière Ikila, puis Musy devenu la proiedes cannibales (1) ainsi que de Poumayrac (2).

1. M. lMussy, chef de poste à Bangui, en face des rapides de Zongo, sur l'Oubanghi, fut assassiné en 1890 etmangé avec douze de ses miliciens par les indigènes.

2. En 1892, MM. de Poumayrac et Gaillard furent chargés d'installer des stations sur la rive droite de l'Oubanghiet au confluent de ce cours d'eau et du M'Ocmou. M. de Poumayrac fut envoyé par un agent de notre colonie,

Page 194: Les Francais en Afrique

LE CONGO FRANÇAIS 173

La mission DyboAvski, chargée d'appuyer la mission

Crampel, était déjà arrivée à Brazzaville quand M. Nebout,dernier survivant du massacre d'El Kouti, vint y confirmer

cette sinistre nouvelle. M. DyboAvski se porta immédiatement

Arers l'Oubangui au secours des Français, débris de l'expédition

Crampel, avec l'intention de châtier les assassins. Il n'y parvint

qu'à demi, et, après plusieurs rencontres aArcc l'ennemi,

auquel il infligea des pertes considérables, il fut obligé, parsuite du manque de vivres, de revenir au Congo.

Ainsi, à mesure que le courage surmontait les périls et queles horizons de l'inconnu s'élargissaient devant les explorateurs, „, , .° L

Type congolais.les ténèbres se dissipaient graduellement, il devenait évident

que le Congo français, surtout dans la riche vallée de Koulou, ouvrait à la métropole un

Arastc champ d'espérance.

V

En 1876, le roi Léopold II (même avant que l'existence d'une grande artère fluviale

nous eût été révélée à la suite des explorations de Stanley) aATait réuni à Bruxelles les

géographes, les explorateurs célèbres et les hommes d'État de toutes les nations et leur

avait proposé « de discuter et de préciser en commun les AToies à suivre, les moyens à

employer pour planter définitivement l'étendard de la civilisation sur le sol de l'Afriquecentrale ». A la suite de cette conférence fut constituée, sous le nom d'Association inter-

nationale africaine, une société qui se proposait « d'explorer scientifiquement les partiesinconnues de l'Afrique, de faciliter l'ouverture des Aroies qui fassent pénétrer la civilisation

dans l'intérieur du continent africain et de rechercher les moyens d'abolir l'esclavage en

Afrique ».

L'Association internationale africaine choisit tout d'abord comme champ d'action

restreint la région de l'Afrique comprise entre la côte orientale du Zanguebar et les

Grands Lacs de l'intérieur, c'est-à-dire une zone qui a été partagée depuis entre l'Alle-

magne et l'Angleterre. L'Association se proposait d'installer, pour arriver à ses fins, des

stations hospitalières en Aruede faciliter le ravitaillement des explorateurs et d'assurer un

refuge aux esclaves libérés. Des souscriptions furent ouvertes en faveur de cette idée et

eurent un grand succès. Les premières entreprises de cette oeuvre, dont le but était

excessivement louable, échouèrent cependant : les expéditions furent décimées par les

fièvres. Bientôt les divers comités nationaux se séparèrent de l'Association internationale

ou se dissolvôrent faute de ressources et d'entente, et le but exclusivement scientifique et

philanthropique fut progressivement oublié, chaque nation cherchant à opérer à son

profit exclusif (1).

Quand, le 12 août 1877, Stanley parut sur les bords de l'Atlantique, le terrain se

trouvait pour ainsi dire tout préparé pour la prise de possession des régions qu'il venait

de découvrir. Lui aussi fut appelé à Bruxelles. Entraîné par les récits de l'explorateur,

M. Liotard, vers le Kotto, rivière arrosant le pays des Boubous anthropophages et formant une importante voie de

pénétration. Attaqué par les naturels, il commit l'imprudence de descendre de sa pirogue près de Sanda, et de pour-suivre les Boubous dans les terres. Il fut enveloppé avec ses Sénégalais, et percé de coups de couteau et zagaies. Tous

furent mangés. Le massacre de M. de Poumayrac et de ses compagnons fut vengé plus tard par le duc d'Uzès.

1, Voir les articles de M. Paul BARRÉ,dans la Revue française de juillet 1897 et dans la Revue de Géographie.

Page 195: Les Francais en Afrique

174 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX* SIÈCLE

le roi des Belges voulut faire pour la partie de l'Afrique située entre l'Atlantique et les

Grands Lacs, ce que l'explorateur avait fait pour l'Afrique orientale.

Le 25 novembre 1878, fut constitué à Bruxelles le Comité d'études du Haut-Congo,

qui fut desliné à remplir, à la côte occidentale, une mission analogue à celle dont

l'Association internationale africaine s'acquittait sur les rivages de l'océan Indien. Soutenus

par ce comité, des agents ne tardèrent pas à partir pour la côte occidentale africaine. Ils

remontèrent le Congo jusqu'aux Slanley-Falls (1), établirent des communications régulières

avec la côte et fondèrent une série de stations hospitalières sur les deux rives du grand

fleuve. Le plus actif de ces agents fut Stanley

lui-même. A la fin de 1879, il reparaissait sur

les bords du Congo à la tête d'une expédition

considérable organisée sous le patronage du roi

des Belges ; le 1er février 1880, il fondait la sta-

tion de Vivi, frayait laborieusement une route

à sa caravane dans la région des cataractes,

établissait les postes d'Isanghila et deManyanga,

puis, à la fin de 1881, celui de Léopoldville, sur

la rive gauche du Congo, à hauteur de Stanley-

Pool (2).« En même temps, do nombreux agents

belges et anglais négociaient, dans la A'alléc du

Niari, avec les indigènes, des traités qui leur

assuraient la possession de cette A7allée ainsi que

du littoral jusqu'à Loango ; seize stations affir-

mèrent cette occupation. Vers la fin de 1883, le

comité d'études du Haut-Congo, devenu Asso-

ciation internationale du Congo, posséda ainsi

Marquis DECOMP.ÈGNE. P1US de mille traités Par lesquels les chefs

indigènes lui cédaient leurs droits souverains

sur l'immense domaine compris dans le bassin du Congo (3). »

Il était évident qu'un nouvel Etat, non encore précisé, venait virtuellement de se

fonder au Congo, quoique non encore reconnu et non délimité, empiétant même sur des

territoires réclamés par le Portugal et par la France.

D'autre part, un conflit ne tarda pas à éclater dans la région du Niari-Kouilou, où

les postes français et belges s'enchevêtraient. Un modus vivendi dut être établi. Chacun

conserva ses stations provisoirement, mais le passage de l'une à l'autre ne devait pas être

entraA'é, et M. Duclerc, notre ministre des affaires étrangères, en donna l'assurance au

roi des Belges, dans sa lettre du 16 octobre 1882.

Ce premier lien de bon voisinage entre la France et l'État naissant fut resserré sous

le ministère Jules Ferry. Grâce à la reconnaissance par la France des territoires acquisalors par l'Association internationale du Congo, le colonel Strauch, président de cette

Association, dans une lettre du 23 avril 1884, prit l'engagement formel de donner à la

1. Ce sont des chutes qui se trouvent sur le Grand fleuve.

2. Le Stanley-Pool est une sorte de lac ou plutôt une excroissance du fleuve Congo; c'est sur ses bords que lesFrançais ont installé un poste en 1880, à Brazzaville, en face des stations belges.

3. Revue de Géographie, novembre 1895, article du docteur ROUIRE.

Page 196: Les Francais en Afrique

LE CONGO FRANÇAIS 175

France « le droit do préférence si, par des circonstances impré-vues, l'Association était amenée un jour à réaliser ses posses-sions ».

D'autres dificultés surgirent. Le Portugal prétendait avoir desdroits historiques sur les deux rives de l'embouchure du Congo et

protesta contre les entreprises belges et françaises. Dans le but decontrecarrer ces dernières, les Anglais — qui devaient pourtantmaltraiter si fort ce pauvre Portugal quelques années après — sou-

tinrent les prétentions lusitaniennes. Par la convention signée le

26 février 1884, l'Angleterre reconnaissait comme zone portugaisele territoire placé sur la côte, entre 5° 12' et 5° 18' de latitude nord, Type congoiajsenlevant ainsi à l'Association tout contact maritime. L'Angleterreobtenait, par contre, une sorte de protectorat déguisé sur le bassin du Congo, de compteà demi aA^ec le Portugal.

Cette convention choquait trop d'intérêts pour subsister. Elle provoqua les protes-tations de la Hollande, de l'Allemagne, des États-Unis et de la France, et c'eût été unarrêt de mort pour l'État du Congo si elle avait eu force de loi. En attendant pourtant, le

Portugal fit occuper l'embouchure du Congo et Banana, et y envoya une escadre, qui n'enfut retirée que plus tard.

Le rapprochement do la Franco et de l'Association internationale, qui fut la consé-

quence de l'accord anglo-portugais du 26 féATrier 1884, provoqua bientôt des échangesde Arues entre diverses grandes puissances au sujet de l'Afrique, et finalement, sur

l'imitation de l'Allemagne, une conférence réunit les délégués de toutes les puissancesintéressées à Berlin en 1884-85.

Dans l'intervalle, les États-Unis avaient, les premiers, le 22 avril 1884, reconnu

comme État les territoires de l'Association internationale du Congo. La France était A'enue

presque en même temps.

L'Allemagne, le 8 novembre 1884, fut plus explicite encore et introduisit dans le

droit public de l'Europe le nouvel État africain, en reconnaissant le pavillon de l'Asso-

ciation comme celui d'un État ami et en accordant une certaine étendue de territoire à

ce nouA'ol État. De son côté, l'Association s'engageait à ne prélever aucun droit sur les

articles ou marchandises importés directement ou en transit dans ses possessions, et

octroyait aux sujets allemands le droit de séjourner et de s'établir dans ses territoires,

d'y acheter, d'y vendre, d'y louer des terres, d'y fonder des maisons de commerce, d'y

jouir du libre exercice de leur culte, d'y être traités, en un mot, comme les propres

sujets et habitants du pays.

Cette convention avec l'Allemagne a servi de point de départ et de modèle à toute

une série d'actes analogues, qui se succédèrent presque coup sur coup, dans un intervalle

de trois mois, durant la conférence qui se tint à Berlin du 8 novembre 1884 au 26 février

1885 et qui aboutit à la fondation de l'« État indépendant du Congo » et à sa neutralité

sous la souveraineté de Léopold II; mais l'union de la Belgique et de l'État du Congo

se limite exclusivement à la personne du roi.

L'Angleterre, par le traité du 16 décembre 1884, reconnut le nouvel État et n'insista

pas sur ses prétentions premières devant les protestations unanimes.

Toutes les autres puissances, par des accords spéciaux, reconnurent aussi l'existence

Page 197: Les Francais en Afrique

17fi LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIECLE

du nouvel État. La convention définitive avec la France date du 5 février 1885, et celle

avec le Portugal, du 14 février suivant.

Toutes les conventions signées par les diverses puissances sont presque conçues

dans les mêmes termes, mais les traités avec l'Allemagne, la France et le Portugal

présentent un intérêt particulier, car ils déterminent les limites de l'État du Congo.

C'est dans la convention avec l'Allemagne que la première délimitation de l'État

est apparue; elle n'y est fixée d'ailleurs que provisoirement et réserve les régions où le

fleuve débouche dans l'Océan.

L'accord du 5 février 1885 avec la France nous rétrocédait la vallée du Niari-Kouilou

en échange de quelques territoires batékés

de la rive gauche du Congo. Les Belges durent

donc évacuer tous les postes qu'ils aAraient

établis — en ATIC surtout de s'en servir comme

monnaie d'échange — dans la région du Niari-

Kouilou.

Les négociations avec le Portugal, fort diffi-

ciles en raison des droits historiques sécu-

laires affirmés par ce dernier et que l'Angleterreavait un moment appuyés, aboutirent enfin le

14 février 1885, grâce à la médiation de la

France. L'Association reconnut la souArerainelé

du Portugal sur une petite enclaAre située au

nord du Congo et comprenant Cabinda, Molembe

et Landana, et le Portugal accepta ensuite celle

de l'État libre sur 37 kilomètres de littoral au

nord de l'embouchure du Congo, lui donnant

ainsi un petit couloir pour accéder à la mer,

avec les ports de Borna et Banana. L'ÉtatM. LIOTARD.

devait en créer bientôt un troisième à Matadi,

sur le fleuve, et faire partir plus tard de ce point la voie ferrée qui atteint maintenant

le Stanley-Pool.

La conférence de Berlin clôtura ses travaux le 23 février 1885 et déclara la liberté du

commerce et le libre accès pour tous les pavillons dans les bassins du Congo et du Niger,tant pour le transport des voyageurs que des marchandises. Pendant une durée de A'ingt

ans, les marchandises sont affranchies des droits d'entrée et de transit ; à cette époque, les

puissances décideront si la franchise doit être conservée.

Les plénipotentiaires réunis à Berlin ont, entre autres questions étudiées, interdit en

principe la traite des esclaves dans le territoire soumis à l'Europe en Afrique et édicté des

mesures, très difficiles d'ailleurs à appliquer en pratique, contre l'abus des liqueurs et

spiritueux, qui est, avec l'esclavage, l'une des plaies de l'Afrique.

Cependant les limites des différents territoires de l'Europe dans cette région africaineétaient trop indécises en bien des points pour ne pas subir des remaniements.

C'est ainsi que la convention du 5 février 1885, complétée par celle du 12 novembrede la même année, avait assigné comme limite franco-congolaise le 17° longitude est do

Greenwich et la crête du bassin de la Licona-N'Kundja. Or, on ne savait presque rien de

Page 198: Les Francais en Afrique

LE CONGO FRANÇAIS 177

la Licona-N'Kundja. La France prétendit que cette rivière devaits'identifier avec l'Oubanghi, que l'explorateur Grenfell venaitde découvrir (1886), ce qui nous donnait un immense bassin

inespéré, s'étendant bien loin vers l'est; les Belges opinaientpour une petite rivière marquée sur les cartes du nom seul deLicona. On discuta longtemps sur cette question et, en juillet1886, le litige fut déféré à l'arbitrage du président de la

République helvétique; mais, avant même la décision arbitrale,la France et l'État du Congo finirent par signer l'arrangementdu 29 avril 1887. Le résultat de cet accord fut de ne plusadmettre comme frontière le 17° longitude est de Greenwich,°

Type congolais.mais de prendre une frontière naturelle, le cours de l'Oubanghi.Le thalweg de cette rivière deATint la frontière commune jusqu'à son intersection avec le

4" parallèle nord. Au delà, l'État du Congo s'engagea à n'exercer aucune action politique sur

la rive droite de l'Oubanghi, dont le cours supérieur était alors inconnu ; la France s'engageaaussi à n'exercer aucune action sur la rive gauche de l'Oubanghi, toujours au nord du

4° parallèle.' Peu après, une nouvelle interprétation, différente de la convention franco-congolaise

de 1887, rendait aigus les rapports entre le Congo français et le Congo belge. Les explo-rateurs belges, et notamment Van Gèle, avaient reconnu que l'Oubanghi venait de l'est

et non du nord, comme on l'avait cru, et qu'il était formé, vers le 4° parallèle, par deux

rivières, le Mbomou et l'Ouellé. Mais laquelle des deux était la branche maîtresse? Les

Belges prétendaient que c'était le Mbomou ; la France soutint que c'était l'Ouellé, dont le

cours était plus long que celui de l'autre rivière.

La France, toujours accommodante, fit bien occuper une partie du pays contesté, mais

son poste le plus avancé ne fut pas établi plus loin qu'aux Abiras, au confluent de l'Ou-

banghi et du Mbomou (1892) ; comme au delà les Belges, plus rapides que nous, nous

barraient le chemin, nous nous contentâmes de négocier.Les pourparlers durèrent plus de deux ans. Ils aboutirent enfin à l'accord du 11 août 1894,

qui déclara que le Mbomou formerait la frontière entre les deux Congos, la rive droite

étant française et la rive gauche belge. Il a été stipulé, en outre, qu'à partir de Ndorouma,

où le Mbomou prend sa source, l'État du Congo pourrait étendre son action jusqu'à 5° 30',

et sur le Nil jusqu'à Lado. A ce nouvel arrangement, l'Etat indépendant a ainsi gagnétoute la rive gauche du Mbomou au nord du 4e parallèle, et à partir de Ndorouma, tout

le pays jusqu'au 5° 30' de latitude.

Ces accords de 1894 sont les derniers qui aient modifié les frontières de l'État du

Congo, mais il restait encore un point à préciser dans la région nord-est. En effet, par la

convention du 12 mai 1894, l'Angleterre avait cédé à bail à l'État du Congo la région du

Bahr-el-Ghazal et du Haut-Nil dans le but d'empêcher la France d'y pénétrer. Mais les

Anglais voulaient surtout se réserver plus tard cette belle région.

Par la convention du 21 mars 1899, la France a renoncé à son tour au Bahr-el-Ghazal

en faveur de l'Angleterre, et l'État du Congo a, de son côté, abandonné ce territoire en 1901.

VI

En 1897, lorsque M. de Brazza s'étant retiré, M. de Lamothe fut nommé gouverneur

du Congo, la colonie fut définitivement organisée au point de vue administratif. On la divisa

Page 199: Les Francais en Afrique

178 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX« SIÈCLE

en deux parties dont chacune eut à sa tête un lieutenant gou-

verneur : le Congo français et l'Oubanghi. De même que les

autres colonies de la côte occidentale d'Afrique, on assura

son existence propre en la dotant d'un conseil d'administra-

tion, d'un corps judiciaire et d'un budget spécial.

Puis on commença à essayer de mettre en valeur les

richesses contenues en cet immense territoire, six fois grand

comme la France. C'est alors que se posa la question des voies

de communications. A vrai dire, elles sont encore sommaires

et rien de définitif n'a encore été fait. Des projets magnifiques

ont été conçus, mais les uns sont encore à l'étude, les autres

n'ont pas encore reçu tous les sacrements administratifs qui

Type congolais. doivent précéder leur mise à exécution. Les postes établis

dans l'intérieur doivent assurer leurs communications avec

Brazzaville par les cours d'eau et, de là à la côte, se servir soit du chemin de fer belge qui

conduit à Matadi ou soit de la route peu sûre qui, en traversant les montagnes de Mayombé,

atteint Loango.Sur cette route, qui était la seule voie de communication avant l'ouverture du chemin

de fer et qu'employaient alors les Belges eux-mêmes, le transport des marchandises se

faisait à dos d'hommes. C'est encore aujourd'hui le mode de portage le plus économique et,

la colonie, sous la direction de M. de Brazza, a organisé sur toutes les routes ou, plus

exactement, sur tous les sentiers suivis par les caravanes commerciales au Congo, de véri-

tables relais de porteurs qui, sur le seul parcours de Loango à Brazzaville et pour une

distance de 600 kilomètres, nécessitent l'emploi d'environ sept mille nègres.Les transports par eau n'ont pu également être définitivement organisés jusqu'à présent.

A la seule inspection de la carte, le système des cours d'eau parait constituer un magnifiqueensemble d'artères pouA'ant être utilisés pour la pénétration facile des hommes et des mar-

chandises Amenantd'Europe jusqu'au coeur de l'Afrique. En réalité, il n'en est pas ainsi. Des

services à peu près réguliers de bateaux à vapeur ont été installés sur le Congo et ses

principaux affluents, mais il a fallu créer des bateaux spéciaux à fond plat, mus par une

roue unique placée à l'arrière, et calant, tout chargés, vingt centimètres au plus. Encore

ces embarcations, dont la marche est extrêmement lente, ne peuvent-elles serA'ir dans les

régions à rapides. Il a fallu créer alors des bateaux à hélice, très plats, calant soixante

centimètres, et actionnés par une hélice logée sous voûte. La

force motrice est obtenue en brûlant du bois. Aussi, faut-il

entretenir à bord une équipe de coupeurs qui travaillent une

partie de la nuit à abattre des arbres pour alimenter la machine.

Par suite de ces haltes forcées, on ne peut naviguer plus de dix

heures par jour. Suivant la saison, la hauteur des eaux, les

qualités de marche du bateau, il faut compter employer de deux

à quatre semaines pour franchir les 1.500 kilomètres qui séparentBrazzaville de Bangui où commencent les rapides de l'Ou-

banghi.Les ressources naturelles du Congo ont été étudiées par

diverses missions. Dès l'année 1893, M. Barrât, étudiant au

point de vue géologique les monts de Cristal et la région de Type con&olaii3.

Page 200: Les Francais en Afrique

LE CONGOFRANÇAIS 179

l'Ozoué, y signalait la présence de l'argent, du cuivre, du man-

ganèse, du plomb et du zinc.

Mais ce sont surtout les produits de la végétation et do laculture qui peuvent donner lieu à un important mouvementd'affaires. En dehors des plantes alimentaires ou médicales, lesbois et le caoutchouc peuvent fournir aux futurs colons de largessources de profit.

On peut dire que tout le territoire de l'Atlantique à l'Ou-

banghi n'attend, pour être mis en valeur, que des bras et "des

capitaux (1). Malheureusement, il en est du Congo comme

d'un trop grand nombre de possessions coloniales de la France.... Congolais3.

L'inintelligence malfaisante d'une administration tracassière

et méticuleuse annihile tous les efforts individuels, éloigne les bonnes A'olontés, stérilise

les capitaux. Les conditions dans lesquelles sont accordées les concessions de terrainssemblent faites pour décourager les colons et ruiner d'avance leurs tentatives.

Lorsque, après de multiples démarches, les demandeurs en concessions avaient enfin

obtenu satisfaction, « ils signaient aveuglément le cahier des charges, dit M. Serge Basset (2),

s'occupaient de constituer en hâte la société qui, aux termes de ce contrat, devait se subs-

tituer à eux, et préparaient le départ de leurs agents. Il y avait pourtant dans ce cahier des

charges — s'ils l'eussent étudié comme il seyait à des gens sérieux et s'ils n'eussent pas été

mus (on l'a dit, sans que le contraire ait pu être prouvé) par de simples mobiles d'agiotage— il y avait pourtant dans ce cahier des charges, rédigé aArec un soin minutieux, certaines

clauses qui eussent été, certes ! de nature à faire réfléchir les imprudents.« La principale, établie par l'article 6 du titre 3, stipulait que la société devait payer une

redeATance fixe proportionnelle à sa superficie. Cette redevance, due seulement, dans son

intégrité, à partir de la onzième année, se trouvait réduite à un tiers pour les cinq pre-mières années, et aux deux tiers, pour les cinq années suivantes. La société devait payeren outre 15 °/0 de son revenu net, revenu dont le cahier des charges établissait avec une

méticuleuse exactitude la composition et le mode de calcul.

« Le concessionnaire était en outre tenu de mettre à flot

dans un délai de deux ans et d'entretenir en service, au

moins deux bateaux à A'apeur grand modèle et quatre petitsbateaux à A'apeur, petit modèle, sur les cours d'eau naA'iga-bles qui tarversaient le territoire concédé ou le reliaient au

Stanley-Pool. Ce même article 11 obligeait encore le conces-

sionnaire à se charger, sous certaines conditions et d'après un

tarif convenu, des transports pour le compte de l'État,« Le concessionnaire était également tenu de remplacer dans

une proportion déterminée les lianes de caoutchouc exploitées

par lui.Type congolais. (<^ enfin et surtout, il y avait l'article 16 — qui soulève en

1. « La France est maintenant maîtresse, dans l'Ouest Africain, d'un territoire immense, riche en ressources

,'égétales et minérales et dont l'avenir commercial promet d'être des plus brillants. Il a accès, par l'est, à plus

le 2.000 kilomètres de voies navigables. A l'ouest, il possède une ligne côtière de 1.300 kilomètres baignée par

'Océan Atlantique; huit spacieux bassins fluviaux y sont renfermés. Et de ces 90 millions d'hectares, il n'en est

jas un seul qui soit sans valeur! - (STANLEY, Cinq années au Congo.)

2. Cf. Serge BASSET, Ce qui se passe au Congo, Revue des Revues, 15 août 1901.

Type congolais.

Page 201: Les Francais en Afrique

180 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIECLE

ce moment, au Congo, plus de colère et de disputes, entre

les sociétés concessionnaires et l'administration, que la ques-

tion des congrégations, en France. Aux termes de cet article,

les concessionnaires s'engageaient à concourir à l'établissement

des postes de douanes rendus nécessaires par leurs opérations

commerciales. — Voyez-vous la joie d'un Français obligé de

payer son propre gabelou et aussi d'assurer, là-bas, le logementde tous les douaniers ainsi que des miliciens d'alentour !

« Autant de clauses qui devaient plus tard être des motifs

incessants de troubles, de récriminations et de bruyantes dis-

putes entre les délégués de l'État chargés de faire respecter

Type congolais. les contrats intenrenus et ceux qui les avaient signés d'un coeur

si léger ! »

Enfin, après avoir surmonté maintes difficultés, les concessionnaires sont parvenus à

s'installer. Jusqu'ici, à part quelques rares exceptions, ils n'ont pu tirer de profit réel que de

l'ivoire et du caoutchouc. Les compagnies d'exploitation ont, depuis deux ans, porté leur

activité sur toute la surface du pays. On peut les classer en trois sections : 1° Les sociétés

de la Sangha; 2° les sociétés du moyen Congo ; 3° les sociétés de l'Oubanghi.Passons-les rapidement en revue :

« Les sociétés de la Sangha. Le bassin de cette rivière se partage en deux grandeszones : la Haute-Sangha, qui a pour chef-lieu administratif Carnot, elle s'étend de sa source

au poste d'Ouesso ; la Rasse-Sangha, d'Ouesso au cours du Congo.« Cette dernière région est essentiellement un pays de marais où souffle un air empesté.

Donc, à peine peuplé ; les indigènes eux-mêmes semblent s'en écarter d'instinct. Par contre,

beaucoup de caoutchouc; la liane d'où l'on extrait ce produit no croit jamais plus floris-

sante que dans les marais. On le devine tout de suite : les compagnies installées dans cette

région — de l'avis de tous ceux qui sont allés là-bas — n'ont aucune espèce d'avenir.

Comment y recruter (sauf peut-être dans la zone en litige entre le Cameroun et la France)les noirs qui pourraient travailler au caoutchouc ?... Pas de bras ; une main-d'oeuvre presque

impossible à organiser et d'une cherté extraordinaire.

« Quel contraste avec la région de la Haute-Sangha ! Ici, au contraire, les heureuses

compagnies concessionnaires vont se trouver en pleine prospérité. Avantage inappréciable :une population dense dans de nombreux Alliages. Partout, et sans qu'il soit besoin de vio-lences ni d'offres exagérées, les indigènes travaillent au caoutchouc. Ils y sont habitués

depuis que des administrateurs jeunes, actifs, prévoyants, ont introduit, là-haut, en

échange de la sécurité qu'ils apportaient avec eux, l'impôt en nature. Tant de kilogrammesd'ivoire par tète ; tant de kilogrammes de caoutchouc. Les trois sociétés qui se sont ins-tallées sur ce territoire ont bénéficié de ces efforts. Six semaines après leur installationelles pouvaient déjà faire la traite des précieux produits. Certaines d'entre elles —

et c'est le gage d'un brillant avenir? — ont pu, six mois après leur arrivée, exporterjusqu'à trente tonnes de caoutchouc !

« Tout n'est pas rose non plus pour les sociétés qui ont obtenu leurs concessionsdans la vaste région de l'Oubanghi. Là encore, il faut tracer deux zones : celle du Moyen-Oubanghi — qui va de Loukouléla à Bangui — et l'immense espace qui s'étend de ce

poste jusqu'aux régions des sultanats, le Haut-Oubanghi.« Certes, l'ivoire n'est pas rare dans la première zone, mais d'énormes entraves

Page 202: Les Francais en Afrique

LE CONGO FRANÇAIS 181

paralysent l'action des sociétés. A telle enseigne que c'est h

peine si, jusqu'à présent, celles-ci, à elles toutes, ont puexporter cinq ou six tonnes d'ivoire. Ne vous hâtez pas decrier à l'incurie ou à la mollesse. Le Moyen-Oubanghi est laterre des Rondjios. 11 suffit au Congo de prononcer ce nom

redouté, pour qu'on comprenne aussitôt les incroyables dan-

gers au milieu desquels se débattent les agents égarés parmiles peuplades anthropophages. Longtemps, Stanley garda

l'expression terrifiante du cri féroce qu'il entendait, dans toute

cette région, retentir sur ses pas : Voilà de la viande, de la

viande qui passe, de la viande, de la viande. T consolais« Et, jetés un peu partout, les ossements des blancs assez

téméraires pour s'être aventurés, sans une solide escorte, loin de leurs factoreries, des

blancs assaillis par derrière à chaque instant dans la brousse et dévorés comme une

gourmandise par les Bondjios — les ossements des blancs dictent à tous les pas, aux agentscommerciaux, des leçons de prudence peu compatibles avec une marche rapide des affaires.

« La région du Haut-Oubanghi est prodigieusement riche en ivoire. Les sociétés quiont eu la bonne fortune d'y établir leur factorerie n'ont, avec un peu de diplomatie, rien à

craindre de l'avenir.

« Des différences nettement tranchées séparent de tout le reste du Congo cette zone

qu'on est comTenu d'appeler zone des Sultanats, du nom des chefs nègres — ils ont le titre

de sultan — qui ont établi là leur domination. La population est un mélange de noirs et de

musulmans, descendus jusque-là par le Nil et le Bahr-el-Gazal, on ne sait trop à quelle

époque. L'influence arabe a ici heureusement modifié le type indigène.« A traArers tout ce pays et notamment dans les trois principaux sultanats, à Rafaï, à

Rengassou, à Zèmio, les couleurs françaises sont demeurées jusqu'ici les bicuvenues.

« A force d'habileté, M. Liotard — qui le premier osa s'aventurer dans ces régions plusterribles encore, disait-on, que le pays desRo?idjios— a su implanter notre influence et faire

tolérer les envoyés de notre pays.« Ainsi la situation des quarante sociétés concessionnaires du Congo apparaît claire

et véritable. Seules (c'est-à-dire huit à dix sur quarante) peuvent à l'heure actuelle donner

quelques bénéfices et produire des dividendes :

« 1° Les compagnies de la Haute-Sangha (peu d'ivoire ; mais beaucoup de caoutchouc) ;

« 2° Les compagnies du Haut-Oubanghi (Sultanats) où le caoutchouc ne rend pas,

mais où dorment d'énormes quantités d'ivoire.

« Nous avons dit, en toute impartialité, quelle pouvait être la situation des autres.

Ajoutons ceci : La plupart d'entre elles ont dépensé la moitié de leur capital. Les action-

naires (on l'a bien vu aux dernières assemblées générales, mouvementées, quelques-unes

orageuses) se font tirer l'oreille pour verser le troisième quart.

« Il paraît donc inévitable que plusieurs de ces sociétés sombrent ou se transforment,

ou se groupent pour essayer de vivre et, à plusieurs, de mener à bien l'oeuvre qu'elles se

sont trouvées impuissantes à réaliser toutes seules. Notre plus cher désir serait qu'elles

puissent ainsi sauver les capitaux que l'épargne française avait si libéralement jetés dans

cette aventure équatoriale (1)... »

1. Serge BASSET, Op. cit.

Page 203: Les Francais en Afrique

182 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIECLE

VII

En même temps que les divers champs d'action se délimitaient, l'ère des explorations

purement scientifiques était clôturée et celle des rivalités politiques ouverte. Dès ce moment,

les prétendants à la suprématie coloniale et commerciale dans cette partie du monde ne

songent plus qu'à s'y créer des débouchés, à y étendre leurs territoires et à y faire prévaloirleurs intérêts économiques avec leurs visées aux protectorats, préludes des annexions. Les

idées humanitaires servent de pavillon à ces ambitions. Il n'était question au début que de

mettre fin à la traite des nègres, de frayer des voies à la civilisation, de poursuivre jusquedans l'intérieur du continent noir l'oeuvre de pénétration, qui devait arracher les populations

indigènes à la barbarie. En réalité, à mesure que l'on a marché de l'avant, on a fondé des

stations militaires, on a occupé le pays, en attendant qu'on put l'exploiter. Il y a désormais,

pour les peuples d'Europe, à l'étroit dans leurs frontières, des lois inéluctables d'expansion

qui les poussent, tour à tour, dans la bataille utilitaire et qui substituent forcément la

recherche des avantages personnels pratiques et matériels aux entreprises altruistes que

préconisaient les philosophes du XVIII" siècle. L'esprit positif commande des projets tout

différents de ceux qui étaient jadis le rêve de l'école idéaliste et sentimentale. La maxime« chacun chez soi, chacun pour soi » est la seule règle de conduite possible, en présencedes efforts de tous pour s'arroger exclusivement la main mise sur la carte d'Afrique ou

d'Asie, les seules qui se remanient encore aujourd'hui sans que l'Europe elle-même prennefeu.

Cependant, le moment approche où ces remaniements cesseront par suite de l'occu-

pation de toutes les positions. Le Congrès de Berlin, en prévision de ce partage définitif,a tâché d'organiser l'équilibre africain. L'acte synallagmatique intervenu entre la France,

l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne, les États-Unis, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, la Bussie et l'Autriche-Hongrie, représentés par leurs plénipotentiaires, estassurément un de ces instruments diplomatiques dont l'autorité et la portée sont trophautes pour n'en point tenir compte, mais les événements ont démontré que des circons-tances peuvent inviter à des infractions au contrat et que les procédés comminatoires —on l'a vu à l'occasion de l'affaire de Fachoda — peuvent toujours s'affirmer en certains cas,quand la raison d'État jugera possible et opportun d'invoquer la force primant le droit.

Types congolais.

Page 204: Les Francais en Afrique

UN EMBARQUEMENT.

(Collection de l'École Coloniale.)

L'ÉTAMWÉPENDANT DU CONGO

CARTE DE L'ÉTAT INDÉPENDANT DU CONGO.

Page 205: Les Francais en Afrique

L'État indépendant du Congo empêchera peut-être

longtemps l'Afrique de tomber sous une influence pré-

pondérante : il lui assure une sorte d'équilibre.

Edouard DRIAULT.

La base de l'organisation de l'État indépendant du

Congo est l'exploitation commerciale du pays. On peutdire qu'aucune contrée ne se prête plus merveilleuse-

ment à un tel régime.

Paul BORY.

Page 206: Les Francais en Afrique

CONGOBELGE. — ENTRÉE DU VILLAGE DE MONÈNÈ-KONAKO.

CHAPITRE XII

L'ETAT INDEPENDANT DU CONGO

I

A vaste région qui s'étend au centre de l'Afrique entre les territoires français du

Congo et de l'Oubanghi, l'Afrique orientale anglaise, l'Afrique orientale allemande,

l'Équatoria anglaise et les territoires portugais d'Angola et de Kabinda, occupeune superficie d'environ 2.450.000 kilomètres carres. Lest 1Etat indépendant du Congo,communément appelé Congo belge.

Issu de l'Association internationale et constitué par la Conférence de Berlin, cet Etat

offre cette particularité qu'il n'a pas de souverain et appartient cependant, comme pro-

priété personnelle, à un roi. Nous en avons déjà indiqué l'origine et expliqué comment

Léopold II, avec l'aide de Stanley, entra en possession de cet immense territoire qui est

encore aujourd'hui son domaine privé.

Le but de cette colonisation était d'abord de travailler à la civilisation de l'Afrique ;

mais, une fois de plus, fut affirmée ici cette vérité que civilisation signifie souvent acca-

parement du sol et acquisition d'avantages mercantiles. Il faut toutefois rendre cette justice

à l'entreprise belge au Congo qu'après avoir traversé la période des procédés chers à Stanley,c'est_à-dire l'emploi de la terreur et de la violence, les commerçants et les entrepreneurs

de chemins de fer, collaborant à l'opération lucrative due à l'initiative royale, s'efforcèrent

d'ouvrir des débouchés à l'industrie en contribuant à la pénétration de l'Afrique centrale.

Au point de vue économique, la Compagnie du Congo a évidemment secondé le déve-

loppement de cette contrée : des factoreries y ont été établies, des postes y sont créés, des

Page 207: Les Francais en Afrique

180 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

flottilles île steamers naviguent sur les eaux du haut Congo depuis 1881 (on en comptait

quarante-deux en 1899). d'autres vapeurs font le service entre Anvers et les bouches du fleuve.

Une oeuvre plus considérable encore a été réalisée : les Belges ont créé une voie ferrée

entre Matadi et Léopoldville, sur le Stanley-Pool, permettant d'annihiler l'obstacle des

rapides infranchissables du bas Congo. Une ligne télégraphique est établie entre l'Equateur

et les Stanley-Falls. D'autres voies de communication sont projetées.

Les difficultés matérielles financières îles exécutions de ce plan ont été nombreuses,

mais il faut avouer que la ténacité et l'esprit de suite des Belges les ont vaincues en grande

partie. Les travaux de la voie ferrée

partant de Matadi, aux bouches du

fleuve, ont duré plusieurs années (il a

fallu deux ans pour achever 9 kilomètres

seulement de chemin de fer), les mala-

dies décimaient les travailleurs, à tel

point qu'en trente mois, neuf cents

hommes sur quatre mille cinq cents

avaient succombé et que l'on fut obligé

d'avoir recours à des Chinois. Malgrétous ces obstacles et les violentes accu-

sations et attaques dont le roi des

Belges fut, à diverses reprises, l'objet

dans le Parlement, l'oeuvre a été pour-

suivie avec une persévérance indé-

mcnlie.

Aujourd'hui il suffit de deux jours

pour se rendre de Matadi à Léopold-

ville. La facilité des communications

permet l'amélioration constante des

conditions d'habitation des blancs au

point de vue de l'alimentation et de

l'hygiène. « Ce chemin de fer, a dit un

voyageur, c'est l'Afrique rendue habitable. » Ce sont en outre les richesses de l'Afrique rendues

exploitables. « Si la fertilité du Haut-Congo, ajoutait le même voyageur, répond à la puissance

d'organisation que montrent dans leurs stations les Belges établis au Congo, on peut pro-

mellre le plus riche avenir à tout l'Etat indépendant qui se divisera nettement en deux

régions : le Bas-Congo est tout indiqué pour devenir, avec le temps, la région industrielle,

et le Haut-Congo, la région agricole, servie, celle-là, par le chemin de fer dont on fera,

maintenant que le plus dur esl fait, ce qu'on voudra; celle-ci par un fleuve puissant et le

plus admirable réseau fluvial que l'on puisse imaginer. »

II

Léopold II a exprimé son intention de léguer à la Belgique les droits qui lui appar-

tiennent en propre sur le Congo. A vrai dire, les Belges n'ont pas encore accepté ce legs à

cause des charges qu'il implique; seulement, ils se réservent d'en faire leur profit, car ils

sont bien décidés à ne pas laisser la France user du droit de préemption que lui recon-

naissent les conventions de Berlin.

Carte «les Explorations au Conjjo au xix" siècle

Page 208: Les Francais en Afrique

L'ÉTAT INDÉPENDANT DU CONGO 187

Cette conquête ne se fit pas sans coup férir. Les premièresexpéditions avaient été organisées par l'Association interna-tionale africaine à la côte orientale. Cette période de débuts'étend de 1877 à 1885. Au capitaine Crespcl, mort peu de

temps après son arrivée à Zanzibar, avait succédé le lieutenantCambier qui atteignit le Tanganyika et fonda la station deKarcma.

A la seconde expédition, commandée par Popclin, se

rattache l'essai d'acclimatation de l'éléphant asiatique et l'appri-voisement de l'éléphant africain à l'exemple de celui des Indes.

Après les deux expéditions de Stanley (1879-1882 et 1883-

1884), son oeuvre fut continuée par des officiers belges.Van Gèle se rend aux Slanley-Falls en 1885 et entre alors en relation avec les Arabes,

dont le chef Tippo-Tib avait réussi, par la force et surtout par la ruse, à fonder un véritable

empire (1). En cette même année, Grenfell explora la Licona que l'Acte de Berlin désignaitcomme limite entre la France et l'État du Congo.

Les négociations avec la France se poursuivirent en 1886 par des conférences entre le

lieutenant Liebrcchts et le lieutenant Moncri, d'une part, et le commandant Bouire et le

docteur Ballay, d'autre part, au sujet de la délimitation du Kouilou-Niari.

Peu après commencèrent avec Tippo-Tib les premières difficultés sérieuses. En dé-

cembre 1886, sous un prétexte futile, les Arabes attaquent les Falls commandés par Deane

et Dubois. Ceux-ci défendirent héroïquement la station qu'ils n'abandonnèrent que lorsqueles soldats haoussa et bangala s'enfuirent lâchement. Avant de quitter leur poste, et lors-

qu'ils purent se convaincre qu'ils ne pouvaient plus y tenir utilement, ils y mirent le feu ;

le brave Dubois se noya pendant la retraite.

Dans une entrevue qu'il eut avec Stanley à Zanzibar, Tippo-Tib nia toute participationà cette affaire qui se termina par la nomination du chef arabe comme vali des Falls, avec

l'adjonction d'un résident de l'État. Les Belges n'étaient pas encore assez forts pour agir :

1. •• Les Arabes sont des négociants avides et intéressés. Les territoires occupés par eux sont organisés avecméthode. Lorsque les indigènes ont été forcés de reconnaître l'autorité de leur oppresseur, qu'ils lui ont concédéle monopole de toutes les transactions, ils reçoivent en retour une certaine protection très intéressée.

« Outre ces dispositions, l'Arabe sait, toujours par la force, assurer la facilité des communications dans son

territoire. Le long des fleuves, il impose sa servitude aux piroguiers avec stations de relais; sur terre, des corvées

analogues sont établies.« Ce système d'occupation explique comment une poignée d'hommes— il n'y avait pas cent cinquante Arabes

purs au Congo lors de la guerre qui a détruit leur pouvoir — ont pu si longtemps tenir sous leur joug des pays

plus grands que la France. Ils avaient su se créer autour d'eux des intérêts; les enfants qu'ils avaient volés, élevés

et dressés, étaient devenus des « nyamparas », qu'on appelait des arabisés » et qui se signalaient surtout par leurs

excès et leur cruauté.« Les Arabes du Congo ne font pas de prosélytisme. Le noir aime l'imitation ; il copie très vite le costume, les

habitudes, les moeurs de ses envahisseurs et il répète les formes extérieures du culte qu'il leur voit pratiquer, mais

il n'y met pas la moindre conviction." L'esclavage chez les Arabes, s'il est alimenté par d'affreuses razzias, a d'ordinaire un caractère patriarcal dès

que le noir est réduit en servage ; mais une fois les nègres et les négresses devenus esclaves, ils ne tardent pas à se

corrompre. Les femmes prennent goût aux orgies, à la vie dissolue qu'on leur fait mener ; les hommes deviennent

des instruments sûrs pour satisfaire toutes les volontés et la cruauté de leurs maîtres.

« Dans ses relations avec les esclaves, l'Arabe est d'une atroce sévérité. Tout ordre donné doit être immédiate-

ment et passivement exécuté sous peine de châtiments corporels, de mutilations ou de mort; les esclaves morts

sont jetés à l'eau, rarement enterrés ; quand l'esclave est malade, comme il représente une certaine valeur, il est

bien soigné au début: si la maladie se prolonge ou est reconnue incurable, il est supprimé sans pitié. » L'Étal indé-

pendant du Congo à l'Exposition de Bruxelles (1897).

26

Page 209: Les Francais en Afrique

188 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

ils furent habiles en temporisant. Cependant les aspirations et

les intérêts étaient si opposés, si contraires qu'un conflit devint

bientôt inévitable.

Comme un puissant feudataire, Tippo-Tib s'était entouré

de vassaux qui commandaient, en son nom, dans les prin-

cipaux centres du Haut-Congo : Séfou, son fils, à Kassango ;

Munié-Moharra, son frère, à Nyangoué ; Bachid, son neveu,

aux Stanley-Falls ; Kibougé, à Kirundu, et Usercra, à Biba-

Biba(l).

Femme congolaise. Le massacre par les Arabes de la mission Hodister, qui

périt dans d'atroces souffrances, fut le signal des hostilités (1892).

L'expédition du Katanga, sous la direction de Stairs, se termina par la mort du despote

noir Msiri et la défaite de Gongo-Lutété, près de Lusambo ; les troupes belges, le com-

mandant Dhanis à leur tète, se dirigèrent ensuite sur Nyangoué. L'armée arabe, forte de

six mille hommes, fut battue et son chef, Munié-Moharra, tué. Nyangoué fut prisd'assaut et le drapeau bleu à étoile d'or, symbole de l'affranchissement de la race

noire, flotta victorieusement sur la grande capitale arabe. Kassongo fut conquis à son

tour et Séfou, son chef, mis en fuite. Usercra fut alors attaqué, ses troupes furent

vaincues par le lieutenant Chaltin, et il se vit obligé d'abandonner sa ville de Biba-Biba;

enfin, le poste des Stanley-Falls, où s'était maintenu Bachid, fut vivement enlevé, et un

retour offensif des Arabes contre ce point stratégique fut repoussé.Dans la région du Tanganyika, les Belges eurent à lutter contre un autre despote,

Bumaliza, dont le nom, est, dit-on, synonyme de dévastation. Il fut A^aincu par le com-

mandant Dhanis, sur les bords du Lulindi, et battit en retraite vers le Tanganyika. Il avait

élevé, dans les environs de la station d'Albertville, une sorte d'enceinte fortifiée, d'où ses

bandes sortaient pour faire des excursions dans le voisinage, ruinant les cultures, mas-

sacrant les. populations. Le capitaine Jacques mit en pleine déroute les forces dont

disposait Bumaliza et ruina pour toujours son prestige. La guerre contre les Arabes escla-

vagistes ne se termina qu'en 1895, par l'occupation de Kabambarré et la soumission

de Bachid (2). »

L'Oubanghi, large rivière signalée par Hanssens en 1884 et

remontée sur 500 kilomètres par Grenfell en 1885, fut exploréebien au delà par Van Gèle en 1888. Les Belges en prirent

possession et établirent des postes sur son cours. Enfin le

lieutenant Bccker, toujours en 1888, ayant remonté l'Oubanghi

plus loin encore, arriva à l'Ouellé, qui n'était donc que son

cours inférieur.

Après l'occupation du pays effectuée par Van Gèle, Le

Marinel et le capitaine Boget, les Belges organisèrent une

grande expédition qui partit de Djabbir sous les ordres de Van

Kerckhoven, remonta l'Ouellé, battit les trafiquants arabes Type congolais.

1. Dès 1888, dans le but de former une barrière contre les déprédations des Arabes dans les provinces du nordde l'État, le roi décide l'établissement de deux camps retranchés, l'un sur l'Aruwimi, contre les Arabes venant dunord et des Falls, l'autre sur le Lomami, destiné à empêcher le passage entre Nyangwe et le Katanga. Le comman-dant Roget fut chargé de la fondation du premier de ces postes qui devait servir aussi de base d'opérations à desexpéditions projetées vers les territoires du nord et de l'est.

2. Victor DEVILLE,Partage de l'Afrique (Librairie africaine J. André).

Page 210: Les Francais en Afrique

L'ETAT INDÉPENDANT DU CONGO 189

d'ivoire et atteignit le Nil à Ouadelaï. Van Kerckhoven mourutdes suites d'un accident et les résultats de l'expédition furent

soigneusement cachés.

Les explorations et expéditions organisées dans le Congobelge sont innombrables et ont permis l'occupation méthodiquede tout le pays, la ruine des Arabes esclavagistes et l'écrase-ment successif des révoltes qui éclatèrent à diverses repriseschez les indigènes.

III

Depuis lors, l'État du Congo a pu se consacrer plus libre- B^^^^^^^^^^"-^

ment au développement des ressources naturelles du pays.Nous avons vu ce qui avait été fait pour assurer entre le haut fleuve et la côte des com-

munications plus rapides. Concurremment à cette tâche, on s'occupa de tirer le plus grand

parti possible des richesses immenses que promettait une exploitation judicieuse du

commerce de l'ivoire.

Trois pays fournissent actuellement l'ivoire : l'Afrique, les Indes et la Silésie, où l'on

déterre les défenses fossiles des mammouths.

C'est par le Congo, le Gabon et Cameroun, le Niger et le Sénégal à l'ouest, le Mozam-

bique et Zanzibar à l'est que s'exporte l'ivoire de provenance africaine. Parmi tous les pays

exportateurs, le Congo indépendant occupe la première place : à lui seul, il compte

pour plus de 40 % dans la production totale de l'Afrique et de 30 % dans celle du monde

entier (1).Souvent des craintes ont été exprimées au sujet de l'épuisement rapide de cette pré-

cieuse matière. Il est bien certain que l'Afrique ne continuera pas à jamais à fournir les quatreou cinq cents tonnes qu'elle exporte annuellement en Europe, car les réserves séculaires

qu'avaient emmagasinées les indigènes s'épuisent peu à peu, et, malgré le nombre immense

des éléphants qui peuplent la forêt équatoriale, sillonnant de toutes parts la brousse à tra-

vers laquelle ils s'ouvrent de larges sentiers, traces de leur turbulent passage, on peut se

demander si l'intensité de la chasse qui leur est faite ne menace pas l'existence même de

leur race. Déjà, dans le Sud-Afrique, les pachydermes ont complètement disparu. Le Cap

qui, il y a vingt-cinq ans, exportait encore annuellement cinquante tonnes d'ivoire, n'en

expédie plus que très rarement. N'en sera-t-il pas de même de l'Afrique centrale dans un

délai plus ou moins éloigné ?

Le roi Léopold a semblé le craindre. Il a voulu prendre des mesures protectrices, sur-

tout contre les chasseurs armés de fusils perfectionnés. Dès le 25 juillet 1889, un décret

interdisait la chasse à l'éléphant dans toute l'étendue du territoire de l'État, à moins de

permission spéciale. Certaines conditions d'autorisation furent promulguées par la suite, et

afin d'assurer dans une plus large mesure encore la conservation de l'éléphant, sa chasse

fut interdite dans les forêts et à certaines époques déterminées par le gouverneur général et

les commissaires de district délégués (1).

Jusqu'à présent, l'efficacité de ces mesures ne s'est pas démontrée. Les récits des chas-

seurs, les rapports des explorateurs, les statistiques même s'accordent à prouver que l'aire

d'habitat des éléphants se restreint de plus en plus et que leur nombre tend à décroître.

1. Grâce aux exportations du Congo, le marché d'ivoire d'Anvers, fondé en 1888, est devenu le plus importantdu monde et dépasse celui de Londres, au moins pour les affaires traitées de première main.

Page 211: Les Francais en Afrique

190 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXP SIÈCLE

Par contre, les ressources agricoles du pays se développentavec rapidité. Les cultures du café, du tabac, du caoutchouc,des plantes pharmaceutiques, les bois de constructions, fournis-

sent chaque année des chiffres d'exportation plus élevés.

IV

Une autre oeuvre réclama les efforts les plus considérables

de la part des dirigeants du nouvel État : l'abolition de la traite.

La croisade ordonnée en quelque sorte contre l'esclavage

par la Conférence de Berlin était restée platonique, et le gou-vernement du Congo, bien qu'il eût organisé une série de postes

Type congolais. défensifs contre les envahissements des esclavagistes, voyaitune grande partie de ses provinces rester à leur discrétion. Les puissances avisèrent

de nouveau, et l'Acte de Bruxelles donna pour mission à l'Etat du Congo d'engager la

lutte contre les marchands de chair humaine.

La défaite de Tippo-Tib a porté à ce hideux commerce un coup sensible dont elle ne se

relèvera pas. Malheureusement, la disparition de la traite n'entraîne pas encore la dispari-tion de l'esclavage. Si l'une, avec tout son cortège de meurtres et de crimes, devait être

combattue, même par la force des armes, l'esclavage domestique, qui depuis un tempsimmémorial était entré dans les coutumes indigènes, ne comportait pas de mesures de

répression aussi radicales. La Conférence de Bruxelles, après celle de Berlin, a marqué cette

distinction. Il a été reconnu unanimement que l'extinction de l'esclavage domestique ne

peut être amenée que graduellement et doit être l'oeuvre des années. L'État du Congo n'a

pas, lui non plus, pensé que, dans cet ordre d'idées, il devait user de mesures de contrainte

générale qui, en heurtant violemment l'état social indigène, eussent vraisemblablement pro-voqué des résistances et suscité des révoltes. Néanmoins il s'est constamment attaché àaffaiblir cette institution coutumière. Il l'a fait d'abord par sa législation civile, qui ne recon-naît pas le statut servile et n'accorde aucune sanction aux transactions dont un esclaveserait l'objet. Il l'a fait encore en édictant une surveillance minutieuse sur le personnel etla composition des caravanes ; il l'a fait, enfin, en s'attaquant aux sources mêmes du mal,c'est-à-dire en travaillant à la disparition des coutumes barbares qui, comme l'anthropo-phagie et les sacrifices humains, constituent pour une très grande part la raison d'être de

l'esclaArage.

Congolais.

Page 212: Les Francais en Afrique

TRANSVAAL. — PASSAGE D'UN GUÉ

(Photographie de J. M. BEL).

LE CAP

CARTE DU CAP.

Page 213: Les Francais en Afrique

Le sud de l'Afrique sera le tombeau de la puissance

britannique.BISMARCK.

La question boer et la question indigène dominent

l'histoire de l'Afrique australe.

A. MÉTIN.

Page 214: Les Francais en Afrique

TRANSVAAL. — FERME DE RIETFONTEIN.— LAVAGE D'OR.

( Photographie de J.-Marc BEL, ingénieur-directeur.)

CHAPITRE XIII

LE CAP

I

E 18 novembre 1497, la flottille portugaise, commandée par Vasco de Gama et

partie de Belem le 8 juillet, aperçut, à une trentaine de lieues, le Cap signalé

par Barthélémy Diaz, au sud de l'Afrique. Ce fut le pilote Pedro d'Alemquez quile reconnut, mais comme les vents étaient contraires, l'escadre dut pendant trois jours courir

des bordées, et le mercredi 22 novembre, le promontoire redouté était doublé (1).Les Portugais fondèrent un établissement à cette pointe méridionale de l'Afrique, mais

leur colonie n'y eut qu'une courte durée. Ils la délaissèrent ou la désertèrent. Cent cin-

quante ans après, les Hollandais recueillirent les fruits des explorations de Diaz et do

Vasco de Gama : en 1652, Jan Anthony van Biebeck, chirurgien et marchand au service

de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, éleva, au pied de la montagne de la

Table, un fort et jeta les fondations de la ville du Cap, dont les habitants primitifs étaient

des Hottentots et des nègres de race bantoue. Ces pionniers — des bourgeois libres : Vrye

Bttrghers, — eurent à lutter à la fois contre les bêtes féroces et contre les tribus sauvages qui

1. 11 y avait quatre mois et demi que l'escadre avait quitté Lisbonne. Cette traversée avait été merveilleuse,

étant données les difficultés éprouvées naguère par Barthélémy Diaz pour atteindre le même but. En arrivant au

cap de Bonne-Espérance, les Portugais furent surpris de ne pas y essuyer les tempêtes terribles dont on leur avait

tant parlé.Dans son poème des Lusiades, Camoëns, et dans son magnifique récit, Osorio nous parlent des luttes effroya-

bles que les marins portugais auraient eu à soutenir contre les flots de ces mers nouvelles. Les équipages se seraient

mutinés; à un moment donné, Vasco de Gama aurait dû faire mettre aux fers les chefs de la sédition et prendre

lui-même en main le gouvernail. Les choses se sont passées d'une manière moins tragique. L'historien Barros,

dont l'autorité semble croyable, ne fait pas allusion à ces fureurs do l'Océan. 11 en est de même du journal publié

par l'un des compagnons de Vasco de Gama.

Page 215: Les Francais en Afrique

l'J-1 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

les entouraient. Une trentaine d'années après, un des successeurs de Van Biebeck écrivait

au directeur de la Compagnie des Indes à Amsterdam en 1684, que « l'établissement était

largement approvisionné de vivres et que la population pourrait s'y développer si la métro-

pole y envoyait des jeunes filles (très respectables), qui trouveraient à s'y marier avanta-

geusement». Les directeurs accueillirent favorablement cette demande et les familles de

colons purent ainsi se constituer.

II

L'année suivante (1685), Louis XIV révoquait l'édit de Nantes et les huguenots quit-

taient la France avec des protestants vaudois pour se rendre en Afrique. En 1687, la colonie

i—— -

[ du Cap fut avertie, par les autorités

d'Amsterdam, qu'un certain nombre de

réfugiés français lui demanderaient asile.

Le premier départ des émigrants eut

lieu le 31 décembre 1687. Le vaisseau

qui les emmena, partit du port hollan-

dais de Delftshaven. Les passagersétaient des jeunes gens ou des céliba-

taires. A leur tète se trouvait un

ministre de la congrégation du refuge,

Pierre Simoncl. Le 6 janvier 1688, le

29 du même mois, le 20 mars, d'au-

tres vaisseaux sortirent de divers ports

néerlandais, transportant vers le sud

de l'Afrique de nombreux huguenots

français.

Voici quelques-uns des noms bien

français qui ont été relevés sur les listes

des passagers de ces bâtiments, lors-

qu'ils débarquèrent au Cap :

Joubert, Simond, Barbier, Cerf,

Carie des Explorations au Capau xix" siècle. Jourdan, Lagrange, Lcfcbvre, Bcau-

mont, Du Toit, Godcfroy, Malherbe, Le

Biche, Crognet, Nicl, Norman, Sabalier, Boubaix, Terre-Blanche, de Villicrs, Visage, de

Savoye, Taillcfer, du Plcssis, de Buelle, etc. (1).Parmi ces exilés il s'en trouvait de toute condition : nobles, roturiers, simples artisans,

et de lous métiers : charpenliers, cordonniers, tailleurs, agriculteurs ou vignerons; les

femmes étaient en petit nombre. Les vaisseaux reçurent à bord des enfants, quelques-unsmême en bas âge, des orphelins, frêles créalures, sans famille, ballottés sur les flots, livrés

à l'inconnu et dont plusieurs, épuisés par les fatigues, les privations et sans doute aussi

par le chagrin, nalleignirent pas le port de refuge et succombèrent en route, avant pourtombe l'abîme de l'Océan !

A son arrivée dans la colonie chaque famille d'émigranl devait recevoir une ferme à

1. <>>l de r,s entres ,1„ xv.i-siècle qu. s-v „l direelemenl deux ,l,.s héros de l'indépendance boër, les

.eueK.ux .b.uberl ,-t Lronje (Uofc'iielj. Le du l'iessi, que l'on trouve dans cette liste est un aïeul de Mme Kruger.

Page 216: Les Francais en Afrique

LE CAP 19S

titre gratuit; déplus on lui accordait des facilités do payement r~~ ; :

pour l'achat des meubles, charrues et provisions diverses.Le sort des huguenots débarqués au Cap était très misérable :aussi les braves colons hollandais, pris do compassion, et

quoique eux-mêmes peu fortunés, firent-ils une collecte eten remirent-ils la somme au pasteur Pierre Simond pour soula-

ger les plus malheureux parmi ces émigrés.La plupart des nouveaux colons s'installèrent dans les

pittoresques vallées des Perles et des Éléphants, à Stcllenboschet à Drakenstein, et, se groupant en petites communautés,ils fondèrent là, dans les replis des montagnes, Fransche-

Hoek, le Coin français. C'est dans un de ces charmants val- „. , ,'"

"", ,, D*Photographie de M. J.-M. BEL.

Ions, où alternent les vignes, les rosiers sauvages et les

orangers, que le baron do Hubner, comme il le raconte dans son curieux récit de voyageA travers l'Empire Britannique, reçut l'hospitalité d'une famille Hugo, d'origine française,dont les ancêtres avaient émigré en 1698; le patriarche presque centenaire, rapporte l'écri-

vain, venait de mourir (sans avoir jamais été malade), laissant après lui deux cent quatre-vingt-douze descendants, dont deux cent onze étaient encore en vie.

Les réfugiés se plurent à donner à leurs résidences des noms qui rappelaient le paysnatal, tels que : la Normandie, la Champagne, le Languedoc, le Bhône, la petite Rochelle, etc.,

désignations qui subsistent encore.

La venue de ces émigrants eut les plus heureux résultats pour l'avenir de la colonie ;en effet les Hollandais, excellents marins, se montraient assez mauvais agriculteurs. Au

contraire, les Français connaissaient bien la culture de la terre et spécialement celle de la

vigne ; énergiques et intelligents, ils imprimèrent un vigoureux essor au développementdu Cap. Grâce au génie de leur race, ils devinrent des colons modèles qui enseignèrent aux

Hollandais de meilleures méthodes. On leur doit surtout la plantation des deux célèbres

vignobles de Constance.

Parmi eux beaucoup étaient originaires des Cévennes.

Les huguenots n'eurent d'abord qu'à se louer de l'excellent accueil que leur firent les

anciens colons et des égards qu'avait pour eux la Compagnie des Indes. Cependant, à la

suite d'incidents causés par des divergences religieuses, les rapports s'aigrirent au point

que, à la suite d'une réunion publique, beaucoup de Français jurèrent de ne jamais épouserde Hollandaises.. Ils ne tinrent pas parole. Mais le gouvernement du Cap chercha à détruire

leur influence en les dispersant dans les terres éloignées et en absorbant progressivementl'élément français dans la nationalité hollandaise.

Ce plan réussit à tel point que l'abbé Lacaille, visitant la colonie en 1752, note l'ex-

tinction de la langue maternelle chez ses compatriotes et déclare n'y avoir rencontré aucune

personne au-dessous de quarante ans qui parlât français, à moins qu'elle n'arrivât de

France. Le naturaliste Vaillant, en 1780, ne trouva qu'un seul huguenot qui put encore se

faire comprendre dans l'idiome de ses pères.Mais si la langue française disparut dans le pays colonisé par les Hollandais, l'àme

française y survécut et il y eut toujours au Cap un « coin français ».

Les huguenots, ne pouvant supporter les vexations de la Compagnie des Indes, se

joignirent aux colons qui prirent la résolution de se soustraire à la domination étrangèreen allant chercher un territoire indépendant dans les steppes du nord. C'est ainsi que com-

27

Page 217: Les Francais en Afrique

196 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

mença, en 183 l, la longue odyssée des exodes répétés des ancêtres des Bocrs. Les premiers

émigrants, ayant à leur tète les frères François et Guillaume du Toit, Hercule du Pré, fran-

Paul KRUGER. Christian DEWET.

chirent d'abord la région du « Overberg », pays au delà des monts, traversèrent les chaînes

du Keroo et des Groot Zwarte Bergen, pour camper leurs tentes provisoires ou plutôt arrêter

leurslourds chariots dans les so- l'on estime qu'il existe encore

litudes du Grand Karou. Là lesde nos jours au Transvaal sept

huguenots, qu'avaient suivis deou huit cents familles originai-

nombreux Hollandais, vécurentres de diverses provinces de

de l'existence des indigènes,i France (1).

qu'ils combattaient souvent,

tuant du gibier, parfois des fau-j j T

ves, et faisant paître leurs trou-

peaux dans les vastes prairies.Les Hollandais n'avaient

En fouillant les archives descolonisé en réalité la contrée

annales du Cap, les érudits ontqu'au profit des Anglais qui

retrouvé quatre-

vingt-

quinzes'en emparèrent dès qu'ils curent

noms de familles françaises ; et Général BOTHA. l'occasion, après la conquête de

1. Lorsque l'amiral anglais Elphinslone s'empara de cette colonie hollandaise en 1795, le capitaine du I'icssis, à

la tète d'une poignée de braves, arrêta les forces très supérieures de l'agresseur pendant quarante-huit heures dans

le défilé de Muizemberg. Cet officier fit montre d'un tel courage que le général victorieux voulut lui faire don

d'un sabre d'honneur, comme marque d'hommage insigne, rendu à sa superbe défense. Bien plus! Napoléon ayantconnu plus tard l'existence de cet intrépide homme de guerre et apprenant en outre qu'il descendait d'une famille

française d'ancienne noblesse, lui fit offrir, avec un apanage, le titre de Duc, s'il consentait à rentrer en France et

à servir dans ses armées; mais, avec un désintéressement antique à la Cincinnatus, du Plessis n'accepta pas ces

brillantes propositions : « Je suis trop vieux, répondit-il au représentant de l'empereur, pour devenir un grand

seigneur en France, après avoir été toute ma vie un humble paysan en Afrique! » Et le héros franco-hollandais,

plus grand peut-être par sa modestie et son bon sens que par ses vertus guerrières, retourna simplement à ses

sillons et à sa charrue.

Page 218: Les Francais en Afrique

JOIIAKNISBURO. - Ilo^^i POSTES. - (Photographie de J. Marc BEL.)

Page 219: Les Francais en Afrique
Page 220: Les Francais en Afrique

LE CAP 199

la Hollande par Napoléon. Cette mainmise, exercée sous le

prétexte d'opérations stratégiques à opposer à celles de laFrance, devait demeurer définitive. Il en fut de l'occupationanglaise du Cap comme de celle de l'Egypte plus fard. Le

provisoire, une fois ses racines jetées et ancrées, s'éternisa etla prescription fit le reste. Les missionnaires avaient là, comme

ailleurs, précédé l'oeuvre politique en jalonnant les routes. La« London Missionary », la « Wesleyan », la « Glasgow Missio-

nary », sociétés zélées autant qu'entreprenantes, préparèrentla conquête par l'évangélisalion. Ces missionnaires, qui s'éta-blirent d'abord chez les Cafres, puis chez les Bushmen, les Zou-

lous, les Bechouanas, les Matabélès, etc., en s'avançant sans FemmeCafre du Transvaal.

cesse vers le nord, et en initiant les naturels à la culture du

sol, aux arts manuels, à l'industrie rudimentaire, furent, on ne saurait l'oublier, les éclai-

reurs et les pionniers frayant la voie à la domination anglaise du Cap à la région des lacs.

C'est à eux, et principalement à Livingstonc, que l'Angleterre doit avant tout sa suprématiedans le sud et dans une partie considérable de l'est de l'Afrique.

Cependant, la tâche toute pacifique des « semeurs de la fgi » perdit son caractère lors-

qu'ils furent remplacés par l'administration coloniale appuyée sur les armes. Les luttes

éclatèrent presque aussitôt entre les Anglais et les naturels, et là où elles ne vinrent pasassez vite, on les provoqua dans un but bien calculé d'avance. Certains faits en fournirent,

d'ailleurs, l'occasion. Les divisions intestines des populations indigènes occupant tout le

territoire compris entre les monts Drakenberg et l'Océan, depuis la baie d'Algoa jusqu'àla baie de Delagoa, favorisèrent les visées du gouvernement du Cap. Dès' 1834, il s'inter-

posa dans ces querelles, qu'il fit tourner à son profit. Quand les Cafres alliés aux Hotten-

tots dévastèrent les établissements des colons, en razziant les troupeaux et en massacrant les

habitants, les troupes anglaises attaquèrent les pillards, les défirent sans peine et annexèrent

le pays à la colonie anglaise. Ainsi, de pacification en pacification, le Cap étendit ses limites.

En 1843, il prit le Natal, qui le rapprocha du Zoulouland, et en 1887, ce dernier, aprèsl'écrasement des dernières forces de Cettiwayo, était déclaré terre britannique.

L'accaparement de tout le sud de l'Afrique entrait dans les plans anglais, mais ceux-ci

furent contrariés par l'attitude des Boërs, qui maintinrent leur indépendance. Ces Boërs,

d'origine hollandaise, passionnés pour la liberté et émigrés dans l'Afrique méridionale au

siècle des guerres de religion qui désolèrent les Pays-Bas, ont conservé le profond attache-

ment de leurs pères à leurs croyances et à leurs principes. Ne voulant pas subir le joug

britannique après la conquête du Cap par l'Angleterre, ils étaient allés fonder une répu-

blique voisine du Natal et l'appelèrent État libre d'Orange. En 1848, une bataille sanglante

entre les Boërs et les troupes du Cap à Bloomplatz, où les colons hollandais essuyèrent de

grandes pertes, mit fin à cet État, qui eut le sort du Natal. Prétorius, un des chefs des

vaincus, en rassembla les débris, et franchissant avec eux le Vaal, borne de l'État libre,

pénétra dans la région inexplorée où il fonda la « Zuid Afrikaan republiek » (république

sud-africaine), à laquelle il donna le nom de Transvaal et dont Pretoria devint la capitale.

Les Anglais ne se lassèrent pas de poursuivre les Boërs qui, trop faibles pour résister

victorieusement, durent subir l'annexion de leur nouveau territoire. Mais les vaincus nour-

rissaient la pensée de s'affranchir de cette autorité et espéraient en saisir bientôt le moyen.

Ils réussirent dans ces projets et, en 1853, le gouvernement anglais dut reconnaître l'auto-

Page 221: Les Francais en Afrique

200 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

nomic des deux républiques hollandaises de l'Afrique australe. Les Boërs n'en étaient pas

moins menacés de disparaître sous le flot britannique ; on en a eu la preuve lorsqu'on 1869,

la découverte des mines de diamant dans le Griqualand, province de l'État libre, réveilla les

convoitises anglaises en fournissant un aliment aux contestations territoriales. Le gouver-

nement du Cap éleva des prétentions arbitraires sur ces champs où s'édifiaient des fortunes

colossales et les réunit à ses possessions manu militari. C'en était fait do l'Etat libre au

point de vue économique. Le Transvaal courut les mômes périls et, malgré l'énergie des

hommes qui étaient à la tête de la république, il ne put conjurer l'orage. L'insuccès de sa

Cafre. Boschiman. Namaké.

campagne contre les Basoutos en 1877, le désaccord entre les Boërs eux-mêmes, augmen-

tèrent les complications d'une situation très périclitante. La même année, le gouverneur du

Natal, Shepstone, n'eut qu'à se présenter à Pretoria pour proposer le protectorat britan-

nique; ses conditions furent acceptées.

Ce n'était, toutefois, qu'une soumission avec espoir de se reprendre. La guerre du

Zoulouland, le désastre des Anglais à Isandhlwana, le refus du gouvernement du Cap de

donner au Transvaal des institutions parlementaires, secondèrent les efforts des Boërs, sous

la conduite de Krùger, Joubert et Prétorius, pour reconquérir leurs avantages. Ils se révol-

tèrent, et, victorieux à Majuba-Hill en 1881, ils purent ressaisir leur liberté. L'Angleterrela leur avait surtout enlevée, parce qu'elle voulait s'établir chez eux pour atteindre plusfacilement la baie de Delagoa et le port de Lourenço-Marquès sur lesquels ses plans avaient

été déjoués en 1879 par la sentence arbitrale de Mac-Mahon, qui s'était prononcé en faveur

des Portugais, possesseurs du port et de la baie.

La politique de Gladstone, alors au pouvoir, vint en aide aux Boërs. Le traité signé à

Pretoria le 3 août 1881 et complété par la convention de Londres du 27 février 1884,reconnut sous certaines réserves l'indépendance de la jeune république du Transvaal et

confirma les stipulations relatives à l'autonomie de l'État libre d'Orange. On aurait pucroire à la durée de cet accord si les Boërs n'avaient eu à compter avec la foi punique des

Anglais. Celle-ci reparut dès que se répandit la nouvelle de la découverte d'importants

gisements aurifères aux environs de Pretoria. Celte source inattendue de richesse écono-

mique relevait les finances du Transvaal et lui donnait de si puissants éléments de prospérité

que les villes nouvelles s'y multiplièrent dans des conditions de grandeur qui tenaient de

l'enchantement.

L'Angleterre, et surtout le gouvernement du Cap, regrettèrent d'avoir été si conciliants

et ne songèrent plus qu'à déchirer les traités. Ils y auraient sans doute réussi sans l'appui

Page 222: Les Francais en Afrique

LE CAP 201

manifestement accorde par l'Allemagne à la république sud-africaine. Déçus ou arrêtés sur ce lorrain, ils visèrent aussitôtà se rendre maîtres de tous les avantages que devaient leur

assurer les voies ferrées partant du Cap, du Port Elisabeth,d'East London, de Durban, et qui, pénétrant déjà dans l'État

libre d'Orange, seraient, si les spéculateurs obtenaient gainde cause, poussées jusqu'au coeur du ïransvaal. Mais ce der-

nier, tributaire pour le moment des Anglais quant au transit

de ses produits, ne se laissa pas tenter par les offres spécieusesdes entrepreneurs. Au lieu d'accorder la cession du chemin de

fer du Gap jusqu'à Johannesburg, le président Krùger s'oc-

cupa de réunir les concours financiers pour construire la

ligne de Pretoria à Lourenço-Marquès. Cette combinaison était la plus prudente, mais,

pour la réaliser, sans lui rien faire perdre de ses bénéfices, il fallait empêcher les railvvays

anglais d'arriver jusqu'au Vaal, frontière entre l'Etat libre et le Transvaal. Le président

Krûger réussit dans cette négociation et l'engagement fut pris par l'Etat libre de n'autoriser

aucune construction de chemin de fer sur son territoire avant l'achèvement de la ligne de

Pretoria à la baie de Delagoa.

L'Angleterre n'était pas à bout d'expédients. Les hommes d'Etat du Cap, ne désespé-rant pas d'avoir le dernier mot dans la discussion, firent naître la question du Souaziland,

petit territoire convoité par le gouvernement de Pretoria, parce que, tout proche du littoral

de l'Océan Indien, il touche à Lourenço-Marquès. Ce Souazi était comme un coin enfermé .

par le Cap dans le Transvaal. Le Cap offrit à ce dernier d'en faire l'abandon si la

république sud-africaine cédait sur le litige des chemins de fer. Il fut convenu, aprèsbien des pourparlers, que la grande ligne anglaise pourrait être poussée jusqu'à Bloemfon-

tein, capitale de la république d'Orange, mais pas au delà.

On sait ce qui arriva ensuite : le raid Jameson, les manoeuvres de M. Chamberlain,

l'obligation pour les Boers de prendre les armes, après avoir vainement réclamé l'arbitrage,

la guerre féroce qui leur fut alors faite par les Anglais, l'héroïsme des populations du

Transvaal et de l'Orange, la vaillance de Joubcrt, Cronjc, Dewet, Botha, et des Français

qui combattirent avec eux comme Villebois-Mareuil, enfin l'exemple donné au monde par

quelques milliers d'hommes décidés à périr plutôt que de renoncer à leur existence indé-

pendante.

IV

La France peut revendiquer un rôle actif dans l'influence morale qui, plus efficacement

que la conquête territoriale, contribue lentement mais progressivement à la civilisation des

races indigènes du Cap et de l'ancienne Cafrcrie. Ce sont des missionnaires français évangéli-

ques qui ont semé généreusement les idées humanitaires, les idées françaises dans le Bassou-

toland : il s'agissait de transformer les moeurs de ces populations primitives, sans recourir à

des innovations brutales, mais en tirant parti do tout ce qui, dans les coutumes et les

conceptions jusqu'alors familières aux indigènes, pouvait servir à les amener peu à pou à

l'abandon de leurs croyances superstitieuses et grossières et de leurs instincts sauvages.

Les Basoutos se distinguaient par leur douceur et par leur dévouement fanatique à leur

chef. Ils avaient, quoique sans contact avec les colons, une sorte d'organisation sociale

Page 223: Les Francais en Afrique

202 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

dans laquelle on rencontrait des points d'analogie avec nos institutions civilisées, des

notions primitives de la justice et de l'autorité, du droit et même du devoir; ils étaient

hospitaliers, reconnaissants des bienfaits reçus. A ces tendances se joignait l'esprit barbare,

qui viciait les dispositions favorables au progrès : la passion de la guerre contrastant

avec la placidité du caractère, et la férocité dominant les penchants à la bonté. Ces mêmes

hommes, qui se montraient empressés pour rendre service aux missionnaires, reprenaientleurs danses guerrières aussitôt après, et, farouches, poussant des hurlements, brandissant

leurs zagaies, menaçaient les naturels d'une tribu voisine que le hasard conduisait au

milieu d'eux, dans leur kraal.

Il fallut aux « pères de France », comme ils les surnomment aujourd'hui, employerd'incessants efforts et prodiguer les sacrifices pour les civiliser. Tout d'abord se rendre

maîtres de leur langue, en saisir le génie, et, en la parlant, l'écrire et leur faire entendre

la signification de cette écriture ; puis ouvrir des écoles et les décider à y venir écouter les

« secrets des blancs ». De pas en pas,, on avança de la sorte, mais non sans difficultés et

sans obstacles, dans la route tracée par des mains infatigables. L'école de Thaba-Bossiou

compta, au bout de deux ans, quelques élèves intelligents des deux sexes, qui devinrent

des moniteurs. Les missionnaires accrurent ainsi leur propagande. Les écoles répandirentdans tout le pays les premiers éléments de l'instruction, de l'éducation et de la foi. Ce fut

le point de départ de la régénération des Basoutos. La parole jetée dans le coeur de ces

sauvages y germa. Les baroutis (missionnaires) se firent aimer, et cet attachement fut un

grand instrument de la conversion. L'ambition de M. Cazalis et de ses compagnons était de

faire de l'Eglise du Lessouto la fille de l'Église réformée de France, et ils y réussirent, du

moins en partie. « Le voyageur qui pénètre dans les grands temples de Thaba-Bassiou ou

de Morija pourrait, écrivait M. Frank Puaux en 1SS2, voyant le pasteur, entendant leschants sacrés, se croire dans quelque temple de nos Cévenncs, si bientôt la face noire des

assistants ne lui rappelait qu'il se trouve dans la vieille Afrique. »

Zoulous.

Page 224: Les Francais en Afrique

TYPES DU ZANZIBAR.(Collection de la Société de Géographie.)

LA COTE ORIENTALE

CARTE DE L'AFRIQUE ORIENTALE.

23

Page 225: Les Francais en Afrique

L'Afrique orientale sera probablement la pomme de

discorde entre l'Angleterre et l'Allemagne, qui la con-

voitent également.Edouard FOA.

On peut se demander si les Portugais conserveront

encore longtemps leurs domaines d'Afrique.R. DE CAIX DE SAINT-AYMOUR.

Page 226: Les Francais en Afrique

Maison du gouverneur ù Mezwril.

CHAPITRE XIV

LA COTE ORIENTALE

I

'EST, probablement à date prochaine, l'Afrique orientale qui sera le théâtre des

grands conflits d'influence coloniale entre les puissances européennes dont les

possessions s'avoisinenl aujourd'hui : Angleterre, Allemagne, Portugal. Déjà,

depuis nombre d'années, des changements considérables ont eu lieu dans celte partie de

la carte du continent noir, et l'on peut prévoir qu'un nouveau remaniement s'y effectuera

bientôt. La question de l'Egypte et du Nil, dont l'affaire de Fachoda n'est qu'un incident

renaîtra; d'autres difficultés surgiront en amenant des complications : la question du

Zanzibar semble réglée, mais la solution même qu'elle a reçue modifie la sphère d'aclion

des ambitions réciproques anglaise et allemande ; la question de la baie de Delagoa fera

se heurter de nouveau les intérêts britanniques, d'une pari, et les droits portugais; de

l'autre, la question des Bocrs, litige sanglant, ne peut avoir d'issue, s'il faut en croire

l'Angleterre, que celle qu'ils veulent lui donner ; Cecil Rhodes et son auxiliaire lord Alfred

Milner travaillent plus audacieusement que jamais au [dan que l'on connaît et qui explique

ave l'annexion, déjà effectuée, du Cap, du Natal, du Zoulouland au sud, celle du Bécliua-

naland méridional et septentrional à l'ouest, du Matabéléland au nord, de même que la

prise du pays de Gaza, de Lourenço-Marquès, de la baie de Delagoa, de manière à fermer

définitivement à l'est la ligne de circonvallation de l'Afrique anglaise : aidant de problèmes

qui ont pour objet l'accroissement de la prépon- dérance anglaise et allemande partagée,

en faisant disparaître graduellement l'occupation portugaise.

Page 227: Les Francais en Afrique

2011 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

II

Les débuts de l'expansion britannique dans l'Afrique orientale remontent aux décou-

vertes et explorations de Livingstone, mais ils se rattachent directement à l'histoire de

l'Afrique australe, dont les premiers événements datent, pour l'Angleterre, du commen-

cement des guerres de la Révolution.

Quand Barthélémy Diaz eut planté au Cap le padrao portugais en 148G, sans autre

utilité pour le Portugal que d'y établir un point de relâche pour ses vaisseaux cinglant vers

l'Extrême-Orient, les Hollandais, plus

pratiques, n'avaient pas tardé à se

fixer là où ils pouvaient s'arrêter à

mi-chemin de leur empire des Indes,

mais ils ne colonisèrent en réalité la

contrée qu'au profit des Anglais, qui

s'en emparèrent dès qu'ils en eurent

l'occasion, et l'on sait que pour l'An-

gleterre, lorsque ces occasions ne se

présentent pas à l'heure où elle veut en

tirer parti, les prétextes ne manquent

pas. Albion, dont le nom ne va pas sans

l'épithète de perfide, fait aisément litière

du droit des gens, de la loyauté inter-

nationale, les preuves à cet égard abon-

dent.

Il fallait toutefois plus qu'un pré-

texte. Les projets de l'Angleterre ne

pouvaient se mettre à exécution sans

l'aide d'un homme associé à ces plans

machiavéliques, mais ayant lui-même

Carte dos explorations de la Côte orientale, au x.x" siècle. ,lc l'initiative, de l'audace et Cette vo-

lonté de fer qui assure les victoires des

conquistadores. Cet homme fut Cecil Rhodes. Nous ne referons pas ici sa biographie. Elle est

dans toutes les histoires de l'Afrique actuelle et dans toutes les mémoires. Bornons-nous à

rappeler qu'il fut l'auxiliaire d'Albion et de sa perfidie. On ne l'a pas sans raison et très sou-

vent appelé le Napoléon de l'Afrique du sud; il réalisa en quelques années une immense

fortune politique et financière, quoiqu'il eût débulé dans les conditions les moins favorables

à l'audace et à l'ambition. Mais tout lui réussit comme s'il avait été prédestiné. Ses spécu-

lations au Natal, où il organisa les plantations de canne à sucre et de coton, et où il se mit

à la lète des sociétés minières, de la compagnie de Beers, qui a le monopole du commerce

des diamants dans le monde entier, son entrée au parlement du Cap, son avènement à la

présidence du Conseil des ministres dans le gouvernement de la colonie, son influence sur

les Al'rikanders, tout démontra sa supériorité dans la conduite des affaires privées et

publiques.

Il fut le fondateur, l'organisateur de la Chartered. On désigne ainsi la fusion en une

seule compagnie à clmrle des diverses compagnies anglaises de l'Afrique australe. La Char-

tered acquit son privilège le 29 octobre 1890. C'est la plus puissante société de colonisation

Page 228: Les Francais en Afrique

LA COTE ORIENTALE

que l'on ait jamais créée. Ses statuts lui octroyent des

avantages semblables à ceux d'un Étal. Sa charte lui

donne tous droits de souverainelé sur les lerriloires situés

au nord du Bechuanaland britannique, avec un hinlerlnnd

sans limites. Ce droit implique celui d'établir des colons,

de créer des routes, de construire des chemins de fer,

d'emprunter en rentes perpétuelles, de battre monnaie,

d'avoir un drapeau et des troupes qui, sous l'apparence de

police pour le maintien de l'ordre, lui fournissent le moyende faire usage de la force armée, le cas échéant, pour

aboutir à son but. Ajoutons que la Chartered est un instru-

ment dans les mains de l'Angleterre, instrument d'autant

plus utile qu'on lui permet un rôle actif et aussi libre que Typo (1(,lo (:ù(f, orientale.

possible, sous la dépendance politique du cabinetdc Londres.

Les premiers actes de la Chartered furent de prendre pied sur les immenses territoires

qu'on lui ouvrait. Comme une tache d'huile, la Compagnie se répandit rapidement sur toute

la partie de la carte du sud Afrique comprise entre le Cap, le sud-ouest africain allemand,

l'Afrique orientale portugaise, l'Afrique orientale allemande, l'État indépendant du Congo,

l'Angola. Les deux petites républiques des Boers indépendants, Transvaal et Orange, furent

les seules proies qu'elle ne dévora pas tout d'abord, parce qu'elles lui résistèrent.

Il était hors de doute qu'elle ne s'attaquerait pas à l'Allemagne, qui était de taille à lui

barrer le chemin, mais elle espérait bien avoir, par l'intimidation ou la force, raison du

Portugal, que l'Angleterre n'a pas à craindre en Europe et encore moins en Afrique. Aussi

engagea-t-elle la lutte avec les Portugais presque en même temps sur deux points : dans le

Mashona, qu'elle revendiqua comme dépendant du Matabéléland, et dans le Nyassaland, où

elle convoitait surtout Blantyre.

Le Nyassaland tire son nom du vaste lac qui fut exploré en 1859 par Livingstone, puis par

d'autres voyageurs anglais, Young, Elton et Colterill, Stcwart, qui, successivement, accrurent

l'influence britannique dans cette région. Le Nyassa et le Cbiré. qui y prend naissance pour

porter ses eaux dans le Zambèze, étaient ainsi devenus une magnifique route de commerce.

Des stations nombreuses et importantes établies sur les deux rives avaient acquis un dé-

veloppement progressif. Une voie de terre reliait le Nyassa au lac Tanganyika. Au centre

des villages prospères s'était élevée Blantyre, ainsi nommée du lieu de naissance de Livings-

tone, et transformée en un établissement qui pouvait être facilement relié à Quelimanc.

La Chartered eut le Mashone, le Nyassa et Blantyre. Il lui suffit pour cela de s'immiscer

dans la collision de Serpa-Pinto avec les Makololos, de déclarer que ceux-ci étaient sous la

protection anglaise, et de faire envoyer par le gouvernement britannique une dépèche me-

naçant de rappeler son ambassadeur à Madrid. Le gouvernement de Lisbonne s'inclina

devant les ordres qu'on lui intimait. Le traité du 11 juin 1891 régla « définitivement » toutes

les questions pendantes en Afrique entre l'Angleterre et le Portugal ; dans celte convention,

le domaine de la Grande-Bretagne au nord des républiques boers et du Bechuanaland bri-

tannique se trouvait délimité. Il comprenait la Zambézie britannique ou Rhodésia, formée

du Matabéléland, du Mashonaland, du Manicaland et du pays des Barolsés, contrées placées

sous l'administration directe de la Compagnie anglaise de la Chartered: l'Afrique centrale

britannique placée sous l'autorité d'un commissaire et consul général spécial, et le Nyas-

saland, administré par des chefs indigènes sous la surveillance d'agents britanniques.

Page 229: Les Francais en Afrique

20S LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX' SIECLE

Au point de vue français, le Nyassaland n'offre pas d'intérêt politique parce qu'il est

presque cerlain que cette région restera sous l'influence de l'Angleterre, surtout lorsque

l'Afrique orientale portugaise aura, comme il est probable, fait partie d'une convention

diplomatique qui la fera rentrer dans les possessions britanniques immédiates ou dans l'em-

pire africain rêvé par Cecil Rhodes. Cette combinaison n'est d'ailleurs pas imaginaire.

Une seule puissance pourrait la contrarier : l'Allemagne: mais, à cet égard, les craintes

des Anglais ne sont pas bien grandes. D'ailleurs, il y a déjà eu, à des dates récentes, des

négociations entre les cabinets de Londres et de Berlin pour régler cette affaire. Le gouver-

nement anglais a proposé au

gouvernement allemand d'aban-

donner à ce dernier toute l'au-

torité et toutes les prétentions

sur Zanzibar, qui occupe une

situation maritime importante

sur la côte de l'Afrique orientale

allemande dans l'Océan Indien.

L'Allemagne s'est empressée

d'accepter, laissant ainsi facile-

ment toute faculté à l'Angle-

terre de racheter, et au besoin

de prendre le domaine colonial

du Portugal depuis le cap Del-

gardo jusqu'à la baie de Delagoa.

Le Nyassaland mérite ce-

pendant notre attention. L'explo-Types de la Cùie orientale. ration de cette région est due,

en effet, à un voyageur français,Edouard Foa, mort en 1901 (1). qui a rendu des services considérables à l'ethnographie de

cette partie de l'Afrique. Le pays est, affirme cet explorateur, merveilleusement propice à la

culture, mais, s'il est possible d'y taire quelque chose d'utile et de durable, on n'y par-viendra que par les moyens pacifiques. Au nombre de ceux-ci doit figurer la ligne de

communication entre le Nyassaland et le sud de Zambèze.

IV

Le Zambèze est le plus grand fleuve de l'Afrique. On peut le diviser en trois parties,Zambèze supérieur, de Zoumboà la source, Ilaut-Zninbèze, des gorges à Zoumbo, Bas-Zam-

Jtèze, de l'embouchure aux gorges de Lupala. (Je fleuve a été navigué dès lLiliO par les

jésuites de Goa.

Le Père Gonçalo de Silveira lit. à cette époque, la traversée des bouches du Zambèze à

Tèté et se rendit ensuite au Monomolapa. En 1005, un voyageur portugais, entre autres,

1. .le rend.-, ici li'unina-e à la mémoire d'Edouard Foa, qui m'Iii » de son amitié et me lit bien des l'ois, dans

l'intimité, pari de .ses prévision* sur l'Al'riipi icnlalc. Il la voyait, avanl le premier quarl du vin-Home siècle,aux mains îles Anglais, si les Allemands laissaient l'aire et passer, mais il ajoutait qu'il se pouvait tort liien .pie le

X.\.-iss.-i|;ind deMiil la pouii Ii- discorde entre ros deux puissances 1111i ne colonisaient (ine jiour conquérir et

exploiter.

Page 230: Les Francais en Afrique

LA COTE ORIENTALE 209

Manocl Godinho, parle do ses voyages sur le Kouana (c'est lenom que l'on donnait anciennement au Zambèze) et sur le Chiré.

En 1710, le Père Francesco de Souza parle non seulement du

Zambèze comme d'un cours d'eau, mais de tous les territoires

environnants qu'on a redécouverts depuis. Parmi ceux qui con-

nurent le fleuve ou tout au moins sa plus grande partie, au com-

mencement du siècle actuel, il faut citer surtout Joao de Jésus

Maria. Ce fut lui qui, malade et soigné par le docteur Kirk, lequel

appartenait à l'expédition de Livingstone, lui donna de précieux

renseignements sur le Zambèze, le Chiré et le fameux lac

Nyassa (1).Bien qu'un assez grand nombre de voyageurs aient exploré

Indigènedu Zambèze.

le bassin du Zambèze depuis la découverte de ce fleuve qui fut

longtemps attribuée à Livingstone (2), on n'en connaît pas encore exactement les limites,mais on en évalue la surface à plus de deux millions de kilomètres carrés. Cette région est

appelée à être la plus importante de la côte orientale, lorsque l'Afrique portugaise, à l'est,

y aura été annexée. Dans les temps anciens, on en reconnaissait déjà la grande valeur,et les navigateurs et pionniers portugais, il y a trois cents ans, en cherchant une expansioncoloniale du Portugal de ce côté, ne manquèrent pas de s'emparer des bouches de ce fleuve

au nom de leur roi. Aussi le Portugal, se basant sur ces entreprises, a-t-il revendiqué des

droits de premier occupant, là où des missionnaires et des négociants avaient précédé les

Anglais. Ces revendications ne s'appuyaient, il est vrai, sur aucun titre écrit, elles étaient

simplement historiques. On comprend que l'Angleterre les ait considérées comme telles en

n'hésitant pas à accepter ou à provoquer un conflit qui a été provisoirement apaisé par des

conventions dont la durée dépendra de la raison du plus fort. Il est permis de prévoir quela théorie de Yhinterland, c'est-à-dire de la future pénétration d'un Etat dans les possessionsavoisinantes sous prétexte d'user de la zone d'influence, remettra cette discussion sur le

tapis et fera renaître les querelles qui préludent aux empiétements.

Ce procès est d'autant plus probable qu'il n'existe pas do carte officielle du Zambèze,

dont la géographie est encore à faire. La division du fleuve en plusieurs branches d'une égale

importance, conduisant dans des régions voisines l'une de l'autre, complique encore ces

difficultés. Les géographes ne savent lequel de ces trois cours d'eau est le vrai Zambèze et

par suite ils ne peuvent fournir que des conjectures sur la configuration du bassin. Il est

peu probable que les diplomates se mettent mieux d'accord.

Ces incertitudes sur la topographie et l'hydrographie de la région du Zambèze empê-

chent de déterminer le meilleur parti à tirer des voies fluviales, inexactement connues. Ce

n'est pas tout. On n'est pas mieux renseigné sur la nature du sol : vaguement on sait qu'il

est riche en charbon, en fer, même en or ; que la culture des essences forestières, des plantes

textiles, oléagineuses, alimentaires, et l'élève des bestiaux, pourraient y donner de bons

résultats, mais on ne possède aucune donnée sérieuse à cet égard.

Le commerce avec l'intérieur de l'Afrique est gêné par le manque de routes et les colons

ne s'occupent guère que de la traite des noirs. C'est par conséquent un pays où tout est à

créer et à organiser.

1. Edouard FOA, DU Cap au lac Nyassa, Librairie Pion.

2. Edouard Foa démontre, dans son ouvrage cité plus haut, que ce qui a été accrédité relativement à cette

découverte et au mérite qu'en avait eu Livingstone est erroné.

Page 231: Les Francais en Afrique

210 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIÈCLE

Une tentative a été faite dans ce sens en 1881, par une mission française, qui fut

envoyée au Zambèze et au Mozambique pour étudier les différents gisements miniers et

principalement ceux de houille. Cette mission avait à sa tète M. Païva d'Andrada, capitaine

d'artillerie, attaché à la légation portugaise à Paris; elle se composait en outre de plusieurs

ingénieurs civils, d'ingénieurs des mines, d'un chimiste, M. P. Guyot, d'un médecin, d'un

maître mineur, de mineurs et de laveurs d'or. Elle fit le voyage du Zambèze et explora les

possessions portugaises, principalement les districts de Quclimane, de Sena, de Tèté et de

Zoumbo. Ses résultats ne furent en grande partie que scientifiques, mais ils permirent au

capitaine Païva d'Andrada, qui avait, du reste, déjà visité l'Afrique orientale en 1879 et

connaissait par conséquent la région, d'y cimenter ses rapports amicaux avec les chefs

indigènes. Ce furent les commencements de relations d'intérêts, surtout avec le Manica,

dont le plateau est célèbre par ses alluvions aurifères. Des compagnies portugaises se formè-

rent pour y exploiter les placers d'or, et M. Païva d'Andrada, devenu colonel en 1885,

conclut un traité de protectorat dans ce but avec le roitelet nègre. Au mépris de

cette convention, M. Colquhoun en fit signer une autre par le chef, après l'avoir enivré,

dit-on, et, annulant les engagements faits avec le Portugal, il remplaça à Villa-Gouvéia,

chef-lieu du Manica, le drapeau portugais par le drapeau anglais. On alla plus loin. Le

colonel Païva d'Andrada, attaqué par les Anglais, fut fait prisonnier avec ses com-

pagnons. Le Portugal avait droit à une réparation. Plus fort, il n'eût pas manqué de

considérer l'acte commis par M. Colquhoun comme un casus belli; mais que pouvait le

petit gouvernement de Lisbonne contre le puissant gouvernement de Londres? Une fois

de plus l'Angleterre ratifia le coup de main d'un chef d'expédition d'une Compagnie an-

glaise de l'Afrique. On fit des représentations du Portugal le peu de cas que, dans toute

circonstance semblable, l'on fait des griefs des faibles, et l'affaire se termina diplomatique-

ment en augmentant encore la part britannique là où elle était déjà si vaste et comprenait le

pays des Matabélés, des Machonas, des Barotsés, des Makololos,le Blantyre et les immenses

territoires situés entre les lacs Nyassa, Bangouélo et Tanganyika.

Que pourra la France pour réagir contre 1 invasion et l'accaparement de l'Afrique

orientale par l'Angleterre seule ou par l'Allemagne prépondérante ou par les deux coalisées?

Probablement rien. La France possède aussi peu d'intérêts commerciaux au Zambèze et

dans l'Afrique orientale portugaise qu'en Nyassaland. On n'y trouve que quelques agents

de maisons de Marseille dont les comptoirs sont répartis dans tous les ports africains. Or,

l'attitude et l'expansion allemande ne permettent pas d'augurer un changement favorable

quant à l'extension de nos relations dans cette région.

V

La France ne peuL toutefois se désintéresser de ces projets anglais ou allemands. Elle

a des positions acquises à détendre de son côté. C'est ainsi qu'il lui importe considérablement

de veiller avec la plus jalouse attention sur ses possessions qui, dans la partie la plus orien-

tale de l'Afrique, lui sauvegardent la sortie de la mer Bouge, à son embouchure, et l'accès

du golfe d'Aden, de manière à ne; pas laisser couper ses communications maritimes avec

Madagascar. Un simple examen de la carte démontre que si nous commettions la faute

d'évacuer, pour un motif quelconque, notre petite colonie de la Somalie, les conséquencesen seraient fatales et irréparables.

Page 232: Les Francais en Afrique

LA COTE ORIENTALE 211

Personne ne conteste plus, en effet, que l'Angleterre, dont la diplomatie ne s'inspirejamais du droit, mais ne s'applique qu'à guetter l'occasion, mettra tout en oeuvre, ruse etforce, pour éterniser la question d'Egypte qui dure depuis bientôt vingt ans. Cette question,le gouvernement britannique veut la résoudre définitivement à son profit exclusif. Il fera,dès qu'il en aura les moyens, litière de la convention de Constantinoplc qu'il a signée le22 mai 1887 avec le sultan et par laquelle a été proclamée l'inviolabilité du territoire

égyptien. Demain, après-demain, et certainement à une date prochaine, la vallée du Nil peutappartenir aux Anglais lorsqu'ils auront déchiré le hatli-chérif du 1er juin 18-11, jusqu'icirespecté, qui y consacre la suzeraineté otto-

mane sous l'autorité du khédive. Or, si cela a

lieu, avec le concours de l'Allemagne qui a déjàcédé son avenir africain avec son hinterland

à l'est, en troquant sous Caprivi, contre Héligo-land le sultanat de Vitou et l'espérance du pro-tectorat de Zanzibar, la neutralité absolue du

canal de Suez et de ses rivages, indispensableaux relations de toute l'Europe avec l'Asie,sera gravement en péril. Et si, en dépit des

protestations des puissances, le pacte interna-

tional, fort imparfait d'ailleurs (1), qui garantitactuellement cette neutralité, se trouve exposéalors à des modifications concertées par l'ac-

cord anglo-allemand, le seul empêchement à

cette manoeuvre sera notre occupation d'Obock,

de Djibouti et de cette région de la côte occi-

dentale, où nous avons l'oeil sur le détroit de

Bab-el-Mandeb, cette clef de l'Asie.

La Somalie française nous maintient,

d'autre part, en contact, à l'ouest, avec l'Abys-

sinie, dont les destinées sont liées à celle de Indigènesdu Nyassalanddevantleur paillotte.(Collection de l'Office Colonial.)

l'Egypte. Si cette dernière tombe aux mains de

l'Angleterre et lui est politiquement annexée, l'enveloppement des terres éthiopiennes (2),

1. « Le canal de Suez donne à l'Egypte une importance politique et économique considérable, mais il ne lui est pasaussi utile qu'aux puissances maritimes de l'Europe. Toutes ont besoin que ce passage soit libre, parce que toutes ontdes intérêts au delà de la mer Rouge, vers l'Océan Indien et l'Extrême-Orient; pour toutes il est dangereux que ce

passage soit anglais ou égyptien. Par suite du caractère international de ce point du globe, un arrangement arbitralserait sans doute possible : il est nécessaire, il est urgent. On ne conçoit pas que la question n'ait pas déjà été sou-mise aux délibérations des gouvernements intéressés : ils attendront sans doute d'avoir souffert de la situation actuelle.

« Si l'Europe ne se montre point encore disposée à chercher la solution de ce problème, pourquoi la France, la

plus directement atteinte, ne se préoccuperait-elle pas de ses intérêts particuliers "? Nul, ni même en Angleterre,ne lui conteste qu'elle a en Egypte et à Suez une situation privilégiée qui vaut des avantages positifs. L'Angleterre,

évidemment, ferait quelque sacrifice pour que la France reconnût par un traité son établissement en Egypte. 11

est possible d'ailleurs que le gouvernement français ait déjà essayé de débattre le prix de cette reconnaissance. Ne

serait-ce pas du moins un moyen d'obliger les autres gouvernements à se préoccuper davantage de la question de

Suez, à s'intéresser directement à cette voie unique par où l'Europe s'en va à la conquête des trésors de l'Asie. »

(Edouard DRIAULT, Les problèmes politiques et sociaux à la fin du xix" siècle. Paris. Félix Alcan, 1900.)Voir aussi sur cette question d'une importance capitale le très beau travail publié par M. J.-Ch. Roux, avec le

concours de notre si compétent confrère et ami M. L. SEVIN-DESCLACES: Le canal de Suez, deux très forts volumes

édités par la librairie Hachette (1901).2. L'Angleterre a Berberah et Zeïlah sur le golfe d'Aden; de son Afrique orientale, elle atteint les sources du

Nil et le descendra peu à peu vers Fachoda et vers Khartoum; elle a au nord, vers l'Egypte, Souakim et Kassala,elle a l'embouchure du Nil bleu ou Nil éthiopien dans le grand Nil à Khartoum; elle peut le remonter jusqu'au pieddes montagnes d'Abyssinie. Elle trouvera dans les provinces équatoriales, le long de la Sobat, des prétextes com-

29

Page 233: Les Francais en Afrique

21-2 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

déjà réalisé sur bien des côtés, tendra, il est facile do le prévoir, à se compléter, en traver-

sant ou brisant nos desseins de pénétration vers le Choa et toute la région de l'Ethiopieméridionale. N'avons-nous pas eu la preuve manifeste de ce que méditent à cet égard contre

nous les Anglais, lorsque les journaux de Londres, organes officieux du gouvernement, ont

applaudi à l'échec de la mission française de Bonchamps et de nos projets, trop vagues, il est

vrai, pour atteindre par le Choa le Nil et au delà le Bahr-el-Ghazal et l'Oubanghi, en vue de

joindre Obockau Congo?

L'Angleterre a un plan, déjà en grande partie exécuté, et sur lequel ses yeux restent

fixés jusqu'à ce qu'elle en ait assuré l'achèvement. Elle veut faire sa proie de toute l'Afrique

orientale. Beaucoup d'obstacles la gênent encore dans l'accomplissement de cette oeuvre

longuement préméditée, préparée et poursuivie ; mais elle compte pour les renverser succes-

sivement sur sa ténacité inlassable, sur les circonstances et sur l'inhabileté de ceux qu'elle

prétend évincer tour à tour. Elle espère qu'il y aura encore en France des ministères de

Frcycinet qui, par leur indécision, lui permettront d'aller de l'avant. Elle conspire en atten-

dant à Berlin et elle ruse à Lisbonne et à Rome. Aux Allemands, elle propose secrètement

l'échange de l'Afrique orientale qu'ils occupent entre les lacs Victoria, Nyanza et Nyassa,

contre l'Angola ; et pour que les Portugais, à qui appartient ce dernier Etat, l'abandonnent

avec leurs possessions de Moçambique et de Lourenço-Marquès, elle leur offre des compen-sations fictives ou probables en Europe où une plus grande Lusitanie qui absorberait l'Es-

pagne n'est pas impossible, ou bien dans l'Amérique du Sud où le rattachement du fleuron

brésilien à la couronne de Bragance pourrait cesser, avec l'appui britannique, d'être une

chimère. Aux Italiens enfin, qui détiennent encore le pays des Gallas, sans cesse entamé parses voisins, l'Ogaden et le Mali, sur la côte de l'Océan Indien, elle fait entrevoir une com-

binaison qu'elle pourrait seconder et qui leur donnerait, moyennant cession de cette Somalie

italienne à la Grande-Bretagne, la création d'nne Tripolitaine italienne, rivale de la Tunisie

française, et faisant face dans la Méditerranée à la Sicile. Ce plan se raccorderait avec

ceux de Cecil Rhodes. La France, alliée à la Bussie, est assez forte pour paralyser la marche

des Anglais dans cette voie. Tout l'incite à ne pas faillir à cette tâche.

modes de querelle avec le négous, surtout si l'on y découvre quelques riches gisements. Elle enveloppe l'Ethiopiecomme le Transvaal. Elle est son plus terrible et plus permanent danger. Les alliés nécessaires de l'Ethiopie sontles ennemis des Anglais, c'est pour elle une question de vie ou de mort. (Ed. DIUAULT,ouvr. cité.)

Paysage de la Côte orientale

Page 234: Les Francais en Afrique

IÏ>rBpnT^T^=»4JN CAMPEMENT.

(Collection de-la^i^mpagnie ^esVhemins de fer d'Ethiopie.;

\^19£/ OBOCKET LA COTE DES SOMALIS

CARTE DE LA RÉGIOND'OBOCK.

Page 235: Les Francais en Afrique

Le chemin de fer de Djibouti est appelé à changer

la face des choses dans cette partie de l'Afrique.Paul BORY.

Il se peut que le pays des Somalis où confinent les

possessions coloniales des divers États maîtres de l'Afri-

que orientale, soit, dans l'avenir, le champ de bataille

suprême des ambitions rivales ou l'enjeu des intriguesdécisives.

Charles SIMOKD.

Page 236: Les Francais en Afrique

VCE DU PORT D'OBOCK, d'après une photographie de M. DENTS DE RIVOYRE.

(Communiqué par MM. Alcide PICARD et KÀAH.)

CHAPITRE XV

OBOCK ET LA COTE DES SOMALIS

I

ERS1859, le consul de France à Massouah signala à notre gouvernement l'impor-tance d'Obock comme station de ravitaillement et port de refuge. Ce point de

la côte africaine commandait, en effet, la sortie de la mer Bouge, en face de

Périm, occupé et fortifié par les Anglais. Situé dans le golfe d'Aden par 10° 57 de latitude

nord et 41° de longitude est, à l'extrémité sud-est du Danakil, entre la baie de Tadjourahet le détroit de Bab-el-Mandeb, il devait, s'il entrait en notre possession, garantir nos inté-

rêts maritimes.

Ces avantages étaient considérables et incontestés.

Des bords du golfe de Tadjourah, prolongement du golfe d'Aden vers l'Afrique, et de

ses autres ports principaux : Zel'lah, Berberah, partaient les routes suivies par les caravanes

pour gagner l'intérieur des terres et se diriger surtout vers le royaume éthiopien du Choa.

On pouvait non seulement établir à Obock une escale et un dépôt de charbon, mais yattirer le commerce de l'Afrique orientale et centrale, y trafiquer avec les Abyssins et les

Somalis, y fonder une colonie dont la prospérité serait possible.Le vice-consul français à Aden, M. Henri Lambert, s'en rendit parfaitement compte, et,

pour réaliser ce projet, il entra en négociation avec les chefs indigènes, qui acceptèrent ses

ouvertures. Un marché fut conclu; mais quand Henri Lambert se rendit à Obock pour

reconnaître définitivement son acquisition au nom de la France, le rets (patron) du sambouck

arabe qui le transportait l'assassina pendant la traversée. On ne put prouver de quelles

Page 237: Les Francais en Afrique

21(1 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIÈCLE

instigations le meurtrier était l'instrument, quoiqu'on ne trouvât en sa possession, après le

crime, que de l'or anglais.Le capitaine de vaisseau Fleuriot de Langle, qui commandait à Bourbon notre station

navale des Indes, reçut l'ordre de faire une démonstration dans le golfe d'Aden, et la Cor-

delière, portant son pavillon, parut successivement devant Zeïlah, Tadjourah et toute la

côte. Les chefs de la région, livrés par leurs complices, furent enchaînés à bord de la frégate

GARE DE DJIBOUTI. — Bâtiments de l'administration.

(Collection de la Compagnie des chemins de fer d'Ethiopie.)

française, et le rcïs aurait, sans doute subi le châtiment suprême, si le misérable n'était

mort subitement.

Le commandant Fleuriot de Langle poursuivit l'oeuvre d'Henri Lambert et put s'assurer

qu'Obock, petite rade naturelle dessinée par des falaises madréporiques, répondait bien à ce

que l'on en attendait. Le cabotage indigène y était très actif de longue date, les naturels

venaient y faire provision d'eau et de bois; Us s'y abritaient par les gros temps. Le choix

de cette position était donc excellent. Les bases de l'arrangement fait avec le vice-consul

d'Aden furent ratifiées par les chefs, et la convention eut force de loi dès 1862.

La France aurait pu tout aussi facilement devenir maîtresse de Périm et tenir,

par conséquent, les deux clefs de la mer Bouge, si quelques aimées auparavant les

Anglais n'avaient eu l'oreille fine et la décision prompte. L'incident est bon à rappeler, et

M. Denis de Bivoyre le conte d'une manière piquante :

« On était au lendemain de la guerre de Crimée, et déjà se faisaient jour les idées dont

plus tard devait s'inspirer l'activité d'Henri Lambert. Périm était vacant. Nulle puissance

européenne n'en revendiquait la possession. La position était exceptionnelle. Le comman-

dant X... (ne le nommons pas) reçut l'ordre d'y planter le pavillon français. Un secret

rigoureux était imposé. L'état-major, aussi bien que l'équipage du navire, ignorait le but du

voyage. On arriva à Aden. A peine débarqué, visite de l'officier français au gouverneur de

la place, et, en échange, invitation de celui-ci, pour le soir même, à dîner. L'étranger se

trouvait naturellement à la droite de son hôte. Ils causaient entre eux à mi-voix de la

situation politique, des perspectives nouvelles réservées à l'Orient par l'accord de la France

Page 238: Les Francais en Afrique

OBOCK ET LA COTE DES S0MAL1S 217

et de l'Angleterre, et tout en se l'élicilant inulucllement des liens que celle eulenle réservait

désormais à l'amitié des individus comme des peuples, notre compatriote crut pouvoir se

départir, vis-à-vis d'un amphitryon si aimable, de la réserve officielle qu'il avait observée

jusque-là.

« En vous quittant, lui dit-il, je le confie à voire discrétion, je vais accomplir une

« mission qui, dans ces mers, rapprochera encore plus nos deux pavillons maintenant insé-

« parables.

« — Vraiment !

« — Oui, j'ai l'ordre d'aller piauler le pavillon français sur l'île de Périm, et demain,

« au point du jour, j'appareille pour celle destination.

« — Tous mes compliments », réplique son interlocuteur avec un sourire.

« Puis on se lève de table, et le souriant gouverneur disparaît quelques minutes, en

«'excusant sous un prétexte banal. Il rentre ; les cigares et les verres du punch se succèdent,

et lorsqu'on se sépare vers le coup de minuit, c'est avec de chaleureuses élreinles et des

souhaits cordiaux pour le succès de l'entreprise.« A terre, on dort encore. Au point du jour, comme il avait été dit, le bâtiment français

appareille et se dirige vers l'entrée de la mer Bouge. Bonne mer et bon marcheur.

Périm est signalé. Voilà l'îlot dénudé qui, dans nue heure, fera partie du domaine de la

France. Le branle-bas est commandé, il en faut prendre possession avec toutes les céré-

monies et les honneurs d'usage. Encore quelques tours de roue. Mais en approchant davan-

tage, qu'est ceci? Sur la plage un pavillon est déjà planté et flotte en haut d'un mât: au

pied, un factionnaire, des soldats qui paraissent le garder. Plus loin, un petit vapeur dont

la cheminée se montre au-dessus d'une saillie du rocher. On dirait les couleurs anglaises et

des soldats anglais... En effet, c'étaient bien les uns et les autres. Le gracieux gouverneur

d'Aden. saisi par la nouvelle que lui communiquait son hôte, n'avait point perdu la tète. Sa

disparition soudaine après dîner n'avait eu d'autre motif que de lui permettre de donner à

son tour des instructions pour qu'un aviso de la marine britannique chauffât sans retard et

devançât les Français à cet îlot de Périm sur lequel son gouvernement, il le savait, avait

déjà jeté son dévolu. Et notre ineffable commandant, à nous, dupé, bafoué, n'eut plus

qu'à battre en retraite et à venir rendre compte, comme il put, de l'échec pileux de sa

mission.

« Voilà comment aujourd'hui Périm appartient à l'Angleterre. »

II

Il nous resta Obock. Le commandant Fleuriot de Langle en avait obtenu la cession,

dès 1860, moyennant dix mille talaris. payés aux chefs danakils, qui lui vendaient tout le

rivage depuis l'extrémité de la baie de Tadjourah jusqu'à la pointe de Baz-Doumeirah.

Nous avons dit que la ratification du marché' eut lieu deux ans après. Ce traité passa pour

ainsi dire inaperçu.

En France, oit l'on s'intéressait alors fort peu à notre expansion coloniale, et où on la

combattait et la raillait même, il n'y eut qu'un tout petit nombre d'initiés qui en eurent

connaissance, entre autres MM. Sahnon et des Essarts. tous deux alors lieutenants devais-

seau abord de l'aviso momentanément en station à Obock. puis M. Monge, qui, détaché du

consulat de Port-Saïd, avait séjourné- pendant quelque temps dans In nouvelle possession

Page 239: Les Francais en Afrique

218 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

française, avec les deux officiers de marine. Tous les trois espéraient que la France ferait

preuve, à cet égard, d'une action prompte autant qu'énergique; ils savaient quelles res-

sources on pourrait tirer d'Obock, et en interrogeant les populations indigènes de la région,

ils avaient pu se convaincre de la richesse des territoires galla et éthiopien, avec lesquels on

pourrait entrer en contact. M. Monge s'était mis en rapport avec le plus puissant des chefs,

Abou-Bèkre, le grand marchand d'esclaves, qui, dès que notre pavillon fut planté à Obock,

s'était fait officiellement appeler Protège français.Ce protégé restait en réalité le maître. Un navire français venait par aventure mouiller

à Obock « pour s'assurer si la hampe du pavillon planté depuis 1862 n'était point enlevée » ;

les officiers échangeaient des politesses avec Abou-Bèkre qui les invitait à une partie de

chasse dans les bois et sur le plateau, et le bateau remettait à voile. C'était tout. Le

silence se faisait sur Obock et la France

n'y pensait plus.Insouciance et ignorance, on son-

geait si bien à d'autres rêves coloniaux

que, lorsque, en 1868, M. Denis de

Bivoyre parla d'Obock dans une con-

férence à la Société de géographie, la

plupart des auditeurs n'avaient pas

entendu parler de cette propriété fran-

çaise. On conçoit que ses démarches

auprès des ministres pour faire cesser

cet oubli n'aient eu à ce moment aucun

succès. Les chefs du gouvernement luiDJIUOUTI.— Prise d'eau.

(Collectiondela Compagniedes cheminsde fer d'Ethiopie.) donnaient l'assurance que la protec-tion de leur département ne lui ferait

pas défaut, et l'autorisaient même à s'établir sur les points du territoire d'Obock qui lui

paraîtraient le plus favorables pour y faire des travaux et y élever des constructions;

mais, comme il le dit lui-même, la sympathie officielle ne sortait pas du domaine plato-

nique. Cependant l'idée dont il se faisait le champion faisait des progrès et les écrits qu'il

publiait dans les revues de géographie et d'exploration la remettaient fréquemment sur

le tapis. Malheureusement, la guerre de 1870 survint; d'autres préoccupations le détournè-

rent forcément de son but; il ne put se remettre à la tâche qu'en 1879.

Dans l'intervalle, une petite expédition française était allée tenter fortune sur la côte

orientale d'Afrique, vers le Choa. Ces aventuriers avaient séjourné quelques mois à Tad-

jourah et à Obock, puis, en chemin vers leur but, ils avaient presque tous été assassinés.

Un des survivants, Pierre Arnoux, parvint à regagner la France et se rencontra avec

M. Denis de Bivoyre. A cette époque, la Société des études coloniales et maritimes, fondée

quelque temps auparavant, s'occupait de la eptestion. Elle accorda son appui moral à l'en-

treprise d'ouvrir les voies de l'Afrique intérieure à la civilisation européenne, et d'établir, à

cet effet, un comptoir à Obock.

M. de Bivoyre partit en août 1880 avec sept compagnons. Il se rendit d'abord à Zcïlah

pour s'aboucher avec Abou-Bèkre, et il n'obtint aucun résultat effectif. Il apprit qu'une

compagnie, créée à Paris pour suivre la même idée que lui, avait sombré avant de s'être

mise à flot, et un numéro du Journal officiel, qui lui tomba par hasard sous les yeux, lui

prouva qu'au ministère, à Paris, on déclinait toute responsabilité de ce qu'il essayait d'orga-

Page 240: Les Francais en Afrique

OBOCK ET LA COTE DES SOMALIS 219

niscr. Le département de la marine déclarait que le gouvernementn'avait fait aucune concession et n'en ferait point; bref, les pro-messes données simplement sur le papier s'y étaient effacées.

M. de Bivoyre ne se découragea point. Bcntré en France, il

s'attacha 1res activement à démontrer que le développement d'Obock

était tout indiqué, et que la ligne maritime dont ce port devait

être un point indispensable ne tarderait pas à être créée, dès quel'on aurait relié d'une façon directe et permanente Obock avec

la métropole. Les explorations qu'il avait faites dans les vallées

de l'Euphratc et du Tigre, en Chaldéc, en Mésopotamie, en Perse, Marchand somali.à Bagdad, lui donnaient de l'autorité. Il prouva que, si son projetse réalisait, il pouvait compter tout de suite sur la majeure partie du trafic indigène,« lassé des exigences cl de l'arrogance des Anglais, dont le pavillon exclusif se voyait et

régnait alors dans ces mers ». Le projet fut exécuté par la Compagnie des Steamers de

l'Ouest, dont le directeur, M. Jules Mcsnicr, le seconda. Enfin, à dater de janvier 1882,

grâce à sa persévérance, le service de l'Orient montrait régulièrement pour la premièrefois dans le golfe d'Oman et le golfe Pcrsique « le pavillon français à côté des couleurs bri-

tanniques, en touchant à Mascate, à Obock, sans relâcher à Aden ».

III

L'élan était donné, la voie ouverte. On savait en France qu'Obock existait et valait la

peine d'être regardé. La Compagnie franco-éthiopienne, fondée par M. Arnoux, avait réuni

un petit capital et des adhérents, une quinzaine de personnes. Ce furent les premiers colons

français d'Obock. Six mois après, une autre compagnie se constituait, la Société française

d'Obock, et lançait une expédition ayant pour chef Paul Soleillet, qui s'était fait connaître

par ses voyages au nord de l'Afrique et au Sénégal (1). Soleillet arriva, le 12 janvier 1882,

à Obock, où il trouva la petite colonie d'Arnoux. Il s'associa aussitôt à elle avec les siens.

Mais la mésintelligence no tarda pas à se glisser parmi les associés, dont les ressources

s'épuisaient. En outre, ils avaient à se mettre en garde contre les indigènes danakils, bandits

et féroces. Ceux-ci, repoussés à coups de fusil, vengeant la mort d'un d'entre eux cpii

avait succombé, massacrèrent Arnoux.

Le gouvernement français ouvrit une enquête. Deux des indigènes qui avaient participé

au meurtre furent condamnés à mort, puis graciés, sans doute par crainte des représailles.

Soleillet, pour empêcher le retour des actes de brigandage, fit construire une tour qui reçut

son nom, et noua avec les chefs des relations amicales. 11 obtint ainsi la cession du petit

port de Sangallo, sur la côte nord-ouest du golfe de Tadjourah. Bientôt les communications

s'établirent entre Obock et le Choa.

Il semblait que la Société française d'Obock fût prospère, mais ce n'était qu'une appa-

rence trompeuse ; Soleillet l'abandonna d'ailleurs pour reprendre son rôle d'explorateur, plus

en harmonie avec son caractère. Obock faillit sombrer. Une nouvelle société, les Factoreries

françaises, devait sauver la colonie, mais ce ne fut qu'une déception encore plus grande que

les précédentes. On acquérait ainsi la certitude que l'initiative privée, livrée uniquement à

elle-même, était impuissante à déterminer une réussite.

1. Voir Paul Soleillet en Afrique, par Jules GROS.(Paris, Alcide Picard et Kaan.) Remercions ici les éditeurs de

cet ouvrage qui ont mis gracieusement à notre disposition le document iconographique figurant en tête de ce chapitre.30

Page 241: Les Francais en Afrique

220 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

L'avènement de Jules Ferry changea la situation. La politique coloniale allait enfin

s'inaugurer sérieusement.

IV

Le 24 juin, un décret paru à l'Officiel nommait le premier « commandant d'Obock ».

En même temps les Chambres étaient avisées d'un projet de loi précisant catégoriquement

les intentions du gouvernement sur notre escale dans le golfe d'Aden. On déclarait que le

but envisagé, quand on avait acquis Obock, vingt-deux ans auparavant, avait à peu près

été abandonné et qu'il importait

d'avoir, au sortir de la mer Bouge,

un centre de ravitaillement pour y

faire du charbon et des vivres.

« Le port naturel d'Obock est

excellent, disait l'exposé du projet,

des travaux plus importants le ren-

dront très commode. L'eau douce y

est recueillie facilement et une

grande partie du terrain y peut être

livrée à la culture. En outre, les

habitants, dont les sentiments nous

sont très favorables, nous aideront

à former un centre colonial, où la

sécurité sera assurée par la pré-

sence d'un petit détachement. Au

point de vue économique, Obock

DJIBOUTI.- Le Viaduc de Chéliélé. Pcut devenir le débouché des ri-

(Collectionde la CompagniedesCheminsde fer d'Ethiopie.) chcs provinces du Choa, qui cher-

chent en ce moment à envoyer leurs produits à la côte, et, de ce côté, nous avons tout

lieu de compter pour l'avenir sur une réelle prospérité commerciale. »

C'était l'ère nouvelle des enthousiasmes. On ne se contenta pas de l'annoncer. Il y eut

cette fois des actes. La France prit possession de Sangallo, que lui rétrocédait Soleillet, puis

de la tour de Tadjourah, où on planta notre drapeau. Il était temps, car, une heure et demie

après, les Anglais vinrent mouiller devant Tadjourah. Ils durent virer de bord. Nous

prenions notre revanche de Périm. Cette prise de possession fut complétée par une série do

traités avec Abou-Bèkre, et, grâce à lui, nous devînmes maîtres des territoires d'Ambado,

de Guibct-Kharab, de Bas-Ali.

La fertilité d'Obock et de la région ne tarda pas à être démontrée par l'expérience.

L'avenir de la colonie française se dessinait, éveillant, comme on le pense bien, les jalousies

des Anglais. Ne pouvant nous évincer de Tadjourah, ils avaient espéré faire main-basse sur

le Harar, mais ils y rencontrèrent pour rivaux les Italiens, qui étaient à Massouah, et ne

voulurent point entrer en lutte avec eux, parce qu'ils avaient l'un et l'autre intérêt à unir leurs

efforts contre les madhistes après la prise de Khartoum et de Kassala.

Par suite do cette attitude, dont bénéficia Obock, ce port était, en 1885, déjà presque

florissant, quand, au commencement de l'année, des pluies torrentielles suivies d'un for-

midable cyclone ravagèrent toute la région. La tour Soleillet fut détruite; un aviso,

Page 242: Les Francais en Afrique

(inOCK ET LA COTE DES SOMALIS 221

le Renard, s'engloutit corps et biens; la colonie naissante, cruellemenl éprouvée, perditen un jour tous les avantages conquis. Elle se releva toutefois assez rapidement de ce

désastre, grâce aux qualités administratives tout à fait remarquables de son nouveau

gouverneur, M. Mornes, qui répara foules les perles et fil front à toutes les difficultés.

Obock profita des querelles entre les roitelets voisins en offrant un abri à tous ceux

qui, tyrannisés ou exploités, vinrent chercher appui sous le pavillon français. Dans ces

circonstances, sa population, qui, en 1862, ne dépassait pas trente habitants, monta en

quelques mois à huit cents : Arabes, Abyssins, Soinalis. Le petit port s'enorgueillit de ce

progrès, et pour en perpétuer le souvenir, l'administration locale célébra la gloire des

membres du gouvernement, à celte époque, MM. Ferry, président du conseil; Peyron,ministre de la marine, et Félix Faure, sous-secrétaire d'Etal aux colonies. Il y eut à Obock

un cap Ferrg, un centre ou quartier Peyronrillc; un autre, Fattmu/lr, et ainsi de suite.

Les traités de 1887 et 1888 entre la France et l'Angleterre, en ce qui concerne, d'une

part. Obock et Tadjourah; d'autre part, le Harar, ont fait entrer la colonie dans la phase de

l'évolution régulière. N'était l'épidémie qui y sévit parfois dans des conditions effroyables,

comme en 1892, quoique le climat soit relativement sain, les Français d'Obock seraient favo-

risés comme établissement colonial.

« Les progrès de la petite colonie, disait M. de Bivoyre, il y a dix ans, s'accentuent. Au

début de 1887, les 800 habitants de 1885 y sont de 1.800 à 2.000. Des négociants grecs, des

Banians, y sont fixés. Un hôtel français balance, aux yeux des passagers en escale, son

enseigne alléchante. Et ces passagers, maintenant, sont nombreux. Décidément, voilà Aden

abandonné. Il ne dépend que de nous d'en écarter ('gaiement les autres marines de l'Europe,

en pressant le développement d'Obock, qui, mieux situé, mieux approvisionné, n'attend

que l'impulsion d'en haut pour devenir le marché effectif et journalier de l'Afrique inté-

rieure. »

Malheureusement, l'ingratitude administrative a traité Obock en fils du premier lit

auquel on préfère un enfant né de secondes noces. On a substitué Djibouti à Obock comme

siège de notre gouvernement des bords de la mer Bouge, et pendant qu'Obock est relégué

au second plan, dans l'obscurité, l'esclavage continue à fleurir à Djibouti sous l'oeil vigilant

d'Abou-Bèkre fils.

Obock, les territoires possédés par la France sur le pourtour du golfe de Tadjourah et le

pays des Danakils. ainsi que le protectorat des Soinalis. ont été réunis en 1896 en une seule

colonie, sous le nom de protectorat de la côte française des Somalis. Dans ce remaniement.

Obock a été dépossédée et Djibouti favorisé-. Cette mesure l'ut, à cette époque, assez vive-

ment critiquée, et ceux qui avaient contribué à l'établissement d'Obock se plaignirent

vivement de le voir supplanté par une jeune ville où tout était encore à faire.

Le gouvernement a donné pour raison que Djibouti était appelé à devenir le principal

port de sortie de l'Ethiopie lorsque la construction du chemin de fer (11 qui doit le relier au

1. En octobre 1899 il n'y avait que %j kilomètres du Ira ci'' de construits , et 75 kilmnèlres de déblais el remblais

d'achevés. En juillet 1000on en a livré 100 kilomètres au tralic Touleloislc transport des maivhan lises se l'ait encore

en très grande partie par des caravanes, à l'aide de porteurs et de chaiueau\. Voir à cet é^ard l'article publié par

M. Jean TEINCF.Y, dans le C"rrrs/„„hhi,it (â". octobre 11101): DjHnuiti W /« iulèrr/s fraïu-uis sur la cd/e \',„„„/;.v.

Page 243: Les Francais en Afrique

222 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX° SIÈCLE

Harar et ensuite au Choa sera achevée. En attendant, c'est vers le port anglais, Zeïlah, que

les caravanes continuent à diriger le trafic. Toutefois Djibouti voit augmenter son commerce.

B est vrai que celui-ci porte principalement sur les importations de la Grande-Bretagne.

Les statistiques sur la Somalie française sont très incertaines. La population de la

colonie est estimée par les uns à 50.000 habitants et par les autres à 200.000, ce qui prouve

que l'on ne sait rien de précis à ce sujet. Le pays se compose en général de pâturageset offre peu de ressources à la colonisation proprement dite. On croit que le sol recèle des

mines, mais des fouilles sérieuses n'ont pas encore été faites pour s'en assurer (1).Ce territoire français de la Somalie n'a, en réalité, de valeur que parce qu'il est, comme

nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent, sur la mer Bouge et sur la côte orientale

d'Afrique, notre seul point d'appui. Colonie toute petite, à la vérité, et par là même exposée

aux coups de main de ceux qui l'avoisinent, mais position d'une importance très considé-

rable, car il y a là, en présence, des convoitises britanniques, italiennes, allemandes, éthio-

piennes. Sans attribuer au port d'Obock l'importance exagérée qu'on lui donnait il y a

quelque quarante ans (2), on ne peut nier celle de tout premier ordre qu'il conserve, au

point de vue militaire et politique. Les Allemands l'avouent (3), et c'est un aveu des plus

significatifs.

1. La colonie a coûté à la France en 1900 environ 337.500 francs. Ses importations de mai à décembre 1899

(seule statistique commerciale pour cette année) se sont élevées à 3.024.500 francs, ses exportations à 1.391.100 fr.

2. En 1865, la Revue du Monde colonial, publiait ces lignes : « A Obock ou dans le voisinage, tout près du

Bab-el-Mandeb, doit s'élever un grand marché commercial qui sera le lien entre l'Asie et l'Afrique. Presque toutes

les richesses du monde des noirs afflueront dans ce Constantinople de l'avenir, qui forme l'attache du Soudan avec

l'Arabie, comme jadis Byzance faisait de l'Europe avec l'Asie. » Nous citons de mémoire et Schweizer-Lerchenfeld,l'historien de l'Afrique actuelle, ajoute avec ironie : « C'est bien là, en un langage poétique, la plus folle envolée

d'imagination qui se soit affirmée dans la politique coloniale. Les années se sont écoulées et Obock reste la pauvreet déserte petite cité sablonneuse dévorée par le soleil ; l'oeil y cherche en vain la forêt de mâts et les rois nègresvenant déposer leurs fabuleux présents aux pieds du gouverneur qui représente la France souveraine de cette

Byzance d'Afrique. »

3. Der Hauptwerlh der Kolonie diirfte auf mililoerisch-polilischem Gebiete liegen. (D' Alfred ZIMMERMANX, Die

Kolonialpolitik Frankreichs.) (Berlin. E.-S. Mittler. 1901.)

Paysage de la Somalie française.(Collection de la Compagnie des chemins de 1er d'Ethiopie.)

Page 244: Les Francais en Afrique

ADDIS-ABBÉBA-GUÉBI.

(Collection de l'Office Colonial.)

ABYSSINIE

CARTE DE L'ABYSSINIE.

Page 245: Les Francais en Afrique

L'Abyssinie a conquis sa place dans le monde.

Jean TEINCEY.

C'est aujourd'hui une question de savoir si Ménélik

sera battu par les troupes combinées des Anglais et des

Italiens, ou si l'Abyssinie restera indépendante et

deviendra, avec l'appui de la Russie et de la France,le seul grand État africain indigène.

René PINON.

Page 246: Les Francais en Afrique

GROUPE D'ABYSSINS.

CHAPITRE XVI

L'ABYSSINIE

I

OUR les Grecs, dès la plus haute antiquité, les Abyssins ou Abyssiniens d'aujour-d'hui étaient des Ethiopiens ('AIOÎOTCEÇ)et l'Abyssinie actuelle s'appelait l'Ethiopie

supérieure (1), ils donnaient toutefois le nom d"Ai9foma à tous les pays occupés

par les aborigènes à peau noire ou bronzée, aussi bien à la Gédrosie (sud Asie) qu'au Haut-

Nil; ils l'appliquaient même à certaines îles de la mer Egée, Samothracc et Lesbos, ainsi

qu'à cette partie de la Cappadoce où, sur les rives du Thcrmodon, régnaient les redou-

tables reines des Amazones : Antiope, Pcnthésiléc, Thomyris, Thalcstris. Homère, qui placele séjour des Ethiopiens (ou Hyperboréens) aux confins du monde, voit en eux des hommes

« pieux et sans tache », amis des dieux qui les visitaient souvent. Hérodote les divise

en deux races : l'une aux cheveux plats, établie dans l'Ethiopie orientale ; l'autre aux

cheveux crépus, dans l'Ethiopie occidentale.

A vrai dire, il n'y avait point, chez les anciens, do dénomination spéciale pour l'Abys-sinie et les Abyssins. Quant aux Kousch, dont parle l'ancien Testament, et qui étaient connus

des Egyptiens et des Hébreux, on no saurait affirmer si c'étaient des indigènes ou simple-

ment des sémites immigrés dans cette contrée. Quoi qu'il en soit, la civilisation y remontait

à une époque très éloignée, correspondant à la prospérité de Meroé, encore reconnaissable

dans les ruines aux environs de Schendi. A cette période reculée succéda celle des reines

nubiennes, comme Candace, jusqu'à la conquête romaine sous Auguste.

1. C'est d'ailleurs le nom que lui donnent les savants et les habitants du pays eux-mêmes. Quant à la dénomi-nation d'Abyssinie, elle vient de l'arabe habesch, qui est un terme de mépris employé par les musulmans pourdésigner un ramasssis de familles d'origines diverses. Les Ethiopiens sont ennemis de l'Islam. Les Arabes ne seservent pour les désigner que de l'expression injurieuse. Du mot habesrh. les copistes du xvi" siècle ont t'ait en

français nbyssin.

Page 247: Les Francais en Afrique

221» LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Longtemps auparavant, au vu 0 siècle avant notre ère, sous Psammetik Ier, fondateur

de la 26° dynastie égyptienne, des Sébrites. appartenant à la race guerrière de Mcmphis ou

de Sais, avaient, d'après les traditions, fondé dans la Haute-Ethiopie, là où sont les sources

de l'Astaspe (Bahr-el-Arzek, fleuve bleu), la ville et le royaume d'Axoum, qui fut plus tard

exploré par les Lagides (fondation d'Arsinoé, etc.). Les richesses du sol y attiraient les

chercheurs d'or, les marchands d'aromates; c'était le pays du cinname et des parfums.

D'autres venaient y faire le commerce de l'ivoire. Les relations avec les indigènes étaient

d'ailleurs pacifiques. « Tous ces Ethiopiens, raconte encore Hérodote, se distinguaient

autant par l'intelligence et la beauté de

leur caractère que par la simplicité de

leurs moeurs et la beauté de leur exté-

rieur; grands et forts, leur genre de vie

sobre et sans passion assurait leur lon-

gévité.

C'est sous les souverains d'Axoum

que les Abyssins commencent ces temps

prospères où, grâce à leur entrepôt

d'Adulia, le port des Troglodytes, ils

exerçaient la suprématie commerciale

dans l'Inde et dans l'Arabie, pendant que

l'Abyssinie était un boulevard de la

chrétienté. Cette splendeur déclina lors-

qu'ils entrèrent en contact avec l'Islam.

II

Au xvie siècle de notre ère, réduits

au territoire de la Haute-Ethiopie, ils

furent assaillis par les Gallas. hordes

sauvages de race nègre venus du sud, qui

leur arrachèrent successivement leursCarte <le< i'X|>lerations ''ii Abyssinie.

possessions, promenant parlout la dévastation et plongeant presque tout le pays dans la

haibarie. Ce l'ut comme une trombe qui passa sur l'Abyssinie et que l'on peut compareral'invasion de l'Europe par les Huns. Cependant les négous (rois abyssins) résistèrent

à celte tourmente. Au milieu de leurs désastres, ils conservaient leur prestige, et, grâce à

celle allihnle, ils purent se concilier l'alliance des Porlugais. poussés à celle entente parles.(('suites, qui travaillaient à la conversion du négous cl de sa cour. Il en résulta des dissensions

intérieures, le peuple voulant rester fidèle à ses croyances chrétiennes, distinctes du culle

romain. Ces Irouhles prirent fin en 1G32 par l'expulsion des prêtres et religieux catholiques.El c'esl depuis lois que ceux-ci n'ont cessé de mettre tout en oeuvre pour reconquérir leur

influence en Ahyssinic. en même temps que les missionnaires anglais et allemands y tra-

vaillent en faveur du protestantisme.

A ces sollicitations se joignirent les inl ligues politiques des cabinets de Paris et de Londres.

en sorte que le négous, ne pouvant plus même complet" sur l'appui de ses ras (gouverneursde province), n'était plus qu'une ombre de souverain indépendant confiné dans sa capilale,à Gunilar: il n'avait qu'une autorité de plus en plus affaiblie sur ce royaume démembré.

Page 248: Les Francais en Afrique

L'ABYSSINIE 227

III

Telle était la situation au XVIIIC siècle et jusqu'au milieudu xix°. A côté de l'Abyssinie et dans ses limites s'étaient formésdeux autres États : le Tigré, à l'ouest d'Adoua, répondant à peu

près à l'ancien Axouni et le Choa. Ce morcellement secondait

les intentions britanniques. En 1860, celles-ci se révélèrent

manifestement lorsqu'un des chefs abyssins (un dedjezma ou

vassal), levant ouvertement l'étendard de la révolte, triomphades autres feudataires déjà presque autonomes, les massacra et

s'empara de la couronne d'Abyssinie en se proclamant empereurType abyssin.

et en se faisant sacrer par 1évèque copte sous le nom de Théodoros.

Ce coup de main aurait pu avoir des conséquences avantageuses pour reconstituer

l'unité du pays, d'autant plus que l'usurpateur, jeune, habile, énergique, avait pour soutien

une armée dévouée composée de cinquante mille hommes aguerris. Mais Théodoros ne

réalisa point les promesses de réforme sociale qui lui avaient valu tant de partisans. Ceux

des chefs que sa duplicité rendait défiants, se tournèrent vers d'autres auxiliaires. Un

d'eux, Négousié, fomenta une insurrection dans le Tigré, où il agissait avec les sympathiesde la France. Théodoros le fit égorger et devint dès ce moment un tyran, écrasant ses sujets

d'impôts, immolant tout le monde à sa fureur. Les Anglais, dont il avait été d'abord l'allié,

eurent eux-mêmes à subir ses caprices. Les consuls et les ambassadeurs que lui envoya la

reine d'Angleterre tombèrent dans un véritable piège. Il les traita en prisonniers, en otages,

et, quoique abandonné successivement par ses meilleurs partisans, il joua son rôle de fou

couronné pendant plusieurs années.

C'était un défi lancé à toute l'Europe, à toute la civilisation. En 1868, l'Angleterre, quoi-

que intéressée à ne point accepter une rupture, s'y vit forcée; de toutes part en effet écla-

tèrent des soulèvements. Celui du Choa, ayant à sa tète Ménélik, pelit-fils du négousdétrôné par Théodoros et héritier légitime du trône, était plein de menaces.

Les Anglais résolurent de prévenir l'anarchie par une opération vigoureuse et décisive.

Ils assiégèrent Théodoros retranché dans Magdala, qui paraissait inexpugnable. L'armée

anglaise, commandée par Sir Robert Napier, remporta une victoire complète. Quand le

négous vit le premier soldat ennemi escalader le rempart, il se brûla la cervelle.

Les Anglais se retirèrent après avoir détruit Magdala, laissant l'Abyssinie en proie à la

guerre civile qui dura quatre ans. En janvier 1872, Kassai, roi du Tigré, vainqueur dans la

plupart des combats, s'empara d'Axoum, capitale religieuse du royaume, et se fit couronner

empereur (négous) sous le nom de Jean II (Johanncs). Son règne ne fut, pendant dix-sept

années, qu'une lutte acharnée contre les musulmans ou plutôt contre l'Egypte, agissant de

concert avec la Porte Ottomane, qui se prétendait suzeraine de l'Abyssinie. Ces prétentions,

malgré deux victoires du négous, auraient triomphé si la révolte du Mahdi, l'occupation de

l'Egypte par les Anglais et la mort de Jean II n'avaient, en 1880, imprimé une direction

tout à fait imprévue aux événements.

IV

Ménélik II, roi du Choa, avait, par droit de naissance, pris la couronne impériale, mais

des complications de toute nature l'entravaient. Dès son avènement, il vit se dresser devant

lui les ambitions italiennes. Profitant du désarroi où était jetée l'Abyssinie et arguant du

Page 249: Les Francais en Afrique

2> LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

droit de conquête, l'Italie s'était emparée de l'île de Massaouah, en 1885, puis de Keren et

d'Asmara, prenant ainsi position à l'entrée des plateaux du Tigré, sur le chemin de la mer

Rouge. Cette colonie militaire reçut le nom d'Erythrée. C'était, dans la pensée du roi Hum-

bert et de son ministre Crispi, un premier pas dans la voie d'annexion masquée sous le

nom diplomatique de pénétration.

Ménélik dut consentir au traité

d'Ucciali (2 mai 1880), qui mettait

cette partie de l'Ethiopie sous le

protectorat de l'Italie: mais le

négous attendait l'heure des revi-

sions de ce pacte imposé. En 1806,

ses représentations sur la signi-

fication exacte et la valeur réelle

des clauses du traité donnèrent

ouverture à une guerre qui se

termina par la défaite écrasante

du général Baratieri à Adoué. le

1er mai. En vain l'Italie voulut

réparer cet échec. Le négous lui en

ôta la possibilité, et l'obligea àEntoto-

signer la naLx impliquant l'absolue(Collection de la Compagnie des chemins de fer d'Ethiopie.)

indépendance de l'Abyssinie. Il

donnait ainsi au monde civilisé l'exemple d'une fermeté et d'une équité qui lui concilièrent

l'admiration de l'Europe entière (1).

Un chemin en Abyssinie.(Collection de la Compagnie des chemins de fer d'Ethiopie.)

V

C'est à la France que revient

l'honneur et la gloire d'avoir fait

pour la première fois connaître

scientifiquement l'Abyssinie. Les

explorations des frères Antoine et

Arnauld d'Ahbadie, poursuivies

pendant onze ans (1837 à 1848),de Massaouah au fond du pays de

Kaffa, sont des plus célèbres dans

les annales géographiques du

xixe siècle. Ces deux voyageurs,réunissant leurs efforts, entre-

prirent et accomplirent la tâche,

alors très difficile, d'étudier la

géodésie de la Haute-Ethiopie, son ethnographie, ses richesses naturelles et aussi ses monu-

1. . Le traité de paix fut signé le 13 novembre 1896 à Addas-Abéba par le major Nerazzini avec Ménélik. Le roiIlumbert renonçait, en vertu de cette convention, à toute idée de protectorat sur l'Ethiopie. L'Italie conservait lespays au nord de la frontière fixée provisoirement à la ligne des rivières Mareb-Bélésa-Mouna. Sur la côte dul;. nadir, ses possessions étaient arrêtées à 200 kilomètres environ de la mer. Le 14 mai 1897, H. de Rudini faisait

Page 250: Les Francais en Afrique

1"^MÉNÉLIK II, EHt>fhEi'n D'ETUIOIME.

"Tableau de Paul BUFFET (Musée du Luxembourg

Page 251: Les Francais en Afrique
Page 252: Les Francais en Afrique

L'ABYSSINIE 231

ments, son histoire d'après les inscriptions et-les manus-crits, sa langue, sa numismatique. Les oeuvres qu'ilspublièrent et qui comptent parmi les plus remarquablesde la science française, firent la lumière sur cette contrée

jusqu'alors ignorée au point de vue de ses productions.D'autres Français suivirent plus tard la route qu'ils

avaient frayée. Une des plus importantes parmi ces

explorations fut celle qu'organisa, sous les auspicesdu gouvernement, M. Jules Borclli.

« Parti, en avril 1886, de Sangallo pour gagner leChoa, il traversa le désert des Danakils afin d'éviter lesbandes pillardes du sultan Mohammed Amphari, attei-

gnit les bords de la vaste saline d'Assal, qui va se

dégorger dans la mer par un chenal souterrain, puisaborda, le 10 juin, les rives bourbeuses de la rivièreAouache. La route qu'il suivait, déjà décrite parMM. Rochet d'Héricourt et l'Anglais Harris, l'amena à

Farré, première ville du Choa, puis à Ankobar, ancienne

capitale du royaume, bâtie à 2\600 mètres d'altitude,au milieu d'un pays fertile et peuplé, sillonné de mon-

tagnes verdoyantes. Le 6 juillet, il arrivait à Entoto,résidence du roi Ménélik II, forteresse d'un accès diffi- , .

Costume de combat, lancier abyssin.cile, munie d'une triple enceinte. Le souverain, orgueil-leux et défiant, qui se regarde comme le descendant de Salomon et de la reine de Saba, etcommande à une armée de cent trente mille combattants, accueillit fort mal notre compa-triote. M. Borclli dut séjourner dix mois à Entoto. Il réussit à faire une exploration dansle Harar, que Ménélik venait de conquérir, et enfin, le 6 novembre 1887, put se mettreen route pour le pays de Djimma, vassal du Choa. Dans cette expédition, le voyageur fitl'ascension du mont Dendy, dans la chaîne de l'Inarya, découvrit, au fond du cratère qui le

surmonte, un lac considérable, qui alimente le Gondar, affluent de l'Abbaï, et escalada le

mont Harro (3.100 mètres), point culminant du massif. Au sommet du Harro, où naît la

Walga, un autre vaste cratère contient aussi un lac, le Wantchit.« M. Borelli atteignit ensuite la grande forêt Babya, d'où s'échappent le fleuve Omo et

ses affluents, la Guibé, le Gobjeb, tous figurés jusque-là en pointillés sur les cartes. Il tra-

versa d'immenses forêts de bambous, gravit le mont May Goundo et le pic de Kaffarsa, du

sommet desquels il put faire des relèvements dans les terres inconnues du sud. Sur sa route

était le petit État de Zingucro. Il essaya d'y pénétrer; mais les indigènes l'accueillirent à

coups de lance, et il dut rétrograder. Les incursions des Amharas éthiopiens avaient soulevé

toutes les tribus situées au sud de Djiren, capitale du Djimma, et leurs frontières se fer-

à la Chambre italienne une déclaration aux termes de laquelle il s'engageait à suivre une politique très modestedans l'Erythrée et à ne pas y dépenser plus de dix millions par an. On n'a pu que tout récemment descendre jus-qu'à ce chiffre, mais il est certain que la période des aventures est close. Un arrangement a été signé à Rome, en

1900, rendant définitives les limites italo-éthiopiennes, stipulées dans le traité d'Addis-Abéba. La côte du Benadir aété confiée à une société à charte et on a cherché, mais sans y parvenir jusqu'à présent, à soumettre le territoirede Massaouah au même régime. Du grand empire rêvé par M. Crispi, l'Italie possède en fait 500.000 kilomètres

carrés environ. Ses possessions sont en grande partie désertiques et très peu peuplées, le commerce faible, le déve-

loppement à peine commencé; les travaux publics se sont bornés jusqu'ici à la construction de quelques petitschemins de fer économiques dans la banlieue de Massaouah. » — R. DE CAIX DE SAINT-AYMOUR: Le

partage^de l'Afrique,

Histoire générale du iv' siècle à nos jours, T. XII, Le Monde contemporain (Paris, Librairie Armand Colin).

Page 253: Les Francais en Afrique

232 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Gucbra Sellasse.(Charpentier de Gondar.)

Officier de l'armée d'Oubid

niaient à l'explorateur. M. Borelli avait exploré la plus grande

partie de la vallée de l'Omo; parvenu au mont Bobbé, il put

voir au loin le fleuve serpenter vers le sud, et les indigènes

lui apprirent qu'il allait se perdre dans un lac. Or ce lac,

d'après les informations les plus positives, n'était autre que le

lac Chambarra, déjà signalé par Krapf, le missionnaire

français Léon des Avanchcrs, et les explorateurs anglais

Wakcficld et Thomson, sous le nom de Sambourou. C'est le

même que plus tard MM. Teleki et von Hoehnel ont

découvert et qui est appelé par les indigènes Sambourou,

Basso Narock, ou Lac noir. Ce lac, récipient de l'Omo, qui

était regardé comme un affluent du Nil, est un lac fermé.

M. Borelli revint à la côte par Entoto, le Harar et Zei'la ( 1). »

Ce voyage eut des résultats considérables et les deux

Sociétés de Géographie de Paris en apprécièrent si unanime-

ment l'importance qu'elles accordèrent l'une et l'autre à l'in-

trépide explorateur leurs plus hautes récompenses, en lui

décernant des médailles d'or. Les études précieuses de

M. Borelli dans le domaine de la météorologie, de l'ethnogra-

phie, do la linguistique éthiopienne, rendirent les plus grands

services, et les six cartes qu'il fit dresser du pays firent l'ad-

miration de tous les savants.

VI

Il restait toutefois une autre oeuvre à tenter, un autre

problème à résoudre. Le négous, instruit par l'expérience,semblait avoir pris la résolution de fermer l'Abyssinie à

toute relation avec l'Europe. Devenue puissance autonome

et forte, elle avait à craindre les convoitises de ses voisins.

L'Angleterre, qui dominait dans la vallée du Nil, ne pouvaitlui inspirer que des défiances, d'autant plus qu'il entre dans

la politique britannique de se prévaloir, en toute occasion,de ses hintcrlands. Ménélik, qui joint le courage à la diplo-matie, s'occupa de prévenir les conflits autant que de s'ypréparer. Sans faire aucun pacte qui put compromettre sa

couronne, il sut donner des espérances aux étrangers qui le

circonvenaient, mais de manière à ne pas s'engager plusavec les uns qu'avec les autres. C'est ainsi qu'il fit bonaccueil tour à tour aux Français, MM. Bonvalot et le princeHenri d'Orléans, aux Anglais, le capitaine Harington, repré-sentant de la reine, et aux autres chargés de missions du

gouvernement britannique. Il eut de la sorte l'habileté defaire croire qu'il aiderait peut-être l'expédition Marchand,

1. Bulletin île lu Société de Géographie de Marseille, 1889.

Page 254: Les Francais en Afrique

L'ABYSSINIE 233

en route par le Nil, avant l'incident de Fachoda, et dans le môme

temps il signait avec les Anglais un traité qui fixait les fron-tières de l'Ethiopie et de la Somalie anglaise.

Est-ce à dire que malgré toutes les assurances d'amitié ainsi

échangées, il ne surgira aucun motif de querelle dans un avenir sansdoute prochain? Nous ne le croyons pas (1). L'Angleterre a des pro-

jets qu'elle ne révèle point même à ceux qui ont sesplus intimes con-

fidences, mais que l'on peut pénétrer. Elle attend le moment où elle

pourra compléter sa main mise sur l'Afrique nord-orientale, et les

prétextes ne lui manqueront point pour susciter un conflit anglo-

abyssin, quand elle croira l'heure propice. Elle le pourra d'autant

plus facilement que du côté du Nil et du lac Rodolphe, les confins

ne sont pas délimités, et l'on sait tout le parti que tire, lorsqu'elle le veut, la diplomatiebritannique de ces incertitudes de frontière.

VII

L'Abyssinie peut rester autonome, comme l'est l'Afghanistan en Asie, et la rivalitémême des puissances qui la convoitent est pour le moment et sera probablement encore

pendant un certain nombre d'années, la meilleure garantie de cette autonomie. Il ne faut

pas oublier, toutefois, que les puissances dont les possessions coloniales l'avoisinent, laconsidèrent au fond comme une proie à saisir, le cas échéant. La capture serait d'ailleurs

avantageuse pour qui la ferait. Sans doute les modifications apportées au régime écono-

mique du pays par l'amélioration des voies de communication et par sa construction des

lignes ferrées y transformeront, au cours du xx° siècle, les relations commerciales, mais,avant que ces changements soient complets et réalisés sous tous les aspects, il subsisteraencore de nombreux transports et trafics, comme ils se faisaient dans le passé et n'ont cesséde se faire dans la plus grande partie des Etats du négous. Les routes intérieures conti-

nueront à être suivies par les caravanes armées, qui n'abandonneront pas de sitôt le portageà dos d'homme ou de mulet.

Ces routes commerciales avaient autrefois et conservent même maintenant une impor-tance considérable. Il y a cinquante ans, elles étaient les seuls moyens de contact avec la

mer où débarquaient les marchandises qui de là étaient portées à des distances souvent très

éloignées dans les terres. L'une de ces routes allait de Gondar à Massaouah pour gagner la

mer Rouge, l'autre de Gondar au Caire par le Scnnaar. Les marchands faisaient le voyage

1. « La condition de l'Abyssinie n'est pas encore assurée, Ménélik est très puissant et son autorité parait res-

pectée de tous les ras (gouverneurs de province). Mais il commence à vieillir; il approche de soixante ans. Il est

possible qu'à sa mort les querelles ordinaires se produisent autour de sa succession; on perçoit dans son entouragequelque rivalité sourde entre le ras Mangascia et le ras Makonnen. C'est que si l'Ethiopie est unie actuellement,il n'y a pas, à vrai dire, dans ce pays un Etat organisé, des institutions régulières; l'anarchie féodale n'y a pas

disparu; l'union des diverses régions est jusqu'ici toute personnelle. Les bandes de guerriers qui constituent

l'armée du négous ne sont pas une armée régulière et seraient difficiles à discipliner. C'est pourquoi il esta craindre

que la grandeur éthiopienne n'ait pas la certitude du lendemain, qu'elle n'ait pas plus de solidité que la plupartdes Etats de l'Orient, qu'elle ne redevienne un jour le jouet de diverses influences européennes. 11 peut toutefois,

parmi ces influences, s'en trouver qui soient favorables aux intérêts de l'Abyssinie, qui l'arrachent aux dangers de

l'avenir... Le négous peut d'ailleurs tirer de l'Europe de bons conseils pour l'administration de ses Etats, autant quedes armes perfectionnées pour leur défense. 11n'a plus à craindre d'entreprise hostile de la part de l'Italie; il n'en

a jamais craint ni de la France ni de la Russie. En se confiant à ces influences, en les équilibrant d'ailleurs les

unes par les autres, il sauvera peut-être l'avenir de son royaume. C'est la grande tâche qui lui reste à accomplir. ••

Edouard DRWULT,Les Problèmes politiques et sociaux. (Félix Alcan, éditeur.)

Page 255: Les Francais en Afrique

234 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIECLE

plusieurs fois par an, mais principalement après la saison des pluies en janvier, et avant

cette saison en avril. Les caravanes comprenaient d'ordinaire cinq mille individus, dont

trois mille porteurs, chacun ayant une charge correspondant à un poids de 30 à 40 kilos.

Deux mille bêtes de somme les accompagnaient. Elles emportaient en partant de Gondar

et prenaient chemin faisant des marchandises venues des différentes régions sur les marchés :

des mulets et des chevaux destinés à la vente, des peaux de boeuf non tannées, des selles

et des harnais provenant de l'industrie abyssine qui en a la spécialité, de l'or, de l'ivoire,

du musc, des fourrures, entre autres celles des grands léopards du Choa, enfin, et régu-

lièrement, des esclaves; les uns achetés dans le pays des Gallas, les autres en Abyssinie

même, où les parents

vendaient leurs en-

fants et volaient dans

le même dessoin ceux

d'autrui. Cet « ébène

vivant » était expé-

dié en Arabie, à la

Mecque, à Djeddah sur

la mer Rouge; c'était

un commerce des plus

lucratifs, l'offre sup-

pléant à la demande.

On transportait annuel-

lement environ trois

mille esclaves de tout

sexe et de tout âge.

Un adulte mâle coù-

Village abyssin. tait au chef de la traite(Collection de la Compagnie des chemins de fer d'Ethiopie.) g thalaris Une ieune

fille 4. Sur la côte, le prix auquel on les revendait variait de 40 à 50 thalaris; en Arabie,

il s'élevait de 60 à 100. L'or, vendu en poudre ou en lingots, donnait un bénéfice de 130

à 150 pour cent. Le négous s'en réservait le monopole avec celui du musc, de l'ivoire et du

soufre. Le musc abyssin était recherché ; de couleur noirâtre, d'une odeur très pénétrante,il s'enfermait dans une corne de boeuf et formait un produit des plus estimés. L'ivoire

abyssin, plus blanc et plus dur que celui de l'Afrique occidentale, s'achetait dans les pays

d'origine de 6 à 7 thalaris le quintal, mais se revendait cinq et six fois plus. Le coton

abyssin, d'une belle finesse et remarquablement soyeux, trouvait sur les marchés d'Europedes prix élevés. Le café d'Abyssinie, qui tire son nom de la province de Kaffa, d'où il fut

transplanté en Arabie, était d'excellente qualité et croissait en abondance dans les mon-

tagnes du Harar, dont le souverain s'en attribuait le monopole. Ce café était vendu sur la

côte d'Arabie comme du moka, mais, chose singulière, il était peu demandé en Abyssinie

même, où les chrétiens le considéraient comme une plante maudite, parce que les musulmans

en faisaient usage.Dans le pays des Danakils se trouvait, en un pays brûlant et désert, un lac entouré de

solfatares et de dépôts de sel gemme. « Le monopole de l'exploitation était, nous apprendM. Bainier, entre les mains des Tattals, tribus hospitalières, qui habitent au pied des mon-

tagnes et taillent le sel en pains de 23 centimètres de long sur 5 centimètres de large et

Page 256: Les Francais en Afrique

L'ABYSSINIE 235

4 centimètres d'épaisseur, en lui donnant exactement la forme des _^pierres à aiguiser dont se servent les faucheurs de nos campagnes.C'est ce sel qui dans l'Amhara sert de monnaie. Les Abyssiniens,sans quitter leurs montagnes, vont do l'Hazamat à Antalo acheteraux Tattals leurs pains de sel qu'ils vont revendre dans l'Amharaet jusque dans les pays Gallas. »

Outre le sel, dont le commerce se fait encore aujourd'hui surle marché de Sokota et assure à cette capitale des Agaos, une acti-vité commerciale très grande, outre l'or, extrait des mines du FemmeabyssineDamot ou recueilli sur les rives du Tzana, l'Abyssinie produit du

fer, abondant au Choa, au Tigré et au Lasta, de la houille, fournie par les gisements du litto-ral et de l'Atbara, du plomb, du cuivre.

La terre, fertile dans les plaines inondées, y donne plusieurs récoltes par an : blé,

orge, douro, riz, teff, dagousse, lin, coton, tabac, canne à sucre, café, guécho (1). Lesessences d'arbres sont nombreuses, et quelques-unes comme le kolkonat, l'indot (arbre au

savon), particulières au pays. L'Abyssinie sera un grenier de l'Afrique dès que le sol, main-tenant pour la plus grande partie en friche, entrera en culture. L'industrie qui s'y occupedu tissage du coton, de la fonderie des métaux, de la fabrication des outils et des armes,de la tannerie, de la teinturerie et de la poterie, pourra y acquérir également du dévelop-pement, lorsqu'elle se sera assuré des débouchés suivis et ne se bornera plus au travail en

famille. En réalité, elle demeure encore clans les conditions les plus primitives. Il n'y a ni

ouvriers, ni marchands, ni boutiques, et ce qui ne se consomme pas sur place, dans la

maison même, est sans valeur partout où ne passent pas les caravanes. Or, celles-ci ne

s'écartent point des deux grandes routes que nous avons indiquées plus haut ; il n'y a pasde voies convenables, il n'y a pas de cours d'eau navigables. Il en résulte que les ressources

naturelles du pays ne sont pas mises à profit et il est vraisemblable que l'état de choses, quin'a guère changé depuis cinquante ans, restera bien longtemps encore le même.

M. Achille Baffray, qui visita l'Abyssinie il y a vingt-cinq ans, et qui a donné du paysune description fort bien documentée, en fit à peu près le même tableau. Ceux qui vinrent

après lui, et les plus récents, comme M. Goedorp, ne s'écartent et ne diffèrent pas beaucoupdans leurs renseignements de leurs devanciers. Au résumé, le roi des rois (c'est le titre ambi-

tieux que prend le négous Ménélik) ne commande qu'à des sujets incultes occupant une

contrée inculte. La population abyssine est d'ailleurs, et par son mélange de races et par sa

culture, encore à un stade peu avancé du progrès. Les voyageurs qui l'ont visitée l'ont pré-sentée sous des couleurs assez noires. « La bonne foi, dit l'un d'eux, est inconnue aux

Abyssins. Ils font de la tromperie et du mensonge des pratiques, si fréquentes qu'elles se sont

invétérées en eux. Leurs vertus se réduisent à l'hospitalité, à la soumission filiale, au traite-

ment patriarcal des serviteurs. Mais la paresse et la débauche l'emportent sur tout.

L'homme travaille peu, laissant sa terre produire d'elle-même et n'enlevant pas l'ivraie

qui y pousse. Aucune initiative, aucune mesure voulue et entreprise pour améliorer le sort

général. »

Ménélik a introduit quelque réformes dans ce milieu, mais en définitive elles sont peu

sensibles. Si les succès qu'il a remportés sur les Italiens lui ont donné un grand prestige

aux yeux de son peuple, et si pour maintenir l'éclat de son autorité, il a su asseoir sa puis-

1. Le guécho est un arbrisseau dont la feuille sert à faire le tedy ou hydromel. C'est en quelque sorte le thé

des Abyssiniens.32

Page 257: Les Francais en Afrique

23G LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX° SIÈCLE

sancc sur le respect qu'impose toujours aux peuples peu civilisés la force guerrière, il

ne domine à la vérité que par le despotisme. Ce n'est pas un tyran, mais c'est un maître,

d'autant plus redouté que, dans la croyance de ses sujets, il est l'élu de Dieu.

VIII

Ce qui est toutefois hors de conteste, c'est que politiquement, sur l'échiquier du

monde, l'Ethiopie est entrée, depuis l'avènement de Ménélik, dans une période de renaissance

nationale. Le roi du Choa, en devenant le maître absolu, grâce aux Italiens qui voulaient

faire de lui un instrument et dont il a déjoué la manoeuvre avec une rare supériorité diplo-

matique, s'est créé vis-à-vis des puissances européennes une situation politique que n'auraient

pu rêver ses prédécesseurs. Il est réellement grand, et, comme il travaille à fonder des

institutions durables, il soustrait son royaume à la décadence intérieure qui aurait,

comme au Maroc, amené fatalement l'effondrement de l'édifice. Il a l'avantage de pouvoir

opposer les uns aux autres ceux de ses voisins qui tenteraient un coup de main pour le

détruire. Seulement, c'est sa personne qui est le gage du statu quo. Et l'histoire a démontré

quels dangers peuvent surgir dans un pays lorsque l'homme qui en est l'âme disparait.

L'imposant spectacle qui s'offrit aux Abyssiniens lorsque, à la fin de 1895, Ménélik

convoqua tous les chefs militaires du pays et leur déclara qu'il défendrait, avec l'aide de

Dieu, l'héritage de ses aïeux, fut une démonstration non seulement grandiose, mais adroite.

Dieu ayant, par l'issue de la guerre, prouvé qu'il combattait avec l'Ethiopie, celle-ci, restée

maîtresse de ses frontières et les étendant plus loin, a ressenti ce mouvement d'orgueil

qui seconde parfois l'évolution d'un peuple. Mais les chances peuvent dans une autre guerren'être pas aussi favorables aux armes du négous. Qu'adviendrait-il si l'Angleterre, toujours

menaçante, et bien placée pour revenir là où l'Italie a échoué, arguait de ses droits d'hin-

tcrland pour reprendre l'oeuvre italienne ? La tentative ne saurait être prochaine assurément,à raison des difficultés qui naissent encore sous chaque pas des Anglais dans l'Afrique aus-

trale, mais il suffit qu'elle soit possible pour que la France, intéressée dans l'autonomie de

l'Abyssinie, se mette en garde avec une vigilance et une prudence extrême contre cette éven-

tualité, et ne croie pas à la sécurité absolue du lendemain, parce que le roi des rois prête un

peu plus volontiers l'oreille à notre représentant à sa cour, M. Lagarde, plutôt qu'à l'envoyéd'une autre puissance.

Paysage abyssin.(Collection de la Compagnie des chemins de fer d'Ethiopie.)

Page 258: Les Francais en Afrique

RUINES DU TE.MIM.E I>E MAIIARRAKKA (Nubie).

m' -HAUT -NIL

CARTE DE LA RÉC.10N DES GRANDS LACS,

Page 259: Les Francais en Afrique

Les esprits hardis ont compris que sur le Haut-Nil

se déciderait l'avenir de l'Afrique.René PIKON.

L'Afrique livre peu à peu ses derniers mystères.A. DE LAPPARENT.

Page 260: Les Francais en Afrique

LA NAVIGATION SUR LE HAUT-NIL A L'ÉPOQUE DES PTOLKMÉE. — NAVIRE ÉGYPTIEN REMONTANT LE FLEUVE.

(D'après une ancienne estampe.

CHAPITRE XVII

LE IIAUT-NIL

I

A où, vers 19° de latitude nord, au coeur de l'Afrique, le Nil et ses deux bras,Bahr-el-Azrek (Astapus), Atbara ou Takalzé (Astaboras), l'un et l'autre issus

des hautes montagnes de l'Abyssinie, enserrent l'île de Méroé, se trouvait, sui-

vant les anciens Grecs, le berceau de la civilisation égyptienne. La ville hiératique et

commerciale qui y florissait déjà au temps d'Hérodote s'était assise à la limite septentrionalede cette mystérieuse Ethiopie, où le fleuve, présent des dieux, se grossissait de ses nom-

breux affluents, grâce auxquels il lui était possible, par ses débordements réguliers, île

fertiliser les plaines égyptiennes établies sur son cours moyen et inférieur, dépourvu de

tout tribut jusqu'à la mer. Au sud de Méroé commençait, pour les géographes de l'antiquité,la région décrite presque exactement par Homère (1) et où avaient lieu les hécatombes de

taureaux et de béliers chères à Poséidon. Quelques rares aventuriers seulement couraient

le risque de remonter, d'ailleurs sans succès, le Nil vers ses sources inconnues (Fontium

qui celât origines Nilus) (2). Un jour, le roi Psammetichos (Vau-pi-ci^oç) de Sais, au vne siècle

avant notre ère, pour barrer le chemin aux envahisseurs et usurpateurs venant

d'Ethiopie, comme on l'avait vu avant la dodécarchie, envoya de ce côté ses meilleures

troupes d'Egypte, mais on ne les revit plus, soit qu'elles eussent péri jusqu'au dernier

homme, soit que, lasses d'attendre leur rappel pendant trois longues années, elles eussent

1. Les descriptions d'Homère en ce qui concerne l'Ethiopie et les moeurs de ses habitants concordent singuliè-

rement avec tout ce que nous savons de l'Abyssinie.

2. HORACE, Odes, IV, 14, 65.

Page 261: Les Francais en Afrique

2W LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX'' SIECLE

passé à l'ennemi. Cambyse conçut, environ cinquante ans plus lard, le projet de s'emparer

du royaume des Éthiopiens. 11no réussit pas même à l'alleindre : toute son armée succomba

dans le désert à la faim et à la soif. Plus tard encore les Plolémée tentèrent, à leur tour,

de réaliser cette complète, qui se borna pour eux à la capture de quelques éléphants (I).

Ni les Grecs, sans en excepter Eratosthène, ni les Égyptiens, en y comprenant le grand

Plolémée. contemporain d'Antonin le Pieux, ni les Boniains, et parmi eux Pline l'Ancien,

Strabon, n'eurent une idée précise des sources du Nil. Les géographes arabes donnent au

xii° et XIII° siècle de notre ère des indications plus proches de la vérité. Ce que disent à

cet égard Edrisi (1099-1 IGo) et Aboul-""

*1feda (1273-1331) tient évidemment à

une connaissance plus étendue de cette

partie de l'Afrique (2).

Malheureusement pour la science,

les guerres de religion dirigées contre

les Arabes et contre les populations

africaines qui embrassèrent l'Islam

privèrent l'Europe de nombreux trésors

de renseignements. La marche en

avant des conquérants européens re-

foula les nègres, principalement les

Chillouks du Bahr-el-Ghazal, qui, sui-

vant dans des milliers d'embarcations

le chemin du fleuve vers les lacs, allè-

rent chercher un refuge si loin, que

plusieurs siècles s'écoulèrent avant

qu'ils ne fussent rejoints par les

pionniers. Toujours est-il que les explo-

rations de la vallée du Nil furent aban-

données jusqu'au xvic siècle.

Ce furent les Portugais qui. après

Carte des Explonitionsde la région desGrnnds Laesau xix'siècle. 1<" grand voyage de Vasco de Gama.

firent connaître à l'Europe, à la suite

du séjour de Covilhan à la cour du prêtre Jean, quelques délails sur le Choa

et l'Abyssinie. Les relations échangées dès ce moment entre ces pays et le Portugal

y conduisirent quelques hommes de mérite, comme Francisco Alvarez, Pedro Paez. Jérôme

Lobo, dont les curieuses relations firent successivement un peu de lumière sur les sources

du Nil. Toutefois, les incertitudes subsistèrent, el ceux-là mêmes qui parlaient de la

région pour l'avoir vue contribuaient à répandre les erreurs géographiques en les

1. Pline l'Ancien raconte que les chasseurs d'éléphants au service du mi d'Egypte pénétrèrent dans ces régionsan delà du désert ]\'bique, où était, suivant lui, l'habitat primitif de ces pachydermes et où les Romains ne parvinrentjamais a porter leurs armes, même au temps de leurs plus glorieuses expéditions militaires. Selon Hilter, ces

glandes chasses royales s'étendirent jusqu'au détroit de Bnb-el-JIandeb et jusqu'au cap Cuardafui.2. Cependant le premier qui ait touché pour ainsi dire du doigl la solution du problème fut un Français, Jean-

liapliste Bourguignon d'Anville (né eu 11197 à Paris, mort en 17s:.'). La carte qu'il dressa en 17-i'J d'après les donnéesarabes est presque une oaivre de génie par la clarté des hypothèses qu'elle suggère et qui sont 1res voisines de laréalité des faits, pans sa Dissertation sur les sources du Ail, qui complète ce premier travail et qui paru! en 1754il énonce cette opinion iinporlniilc à relever : « Ce que nous savons jusqu'ici du Balir-el-Abiad, c'est qu'il coule

parallèlement au Bahr-oI-A/.rek, avec une distance entre eux de douze, quinze ou vingt journées de roule, ce quipermet de supposer un cours très large. »

Page 262: Les Francais en Afrique

LE HAUT-NIL 241

accréditant. Tel l'Anglais James Bruce, qui confondit le Nil Blanc avec le Nil Bleu, quoiqu'ileût exploré l'Abyssinie pendant plusieurs années. Bruce mettait les sources du fleuve tropà l'est. Lorsque d'Anville eut démontré qu'il se trompait, on

s'empressa de verser dans un système contraire, tout aussi

fautif, en les plaçant trop à l'ouest. La principale cause de ces

méprises scientifiques résidait dans l'interprétation erronée des

documents arabes et, par suite, dans la confusion du cours

du Nil avec celui du Niger, comme l'avaient déjà fait Hérodote

et Pline l'Ancien. On s'obstina si complètement dans celte

théorie que l'on prit pour le Tchad un des lacs identifiés plustard par Stanley. Théorie simplement conjecturale qui fit

reporter jusqu'au 10° de latitude nord le lieu où naît le fleuve.

Toutes les cartes de la fin du xviii 0 siècle et même celles

du commencement du xix° portent cette mention chimérique.Type de Nubienne.

II

Le plan grandiose de Mehemct-Ali, en 1821, de fonder un vaste empire arabe, s'éten-

dant sur les deux rives du Nil, fut le point de départ d'une nouvelle conception du problèmesi passionnément controversé. La ville do Khartoum, au confluent du Nil Blanc et du

Nil Bleu, donna un centre d'opération à l'ambitieux vassal révolté de la Sublime-Porte.

Ismaïl, fils de Mehemct, partit de là pour tenter la soumission du pays compris entre le

Bahr-el-Abiad, le Tacazzé et le Bahr-el-Azrek. Il était accompagné du géologue français

Caillaud, qui avait déjà exploré la Lybie et les côtes de la mer Bouge, et qui fut chargé des

observations scientifiques dans les régions immenses qu'on pourrait découvrir.

Caillaud reconnut l'île de Méroé, démontra à l'exemple de d'Anville l'erreur de Bruce,

compara les cours du Nil Blanc et du Nil Bleu et remonta le Bar-el-Azrek jusqu'aux confins

de l'Abyssinie. Il fut arrêté dans ses travaux par une insurrection qui éclata parmi les

habitants, assaillis, pillés, massacrés ou réduits en esclavage par les soldats d'Ismaïl.

Échappé aux vengeances des rebelles, qui délivrèrent l'armée du conquérant, le savant

français put revenir en Egypte, où il réunit des notes, qui furent publiées.

Dans l'intervalle, d'autres géographes, Linant de Bellefonds (1827), Eyrenberg, Hedens-

trôm, Bùppell (1832), von Bussegger, explorèrent les alentours de Khartoum, mais leurs

investigations ne purent s'étendre qu'aux pays arabes déjà sous l'autorité ou l'influence de

Mehemct-Ali. Les troupes égyptiennes se rendaient odieuses en semant la terreur partout

où elles passaient, n'épargnant dans leurs gazouah (chasse à l'homme) ni les femmes ni les

enfants, brûlant les récoltes et couvrant le pays de ruines.

L'Europe mit fin à celte situation en intervenant en Egypte pour obliger Mehcmet-Ali

à changer d^attitude. Le khédive parut céder à ces remontrances. Et, afin de rassurer les

esprits, il entreprit en personne une exploration du Haut-Nil. Dans ce long et périlleux

voyage, il emmena, outre son escorte militaire, plusieurs savants égyptiens et européens.

Ceux-ci lui avaient persuadé qu'il serait plus glorieux que tous les conquérants, s'il

découvrait les sources du fleuve. Au vrai, son but était surtout de visiter les nouveaux

gisements qui appartenaient à ses Étals et dont on avait commencé l'exploitation. 11dissi-

mula néanmoins son véritable dessein sous de belles promesses d'affranchissement des

esclaves, avec des plans de réformes, qui s'arrêtèrent aux paroles.

Page 263: Les Francais en Afrique

242 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

L'expédition scientifique partit de Khartoum le 16 novembre 1839 et y revint le

1er mars 1840. Elle était dirigée, en ce qui concernait la navigation, par le capitaine de

vaisseau Selim Bimbaschi, ayant sous ses ordres un équipage de quatre cents hommes

montés sur une douzaine de canonnières avec une quinzaine de petites barques chargées

des provisions. Selim Bimbaschi avait l'ordre exprès de ne point user d'hostilités envers les

populations du Haut-Nil, mais de se montrer au contraire bienveillant, afin d'inspirer la

confiance. Ces ordres ne furent pas exécutés. Les marins et les soldats étaient des Turcs,

qui ne purent maîtriser la férocité de leur caractère. Ils firent feu sur les indigènes à la

première rencontre et l'expédition dut rebrousser chemin.

Selim Bimbaschi échoua dans ses recherches. Mchemet-Ali mit l'échec sur le compte

des difficultés de l'entreprise et parut

d'abord décidé à ne pas la renouveler.

Les louanges que lui adressaient les

journaux français le firent revenir sur

cette résolution. Il consentit à ne pas

exercer de représailles contre les natu-

rels, qui n'avaient fait que se défen-

dre, et une seconde expédition fut

organisée, puis une troisième. Des

ingénieurs français : Arnaud, Sabatier,

Thibaut, et avec eux un naturaliste

médecin allemand, le docteur Wern,

en dirigèrent les travaux. Leur escorte

Guerrier nubien. se composait de deux cent cinquantesoldats nègres, égyptiens et syriens ;

l'équipage comprenait cent cinquante matelots

soudanais et nubiens. On traversa le pays des

Chillouks, des Dinkas et l'on poussa jusqu'auxenvirons de Gondokoro. Le voyage dura cinq mois

(du 23 novembre 1840 au mois d'avril 1841). Il

no servit qu'à déterminer quelques positions

astronomiques, à relever quelques points topogra-

phiques et préciser certaines observations météo-

rologiques. Le docteur Wern en publia la relation,

et ses collections enrichirent le musée ethnogra-

phique de Berlin : armes, outils et instruments,

ornements des naturels, produits du pays. La

troisième expédition confiée à Arnaud se termina

par un naufrage.

Mehcmet-Ali ne consentit point à défrayerd'autres recherches. Au fond, ce qu'il voulait,

c'était une découverte de mines d'or, et celles-ci

Guerrier nubien. restant cachées, il s'abstint de grever davantageson budget. Cependant l'élan était donné, et

l'initiative privée allait bientôt reprendre la roule jalonnée par le vice-roi. En 1849,

le docteur Knoblecher, avec deux compagnons animés de la même foi que lui, don Angelo

Page 264: Les Francais en Afrique

IlAurE-Éuv&E.^LE CHADOUP.

Page 265: Les Francais en Afrique
Page 266: Les Francais en Afrique

LE IIAUT-NIL 2i.'i

Visco et don Emanuel Pedemonte, s'engagea dans le pays des Chillouks et y séjourna plusd'un an. 11y constata plusieurs faits qu'on n'avait pas observés avant lui, notamment sous le

rapport ethnographique. On ne saurait oublier que le succès de ce voyage revient surtout au

pilote Suleiman Abou Zaïd, un Nubien, dont le nom n'a, par une ingratitude des plusregrettables, pas été inscrit dans

les annales africaines de notre

siècle.

Les explorations de Knoble-

cher rendirent de grands services

à la science. Elles permirent d'éta-

blir : 1° que les Monts de la Lune

devaient être cherchés plus au

sud; 2° que les sources du Nil

n'étaient ni plus à l'est ni plus à

l'ouest, comme on le supposaitdans les deux camps scientifiques,mais voisines de l'équateur.

C'est de 1850, avec Knoble-

cher, puis, immédiatement après,aArec les deux frères d'Abbadie, paysagedu Haut-Nil.les hardis pionniers de l'Ethiopie.

que datent les grandes découvertes dans ces régions. Bien des noms peuvent être cités

dans cette liste d'hommes hardis qui affrontèrent des périls sans nombre pour pénétrer ce

mystère du continent noir et lui arracher son secret. Parmi ces noms, beaucoup appar-tiennent à des Français.

III

La région du Haut-Nil ne devait cependant être connue exactement qu'au bout de qua-rante années d'efforts et de persévérance, et plusieurs de ceux qui l'explorèrent y furent

victimes de leur dévouement, comme Alexandra Tinné. Bappelons seulement les explorationsde Burlon et Speke, qui découvrirent le lac Tanganyika et le lac Victoria; celles de Samuel

Baker, qui vit le premier le lac Albert; de Stanley, qui fit la découverte du lac Albert

Edouard, réservoir supérieur du Haut-Nil, jusqu'à lui inconnu ; de Sch-weinfurth, qui séjourna

parmi les Chillouks du Bahr-el-Ghazal et décrivit leurs moeurs dans un livre admirable.

La période la plus remarquable clans l'histoire contemporaine du Haut-Nil fut celle de

l'administration des provinces égyptiennes de cette région par Emin-Paeha. Nommé par

Gordon à ce poste difficile, il y créa en deux ans, de 1878 à 1880, une organisation qui

pacifia le pays et commençait déjà même à le rendre prospère, lorsque éclata l'insurrection

du Mahdi, dont le dénouement fut la prise de Khartoum et l'assassinat de Gordon. Emin

avait résisté pendant quelque temps aux rebelles en leur infligeant plusieurs défaites. A la

fin il dut opérer sa retraite du côté de l'Ouganda. Betenu par le roi de ce pays avec quelques

compagnons, entre autres Casati, il fut délivré malgré lui, après de nombreuses péripéties,

par Stanley. Quant au Soudan égyptien, l'Egypte dut le laisser aux mains des mahdisles.

Ils en restèrent les maîtres pendant quatorze ans. La victoire d'Omdourman par le

sirdar Kitchcner y détruisit leur empire.

Page 267: Les Francais en Afrique

24G LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

IV

Ce dernier événement a introduit un nouveau sujet de litige dans la question du par-

tage de l'Afrique. Celle-ci est presque complètement tombée sous la domination plus ou

moins effective des puissances européennes. Seule la région comprise entre la Tripolitainc,

l'Egypte, l'Abyssinie, le Congo français et le lac Tchad est encore l'objet de discussions

entre ceux qui la convoitent, chacun tâchant à y exercer une suprématie exclusive. La

France et l'Angleterre, étant données leurs positions acquises, paraissent appelées à recueillir

dans un avenir plus ou moins prochain ces territoires, soit par annexion, soit par protec-

torat ou par influence.

C'est la partie suprême qui se joue en Afrique.

Cependant, si l'émulation peut être dans certains cas une bonne chose, elle devient

funeste lorsque l'une des parties en procès s'ar-

roge le droit de faire main basse sur tout le

territoire contesté en affirmant que les pays

considérés comme res nullius ne peuvent appar-tenir qu'à elle.

Or il est évident que dans ce qu'on peut

appeler la législation coloniale internationale,

les titres du premier occupant priment tous les

autres et doivent prévaloir contre toute préten-tion de celui qui n'arrive qu'en second lieu là

où il y a encore un drapeau européen à planter.Nous avions devancé à Fachoda l'Angle-

terre. En vain elle soutenait alors que le Bahr-el-

Ghazal était implicitement à elle comme tutrice

du khédive. La mainmise sur cette région,en profitant de notre situation diplomatique et

en manoeuvrant habilement avec le Congo

belge, ne justifie ni les prétentions ni les procé-dés britanniques. En droit légitime, l'assimila-

„,..,., n- • i. tion du Bahr-el-Ghazal à un bien de mineurBord du Nil au Djezireh.

n'est pas admissible. Les accaparements quifont aujourd'hui la base des théories coloniales de l'Angleterre ne sont que des faits provi-soires. L'histoire a démontré que ces coups de main ne durent qu'un temps et qu'il arrive

toujours dans l'avenir un moment où la justice rectifie ces habiletés. En réglant à son avan-

tage la question de Fachoda et du Bahr-el-Ghazal, le gouvernement anglais n'a fait en défi-

nitive qu'ouvrir la voie à des revendications futures. Il y aura encore, quoi qu'on fasse à

Londres, des remaniements de la carte africaine au cours du xxe siècle.

L'importance du Bahr-el-Ghazal résulte à la fois du cours du fleuve et de la régionqu'il traverse. C'est, en effet, d'une part, une limite politique et, d'autre part, une limite

climatérique. Comme territoire, il se trouve placé entre l'État indépendant du Congo quiest au sud, le Dar-Fertit et le Dar-Banda qui sont à l'ouest, le Soudan (Darfour et Kordofan)

Page 268: Les Francais en Afrique

LE HAUT-NIL 247

Type nubien.

au nord, et, à l'est, le Ni! Blanc, au delà duquel, à une certainedislance, est la limite actuelle des États de l'Abyssinie conqué-rante.

Or, le négous d'Abyssinic ou d'Ethiopie prétend avoir desdroits jusqu'à la rive droite du Nil Blanc, entre Duem (à l'est

d'El-Obéid) et le confluent du Sobat; il prétend aussi en-glober le bassin du Sobat et le pays au sud jusqu'au lac

Rodolphe.Fachoda (I) est en dehors de la région du Bahr-el-Ghazal.

Ce point stratégique tant disputé se trouve sur la rive gauchedu Nil Blanc. La région environnante est riche en troupeauxde moutons. Les habitants sont les Chillouks (2), qui vivent le

long du Nil, depuis Khartoum jusqu'au Bahr-el-Arab.La ville de Fachoda est située par environ 18° de latitude nord et 30° longitude est.

Ancienne capitale du roi des Chillouks, elle fut prise par les Égyptiens en 1863; ils y établirentune garnison et s'étendirent rapidement vers le sud. En 1870, le Bahr-el-Ghazal devint

province égyptienne, ainsi que tout le pays arrosé par le Bahr-el-Djebel ou Nil Blanc; un

grand nombre de postes égyptiens y furent fondés. En 1876, époque qui marque l'apogéede la puissance égyptienne, le khédive étendait son empire à l'ouest au delà du Dar-Fertitet au sud jusqu'à l'équateur, au lac Albert et à l'Ounyoro.

L'Egypte ne garda pas longtemps ces immenses possessions. La révolte du Mahdi

(1881-83) détacha tous ces territoires du gouvernement du Caire, et ils tombèrent aux mainsdes Derviches. Le Bahr-el-Ghazal suivit d'abord le sort de tout le Soudan égyptien et fut

gouverné par le khalife Abdulaï, qui établit sa capitale à Omdourman, en face de Khartoum.Mais quelques années plus tard des dissensions intérieures éclatèrent; une véritable anarchie

régna dans le pays par suite des prétentions de plusieurs autres chefs musulmans et, à la

faveur de ces troubles, les roitelets indigènes reprirent peu à peu leur indépendance. Cela

est tellement vrai que les Français, en 1896-98, n'ont pas eu à combattre les Derviches et

ont pu facilement traiter avec les chefs indigènes, seules autorités de ces régions.L'extension du Gabon, où nous nous établîmes en 1813, puis du Congo français vers

l'est, nous conduisit, à partir de 1885, à occuper le bassin de l'Oubanghi et de ses tribu-

taires. Avant que la frontière franco-congolaise eût été fixée par l'accord du 14 août 1894,

les Belges avaient cherché à s'étendre au Bahr-el-Ghazal et même plus au nord-est.

Tandis que la France se contentait d'établir son poste le plus avancé au nord-est du

Congo, aux Attiras, au confluent de l'Ouellé et du M'Bomou (1892), les Belges fondaient de

nombreuses stations bien plus au nord et à l'est. Un officier belge, le lieutenant de la

Kéthulle, pénétrait même en 1893 jusqu'à Hofrah-en-Nahas, sur un affluent du Bahr-el-Arab,

près du 10° latitude nord, à l'entrée du Darfour. Un autre, le lieutenant Hanolet, s'avançait

en 1894 jusqu'au Rounga, un peu plus à l'ouest.

Conformément à la convention d'août 1894, les Belges évacuèrent leurs postes établis

au nord de la frontière fixée et la France les réoccupa presque tous, mais nous n'avons pas

été aussi loin depuis lors vers le Darfour et le Rounga que les Belges.

Après les conventions anglo-belge et franco-belge de 1894, un petit territoire, compre-

1. Pour ces renseignements sur Fachoda, nous nous sommes basés sur les renseignements fournis par notresavant confrère M. Paul Barré.

2. Ces Chillouks sont laids; ils raidissent et empâtent leurs cheveux avec de l'argile, de la gomme et de la bousede vache.

Page 269: Les Francais en Afrique

2iS LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIECLE

nant Lado 1 i el situé à l'ouest du Nil Blanc et au sud 5° 30' latitude nord, fut incorporé

dans la zone de l'État du Congo. Ce coin de terre, connu au temps de la domination khédivale

sous le nom de Province équaloriale ou d'Équaloria, avait été conservé sous la domination

d'Émin, son dernier gouverneur égyptien jusqu'en 18S9. Celui-ci parvint à maintenir ainsi

son autorité au milieu des territoires musulmans, jusqu'au moment où les Anglais le for-

cèrent à évacuer ce pays. A la suite de cette évacuation, ce dernier vestige de la domination

égyptienne était tombé aux mains des madhisles, mais les Belges y occupèrent Lado en

1892; la convention de 189i ayant bien

limité l'action congolaise, ils achevèrent

l'occupation de la région; leur dernière

étape a été Bedjaf, sur le Nil Blanc,

en février 1S97, où s'installa le capitaine

Challin, qui l'enleva aux madhisles.

Les Anglais, de leur côté, se sont

adjugé, dans celte parlie de l'Afrique,

la rive droite du Nil Blanc; ils ont

occupé Ouadelaï (2), au nord de l'Ou-

nvors, en 1891, mais n'ont pu aller

au delà.

La France, enfin, en 1896-97,

grâce aux missions Liotard el Mar-

chand s'était établie dans loul le bassin

du Bahr-el-Ghazal et enfin à Fachoda

en 189S.

VI

Carte des explorations au Haut-Nil au \ix" siècle.

Les Anglais s'étaient installés aux

bouches du Nil en 1S82, malgré les

protestations de la France. Depuis

longtemps on rêvait à Londres d'une

Afrique britannique, de l'Egypte au Cap de Bonne-Espérance, avec un chemin de fer du

Cap à Alexandrie. C'est surtout M. Cecil llliodes, le grand homme d'Elal de l'Afriqueaustrale anglaise, qui s'est l'ail le champion de cette idée.

En mai ÎS'.M-, les Anglais crurent arriver à leurs fins. Ils signèrent une convention avec

l'Etal belge ilu Congo par laquelle ce dernier leur cédait à bail une bande de 25 kilomètres

de territoire unissant leur Afrique orientale avec leurs possessions de l'Afrique du sud. entreles lacs Albert-Edouard el Tanganyika, moyennant la cession à bail, à l'Elal du Congo, du

territoire de l'Equaloria et du ISahr-cl-Ghazal. anciennes provinces égyptiennes abandonnées

el où jamais les Anglais n'avaienl exercé de droits. Cet accord ne fui pas ratifié par la

France, et une convention franco-congolaise d'août 1891 fixa la frontière commune, en nelaissant à l'Elal du Congo que l'Equaloria.

.Mais, avant ce dernier arrangement, diverses lentalives avaient été faites dans la région

1 Lado. sur e Nil Iliane-, lui ronde par les Lgypl iens en 1S73 pour reinpl; r (lomloUoro ou Ismaïlia, situé enl'are, jio-.fi- évacué par suite de suri insalubrité.

-1. Ouadelaï, ancien poste égyptien, fut la dernière résidence d'Émin qui ne la quitta qu'en ISSU,

Page 270: Les Francais en Afrique

LE IIAUT-ML ?49

du Haut-Nil. A la suite du conflit survenu avec l'Étal du Congoau sujet de la frontière du M'Borïiou, la France envoyait sur

l'Oubanghi, en 1894, le colonel Monteil avec des forces impo-santes. Les Anglais s'émurent, craignant d'être prévenus surle Nil; de l'Ouganda, ils organisèrent une expédition qui.sous les ordres du colonel Colville, traversa l'Ounyoro cl

s'avança dans la région d'Ouadelaï. Le lieutenant Cunninghams'avança même jusqu'à Doufilé.

L'accord entre la France et l'État du Congo étant intervenusur ces entrefaites, l'expédition Monteil fut rappelée; il en futde même du colonel Colville, qui abandonna la région qu'ilavait parcourue.

Type nubien.

D'autre part, M. Liotard, nommé commissaire dans l'Oubanghi, s'occupa de prendrepossession des régions que les Belges nous remettaient et les organisa; ce travaildemanda deux ans. Puis, lorsque des accords furent passés avec les principaux chefs

indigènes, on songea à la marche vers le Nil et le capitaine Marchand, chargé decette tâche, s'en acquitta glorieusement. On pouvait croire à ce moment que les droitsde la France sur le Bahr-el-Ghazal et sur Fachoda étaient indiscutables. Ce n'était pasl'avis des Anglais. Craignant d'être devancés sur le Haut-Nil, ils avaient résolu de tenter

la jonction à la côte de Zanzibar, et ils s'étaient partagé l'influence avec l'Allemagne. Ils

avaient organisé des expéditions qui, sous les ordres du sirdar Kitchener, devaient, sous

le couvert du khédive, et avec l'aide des forces égyptiennes, conduire à la reprise de

Dongola, de Berber et finalement de Khartoum, en août 1898.

Au lendemain de la victoire d'Omdourman et de la reprise de Khartoum, une flotte

anglaise remonta le Nil jusqu'à Fachoda, à 600 kilomètres. Le commandant Marchand avait

fait hisser le drapeau tricolore sur ce point. Le sirdar l'invita à se retirer, l'officier françaisrefusa. Un poste anglais fut établi à côté du poste français et la diplomatie entra en action.

La France céda aux représentations de l'Angleterre, celle-ci soutenant que les droits de

l'Egypte étaient violés. Le commandant Marchand reçut de son gouvernement l'ordre de

quitter Fachoda. Le Haut-Nil restait à l'Angleterre (1).

VII

Lui restera-t-il définitivement ? Rappelons-nous les paroles fatidiques de Bossuet, si

souvent vérifiées par l'histoire : « Quand vous voyez passer comme en un instant devant

vos yeux, je ne dis pas les rois et les empereurs, mais ces grands empires qui ont fait

reculer tout l'univers, quand vous voyez les Assyriens anciens et nouveaux, les Mèdcs, les

Perses, les Grecs, les Romains, se présenter devant vous successivement, et tomber pour

ainsi dire les uns sur les autres, ce fracas effroyable vous fait sentir qu'il n'y a rien de solide

parmi les hommes et que l'inconstance et l'agitation est le propre partage des choses hu-

maines. » Les pieds du colosse britannique sont d'argile comme l'étaient ceux de tous ces

colosses antiques qui semblaient se dresser éternellement sur le monde pour le dominer à

1. La convention du 21 mars 1899 a imposé à la France de pénibles sacrifices. Elle consacre l'échec de la mission

Marchand et anéantit presque tout le profit de ses efforts. Elle ruine toute possibilité de joindre l'Oubanghi au

Nil et à Obock. Elle reconnaît la domination anglo-égyptienne sur tout le bassin du Nil. Elle laisse aux Anglais le

chemin ouvert de Zanzibar à l'Egypte par le lac Victoria. (Ed. DRIALXT, ouvrage cité.)

Page 271: Les Francais en Afrique

230 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

travers les siècles et que le temps a balayés si complètement qu'à peine il reste d'eux quelque

souvenir incertain et de leurs règnes quelque monument mutilé. La puissance de l'Angle-

terre n'est pas plus à l'abri des revers que l'a été celle des grands empires d'Orient, dis-

parus dans le néant où Bossuet les fait s'ensevelir. Cependant il faut reconnaître que les

causes qui dans ce passé lointain ont permis ces destructions totales et ces effacements com-

plets n'existent plus aujourd'hui. La force victorieuse tient maintenant à son service des

armes plus invincibles et des moyens d'action plus durables que ceux sur lesquels comp-

taient les conquérants d'il y a trois mille ans. Les gouvernements modernes ont inventé des

mécanismes aux rouages compliqués qui permettent de surveiller et de sauvegarder, jus-

qu'aux limites les plus reculées, des États immenses sur lesquels s'étend le sceptre des sou-

verains, maîtres d'une grande partie du globe, comme le sont les rois de la Grande-Bretagne.D'autre part, sa diplomatie tisse habilement les toiles d'araignée où se prennent les faibles

et les imprudents. Aucune puissance n'est sous ce double rapport de l'organisation colo-

niale et de l'action diplomatique mieux outillée que l'Angleterre, et l'on a dit avec raison que

pareille au crocodile du Haut-Nil, elle ne lâche point la proie qu'elle a saisie dans son étau

semblable à la mâchoire du monstre. Il est donc possible et même probable que les Anglaiscontinueront pendant longtemps à bénéficier de la solution de l'affaire de Fachoda. Mais, en

dépit de ces prévisions que dessinent les événements actuels, on ne doit pas considérer

cette affaire comme irrévocablement réglée par le coup de main de Kitchener. Le Haut-Nil

est, en fait et en droit — l'Angleterre elle-même ne le nie pas — une dépendance de

l'Egypte, dont le sort n'est point inéluctablement déterminé par les faits de 1882. La mission

que s'est arrogée l'intervention anglaise, à cette époque, sans le sultan et malgré le khédive,est virtuellement terminée, et si elle se prolonge encore maintenant, si les puissances la

laissent se prolonger, elles n'ont pas abandonné, sans esprit de retour, leur droit de fairecesser une situation irrégulière qui ne repose plus que sur la subtilité diplomatique. L'Egyptepeut recouvrer son autonomie, ou plutôt la reprendre puisqu'elle ne l'a pas abdiquée et

qu'elle se trouve simplement sous tutelle. Or, si l'Egypte est rendue à elle-même, si l'Angle-terre, fidèle à ses engagements, évacue ce territoire dont elle ne s'est constituée que gardiennefidéi-commissaire, la frontière égyptienne se confondra avec les limites méridionales dubassin du Nil et s'étendra de nouveau jusqu'au lac Victoria. A Londres, il est vrai, onsourit lorsqu'il est question de cette reddition de comptes, et l'on parle de la chimère fran-

çaise. L'avenir démontrera ce qu'elle vaut.

Paysage du Haut-Nil.

Page 272: Les Francais en Afrique

Lts PYRAMIDES.

IAÉGYPTE

CARTE DE L'ÉIIYPTE.

3i

Page 273: Les Francais en Afrique

Le dernier mot n'est pas dit en Egypte.

, René PIKON.

Le khédive règne et gouverne sous la protectiondes baïonnettes britanniques; mais elles le menacent

autant qu'elles le protègent.Charles SIMOKD.

Page 274: Les Francais en Afrique

r -

PANORAMA DE PORT-SAÏD. — VUE DU PHARE.

CHAPITRE XVIII

L'EGYPTE

I

UICONQUEvisite pour la première fois la vallée du Nil est frappé — chose uniquedans l'ethnographie — de la profonde ressemblance de ses habitants actuels,

1Coptes ou Fellahs, avec ceux qui figurent sur les plus anciens monuments de

l'Egypte. Jusqu'à nos jours, à travers les siècles, le type original et primitif du peuple desPharaons s'est conservé intact, en dépit des invasions des Hyksos, des Éthiopiens, des

Assyriens, des Perses, des Grecs et des Romains, des Arabes et des Turcs. Il n'y a pasd'autre exemple de cette persistance de l'atavisme exprimé par la physionomie et la stature

dans toute l'histoire de l'humanité. Où reconnaître, en effet, aujourd'hui, dans les Grecs de

notre temps, ceux d'il y a deux mille cinq cents ans, qui étaient grands, forts, taillés en

athlètes comme Hercule?

Un savant ethnographe, Fallmerayer, prétend que les Hellènes de notre siècle n'ont pasdans leurs veines une goutte du sang des Athéniens de Périclès ou des Lacédémoniens de

Lycurguc. Les Romains de la Campagna n'ont presque plus rien dans leurs traits des vieux

compagnons des Scipions ou de ceux de leurs lointains ancêtres représentés sur les

médailles. Chez les Égyptiens, au contraire, l'identité physique est absolue. Elle se constate

tout particulièrement parmi les Coptes du Nil, dont le nom même rappelle leur origine

(Kypt, Gypt). Leur langue est, d'ailleurs, surtout dans les textes actuels, à peu de chose

près la même que celle des anciens écrits hiératiques.Cette perpétuité des caractéristiques raciales chez les populations égyptiennes s'explique

par différentes causes. La plus remarquable est, suivant quelques biologistes, l'extrême

Page 275: Les Francais en Afrique

234 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX'' SIÈCLE

pureté du sang, qui ne s'altère même pas dans les enfants issus de mariages mixtes, quand

la mère est Égyptienne. Au bout de deux générations le type reparaît dans toute son impec-

cabilité, que le père soit Turc ou Européen.

Rien, en définitive, n'a eu de prise sur l'atavisme de ces Copies, qui ont résisté au terrible

flot arabe submergeant le pays. Ils sont encore aujourd'hui un peu moins d'un demi-million

d'âmes; ils vivent à l'écart, principalement dans la llaute-Égypte, aux alentours de Kouft

(l'antique Koptis), de Louqsor, d'Esneh, de Denderah, de Girgch, de Takla, de Siout,

d'Achmin et dans le Fayoum; ils sont artisans ou plutôt artistes professionnels, horlogers,

orfèvres, joailliers, brodeurs d'or,===

'il copistes d'enluminures, dessinateurs,

quelquefois comptables; très intelli-

gents, leurs qualités les signalent aux

administrations, aux autorités qui leur

confient, le cas échéant, des fonctions

officielles. Cependant leur instruction

est faible, leur naturel a dégénéré :

tandis que leurs aïeux se montraient

forts et indépendants, ils sont devenus

rampants et serviles ou bien, suivant

les occasions, hautains et despotes, en

même temps que cupides.

A côté des Coptes se placent

ethnologiqucment les Fellahs, mais

ceux-ci diffèrent de ceux-là tout d'a-

bord par la croyance; les Fellahs se

sont de bonne heure convertis à l'isla-

misme; les Coptes, jamais. Les Fellahs

n'ont pas seulement abjuré leur culte,

mais leur langue; ils parlent arabe, et

:~

ce sont les Arabes qui leur ont infligéCarte des explorations de l'Egypte nu xix" siècle.

un nom qui est comme une appellation

donnée à un troupeau [Felhihhi, paysans, de l'arabe Fdlaha, labourer). Ils composent les

trois quarts de la race égyptienne proprement dite. Leur soumission aux vainqueurs ne

fit qu'encourager ces derniers à rendre plus lourd le joug sous lequel ils les écrasaient.

Sous les Ommiades, les Abassides, les Falimites, les Eyoubidcs, les Mamelouks, même sous

la dynastie actuelle, ils ont toujours été en proie aux exactions et aux oppressions, gagnant

à la sueur de leur front l'argent qu'ils payent sous toutes formes d'impôts et de charges au

khédive, aux pachas, aux moudirs, aux effendis. aux cheiks, pressureurs et rapaecs.

Ces Fellahs sont plus malheureux que n'étaient les castes inférieures sous les plus

cruels Pharaons. Ils gîtent dans des huttes faites du limon du Nil et n'ayant qu'une seule

pièce étroite où s'entassent gens et bêtes. Ces demeures misérables abritent les descendants

des anciens maîtres des Grecs, réduits maintenant au pire des esclavages. Ils étaient huit

millions quand les Arabes conquirent l'Egypte. Leur nombre a diminué de moitié et décroit

successivement. Doux et patient, le Fellah ploie encore aujourd'hui sous la destinée que lui

a imposée le conquérant Ainrou. Il semble n'avoir pour lot de son vivant que de travailler

au profil des autres, sans avoir lui-même aucune part aux bénéfices de son travail. Très

Page 276: Les Francais en Afrique

L'EGYPTE 233

robuste, très sobre, se contentant pour toute nourriture de quelques galettes de doura (sortede millet), ou d'un ou deux oignons, d'une poignée de dattes, n'ayant pour vêtement qu'uncaleçon et une chemise de coton, dépourvu de tout rêve et de toute ambition, toujours docilesous la main qui l'opprime, il est, comme ses ancêtres des temps pharaoniques, la patienteet servile bête de somme, donnant toute l'énergie de ses bras à son maître donl il récom-pense la dureté par l'affection.

Dans ce pays, qui n'aurait plus d'histoire si la science ne l'avait exhumée des ruines etde l'oubli où elle s'était ensevelie depuis des siècles, si l'égyptologic, dégageant les monu-

LE CAIRE. — VUE GÉNÉRALE.

ments des sables qui les recouvraient, n'avait pénétré le secret de son passé et reconstitué

le récit de ses glorieuses époques, effacées par l'invasion turque, le Fellah seul a fait survivre

dans son regard, dans sa physionomie expressive, la race d'il y a cinq ou six mille ans. Il

incarne cette mobilité d'âme, si on peut ainsi parler, qui a toujours caractérisé ce peuple,

et qui s'exprime dans le respect sévère des castes (1). Celles-ci sont appelées par Hérodote d'un

terme bien significatif : fi-M, indiquant qu'elles sont nées telles, mais ne doivent pas leur

origine à une réprobation dont le sceau se serait imprimé sur leur front par une implacable

et irréparable inégalité procédant de Dieu, comme pour les parias de l'Inde. Les castes infé-

rieures de l'Egypte ne furent en effet formées que par des circonstances sociales, elles

résultèrent de la demeure primitive choisie par telle partie de la population, ou des occupa-

tions diverses que commandait la nature du sol. C'est ainsi qu'une partie du territoire se

prêtant à l'agriculture, eut pour occupants les aïeux des Fellahs, de môme qu'ailleurs, là où

1. Ou plutôt de la caste inférieure, car les deux supérieures n'avaient pas entre elles de barrières infran-

chissables.

Page 277: Les Francais en Afrique

230 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

la terre n'était pas propre à être cultivée, se fixèrent les pasteurs, de même aussi que sur

les rives du Nil s'établirent des pêcheurs et des bateliers. L'immuabilité des aspirations

perpétua cette distribution ethnographique. Ce qui s'était créé naturellement fut maintenu

Groupe d'Égyptiens de différentes conditions.

dans l'évolution du pays par les deux castes privilégiées, exerçant les fonctions religieuses et

militaires. Les siècles se succédèrent, des maîtres nouveaux s'emparèrent tour à tour de

l'Egypte, modifiant ou détruisant bien des institutions, mais laissant les Fellahs à leur con-

Vue des environs du Caire.

dition. Leur génie agricole leur avait fait préférer les plaines dès les premiers Pharaons. Ilssont restés attachés à la plaine, comme jadis nos paysans à la glèbe.

Le type copte est de sang pur, le Fellah dérive du croisement avec l'Arabe. Quant àla race arabe sans mélange, elle est représentée par les Rédouins (de Bedou, nomade).

Page 278: Les Francais en Afrique

L'EGYPTE 237

Isolés dans leurs déserts, ils y ont gardé précieusement et jalou-sement leurs moeurs, en se défendant, par tous les moyens,contre les atteintes de la dégénérescence : coutumes, langue,

visage, tout chez eux est resté tel qu'au temps d'Abraham. Leur

vie est exclusivement patriarcale. Ils se subdivisent en tribus,celles-ci composées de familles; chaque chef de tribu est le

maître sans contrôle, exerçant sur tous une autorité absolue. Ils

pratiquent les vertus antiques : hospitalité, magnanimité, fidélité.

Loin des villes, ils n'en connaissent ni les vices, ni la corruption,

qui n'ont pas encore contaminé leur simplicité. Sobres, se nour-

rissant presque exclusivement de dattes, de miel, de riz, auquelFemme nubienne.

s ajoute rarement de la viande de mouton, ils conservent foule la

primitive endurance et la santé que donnent l'abstinence et la tempérance régulière. La mâle

beauté de leurs traits s'accuse en des lignes d'une expressive finesse. Le front haut, l'oeil pleinde flamme, le port noble, tout en eux contraste avec le maintien humble et déprimé du

Fellah qu'ils ont asservi.

II

Si l'Egypte ancienne se reconnaît encore dans les descendants de ceux qui la peuplaientsous les Hyksos, les Pharaons et les Ptolémées, elle est entièrement disparue en ce quiconcerne les institutions. On ne retrouve de celle-ci le souvenir que dans quelques-uns des

monuments séculaires restés debout comme les pyramides, le Sphinx, le Serapeum, ou dans

ceux qu'on exhume au cours des fouilles encore inachevées.

Il en est de même de l'Egypte des Mameluks. Celle que nous avons aujourd'hui sous

les yeux n'a plus rien de commun, du moins en apparence, avec la barbarie qui existait au

commencement de ce siècle. La civilisation a régénéré ce pays, la culture intellectuelle y est,

au Caire et à Alexandrie par exemple, presque aussi raffinée qu'à Paris, et la diplomatiedes khédives peut, comme distinction et comme habileté, rivaliser brillamment avec celle

des autres États.

Ce peuple a fait en moins de cent ans des progrès considérables ; il a un gouvernement

dont le mécanisme vaut celui des grandes puissances, et quoique ses liens avec la Turquiene soient pas tout à fait rompus, quoiqu'il se trouve sous la protection anglaise qui est une

domination, il vit de sa vie personnelle. L'ouverture du canal de Suez l'a mis en contact

avec toute l'Europe économique. Sous ces multiples influences ses moeurs se sont modifiées

en s'harmonisant avec l'évolution sociale de notre époque. Il peut s'enorgueillir de ses lettres

et de ses arts, il a une littérature néo-égyptienne qui produit des chefs-d'oeuvre comme

ceux d'El-Kassim, il jouit d'une administration régulière qui n'est plus basée sur l'arbitraire

et le despotisme. Depuis Mehemet-Ali (1820) il a emprunté à la France tout ce qui pouvait

contribuer à modeler l'Egypte sur l'Occident, il s'est initié à nos sciences et à nos idées, il

nous a demandé des instructeurs, des marins, des ingénieurs, des constructeurs, des méca-

niciens, des chimistes, des médecins. Grâce à cette intervention constante de l'étranger, il a

fait bien des pas en avant (1). Les réseaux de chemins do fer ont mis en communication les

1. Mohammed-Ali, dit M. Lanier, aimait la France. Dans sa jeunesse, il avait été l'ami d'un négociant de

Marseille, Lion, qui lui avait rendu d'importants services, et l'avait initié aux sciences, aux arts et aux spéculations

de l'Occident. Les consuls français, JIM. Mathieu de Lesseps et Drovetii, encouragèrent dans la suite ces sympathies

du vice-roi. Ce fut un Français, M. Sèves, qui organisa l'armée de terre, et après lui, les généraux Boyer, I.ivron, les

colonels Gaudin, Rey, Varin, d'autres encore fournirent a l'Egypte une infanterie, une cavalerie et une artillerie;

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238 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

centres importants de l'activité, on a construit le canal Mahmoudiéh si précieux pour le

commerce intérieur et pour le rattachement d'Alexandrie au Caire et au Nil ; on a donné de

l'extension aux services des postes et télégraphes, on a favorisé l'essor de l'instruction

scientifique, littéraire, professionnelle, par la fondation des écoles primaires, de l'école

supérieure d'El-Azkear, « cette université de fleurs» où se forment les ulémas qui, dans tout

le pays musulman, détiennent les pouvoirs religieux, judiciaire, politique. En un mot toutes

les améliorations qui concourent à

r~~1 une plus sage et plus heureuse

entente de vie matérielle et sociale

dans ses diverses expressions ont

été mises en oeuvre avec persé-

vérance et avec succès.

III

Une autre gloire restera à la

France : celle d'avoir réveillé la

vieille Egypte endormie depuis des

siècles dans l'ombre épaisse de ses

hypogées. Grâce àChampollion les

monuments parlent, ils nous dé-

crivent cette brillante civilisation

ALEXANDRIE.— Le phare. disparue, ils nous racontent cette

histoire grandiose, les ténèbres

se [dissipent, les voiles se déchirent et la vieille Isis révèle un à un ses mystères.

On sait quel fut le rêve grandiose conçu par Bonaparte et comment il essaya de le

réaliser, reprenant un projet que, déjà sous Louis XIV, les agents français en Egypte avaient

proposé au grand roi. Napoléon s'en est expliqué nettement dans ses Mémoires :

« L'expédition, dit-il, avait trois buts (1) :

« 1° Établir sur le Nil une colonie française qui put prospérer sans esclaves, et qui tint

bien de la République de Saint-Domingue et de toutes les îles à sucre;

JI. Planât fonda une école d'état-major. Quand l'armée française était entrée à Alexandrie en 1798, elle y avaittrouvé deux caravelles en construction. A Navarin, en 1827, le vice-roi mit en ligne 63 vaisseaux et 100 bâtiments de

transport. Cette flotte détruite, il résolut d'en équiper une autre. Cette fois, il ne voulut pas l'acheter en paysétranger; il fonda à Alexandrie des chantiers et un arsenal. Il fit venir un constructeur de la marine de Toulon,JI. deCerisy; et en cinq ans (1828-1833),grâce à l'activité du directeur des travaux, à l'énergique volonté du vice-

roi, sur la plage aride et déserte d'Alexandrie s'éleva un arsenal complet pourvu d'ateliers, de magasins, d'unecorderie grande comme celle de Toulon; des chantiers sortirent 30 bâtiments, dont 10 vaisseaux de ligne de100 canons; la population égyptienne avait fourni tout le personnel, ouvriers et matelots, nécessaire à cette flotteformidable. Une école de navigation fut instituée, et des officiers français, et parmi eux JI. Besson, furent chargésde l'armement des vaisseaux égyptiens et de l'instruction de leurs équipages; l'organisation de la flotte du khédivefut exactement copiée sur celle de la France.

1. « L'Océan, ajoutait Napoléon, a cessé d'être un obstacle depuis qu'on a des vaisseaux ; le désert cesse d'en êtreun pour une armée qui a en abondance des chameaux et des dromadaires... L'Egypte est un des plus beaux, desplus productifs et des plus intéressants pays du monde. C'est le berceau des arts et des sciences. On y voit les plusgrands et les plus anciens monuments qui soient sortis de la main des hommes. Si on avait la clef des hiéroglyphesdont ils sont couverts, on apprendrait des choses qui nous sont inconnues sur les premiers âges de la société.L'Egypte se compose : 1° de la vallée du Nil ; 2° de trois oasis ; 3° de six déserts. La vallée du Nil est la seule partiequi ait de la valeur. Si le Nil était détourné dans la mer Rouge ou la Lybie, avant la cataracte de Syène, l'Egyptene serait plus qu'un désert inhabitable, car ce fleuve lui tient lieu de pluie et de neige. C'est le dieu de ces contrées,le génie du bien et le régulateur do toute espèce de productions; c'est Osiris, comme Typhon est le désert. »

Page 280: Les Francais en Afrique

L'EGYPTE 239

« 2° Ouvrir un débouché à nos manufactures dans

l'Afrique, l'Arabie et la Syrie, et fournir à notre commercetoutes les productions de ces vastes contrées.

« 3° Partir de l'Egypte comme d'une place d'armes pourporter une armée de soixante mille hommes sur l'Indus.soulever les Mahrattes et les peuples opprimés de ces vastescontrées... »

Sur les vaisseaux qui conduisaient en Egypte l'armée

française, en même temps que l'élite des soldats et des géné-raux de la République, les Kléber et les Desaix, Bonaparteavait embarqué un corps auxiliaire de savants, de littérateurset d'artistes composé de cent vingt-deux membres presquetous déjà célèbres, quelques-uns illustres. Les principaux avaient nom Monge, Berthollet,

Geoffroy Saint-Hilaire, Andréossi, Caffarclli, Desgenettes, Larrey et Denon. De cet

état-major intellectuel qui réunissait une diversité de talent, où se rencontraient les géo-graphes et les archéologues, les ingénieurs et les architectes, les astronomes et les géomètres,les imprimeurs et les dessinateurs, les médecins et les chirurgiens, les chimistes et les

mécaniciens, les minéralogistes et les botanistes, le général en chef composa l'Institut

d'Egypte qu'U organisa aussitôt après la victoire des Pyramides qui lui ouvrit les portesdu Caire (1).

L'Institut fut divisé en quatre sections : mathématiques, physique, économie politique,littérature et beaux-arts. Il se donna pour mission de seconder l'armée dans son oeuvre de

conquête et de défense, d'accroître la richesse du pays et le bien-être des populations. Il

organisa des fabriques de poudre, approvisionna d'eau la citadelle du Caire, creusa des puitsdans le désert, rechercha le meilleur mode de constructions des moulins à eau et à vent, mais

aussi s'efforça de déterminer les lieux propres à la culture de la vigne et surtout de prendreles mesures les plus propres à améliorer l'hygiène publique. L'imprimerie du Caire fut fondée

par l'orientaliste Marcel; Conté, l'inventeur du crayon de ce nom et le fondateur du Conser-

vatoire des Arts et Métiers, installa au Caire un télégraphe et des ateliers de tout genre,améliora la fabrication du pain et perfectionna celle de la poudre ; Gérard et Lepèrc travail-

lèrent à la régularisation des eaux du NU; des renseignements de toute sorte, des docu-

ments innombrables sur l'ancienne civilisation et l'histoire du pays furent recueillis par les

artistes et les archéologues. On vit Denon, l'âme de la commission des Arts, « portant son

portefeuille en bandoulière, devancer maintes fois au galop nos escadrons, s'asseoir sur le

terrain qui allait devenir un champ de bataille et achever paisiblement son croquis sous le

feu de l'ennemi (2) ».

Bonaparte lui-même, accompagné de Monge et de Berthollet, prit part à ces expéditions

archéologiques et se rendit à Suez et au Sinaï. Les débris de l'ancien canal qui, sous les

1. Cet Institut, créé par Bonaparte le 22 août 1798, lut installé dans l'un des plus vastes palais du Caire. Parmi

les membres qui le composaient, » les uns devaient s'occuper à faire une description exacte du pays, et en dresser lacarte la plus détaillée; les autres en étudier les ruines et fournir de nouvelles lumières à l'histoire; les autres en

étudier les productions, faire les observations utiles à la physique, à l'astronomie, à l'histoire naturelle; les autres

enfin devaient s'occuper à rechercher les améliorations qu'on pourrait apporter à l'existence des habitants par des

machines, des canaux, des travaux sur le Nil, des procédés adaptés à ce sol si singulier et si différent de l'Europe.Si la fortune devait nous enlever un jour cette belle contrée, du moins elle ne pouvait nous enlever les conquêtes

que la science y allait faire; un monument se préparait qui devait honorer le génie et la constance de nos savants,autant que l'expédition honorait l'héroïsme de nos soldats. >•A. THIERS,Hisl. de la Rév. française.

2. GAFFAREL,L'Institut d'Egypte, Revue politique et littéraire, déc. 1878.

35

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200 LES FRANÇAIS EN xVFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

Pharaons, reliaient le Nil à la mer Rouge, attirèrent son attention et le cours en fut relevé

géométriquement par l'ingénieur Peyre.

Mais la plus notable de ces excursions fut celle accomplie par les savants qui accompa-

gnèrent la division Desaix, lancée dans la Haute-Égyptc à la poursuite des Mameluks. Ils

remontèrent le Nil, parcoururent les mines de Thôbes, et les paysans illettrés qui les proté-

geaient de leurs baïonnettes partagèrent leur enthousiasme et saluèrent d'applaudisse-

ments les ruines grandioses de Karnak et de

Louksor (1).L'évacuation de l'Egypte amena la disso-

lution de l'Institut dont les membres revinrent

en France rapportant do précieuses collections

scientifiques que l'énergie de Geoffroy Saint-

Hilaire disputa aux Anglais qui, arguant des

termes de la capitulation signée par le général

Menon, prétendaient s'en emparer.

Les treize volumes du superbe ouvrage :

Description de l'Egypte, rédigé à l'aide des

documents ainsi rassemblés, furent le seul fruit

immédiat que la France retira de cette expé-

dition ; mais s'il est vrai que les conquêtes dont

bénéficie le progrès de l'humanité soient les

seules durables et les plus vraiment glorieuses,

les membres de l'Institut d'Egypte ont pour

leur part travaillé à la plus féconde et à la

plus durable des gloires de leur pays (2).

Et, depuis, d'autres Français sont venus quiCan;d de Suez. s? > * i

ont, à eux seuls, créé une science : l'égypto-

logie. Champollion, par des procédés méthodiques, déchiffra les hiéroglyphes et laissa en

mourant une grammaire et un dictionnaire de l'ancien égyptien. Letronne, Biot, étudièrent

les âges ptolémaïques et les systèmes astronomiques des peuples de l'ancienne Egypte,Puis Chabas et Rougé continuèrent les travaux de Champollion concurremment avec les

1. C'est à Philé, au delà des cataractes de Syène, à la limite même de l'Egypte proprement dite, que nos soldats

essayèrent de poursuivre les Mameluks auxquels Desaix n'avait pas laissé un instant de relâche. Ils ne voulurent

pas quitter ces lieux auxquels leurs victoires venaient de donner un nouvel éclat sans y laisser un souvenir de leur

passage, et, au milieu des inscriptions hiéroglyphiques dont l'un des pylônes était chargé, ils gravèrent sur unentablement de granit cette légende :

« L'an VIII de la République, le 13 messidor, une armée française, commandée par Bonaparte, est descendue àAlexandrie. L'armée ayant mis, vingt jours après, les Jlameluks en fuite aux Pyramides, Desaix, commandant la

première division, les a poursuivis au delà de cataractes, où il est arrivé le 13 ventôse de l'an VII. Les généraux de

brigade Davoust, Friand et Belliard, Donzelot, chef de l'état-major, Latournerie, commandant d'artillerie, Eppler,chef de la 21elégère. Le 13 ventôse, an VII de la République, 3 mars, an de Jésus-Christ 1799. »

% Les étrangers eux-mêmes leur ont rendu hommage : « L'activité infatigable, désintéressée de ces maîtres de la

science, écrit un Allemand, JI. Georges Ebers, a conquis pour leur patrie le droit de se vanter d'une expéditionmanquée au point de vue politique, comme d'une grande oeuvre féconde en résultats. Us remirent en lumière, aprèsdes milliers d'années d'oubli, le berceau de la civilisation humaine : leur grand ouvrage nous apprit qu'il fallait

allonger l'histoire de notre race et ouvrir des voies naturelles à la science, des routes nouvelles aux nations.... LaFrance dut renoncer à la possession de l'Égyptè-; mais son influence est restée toute puissante. Si la culture

européenne a conquis sur les bords du Mil, plus vite qu'en aucun autre pays de l'Orient, les hautes régions de lasociété, et commence même à détourner le peuple de mainte coutume ancienne, les Français en ont le mérite ; c'estl'oeuvre, en partie des règlements qu'ils avaient introduits sous Bonaparte, en partie de l'amabilité propre à leurrace et grâce à laquelle ils surent gagner le coeur des gouvernements. » L'Égyple, trad. de JI. JIASPERO.

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KARNAK. — DRÛMOS, SALLE HYMLSJPLE ET OBÉLISQUE.

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L'EGYPTE 263

savants étrangers Lopsius, Brugsch et Hinks. Enfin Mariettedécouvrit, en 1850, le Sérapeum de Memphis, passant sa vieau désert, ayant parfois à repousser les attaques des Bédouins,dotant le musée du Louvre de richesses inestimables. En 1803,il fondait le musée de Boulacq qu'il dirigea pendant dix-huitannées. A sa mort, un autre Français, l'illustre M. Maspero luisuccéda et, lorsqu'il démissionna en 1886, le gouvernementkhédival choisit encore pour le remplacer un de nos compa-triotes, M. Grébault, qui installa le musée de Boulacq dansun des palais de Gizeh (1).

Les Anglais, en devenant les maîtres de l'Egypte, ont

respecté les titres acquis par la France dans ce domaine. T d'Égyptienne

IV

Cette gloire scientifique n'est pas la seule que, dans les temps modernes, se soient acquiseles Français sur cette vieille terre où se sont rencontrés tous les peuples de l'ancien monde,où se sont heurtées toutes les civilisations.

Jusqu'en 1869, l'Asie et l'Afrique étaient réunies par une langue de terre d'une largeurde 120 kilomètres qui séparait la Méditerranée de la mer Bouge et forçait les vaisseauxde l'Europe, pour se rendre aux Indes, à accomplir un long voyage de circumnavigationautour de l'Afrique. Cet isthme, qui prenait son nom du petit port de Suez, situé sur la mer

Rouge, est devenu inculte et désert et cependant la dépression qui est au centre et où s'éten-

dent les nappes d'eau des lacs Asner et du lac Timsah semblent avoir été fertiles autrefois :

là s'étendait la vallée de Gessen, riche en pâturages, où, selon la Bible, Joseph, devenu

ministre du Pharaon, avait installé sa famille, et où, pendant quatre siècles, vécut le peupled'Israël.

Dès l'antiquité la plus reculée, au temps d'Abraham, selon la tradition arabe, à l'époquede Sésostris, d'après les Grecs, on songea à ouvrir un passage qui permit aux navires de passerd'une mer à l'autre, mais on se proposait alors, non pas de réunir les deux mers, mais de

faire communiquer la mer Rouge avec le Nil. S'il faut en croire Strabon, Rhamsès le

Grand, ou Sésostris, aurait creusé le premier canal; mais le plus ancien travail de ce genre,sur lequel nous possédions des documents historiques dignes de foi, fut ordonné sous la

vingt-sixième dynastie par Néchos II, que la Bible appelle Néchao. L'oeuvre restée inachevée

fut continuée par Ptolémée II (2). Cependant, dès l'époque do Cléopàtrc, les sables du désert

1. Un autre Français, JI. V. Bouriant, dirige la publication des découvertes historiques, philologiques et

archéologiques faites par la Mission archéologique française en Corée, fondée en 1880, institution analogue aux

écoles françaises d'Athènes et de Rome.

2. •• Nékos mit la première main au canal qui conduit à la mer Rouge et que le Perse Darius acheva. Sa

longueur est de quatre jours de navigation, et il est assez large pour que deux trirèmes y puissent, à la rame,

marcher de front. Il prend l'eau du Nil un peu au-dessus de la ville de Bubastis (Zagazig) et passe à la ville arabe

de Patumos. Puis il se jette dans la mer Rouge. En le creusant, 120.000 Égyptiens périrent. Nékos s'arrêta à moitié

de l'oeuvre, empêché par un oracle qui lui déclara qu'il travaillait pour un barbare. » HÉRODOTE.

.. Un canal, construit à force de bras, s'étend de la bouche Pélusiaque jusqu'au golfe Arabique et à la mer Rouge.

Nékos, fils de Psammétik, commença à faire construire ce canal; Darius, roi de Perse, le continua, mais il le laissa

inachevé, car il avait appris que s'il perçait le détroit, il inonderait toute l'Egypte. Plus tard, Ptolémée 11 y mit la

dernière main et fit construire une écluse dans l'endroit le plus favorable; on l'ouvre quand on veut traverser le

canal et on la ferme ensuite exactement. Ce canal est appelé fleuve de Ptolémée. A son embouchure est située la ville

d'Arsinoë. » DIODORE DE SICILE.

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204 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX 0 SIECLE

avaient interrompu la communication. Les historiens arabes nous apprennent que vers l'an 640

de notre ère, sous le khalifat de Omar, le conquérant de l'Egypte, Amrou fit rouvrir le canal

sur lequel les navires flottèrent jusque vers l'an 767. A cette époque, le khalife Almanzor le

fit combler en partie et seule la section comprise entre le Caire et le lac Timsah resta libre.

L'accès de la mer Rouge était

fermé pour onze siècles.

Ce fut à un Français que

devait appartenir la gloire de

rouvrir cette barrière en faisant

communiquer directement les

deux mers.

Déjà Bonaparte avait sou-

mis à l'Institut d'Egypte l'exa-

men d'un projet de canal et

l'ingénieur Lepère fut chargé

d'étudier le terrain. Il passa

neuf mois dans l'isthme avec

ses collaborateurs, exposés à

toutes les attaques des Bédouins

pillards, manquant d'abri, de

vivres, d'eau. La conclusion de

ses travaux, accomplis avec

des moyens de nivellement très

imparfaits, contenait une graveerreur : il affirmait que le

niveau de la mer Rouge à Suez

était de près de 10 mètres au-

dessus de celui de la Méditer-

ranée. Il proposait donc de faire

un double canal : un pour le

commerce intérieur et le transit

d'Alexandrie à Suez, composéd'une succession de biefs reliés

par des écluses, et un autreLa Grande Sphynge. , ,

pour le passage des navires,

également à écluses et dérivé du Nil, partant de Pelusc, sur la Méditerranée, pour aboutirà Suez, dans la mer Rouge. Ce projet ne fut pas adopté.

De leur côté, possesseurs de l'Inde, les Anglais songèrent à plusieurs reprises à utiliserla merveilleuse position géographique de Suez. En 1829, Waghorn entreprit à ses risques et

périls un service postal d'Alexandrie à Aden, traversant l'Egypte à dos de chameau, la mer

Rouge sur des felouques arabes. En 1837, une ligne de paquebots était installée entre l'Inde et

Suez, reliée à Alexandrie par un service de diligences, que le chemin de fer d'Alexandrie au

Caire, prolongé jusqu'au port de la mer Rouge, remplaça en 1857.Dix ans auparavant, M. Talabot, ingénieur'français, avait proposé de creuser un canal

de jonction dérivant du Nil. De même, les frères Rarrault avaient conçu le plan d'un canal deSuez à Alexandrie, coupant le delta du Nil, mais ces deux projets n'aboutirent à aucun résultat,

Page 286: Les Francais en Afrique

L'EGYPTE 26S

Un diplomate, M. Ferdinand de Lesseps, fils du comte I' ~~-~ ]

Mathieu de Lesseps qui avail été le premier représenfanl de M ^^L.la France auprès de Méhémct-Ali, lui-même consul de France PT^Hk'en Egypte de IS31 à 1838, réussil la 011 les ingénieurs JE ^^avaient échoué. Il convainquit le vice-roi Mohamed-Saïd de jp Wk

la possibilité de percer l'isthme lui-même cl réussil ;i former , Jm

une compagnie internationale ayanl pour objet ; 1 la conslruc , / ^jlion d'un canal maritime du golfe do Suez au golfe de MPélusc; 2° la construction d'un canal de navigation fluviale cl f^JpMM^HId'irrigation joignanl le .Nil au canal maritime, du Caire nu !: J*tT^ 'T* ^2vlac Timsah ; 3° la construction de deux canaux de dérivation, ', ,„,„,, ", ,-• ,. ,tomme de la Haute-Lgypte.détachés du précédent, l'un vers Suez, et l'autre vers le golfede Péluse; 4° l'exploitation de ces canaux; 5° l'exploitation de 63.000 hectares de terrains

concédés.

Nous n'avons pas à rappeler ici quels obstacles M. de Lesseps eut à vaincre, dont les

moindres étaient les difficultés techniques opposées par la nature du sol et dont eurent

raison ses deux habiles collaborateurs, MM. Linant et Mougel. La diplomatie anglaise,la jalousie toujours en éveil de la Turquie lui en suscitèrent bien d'autres plus redou-

tables. Qu'il suffise de dire que sur les 400.000 actions offertes aux souscripteurs en 1858,

la France en souscrivit plus de 220.000. Le premier coup de pioche fut donné solennelle-

ment le 25 avril 1859 et le 17 novembre 1869 une flotte de cent trente navires dont

cinquante vaisseaux de guerre, portant tous les pavillons de l'Europe, traversait

l'isthme, de Port-Saïd à Suez, en présence de l'impératrice Eugénie, de l'empereur

d'Autriche, du khédive Ismaïl, des princes de Prusse et des Pays-Bas et des représentantsde la presse, de la science, des arts, de l'industrie et du commerce du monde entier.

Lorsqu'on 1882, l'Angleterre mit la main sur l'Egypte, M. de Lesseps s'efforça de

défendre la neutralité de son entreprise. Il ne put empêcher lord Wolseley de débarquer des

troupes à Port-Saïd. La propriété même de la compagnie fut menacée d'expropriation ; la

presse anglaise parla de creuser un second canal exclusivement anglais. Ce n'était là qu'une

agitation de surface. L'Angleterre, qui avait acheté les 176.000 actions appartenant au

khédive Ismaïl, voulait seulement se servir de l'oeuvre déjà existante, et M. de Lesseps dut

conclure avec les armateurs anglais un arrangement qui assurait à ceux-ci d'énormes

avantages.Il est à craindre que, comme l'Egypte elle-même, le canal de Suez ne conserve pas

dans l'avenir la neutralité qui en faisait la propriété de l'humanité tout entière. Mais,

quoi qu'il en doive advenir, et quand même elle devrait, en un jour de conflit international,

servir à la réalisation des desseins ambitieux d'une seule des grandes puissances euro-

péennes, l'oeuvre conçue et réalisée par M. do Lesseps, appuyé sur l'épargne française, n'en

restera pas moins grandiose et utile. Elle facilite les échanges, rapproche les hommes, leur

permet de se mieux connaître, de mieux apprécier aussi les richesses que la terre, leur

domaine commun, offre à tous ceux qui sont actifs et travailleurs : elle concourt ainsi aux

buts féconds de la paix et au développement de la civilisation (1).

1. En dépit des actionnaires anglais, le canal est surtout une propriété française, et le président de la Com-

pagnie est toujours un Français. La neutralité du canal sera respectée tant que l'administration restera en des

mains françaises. Cependant il importe que les intéressés s'entendent d'une façon effective sur les garanties inter-

nationales; et l'on ne conçoit pas qu'une si grave question reste en suspens.

Page 287: Les Francais en Afrique

2G6 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Bonaparte, en 1798, avait essayé d'utiliser la situation géographique de l'Egypte pour

attaquer la domination anglaise dans les Indes. La leçon ne devait pas être perdue. Pendant

tout le cours du xixc siècle, le cabinet de Londres eut les yeux fixés sur l'Egypte, d'abord

afin de s'opposer à toute tentative que pourrait faire une autre puissance pour s'y arroger

une influence exclusive, ensuite afin d'être prêt à profiter de la première occasion pour

s'assurer la possession plus ou moins légale de ce poste avancé d'où l'on peut à la fois

dominer la vallée du Nil, la mer Rouge et le

bassin oriental de la Méditerranée. En suppo-

sant à l'extension de la puissance de Méhémct-

Ali, appuyé par la France, en 1841, l'Angle-

terre réussit à empêcher la constitution d'un

empire égyptien dont les forces auraient pu lui

opposer dans l'avenir une résistance insurmon-

table. Et si, en 1879, elle consentit à partageravec la France le contrôle de la dette égyp-

tienne, ce fut avec le secret espoir de se débar-

rasser bientôt de cette collaboration gênante.L'occasion ne tarda pas à se présenter.

En 1881, une émeute militaire éclata, sus-

citée par un parti se disant national-égyptien,dont le but avoué était de supprimer le contrôle

étranger.Le chef de ce parti, Arabi-pacha, nommé

ministre de la guerre, chercha à s'emparer du

pouvoir et à déposer le khédive Tewfik. Puis,

des troubles éclatèrent à Alexandrie dont nombreNotabienubien.

d'Européens furent victimes et que le khédive

fut impuissant à réprimer.Dans ces graves circonstances, le gouvernement français se montra hésitant. Gambetta

le sollicitait d'agir énergiquement pour rétablir la prépondérance de la France sur lesbords du Nil ; le ministère de Freycinet ne consentit qu'à une action limitée pour la pro-tection du canal de Suez. Le Parlement renversa le ministère Freycinet et, le 10 juillet 1882,l'amiral commandant la flotte française reçut l'ordre de quitter les eaux d'Alexandrie. Le

lendemain, l'amiral anglais Scymour resté seul bombardait la ville, puis des troupesanglaises commandées par le général Wolselcy remportèrent sur les soldats d'Arabi-

pacha la facile victoire de Tell-el-Kébir, et Arabi-pacha fait prisonnier fut condamné àmort. Sa peine fut commuée peu après en un exil perpétuel.

L'Angleterre avait atteint son but : elle était maîtresse de l'Egypte. Le khédive futmaintenu, mais il ne conserva plus cpi'une ombre d'autorité. Sans cesser jamais de pro-tester de son respect pour l'indépendance de l'Egypte et pour les droits suzerains de laPorte ottomane, le gouvernement anglais disposa désormais de l'Egypte comme d'une descolonies de la couronne britannique.

Page 288: Les Francais en Afrique

L'EGYPTE 267

Type égyptien.

VI

Un terrible ennemi ne devait pas tarder à lui disputer cettenouvelle conquête. Depuis un demi-siècle, les khédives reprenantla politique des Pharaons avaient cherché à reculer leur domi-nation au delà des cataractes sur les régions du Nil moyen et duHaut-Nil. S'emparant d'abord de la Nubie, puis des vastes

régions du Scnnaar, du Kordofan et du Darfour, qui ont étédénommées depuis le Soudan égyptien, ils étaient parvenusjusqu'à la région équatoriale des grands lacs, étendant ainsi leurs

conquêtes sur un territoire dépassant trois millions de kilomètres

carrés, qu'ils ouvraient au commerce aussi bien qu'aux explo-rateurs européens. Le fanatisme musulman, les menées des

marchands d'esclaves gênés dans leurs transactions et — il fautbien le dire aussi — les exactions des agents du gouvernement égyptien provoquèrentune formidable insurrection.

Le fils d'un charpentier nubien de Dongolah, Mohamed-Ahmed, s'était acquis une

réputation de sainteté qui le faisait vénérer depuis Assouan jusqu'à Khartoum. Soutenu

par les Bagaras, marchands d'esclaves, il annonça tout à coup en 1881, qu'il était le maîtrede l'heure, ayant reçu du Prophète, qui lui était apparu, la mission de réformer l'Islam,d'établir l'égalité entre tous les croyants et de fonder un grand empire pour lutter contre

les infidèles.

Le soulèvement fut général. Les garnisons égyptiennes du Soudan furent massacrées,Khartoum menacé, et le khédive dut se reconnaître impuissant à repousser cette invasion

de barbares de toutes races, unis par un même fanatisme. L'Angleterre, qui venait de

vaincre Arabi et avait proclamé son protectorat sur l'Egypte, dut faire acte de protectrice.Il lui en coûta cher.

Une première colonne de dix mille hommes, commandée par le général Hicks, fut

anéantie tout entière après une lutte de trois jours dans les défilés de Kashgil (no-vembre 1883). Une nouvelle armée formée sous les ordres de Baker-pacha fut écrasée à

Singat. Une victoire remportée à Tamanieh sur Osman-Digma, principal lieutenant du

Mahdi, sauva la ville de Souakim, mais une colonne de secours commandée par lord Wolseleylui-même, ne put arriver à temps pour dégager Khartoum où l'héroïque Gordon, l'un des

hommes les plus braves et les meilleurs qu'ait produits l'Angleterre, avait été massacré

avec tous les défenseurs de la ville.

Lord Wolseley dut reculer. Le Soudan était momentanément perdu pour l'Egypte et

pour ses protecteurs. C'est seulement en 1898 que les Européens devaient remettre le piedsur les rives du Haut-Nil. Pendant que Kitchcner, remontant le fleuve, vengeait Gordon

à Omdurman et reprenait Khartoum, le commandant Marchand, à la tête d'une colonne

exploratrice française arrivait à Fachoda par la région du Bahr-el-Ghazal après avoir

traversé le bassin du Congo.

Il ne subsistera de l'explosion mahdiste que le souvenir des ruines qu'elle a accu-

mulées. L'évolution des régions nubiennes et soudaniennes ajournée pendant vingt années

reprend aujourd'hui son cours.

36

Page 289: Les Francais en Afrique

2f>8 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIECLE

Vil

11resterait à examiner quel pourra être dans les différents domaines, intelligence, esprit

public, administration publique, économie générale, l'avenir de l'Egypte moderne. Mais là

les données font défaut. Les dernières conventions anglo-françaises sur le partage de l'Afrique

laissent entrevoir clairement que l'indépendance égyptienne rêvée par les khédives est

désormais une chimère, à laquelle se substituera une annexion britannique pure et simple.Le Caire deviendra dans ces conditions un autre Simla, l'Egypte s'anglicisera comme l'Inde

et comme le Cap; mais il est vraisemblable que, sous ce régime, l'Islam perdra son empiremoral encore vivace aujourd'hui. Les sociétés bibliques, les missionnaires propagandisteslui feront victorieusement concurrence sur tous les terrains. Il en est toutefois un qui con-

tinuera d'être irrigué par les sources françaises : ce sera la littérature, qui porte les idées,

les répand et les fait fructifier.

Les gouvernants actuels de l'Egypte auraient tort d'ailleurs de se croire les maîtres de

l'avenir. La vieille terre des Pharaons a connu bien des vicissitudes, elle a subi bien des

dominations. Cambyse, Alexandre, César, Amrou, saint Louis et Bonaparte y ont tour à

tour commandé des armées conquérantes ; tous ont cru fondée sur le granit une puissance

qu'emportait ensuite le premier souffle de vent venu du désert; et le Sphinx qui, à demi

enfoui dans le sable, au pied des Pyramides, contempla au cours de quarante siècles de son

sourire mystérieux les vains efforts de tous ces triomphateurs, songe sans doute que leur

gloire ne fut point éclipsée par celle des vainqueurs de Tell-el-Kébir et d'Omdourman.

Anier du Caire.

Page 290: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR.— LE GRANDKABARY.

^&»AGASCAR

CUITE DE MADAGASCAR.

Page 291: Les Francais en Afrique

L'île de Madagascar doit trouver en elle-même les

conditions de son développement économique, vivre de

ses seules ressources et suffire à tous les besoins de

ses administrés.

Alfred GRANDIDIER.

Madagascar n'est ni l'Éden que quelques-uns se sont

plu à nous dépeindre, ni le « cimetière des Européens »,dont ont parlé des critiques insuffisamment informés

sur l'ensemble de l'île, avec ses qualités et ses défauts,elle semble devoir être une de nos meilleures colonies ;elle pourra même, plus tard, être supérieure aux autres !

E. CAUSTIER.

Page 292: Les Francais en Afrique

PLACEDELABORDEA TANANARIVE.

CHAPITRE XIX

MADAGASCAR

I

IR sa situation géographique et par ses dimensions insulaires, Madagascar,

appelée aussi la Grande-Terre, est la reine de l'océan indien. Dominant, à l'en-

trée de la mer des Indes, à la fois le passage du cap de Bonne-Espérance, le

canal de Mozambique et le détroit de Bab-el-Mandeb, cette île, clef des deux routes de

l'Inde, est une des plus importantes du globe. Située à vingt jours de Paris par le canal de

Suez, elle occupe un territoire dont la superficie surpasse d'environ un douzième celle de la

France. Vue de la mer, elle offre, dans le lointain, l'aspect d'un vaste amphithéâtre de

montagnes superposées qui sont comme les échelons des chaînes principales. Ces échelons

forment une sorte d'escalier colossal de verdure où la pensée émerveillée monte involon-

tairement, de marche en marche, des bords de la mer jusqu'aux plateaux supérieurs.

Madagascar a été découverte au xvic siècle par des Portugais, mais on croit que,

bien longtemps auparavant, les Carthaginois l'avaient colonisée. En 1548, les premiers

Européens qui voulurent s'y établir, missionnaires et colons envoyés par le Portugal, y

furent massacrés. Cet essai malheureux découragea le gouvernement de Lisbonne, qui

abandonna ses visées sur l'île. La France lui succéda dans cette entreprise. Dès le début

Page 293: Les Francais en Afrique

LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIECLE

du xvu° siècle, des Normands, entre autres François Canche, de Dieppe, abordè-

rent à la Grande-Terre, mais sans s'y établir. Nos premières tentatives de colonisation n'y

datent cpie de la création de la Société de l'Orient, fondée sous les auspices de Bichelieu.

Pronis et Fauquembourg se fixèrent, avec quelques hommes, clans le village de Manghafia

(baie de Sainte-Luce), où ils furent aussitôt décimés par les fièvres. La colonie quitta ce

lieu malsain pour aller construire, dans la presqu'île de Tholangarc, un port qui devint,

dans la suite, Fort-Dauphin. Pronis prit aussi possession, au nom du roi, de Sainte-Marie,

de la baie d'Antongil, de Fénériffe et

de Manahar. Pronis avait de l'initiative

et de l'audace, mais c'était le pire des

administrateurs ; il compromit tous les

avantages acquis en prodiguant inuti-

lement l'or et le sang de la France

dans des guerres inopportunes contre

les naturels, auxquels il ne fit qu'inspi-

rer la haine de l'étranger. Il fut rem-

placé, en 1648, par Etienne de Flacourt,

qui rétablit l'ordre et fit respecter l'au-

torité. Flacourt aurait pu rendre la

colonie prospère, s'il avait été secondé

par Mazarin, qui se désintéressa com-

plètement de Madagascar. Le nouveau

commandant général de l'île eut le tort

de ne pas tenir compte du caractère

doux des Malgaches. Il confondit l'éner-

gie avec la violence, et se rendit aussi

odieux que son prédécesseur, en semant

partout l'incendie pour faire prévaloir

la force, et en livrant aux supplices

CARTEDESEXPLORATIONSA MADAGASCAR. tous CCUX qui ne se Soumettaient pas

sans résistance. Ce système de terreur

triompha, sans conquérir l'attachement réel des natifs. Aussi, quand, après le départ de

Flacourt, le commandement de l'île échut, pour la seconde fois, à Pronis, rappelé à ce

poste par le maréchal de la Meilleraie, qui avait obtenu la concession de Madagascar, les

désordres recommencèrent-ils en provoquant de nouveaux massacres. Les lieutenants de

Pronis. qui lui succédèrent à sa mort, ne gouvernèrent que par le carnage. Les indigènes

usèrent de représailles sanglantes. Les Français ne durent leur salut qu'à un colon, La Case,

qui avait épousé la fille d'un chef malgache (1). Mais la paix rétablie, grâce à cette interven-

tion, n'empêcha point les naturels de tuer un missionnaire chrétien, le Père Etienne. Le

1. « Ce nom de .Malgacbes, sous lequel nous désignons les habitants de Madagascar à quelque tribu et à

quelque race qu'ils appartiennent, est d'origine européenne. C'est à tort que, sur la foi des anciens auteurs, on a

admis sans discussion que les indigènes s'appelaient eux-mêmes Malagasy. Divisés jadis en un nombre considérable

de tribus, indépendantes les unes des autres, cantonnées chacune dans les limites étroites qui bordent leur petitterritoire, et n'ayant entre elles aucun lien politique ni commercial, ils n'avaient aucun terme collectif pour dési-

gner l'ensemble des habitants de l'île. Les Anlaimerina (vttlgo Hova) emploient, depuis qu'Andrianampoinimerinales a groupés en une grande nation, le mot Ambanilaiiilra (litt. : ceux qui sont sous les deux), parce que, pour

eux, les bornes de l'univers se confondaient avec celles de leur ile. Les premiers navigateurs, Portugais et Hollan-

dais, qui ont abordé' à Madagascar, appelaient simplement ses habitants Noirs ou Maures ; quelques anciens auteurs

CARTE DES EXPLORATIONS A MADAGASCAR.

Page 294: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR 273

commandant de Ghampmagou voulut venger cet acte et ne

parvint qu'à rendre les hostilités plus acharnées. La Société del'Orient traîna péniblement son existence. Son privilège cessaen 1664 ; il ne fut pas renouvelé. Colbcrt le fit donner à la

Compagnie des Indes orientales. Madagascar prit la dénomina-

tion d'île Dauphine ou de France orientale. Ces changementsde nom et d'administration n'eurent toutefois aucune influence

sur la conduite des affaires de la colonie. Elle vit s'inaugurerune autre ère de désastres, et ce fut tout. Comme un feu quicouve sous la cendre, la haine jurée par les Malgaches aux

Français n'attendait qu'une occasion d'éclater. Un événement

fortuit déchaîna les passions et les colères. En 1672, pendant Malgache.la nuit de Noël, les indigènes assaillirent les colons réunis dans

l'église et en firent une tuerie générale. Quelques-uns purent se réfugier à l'île Bourbon. Ce

fut la fin du second établissement des Français à Madagascar.

II

Il y eut un intervalle de cent ans entre cette date lugubre des « vêpres malgaches »

et les nouvelles tentatives de la France pour recouvrer ses droits sur l'île. C'est en 1773

seulement que le duc de Choiseul reprit les grands desseins de Bichelieu, en confiant au

comte hongrois Maurice Benyowski la mission de fonder un grand établissement dans

la baie d'Antongil. La vie de Benyowski n'avait été jusqu'alors qu'une succession

d'aventures romanesques. Après avoir couru le monde, guerroyant, se faisant exiler,

interner ou déporter, il était venu à Paris, où son nom et ses prouesses occupèrentles esprits frivoles de l'époque. Le duc d'Aiguillon crut rencontrer en lui l'homme capablede relever le drapeau français dans la France orientale. Benyowski s'acquitta de cette tâche

difficile avec une habileté et une vaillance dignes d'admiration. Il construisit des forts,

établit des postes, assura la défense de la côte orientale, explora le pays, fit des routes,

des canaux, se concilia l'alliance des chefs indigènes de l'Est, tint en respect les Sakalaves

du Nord et conquit un tel prestige que plusieurs tribus de naturels le choisirent pour roi.

Il fut le Mahc de La Bourdonnais de Madagascar, mais, comme La Bourdonnais, l'envie

conjura sa perte, la calomnie l'accabla d'accusations mensongères. Appelé à Paris, il s'y

justifia, fut accueilli avec enthousiasme par ses nombreux partisans et leur exposa ses

projets, qui ne reçurent pas la ratification royale. Dix ans après, Benyowski retourna avec

quelques aventuriers américains à Antongil. Le gouverneur de l'île de France s'opposa, par

ordre, à sa restauration. Benyowski résista, enfermé dans le fort de Mauritina avec deux

blancs et une poignée d'indigènes. Pendant l'action, une balle atteignit le roi de Madagascar

et le tua.

Pendant ce temps, le hasard déterminait la formation d'un autre établissement à Sainte-

les ont nommé Buques, d'après les Arabes de la côte d'Afrique, qui, pour les désigner, se servaient du mot Oua-

Bouki (au singulier Mbouki), c'est-à-dire habitants du pays Bouki. Les Anglais disaient, au xvu° siècle, en parlant

d'eux, les Naturels ou les Indigènes. Ce sont les Français qui les ont appelés du nom général de Madagascarins ou

Madagascarois, qui est dérivé de celui de Madagascar, accepté à la légère par les géographes du xvi" siècle, puis,

par des transformations successives, de Madégasses, Malégasses, Malégaches et Malgaches; ce dernier est aujour-d'hui adopté par tous les Européens et, dans la forme adoucie et appropriée ù la langue du pays, de Malagasy, par

ceux des indigènes qui sont en rapports constants avec nous. (Alfred GRANDIDIER,Revue de Madagascar, juillet 1890.)

Page 295: Les Francais en Afrique

274 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

Marie, petite ile située sur la côte orientale de Madagascar et habitée par une race plutôt

arabe que nègre. Les baies de cette île servaient depuis un demi siècle de repaire aux pirates

de l'Océan indien qui y avaient établi un commerce d'esclaves devenu très prospère. La

Compagnie française des Indes songea à diriger une expédition vers cette lie de Sainte-

Marie ou Nossi-Ibrabim, comme l'appelaient ses habitants arabes. Une foule d'émigrants

partirent sous la conduite d'un nommé Gosse, mais au bout de peu de temps, tous périrent

massacrés par des indigènes. Une seconde expédition tira vengeance de ce massacre et la

colonie s'organisa sous la direction d'un simple

soldat de la Compagnie des Indes, Labigorne,

qui avait épousé la fille d'un roi de Nossi-

Ibrahim, soeur du roi de Foulcpointe. Grâce à

Labigorne qui lui servit d'intermédiaire avec

les naturels, l'établissement de Sainte-Marie

prospéra. Des relations suivies s'établirent

avec le littoral de la grande terre et la nouvelle

colonie acquit une importance considérable,

tandis que Fort-Dauphin ne cessait de dépérir.

III

De 1G42, année de la fondation de Fort-

Dauphin, jusqu'en 1786, date de la mort

de Benyowski, les établissements français de

Madagascar avaient été tour à tour occupés,

abandonnés et réoccupés sans aucun esprit

de suite. Cette politique se poursuivit sous la

Révolution ; mais le xixe siècle devait être plus

favorable aux plans de colonisation. Napo-Alfred GHANDIDIER. îfon p- s'v intéressa dès 1804 et chargea Sylvain

Roux de faire une expédition à Madagascar.

Cette entreprise fut conduite avec vigueur ; mais la chute de l'Empire en arrêta les progrès

et la fit avorter définitivement.

Sous la Restauration, la perte de l'Ile de France nous avait dépourvus de tout point

de relâche à l'est du cap de Bonne-Espérance, l'île Bourbon n'offrant pas de ravitaillement.

Dans ces conditions, il devenait indispensable pour la France de tirer parti de Madagascar.

En 1819, une nouvelle expédition fut confiée à Sylvain Roux, qui arbora notre pavillon

dans l'île. Ce fut alors que les Anglais suscitèrent des embarras à la France. Un chan-

gement politique considérable venait do modifier la situation intérieure de la Grande-

Terre. Le grand chef de Tananarive, Dianampouine, avait un digne héritier de sa politique

ambitieuse dans son fils Radama, qui no cherchait qu'un appui pour réaliser sa pensée de

s'emparer de l'île entière. Il le trouva dans le gouverneur anglais de Maurice, sir Robert

Farquhar, dont l'agent James Hastie, sergent anglais, ancien précepteur des deux frères de

Radama, sut habilement se concilier l'amitié du roi des Hovas et de ses conseillers. Bientôt

Radama signa un traité d'alliance avec les Anglais. Sir Robert Farquhar s'empressa, dès ce

moment, de travailler à l'organisation militaire des Hovas, à la propagation religieuse par

les missionnaires, à la colonisation industrielle par les ouvriers anglais.

Page 296: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR 273

Sylvain Roux s'était retiré, avec les débris de sa colonie,dans l'île Sainte-Marie et dans l'îlot Madame. L'Angleterrerevendiquant des droits de propriété non seulement sur Mada-

gascar, mais sur ses dépendances, le gouverneur de Bourbon du!céder à ces injonctions et ordonner h Sylvain Roux de s'y sou-mettre. Radama, instrument des Anglais, déclara nulle toutecession de territoire qui n'aurait pas été ratifiée par lui. C'étaitle cas de Foulepointe. Un corps de Hovas, commandé par desofficiers anglais, fit main basse sur ce grand village, situé prèsde la mer, et où les Français avaient un fort. Les mêmes faitsse renouvelèrent à Fort-Dauphin, où la petite garnison de six

Français soutint l'assaut pendant plusieurs semaines, en atten- Malgache,dant les ordres du gouverneur de Bourbon, M. de Frcycinet, quifut obligé de le laisser tomber au pouvoir des assiégeants, tandis qu'on arrachait le

pavillon français. L'influence anglaise, s'appuyant sur Radama, devint maîtresse à Mada-

gascar : commerce, navigation, culture des terres, tout lui apparlint.Et cependant, à ce même moment où tout semblait conspirer contre la France, il lui

restait un appui dans le conseil môme du souverain hova. Un Français, nommé Robin, venait

d'être créé maréchal, commandant de l'armée malgache.C'est une vie bien étrange que celle de ce Robin. Ancien soldat de l'Empire il était

maréchal des logis dans l'armée du Nord en 1813 et passa en 1814, en qualité de sergent,dans le contingent colonial. Il fut envoyé à l'île Bourbon. Là, à la suite d'une punition encou-

rue pour une faute disciplinaire, il déserta, gagna l'île Maurice, puis arriva à Madagascaren 1819. Autorisé par Radama, il vint à Tananarivc où il vécut d'abord de leçons de lecture,

d'écriture et de calcul. Un riche Malgache s'intéressa à lui et le prit pour précepteur de ses

enfants. En 1825, Robin épousa l'une de ses élèves, et Radama l'ayant appris, voulut con-

naître personnellement ce précepteur français qui était devenu l'une des nolabdités de sa

capitale. Apprenant de sa bouche qu'il avait servi sous Napoléon, le roi échangea avec lui ses

idées sur l'art militaire. Rref, au bout de peu de temps, Robin était devenu indispensable à

Radama ; il devint son confident, son secrétaire intime : les services qu'il eut l'occasion de rendre

en diverses expéditions militaires lui valurent les plus hauts grades et enfin le titre suprême,celui de maréchal, avec le poste important de commandant supérieur de la côte orientale. Il

y remplaçait un mulâtre français de l'île Maurice, Jean Corollaire, qui s'était montré peu

bienveillant pour ses anciens compatriotes. Robin, lui, n'oublia jamais qu'il était Français et

les colons de Sainte-Marie reçurent de lui les services les plus précieux.

Lorsqu'on 1828, la corvette la Seine parut sur les côtes de Madagascar pour visiter

Sainte-Marie, Foulepointe et Tamatave, Robin vint à bord féliciter le commandant qui lui

remit, au nom du roi Charles X, des lettres de grâce le relevant du jugement pour désertion

prononcé contre lui.

Il semble bien que, sous cette influence, Radama commença à se détacher de la politique

anglophile.

IV

Sur ces entrefaites, un grand événement se produisit : Radama mourut le 24 juillet

1828, et les Hovas proclamèrent reine sa femme, qui prit le nom de Ranavalo P". Une réac-

tion terrible eut lieu contre la politique et les partisans de Radama ; le sang coula, plusieurs37

Page 297: Les Francais en Afrique

27G LCS FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

de ses parents fu-

rent massacrés ;

le résident an-

glais, Lyall, au-

rait péri égale-

ment s'il n'avait

trouvé un abri à

Maurice. Robin

lui-même fut des-

titué. Le gouver-

nement de Char-

les X profita de

cette situation

pour envoyer une

flottille française

devant Tamata-

ve, sous le com-

mandement do

TANANARIVE.— Rue des Canons. l'amiral Goubey-

re, avec ordre de faire valoir les droits de la France. Son ultimatum étant resté sans

réponse, Tamatavc fut bombardée. Ranavalo demanda la paix. Les négociations traînèrent

en longueur. Elles duraient encore quand la

Révolution de 1830 renversa les Bourbons, à

Paris. Louis-Philippe crut devoir adopter une

politique exclusivement pacifique, et l'amiral

fut rappelé avec nos vaisseaux et nos troupes.C'était encourager la reine dans ses desseins

contre les étrangers. Ranavalo les exécrait, ne

voyant en eux que des ennemis de son culte

national, et n'ayant d'autre pensée que de les

expulser tous de l'île. La politique anglaise,

après vingt ans d'intrigues, subit une ruine

complète. Les missionnaires anglicans et métho-

distes durent abandonner définitivement la capi-tale des Hovas.

Tel était l'état des choses à Madagascar

lorsque les indigènes appelèrent eux-mêmes

nos armes au secours pour se soustraire au jougdes Hovas. Les Sakalaves, voulant s'affranchir

de cette domination, proposèrent au gouverneurde Bourbon de reconnaître l'autorité française.

Un traité fut signé dans ce sons, et les îles do

Mayotte, Nossi-Bé, Nossi-Mitsiou, Nossi-Cumba Une sctllc de Tananarive!

nous furent cédées par cette convention en due

forme. On devait s'attendre à une réplique de la reine. Elle chassa les commerçants euro-

péens de Tamatave, les laissant sans défense contre la population fanatisée par elle. Le

Page 298: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR 277

commandant Romain-Desfossés ouvrit lefeu sur la ville malgache, mais ne put,faute de munitions suffisantes, se rendre

maître de la place. Ranavalo, se croyantvictorieuse, fit décapiter les marins fran-

çais prisonniers et exposer leurs tètes le

long des côtes. Le gouvernement de

Louis-Philippe accepta cet outrage avecune indifférence qui ne lit que pousserles Hovas à île nouvelles cruautés. Cepen-dant, malgré le régime de terreur orga-nisé par la reine et son premier ministre

Rainizouarc, notre influence n'avait pastout à fait disparu dans l'île, grâce à

quelques Français qui y étaient établis,et surtout à MM. de Lasselle et Jean

Labordc. Ce dernier, resté l'ami de Rana-

valo, « la terrible Néron femelle »,

MADAGASCAR. — Le roi ISAMBOet sa cour.

Hovas (mari et femme).

comme on l'a bien nommée, lui résista ouverte-

ment. Merveilleusement actif, joignant la sagesseau courage, il dota l'Imerina de tout ce que la civi-

lisation pouvait y introduire. Il y fonda l'indus-

trie mécanique, y créa des manufactures* et fit de

ses établissements de Manlagoua, maintenant en

ruines, le centre du progrès. Seul, sans autre levier

que sa volonté et son profond amour de la France,il eut ce mérite extraordinaire, mal reconnu par la

postérité, d'ailleurs, d'avoir conçu une idée en

apparence irréalisable et cependant mise à exécu-

tion merveilleusement : celle de transformer un

peuple barbare, cruel, hostile à toute innovation,

en une nation pouvant rivaliser avec les plus avan-

cées. Il suffit de rappeler tout ce que lui durent

les Hovas, tout ce qu'il mit en oeuvre pour eux :

sa fonderie de canons, sa tuilerie, sa verrerie, sa

magnanerie, sa savonnerie, ses ateliers de menui-

serie, de charpenterie, de serrurerie, de charron-

nage, ses forges, ses arsenaux, tous ces gigan-

Page 299: Les Francais en Afrique

278 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

tesques travaux qui étonnent par leur grandeur autant que par leur hardiesse. Son secret

était dans son empire sur la créature despotique devant qui tout tremblait.

Un autre Français, M. Lambert, établi à Maurice, joua presque à la même époque, avec

le concours de M. Laborde, un rôle considérable à Madagascar, L'amitié que lui témoignaient

Ranavalo et son fils Rakout, le futur roi des Hovas, lui permit de seconder nos intérêts dans

l'île. Envoyé à Paris par l'héritier présomptif, qui était très épris des institutions européennes

et voulait se ménager des relations avec Napoléon III, Lambert'était sur le point de réussir

Une place de Tananarive.

dans sa mission diplomatique, quand les menées ourdies par des Anglais firent croire à la

reine qu'une conspiration des Français et des missionnaires catholiques se tramait contre

elle. Ranavalo, crédule, superstitieuse, dominée par son entourage, par les vieux Hovas,

fidèles au culte des fétiches, exila tous les Français, sans en excepter Laborde et Lambert.

Lorsqu'elle mourut, en 1861, Radama II (Rakout) rouvrit l'île aux proscrits, et pour la

seconde fois chargea Lambert de le représenter auprès de Napoléon III. Un traité fut signéentre le roi de Madagascar et l'empereur des Français. La Grande-Terre allait inaugurer ses

rapports pacifiques avec la France, quand une nouvelle sinistre arriva tout à coup à Paris.

Une conspiration du palais, fomentée par les vieux Hovas et les Anglais, avait mis fin au

règne trop court de Radama II. Le roi, surpris par ses ennemis, avait été égorgé et la

plupart de ses partisans étranglés. La veuve de Radama II, Rasoahérina, monta alors sur le

trône. Elle ne régna que trois ans, et sa mort amena au pouvoir, en 1869, sa cousine

Ramomo, qui prit le nom de Ranavalone IL La nouvelle reine se montra favorable aux Fran-

çais, leur accorda le droit de s'établir dans l'île partout où ils le jugeraient convenable, d'y

professer librement leurs croyances, d'y acquérir des biens, d'y créer des industries et d'y faire

du commerce, Mais ce n'était là qu'un traité sur le papier. Les machinations anglaises ne tar-

dèrent pas à en annuler les effets. Ranavalone II, devenue protestante après son mariage avec

son premier ministre Rainilaiarivoni, s'entoura de missionnaires méthodistes comme conseil-

lers. L'Angleterre reconquit toute la prépondérance qu'elle avait eue sous sir Robert Farquhar.

Page 300: Les Francais en Afrique

LE PALAIS D'EMÏRXE.

Page 301: Les Francais en Afrique
Page 302: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR 281

V

La République française, dès 1870, se trouva, dans ces

conditions, à Madagascar en lutte avec les Anglais, qui profitèrentdes événements pour redoubler de zèle dans leur oeuvre deconversion et d'intrigues dans leur politique d'absorption, faisantfonctionner tous leurs rouages. L'Angleterre avait pour but denous évincer de l'île; cette tactique lui réussit pendant une

dizaine d'années, mais le moment allait arriver où, nos forces

recouvrées, nous pourrions déjouer ces desseins. Ce fut l'An-

gleterre elle-même qui nous en fournit l'occasion et le moyen.En 1881, les Hovas, évidemment menés par leurs inspirateurs Femmemalgache.

occultes, manifestèrent l'intention d'entraver la liberté de nos

établissements du canal de Mozambique. En même temps Ranavalone, refusant de faire

droit aux revendications des héritiers de Laborde et leur déniant la possession de terres dans

l'île, ce qui lésait ouvertement les intérêts de nos nationaux, il devenait évident que les

événements allaient se précipiter. Les Sakalaves, alliés de la France, furent l'objet de

menaces, qui se dirigèrent également contre notre consul à Tananarive, M. Beauvais.

L'assassinat d'un directeur de plantations françaises, l'occupation illicite par les Hovas de

notre poste de Mazangaye, d'autres faits exigeaient plus que des représentations. Il fallait

agir. Une démonstration du commandant Le Timbre prouva aux Malgaches et à leur

reine que la France entendait enfin faire justice. Notre attitude fit réfléchir les Hovas.

Ils crurent qu'une ambassade envoyée à Paris mettrait fin au différend. Mais l'heure n'était

plus aux pourparlers. M. de Mahy, ministre de la marine et des colonies, fit partirl'amiral Pierre et lui donna pour première instruction de chasser les Hovas de toute la côte,

depuis Mazangaye jusqu'à la baie d'Antongil. Cette campagne fut conduite avec une

sûreté d'action admirable, mais telle était encore la force des manoeuvres anglaises que les

calomnies répandues contre l'amiral Pierre eurent de l'écho, même en France. L'histoire

se chargera d'éclairer de son vrai jour l'habileté militaire de cet homme énergique quimourut à la peine. L'amiral Galiber prit alors le commandement des opérations, et son

action contraignit les Hovas à négocier. M. Jules Ferry, ministre des affaires étrangères,

repoussa en termes énergiques tous les atermoiements, en déclarant que la France avait

pour devoir d'aller jusqu'au bout. Le cabinet Ferry tomba et le ministère Brisson, qui

lui succéda, s'opposa à la politique coloniale de conquête. M. do Freycinet, devenu

ministre des affaires étrangères, cédant à la pression de la Chambre, conclut en 1S85 la

paix avec les Hovas. Ce traité fut ratifié le 27 février 1886.

VI

Tous les engagements pris par les Hovas n'étaient, au fond, qu'une comédie. On en eut

la preuve dès 1889, quand M. Bompard, qui avait succédé à M. Le Myre de Vilers comme

résident général à Tananarive, avertit le gouvernement français des nouvelles menées

anglaises tendant à provoquer un soulèvement général contre nous. En réalité les Hovas,

de mauvaise foi, enclins par caractère à la duplicité, éludaient ou violaient la plupart des

clauses du traité de 1885, du reste défectueux. Au mépris des conventions, ils accordaient

Page 303: Les Francais en Afrique

282 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

des concessions considérables de mines, de forêts, de terrains de toute nature aux sociétés

anglaises, ils laissaient nos nationaux en proie aux attaques des bandes de brigands

fahavalos, qui razziaient les troupeaux et allaient jusqu'à massacrer les gardiens français.

Le premier ministre Rainilaiarivoni tâchait de faire prévaloir une politique de bascule en

inclinant tantôt du côté des Français, tantôt du côté des Anglais, avec la pensée secrète de

les irriter les uns contre les autres, de maintenir son indépendance et de revenir peu à peu

au passé. Les protestations du rési-

dent général, relevant certaines in-

fractions au traité, furent éludées. Et

le ministre s'enhardit même à décla-

rer un jour qu'en définitive la France

n'était pas maîtresse à Madagascar,

et que si elle voulait l'être, elle

devait commencer par s'en emparer.

C'était un défi au résident, qui cessa

ses relations avec le gouvernement

hova, en restant sur l'expectative.

Mais il était impossible de prolonger

longtemps ce statu quo. Chaque jour

des faits nouveaux, de plus en plus

graves, augmentaient l'acuité de la

situation ; assassinats de Français

par les Fahavalos, attaques à main

armée contre les Sakalaves, incur-

sions sur les plantations, violences

exercées ouvertement contre les

missionnaires. Les Hovas allèrent

même, en 1892, jusqu'à tenter un

coup de main contre notre colonie

de Diégo-Suarez. Comme l'écrivait

au ministre des affaires étrangères

La reine RANAVALONE. le SUCCCSSCur de M. Bompard,M. Larrouy, en 1894, la sécurité de

nos nationaux était sans protection effective : on en était arrivé à la limite extrême de la

patience. Il n'y avait plus qu'un parti à prendre : c'était d'évacuer Tananarive, où la vie des

Français était en péril. La France, qui avait alors à sa tète M. Casimir Périer, président de

la République, comprit qu'elle était poussée par la force des choses à une action militaire.

Elle voulut cependant tenter, pour la forme, de faire rentrer la reine Ranavalone dans

les voies de la loyauté. M. Le Myre de Vilers fut chargé d'engager des pourparlers avec le

premier ministre. Ils échouèrent. Les Hovas résolurent d'opposer à toutes les représenta-

tions la résistance à outrance, la « guerre sainte ». M. Le Myre de Vilers revint en France.

M. Hanotaux, ministre des affaires étrangères, obtint de la Chambre un crédit de

65 millions pour faire face aux frais de l'expédition, dont le commandement en chef fut

confié au général de division Duchesne, ayant pour le seconder dans cette entreprise diffi-

cile, à ses côtés, les généraux Metzinger, Voyron, et d'autres officiers brillants, le colonel

de Torcy, les lieutenants-colonels de Beylié, Palle, Marmier, etc. Nous n'entrerons pas

Page 304: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR 283

dans les détails de cette campagne, qui est dans toutes lesmémoires. Bornons-nous à dire que, le 1er octobre 1895, le

drapeau tricolore flottait sur le palais d'Argent. Tananarive étaità nous. Un nouveau traité consacrait nos droits séculaires.

Madagascar se soumettait à notre protectorat. La reine étaitmaintenue sur son trône et son ministre Rainilaiarivoni, déportécomme Behanzin. Le général Mctzingcr était nommé gouver-neur de Tananarive pour la période d'occupation.

On aurait pu croire que tout était enfin terminé, qu'il n'yavait plus qu'à faire profiter le pays des avantages de la con-

quête. C'était une erreur. Le général Galliéni, appelé au gou-vernement général de Madagascar, s'aperçut aussitôt que larévolte allait renaître. Il prit alors le parti de couper à la racine Type malgache,le mal qui entretenait les ferments d'insurrection. Les Hovas nese sentaient forts que de la présence de la reine et de son autorité. Le général Galliéni

déporta Ranavalone. Cette fois, c'était bien la fin. Le règne des Hovas était terminé, celui des

Français allait commencer.

VII

Le 6 août 1896, le Journal officiel promulguait la loi qui déclarait Madagascar colonie

française. Comment allait-on organiser notre nouvelle possession, l'une des plus importantesdu domaine colonial de la France. Quelque désir qu'eût le général Galliéni de profiterdes connaissances acquises parles fonctionnaires de la cour d'Emyrne, il ne crut pas devoirlaisser aux Hovas le prestige de la race conquérante (1).

1. Bien que la même langue ou tout au moins des dialectes très rapprochés et dérivant tous de la même languesoient parlés d'un bout à l'autre de l'Ile, il existe entre les populations de grandes différences ethniques. Les carac-tères et les types varient d'une race a l'autre, souvent même, tant les croisements et les migrations ont influé sur lapopulation, ils changent dans l'intérieur d'une même tribu.

Le plateau central, Imerina ou Emyrne, est habité par les Hovas et par les Betsiléos. Les Hovas, au nombred'environ un million, sont de toutes les races qui peuplent Madagascar, celle qui présente le plus d'aptitude pour letravail de la terre aussi bien que pour le commerce et pour l'industrie. Ils ont le sentiment de l'autorité et de la

discipline et s'assimilent aisément les moeurs des Européens. C'est la race supérieure de Madagascar. Les Betsiléos,habitant la partie du sud de l'Emyrne, sont, depuis longtemps déjà, soumis aux Hovas dont ils ont subi l'influenceet auxquels ils ont emprunté nombre de coutumes et de traits de caractères. Ils sont cependant restés indolents, on

compte environ 300.000 Betsiléos.

Sur la côte, à l'est, vivent les Betsimisarakas, population paisible, mais paresseuse et adonnée à la boisson. A

Tamatave, capitale des pays Betsimisaraqua, les travailleurs sont tous des étrangers, Comoriens, Hovas, Antaimoros,Antaifazy. Les Bezanozanos et les Sihanakas sont le produit d'un croisement entre les Betsimisarakas et les Hovas ;les seconds comprennent en outre des éléments sakalaves. Quelques familles d'émigrés Sihanakas ont peuplé la régionintermédiaire entre l'Emyrne et le pays sakalave. Ils ont pris le nom de Marofotsy. A eux se sont joints nombred'esclaves fugitifs et de gens sans aveu et leur nom jouit d'une réputation fort mauvaise et, semble-t-il, méritée.

Les populations du sud-est, Antaimoros et Antaifasy, sont guerrières, laborieuses et intelligentes. Les tracesd'une culture arabe subsistent chez eux. Dans l'intérieur du pays vivent des tribus connues depuis peu, formant une

population assez dense, très turbulente, mais paraissant laborieuse.

Sur les autres côtes sont disséminés les Sakalaves, tribus guerrières, pillardes et nomades, au milieu desquelsvivent les Makos, pègres africains, esclaves émancipés, et des Comoriens, parlant le souhahéli d'origine arabe.

Dans la partie sud, les Mahafaly et les Antandroy restent hostiles et fermés, dans un pays pauvre et d'abord

dangereux. C'est la partie barbare de l'île.

L'ensemble de la population parait devoir être évalué à 3.S00.000 habitants.

Selon M. Alfred Grandidier, dont les travaux sur Madagascar font autorité, l'île aurait été peuplée tout entière

par les races noires indo-mélanésiennes. Seuls, les Andriana ou nobles de l'Emyrne seraient de race malaise. Le

caractère malais des Andriana est en effet indiscutable et les raisons qu'apporte M. A. Grandidier à l'appui de ses

conclusions sont bien de nature à déterminer une conviction.

38

Page 305: Les Francais en Afrique

284 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

« Dans les parties déjà connues de l'île, a-t-il dit, le maintien de l'hégémonie

ho va présenterait de graves inconvénients politiques. En présence de l'hostilité qui nous

avait été témoignée, de l'insurrection dirigée de Tananarive par les principaux fonctionnaires

de l'ancien gouvernement malgache, la consécration de cette suzeraineté eut été un acte de

mansuétude excessive. Il y avait une raison plus décisive encore : c'était l'extrême impo-

pularité de l'administration hova, discréditée par des exactions scandaleuses et profondé-

ment antipathique aux populations qui la subissaient. Rendre l'autonomie aux tribus

vassales était donc un moyen efficace de se les concilier, d'autant qu'à la suite de la conquête,

elles avaient espéré être af-

franchies de leur joug et que,

déçues dans leur attente,

elles commençaient à s'affi-

lier aux conspirations qui

s'organisaient contre nous.

« En résumé le pro-

gramme d'occupation le

mieux approprié à la situa-

tion de Madagascar à la fin

de l'année 1896 consistait,

dans ses grandes lignes, à

réprimer l'insurrection du

plateau central, à isoler les

Hovas et à ruiner leur crédit

en émancipant les tribus

assujetties jusqu'alors à leur

domination, à étendre pro-

gressivement notre influence

et, finalement, à pousser nos

postes jusqu'à la côte aprèsavoir fait la pénétration des

Palais de la Reine. ... , ., .régions inconnues de 1 ouest

et du sud, à étudier, en vue de la colonisation, la géographie générale et les ressources

diverses du pays, à développer le commerce, à créer des voies et des moyens de trans-

port, enfin à doter notre nouvelle colonie d'une organisation politique appropriée à ses

besoins et à son degré do civilisation.

« Plus tard, lorsque l'apaisement serait fait, lorsque les souvenirs de l'insurrection

seraient effacés, il serait temps de songer à mettre à profit la supériorité de la race hova, de

lui rendre, tout en continuant à la surveiller, une partie de son influence et de l'utiliser

dans toutes les parties de l'île, au développement de l'agriculture et du commerce.

« L'exécution de ce programme, tantôt aidée, tantôt contrariée par les circonstances,

suivit dans l'ensemble une marche assez régulière. L'ordre fut rétabli rapidement dans

les provinces centrales et on commença aussitôt après, vers la région de l'intérieur, la

pénétration progressive qui est en voie d'achèvement ; enfin, les ressources de l'île, aujour-d'hui mieux connues, ont ouvert la voie à la colonisation européenne (1). »

l. Général GALLIÉNI,La Géographie, 15 janvier 1900.

Page 306: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR 285

Nous avons cru intéressant de reproduire ici ce

programme que s'était tracé à lui-même l'homme quifut le conquérant et le législateur de la grande île

africaine.

Mais, avant d'organiser, il lui fallait combattre.

En Émyrne même l'insurrection était générale ; qua-rante mille hommes et dix mille fusils menaçaient

Tananarive et l'on pouvait craindre un soulèvement

armé de la population même de la capitale.

Sur les côtes, la situation do nos comptoirs était

moins critique, sans être pour cela des plus rassu-

rantes. Enfin nous avions à soumettre les tribus de

l'intérieur, entièrement sauvages, réfractaires à notre

domination comme elles l'avaient été à celle des Hovas.

Il en coûta de grands efforts et malheureusement

de lourds sacrifices en officiers et en hommes, mais

le résultat voulu fut atteint et, à part l'extrémité sud

de l'île, où nos troupes commençaient à peine à

pénétrer, la pacification de Madagascar était achevée Général DUCHESNE.

en quatre ans.

En même temps, nos officiers, nos fonctionnaires, nos explorateurs profitaient de la

trouée qui était faite, du champ qui s'ouvrait devant eux, pour agrandir le domaine de la

science pure, aussi bien que de la science économique, en recueillant des renseignements

géographiques, géologiques, ethnologiques, miniers, agricoles, et enfin, en jetant à l'avance

les bases des projets de construction de routes, de canaux et de chemins de fer, dont

l'exécution intéresse à un si haut point la

colonie.

VIII

L'oeuvre du général Galliéni à Madagascar

a rencontré des admirateurs ardents et des

adversaires violents. Les uns ont tout exalté,

les autres tout condamné. D'un côté on s'est

fait une loi de tout approuver, même avant

que les mesures prises aient donné leurs résul-

tats complets, et d'autre part, on a dénigré à

plaisir, incriminé sans examen des faits, ou

jugeant ceux-ci de loin avant de les connaître

exactement. Peu à peu, cependant, les esprits

sérieux et calmes ont apprécié comme il con-

vient cette difficile entreprise à laquelle le

gouverneur général de l'île a consacré son

activité. La tâche était des plus ardues. Après

avoir combattu, il a fallu pacifier, et après avoir

pacifié, organiser. La pensée du général Galliéni

Général GALLIÉNI. a été de construire, comme l'a dit un critique

Page 307: Les Francais en Afrique

286 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

impartial (1), une grande demeure idéale où seraient appelés à vivre, agir et produire nos

colons à côté des indigènes. Et c'est vers ce but qu'ont tendu tous ses efforts et qu'il a dirigé

tous ses travaux. Il y avait là tout un édifice administratif à créer, avec des éléments qui

souvent durent être improvisés : distribution du pays en territoires militaires, cercles et pro-

A-inces, établissement du régime des immeubles, du régime des prestations, du régime

médical, des écoles, surtout de celles d'apprentissage, des conditions de la main-d'oeuvre,

des services topographiques, postaux et télégraphiques, formation du réseau de voies de

communication, routes et chemins de fer, afin de relier le plateau central à la côte, non

Groupe de Malgaches.

seulement par une ligne ferrée, mais en améliorant les chemins muletiers déjà existants ;

faire, en un mot, de Madagascar, une colonie d'exploitation, et dans ce dessein, ne rien

négliger pour y introduire de nouvelles cultures, tout en perfectionnant celles qui yexistaient déjà et en visant toujours aux rendements profitables.

Ce qui paraissait, au premier regard, une chimère ou une conception irréalisable est,

grâce à la persévérance, dès maintenant un fait en grande partie accompli. A l'exception de

l'extrème-sud, la colonisation, sagement entendue et patiemment poursuivie, s'est vu ouvrir

toute l'île. « Les hostilités ont pris fin presque entièrement; les haines semblent avoir

désarmé; les populations indigènes paraissent vouloir s'attachera nous, et progressivement,

s'assouplissant à notre contact, elles nous fournissent leur concours pour l'oeuvre commer-

1. Alfred GRANDIDIER, Guide de l'immigrant à Madagascar, publié par la colonie avec le concours du comitéde Madagascar. 3 vol. in-S°. Libr. Armand Colin. — « Ce résultat, dit l'auteur en parlant de l'oeuvre du général Gal-

liéni, est dû au concours et au dévouement de tous. Militaires, fonctionnaires et colons, unis dans un sentiment dehaute et patriotique discipline, ont, avec une louable persévérance, groupé et dirigé leursefforts vers le but à atteindre ;c'est grâce à cette union de toutes les volontés, que le chef de la colonie a pu accomplir le programme qu'il s'esttracé ; c'est grâce à cette union, enfin, qu'a pu se manifester à Madagascar notre vis galliea, qui sait, quand elle le

veut, exercer toutes les réformes et triompher de tous les obstacles. -

Page 308: Les Francais en Afrique

MADAGASCAR 287

ciale et civilisatrice inaugurée par la France

à Madagascar. Bientôt, et c'est à cela que

depuis plus d'un siècle tendait notre poli-

tique dans la grande île, il faut espérer

qu'elles nous aideront, sans arrière-pensée,à faire une Franco australe, grande, riche

et prospère. »

Il est aujourd'hui hors de doute quenotre colonie de Madagascar répondra parun ensemble de progrès successifs à ce quel'on attend d'elle. La méthode que le géné-ral Galliéni a jugée la meilleure commenceà porter ses fruits. Il a voulu pour civiliser

Une caserne française.

M. Lavisse, une « organisation quimarche ». Quand le territoire est

pacifié et effectivement occupé par

suite de l'action combinée de la

politique et de la force, il reste

à l'officier à étudier et à satisfaire

les besoins sociaux des popula-

tions ouvrières, pour favoriser

l'extension de la colonisation : il

reste au soldat à faire oeuvre de

colon, de surveillant, d'institu-

teur, d'ouvrier. Ce n'est pas là

seulement une pure conception

théorique, un simple projet, mais

une idée qui a été appliquée (1). »

l.E. LAVISSE.-Revuede Paris,15 juin 1899.

Hôpital malgache.

le pays dont l'avenir et la

prospérité sont confiés à son

intelligence et à son dévoue-•ment, recourir à une « utili-

sation civile de l'armée ».

C'est l'armée qui lui a fourni

des hommes, les règlementset la puissance pour mar-

quer d'une empreinte toute

spéciale et solidement du-

rable cette mise en culture,

sous tous les rapports, de

l'île, si riche, jusqu'alors

improductive. On voit main-

tenant l'idée maîtresse de

son système qui est, suivant

une heureuse expression de

Baraquements français.

Page 309: Les Francais en Afrique

288 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

L'avenir véritable de la colonie réside dans cette « organisation qui marche ». Il n'y a

qu'une chose qui puisse contrarier celle-ci, la paralyser, la détruire même; le manque d'ini-

tiative individuelle des capitalistes qui doivent seconder cette marche courageuse, et aussi le

manque de « sens moderne »du gouvernement. « Or, nous sommes, a dit avec raison M. J.-Charles

Roux, à un tournant décisif de l'histoire de notre empire d'outre-mer. Nous avons mis

vingt ans à comprendre qu'on peut aussi bien et même mieux gagner sa vie en Afrique ou

en Indo-Chine qu'en France dans les bureaux d'une administration quelconque. On commence

à sentir qu'à côté de notre armée de cinq cent mille fonctionnaires, il convient d'en cons-

tituer une autre, celle de nos colons. Après avoir abreuvé d'injures Jules Ferry et les promo-teurs de l'idée coloniale, on reconnaît peu àpeu que ces bons citoyens avaient raison et on leur

élève des statues. Nous avons enfin perdu l'habitude de nous répéter soir et matin à

nous-mêmes que nous n'étions pas un peuple colonisateur. Nous consentons enfin à nous

souvenir de notre propre histoire (1). »

1. J.-Charles Roux- — Le général Galliéni. — Bévue de Madagascar, 10 juillet 1899.

l'avsage de Madagascar.

Page 310: Les Francais en Afrique

L< RÉUNION. — SAINT-DEMS. — BARACIIOIS.

(Colleclion de l'Office Colonial.)

LES ILES DE L'OCÉAN INDIEN

CARTE DE LA RÉUNION

Page 311: Les Francais en Afrique

La Réunion et aussi Maurice, qui est française de

langue et de coeur, forment une pépinière de colons

qui pourrait civiliser Madagascar sous la protection de

notre Patrie.

E. CAUSTIER.

Un trésor pour la richesse et un paradis pour le

charme.

Jules DuVAL.

Page 312: Les Francais en Afrique

LA RÉUNION. — BASALTES DE LA RIVIÈRE DES ROCHES.

(Collection de l'Office Colonial.)

CHAPITRE XX

LES ILES DE L'OCEAN INDIEN

I X

N 1505 (quelques-uns disent en 1513, la date est incertaine), Pedro de Mascarenhas

découvrit, à l'est de Madagascar, trois îles s'avançant dans la mer des Indes. Il

appela la plus importante Santa-Apollonia ; mais, en 1515, le Portugal leur

donna à toutes les trois le nom collectif de Mascareignes, pour reconnaître le don fait à la

couronne de Bragance par l'heureux navigateur. Jusqu'à la fin du xvi° siècle les Européens

n'y eurent aucun établissement, et ni les Hollandais, qui visitèrent ces parages en 1598, ni

les Anglais, qui y mouillèrent en 1613, ne jugèrent avantageux de s'y fixer.

Aussi lorsque les douze bannis qui avaient pris part à l'insurrection malgache de Fort-

Dauphin en 1646 vinrent chercher à Bourbon — nom français de Santa-Apollonia — un

refuge sur cette terre insulaire richement boisée, abondamment fertile et exceptionnellement

saine, leur fut-il facile d'en prendre possession. Cependant, trois ans après, Flacourt, gou-verneur de Madagascar, réclama son droit de souveraineté sur ce qu'il considérait comme

une dépendance de sa juridiction et un apanage des rois de France. Bientôt d'autres occu-

39

Page 313: Les Francais en Afrique

292 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIÈCLE

pants vinrent se joindre aux premiers. On construisit à l'ouest de l'île, sur la côte, un

groupe d'habitations qui devint la ville de Saint-Paul, et, au nord, on bâtit Sainte-Suzanne

en 1667 et Saint-Denis en 1669. Des familles d'émigrants y firent souche. Toutefois, à la

veille du xvme siècle, il n'y avait encore à Bourbon qu'une population de cinq cents âmes. Pour

favoriser le développement de cette colonie, la métropole s'efforça d'y introduire certaines

cultures telles que le café. Une ordonnance royale de 1717 édicta que chaque habitant, de

quinze à soixante ans, devrait planter et cultiver cent pieds de caféier. Cette capitation d'ordre

économique produisit de bons résultats. Au lieu de mauvais café indigène, on cultiva le moka

importé d'Arabie et il prospéra si

bien que tandis qu'en 1734 l'impor-

tation n'en était que de 9.000 kilo-

grammes à peine, elle s'élevait en

1789 déjà à deux millions et attei-

gnit en 1801 près de trois millions

et demi. Parmi les gouverneurs qui

contribuèrent le plus activement à

ces progrès, il faut citer avant tout

Mahé de la Bourdonnais.

La Révolution avait changé offi-

ciellement la dénomination - de

Bourbon en celle de la Réunion (1794),

l'Empire modifia ce nom en celui

d'île Bonaparte (1806). Un peu avant

cette dernière date, les Anglais,

LA RÉUNION.- Piton du Sucre. usant de leurs droits de belligérants(Collectionde roffice Colonial.) envers la France, capturèrent dans

la rade de Saint-Denis un navire

français avec toute sa cargaison, et cet acte d'hostilité étant resté inaperçu ou

impuni, ils le renouvelèrent l'année suivante, favorisés dans leur entreprise par les circon-stances. En 1807, il y eut à Bonaparte des pluies diluviennes qui détruisirent presquetoutes les plantations en emportant la terre végétale, et un cyclone acheva pendantplusieurs jours cette oeuvre de dévastation. Il s'ensuivit une famine à laquelle succom-bèrent un grand nombre de colons, et durant trois mois les autorités n'eurent pasd'autres occupations que d'enregistrer les décès. La colonie se trouva tellement affaiblie,qu'elle fut dans l'impossibilité d'opposer la moindre résistance aux envahisseurs britan-

niques.

L'Angleterre redoubla d'ardeur. Le 6 juillet 1810, vingt navires anglais montés parcinq mille hommes parurent devant l'île. Le colonel Keating fit débarquer des troupessur plusieurs points à la fois ; il y eut une bataille sanglante, les Bourbonnais furent vaincus,et la capitale de l'île, Saint-Denis, tomba au pouvoir de l'ennemi, après avoir honorablement

capitulé. La Réunion resta de 1810 à 1815 aux Anglais, qui nous la restituèrent le 6 avrilde cette dernière année. A partir de ce moment elle recouvra ses avantages économiques.La nouvelle industrie sucrière(1), la culture de la vanille, refirent sa fortune. En même

1. Après l'ouragan de 1806, on substitua presque partout à la culture du café celle de la canne à sucre. Cettedernière fit des progrès si considérables que lorsque Dumont d'Urville visita l'île, on y récollait déjà 18 millions dekilogrammes de sucre pour 700.000 kilogrammes de café. « Année commune, dit l'illustre navigateur dans son

Page 314: Les Francais en Afrique

LES ILES DE L'OCEAN INDIEN 293

temps, ses institutions ad-

ministratives s'améliorèrent.

En 1819, l'instruction pu-

blique fut organisée à la Ré-

union et Saint-Denis eut un

lycée.

La Révolution de 1848,

qui abolit l'esclavage dans

les colonies, transforma la

Réunion. En un même jour

soixante mille esclaves fu-

rent déclarés libres. La me-

sure, quoique préparée de-

puis longtemps, avait une L

telle portée qu'avant de la Li RÉUNION.— Habitation aux environs de Saint-Paul.

prendre, on put craindre (Collectionderonea colonial.)"

qu'elle ne donnât lieu à des désordres. Il n'en fut rien cependant, et la proclamation officielle

de l'émancipation des noirs n'eut d'autre écho que des cris de joie accompagnés de danses

qui ne durèrent qu'une seule soirée. Le lendemain, les noirs reprirent leur travail sur les

plantations. Vingt ans s'écoulèrent ensuite sans

troubles. Une révolte, qui aurait pu avoir des

suites extrêmement graves, éclata en 1868. Les

nègres, entraînés par des meneurs, allèrent

assiéger l'hôtel de ville de Saint-Denis, et l'agi-

tation ne se calma que lorsque l'on eut fait droit

à un grand nombre de leurs griefs.

Depuis lors, notre colonie s'est entière-

ment assimilé les idées européennes. Repré-

sentée au Parlement, elle y défend ses intérêts,

elle y concourt à la législation générale de la

France.

II'

L'île de la Réunion est divisée en deux

parties par deux groupes de montagnes dis-

tincts, reliés par un plateau de 1.600 mètres,

la plaine des Cafres. Les deux parties sont

SAINT-PAUL. — Le Ravin ouest. appelées Parties du vent et Parties sous le

(Collection de roffice Colonial.) „„,;, Le point culminant est, dans le massif

occidental, le Piton des neiges, qui a 3.069 mètres. Trois grandes vallées s'ouvrent autour

de cet ancien volcan, et de là, dans des gorges encaissées, s'échappent les rivières du Mât,

Voyage autour du Monde, il entre de deux cents à deux cent cinquante navires de commerce dans la rade de

Bourbon, et presque tous sont français. Le chiffre le plus récent élève l'importation à 7 000.000 de francs et les

exportations à plus de 10.000.000. La population était évaluée alors à 100.000 individus, dont 18.000 libres et

72.000 esclaves. » Quant aux planteurs, le même voyageur ajoute : « Ils sont en général âpres comme leurs mon-

tagnes, sombres comme leurs ouragans, mais ces défauts ne sont qu'à l'écorce ; il y a au fond de ces austères

dehors des vertus douces et hospitalières. »

Page 315: Les Francais en Afrique

20i LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIECLE

des Galets, de Saint-Etienne. De la plaine des Salazes descend la rivière des Marsouins.

<i Par un concours de bienfaits rare dans les contrées chaudes, dit M. Jules Duval, ce

pays si pittoresque est en même temps un des plus salubres du globe. Les premiers explora-

teurs qu'y porta le courant des aventures au xvie siècle furent émerveillés d'y trouver réunis

sous un ciel tropical un air pur et balsamique, une chaleur modérée, des pluies rafraîchis-

santes, une agréable alternance de brises de terre et de mer. En observant que les plaies s'y

guérissaient promptement, que les fièvres et les maladies endémiques y étaient inconnues,

non moins que les serpents, les reptiles venimeux et les bêtes féroces, l'essaim de Français

envoyés à Madagascar en découverte célébra comme un Eden l'île Mascarcnas. La Compagnie

de Madagascar en fit un hôpital ; les navigateurs de toute nation y déposèrent leurs malades ;

une population humaine s'y établit dans les conditions les plus douces d'existence, même

pour la race blanche. Autour de ces nouveaux hôtes se multiplièrent par leurs soins ou

d'elles-mêmes les plantes utiles, et les animaux domestiques pullulèrent avec une merveil-

leuse fécondité. »

III

Découverte, en même temps que deux autres terres (la Réunion et Rodriguez) en 1505,

parle Portugais Pedro de Mascarcnhas (1), qui leur donna son nom (îles Mascareignes), et

la seconde en importance d'étendue des trois îles anciennement soeurs, mais la plus avan-

tageuse, au point de vue colonial, par ses ports de refuge, Maurice, que nous appelions l'île

de France quand elle nous appartenait, occupe dans l'Océan Indien, à 800 kilomètres à l'est

de Madagascar, une superficie de 1.914 kilomètres carrés et possède une population de

377.000 habitants, dont 200.000 Indiens et 117.000 Européens, créoles, anciens esclaves ou

affranchis et Chinois. Elle surgit isolément de l'Océan cl se compose entièrement de rochers

basaltiques; volcanique à l'origine, elle n'a plus que des cratères éteints. Ses montagnesaffectent des formes rondes (mornes) ou coniques (pitons) toujours tourmentées. Les

sommets principaux sont : à l'ouest, le Pouce, masse superbe, s'élevant comme un doigt,les Trois-Mamclles, dont il est souvent question dans Paul et Virginie; au centre et à l'est,le Piton du milieu (593 mètres), le mont de la Terre Rouge, le mont des Créoles. Le Piton

est dépassé de plus de 200 mètres par la montagne de la Rivière Noire (825 mètres), se

dressant dans la partie sud-ouest de l'île. Près du Pouce se montre l'obélisque du Pieter-Booth (815 mètres), surmonté d'un énorme bloc globulaire, « que de rares gravisseurs, ditElisée Reclus, escaladent au moyen de cordes et d'échelles ».

Quand le navigateur portugais en prit possession au nom de son gouvernement, à

l'époque citée plus haut, mais sur laquelle les historiens cl les annalistes ne sont pas toutà fait d'accord, quelques-uns en fixant la date à 1513, il l'appela da Cerno (cerne) (2). Pourdes raisons de salubrité sans doute, cl peut-être aussi parce que la Réunion, plus grande et

plus fertile, les attirait davantage, les Portugais ne s'y établirent pas. Les Hollandais, latrouvant à l'abandon, s'en emparèrent en 1598, et c'est à eux qu'elle doit son nom de

Maurice, en l'honneur du stathouder Maurice de Nassau (3). Ils la délaissèrent eux-mêmesau bout d'un siècle, et en 1712 elle échut aux Français, qui étaient déjà maîtres de

1. D'autres pensent que ce fut le pilote Diego Fernande/. Peirera qui visita le premier ces parages, en 1507. Leprince Roland Bonaparte, qui s'est livré à des recherches à ce sujet, adopte cette dernière opinion.

2. Du Cerno dérive, parait-il, du nom par lequel Pline semble avoir voulu désigner Madagascar.3. Voir la savante étude du prince Roland Bonaparte : Premier établissement des Hollandais à Maurice, 1890.

Page 316: Les Francais en Afrique

LES ILES DE L'OCÉAN INDIEN 295

l'île Bourbon En 1722, Louis XV la donna, par désintéressement de toute expansioncoloniale, à la Compagnie des Indes orientales, et celle-ci la garda jusqu'en 1777.

Parmi les gouverneurs à qui celte Compagnie confia l'administration de l'île, le plusillustre fut Mahé de la Bourdonnais. Fondateur de la ville de Port-Louis, il en fit la

capitale. Durant les onze années de son gouvernement, il accrut considérablement la pros-périté de toute l'île en développant ses ressources de toute nature.

Mahé de la Bourdonnais fut le véritable créateur do la colonie. « Il réussit, ditM. J. Lcclercq, à détruire les bandes de noirs marrons qui répandaient la terreur dans l'île.Pour relever le. commerce et l'industrie, il développe les plantations de la canne à sucre et

fonde des manu-

factures de coton

et d'indigo. Aux

habitants, jus-

qu'alors plongésdans l'apathie et

l'indolence, il

inculque l'esprit

d'entreprise et

d'activité : il leur

fait cultiver les

graines nécessai-

res à la subsis-

tance des îles

soeurs, et il pré-vient ainsi le re-

LA RÉUNION. - Saint-Paul. tour deg disettes(Collection de l'Office Colonial.) . .

périodiques. Sur-

montant les préjugés des planteurs, il introduit la culture du manioc, qu'il fait venir de

Santiago et du Brésil. Dans cette île où il n'y a ni ingénieurs, ni architectes, il se fait lui-

même architecte et ingénieur : il s'en va dans l'Inde, recrute à ses frais des ouvriers

qu'il dirige lui-même ; il perce des routes, construit des chariots, il creuse des canaux et

des aqueducs ; il bâtit des quais, des moulins ; il édifie des arsenaux, des batteries, des

fortifications, des casernes, des magasins, des hôpitaux ; il amène à la ville l'eau des mon-

tagnes. Il songe à faire de l'île de France une seconde Batavia, ou, tout au moins, un

entrepôt pour le commerce de l'Océan Indien et un port de refuge pour les vaisseaux de

la Compagnie, et, dans ce but, il crée des bassins et des cales sèches et il arme avec ses

seules ressources un bâtiment de guerre, qu'il envoie en France et qui y est admiré (1). »

Grâce à La Bourdonnais, l'île de France devint une des stations les plus enviées de la

route maritime des Indes. Aussi les Anglais la convoitaient-ils avidement et dès qu'ils

en eurent l'occasion en 1810, profitant des difficultés créées à Napoléon Ier en Europe, ils

envoyèrent à Port-Louis une armée de douze mille hommes, sous les ordres du général

Abercromby. Ce coup de main fut ratifié par les traités de 1814 et de 1815. L'île de France

resta depuis lors à l'Angleterre, qui la débaptisa pour lui rendre le nom de Maurice

(Mauritius).

1. Jules LECLERCQ, AU pays de Paul et Virginie. (Pion, Nourrit et CieJ.

Page 317: Les Francais en Afrique

290 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX» SIÈCLE

IV

Madagascar est la grande île de l'Océan Indien. La Réunion et Maurice, beaucoup

plus petites, y occupent une importance bien moindre au point de vue économique actuel,

aussi bien qu'au point de vue politique.A côté d'elles figurent quelques satellites français ou anglais. Les premiers sont les

Comores, Mayotte et Nossi-bé. Les seconds : les Amirantes et les Seychelles. Tous ces îlots

plus ou moins étendus ont leurs origines dans l'histoire de notre colonisation. Les Comores

furent reconnues en 1591 par le navigateur anglais Lancaster, mais des marins français les

visitèrent ensuite, et, en 1841, l'une d'elles, Mayotte, fut annexée à notre domaine.

Actuellement, l'archipel des Comores est placé sous la juridiction du gouverneur de

Mayotte et la France entretient dans chacune des îles un résident.

Nossi-bé est située à 240 kilomètres de Mayotte, sur la côte nord-ouest de Mada-

gascar. Cette possession fut acquise à la France en môme temps que Mayotte, en 1841,

par un traité passé entre le roi des Sakalaves et le capitaine Passot. L'administration de

cette île fut rattachée à Diego-Suarez par un décret de 1S88.

Les Seychelles, qui furent ainsi nommées en l'honneur du contrôleur général des

finances sous Louis XV et qui furent colonisées au xvin 0 siècle par les Français, forment

à 1.500 kilomètres au nord de Maurice et à 600 de Madagascar, un groupe de trente îlots

granitiques et volcaniques, entourés de récifs de coraux. Ce groupe dépend de Maurice et de

l'administration anglaise, mais on y retrouve partout les traces de la France.

La Flore de LA RÉUNION.

Collection de l'Office Colonial.)

Page 318: Les Francais en Afrique

DENDE. — ARRIVÉE D'UNE CARAVANE.

(Collection de l'Office Colonial.)

L'EMIR COLONIAL

LAS PALMAS. — CAPITALE DE LA GRANDE CANARIE.

(Gravure extraite des Voyages de Uungo Park.)

Page 319: Les Francais en Afrique

Les trente années de la troisième République ont

singulièrement augmenté notre domaine colonial.

MERLOU.

Quiconque suit attentivement le mouvement colonial

de la France moderne peut se convaincre que les fau-

tes qui caractérisèrent sa politique coloniale dans les

siècles antérieurs ont en grande partie disparu. Les

gouvernements qui se succèdent au pouvoir s'appli-

quent aujourd'hui à adopter des principes de colonisa-

tion bien déterminés, et l'on peut constater que

l'impatience, les résolutions hâtives et irréfléchies, quisemblaient autrefois le propre des Français, là où ils

colonisaient, ne sont plus maintenant que l'exceptionde plus en plus rare.

Alfred ZIJIMERJIANW.

Pas plus qu'aucun peuple de l'Europe nous n'avons

pu rester enfermés dans nos frontières, et c'est en

dehors du vieux continent que nous avons cherché à

nous étendre. Nous avons fondé des colonies; là où la

terre n'était pas libre, nous avons assis notre influence.

Ainsi s'est formé un vaste empire, épars en apparence,solidaire dans toutes ses parties en réalité, qui forme

comme un réseau à mailles ou plus étroites ou pluslarges, mais singulièrement impressionnable, sur

lequel les moindres vibrations se transmettent avecune foudroyante soudaineté.

WALDECK-ROUSSEAU.

Page 320: Les Francais en Afrique

I'AYSAGE DE LA RÉUMON.

(Collection de l'Office Colonial.)

L'AVENIR COLONIAL

i

'EXPANSIONcoloniale est inscrite aujourd'hui dans le programme de toutes les

grandes nations civilisées, et les petites les imitent quand elles en ont l'occasion.On se convainc de plus en plus de la nécessité pour la France d'avoir des

colonies; on veut même qu'elle en ait autant et plus que l'Angleterre.C'est une tendance qui se rattache au mouvement de l'humanité depuis ses premiers

pas à travers les siècles.

L'homme est né égoïste. Son instinct ne lui fait connaître que ce qui lui est personnelou ce qu'il croit utile à sa sauvegarde, à la satisfaction de ses besoins et de ses appétits.D'abord isolé, il a vite compris les avantages de la société et les efforts réciproques pouratteindre le but commun de la colonisation. Trois facteurs principaux ont servi à réaliser

ces desseins : la guerre, le commerce, la civilisation. Celle-ci est le prétexte, de même

que la conquête est le moyen. Les entreprises mercantiles qui favorisent l'égoïsmeconstituent le problème à résoudre.

Toute l'histoire des peuples do l'antiquité se résume dans cette évolution. L'Inde com-

mence par un âge héroïque, les grands Pharaons sont des guerriers, les grands rois de

Perse aussi. Alexandre promène ses phalanges, César ses légions, à travers les contrées.

L'oeuvre des conquérants se poursuit de la même manière que celle des marchands. Ceux-ci

ne se livrent pas aux échanges par esprit de solidarité humaine. Tyr couvre de ses établisse-

ments les côtes de l'Afrique, de la Gaule, de l'Espagne; mais les Tyricns sont avant tout des

pirates. Carthage charge Hannon d'explorer l'Afrique au delà des colonnes d'Hercule, en

même temps qu'Himilcon se dirige vers le nord et visite les rivages de l'Europe occiden-

tale ; mais ces deux périples n'exercent aucune influence sur les relations internationales ni

même sur la science géographique : les Carthaginois ne s'inspirent dans leurs voyages que40

Page 321: Les Francais en Afrique

300

Zoulou.

LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIX" SIÈCLE

des avantages de leur monopole, ils

n'obéissent dans leurs circumnaviga-tions qu'à une pensée ; profiter eux-

mêmes de leurs découvertes et priverles autres peuples des bienfaits que

pourrait leur en procurer la connais-

sance.

II

Les temps modernes n'ont, en règle

générale, pas fourni d'autres exemples.Les Portugais et les Espagnols ne pren-nent possession du Nouveau-Monde

qu'afin d'en tirer des richesses pourétendre leur domination. L'Espagnesurtout fait litière de toute considéra-

tion humanitaire. Plus près de nous,

l'Angleterre n'a pas d'autre Code colo-

nial. La colonie est presque toujours

pour la métropole un capital que l'on

épuise au lieu de le faire fructifier,

quitte à la laisser dépérir quand elle ne

rapporte plus au budget.Tous les gouvernements ont agi de

mémo sous ce rapport et les colonies

françaises ont eu également à souffrir

de ce système. Autrefois, coloniser

signifiait s'établir sur une terre étran-

gère et, du droit de premier occupant,

y travailler à sa fortune par tous les

moyens, sans se soucier de morale ni

d'équité. Les rois donnaient lettres pa-tentes et privilèges à qui les sollicitait

avec quelque protection pour aller

coloniser, et les conséquences de cette

méthode étaient que l'on n'avait comme

colons que des aventuriers qui s'enri-

chissaient le plus vite possible aux

dépens des indigènes et des pays traitésen vaincus. La France en a eu, au

xvne siècle et au xvme, même au nôtre,de nombreux exemples, et pendant

longtemps elle a préparé sa déchéance

coloniale quand tout devait assurer sa

puissance au delà des mers. Nous reve-

Malgachc.

Nubien.

Cafre.

Sénégalais. Soudanais.

Page 322: Les Francais en Afrique

L'AVENIR COLONIAL TOI

nons aujourd'hui à un mode plus sage, mais si l'expérience nous a donné des leçons, noussommes encore loin de les mettre toutes à profit.

C'est ainsi que souvent nous ne tenons pas assez compte de ce que doit réaliser tout

gouvernement qui colonise. Nous ne portons pas, comme il le faudrait, notre attention et

nos efforts sur la mise en oeuvre de l'énergie indigène, et nous la laissons s'affaiblir, alors

Paysage de LA RKLNIOX.

(Collection de l'Office Colonial.)

qu'elle constitue la sève même de la colonie ; nous ne travaillons pas suffisamment à l'amen-

dement du sol et à son enrichissement, afin d'assurer contre toute éventualité l'alimenta-

tion des habitants ; nous ne nous occupons pas assez de la mise en valeur du territoire pourarriver au dégrèvement progressif des imposables ; enfin nous ne propageons pas l'instruc-

tion aussi largement que l'exigent les intérêts coloniaux. En outre, nous multiplions inuti-

lement les rouages administratifs et nous préposons — les cas ne sont pas rares — à ceux-ci

des fonctionnaires qui n'ont pas toujours la compétence, ni les qualités voulues.

Qu'on ne nous reproche pastoutefois de vouloir faire le procèsà notre expansion coloniale. Nous

croyons qu'elle doit et peut riva-

liser avec celle des autres puis-

sances, et nous voudrions que rien

n'y fût à blâmer.

Pour cela, il convient que tout

le monde sache ce qui a été fait

dans le passé, les erreurs qui ont

été commises et dont quelques-Cheminmuletier en Abyssinie. ,

(collectiondescheminsdefer d'Ethiopie.) unes ne sont pas encore réparées.

Page 323: Les Francais en Afrique

302 LES FRANÇAIS EN AFRIQUE AU XIXe SIECLE

Ces leçons rétrospectives doivent éclairer l'avenir; mais elles ne peuvent être profi-tables qu'à la condition de s'intéresser sérieusement au développement colonial, de connaîtrece qu'il faut y entreprendre, quels sont les chemins à y ouvrir, et comment on doit lesutiliser.

La France n'a qu'à prendre conseil d'elle-même à cet égard. Elle ne doit pas renoncerà ses traditions de dévouement à l'humanité, mais tout en condamnant les procédés iniques,devant lesquels d'autres ne reculent pas, elle ne doit pas perdre de >rue ses intérêts. Elle

peut et doit envisager ses propres avantages en n'écoutant que son patriotisme. Elle n'a

pas besoin de se modeler sur l'étranger, comme le lui conseillent ceux qui n'attendent riende son initiative dans les entreprises coloniales. Elle doit rester la France et non devenir une

Angleterre ou une Allemagne.

Construction d'un poste avancé en AfriqucC^e^eWla^'(Collection de l'Office Colonial/ -^

Page 324: Les Francais en Afrique

PAYSAGE AFRICAIN.

(Collection de la Société de Géographie.)

TABLE DES MATIÈRES

Pages

AVANT-PROPOS 1

CnAPiTRE PREMIER. —Le Partage de l'Afrique 3

CHAPITRE II. — Le Maroc 19

CHAPITRE III. — L'Algérie 33

CHAPITRE IV. — La Tunisie 63

CHAPITRE V. — La-ïripolitaine 77

CHAPITRE VI. — Le, Sahara 8.:i

CHAPITRE VII. — Le Soudan 103

CHAPITRE VIII. — Le Sénégal 121

CHAPITRE IX. — La Guinée Française 137

CHAPITRE X. - Le Dahomey et la Côte d'Ivoire . 149

CHAPITRE XI. — Le Congo Français 165

CHAPITRE XII. — L'État Indépendant du Congo 185

CHAPITRE XIII. — Le Cap193

Page 325: Les Francais en Afrique

30't TARLE DES MATIERES

Pages

CHAPITRE XIV. —La Côte Orientale 205

CHAPITRE XV. — Oboclc et la Côte des Somalis 215

CHAPITRE XVI. —L'Abyssinie 225

CHAPITRE XVII. — Le Haut-Nil 239

CHAPITRE XVIII.— L'Egypte 253

CHAPITRE XIX. — Madagascar 271

CHAPITRE XX. — Les Iles de l'Océan Indien C00

L'AVENIR COLONIAL 301

Paysage d'Abyssinie.

(Collection de la Compagnie des chemins de fer d'Ethiopie

Page 326: Les Francais en Afrique

VUE DE LA COTE ORIENTALE D'AFRIQUE.

TABLE DES GRAVURES

Pages

Chemin dans l'oasis de M'eid, près Biskra. FRONTISPICECarte de l'Afrique au xvme siècle (1778) .... vCarte de l'Afrique au xixe siècle (1805) ... viCarte de l'Afrique en 1900 vu

Sénégal. Chemin de fer du Haut-Fleuve .... 1Carte du partage de l'Afrique 1Tirailleurs sénégalais en arrière-garde 3Carte des explorations en Afrique au xix" siècle. 4Dakou, spahis arabe 5René CAILLÉ 6

Type de Marocain 7Jean LADORDE 8

Type de la Côte d'Ivoire 9La Place Jean Laborde à Madagascar 10Jeune Arabe Ouled-Saïd ilFusilier abyssin 12

Type nègre Tunisien 13P. SAVORGNAN DE BRAZZA 14

Type de Malgache 15Embouchure de l'Oribat 16

Une halte au Maroc. — Carte du Maroc. ... 17Cavalier marocain et son servant 19Carte des explorations du Maroc au xixe siècle. 20

Si CHÉRIF ÊP-DIN, cheik des Beni-Zid 21

Maroc. —Vue de la ville à vol d'oiseau. ... 22

Type nègre du Maroc 23

Une rue de Tanger 24

Les derniers rebelles. . \ 25

Type nègre du Maroc 27

Un intérieur de harem. 28

Type de Tanger 29

Vue du Maroc.— L'entrée d'une ville 30

Algérie. —Le Hodna. — Roule de Sélif. — Carte. 31

Alger vu de la mer 33

Carte des explorations de l'Algérie au xixe siècle. 34

Type algérien 35

Constantine. —Vue générale 36

ABD-EL-KADER 34

Puits artésien. — La chèvre des sondages. . . 70

MAC-MAHON 41

Type Franco-Arabe, le Bas-de-cuir de l'Algérie. 44

Pages

Type nègre d'Alger 4gLaghouat 46Les terrasses de Laghouat. . . 48Une mendiante à Alger 50Femme mauresque SIType et costume des femmes de Constantine . 54Arabe nomade 55La Séguia, près de Biskra (Algérie) 56Fillette arabe 57Le Cardinal DE LAVIGERIE 58Juifs d'Oran 59Environs de Batna, arc de triomphe de Timgad. 60Tunisie. — Vue générale du Kief. — Carte . . 61Le Pont de Bizerle 03Carte des explorations de la Tunisie au xix" siècle. 64Femme tunisienne 05Une rue à Djarra el Kebira 60Tunis. — Aqueduc de Zaghouan 67Une rue à Kairouan 68Intérieur tunisien 69Le Dr ANDRÉ, membre de la mission Roudaire. . 71M. ROUDAIRE, chef de la mission 72Le Chef de poste (mission Roudaire) 73Tunisie. — Ruines de Chemlou 74Une rue à Tripoli, Mosquée avec son minaret. . 75Carte de la Tripolitaine 75

Tripoli. — Vue prise de la mer 77

Explorations de la Tripolitaine au xixe siècle. . 78

Tripoli. — Place du Marché 79Une rue à Tripoli 82Sahara. — Arrivée d'une caravane. — Carte . . 83Arabe chargeant un chameau 85Les explorations du Sahara au xix° siècle. . . 86

Targui, type du Sahara 87Le Sahara. — Le Puits de l'Oasis 88Chef Targui, indigène du Sahara 89Sahara. — Une Oasis 90L'arrivée dans l'Oasis 91Le Chasseur du désert 94Chef de Caravane 95Sahara. — Timbouktou 96

Page 327: Les Francais en Afrique

300 TABLE DES GRAVURES

PagesLe chameau du désert 100Arrivée d'une Caravane. — Carte du Soudan. . 101Chemin de fer de Kayes 103

Carte des explorations du Soudan 104

Types soudanais 105, 106, 107, 109

Village d'Aardouakourou 108

Passage et Pêcherie sur le Tan-Hoé 111

AMON, chef du village d'Aby 114Le Soudan. —Kayes 115Musiciens soudanais 118

Dakar. — Carte du Sénégal 119

Sénégal. —Une Réception à Dakar 121

Carie des explorations au Sénégal au xix" siècle. 122

Types sénégalais 123, 121, 125, 127, 129

Sénégal. — Une station de Missionnaires . . . 121»Saint-Louis. — Le pont Faidherbe 128Dakar. — La caserne 130Une caravane au Sénégal. 131

Campement dans la brousse 132

Saint-Louis. — Vue du port 133Un repas sénégalais 134Porte de Maneah-Friguiagbé.

— Guinée française. 135

Conakry.— Place du Marché 137

Explorations de la Guinée au xixe siècle . . . 138Fille Baza de Conakry 139

Conakry.— Boulevard du Gouvernement . . . 140

Olababiano, chef du village 141Marché de Torré 142Guinée. —Case d'indigène 143Guinée. — Pont sur la roule du Niger. . . . 144Case de chef indigène 145

Conakry.— Porteurs indigènes 140

Le fleuve Ouémé à Sagou. — Carie du Dahomey 147

Porto-Novo. — Un coin du petit marché. . . . 149

Dahomey.—Marché de Savalou 150Femme et jeune fille de Ouidah. . . 151, 153Les rois d'Isanhim 152Femmes Mino de Popo 154

BEHANZIN, ex-roi du Dahomey, prisonnier. . . 155Femme Nagat de Porto-Novo 157Kotonou. —

Pirogue de Barre 158Chef de Kilou 159Notable de Bondoukou 100

Type indigène 101Palabre 162

Pirogue du Congo. — Carie du Congo français. 163

Indigènes faisanl l'huile de palme 165

Exploralions du Congo an xixe siècle. ... 160

Types congolais 107, 169, 173, 175La Traite des Arachides 108MAISTIIE 170Femme de Loango . 171

Congo français. — Dans la brousse 172

Marquis DE COMPIÈGNE 174M. LIOTAIID 170

Types congolais 177, 178, 179, 181, 182Un embarquement.

— Carie du Congo 183

Congo belge.—

Village de Monènè-Konako . . 185Explorations au Congo au xix 1' siècle. 186

Types congolais 187. ISS, ÎS'.I, 190Transvaal. — Passage d'un gué. — Carie du Cap. 191Ferme de Riell'onlein. —

Lavage d'or 193

Explorations du Cap au xix 1"siècle. 194Zoulou 195P. KKUGER. — Christian DEWKT. — Général BUIIJA 190Johannisburg. — Hôtel des Postes. 197

Types eal'res 199, 200Types zoulous 201, 202Types du Zanzibar. —

Afrique orirnlale. , . . 203Maison du gouverneur ii Me/.wril 205

Exploralions (le lu Côte orienlale, au xix" siècle. 200Types de la Côle orientale 207, 20SIndigènes du Zambèze et du N'yassaland . .209, 211Paysage de la Côle orientale 212

Papes

Un campement.— Carte de la région d'Obock. . 213

Vue du port d'Obock 215Gare de Djibouti 216

Djibouti.— Prise d'eau 218

Marchand somali. 219

Djibouti.— Le Viaduc de Chébélé 220

Paysage de la Somalie française 222Addis-Abbéba-Guôbi. — Carte de l'Abyssinie. . 223

Groupe d'Abyssins 225Carte des explorations en Abvssinie 220

Types abyssins "... 227,233,235Entoto. — Un chemin en Abyssinie 228

MÉNÉLIK II, empereur d'Ethiopie 229Costume de combat, lancier abyssin 231

Guebra Sellasse. — Officier de l'armée d'Oubié. 232

Village abyssin 234

Paysage abyssin 230

Ruines d'un Temple.—

Région des Grands Lacs 237Navire égyptien remontant le fleuve 239

Explorations des Grands Lacs au xixR siècle. . . 240

Type de Nubienne 241Guerriers nubiens 212

Ilaute-lk'vple.- Le Cbadouf 243

Paysage 'du Haut-Nil 245Bord du Nil au Djezireh 240

Types nubiens 247, 249

Explorations au Haut-Nil au xixe siècle 248

Paysage du'Haul-Nil. 250Les Pyramides.

— Carte de l'Egypte 251Panorama de Port-Saïd. — Vue du Phare. . . 253

Exploralions de l'Egypte au xixe siècle 254Le Caire. — Vue générale 235

Groupe d'Égyptiens. —Environs du Caire. . . 25GFemme nubienne 257Alexandrie.— Le Phare 258Femme du Caire 259Canal de Suez 260Karnak. .— Salle liyposlile et Obélisque. . . . 201

Type d'Egyptienne 203La Grande Sphynge.. 264Femme de la Haute-Egypte 265Notable nubien. . .

"266

Type égyptien 267Anier du Caire 268Le Grand Kabary.

— Carte de Madagascar. . . 269Place Delaborde à Tananarive 271Carte des explorations à Madagascar 272

Malgaches 273, 275Alfred GRANDIDIER 274Tananarive. — Rue des Canons. — Une scène . 276Hovas. — Le roi ISAMBO et sa cour 277Une place de Tananarive 278Le palais d'Emyrne 279

Types malgaches 281, 283La reine RANAVALONE 282Palais de la Reine 284Généraux DUCUESNE et GALLIÉNI 285

Groupe de Malgaches 286

Hôpital malgache. —Caserne. Baraquements. . 287Paysage de Madagascar 288La Réunion. — Saint-Denis. — Carie 289Basaltes de la Rivière des Roches 291La Réunion. — Pilon du Sucre 292La Réunion. — Saint-Paul. . 293Saint-Paul 295La Flore de la Réunion 296Arrivée d'une caravane. — Las l'aimas. .... 297

Paysage île la Réunion 299

Types divers des peuplades d'Afrique 300

Paysage. —Chemin muletier en Abyssinie . . 301Construction d'un poste avancé 302

Paysage; Africain 303

Paysage d'Abyssinie . . —_. . 304Vue delà Côte orientale d'Afrique.< ,.- M; . */ x 305

o. — j. IUUSCIJ, iiiip., 4'-', Av. deQiitillon.

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TABLE DES MATIERESAVANT-PROPOSCHAPITRE PREMIER. - Le Partage de l'AfriqueCHAPITRE II. - Le MarocCHAPITRE III. - L'AlgérieCHAPITRE IV. - La TunisieCHAPITRE V. - La TripolitaineCHAPITRE VI. - Le SaharaCHAPITRE VII. - Le SoudanCHAPITRE VIII. - Le SénégalCHAPITRE IX. - La Guinée FrançaiseCHAPITRE X. - Le Dahomey et la Côte d'IvoireCHAPITRE XI. - Le Congo FrançaisCHAPITRE XII. - L'Etat Indépendant du CongoCHAPITRE XIII. - Le CapCHAPITRE XIV. - La Côte OrientaleCHAPITRE XV. - Obock et la Côte des SomalisCHAPITRE XVI. - L'AbyssinieCHAPITRE XVII. - Le Haut-NilCHAPITRE XVIII. - L'EgypteCHAPITRE XIX. - MadagascarCHAPITRE XX. - Les Iles de l'Océan IndienL'AVENIR COLONIAL

TABLE DES GRAVURESChemin dans l'oasis de M'eid, près Biskra. FRONTISPICECarte de l'Afrique au XVIIIe siècle (1778)Carte de l'Afrique au XIXe siècle (1805)Carte de l'Afrique en 1900Sénégal. Chemin de fer du Haut-FleuveCarte du partage de l'AfriqueTirailleurs sénégalais en arrière-gardeCarte des explorations en Afrique au XIXe siècleDakou, spahis arabeRené CAILLEType de MarocainJean LABORDEType de la Côte d'IvoireLa Place Jean Laborde à MadagascarJeune Arabe Ouled-SaïdFusilier abyssinType nègre TunisienP. SAVORGNAN DE BRAZZAType de MalgacheEmbouchure de l'OribatUne halte au Maroc. - Carte du MarocCavalier marocain et son servantCarte des explorations du Maroc au XIXe siècleSI CHERIF ED-DIN, cheik des Beni-ZidMaroc. - Vue de la ville à vol d'oiseauType nègre du MarocUne rue de TangerLes derniers rebellesType nègre du MarocUn intérieur de haremType de TangerVue du Maroc. - L'entrée d'une villeAlgérie. - Le Hodna. - Route de Sétif. - CarteAlger vu de la merCarte des explorations de l'Algérie au XIXe siècleType algérienConstantine. - Vue généraleABD-EL-KADERPuits artésien. - La chèvre des sondagesMAC-MAHONType Franco-Arabe, le Bas-de-cuir de l'AlgérieType nègre d'AlgerLaghouatLes terrasses de LaghouatUne mendiante à AlgerFemme mauresqueType et costume des femmes de ConstantineArabe nomadeLa Séguia, près de Biskra (Algérie)Fillette arabeLe Cardinal DE LAVIGERIEJuifs d'OranEnvirons de Batna, arc de triomphe de TimgadTunisie. - Vue générale du Kief. - CarteLe Pont de BizerteCarte des explorations de la Tunisie au XIXe siècleFemme tunisienneUne rue à Djarra el KebiraTunis. - Aqueduc de ZaghouanUne rue à KairouanIntérieur tunisienLe Dr ANDRE, membre de la mission RoudaireM. ROUDAIRE, chef de la missionLe Chef de poste (mission Roudaire)Tunisie. - Ruines de ChemtouUne rue à Tripoli, Mosquée avec son minaretCarte de la Tripolitaine

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Tripoli. - Vue prise de la merExplorations de la Tripolitaine au XIXe siècleTripoli. - Place du MarchéUne rue à TripoliSahara. - Arrivée d'une caravane. - CarteArabe chargeant un chameauLes explorations du Sahara au XIXe siècleTargui, type du SaharaLe Sahara. - Le Puits de l'OasisChef Targui, indigène du SaharaSahara. - Une OasisL'arrivée dans l'OasisLe Chasseur du désertChef de CaravaneSahara. - TimbouktouLe chameau du désertArrivée d'une Caravane. - Carte du SoudanChemin de fer de KayesCarte des explorations du SoudanTypes soudanaisVillage d'AardouakourouPassage et Pêcherie sur le Tan-HoéAMON, chef du village d'AbyLe Soudan. - KayesMusiciens soudanaisDakar. - Carte du SénégalSénégal. - Une Réception à DakarCarte des explorations au Sénégal au XIXe siècleTypes sénégalaisSénégal. - Une station de MissionnairesSaint-Louis. - Le pont FaidherbeDakar. - La caserneUne caravane au SénégalCampement dans la brousseSaint-Louis. - Vue du portUn repas sénégalaisPorte de Maneah-Friguiagbé. - Guinée françaiseConakry. - Place du MarchéExplorations de la Guinée au XIXe siècleFille Baza de ConakryConakry. - Boulevard du GouvernementOlababiano, chef du villageMarché de TorréGuinée. - Case d'indigèneGuinée. - Pont sur la route du NigerCase de chef indigèneConakry. - Porteurs indigènesLe fleuve Ouémé à Sagou. - Carte du DahomeyPorto-Novo. - Un coin du petit marchéDahomey. - Marché de SavalouFemme et jeune fille de OuidahLes rois d'IsanhimFemmes Mino de PopoBEHANZIN, ex-roi du Dahomey, prisonnierFemme Nagat de Porto-NovoKotonou. - Pirogue de BarreChef de KitouNotable de BondoukouType indigènePalabrePirogue du Congo. - Carte du Congo françaisIndigènes faisant l'huile de palmeExplorations du Congo au XIXe siècleTypes congolaisLa Traite des ArachidesMAISTREFemme de LoangoCongo français. - Dans la brousseMarquis DE COMPIEGNEM. LIOTARDTypes congolaisUn embarquement. - Carte du CongoCongo belge. - Village de Monènè-KonakoExplorations au Congo au XIXe siècleTypes congolaisTransvaal. - Passage d'un gué. - Carte du CapFerme de Rietfontein. - Lavage d'orExplorations du Cap au XIXe siècleZoulouP. KRUGER. - Christian DEWET. - Général BOTHAJohannisburg. - Hôtel des PostesTypes cafresTypes zoulousTypes du Zanzibar. - Afrique orientaleMaison du gouverneur à MezwritExplorations de la Côte orientale, au XIXe siècleTypes de la Côte orientaleIndigènes du Zambèze et du NyassalandPaysage de la Côte orientaleUn campement. - Carte de la région d'ObockVue du port d'Obock

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Gare de DjiboutiDjibouti. - Prise d'eauMarchand somaliDjibouti. - Le Viaduc de ChébéléPaysage de la Somalie françaiseAddis-Abbéba-Guébi. - Carte de l'AbyssinieGroupe d'AbyssinsCarte des explorations en AbyssinieTypes abyssinsEntoto. - Un chemin en AbyssinieMENELIK II, empereur d'EthiopieCostume de combat, lancier abyssinGuebra Sellassé. - Officier de l'armée d'OubiéVillage abyssinPaysage abyssinRuines d'un Temple. - Région des Grands LacsNavire égyptien remontant le fleuveExplorations des Grands Lacs au XIXe siècleType de NubienneGuerriers nubiensHaute-Egypte. - Le ChadoufPaysage du Haut-NilBord du Nil au DjezirehTypes nubiensExplorations au Haut-Nil au XIXe sièclePaysage du Haut-NilLes Pyramides. - Carte de l'EgyptePanorama de Port-Saïd. - Vue du PhareExplorations de l'Egypte au XIXe siècleLe Caire. - Vue généraleGroupe d'Egyptiens. - Environs du CaireFemme nubienneAlexandrie. - Le PhareFemme du CaireCanal de SuezKarnak. - Salle hypostile et ObélisqueType d'EgyptienneLa Grande SphyngeFemme de la Haute-EgypteNotable nubienType égyptienAnier du CaireLe Grand Kabary. - Carte de MadagascarPlace Delaborde à TananariveCarte des explorations à MadagascarMalgachesAlfred GRANDIDIERTananarive. - Rue des Canons. - Une scèneHovas. - Le roi ISAMBO et sa courUne place de TananariveLe palais d'EmyrneTypes malgachesLa reine RANAVALONEPalais de la ReineGénéraux DUCHESNE et GALLIENIGroupe de MalgachesHôpital malgache. - Caserne. BaraquementsPaysage de MadagascarLa Réunion. - Saint-Denis. - CarteBasaltes de la Rivière des RochesLa Réunion. - Pilon du SucreLa Réunion. - Saint-PaulSaint-PaulLa Flore de la RéunionArrivée d'une caravane. - Las PalmasPaysage de la RéunionTypes divers des peuplades d'AfriquePaysage. - Chemin muletier en AbyssinieConstruction d'un poste avancéPaysage AfricainPaysage d'AbyssinieVue de la Côte orientale d'Afrique