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Tout savoir sur les plantes qui deviennent des drogues pavot coca, cannabis, peyotl, khat, psilocybe, ...

Les Plantes Qui Deviennent Des Drogues (Cannabis.peyotl.ayahuasca.iboga.lsd.Pavot.cocaine)

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Les Plantes Qui Deviennent Des Drogues (Cannabis.peyotl.ayahuasca.iboga.lsd.Pavot.cocaine)

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  • Tout savoir sur les plantes qui deviennent

    des drogues pavot coca, cannabis, peyotl, khat, psilocybe, ...

  • Les plantes qui deviennent

    des drogues

  • ditions Favre Sige social 29, rue de Bourg- CH-1002 Lausanne Tl.: 021 312 17 17 - Fax: 021 320 50 59 e-mail : [email protected] Bureau de Paris 12, rue Duguay-Trouin- F-75006 Paris Tl. et Fax : 01 42 22 01 90 Dpt lgal en Suisse en avril 2002. Tous droits rservs pour tous pays. Toute reproduction, mme partielle , par tous procds, y compris la photocopie est interdite . ISBN : 2-8289-0686-8 2002 by ditions Favre SA, Lausanne Couverture : JPPiantanida , MGraphic Photos : toutes les illustrations proviennent d'une collection de photographies de l'auteur.

  • Prof. K. Hostettmann

    Les plantes qui deviennent

    des drogues

    FAVRE

  • Dans la mme collection, entre autres :

    Tout savoir sur les plantes mdicinales des montagnes, Prof. K. Hostettmann.

    Tout savoir sur le pouvoir des plantes, sources de mdicaments, Prof. K. Hostettmann.

    Tout savoir sur les aphrodisiaques naturels, Prof. K. Hostettmann.

    Tout savoir sur la voix, Dr M.-L. Dutoit-Marco.

    Tout savoir sur le cancer, Dr Ph. Lagarde.

    Tout savoir sur le dopage, Dr Michel Bourgat.

    Tout savoir sur l'rotisme, Dr Georges Abraham.

    Tout savoir sur l'art-thrapie, Prof. Richard Forestier.

    Tout savoir sur la dittique gastronomique, Dr Agns Amsellen.

    Tout savoir sur les vertus du vin, Corinne Pezard.

    Tout savoir sur les traitements antivieillissement, Prof. J . Proust.

    Tout savoir sur votre criture, Ren Vaucher.

    Tout savoir sur les progrs du laser en esthtique, Dr B. Hayot.

    Tout savoir sur le gnie gntique, Ph. Gay et J. Neirynck. Tout savoir sur le pied,

    Roselyne Landsberg.

    Tout savoir sur le maquillage permanent, E. Habnit.

  • Avant-propos

    Aussi loin que l'on puisse remonter dans l'histoire, l'homme a cherch dans les plantes sa nourriture, mais aussi ses remdes. Au cours des sicles, il a appris ses dpens discerner les plantes toxiques des plantes comestibles et des espces bnfiques pour sa sant. Le savoir ainsi accumul s'est transmis de gnration gnra-tion sur tous les continents. Dans sa qute de nouvelles sources d'ali-ments, l'homme a aussi fait la connaissance d'espces vgtales agis-sant sur son esprit, son psychisme, lui donnant l'impression d'avoir reu des forces surnaturelles ou des dons lui permettant d'entrer en communication avec les dieux. Ces plantes qui agissent sur le cerveau et par consquent sur le psychisme (plantes psychotropes) ont trs vite fascin l'homme. Elles lui permettaient de se surpasser et d'chapper pour un moment la vie et la misre quotidienne, mais les rves sont courts. Et le retour sur terre est d'autant plus brutal ! Alors l'homme a envie de recommencer et de vivre nouveau cette exprience. Cette envie de recommencer peut devenir irrsistible. On appelle drogues ou stupfiants les substances psychotropes qui engendrent la dpendance, l'accoutumance et la toxicomanie. Ce dernier terme dsigne

  • par la consommation de drogues, de nombreux gouvernements ont fix une liste des substances classes comme stupfiants, dont la pr-paration, la mise sur le march et la consommation sont interdites.

    Dans le prsent livre, les plantes et leurs principaux constituants psychotropes interdits par la loi sont traits d'une manire scientifique et historique. Mais pas seulement les plantes, mais aussi les cham-pignons hallucinognes qui ont un pass fascinant puisqu'ils taient vnrs par les Aztques et les Mayas bien avant 1' arrive des conqu-rants espagnols en Amrique centrale au XVI sicle. Au milieu de ce sicle, les nouveaux matres interdirent aux Indiens l'utilisation de ces champignons. Cette premire interdiction n'empcha pas le culte de ces champignons de perdurer et vers la fin du XX sicle, le nombre d'adeptes de psilocybes et d'autres espces hallucinognes n'a jamais t aussi grand et atteint plusieurs millions dans le monde. Le 24 janvier 2002, en Suisse, l'Office fdral de la sant publique (OFSP) et Swissmedic, Institut suisse des produits thrapeutiques ont fait le com-muniqu de presse suivant :

    Mesures contre les drogues dangereuses pour la sant

    La consommation de certaines drogues telles que le GHB1 et les champignons hallucinognes reprsente un grand danger dans les soi-res. En consquence, l'OFSP a complt la liste des substances pro-hibes ou strictement contrles, en y faisant notamment figurer le GHB, les champignons hallucinognes et le cactus peyotl. La mesure est entre en vigueur le 31 dcembre 2001 .

    Cette nouvelle interdiction montre la grande actualit du sujet un moment o la presse relate presque quotidiennement des vnements lis au cannabis, sa possible dpnalisation, l'emprisonnement de ceux qui produisent un chanvre avec une teneur trop leve en THC. Cette plante, que nos anctres les plus loigns utilisaient pour ses fibres dans la fabrication des cordes, est devenue au dbut du III" mill-naire la drogue interdite la plus consomme dans le monde.

    Le lecteur qui n'a pas de formation scientifique ou mdicale tr-buchera parfois sur un terme qu'il ne connat pas, mais cela ne l'em-pchera nullement de comprendre le message contenu dans ce livre, dont la lecture est facilite par de nombreuses anecdotes historiques. Il est important de mieux connatre les drogues pour valuer les risques engendrs par leur consommation.

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  • Je tiens remercier le 0' Christian Terreaux pour l'aide apporte dans la recherche de nombreux documents et pour la lecture critique du manuscrit, ainsi qu' Chantal Terreaux pour la saisie de ce dernier. Enfin, mes remerciements s 'adressent aussi mon pouse Maryse pour ses encouragements et son aide dans la prparation du manuscrit.

    Lausanne, fvrier 2002 Prof. K. Hostettmann

    1 GHB = acide gamma-hydroxybutyrique, un produit de synthse appel aussi Liquid Ecstasy.

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  • Introduction

    Les plantes psychotropes sont trs nombreuses et loin d'avoir livr tous leurs secrets. Parmi celles qui sont connues et bien docu-mentes, un certain nombre a t plac par les ministres de la Sant ou autres organismes d'tat responsables de la Sant publique sur la liste des drogues prohibes. Malgr ces interdictions, la consommation de drogues est en nette augmentation dans le monde. Ainsi, le canna-bis reste malgr tout la drogue interdite la plus consomme dans le monde. On estime qu'en Suisse 500 000 personnes consomment occasionnellement ou rgulirement du cannabis. En France, ce chiffre est de l'ordre de 5 7 millions de personnes. Les drogues ont suscit depuis toujours et elles continueront susciter de nombreuses passions pendant les annes venir. Certains considrent les drogues, qu'elles soient d'origine vgtale ou issues de la chimie de synthse, comme un moyen prcieux pour accder des niveaux de conscience suprieure, de se surpasser et aussi de fuir la ralit du prsent, de rompre le triste droulement du quotidien et d'oublier, ne fut-ce que pour un instant, la misre de la vie quotidienne. Notre but n'est pas de faire une apologie des drogues et de leurs effets, bien au contraire. Le but n'est pas non plus d'tre moralisateur, mais de prsenter le cheminement historique d'une plante, de son usage traditionnel la dcouverte de ses constituants psychotropes. Le mot drogue fait peur et juste titre lorsque l'accoutumance est induite par la consommation de plantes ou de ses difficults et les conditions misrables de leur existence. Des uvres littraires, musicales ou picturales ont aussi t ralises sous l'emprise de drogues. D'autres considrent les drogues comme des substances magiques conduisant l'tre humain la dchance, comme des ennemis de l'individu et de la socit, comme responsables de l'augmentation de la criminalit et qu'il faut par consquent les radi-quer de la plante tout prix. Ni les uns, ni les autres ne dtiennent la vrit. La drogue peut devenir un vrai flau et le nombre de personnes qui ont eu leur vie dtruite par sa consommation est immense. Mais il

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  • y a des flaux qui ont engendr autant de dgts et de souffrances que les drogues prohibes, savoir l'alcool en premier lieu et aussi le tabac, qui peuvent provoquer eux aussi une dpendance. Il faut encore citer les stimulants d'origine naturelle comme les plantes qui contiennent la cafine, savoir le caf, le th, la noix de cola, le mat ou encore le guarana. Les accros du caf vont jusqu' siroter une dizaine ou mme plus de tasses par jour et les accros du mat ne peuvent plus s'en passer en Uruguay, en Argentine ou dans d'autres pays d'Amrique latine. Pour certains, mme le chocolat peut devenir une drogue. Mais le caf et le chocolat n'engendrent que des petits problmes de sant qui ne sont en aucun cas comparables ceux produits par les stupfiants.

    Dans ce livre, ce sont les drogues prohibes qui ont t traites avec quelques plantes psychotropes importantes comme par exemple certaines espces de la famille Solanaceae qui font beaucoup parler d'elles depuis quelques annes.

    Les stupfiants (drogues) d'origine naturelle dont la prparation, la mise sur le march et la consommation sont interdites sont les sui-vants : - le cannabis, sa rsine et ses constituants psycho-actifs (THC) - le coca, ses feuilles et ses constituants (cocane, ecgonine) - le pavot, son concentr de paille, l'opium, la morphine, l'hrone,

    etc. - le khat, ses feuilles et ses constituants (cathinone) - le cactus peyotl et le cactus de San Pedro et leur constituant

    (mescaline) - les champignons hallucinognes des genres Psilocybe, Conocybe,

    Panaeolus et Stropharia et leurs constituants psychotropes (psilocine et psilocybine)

    - l'ibogane, un alcalode psychotrope isol d'espces africaines du genre !baga.

    Bien que le LSD ou dithylamide de l'acide lysergique, interdit dans la plupart des pays, ne soit pas un produit naturel, nous l'avons inclus dans ce livre tant donn qu'il drive d'un constituant de l'ergot de seigle, un champignon qui parasite cette crale.

    Dans cet essai, nous avons voulu montrer le rle important jou par les plantes psychotropes dans l'histoire des civilisations anciennes jusqu' notre propre civilisation. La dmarche qui a conduit de l'usage

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  • traditionnel, des sicles en arrire, jusqu' l'identification des substan-ces actives et de leurs proprits pharmacologiques est simplement fascinante. Les plantes peuvent tuer ou gurir, tout dpend de la dose, comme 1' a si bien dit Teophrastus Bombastus von Hohenheim (1493-1541), alchimiste et mdecin suisse, plus connu sous le nom de Paracelse : Tout remde est un poison, aucun n'en est exempt. Tout est question de dosage .

    Ce principe est plus que jamais de grande actualit une poque o beaucoup de personnes pensent que tout ce qui est naturel est for-cment bon. Ces personnes oublient que les poisons les plus violents et les drogues se trouvent aussi dans la Nature. Ces dernires ont fas-cin l'homme depuis le dbut de son histoire et elles continueront encore de le fasciner pendant des sicles. En effet, sur les quelque 400 000 plantes qui existent sur la Terre, environ 10 % ont t tu-dies sur les plans phytochimiques et pharmacologiques. Parions que parmi les espces qui restent investiguer, certaines vont dvoiler des proprits psychotropes puissantes et encore inconnues. Mais cessons de rver et apprenons connatre celles qui nous entourent et qui sont accessibles.

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  • Les plantes qui deviennent des drogues

    Du cannabis au THC Depuis les temps les plus reculs, l'homme a utilis les fibres du

    chanvre pour en faire des cordes et des ficelles. C'est peut-tre l'une des premires plantes cultives par l'homme car des vidences archo-logiques montrent que vers 8000 ans avant J . -C., dans le territoire de l'actuelle Turquie, le chanvre faisait partie de l'agriculture primitive de cette poque (Clarke, 2000). On utilisait alors les fibres de cette plan-te pour en faire des habits, des rcipients divers et surtout les cordages indispensables la navigation. D'autres indices archologiques font remonter l'utilisation des graines de chanvre dans l'alimentation humaine sous forme d'huile en Chine environ 6000 ans avant J.-C.

    Le nom scientifique du chanvre est Cannabis sativa L. qui appar-tient la famille Cannabaceae. Dans cette famille botanique, on trou-ve une autre plante bien connue, le houblon ou Humulus lupulus L. , utilis non seulement pour aromatiser la bire, mais aussi pour ses pro-prits sdatives. De plus, le houblon contient des flavonodes aux pro-prits strogniques. Sur le plan botanique, les Cannabaces sont assez proches des Urticaces, dont le principal reprsentant est l'ortie ou Urtica dioica L. remarquer qu'il n 'est donc pas tonnant que les feuilles du chanvre prsentent une certaine ressemblance avec celles de l'ortie. La taxonomie du chanvre a t l'objet de nombreux dsac-cords : certains spcialistes en ont fait diverses espces, sous-espces et varits. Le clbre botaniste genevois Augustin Pyrame de Candolle (1778-1841), auteur de la Thorie lmentaire de la botanique publie en 1813, s 'intressa la classification du chanvre et distingua une dizaine de sous-espces et varits, dont Cannabis sativa ssp. indica et Cannabis sativa var. indica. Pendant longtemps, l'appellation Cannabis sativa fut donne au chanvre fibres , pauvre en substance active appele THC, et l'appellation Cannabis sativa var. indica au chanvre rsine riche en THC. Cette dernire varit est plus connue sous le nom de chanvre indien ou chanvre drogue. Il est cependant pratiquement impossible de distinguer ces deux types de chanvre par des critres morphologiques. Actuellement, on parle plutt de races chimiques (en anglais chemotypes) car le seul moyen de les diffrencier est de dterminer quantitativement la teneur en THC. Cette teneur dpend de facteurs endognes, mais aussi de facteurs exognes comme par exemple, la composition du sol, l'ensoleillement, le moment de la rcolte. Il est bien connu qu'un

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  • Du cannabis au THC

    chanvre qui pousse dans un pot sur un balcon peu ensoleill sera nettement moins riche en THC qu'une plante poussant en pleine nature un endroit bien expos au soleil. Dans ces conditions, la plante peut atteindre une hauteur de 2 4 mtres.

    De l'utilisation traditionnelle du chanvre De nombreux rcits historiques attestent de l'utilisation du

    chanvre en mdecine. La plante est probablement originaire de l'Asie centrale, puis a t transporte en Chine et en Inde pour aboutir en Europe. Cependant, des graines de Cannabis sativa furent trouves dans des tombes de l'poque nolithique en Allemagne, dont l'ge est estim 5500 ans avant J.-C. Mais leur rle exact n'est pas connu. Des textes chinois datant d'environ 1500 ans avant J.-C. mentionnent l'emploi du chanvre dans le traitement des douleurs rhumatismales, des maux de tte et de bien d'autres affections. En Inde, on l'utilisait pour ses proprits excitantes et des textes en sanscrit crits entre 2000 et 1400 avant J. -C. le mentionnent sous le nom de bhang considr comme l'herbe sacre. Plus tard, dans ce pays, dans le systme de mdecine ayurvdique, le cannabis fut utilis pour le traitement des maux de tte d'origine nvralgique et de la migraine. Selon l'historien grec Hrodote (484-420 avant J.-C.), ce sont les Scythes qui introdui-sirent le chanvre dans la rgion mditerranenne avant la guerre de

    Cannabis sativa L.

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    Troie au XIII sicle avant J. -C. Ces redoutables guerriers qui ravag-rent de nombreux pays du Proche-Orient avaient l'habitude d'inhaler la fume obtenue en dposant des graines de chanvre sur les cailloux ou ardoises chauffs au rouge vif (Girre, 1997). Selon Mann (1996), peu aprs l'inhalation, les Scythes ravis crirent de joie '' et deve-naient alors plus aptes au combat. De rcentes preuves archologiques semblent prouver l'existence de cette pratique qui n 'a pas disparu de nos jours. En effet, rcemment, l'auteur du prsent livre a t sollicit par un avocat pour raliser l'identification de graines et de rsidus de feuilles d'une plante. Le client de cet avocat, en instance de divorce, se battait pour obtenir la garde de son enfant g de 18 mois. Il avait observ plusieurs reprises que son pouse, d'origine nord-africaine, mettait les graines et les feuilles de cette plante sur une plaque chauf-fe au rouge de la cuisinire lectrique. L'enfant tait maintenu pen-dant plusieurs minutes au-dessus de la plaque et forc de respirer la fume ainsi dgage. Trs rapidement, celui-ci tombait dans une profonde lthargie et sa maman n 'avait plus besoin de s'occuper de lui. L'analyse microscopique et phytochimique rvla que la plante n 'tait rien d'autre que Cannabis sativa L. avec une teneur leve en THC. La garde de 1' enfant fut attribue au pre ...

    Le chanvre tait aussi connu dans l'gypte ancienne o il tait administr aux patients pour diverses indications sous forme orale, par voie anale et vaginale, ainsi que par fumigation (Russo, 2001). Des

    Graines de chanvre

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  • Du cannabis au THC

    rsidus de cannabis furent trouvs par exemple dans la tombe du pha-raon Ramss II (1304-1236 avant J.-C.). Dioscoride (!"'sicle aprs J.-C.), auteur du clbre trait sur les plantes mdicinales De Materia Medica, dcrit les proprits analgsiques du cannabis. Des prescrip-tions base de chanvre furent labores par Galien (131-201), pre de la pharmacie. Les mdecins du Moyen ge en Europe se sont inspi-rs des recettes de Galien. Au XII" sicle, la clbre abbesse et guris-seuse allemande Hildegard von Bingen (1098-1179) a crit dans son livre intitul Physica : "Celui qui a un cerveau vide et des maux de tte peut manger le cannabis et ses maux de tte seront attnus. Celui qui a une tte saine et un cerveau plein ne sera pas affect par lui .

    Des textes arabes attestent des proprits inbriantes des feuilles de chanvre ds le IXe sicle et Avicenne (en arabe Ibn Sina) (980-1037), clbre mdecin et philosophe, crit que le chanvre agit sur le cerveau et combat les douleurs chroniques. En 1090, un musulman d'origine persane Hassan Ibn Al-Sabbah fonde l'Ordre des Ismaliens, une sorte de secte secrte o les membres furent soumis une discipline de fer. Ces derniers furent des combattants vous des missions de sacrifice (Pelt, 1983 et Russo, 2001). Avant chaque mission, on leur adminis-trait un breuvage trs euphorisant form de rsine de cannabis. Les membres de cette secte furent ainsi dops pour mieux combattre les croiss qui portrent secours aux chrtiens d'Orient et voulaient reprendre le Saint-Spulcre aux musulmans. Leur habilit au combat et leur cruaut inspirrent la terreur aux croiss et bientt ces guerriers musulmans furent connus sous le nom d'assassins en Europe. tymo-logiquement, le mot assassin drive de l'arabe haschischin qui veut dire mangeur de haschisch. Ce dernier terme dsignant la rsine obte-nue partir du chanvre (Clarke, 2000). Marco Polo (1254-1324), de retour Venise en 1295, contribua rpandre en Europe les exploits et les mfaits de la secte des Assassins ou mangeurs de haschisch. Ds lors, les proprits surprenantes du chanvre furent de mieux en mieux connues en Europe. Ainsi Franois Rabelais (1494-1553) cite le can-nabis dans son livre Horribles et pouvantables faits et prouesses du trs renomm Pantagruel en donnant une bonne description bota-nique et l'usage mdicinal de la plante. Une description encore plus dtaille est donne dans Le Tiers Livre publi en 1546 et officielle-ment condamn dans la mme anne. Dans ce livre, Rabelais estime que le chanvre doit tre nomm roi du royaume vgtal et lui attribue le nom de Pantagrulion (Hadengue et al., 1999). Il le recommande pour soigner divers maux :

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

  • Du cannabis au THC

    ts (parties infrieures) se trouvent de multiples petites glandes gorges de rsine. Lorsqu'elles sont mres, ces petites glandes sphriques lib-rent par simple pression la rsine qui est trs gluante. La rcolte de la rsine peut se faire par simple friction manuelle des sommits de la plante frache, geste ressemblant un peu celui de la traite des vaches. Il est vident que des rsidus de rsine resteront colls aux mains. D'aprs certains auteurs, les proprits psychotropes du cannabis ont t dcouvertes par hasard lorsque l'homme dans les temps reculs, la qute de nourriture, rcoltait les graines de chanvre manuellement. Il devait fatalement aussi ingrer des restes de rsine !

    Il est plus facile de rcolter manuellement la rsine le matin tt lorsque la plante est encore humide par la rose. Cette mthode arti-sanale ne donne gure un bon rendement. Actuellement, il existe d'au-tres mthodes pour obtenir plus rapidement la rsine tant recherche. La plante sche est passe sur des tamis de granulomtries diverses. Alors qu'il faut compter une heure pour obtenir quelques dizaines de grammes de haschisch par friction manuelle, dans le mme laps de temps, la mthode de tamisage fournit plus d'un kg de rsine (Ratsch, 1999 ; Clarke, 2000). Il est clair que la substance active du cannabis ne se trouve pas seulement dans les glandes rsine o sa concentra-tion est leve, mais dans toutes les parties ariennes de la plante. L'herbe sche est souvent appele marijuana. C'est le nom que lui donnaient les travailleurs immigrs mexicains qui introduisirent la dro-gue vers 1920 aux tats-Unis. Le haschisch, selon le mode de prpa-

    Chanvre sch ou marijuana

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    ration et la faon de le scher, peut tre de couleur jauntre, brune ou brun-noir.

    Une plante avec une histoire aussi longue et tumultueuse suscita l'intrt des phytochimistes et les publications relatives au contenu chi-mique du cannabis sont trs nombreuses. Disons d'emble que plu-sieurs centaines de constituants divers ont dj t isols et identifis dans le chanvre. Il s'agit d'huile essentielle forme de nombreux terpnodes volatils, de flavonodes , de composs azots, de sucres, d'acides gras et surtout d'une classe de substances d'un type structural tout fait particulier : les cannabinodes. Ce sont des molcules terp-niques possdant une fonction phnol. Prs de 80 cannabinodes diffrents ont t identifis jusqu'ici, dont les quatre principaux sont : - le ttrahydrocannabinol ou THC - l'acide ttrahydrocannabinolique ou acide THC - le cannabinol ou CBN - le cannabidiol ou CBD.

    La substance la plus connue est sans le moindre doute le THC qui est souvent cit par la presse orale ou crite. L'activit psychotrope du cannabis est lie au seul THC qui est considr comme le principe actif de la plante. Il n 'est pas exclu que des cannabinodes prsents seule-ment en traces soient intressants aussi. Mais ils n'ont pas encore pu tre tests, faute de substances en quantit suffisante.

    Malgr le fait que le THC possde un groupement phnol, c'est une substance lipophile qui arrive passer facilement la barrire hmato-encphalique. Ce qui n'est pas le cas pour l'acide ttrahydrocannabi-nolique (acide THC) qui est beaucoup plus polaire cause de la pr-sence de la fonction acide carboxylique. Il est important de retenir que l'acide THC (non-actif) peut tre transform par simple chauffage en THC (actif) par une raction de dcarboxylation {perte de COz). Le chanvre contient du THC, mais aussi de l'acide THC, en proportions trs variables. Un chantillon peut contenir beaucoup de THC et trs

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    COOH -C02

    CsH11

    Acide THC (inactif)

    ...

    THC (actif)

  • SPAGHEnl

    Spaghettis base de chanvre

    Du cannabis au THC

    peu d'acide THC. L'administration orale de cet chantillon induira un effet psychotrope. Au contraire, un autre chantillon sera riche en acide THC et pauvre en THC. La consommation de cet chantillon par voie orale ne pro-voquera aucun effet. Par contre si l'on fume ce dernier chantillon, la chaleur de la combustion transformera 1' acide THC en THC actif qui lui est capable de passer rapidement dans le circuit sanguin et produire l'effet recherch. Cette transformation est reprsente dans la figure page prcdente.

    La transformation chimique sus-mentionne explique clairement pour-quoi le cannabis est le plus souvent fum.

    Cependant, une grande prudence s'impose car lorsqu'on est en prsence d'chantillons de haschisch ou de marijuana le rapport THC/acide THC n'est pas connu. Ce dernier ne peut tre tabli que par une analyse chimique. Les consommateurs de cannabis par voie orale dans le doute prennent la prcaution de passer leur drogue pr-fre au four, en faisant par exemple des biscuits ou autres ptisseries. La chaleur du four transformera l'acide THC en THC actif ! L'auteur de ce livre connat personnellement un jeune homme, qui aprs avoir fum quelques joints , a prpar une tisane de haschisch en versant de l'eau bouillante sur une barre de drogue. Mme en buvant quelques tas-ses de ce breuvage, aucun effet ne fut remarqu. Ce qui n'est pas sur-prenant tant donn que le THC et les autres cannabinodes ne sont que peu solubles dans l'eau. Le jeune homme trouva au fond de la thire la barre de haschisch, un peu ramollie, mais pratiquement intacte. Il dcida alors de la manger. Erreur fatale ! L'chantillon tait trs riche en THC et la quantit ingre de l'ordre de 1,5 2 gram-mes. Vritable bombe retardement. Quelques heures aprs l'inges-tion, l'apprenti-sorcier se rveilla avec des visions atroces et on le retrouva nu dans les rues de sa petite ville en train de se taillader les avant-bras avec un couteau de cuisine. L'effet provoqu ressemblait celui induit par le fameux LSD et pendant plusieurs mois encore, le jeune homme eut des cauchemars horribles et la tentation de se suici-der. Il s'agit ici d'un cas grave d'overdose.

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  • Les plantes qui deviennent des drogues

    Il est intressant de noter que le fameux THC et les autres can-nabinodes sont des terpnes-phnols alors que toutes les autres substances psychotropes d'origine naturelle sont des alcalodes (com-poss basiques contenant de l'azote). La pharmacologie du THC a t le sujet de nombreuses tudes (Dewey, 1986). On sait que cette substance se lie des rcepteurs spcifiques situs dans le systme Hm-bique et interagit aussi avec d'autres rcepteurs influenant la concen-tration de neurotransmetteurs comme l'adrnaline, la noradrnaline et la srotonine. Le THC est mtabolis au niveau du foie en drivs hydroxyls, puis carboxyls. Ces mtabolites sont excrts par l'urine o ils peuvent tre dtects trs facilement, mme en concentrations trs faibles. La prsence des mtabolites du THC peut tre dtermine encore une semaine aprs la prise de la drogue. Le consommateur rgulier de cannabis (2 3 joints par semaine) sera test positif sans interruption. L'induction de l'tat euphorique qui est l'effet principal correspond l'absorption de 25 50 ).!g (microgrammes) de THC par kilo de poids corporel par voie pulmonaire ou bien de 50 200 ).!g par voie orale (Mann, 1996). Mais la dose dpend avant tout de l'individu. Il n'est pas rare qu'en fumant un haschisch de bonne qualit (qui peut contenir jusqu' 25 %de THC), l'absorption de 10 mg de THC est atteinte. L'effet recherch, le sentiment d'euphorie ou high survient presque immdiatement et atteint son sommet aprs une quinzaine de minutes. Cet tat peut durer jusqu' 3-4 heures. Les doses utilises par voie orale sont gnralement plus leves et correspondent souvent une vingtaine de mg de THC. La manifestation de l'effet est beaucoup plus lente et le sommet ne sera atteint qu'aprs 2-3 heures. Chez la plupart des personnes, on observe une sensation de bien-tre et une douce euphorie. Chez d'autres, plutt un effet de sdation. La per-ception sensorielle, c'est--dire la perception des distances, des for-mes, des couleurs et des sons est modifie, surtout intensifie. Laper-ception du temps est galement altre, ainsi que la mmoire court terme. Ce qui se manifeste par des phrases courtes, la parole lente et des mots compltement hors du propos en cours. Le THC perturbe aussi la coordination motrice et il est fortement recommand de ne pas prendre le volant aprs avoir consomm du haschisch ou de la mari-juana. D'aprs certains spcialistes, une diminution de l'aptitude conduire un vhicule peut tre suspecte lorsque les taux sanguins sont suprieurs 5 mg/1. D'autres placent cette limite encore plus bas. De plus en plus, l'abus de cannabis est rendu responsable d'accidents de la circulation. L'alcool et le cannabis ne font pas bon mnage et il est exclu de conduire si on a consomm les deux produits. Le THC pro-

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  • Du cannabis au THC

    voque aussi quelques effets physiques comme la scheresse buccale, l'acclration du rythme cardiaque et l'augmentation de l'apptit. Seules des doses trs leves en THC provoquent des hallucinations accompagnes d'anxit, de sentiment de panique et de syndromes dlirants. Ces hallucinations peuvent induire le besoin de se suicider. Mais tout dpend de la personne. Un individu psychologiquement fra-gile ragira plus violemment une dose forte qu'un homme quilibr. Il faut remarquer qu'en cas de surdosage, les phnomnes hallucina-toires peuvent tre revcus soudainement et ceci bien longtemps aprs la prise. On appelle ce phnomne le flash back, bien connu dans le cas du LSD (Bruneton, 1999).

    L'utilisation, mme rpte, de cannabis ne provoque pas de dpendance physique. Une dpendance psychique peut s'installer lors d'un usage rpt sur une longue priode avec l'irrsistible envie de recommencer. Dans ce cas, gnralement, ce ne sont pas les doses qui sont augmentes, mais la frquence des prises. Cette dpendance est lie aux antcdents du consommateur. Une controverse existe dans la littrature scientifique au sujet du comportement des individus devenus dpendants du cannabis : la drogue provoque-t-elle long terme l'a-pathie, la difficult de concentration et la dmotivation ? L'utilisation chronique de hautes doses peut conduire des problmes bron-chiques, une diminution de la spermatogense et finalement l'im-puissance.

    Au vu de 1 'accoutumance induite par le cannabis chez beaucoup de consommateurs, la production, la mise sur le march et l'usage du cannabis, de sa rsine, du THC et de ses drivs sont interdits dans de nombreux pays, y compris la France et la Suisse. Cependant, la cultu-re, l'importation et l'exportation de varits de chanvre dpourvues de proprits stupfiantes sont autorises. Aux yeux du lgislateur, dpourvu de proprits stupfiantes implique un cannabis dont la teneur en THC ne dpasse pas 0 ,3 o/o. Cette autorisation concerne le chanvre cultiv pour ses fibres, pour l'alimentation ou comme ingr-dient de produits cosmtiques. De plus en plus d'agriculteurs se sont tourns vers la culture du chanvre et le fameux 0,3 o/o de THC ne pas dpasser a fait la une de la presse suisse en novembre 2001. En effet, un agriculteur suisse du Valais a t emprisonn et toute sa rcolte sai-sie par les forces de l'ordre parce que le chanvre produit sur son domaine, contenait, parat-il, 4 o/o de THC.

    Le cannabis est donc une drogue illicite. Pour combien de temps encore ? On n'en sait rien. Mais des dbats politiques sont en cours

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    pour changer la loi et dpnaliser l'usage du cannabis. De nombreux scientifiques estiment qu'il est inadmissible de mettre en prison des gens qui cultivent ou qui consomment du cannabis. Nous ne citerons ici que le clbre professeur franais Lon Schwartzenberg qui a lanc une ptition pour la lgislation du cannabis le 17 juin 1994 Paris dans laquelle on peut lire2 :

    '' ... constatant les dgts effarants de sa prohibition en particulier 1 'absurdit de sa rpression qui mne des milliers de personnes en pri-son, nous tenons faire savoir calmement, mais solennellement, que nous avons soit consomm du cannabis, soit aid en faire usage.

    Les donnes mdicales et scientifiques tablissent clairement qu'il existe des diffrences entre les produits inscrits sur la liste des stup-fiants.

    L'alcool et le tabac sont sanitairement et socialement plus dange-reux : le cannabis et ses drivs doivent tre immdiatement retirs du tableau de stupfiants.

    Leur prohibition tient l'affirmation jamais prouve que les dro-gues douces mnent aux drogues dures ... ,,

    Un examen microscopique permet l'identification immdiate du chanvre, mais ne donne aucune indication sur la teneur en THC

    2 Texte tir de l'ouvrage de T. Hadengue, H. Verlomme et Michka intitul Le livre du Cannabis, Georg diteur, Genve 1999, p. 195.

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  • Du cannabis au THC

    Les avis sur le sujet restent partags et pour le moment, le can-nabis reste une drogue illicite. De ce fait , ceux qui en dtiennent ou qui en vendent sont pourchasss par la police. Il est trs facile d'identifier le cannabis. Un chantillon suspect, par exemple un mgot de ciga-rette, sera pulvris, puis observ au microscope. La recherche de poils caractristiques appels poils cystolithiques trahit la prsence de chanvre dans n'importe quel mlange. Cependant, cette identification rapide ne donne aucune indication sur la qualit du cannabis et sa teneur en THC. Celle-ci est dtermine par des analyses faisant appel aux techniques chromatographiques. L'un des meilleurs dtecteurs de cannabis reste le chien et la plupart des corps de police disposent d'animaux spcialement dresss pour dceler le chanvre. D'une manire gnrale, le chien possde un odorat plus sensible que l'homme. Cette proprit est mise contribution depuis longtemps lors de la chasse pour dbusquer le gibier, pour rechercher des personnes disparues ou encore pour trouver les truffes. Dans le cas du cannabis, il faut savoir que l'odeur typique de la drogue n'est pas due au fameux THC qui est pratiquement inodore, mais son huile essentielle qui est trs riche en terpnes divers. Parmi ces derniers, c'est le caryophyllne poxyde qui a retenu l'attention des dresseurs de chiens. En effet, cette substance caractristique du cannabis et de sa rsine, le haschisch, semble particulirement bien convenir aux chiens (Stahl et Kunde, 1973). Un chien dress est capable de dceler 1 f..lg (millime de milligramme) de caryophyllne poxyde, ce qui correspond environ 1 2 grammes de haschisch bien camoufl dans une valise de cuir par exemple. Le caryophyllme poxyde n'est pas caractristique uniquement du chanvre. On le trouve par exemple aussi dans le houblon ou Humulus lupulus L. qui appartient la mme famille botanique que Cannabis sativa L. Des expriences ont montr que les chiens ragiront aussi en prsence de houblon.

    Pourrait-on utiliser des cochons pour dtecter le cannabis ? La question peut se poser tant donn que ces animaux son utiliss, tout comme les chiens, pour trouver les truffes enfouies dans le sol. La rponse est clairement non. Des chercheurs allemands ont mis en vi-dence dans la truffe noire (Tuber melanosporum Vitt.) une substance volatile de structure chimique proche de celle de la testostrone appe-le S-androst-16-n-3a-ol (ou plus simplement androstnol). Cette substance avait t prcdemment identifie dans la salive du cochon mle ou verrat avec deux autres composs analogues (Claus et al., 1981). Ces substances sont synthtises dans les testicules et transpor-tes dans la salive du verrat en priode prcopulative. Leur rle est

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  • Les plantes qui deviennent des drogues

    d'attirer et d'exciter la femelle ou truie. Ces substances sont donc des phromones sexuelles ou messagers chimiques dous d'un effet stimu-lant. On n'utilise pour rechercher la truffe que des cochons femelles. Donc la truie qui dtecte la truffe qui peut se trouver jusqu' un mtre de profondeur dans le sol reconnat en elle l'odeur attirante du verrat. Elle ragit son arme par un comportement d 'accouplement. Son imptuosit creuser le sol sous les chnes truffiers entrane parfois la dtrioration des filaments formant le myclium (Langley Danysz, 1982). Le chien est sensible l'arme des truffes et peut tre dress aisment de manire la reconnatre. La truffe est rpute depuis l'poque de Jules Csar (1er sicle avant J.-C.) pour ses proprits aphrodisiaques. D'aprs son contenu chimique, elle est plutt un aphrodisiaque pour la femme tant donn que l'homme scrte en tat d'excitation sexuelle dans sa transpiration axillaire des phromones sexuelles proches des constituants volatils de la truffe ! (Hostettmann, 2000).

    Des mdicaments base de cannabis ? De plus en plus de scientifiques pensent que le potentiel thra-

    peutique du cannabis et de son constituant principal le THC est immense, mais malheureusement inexploit pour le moment. En 2000, une association a t fonde sous le nom de International Association for Cannabis as Medicine , dont le sige est Cologne, en Allemagne. Cette association de scientifiques de diverses disciplines et de mdecins se bat pour la reconnaissance des drivs du cannabis. En 2001, elle a cr un priodique intitul Journal of Cannabis The-rapeutics. Le D' C. Ratsch, grand connaisseur et auteur de plusieurs livres trs intressants sur le sujet, est lui aussi un avocat de la cause du cannabis. Il a publi en 1998 un livre intitul Hanf ais Heilmitte f3 ou le chanvre comme mdicament.

    Parmi les nombreuses potentialits thrapeutiques que reprsen-tent le chanvre et ses constituants, il faut citer les proprits anti-mtiques du THC qui ont conduit aux tats-Unis au dveloppement d'un mdicament utilis sous forme orale pour combattre les nauses et les vomissements frquents occasionns par la chimiothrapie anti-cancreuse. Toujours aux tats-Unis, le THC est disponible pour une autre indication, savoir l'anorexie accompagne d'une perte pond-

    3 Ce livre a t publi chez AT Verlag, Aarau, Suisse.

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  • Du cannabis au THC

    rable considrable chez les patients sidens. De nombreuses tudes ont aussi t ralises pour valuer l'activit analgsique du THC et de ses drivs notamment dans le domaine des douleurs cancreuses chroniques. Cette activit a pu tre confirme, mais la survenue d'effets secondaires lorsque les doses deviennent plus leves limite son application thrapeutique dans cette indication (Escher et al., 1999). Un autre champ d'utilisation pourrait tre le traitement de la migraine et des valuations sont actuellement en cours aux tats-Unis (Russo, 2001). De nombreux analogues structuraux ont t synthtiss et expriments. Parmi ces derniers, la nabilone pourrait allger sensiblement les souffrances des patients atteints de sclrose en plaques et augmenter leur tonus musculaire. Mais ces observations devront encore tre confirmes par des tudes cliniques. Bien d'autres potentialits thrapeutiques sont encore cites, notamment l'effet bnfique du THC et du cannabidiol (CBD) sur les squelles cons-cutives une attaque crbrale (Ratsch, 1998). Le corps mdical est parfois encore un peu sceptique et estime que 1 'largissement de toutes ces indications ncessite encore un important travail de recherche permettant de conclure non seulement l'efficacit du THC et d'autres cannabinodes, mais galement un rapport risque/ bnfice favorable (Escher et al., 1999). Cette question importante trouvera sans doute une rponse dans un proche avenir, car les recherches sur les utilisations thrapeutiques potentielles du chanvre sont de plus en plus nombreuses.

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    La feuille de coca et la cocane La feuille de coca provient du cocaer, un arbuste originaire de

    l'Amrique du Sud. Il appartient au genre Erythroxylum (Erythroxyla-ceae) qui compte plus de 300 espces diffrentes. Les rameaux de ces arbustes sont gnralement de coloration rougetre (d 'o le nom gn-rique erutros-xu/on). D'ailleurs en allemand, la famille s'appelle Rotholzgewachse. Parmi toutes les espces du genre Erythroxylum, seules deux exhibent des proprits hallucinognes dues la prsence d'un alcalode important, la cocane. Il s'agit en premier lieu de Ery-throxylum coca Lam. frquent dans les Andes pruviennes, bolivien-nes et quatoriennes et de Erythroxylum novogranatense (Morris) Hieron que l'on trouve en Colombie, au Venezuela et dans d'autres pays encore. Les autres espces sont dpourvues de cocane ou en contiennent des quantits si faibles qui ne provoquent gure d'effet psychotrope marqu. Une espce du Brsil, Erythroxylum catuaba A.J. Da Silva, dpourvue de cocane, est utilise depuis trs longtemps par les populations indignes comme aphrodisiaque. Cette plante est l'heure actuelle investigue l'Institut de Pharmacognosie et Phyto-chimie de l'Universit de Lausanne. Une affaire suivre.

    La plante sacre des Incas Des preuves archologiques font remonter l'usage des feuilles de

    coca environ 3000 ans avant J .-C. (Karch, 1998). En effet, dans plu-sieurs tombes prcolombiennes, des paniers de feuilles de coca taient rangs autour des squelettes et momies. Il existe aussi des peintures murales et des poteries datant d'environ 1000 ans aprs J.-C. qui reprsentent des hommes la joue distendue, comme celle des Indiens du XXI sicle quand ils mchent des feuilles de coca. Cette priode correspond l'apoge de la civilisation inca. De nombreux signes indi-quent clairement que les Incas vnraient la coca qui jouait un rle fon-damental dans les crmonies religieuses. Ils cultivaient la plante pour la production des feuilles qui taient mches pour lutter contre la faim et la fatigue et surtout pour survivre dans les hauts plateaux andins l'atmosphre pauvre en oxygne. La coca tait aussi utilise lors de rites sexuels. Les Europens firent leur premire rencontre avec la coca en 1533, au Prou, quand un dtachement espagnol sous le commandement du conquistador Francisco Pizzaro (1475-1541) conquit l'empire des Incas et s'empara de sa capitale Cuzco.

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  • La feuille de coca et la cocane

    Les indignes, terroriss par les armes feu, ne purent rsister l'envahisseur et 160 soldats espagnols massacrrent plus de 10 000 Incas ! Aprs l'effondrement de l'empire, quelques chefs indiens se retirrent dans les montagnes pour fonder, probablement cette poque, la cit de Machu Picchu. De nombreux touristes du monde entier visitent actuellement les ruines impressionnantes de cette der-nire cit inca situe dans un cadre grandiose. Ce site archologique unique peut tre atteint partir de Cuzco par train, puis par bus ou aussi, pour les gens presss, par hlicoptre.

    Ds la prise de Cuzco, le clerg espagnol condamna l'utilisation de la coca, plante juge dmoniaque, nocive et porteuse d'illusions dia-boliques. Ceci suggre clairement que les facults psychotropes de cette plante taient dj connues. Le gouvernement de la Nouvelle-Espagne interdit l'utilisation de la coca jusqu'en 1569 (Ratsch, 2001). cette date, la condamnation fut leve la demande des militaires qui se rendirent rapidement compte que les Incas, leurs nouveaux sujets, travaillaient plus en mangeant moins sous l'emprise de la coca. Dans les rcits de l'poque, on trouve cette phrase rapporte dans l'excel-lent livre de John Mann intitul Magie, Meurtre et Mdecine (Mann, 1996) : " Cette herbe est tellement nutritive et fortifiante que ces Indiens travaillent des journes entires sans rien d'autre >> . Les Espa-gnols furent les premiers bnficier des proprits remarquables de la feuille de coca en transformant les Incas en esclaves forcs de travailler

    Feuilles de coca

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    dans les mines d'argent et les mines d'or, l'esprit ananti et la faim supprime par la coca. La plante divine, dont l'usage tait rserv des crmonies religieuses et des classes sociales privilgies, est ainsi devenue une plante profane. Des chroniqueurs de l'poque ont tabli un lien entre la feuille de coca et des pratiques sexuelles, juges contre nature, trs frquentes chez les habitants de la cte de l'ocan Pacifique. Dans le Guide mondial des aphrodisiaques (Mller-Ebeling et Ratsch, 1993), on trouve cette citation de l'poque : " Les femmes se livraient la sodomie, c'est--dire la copulation anale, avec leur poux et d'autres hommes, mme lorsqu'elles allaitaient leurs propres enfants . Ds lors, ds le dbut du XVII sicle, l'Inquisition considra la vnration de la coca comme un signe de sorcellerie et interdit son usage. Cependant, les indignes ne respectrent pas cet interdit et lorsque le Prou et la Bolivie se sparrent de l'Espagne pour devenir indpendants, l'usage de la coca se normalisa pour devenir lgal.

    Signalons enfin une publication parue en 1992 (Balabanova et al., 1992) qui rapporte que dans les cheveux et les os de momies gyp-tiennes datant d'environ 1000 ans avant J.-C., on a trouv de la coca-ne, de la nicotine et du ttrahydrocannabinol ou THC (le principe actif du haschisch). La prsence de cocane semble bien trange, car les deux espces du genre Erythroxylum qui contiennent la cocane ne poussent que sur le continent amricain. Les auteurs de cette publica-tion se sont-ils tromps ou alors existait-il des contacts entre les anciens gyptiens et les Incas d'Amrique du Sud ?

    La coca la conqute du monde D'aprs diverses sources, les feuilles de coca atteignirent en 1580

    pour la premire fois le sol europen. C'est le mdecin espagnol Nicolas Monardes qui en rapporta du Prou en vantant ses effets. Il en fit goter aux dignitaires de la cour. Ces derniers firent la grimace et dclarrent que cette plante n'tait bonne que pour des sauvages, et non pas pour des tres civiliss, des chrtiens (Stein, 1986). Cepen-dant, la rputation de la coca se rpandit assez rapidement en Europe. L'crivain et pote anglais, Abraham Cowley (1618-1667) la rendit clbre en dcrivant ses effets dans son Book of Plants. C'est le bota-niste franais Joseph de Jussieu (1704-1779) qui introduisit en 1735 le premier cocaer en France, son retour d'une expdition au Prou avec le savant Charles Marie de la Condamine (1701-1774). Ds lors, la plante devint de plus en plus populaire. En 1863, le chimiste d'ori-gine corse Angelo Mariani commercialisa un extrait de feuilles de coca dans du vin doux sous le nom Vin tonique Moriani la coca du

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  • La feuille de coca et la cocane

    Culture de coca en Bolivie (Photo M. Hamburger)

    Prou. La publicit pour ce breuvage clbre mentionnait que le vin tonique

  • Les plantes gui deviennent des drogues

    La dcouverte de la cocane et de ses proprits

    La cocane pure, l'alcalo"ide principal de la feuille de coca, fut isole pour la premire fois en Allemagne en 1860 par Niemann et Wohlen (Hess, 2000). Mais il a fallu attendre 1898 jusqu' l'tablissement de sa structure correcte par Richard Willstatter (1872-1942) qui en ralisa aussi dans la mme anne la synthse. Signalons que les travaux de ce chimiste allemand furent couronns par 1 'attribution du Prix Nobel de Chimie en 1915. La feuille de coca contient de nomb-reux autres alcalodes. La teneur en alcalodes totaux varie entre 0,5 et 1,5% selon l'espce, la varit et l'origine gographique. La cocane (30 50 %) est un alcalode tropanique (voir chapitre consacr aux psychotropes des Solanaceae) possdant deux fonctions esters (mthyl-benzoyl-ecgonine). l'tat de base libre, la cocane est volatile.

    La cocane a fascin les hommes depuis sa dcouverte jusqu' nos jours. Le clbre psychiatre autrichien Sigmund Freud (1856-1939) lui consacra une monographie intitule ber Coca qui rendit la substan-ce trs populaire. On peut y lire : " Quelques instants aprs la prise nasale de cocane, on devient hilare et lger. On ressent aussi une cer-taine insensibilit dans les lvres et le palais ... ", Freud crivit aussi que la cocane augmente les ardeurs sexuelles. Par la suite, la rputation de la cocane comme drogue de plaisir sexuel s'affirma. Certaines tudes prtendent que l'homme peut augmenter la dure de l'rection et avoir des orgasmes rpts et que mme la femme frigide peut atteindre

    Feuilles sches de coca

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  • La feuille de coca et la cocane

    l'orgasme grce la cocane (Hostettmann, 2000). Lorsque des effets secondaires et la dpendance induite par la cocane furent connus, Freud prit ses distances avec cet alcalode. Ce fut cependant un de ses assistants, Carl Koller qui fut le premier en 1884 dmontrer l'effica-cit de la cocane comme anesthsique local. Grce aux travaux exp-rimentaux de Koller sur des animaux et sur lui-mme, la cocane devint un anesthsique local de premier choix, notamment en chirurgie faciale et oculaire. Il s'agit d'un anesthsique de surface qui bloque les changes ioniques au travers de la membrane neuronale. Aujourd'hui, la cocane a t remplace par des substances de synthse auxquelles elle a servi de modle chimique. Les proprits anesthsiques locales de la cocane taient certainement connues des indignes avant l'arri-ve des conqurants espagnols. En effet, on a retrouv des crnes trpans dans des tombes incas ; or la trpanation est une opration quasi irralisable sans le secours d'un anesthsique puissant (Stein, 1986). Un autre indice se trouve dans les descriptions, faites par les conqurants, d'orgies sexuelles auxquelles se livraient les Indiens de la cte du Pacifique. Ils utilisaient des objets de forme phallique pour introduire des prparations base de feuilles de coca dans l'anus des femmes avant de s'adonner la sodomie. L'action de la cocane sur le sphincter anal est connue. L'effet anesthsiant provoquera un relchement et facilitera la pntration qui ne sera pas douloureuse. D'aprs Christian Ratsch (Ratsch, 1998), la cocane et les prparations base de cette substance sont des aphrodisiaques particulirement apprcis dans les milieux homosexuels et par les adeptes de la sodomie. La cocane fut galement utilise en application locale sur le gland du pnis pour lutter contre l'jaculation prcoce.

    Au niveau du systme nerveux central, la cocane induit une stimulation adrnergique en bloquant la recapture des catcholamines (en particulier la dopamine). Elle se manifeste par une sensation d'euphorie avec stimulation intellectuelle, dsinhibition et hyperactivit. Elle induit aussi un certain nombre d'effets secondaires comme l'hyperthermie, la mydriase (dilatation de la pupille), et la vasoconstriction qui peut mener une hausse de la tension et l'augmentation du rythme cardiaque.

    De 1' utilisation traditionnelle des feuilles au crack

    l'poque prcolombienne, la feuille de coca tait une drogue masticatoire et elle continue de l'tre. Actuellement encore, les Indiens

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  • Les plantes qui deviennent des drogues

    des hauts plateaux andins, les descendants des Incas, mchent rguli-rement des feuilles de coca. Il est fascinant de remarquer que sans connatre la nature chimique de la substance active, les Indiens masti-quent les feuilles en prsence de cendres de plantes diverses ou parfois de chaux ou de bicarbonate de sodium. Ces additifs sont basiques et servent mieux extraire les alcalodes de la plante en les transformant en alcalodes bases lipophiles. Sous cette forme, les substances actives pourront trs rapidement passer dans le circuit sanguin l'intrieur de la cavit buccale. De plus, sous l'effet de la base et sans doute aussi des enzymes de la salive, une grande partie de la cocane sera hydrolyse en ecgonine qui produit un effet similaire celui des amphtamines. Les Indiens d'aujourd'hui consomment beaucoup de feuilles de coca pour supporter l'altitude, amliorer 1 'endurance, supprimer la faim et se procurer une sensation de bien-tre pour chapper temporairement la misre de leur existence quotidienne.

    La saveur de la feuille de coca est faiblement amre. La mastica-tion entrane assez rapidement une augmentation de la salivation et une sensation d'anesthsie de la langue et des muqueuses buccales. Les connaisseurs peuvent valuer la qualit de la coca selon la rapidit avec laquelle cet effet anesthsiant se produit (Ratsch, 2001). L'effet stimu-lant de la cocane est gnralement perceptible aprs 5 10 minutes et dure environ 45 minutes. Il disparat trs rapidement. L'effet coupe-faim peut tre expliqu en partie par une anesthsie des nerfs de l'es-tomac inhibant ainsi la sensation de faim. Une tude a montr que la mastication de 20 g de feuilles de coca (soit environ 48 mg de cocane) conduit rapidement un taux plasmatique en alcalode de 150 ng/ml. La cocane, mtabolise en ecgonine est encore prsente dans le sang aprs 7 heures (Holmstedt, 1991). signaler que la mastication de la coca en prsence d'une base peut long terme conduire des lsions de la muqueuse buccale et une dtrioration des dents.

    Les feuilles de coca peuvent galement tre utilises pour faire des infusions appeles mate de coca en Bolivie et au Prou. Bien que la cocane soit peu soluble dans l'eau, une partie passe nanmoins dans l'infusion. Traditionnellement, le mate de coca est employ lors de dia-bte, de surcharge pondrale, de troubles de la digestion et lors d' pui-sement. L'indication principale est cependant la lutte contre le mal d'altitude. Il semble, d'aprs certaines tudes, que la cocane favorise l'assimilation de l'oxygne plus rare dans l'air en haute altitude. Cette infusion de coca est particulirement apprcie des touristes qui dbar-quent 1' aroport de La Paz (altitude 4000 mtres) ou de Cuzco (alti-tude 3500 mtres) et permet de compenser le manque d'oxygne.

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  • La feuille de coca et la cocane

    Depuis la dcouverte de la cocane en 1860, bien des choses ont chang. L'isolement de cet alcalode l'tat pur est relativement ais. Une extraction acide-base classique permet l'obtention de l'ensemble des nombreux alcalodes de la plante, dont la cocane (un di-ester de l'ecgonine}, d'autres esters de l'ecgonine et de l'ecgonine elle-mme. Cet ensemble d'alcalodes est alors saponifi (hydrolyse basique}, ce qui conduit un produit majoritaire, l' ecgonine. Par deux estrifications successives, on aboutit de la cocane pratiquement pure, sans avoir recours des techniques de sparation chromatographique. Ce pro-cessus est tout fait ralisable dans un laboratoire de brousse quip modestement. Le solvant lipophile utilis pour l'extraction des alcalo-des libres sous forme de base est tout simplement l'essence.

    La rputation des effets remarquables des feuilles de coca en Europe et aux tats-Unis incita immdiatement les hommes consom-mer sous diverses formes la cocane pure ds qu'elle devint disponible. La plante sacre des Incas, dsormais transforme en poudre blanche et cristalline, devint (( une drogue de plaisir )) au dbut du xxe sicle et fut consomme surtout dans les milieux aiss en Amrique du Nord et en Europe. D'ailleurs, encore actuellement, la consommation de cocane a lieu souvent dans un milieu ferm, privilgi socialement. Mais revenons au dbut du xxe sicle o la cocane fut galement mas-sivement utilise en chirurgie. Les mdecins se rendirent rapidement compte de ses effets secondaires et en firent tat dans la presse. La presse fustigea bien entendu aussi l'utilisation de la cocane comme sti-mulant, euphorisant et aphrodisiaque et mit en vidence des relations entre l'usage de la cocane et certains types de comportements antiso-ciaux. Le coup de grce fut donn en 1908 par le New York Times qui publia une srie d'articles sur tous les crimes dont la source est apparemment l'usage de la cocane. Faute de pouvoir enrayer ce nou-veau flau, une loi fut passe en 1914 qui classa la coca et la cocane aux cts de drogues dj interdites comme l'opium, la morphine et l'hrone. Cette classification lgale, mais gure base sur des critres scientifiques, dure encore (Stein, 1986). Les pays europens suivirent immdiatement l'exemple amricain et interdirent leur tour l'usage de la coca, de la cocane et de ses drivs en les classant dans la liste des stupfiants. En France et en Suisse, ils y figurent toujours. Avant la premire guerre mondiale (1914-1918), on pouvait se procurer des produits base de coca (vin Mariani, par exemple) et de la cocane librement. De nombreux crivains et artistes en vantent les bienfaits. Nous citerons ici Marcel Proust (1871-1922) dans son roman la recherche du temps perdu, mile Zola (1840-1902) dans Le Docteur

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    Pascal, le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917), les compositeurs Charles Gounod (1818-1893), crateur de Faust et d'autres opras, et Jules Massenet (1842-1912), auteur de Manon et du Jongleur de Notre-Dame, ainsi que le romancier britannique Arthur Conan Doyle (1859-1930), dont les romans policiers ont pour hros Sherlock Holmes. L'crivain britannique Robert Louis Stevenson (1850-1894) a crit son trs clbre roman Dr. Jekyll and Mr. Hyde en six jours et six nuits seulement et ceci naturellement avec l'aide de la poudre blan-che magique. Le compositeur et chef d'orchestre allemand Richard Strauss (1864-1949) a cr son opra Arabella sous l'influence de la cocane (Ratsch, 2001). La liste des adeptes clbres de la coca est encore bien longue !

    Ainsi, ds la fin de la guerre 1914-1918, la coca et la cocane devinrent illicites, ce qui engendra un trafic de drogue sans prcdent qui ne cesse d'augmenter encore maintenant.

    La cocane que 1 'on trouve dans le march parallle est souvent coupe par des produits inertes. En 1999, une dose se ngociait entre CHF 30.- et CHF 150.- et le prix d'un kilo de cocane variait entre CHF 4 500.- et CHF 80 000.-, selon un communiqu de presse de l'Office Fdral de la Police (OFP) Berne. Cette cocane se trouve gnrale-ment sous forme de chlorhydrate. Elle est habituellement finement pulvrise et sniffe. L'effet se manifeste dans un dlai de quelques minutes et entrane une sensation d'euphorie, une stimulation intellec-tuelle, une sensation de puissance, une disparition de la fatigue. L'effet dure entre 30 et 45 minutes, mais aprs ce dlai, on observe souvent des troubles de la perception, une irritabilit, un puisement physique et parfois une dpression. Chez quelques sujets, la prise de cocane provoque des maux de tte, parfois des crises convulsives et des hallu-cinations. Il faut signaler encore des troubles du rythme cardiaque. La consommation rgulire et de longue dure mne l'hypertension grave et peut provoquer des lsions au niveau des cloisons nasales. Les surdosages se manifestent par un coma convulsif et des troubles cardiaques svres. Signalons enfin que la cocane et l'alcool ne font pas bon mnage et reprsentent un cocktail explosif (Giroud et al. , 1993). En 1979, un groupe de chercheurs a pu mettre en vidence dans l'urine de toxicomanes habitus consommer conjointement de l'alcool et de la cocane, la prsence d'homologues thyls de la cocane. Visiblement, les estrases du foie transestrifient la cocane en prsence d'alcool thylique en thylcocane, appele aussi coca-thylne (benzoylthylecgonine), substance particulirement toxique !

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  • La feuille de coca et la cocane

    La consommation du mlange cocane et alcool est avant tout motive par le dsir d'prouver des sensations nouvelles encore plus fortes et par l'espoir de prolonger les effets ressentis. Mais, elle est vraiment dangereuse et devrait tre vite tout prix. Signalons aussi qu'il existe des procds analytiques efficaces et trs sensibles pour mettre en vidence la cocane et ses mtabolites, ainsi que les drivs thyls de la cocane. Des conducteurs de voiture, qui ont provoqu des accidents ou qui avaient un comportement bizarre au volant, ont vu leurs urines analyses, suite leur arrestation afin de mettre en vi-dence la cocane et 1 'thylcocane et leur sang prlev pour dterminer le taux d'alcool. Avis aux amateurs ! Signalons aussi aux amateurs de cocane que rcemment des mthodes trs efficaces et sensibles ont t dveloppes pour dceler, des concentrations trs faibles, la prsence de cette substance interdite dans quelques milligrammes de cheveux (Quintela et al. , 2000).

    La cocane, sous forme de chlorhydrate, est parfois aussi utilise par voie intraveineuse. L'effet euphorique est alors trs rapide et trs marqu, mais la chute est d'autant plus grande. La cocane est gale-ment fume . La forme la plus dangereuse de ce mode d'administration est le crack. Cette forme est apparue sur le march de la drogue en 1980 New York. En 1986, on comptait plus de 3 millions de consommateurs de crack aux tats-Unis. Son arrive massive en Euro-pe est signale ds 1989. Le crack, c'est de la cocane presque pure sous forme de base libre. La cocane base est obtenue en mlangeant la forme habituelle qui est le chlorhydrate avec de l'hydrognocarbo-nate de sodium. Lorsque l'on fume ce mlange, l'excs de ce sel pro-voque des craquements lors du chauffage qui sont dus au phnomne de dshydratation. L'origine du mot crack est explique par ces bruits. La cocane base tant beaucoup plus lipophile que le chlorhydrate, elle est capable de pntrer extrmement rapidement dans le circuit san-guin. Fumer de la cocane base produit des effets immdiats et telle-ment intenses que certains toxicomanes les ont dcrits comme un orgasme de toutes les cellules du corps (Mann, 1996). Lorsqu'elle est sniffe, la cocane parvient relativement lentement et surtout progres-sivement jusqu'au cerveau. Injecte dans les veines, son effet est accru et beaucoup plus rapide. Fume sous forme de crack , l'effet de la cocane est foudroyant et en quelques secondes, le flash est maximal. La concentration plasmatique devient immdiatement trs leve. Le drame, c'est que l'euphorie et le sentiment de puissance ne durent que quelques minutes, un quart d'heure tout au plus, et que la descente res-semble l'enfer. L'angoisse est insupportable. On ne mange plus, on

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  • Les plantes qui deviennent des drogues

    ne dort plus et d'atroces fourmillements donnent l'impression d'tre dvor par des millions d'insectes (Lestienne, 1996). La vie se rsume alors un violent dsir de recommencer et une recherche compulsi-ve de nouvelles doses. La dpendance psychique est ainsi rapidement installe. Lors de chaque flash, l'organisme est soumis rude preuve car la tension artrielle est extrme et le rythme cardiaque trop lev. Assez vite apparaissent alors des comportements schizophrniques, de vritables dsirs paranoaques avec, la clef, des tendances suicidaires ou des crises de violence incontrles. Malgr cela, les adeptes du crack sont de plus en plus nombreux car il est plus facile de fumer que de s'injecter la cocane ou l'hrone : pas de risque d'infection, pas de veines abmes et pas de transmission du SIDA. Aujourd'hui, le crack est devenu un des principaux problmes en matire de drogues, malgr les dangers et les ravages qu'il provoque.

    La coca a une trs longue histoire et fascine 1 'homme depuis prs de 5000 ans. La plante sacre des Incas, interdite au XVI sicle par les conqurants espagnols, puis au dbut du xx sicle par les tats-Unis, puis par de nombreux autres pays, n'a jamais eu autant d'adep-tes. On estime actuellement le nombre de consommateurs rguliers aux tats-Unis 10 millions ! (Lestienne, 1996). De nombreux artis-tes, crivains et compositeurs la fin du XIX sicle et au dbut du xx sicle ont consomm le fameux vin tonique Mariani la coca du Prou ou de la cocane purifie. Dans la musique moderne, les effets de la coca et de la cocane sont souvent chants. Par exemple, Marcel Fankhauser a ddi un hymne la coca intitul Treasure of the Incas dans son CD Jungle Lo Lo Band et le chanteur reggae Dillinger, originaire de la Jamaque, a glorifi la cocane dans son CD tout simplement intitul Cocaine . Plusieurs chanteurs rock ont galement vant les effets de la cocane (Ratsch, 2001). La coca et la cocane continueront de fasciner l'homme, mais il faut imprativement s'abstenir de la consommer sous forme de crack. Essayer une fois le crack, c'est engendrer l'irrsistible envie de recommencer ! Quant l'injection de la cocane par voie intraveineuse qui trouve actuellement de plus en plus d'adeptes, elle est trs dangereuse. L'effet recherch est trs rapide, mais de courte dure. De ce fait, il n 'est pas rare que certains accros de la cocane s'injectent jusqu' 10 ou 20 doses par jour ! Bonjour les dgts pour les veines et les risques d'infection ! l'heure actuelle, il n'existe pas de programme de substitution pour la cocane ...

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  • le pavot : de l'opium la morphine et l'hrone

    Le pavot : de l'opium la morphine et l'hrone

    Il existe plusieurs espces diffrentes de pavots, mais la plante la plus clbre et la mieux tudie est sans aucun doute Papaver somni-ferum L. (Papaveraceae), appel aussi pavot somnifre. Comme son nom l'indique, ce pavot induit le sommeil et ses proprits narcotiques furent connues depuis l'Antiquit. On peut distinguer plusieurs sous-espces et varits, savoir Papaver somniferum var. album D.C. ou pavot aux fleurs blanches, Papaver somniferum var. songaricum Basil, Papaver somniferum var. somniferum Basil et Papaver som-niferum L. ssp. setigerum (D.C.) Corb. Certains auteurs estiment que cette dernire sous-espce devrait tre classe en espce car selon eux, elle est la forme ancestrale du pavot somnifre qui est le seul pavot qui contient de la morphine. Papaver bracteatum Lindl. est d'un grand intrt car cette espce contient des morphinanes comme la thbane, mais pas la morphine. Le clbre pavot aux ptales d'un rouge clatant qui pousse dans nos rgions ou coquelicot a pour nom scienti-fique Papaver rhoeas L. Dans les montagnes suisses et franai-ses, on peut trouver encore Papaver dubium L. qui existe sous forme de deux sous-espces aux ptales rouges, Papaver occidentale (Mark.) Hess et Lan-doit aux ptales blanches et le magnifique pavot d'Islande aux fleurs jaunes d'une beaut extra-ordinaire ou Papaver croceum Ledebour. Cette dernire espce peut tre admire dans les zones arides au sommet du Mont Ventoux dans le Vaucluse qui culmine 1909 mtres d'alti-tude. signaler encore le pavot de Californie aux ptales de couleur orange ou Eschscholtzia californica Cham., dont on Papaver somniferum L.

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    commence apprcier 1 'effet sdatif sur le systme nerveux central. Dans la famille des Papavraces, on peut encore citer la chlidoine ou herbe aux verrues (Chelidonium majus L.) au latex jaune trs frquente chez nous (Hostettmann, 2001) et la sanguinaire ou Sanguinaria canadensis L. au latex rouge vif trs commune aux tats-Unis et au Canada.

    Champ de coquelicots (Photo A. Marston)

    Le pavot velu d'Islande

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  • le pavot : de l'opium la morphine et l'hrone

    Le pavot de Californie

    De l'usage traditionnel du pavot et de l'opium Lorsque l'on voque le pavot somnifre, la plupart des gens pen-

    sent immdiatement l'Orient, au fameux Triangle d'Or, l'Iran ou encore l'Afghanistan. Cette plante ne semble cependant pas tre d'origine asiatique comme on l'affirme souvent, mais tort. De nom-breux indices archologiques dmontrent que le pavot somnifre tait une plante cultive au nord de l'Italie, en Suisse et au sud de l'Allema-gne l'poque nolithique. En effet, des graines de pavot, des capsu-les et mme des restes de gteaux aux graines de pavot ont t retrou-vs lors de fouilles archologiques effectues aux abords de lacs suis-ses, dans des restes de villages lacustres datant d'environ 2000 ans avant J. -C. Les anciens habitants des maisons pilotis utilisaient les graines de pavot et l'huile tire des graines des fins alimentaires. Connaissaient-ils dj les vertus thrapeutiques et psychotropes du pavot ? On ne peut l'affirmer. Des preuves palobotaniques trouves dans le Land du sud-est de l'Allemagne, Baden-Wrttemberg, font remonter l'utilisation du pavot dans cette rgion 4600-3800 avant J. -C. Certains chercheurs pensent que l'homme du Neandertal vers 40000 avant J . -C. utilisait dj le pavot. Mais ceci est le sujet de contro-verses. Ce qui est sr, ce sont les premires mentions crites de l'utili-sation du pavot en mdecine qui ont t trouves sur des tablettes sum-riennes datant de la fin du N e millnaire avant J.-C. en Msopotamie.

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    Cette region, situe entre le Tigre et l'Euphrate, correspond la majeure partie de l'actuel Irak. Visiblement, le pavot tait beaucoup utilis dans cette rgion, surtout l'poque assyrienne avant la chute de Ninive en 612 avant J.-C. et celle de Babylone en 539 avant J.-C. , comme en attestent les nombreuses reprsentations de capsules de pavot sur des bas-reliefs assyriens que l'on peut admirer au Muse du Louvre Paris ou au British Museum de Londres. Des preuves archologiques montrent que des cultures de pavot existaient vers 1300 avant J .-C. dans l'ancienne gypte aux alentours de la ville de Thbes. Les Grecs aussi connaissaient bien le pavot puisque certaines de ses proprits sont mentionnes par Homre (VIIIe sicle avant J.-C.) dans ses clbres ouvrages /'Iliade et l'Odysse. Ainsi, dans cette dernire uvre, il cite un breuvage base de vin et d'opium qu'il dsi-gne sous le nom de nepenthes (du grec ne qui veut dire : pas dans le sens de la ngation et penthos que l'on peut traduire par chagrin, souci ou inquitude). Ce breuvage fut donn aux guerriers avant la bataille pour attnuer la sensation du danger (Hesse, 2000). Hippocrate (460-377 avant J.-C), le plus grand mdecin de la Grce antique utilisait le pavot comme narcotique. Alexandre le Grand (356-323 avant J.-C.)

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    Stle assyrienne, Palais Royal de Khorsabad (700 av. J.-C.), au British Museum de Londres - Dtail des capsules de pavot

  • le pavot : de J'opium la morphine et l'hrone

    introduisit le pavot en Perse (l'actuel Iran) vers 330 avant J .-C. Ce n'est qu'aprs la mort de Mahomet en l'an 632 de notre re que le pavot fut introduit par des marchands arabes en Inde, en Malaisie et en Chine. Les habitants de ces pays se mirent rapidement le cultiver, en particulier les Chinois qui l'utilisrent d'abord comme somnifre, puis comme anti-diarrhique. Cependant, d'aprs d'autres sources (Ratsch, 2001), le pavot tait connu dans certaines rgions de Chine et tait utilis comme narcotique lors d'interventions chirurgicales. La capsule de pavot a fascin l'homme depuis des millnaires car l'incision de ces dernires libre un abondant latex blanc. D'ailleurs dans la mythologie grecque, la capsule de pavot est le symbole de Morphe, dieu des songes.

    Qu'est-ce que c'est que l'opium dont on parle tant? Tout d'abord le mot opium vient du grec opos qui vent dire suc de plante ou de opion qui veut dire latex (donc suc blanc de pavot). L'incision des capsules de pavot mres, c'est--dire pratique aprs la chute des ptales, libre un exsudat laiteux (latex) qui durcit en schant et devient brun fonc aprs 12 24 heures. On rcolte ce latex sch, qui n'est rien d'autre que l'opium, par grattage des capsules. La premire description dtaille de l'obtention de l'opium se trouve dans le monumental trait De Materia Medica de Dioscoride, mdecin grec (1' sicle de notre re) o sont consignes plus de 500 plantes usage thrapeutique. Une capsule fournit en moyenne 20 50 mg d'opium brut. Pour obtenir un kilo d'opium, il faut donc au minimum 20000 capsules de pavot.

    Le latex blanc qui s'coule, c'est l'opium

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    L'opium fut beaucoup utilis l'poque romaine et en particulier l'poque o rgne l'empereur Nron (37-68). la demande de son souverain paranoaque, Andromaque, mdecin de la cour, doit com-poser un remde qui rende son matre invulnrable. Andromaque part de l'ide que, pour se mettre l'abri des poisons, il faut habituer l'organisme humain en absorber des quantits faibles au dbut, puis de plus en plus leves. Il prpara une savante mixture dans laquelle figure le venin de la vipre, l'opium, la gentiane, le gingembre et bien d'autres ingrdients.

    Cette mixture devint trs clbre sous le nom de thriaque d'Andromaque (nom abrg de Theriake antidotos, littralement remde contre les btes malfaisantes, selon Delaveau, 1982). On ne saura jamais si cette mixture fut efficace car Nron se donna la mort en 68 aprs J. -C., aprs avoir t proclam ennemi public par le Snat ! La thriaque resta cependant clbre et sa composition exacte (64 ingrdients) fut donne par Galien (131-201), pre de la pharmacie (Penso, 1986).

    L'opium fut administr de diffrentes manires, notamment par voie orale d'abord, sous forme d'extraits ou de teintures, de tisanes ou mme absorb tel quel. Les Romains en faisaient un breuvage avec du vin doux pour induire le sommeil et les rves. En Inde, le vin fut remplac par de l'eau de vie. Pour les infusions et dcoctions, on utilisait de prfrence les capsules fraches du pavot, mais aussi les capsules sches et l'opium. On ajoutait souvent du jus de citron en abondance, probablement pour transformer les alcalodes en sels et les rendre ainsi plus solubles dans l'eau (Ratsch, 2001). L'opium fut aussi utilis sous forme de suppositoires.

    D'o est venue l'ide de fumer de l'opium ? Elle est en relation avec l'arrive du tabac en Chine. Ce sont les marins portugais qui introduisirent le tabac dans ce pays et l'habitude de le fumer, partir de la fin du XV sicle. Cette herbe nouvelle fut fortement apprcie des Chinois et fumer du tabac devint un vritable flau. En 1644, un empereur chinois en interdit l'usage. Ds lors, la population se tourna vers l'opium. La demande fut trs forte et ce sont les Portugais qui amenrent l'opium de l'Inde directement en Chine, via le port de Macao. Mais trs rapidement, les cultures de pavot devinrent abon-dantes en Chine. Cependant, en 1729, un empereur chinois interdit la consommation d'opium. Ds lors, ce furent les Britanniques qui contrlrent le trafic d'opium de leurs comptoirs indiens en organisant la contrebande. Celle-ci conduisit la Guerre de l'Opium (1839-1842) qui fut le point de dpart de l'ouverture force de la Chine aux nations occidentales. Malgr les interdictions, les Chinois ont toujours fum de

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  • le pavot :de l'opium la morphine et l'hrone

    L'opium, le latex sch devenu brun

    l'opium et les fumeries mystrieuses sont dcrites dans de nombreuses uvres littraires, dont par exemple La Condition Humaine et Les Conqurants d'Andr Malraux (1901-1976). Il semble que la premire exprience ne soit pas agrable et se termine souvent par des nauses, parfois des vomissements, des maux de tte et un sommeil lourd. C'est probablement la raison pour laquelle Jean Cocteau (1889-1963) conseillait d'approcher l'opium comme il convient d'approcher les fauves : sans peur ; mais ensuite, ajoute-t-il la substance grise et la substance brune font les plus beaux accords. L'opium stimule l'ima-gination et engendre une douce euphorie. L'effet est en relation direc-te avec le degr d'intellectualit du fumeur (Pelt, 1983). Ainsi la mme quantit d'opium procure aux fins lettrs chinois des jouissances intel-lectuelles qui resteront toujours mconnues du pauvre coolie qui fume ses cts. Aprs les premires pipes, les nerfs se dtendent, la volon-t s'amollit, l'agressivit disparat, le dsir de communiquer et de bou-ger, ainsi que la libido sont attnus. Jean-Marie Pelt, dans son bel ouvrage Drogues et Plantes magiques publi en 1983, rapporte les impressions de quelques fumeurs d'opium clbres. Nous ne citerons ici que le pote franais Charles Baudelaire (1821-1867), qui, la recherche de sensations rares, crit en 1857 dans Les Fleurs du Mal :

    11 L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes Allonge l'illimit,

    Approfondit le temps, creuse la volupt, Et des plaisirs noirs et mornes,

    Remplit l'me au-del de sa capacit . ''

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    Cette uvre magistrale lui valut une condamnation pour immoralit. L'opium tait connu ds l'poque de la Grce antique pour ses

    proprits analgsiques. Son utilisation pour le traitement de la dou-leur ne devint cependant populaire qu'au XVI sicle grce au mdecin et alchimiste suisse Theophrastus Bombastus von Hohenheim, mieux connu sous le nom de Paracelse (1493-1541). Il donna le nom de lau-danum (du latin laudare qui veut dire louer) divers types de prpa-rations base d'opium. Parmi les effets secondaires, il faut citer l'inhi-bition du pristaltisme intestinal qui conduit la constipation chez les fumeurs ou consommateurs rguliers d'opium. Cet effet peut aussi avoir des avantages et pendant longtemps, on trouvait dans nos phar-macies des teintures d'opium pour combattre les diarrhes et on peut encore en trouver.

    Fumer rgulirement de l'opium conduit la dpendance (opio-manie). Dans le monde occidental, c'est le Congrs amricain qui inter-dit en premier l'usage de l'opium des fins non-mdicales en 1905, suivi trs rapidement par d'autres pays. En France, une lgislation trs restrictive fut mise en place en 1908. Toutes ces lgislations ne purent pas empcher la culture illicite du pavot qui a encore de beaux jours devant elle, malgr les nombreuses mises en garde des pouvoirs publics, du monde scientifique et mdical. Des tudes pidmiologiques, rali-ses par l'Organisation Mondiale de la Sant (OMS) dans les provinces du nord de l'Iran, ont montr que l'incidence du cancer de l'sophage chez les personnes des deux sexes tait nettement plus leve que par-tout ailleurs dans le monde. Dans ces rgions, de nombreuses person-nes fument rgulirement de 1' opium et mangent mme les rsidus de calcination que l'on trouve au fond des pipes. Une relation a pu tre ta-blie entre l'ingestion de pyrolysats d'opium et la grande incidence de cancers de l'sophage. Dans un centre de recherche de Lyon, des pyrolyses contrles d'opium et de son alcalode principal, la morphi-ne, ont t ralises. Des produits de dgradation trs cancrignes ont pu tre caractriss, alors que la morphine elle-mme ne possde aucu-ne activit de ce type (Hewer et al., 1978).

    De la dcouverte de la morphine et de ses proprits et de sa transformation en hrone

    Un produit comme l'opium attira trs rapidement l'attention des chimistes qui entreprirent l'analyse de ce latex sch du pavot. Selon les sources consultes, il existe quelques divergences au sujet de la dcouverte de la morphine, alcalode principal de l'opium. Ainsi, dans

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  • le pavot : de l'opium la morphine et l'hrone

    la littrature scientifique franaise, il est souvent mentionn que la mor-phine a t dcouverte en 1804 ou 1806 (?)par Charles Seguin, chi-miste des armes de Napolon. Ce dernier eut le tort de ne publier que trs partiellement ses rsultats, ce qui lui valut d 'tre doubl par le pharmacien allemand Sertrner.

    Actuellement, la plupart des scientifiques accordent la paternit de la dcouverte de la morphine Friedrich Wilhelm Adam Sertrner (1783-1841). Il dlaya l'opium dans de l'acide, puis neutralisa la solu-tion obtenue par de l'ammoniaque pour obtenir un prcipit qu'il puri-fia encore (Sertrner, 1805). Cette premire publication scientifique n'eut pas beaucoup de succs et ce n 'est qu' partir de 1817 que le monde scientifique et mdical prit conscience de l'importance de cette dcouverte. En effet, Sertrner publia un deuxime article trs complet dans lequel il nommait la substance principale de l'opium Morphium du dieu grec Morphe (Sertrner, 1817). Quelques annes plus tard, le chimiste franais Louis Joseph Gay-Lussac (1778-1850) transforma le nom de la substance isole en Morphinum, dont drive directement le nom actuel de morphine (Hesse, 2000). Sertrner isola, en plus de la morphine, d'autres substances, dont l'acide mcanique qui ne possde pas de proprits pharmacologiques intressantes, mais qui est typique pour l'opium et sert encore actuellement comme marqueur d 'identit. La structure correcte de la morphine ne fut tablie qu'en 1925 et la premire synthse totale ralise en 1952. Cette dernire est trs complique et implique de nombreuses tapes. De ce fait , elle n'est pas rentable conomiquement et les tonnes de morphine utilises annuellement proviennent toujours de la culture du pavot somnifre. L'opium contient en moyenne environ 10 % de morphine, mais la teneur peut tre bien plus leve et atteindre parfois jusqu' 20 %. Actuellement, pour l'obtention industrielle de la morphine, on extrait toutes les parties ariennes sches du pavot - capsules y compris - car la paille (tiges et feuilles sches) de pavot contient environ 0,8 1 % de morphine. Il n'est donc plus ncessaire de passer par l'opium pour accder la morphine. On estime la production illicite de morphine environ 400 tonnes pour l'anne 2000. Quant aux graines de pavot qui sont traditionnellement utilises en Europe centrale et surtout en Alle-magne dans la fabrication de pains et de gteaux, elles ne contiennent que trs peu de morphine. L'ingestion des graines, dans les conditions usuelles de consommation, n'engendre aucun des symptmes caract-risant la prise de morphine ou substances analogues (Bruneton, 1999).

    La morphine est un alcalode, dont la structure est assez compli-que. C'est une molcule pentacyclique qui possde 5 centres asym-

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    triques et un groupe hydroxyle phnolique. La morphine endort la dou-leur et elle fut prconise sous forme de sirop ou de gouttes dans le trai-tement des douleurs chroniques et des tats d'agitation. Cependant l'ef-ficacit trs grande de la morphine dans le soulagement de la douleur ne fut vraiment reconnue sa juste valeur qu'aprs l'invention de la seringue hypodermique en 1853. Ce type de seringue permet l'injec-tion d'un mdicament en solution dans les tissus cellulaires sous-cutans l'aide d'une aiguille. La premire utilisation massive de la morphine eut lieu sur les champs de bataille (chirurgie de guerre) pendant la guer-re de Scession aux tats-Unis entre 1861 et 1865 qui causa 670 000 morts. Elle rendit aussi d'inestimables services pendant la guerre franco-prussienne de 1870 pour le traitement des blesss : les chirurgiens uti-lisaient la morphine doses massives pour effectuer des amputations, ignorant tout de son aptitude crer la dpendance. Des cas de mor-phinomanie furent d'abord signals en Allemagne, puis un peu partout en France ds 1880 (Pelt, 1983). La vogue de la morphine se rpandit surtout dans les milieux mondains de l'Europe et des tats-Unis. L'ac-coutumance qu'elle induit et son pass sulfureux la font mettre au ban des mdicaments politiquement corrects dans les annes 1914-1920, tant aux tats-Unis qu'en France (Potier et Chast, 2001).

    La morphine inspira les chimistes qui en firent de nombreux dri-vs hmi-synthtiques. Sans aucun doute, le plus clbre de ces dri-vs est la diactyl-morphine que l'on peut obtenir trs facilement en faisant ragir la morphine avec l'anhydride actique. Cette substance fut prpare pour la premire fois Londres en 1874. En 1898, elle fut commercialise par la firme pharmaceutique allemande Bayer, pour le traitement de la toux et des douleurs. Ce driv diactyl de la morphine fut tellement efficace pour calmer les douleurs des grands tuberculeux incurables cette poque qu'il fut considr comme un mdicament hroque, d'o son nom tristement clbre d'hrone ! Non seulement on venait de trouver un nouvel analgsique, mais on s'aperut que les morphinomanes traits l'hrone abandonnaient progressivement l'usage de la morphine. En 1900, une revue mdica-le publia le titre suivant :

  • le pavot : de l'opium la morphine et l'hrone

    plupart du temps par injection intraveineuse, provoque une sensation trs intense et rapide de plaisir total. Mais le flash ne dure que trs peu de temps et l'envie de recommencer est induite immdiatement. L'hrone est plus lipophile que la morphine, son effet est plus rapide et sa toxicit nettement plus leve. Le manque se fait vite sentir et les injections devront tre renouveles toutes les deux ou trois heures. Le besoin de se procurer la drogue devient obsessionnel et conduit trs vite la criminalit ou la prostitution. De plus, le besoin d'augmenter les doses a t assez rapidement mis en vidence. Chez un adulte qui n'a jamais touch la drogue une dose de 100 mg peut dj tre mortelle, alors qu'un drogu, aprs un certain temps, a besoin d'une dose de 1 g en 24 heures ou mme plus. la diffrence de la plupart des autres drogues, l'accoutumance l'opium, la morphine et l'hrone n'est pas seulement psychique, mais devient une dpendance physique. La meilleure volont n'arrive plus rprimer l'tat de besoin. Il va de soi que les injections rptes abment les veines, provoquent des infections et favorisent les transmissions d'hpatites et du virus HIV. Certaines personnes fument aussi l'hrone, parfois en association avec de la cocane. Cette combinaison, connue sous le nom de speed-ball dans le milieu des toxicomanes, a un effet particulirement fulgurant. L'arrt brutal de la prise d'hrone provoque l'anxit accompagne souvent de vomissements, de fortes transpirations, des crampes, des insomnies. L'organisme en manque rclame brutalement la drogue. La thrapie de dsintoxication consiste diminuer graduellement les doses ou rem-placer l'hrone par une substance aux effets secondaires moins nfas-tes. Plusieurs molcules sont proposes pour lutter contre la pharma-codpendance l'hrone et autres drivs de l'opium (Magistretti, 1992). Il s'agit en premier lieu de la mthadone, une substance synth-tise en Allemagne durant la seconde guerre mondiale et qui peut tre administre par voie orale. L'utilisation de cette molcule est consid-re comme un traitement d'appoint important, mais la rinsertion du toxicomane implique surtout aussi un soutien psychologique efficace. D'autres substances sont galement proposes, comme par exemple le LAAM (L-a -actyl-mthadol) qui permet de supprimer les symptmes de sevrage pour une dure de 72 heures, au lieu de 24 heures environ en rponse la mthadone. Curieusement, l'ibogane, un alcalode indolique, elle-mme considre comme psychotrope, est susceptible d'tre utilise dans le traitement de la dpendance aux opiaces et ven-tuellement la cocane. L'ibogane provient de l'iboga, un arbrisseau d'Afrique, dont le nom scientifique est Tabernanthe iboga H. Bn. (Apocynaceae). Au Gabon, des prparations base de la racine d'iboga sont utilises pour augmenter la rsistance la fatigue et

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  • Les plantes gui deviennent des drogues

    comme aphrodisiaque. doses leves, ces prparations stimulent le systme nerveux central et provoquent des hallucinations.

    signaler que le pavot contient d'autres alcalodes qui ont une structure chimique proche de celle de la morphine et qui appartiennent la classe des morphinanes. La plus connue est la codine qui peut aussi tre prpare partir de la morphine par mthylation slective. En fait, des milliers de tonnes de morphine, substance principale de la plante, sont transformes chaque anne en codine. Cette substance est bien connue du grand public car elle entre dans la formulation de nombreuses spcialits pour le traitement de la toux. De nombreuses molcules la structure proche de la morphine ont t obtenues par hmi-synthse. Elles ont donn des mdicaments intressants pour traiter la douleur et la toux, sans induire de dpendance. Une autre substance du type morphinane mrite encore d'tre cite ici. Il s'agit de la thbane ou dimthylmorphine. Elle n 'est pas d'un grand intrt thrapeutique, mais peut tre utilise pour la prparation de la codi-ne par dmthylation slective. Un alcalode d'un autre type est aussi prsent dans le pavot et l'opium, savoir la papavrine. Sa structure chimique est plus simple et elle peut tre prpare aisment par syn-thse chimique, au contraire des morphinanes. C'est un excellent spas-molytique qui peut tre utilis lors de spasmes de l'estomac, de l'intes-tin et de la vsicule biliaire . Son effet sur le systme nerveux central est faible. Elle a aussi prouv son efficacit en cas de dysfonctionnement rectile (impuissance). Il suffit d 'injecter une solution de chlorhydrate de papavrine directement dans un des corps caverneux du pnis. L'rection ne va pas tarder et elle peut durer longtemps, voire trop longtemps (crise de priapisme). Le mode d'application rebute bien des hommes et depuis l'arrive du clbre Viagra qui est administr par voie orale, la papavrine n 'a gure d'avenir pour le traitement de l'im-puissance. Le pavot, dont les graines entraient dans la nourriture quo-tidienne des lacustres de l'poque nolithique, a surtout fascin l'hom-me par ses proprits narcotiques et analgsiques dj connues des Sumriens et des Grecs anciens. L'opium, le latex sch des capsules, est devenu au cours des sicles la drogue de l'Orient. De la douce euphorie induite par l'opium, on passe une tape suprieure avec l'utilisation de la morphine. Malgr la dpendance qu'elle provoque, cette substance extraordinaire reste 1 'anti-douleur efficace qui soulage-ra encore longtemps de nombreuses personnes qui souffrent norm-ment, notamment les cancreux en phase terminale. L'Homme, apprenti-sorcier, a cr partir de la morphine l'hrone qui ne se trouve pas dans le pavot. Son utilisation abusive et incontrlable conti-nuera hlas faire de nombreux ravages dans les annes venir.

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  • Le khat, l'amphtamine naturelle de la corne de l'Afrique

    Le khat, l'amphtamine naturelle de la corne de 1 'Afrique

    Un stimulant beaucoup utilis dans une grande partie de l'Afrique est considr comme la drogue masticatoire de ce continent. On l'ap-pelle aussi kat, cath, cat, tschat, tscht ou encore tschai. Il s'agit des feuilles de Catha edulis Forsk., un arbuste appartenant la famille Celastraceae. Cette famille botanique est peu connue chez nous car en Europe, elle n'est reprsente que p