Les normes comptables internationales et la crise financière

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Les normes comptables internationales et la crise financire

Depuis le dbut de la crise financire, les normes comptables internationales, galement appeles normes IFRS, pour International Financial Reporting Standards, et les normes amricaines (US-GAAP), ont t accuses par certains d'tre l'origine de la crise financire, et par d'autres, d'avoir permis de la rvler temps.

Le concept de juste-valeur (ou Fair Value), utilis pour la valorisation des instruments financier fait donc l'objet de nombreux dbats, tel point que c'est avec une rapidit sans prcdent que les deux organismes normalisateurs (IASB et FASB) ont propos un assouplissement de la norme avant de se diriger vers un projet de modification.

I/ Les consquences des normes sur la crise : l'accusation de procyclicit et les dbats sur la juste valeur

Accuses d'tre un acclrateur de crise du fait de leur effet procyclique, voire mme d'en tre la principale cause, les normes comptables internationales ont t fortement critiques, au point de ranimer un dbat plus ancien : celui de la pertinence de l'valuation des actifs la juste valeur.

A/Aux dbuts de la crise : l'accusation de procyclicit et ses consquences

Qu'est-ce que la procyclicit ? L'accentuation des volutions du march.

Sous ce terme, se cache l'une des principales critiques apportes la juste valeur. En priode de croissance, l'un de ses effets serait de gonfler les performances mais en priode de crise, c'est l'inverse qui se produirait La hausse des bourses provoquant de fortes valorisations des actifs, gnrant dimportants profits et des fonds propres supplmentaires, les banques ont pu accorder dimportants crdits. Mais en priode de crise, la revalorisation des actifs la baisse, diminue leurs fonds propres et les oblige augmenter leur capital ou diminuer

les crdits accords afin de respecter le ratio de solvabilit, impos par les rgles prudentielles dites de Ble II.

Bas sur l'hypothse d'un march efficient et non inactif, le concept de juste valeur devient un problme lorsqu'il s'agit d'valuer des actifs qui ne peuvent plus tre cds. Il provoque alors une sorte de cercle vicieux : parce qu'il n'y a plus aucune transparence de l'information, les titres concerns sont cds un prix extrmement bas. Ce prix devient son tour la juste valeur et provoque la comptabilisation de provisions dans les entreprises ou banques, propritaires de titres similaires. Des titres qui n'taient pas destins la vente ont ainsi t cds dans l'urgence, pour viter l'insolvabilit.

Pourtant, l'accusation de procyclicit des normes n'est pas nouvelle. Entre 2000 et 2003, la comptabilit avait dj t accuse d'avoir ce fameux effet procyclique, une poque o le mode d'valuation des actifs, tait le cot historique dans la plupart des pays d'europe.

B/Une remise en cause de la juste-valeur ?

L'effet procyclique des normes a fait ragir pas mal de dtracteurs de la juste valeur. Certains prnaient la suspension de la valorisation la juste valeur, d'autres, le retour au cot historique.

La juste valeur, qui est dfinie par lIASB (International Accounting standards Board), comme le montant pour lequel un actif pourrait tre chang, ou un passif teint, entre des parties bien informes, consentantes, et agissant dans des conditions de concurrence normale, n'a pas que des effets ngatifs.

Elle amliore linformation des investisseurs par une meilleur connaissance des plus et moins values potentielles, et reflte beaucoup mieux que le cot historique, le patrimoine de lentreprise un instant donn.

Parmi ses inconvnients, on peut citer le fait de provoquer dimportantes fluctuations de la valeur des actifs et passifs et de dconnecter le rsultat

des entreprises de leurs activits lorsquelles dtiennent beaucoup dinstruments financiers.

A linverse, le cot historique, plus simple appliquer, est plus constant.

Ce concept de juste valeur, trs critiqu par certains, est tout de mme dfendu par dautres auteurs qui estiment que ce nest pas la juste valeur qui est la cause de la crise financire. Ils vont mme beaucoup plus loin, en estimant que le fait de revenir au cot historique, comme cel avait t fait au Japon (pendant une crise financire, justement), serait une erreur parce que ce retour ne ferait qu'aggraver la dfiance des investisseurs et donc la crise.

Il y aurait ainsi une confusion(1) entre le rle principal de la comptabilit qui est dinformer les tiers sur la situation patrimoniale dune entreprise un moment donn et le rle de lanalyse financire et prudentielle. La comptabilit, mme la juste valeur, ne doit pas prendre le pas sur lanalyse des risques qui pourrait tre faite. Elle ne doit pas non plus dcider de la manire de ragir la diminution des fonds propres dune banque.

Enfin, malgr les critiques, il nen reste pas moins que selon Nicolas Vron(2), il nexiste pas de mthode de remplacement. Aucune mthode existante ne remplit mieux les exigences de pertinence, fiabilit, comparabilit et comprhensibilit, indispensables pour des normes comptables. Certaines donnent trop de liberts aux oprateurs, dautres sont beaucoup moins comparables (cot historique). La seule solution envisageable, serait damliorer encore linformation financire et cest bien en ce sens que les travaux des normalisateurs ont t effectus.

II/ Les consquences de la crise sur les normes

Toutes ces critiques ont eu principalement deux consquences (hormis le fait d'acclrer la convergence entre les normes comptables internationales et les normes amricaines) : Un assouplissement puis un projet de modification des normes en cause.

A/ Des assouplissements d'octobre 2008 ...

La norme IAS 39 prvoit quatre catgories de titres, les deux premires, values au cot amorti et les deux dernires, values la juste valeur :

les prts et crances

les actifs et passifs dtenus jusqu' l'chance

les actifs et passifs disponibles la vente

les actifs et passifs la juste valeur par le rsultat

Le choix entre les diffrentes catgories dpendait uniquement de la nature des instruments financiers concerns et de l'intention de leur propritaire. Transfrer un titre d'une catgorie l'autre ne pouvait se faire que dans des circonstances trs exceptionnelles, lorsque ce n'tait pas purement et simplement interdit.

Mais la pression des banques rencontrant des difficults d'valuation des actifs dans un march inactif, celle des gouvernements sommant les normalisateurs de ragir et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, sont autant de facteurs qui ont conduit l'IASB et le FASB ragir dans l'urgence, au mpris des procdures d'laboration traditionnelle (due process).

Une nouvelle procdure, plus rapide, appele "Fast Track", sera utilise pour permettre aux normalisateurs de ragir.

De ce fait, deux types de mesures seront publies afin de prciser les modalits d'application de la juste valeur aux instruments financiers, en situation exceptionnelle.

L'autorisation de reclassement de certains titres de la catgorie des titres destins la vente (trading book), vers celle des titres dtenus jusqu' l'chance (banking book), permet l'IASB de s'aligner sur son homologue amricain, le FASB. L'argument selon lequel il y aurait une distorsion de concurrence entre banques europennes et banques amricaines est ainsi cart.

Mais ce reclassement reste subordonn au fait que les titres concerns respectent les conditions de comptabilisation de la catgorie d'accueil.

Un titre class dans la catgorie des titres dtenus jusqu' l'chance, ne pourra plus tre cd avant l'chance. La sanction du non respect de cette obligation de conserver les titres est appele "tainting" : la catgorie des titres dtenus jusqu' l'chance ne peut plus tre utilise pendant trois exercices dont celui en cours.

Des clarifications sont apportes, concernant l'application du principe de juste valeur (ou Fair Value), dans le cadre d'un march inactif.

L'IASB donne ainsi la possibilit de calculer la juste valeur en fonction d'un certain nombre de donnes internes, dfinies par le management, sur la base des flux conomiques futurs ou d'un taux d'actualisation, en tenant compte des risques encourus. La valeur des transactions ne sera plus le seul indicateur, ce qui permet d'carter les ventes forces, dont le prix est anormalement bas.

Ce reclassement autoris ds le mois d'octobre et avec effet rtroactif au 1er juillet 2008 pour les reclassements effectus avant le 1er novembre 2008, ne sera pas utilis par les banques franaises(3).

Aprs cette date, tous les reclassements doivront se faire la juste valeur de la date du reclassement.

Ces assouplissements de la norme IAS 39 n'ont pas t jugs suffisants par les gouvernements qui ont continu faire pression sur les deux normalisateurs afin qu'ils repensent leurs normes. Et s'il n'est pas question d'abandonner le principe de la juste valeur, on se dirige tout de mme vers une rforme dont la premire tape, qui concerne IAS39, est annonce pour l't 2009.

B/... Au projet de modification d'IAS 39

Un expos sondage concernant la rvision de la norme IAS 39, sera consultable sur le site de l'IASB, et permettra aux intresss de laisser des commentaires pendant plusieurs mois (jusqu'en dcembre).

Un calendrier en trois phases est donc d'ores et dj prvu, de la modification des catgories d'instruments financiers (pour n'en retenir que deux, ds 2009), la rvision des principes de la comptabilit de couverture, en passant par les instruments de dettes, pour 2010(4)

Parmi les modifications venir, on peut par exemple citer la suppression de l'interdiction du reclassement et celle de la sanction spcifique, le "tainting".

D'ici 2012, toutes les normes touchant aux instruments financiers devraient tre rvises, y compris la norme IFRS 7 concernant les informations donner sur les instruments financiers. Le but de l'IASB est d'assurer une information suffisante des investisseurs, qui sont et resteront, les destinataires privilgis des comptes annuels tablis selon les normes IFRS.

Les normes comptables ont t accuses d'aggraver la situation des banques, et donc la crise financire. Cet article explique par quel mcanisme, ce qu'on appelle l'effet pro-cyclique.

C'est aussi le deuxime article d'une srie qui montre comment la thorie de l'conomie de march explique la crise. Et quelles sont les pistes de rflexion que la thorie peut permettre de trouver, pour viter une nouvelle crise du mme genre (Cf l'article introductif: Le G20 et la politique conomique face la crise ).

Comme pour le prcdent article, Les agences de notation et la crise financire , le problme est l'information. J'ai indiqu dans ce prcdent article que l'information est importante pour le bon fonctionnement de l'conomie de march. Or, qu'est-ce que la comptabilit? Ce sont des informations sur la sant d'une entreprise.

La comptabilit doit permettre un investisseur, un client, un salari, si une entreprise est en bonne sant. Si une entreprise va avoir besoin de nouveaux capitaux. Si l'entreprise fait des pertes. Si elle a les moyens de

se dvelopper. Si elle est rentable. Si elle est en croissance ou en rgression.

On peut croire qu'il est simple de savoir si une entreprise gagne de l'argent ou en perd. La ralit est plus complexe.

Prenons, par exemple, la cas d'une banque. Cette banque achte des actions en bourse. elle achte diffrente sorte de titres financiers. Ces titres financiers, il faut les comptabiliser dans les comptes de la banques. Ils sont comptabiliss au prix d'achat. La banque possde par exemple 10 milliards d'euros de titres financiers. C'est la valeurs qui est inscrites dans les livres de comptes de la banque, dans ce qu'on appelle son bilan.

Si la valeur en bourse de ces titres financiers baisse, que faut-il faire? On peut se dire qu'il n'y a rien faire. La banque ne vend pas ses titres. Quand elle les vendra, la valeur en bourse peut tre remonte.

On peut dire qu'il faut prvoir une perte quand la banque vendra ses titres. Et qu'il faut s'y prparer. Par exemple, la valeur des titres financiers est tombe de 10 milliards 5 milliards. Mais on estime que quand la banque les vendra, la valeur sera remonte 8 milliards. dons, que la banque doit prvoir une perte de 2 milliards. On put donc dire que la banque doit mettre en rserve 2 milliards. Ce sont des provisions.

Le mcanisme des provisions est le suivant; Quand la banque enregistre des provisions, de 2 milliards par exemple, c'est comme si elle enregistrait une perte de deux milliards. Elle diminue son bnfice de ce montant. Cela permet une banque qui fait des bnfices de mettre de l'argent en rserve. Le bnfice est moins lev cause de la provision.

Par contre, quand la banque vendra ses titres financiers, elles fera une perte de 2 milliards, puisque ces titres seront vendus 8 milliards au lieu de 10 milliards. Mais la banque fera ce qu'on appelle une reprise sur provision. C'est dire qu'elle ira chercher les 2 milliards qu'elle a mis en rserve, et qu'elle s'en servira pour effacer la perte du mme montant . D'un ct, son bnfice baisse de deux milliards, cause de la moinsvalue. De l'autre, il augmente de deux milliards, grce la reprise sur provision. Le bnfice ne bouge donc pas.

On peut aussi estimer que la banque doit suivre le cours de la bourse. Donc, si les titres passent de 10 milliards 5 milliards, la banque doit les dprcier de 5 milliards. C'est comme si elle les avait vendus 5 milliards. Elle doit enregistrer une moins value de 5 milliards.

On remarque donc que nous avons trois possibilits diffrentes en matire de comptabilit. Trois mthodes, qui ont des impacts trs diffrents sur les comptes de l'entreprise.

Soit, on ne fait rien quand le prix des titres financiers baisse. Il n'y a aucune perte pour la banque.

Soit, on comptabilise une provision. La perte dpend d'une apprciation sur l'avenir.

Soit, on suit le march. La perte peut tre trs importante. Mme si les titres n'ont pas t vendus. Et mme si la banque n'a pas du tout l'intention de les vendre court terme.

Cette perte entrane des consquences. La banque a un dficit. Elle peut avoir besoin de se recapitaliser. le march s'inquite sur sa sant. elle peut avoir des difficults emprunter de l'argent pour son fonctionnement normal, car le march financier s'inquite de sa sant (rappelons que les banques sont rgulirement obliges d'emprunter, dans le cadre normal de leur activit; cf Le plan du gouvernement contre la crise financire (et explications sur le fonctionnement du crdit bancaire et la cration montaire) ). La banque peut mme faire faillite, ou avoir besoin du soutien de l'Etat.

C'est ce qu'on appelle l'effet pro-cyclique. Une baisse du march financier entrane, du fait des normes comptables, des difficults pour les banques. Les normes comptables accentuent les problmes des banques, qui sont dj en difficults du fait de la chute des marchs financiers.

C'est en effet la troisime mthode de comptabilisation qui a t retenue comme standard international en comptabilit. La valeur de march, la fair value.

Le G20 a propos des assouplissements cette mthode, des amnagements, en particulier pour la comptabilisation des titres "illiquides". Ces derniers sont des titres temporairement invendables, car personne n'en veut. Il n'y a donc pas de valeur de march. Ce sont le titre subprime notamment. Comment les comptabiliser s'il n'y a pas de valeur de march? Mais il n'est pas envisag d'abandonner la valeur de march. Le march est considr comme le meilleur juge pour la comptabilisation des valeurs financires.

On remarque que c'est un choix. Il n'y a pas de vrit absolue. Je reviens ce que j'crivais dans l'article sur les agences de notation: le march a besoin d'une information suffisamment juste et fiable. C'est ce que dit la thorie. dans le cas des banques, il doit pouvoir se faire une opinion sur leur sant. Pour cela, l'information chiffre n'est pas forcment la bonne.

Encore une fois, il y a une volont de tout synthtiser en quelques chiffres. Mais les chiffres ne mesurent que ce qu'on leur demande de mesurer. Dans le cas de la comptabilisation des valeurs financires possdes par une banque, l'important n'est pas forcment la mthode retenue. C'est l'explication.

Par exemple, une banque possde des titres illiquides. Elle peut tre en difficult si elle a un fort besoin de liquidits. C'est dire, si elle a besoin de trouver de l'argent immdiatement, dans le cadre de son activit, pour honorer certains engagements (rembourser un emprunt par exemple). Si elle ne rembourse pas cet emprunt, elle fait faillite. Dans ce

cas, le fait que les titres soient invendables est un grave problme, car la banque ne peut pas en tirer les liquidits dont elle a besoin.

Par contre, si une banque n'a pas d'chance honorer, ne pas pouvoir vendre les titres illiquides n'est pas un problme.

L'information importante, c'est donc dans quelle mesure la perte de valeur des titres financiers est prjudiciable pour la banque.

Ainsi, les normes comptables sont un enjeu cruciale pour l'conomie. Elles dterminent l'information qui est dlivre aux marchs. Cette information oriente l'avenir des entreprises.

NB: L'valuation des actifs a aussi une importance dans une entreprise industrielle. Par exemple, quand un nouveau prsident arrive la tte d'une grande entreprise, celle-ci affiche souvent dans la foules de grosses pertes. Ces pertes n'inquitent personne, car il s'agit de dprciations, de la valeur d'une filiale rachete par l'ancien prsident par exemple. Mais cela n'a aucune incidence sur le fonctionnement de l'entreprise. En effet, ces pertes ne signifient aucunement une sortie d'argent, et l'entreprise a gnralement dans ces cas l suffisamment de liquidits pour fonctionner. De plus, elle peut emprunter sans difficults, car les marchs savent que les pertes soldent le pass, et n'ont pas d'incidence sur l'avenir.

La comptabilit a-t-elle un rle dans la crise financire ? Prsupposs et ralits

par Samira DEMARIA, Docteur en Sciences de Gestion

mercredi 18 mars 2009

Le monde de la finance a perdu pied, lEldorado des traders et des investisseurs vacille et la plante entire en subit les consquences. La crise immobilire amricaine qui a dbut en 2007 sest propage lensemble des marchs mondialiss mettant mal toutes les croyances et pratiques financires.

Qui dit crise de la finance, dit aussi remise en question de son langage : la comptabilit.

Ainsi au fur et mesure que la crise sest amplifie, on a vu des critiques slever contre les rgles comptables, en particulier les normes comptables internationales (les normes IAS/IFRS (1) publies lIASB) qui vhiculent le principe de la juste valeur. Cette dernire offre au lecteur des comptes un clairage nouveau et plus conomique que les mthodes traditionnelles en valorisant certains actifs et passifs leur valeur de march (2).

Lvaluation la juste valeur est au centre de nombreux dbats entre partisans et opposants dune conception anglo-saxonne de la comptabilit. Ses dtracteurs y voient la porte ouverte aux valuations potentiellement biaises et lintroduction de la volatilit (3) dans les tats financiers des firmes. En octobre 2008 le prsident Nicolas Sarkozy, sexprimant au nom de lEurogroupe, a affirm que les normes IAS/IFRS avaient une part de responsabilit dans la situation financire mondiale et quil tait urgent de les amender.

Quen est-il rellement du rle des normes comptables dans la dbcle financire mondiale ? Ne chercherait-on pas un responsable pour expliquer lincapacit des dirigeants enrayer une crise profonde ? Ou bien la juste valeur est-elle un engrenage vertueux qui accentue les effets de la crise ?

Pour comprendre les enjeux du problme, nous allons dans un premier temps tablir une brve chronologie de la crise financire, puis nous verrons quels sont les effets de la juste valeur sur le cycle de la crise et enfin pour terminer, nous verrons quau-del de la comptabilit cest le systme financier qui est revoir.

Des tats-Unis au reste du monde

Lpicentre du sisme financier mondial se situe aux tats-Unis avec leffondrement de lactivit des crdits immobiliers dits subprimes. Limbrication du systme financier mondial a entran une raction en chane. Le reflux du march immobilier amricain a provoqu la faillite dorganismes de crdit peu regardant quant la qualit de leurs clients. Ces socits de crdit avaient morcel leurs crances en produits financiers complexes et risqus distribus, directement ou indirectement, quasiment toutes les institutions financires de la plante. La crainte

suscite par ces produits risque a engendr une crise de confiance conduisant un vent de panique sur les marchs boursiers. La persistance de la crise boursire et son aggravation ont entran une baisse de la valeur des portefeuilles et de la capitalisation des firmes, suivies par une baisse de la consommation ce qui a eu par voie de consquence, un impact ngatif sur lactivit conomique. Au fil des mois nous sommes passs dune crise immobilire localise une crise globale du systme financier et industriel.

Le schma suivant illustre la chronologie des vnements majeurs de la crise financire.

La juste valeur : le bouc missaire comptable ?

Les normes comptables internationales accordent une prdominance la valeur conomique de la firme sur sa valeur patrimoniale, cest pour cela quelles proposent de manire rcurrente lapplication de la juste valeur comme mthode dvaluation des actifs et des passifs. Tant que les marchs sont liquides, cest--dire que les actifs et passifs sont facilement et rapidement changeables sur le march, lapplication de la juste valeur ne pose pas de difficult. En revanche, dans une situation dilliquidit, la dtermination de la juste valeur devient critique.

La dgradation de la situation financire mondiale a entran une crise de lvaluation des actifs et passifs financiers, en particulier ceux dtenus en grande quantit par les banques. En effet, les tablissements financiers ont d revoir la baisse la valeur de leurs portefeuilles contribuant ainsi aggraver un peu plus le sentiment de dfiance.

En priode de crise, la juste valeur ne reprsente plus la ralit conomique mais les alas du march. Ainsi, les normes comptables ont mis jour les difficults des banques et ont donn aux actionnaires et investisseurs une vision en temps rel de la dgradation de la situation financire. Pour MULLENBACH (4) alors que lvaluation des actifs la juste valeur tait prsente par ses promoteurs comme une garantie de transparence, le constat actuel est que les tablissements financiers se mfient les uns des autres et nont quune confiance relative dans le niveau des dprciations de portefeuilles constates par leurs concurrents .

La crise financire a remis en lumire les critiques adresses aux normes comptables internationales quant la volatilit potentielle que pourrait engendrer la juste valeur sur les comptes. Dailleurs, les dirigeants des grandes banques europennes ont point du doigt les risques de contagion et daggravation de la crise causs par le changement de rfrentiel comptable. Interrog ce sujet, Sir David TWEEDIE (prsident de lIASB) rcuse la place de la juste valeur dans la crise financire (5) ; selon lui, plutt que de remettre en cause les normes IFRS il faut se poser les vraies questions : les entreprises touches ont-elle correctement contrl leurs risques ? Les investisseurs avaient-ils la moindre ide de ce quils achetaient ? .

Tenant la mme position, Philippe DANJOU et Gilbert GLARD5 (Membres franais de lIASB) estiment que la juste valeur nest pas coupable dans la crise des subprimes. Comme le note VERON (6), la culpabilit des normes vhiculant la juste valeur repose sur leur caractre procyclique, cest-dire sur laccentuation des phases dexpansion et de rcession conomiques. Autrement dit quand tout va bien, la juste valeur accrot limpression de cration de valeur mais quand les marchs se resserrent, la juste valeur acclre le processus de chute.

Aujourdhui, les normes comptables restent au centre des dbats, ainsi lune des conclusions de la runion de crise de lEurogroupe, du 12 octobre 2008, repose sur linadaptation des rgles comptables vis--vis du systme financier. Face aux critiques, lIASB a, dans lurgence le 13 octobre 2008, propos un amendement permettant de reclasser certains instruments financiers devenus illiquides du fait de la crise conduisant ainsi un abandon partiel de la juste valeur.

Malgr tout, changer la mthode dvaluation de certains actifs et passifs, ne permettra pas de cacher comptablement les effets de la crise, puisque les groupes seront toujours dans lobligation de comptabiliser des provisions. Ces dernires mettront en lumire, moins rapidement, les effets de la crise sur les tats financiers.

Changer les rgles comptables : est-ce la solution ?

On peut sinterroger sur les effets dune comptabilit gomtrie variable : quand tout va bien on utilise la juste valeur et quand tout va mal on

labandonne. Cette situation rvle une pitre image de la comptabilit qui se voit attribuer la responsabilit de la crise financire, alors quelle nest quun instrument de mesure. Par ailleurs le changement de rgle en priode de crise aige peut-il suffire rassurer les marchs financiers ? Ou au contraire cela ne risque-t-il pas damoindrir un peu plus la confiance accorde linformation financire ? Il faudra attendre les publications des rsultats annuels pour lexercice 2008 (au printemps 2009) pour juger des effets de ce changement comptable.

Mais les premires annonces effectues semblent montrer que, juste valeur ou non, la crise ne sattnue pas. En bref, linstar dAlexandre COUNIS (7), on peut se demander si modifier les normes comptables ne revient pas proposer des marchs financiers - souvent accuss de myopie - de changer de lunettes ?

Le commissaire europen Charlie McCreevy vient de lancer une rforme des normes comptables internationales rclame par les banques depuis le dbut de la crise. Au centre des critiques, la comptabilit juste valeur , qui oblige les entreprises cotes en Bourse reconnatre dans leur comptes trimestriels toutes les pertes potentielles des titres qu'elles dtiennent. Explication.

Depuis un certain temps dj, la crise financire conduit certains acteurs dnoncer le rle de la comptabilit en juste valeur (*) impose par les principales normes comptables utilises par les socits cotes travers le monde, savoir les normes US Generally Accepted Accounting Principles (US GAAP) aux Etats-Unis et les International Financial Reporting Standards (IFRS) en Europe. Des dirigeants de premier plan comme Martin Sullivan, PDG du gant amricain de l'assurance AIG (remerci depuis par ses administrateurs), et Henri de Castries, PDG d'Axa, ont point du doigt la juste valeur comme facteur central de la crise.

Les critiques de la comptabilit en juste valeur portent principalement sur deux problmes : l'illiquidit (comment valoriser au bilan des instruments financiers sur lesquels il n'y a pas ou peu de transactions) et la procyclicit (quand les normes contribuent accentuer les volutions du march). IFRS et US GAAP proposent une dfinition de la juste valeur d'un instrument financier trois niveaux : celle-ci correspond un prix de march observable ou, en cas d'absence de celui-ci, au prix de march observable d'un produit similaire, ou encore, lorsqu'on ne se trouve dans aucun des deux cas prcdents, au rsultat d'un modle d'valuation financire. Or, pour les produits complexes issus de la titrisation (*) d'actifs tels que des prts immobiliers, qui ont t au cur de la crise financire, les conditions de march sont marques depuis aot 2007 par un fort dsquilibre entre l'offre et la demande.

Selon l'argument de l'illiquidit, leurs prix ne reflteraient plus la valeur intrinsque des titres, dfinie comme leur potentiel gnrer des revenus futurs. La notion de juste valeur contraindrait alors les banques enregistrer une baisse de la valeur des titres qu'elles dtiennent qui ne serait pas justifie par les fondamentaux conomiques, entranant une baisse correspondante du cours de leurs actions. Afin de maintenir leurs ratios de solvabilit (*) , elles seraient obliges d'accrotre leur capital au dtriment des actionnaires existants, ou bien de restreindre leurs prts au risque d'engendrer un effet dpressif sur l'conomie.

L'argument de la procyclicit a une porte plus large: l'ide mme que les prix de march constitueraient la meilleure indication possible de la valeur d'un titre financier serait discutable, parce qu'elle renforce la solidit apparente des bilans bancaires au plus haut du cycle conomique et la rduit de la mme manire en bas de cycle.

Ceux qui dfendent ces arguments font gnralement rfrence aux travaux de recherche qui suggrent que les marchs sont souvent imparfaits, en temps normal et encore plus lorsque se produisent des bulles spculatives, notamment cause des asymtries d'information entre agents conomiques. En accordant trop d'importance aux marchs, les normes comptables seraient donc coupables d'accentuer les phases d'expansion et de rcession conomiques.

Les difficults auxquelles se rfrent ces deux critiques sont bien relles. Mais les solutions proposes - modifier les normes actuelles temporairement ou dfinitivement afin de limiter la porte de la comptabilit en juste valeur - restent peu convaincantes. S'il est facile d'identifier les dfauts de la juste valeur, il est moins vident de proposer une mthode alternative qui remplirait mieux les exigences de pertinence, de fiabilit, de comparaison et de comprhension indispensables pour des normes de comptabilit financire. En particulier, la rfrence des prix historiques (*), souvent voqus dans ce dbat, apporterait une information moins comparable et moins pertinente.

3.2 La procyclicit des normes comptables Sur le plan comptable, leffet procyclique serait notamment li lobligation des banques de comptabiliser la juste valeur ( fair value ) leurs actifs. Ce principe de comptabilisation a permis aux banques denregistrer immdiatement des plus-values latentes croissantes issues de leur portefeuille de ngociation dinstruments financiers et donc une augmentation de leurs fonds propres parfois qualifie de factice. Symtriquement, la crise financire a contraint les banques comptabiliser dimportantes provisions pour dprciation et des pertes. Pour Dominique Lacoue-Labarthe, les normes comptables amplifieraient la financiarisation de lconomie plutt quelles ne la contiendraient, accrotraient la volatilit des revenus, entraneraient un lissage des chocs intemporels, affaibliraient la discipline de march et seraient lorigine dune fiabilit limite des estimations de probabilit de dfaut .

Si le principe de comptabilisation la juste valeur a une incidence indniable en termes de volatilit financire et damplification des cycles,

il ne faut pas pour autant dsigner les normes comptables comme principales responsables de la crise.

4. Les rponses apportes la procyclicit

4.1 La rponse prudentielle de Ble III Dans son document intitul Basel III: A global framework for more resilient banks and banking systems de dcembre 2010, le comit de Ble a introduit certaines mesures visant rduire les effets procycliques et qui sinscrivent dans une dmarche macro-prudentielle. Elles doivent se concrtiser par la constitution : dun volant de conservation de 2,5% destin inciter les banques constituer des coussins de capital quelles pourront mobiliser pour absorber les pertes en priode de crise sans descendre en de des exigences minimales. Pour donner un caractre contraignant cette disposition, il est prvu que les banques qui ne la respectent pas se voient limites dans la distribution des bonus et des dividendes. dun volant contra-cyclique qui se situera entre 0 et 2,5%. Ce volant sera constitu durant les priodes de rapide expansion du crdit si, de lavis des autorits nationales, le taux de croissance du crdit exacerbe le risque systmique. Inversement, ce volant pourra tre utilis en cas de repli, pour rduire les risques par exemple dune contraction du crdit imputable aux exigences rglementaires en fonds propres.

4.2 La rponse apporte par lInternational Accounting Standards Board (IABS) Dans le cadre de la rvision globale de la norme IFRS 9, lIABS a propos une modification des rgles de dprciation des actifs financiers consistant faire voluer le modle de dprciation actuel fond sur le principe des pertes avres vers un modle de pertes estimes plus prospectif, cest--dire vers un modle de pertes attendues. Cette volution devrait apporter des rponses aux problmes de procyclicit.