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25 L L e e s s s s e e c c r r e e t t s s d d e e l l a a B B a a s s m m a a l l a a A. A. I I n n t t r r o o d d u u c c t t i i o o n n Le texte dont la traduction figure ci-dessous est tiré d’un ouvrage du grand saint soufi `Abd al-Qâdir al-Jîlânî (1077-1166), originaire du Jîlân (au nord de l’actuel Iran), enterré à Bagdad, et dont l’influence spirituelle a été et est encore très vivace au sein de nombreuses branches du Taçawwuf (soufisme). Il s’agit d’un commentaire de la formule Bismillâh al- Rahmân al-Rahîm (« Au nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux ») qui se trouve en tête du Coran, et en particulier de la première sourate, la Fâtiha (« Celle qui ouvre » le Livre sacré). Cette formule, appelée la Basmala, qui se retrouve d’ailleurs en tête de toutes les sourates (à l’exception de la neuvième) peut donc être considérée comme un symbole du Coran lui-même. 21 21 Afin d’écarter dès l’abord une objection possible, signalons que certaines écoles de droit musulman considèrent que ce verset ne fait pas explicitement partie de la Fâtiha, et donc ne doit pas être récité lors de la prière. Néanmoins, la question est clairement tranchée par Ibn ‘Arabî lui-même qui affirme au début du chapitre 5 des Futûhât que la Basmala est « le premier verset (de la Fâtiha), et en fait nécessairement partie comme en étant le plus éminent, contrairement à ce qui est communément admis parmi les oulémas ». Nous considérerons donc dans tout ce qui suit que la Basmala est bien partie intégrante de la première sourate, ce qui est d’ailleurs logiquement en conformité avec le hadith dont il est question au paragraphe suivant.

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    LLeess sseeccrreettss ddee llaa BBaassmmaallaa

    A. A.

    IInnttrroodduuccttiioonn Le texte dont la traduction figure ci-dessous est tir dun ouvrage du grand saint soufi `Abd al-Qdir al-Jln (1077-1166), originaire du Jln (au nord de lactuel Iran), enterr Bagdad, et dont linfluence spirituelle a t et est encore trs vivace au sein de nombreuses branches du Taawwuf (soufisme). Il sagit dun commentaire de la formule Bismillh al-Rahmn al-Rahm ( Au nom de Dieu, le Tout-Misricordieux, le Trs-Misricordieux ) qui se trouve en tte du Coran, et en particulier de la premire sourate, la Ftiha ( Celle qui ouvre le Livre sacr). Cette formule, appele la Basmala, qui se retrouve dailleurs en tte de toutes les sourates ( lexception de la neuvime) peut donc tre considre comme un symbole du Coran lui-mme.21

    21 Afin dcarter ds labord une objection possible, signalons que certaines coles de droit musulman considrent que ce verset ne fait pas explicitement partie de la Ftiha, et donc ne doit pas tre rcit lors de la prire. Nanmoins, la question est clairement tranche par Ibn Arab lui-mme qui affirme au dbut du chapitre 5 des Futht que la Basmala est le premier verset (de la Ftiha), et en fait ncessairement partie comme en tant le plus minent, contrairement ce qui est communment admis parmi les oulmas . Nous considrerons donc dans tout ce qui suit que la Basmala est bien partie intgrante de la premire sourate, ce qui est dailleurs logiquement en conformit avec le hadith dont il est question au paragraphe suivant.

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    Selon un clbre hadith22, en effet, le Coran tout entier est contenu dans la Ftiha et la Ftiha est elle-mme contenue dans la formule Bismillh al-Rahmn al-Rahm. Une autre tradition remontant `Al affirme encore que la Basmala est elle-mme contenue dans sa premire lettre qui est le b, lequel est son tour contenu dans son point diacritique souscrit. La lettre b, qui est donc la lettre par laquelle souvre le Coran, est un symbole de lEsprit universel (al-Rh). Cest pourquoi elle est la premire lettre du Livre, comme lEsprit quelle reprsente est lorigine de la cration. Selon un symbolisme bien connu, le monde est en effet :

    le Grand Livre (al-muhaf al-kabr) que Dieu (al-Haqq) rcite sur nous dune rcitation extrieure, de mme que le Coran est pour nous la rcitation dune parole. Le monde est compos de lettres crites et alignes sur le parchemin dploy de lexistence, sur lequel lcriture perptuelle ne cesse ni ne sarrte jamais 23.

    Dans un texte consacr au symbolisme du tissage, Ren Gunon nous livre le mme enseignement :

    ...lUnivers lui-mme, dans certaines traditions, est parfois symbolis par un livre : nous rappellerons seulement ce propos, le Liber Mundi des Rose-Croix, et aussi le symbole bien connu du Liber Vitae apocalyptique. A ce point de vue encore, les fils de la chane, par lesquels sont relis les points correspondants dans tous les tats, constituent le livre sacr par excellence, qui est le prototype (ou plutt larchtype) de toutes les critures traditionnelles, et dont celles-ci ne sont que des expressions en langage humain ; les fils de la trame,

    22 Voir par exemple Titus Burckhardt, Introduction aux Doctrines sotriques de lIslam, Dervy-Livres, 1969, pp. 64 sq. 23 Ibn `Arab, Futht, ch.5. Allusion Cor. 52, 2-3.

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    dont chacun est le droulement des vnements dans un certain tat, en constituent le commentaire, en ce sens quils donnent les applications relatives aux diffrents tats ; tous les vnements, envisags dans la simultanit de lintemporel, sont ainsi inscrits dans ce Livre, dont chacun est pour ainsi dire un caractre, sidentifiant dautre part un point du tissu. Sur ce symbolisme du livre, nous citerons aussi un rsum de lenseignement de Mohyiddin ibn Arabi : LUnivers est un immense livre ; les caractres de ce livre sont tous crits, en principe, de la mme encre et transcrits la Table ternelle par la plume divine ; tous sont transcrits simultanment et indivisibles ; cest pourquoi les phnomnes essentiels divins cachs dans le secret des secrets prirent le nom de lettres transcendantes. Et ces mmes lettres transcendantes, cest--dire toutes les cratures, aprs avoir t condenses virtuellement dans lomniscience divine, sont, par le souffle divin, descendues aux lignes infrieures, et ont compos et form lUnivers manifest 24.

    Cette correspondance entre lunivers manifest et le livre concerne naturellement au premier chef le Livre rvl, cest--dire le Coran ; et cest lHomme universel, la fois symbole de lExistence universelle (ramz al-wujd) et frre du Coran qui est seul susceptible de lire la fois lun et lautre. Par ailleurs, cest dans cette correspondance que se trouve le fondement de la Science des Lettres :

    ...le message divin est le Livre du Monde, archtype de tous les Livres sacrs, et les lettres transcendantes qui composent ce Livre sont toutes les cratures, ainsi quil a t expliqu plus haut. Il rsulte aussi de l que la science des

    24 Ren Gunon, Le Symbolisme de la Croix, ch. XIV.

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    lettres (ilmul-hurf), entendue dans son sens suprieur, est la connaissance de toutes choses dans le principe mme, en tant quessences ternelles ; dans un sens que lon peut dire moyen, cest la cosmogonie ; enfin, dans le sens infrieur, cest la connaissance des vertus des noms et des nombres, en tant quils expriment la nature de chaque tre, connaissance permettant dexercer par leur moyen, en raison de cette correspondance, une action dordre magique sur les tres eux-mmes. 25

    Du fait de lanalogie entre Livre rvl et Liber Mundi, la sourate qui ouvre le Livre, la Ftiha, et plus particulirement la Basmala, qui est la Ftiha de la Ftiha , doit correspondre au principe de la manifestation. Ce principe nest pas envisag ici sous le rapport de lEssence en elle-mme, laquelle correspond la lettre alif (dont la valeur numrale est 1)26, mais en tant quil est lEsprit (al-Rh) ou encore lIntellect premier (al-`aql al-awwal) qui est le principe immdiat de la cration ; cest pourquoi il lui correspond la lettre b (dont la valeur est 2). Cet Esprit lui-mme est la fois incr et cr : cest cet aspect que symbolise le point diacritique, et auquel Ibn `Arab fait allusion en disant :

    Cest par le b que lexistence sest manifeste, et cest par le point (diacritique sous le b) que ladorateur se distingue de lador. On dit Shibl quAllh soit satisfait de lui ! : Tu es Shibl. Il rpondit : Je suis le point qui est sous le b . Ce qui est ce que nous disions, savoir que le point se rapporte la distinction. Cest lexistence du serviteur par laquelle est manifeste pour lui la ralit essentielle de la servitude. Cest pourquoi le shaykh Ab Madyan quAllh

    25 Ren Gunon, Le Symbolisme de la Croix, ch. XVII, en note. 26 Selon Ibn `Arab, dailleurs, lalif nest pas une lettre pour qui a hum le parfum des Ralits essentielles (haqiq) (Futht, ch. 2).

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    lui fasse misricorde disait : Je nai jamais vu une chose sans voir la lettre b crite sur elle 27.

    La distinction dont il sagit est aussi bien entendu sous un autre rapport une union ; mais qui dit union pose par l mme deux termes distincts entre lesquels cette union puisse avoir lieu. Nous sommes ici, sil est permis de sexprimer ainsi, lorigine mme de la dualit. Al-Rh est

    la limite mme pose entre El-Haqq et el-khalq, limite par laquelle la cration est spare de son Principe divin et lui est unie tout la fois, suivant le point de vue sous lequel on lenvisage ; cest donc, en dautres termes, le barzakh par excellence 28.

    On peut galement rapprocher al-Rh du Calame divin, ce qui est encore une allusion la science des lettres. Selon un hadith prophtique, en effet : La premire chose que Dieu cra est le Calame , tandis que selon un autre hadith : La premire chose que Dieu cra est lEsprit . Il en rsulte que le Calame symbolise lEsprit universel : cest la Plume divine, qui crit la Science divine englobe par lEsprit. Le point qui est sous le b reprsente la pointe de ce Calame ; on dit aussi quil est la premire goutte dencre qui schappa du Calame, et que toutes les lettres sont virtuellement contenues dans ce point : il est donc bien in principio, au commencement du Livre, de mme que lEsprit qui procde du commandement de mon Seigneur (Cor. 17, 84) est le principe immdiat de la cration :

    Cest donc le b qui est proprement lorigine de la cration, et celle-ci saccomplit par lui et en lui, cest--dire quil en est la fois le moyen et le lieu, suivant les deux

    27 Ibn `Arab, Futht, ch. 5. 28 Ren Gunon, Aperus sur lsotrisme islamique et la Taosme, ch. V (Er-Rh).

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    sens qua cette lettre quand elle est prise comme la prposition bi 29, ce qui est effectivement le cas au dbut de la Ftiha, o bism est form de la prposition en question suivie du mot ism (nom), de sorte que lon peut comprendre tout la fois au Nom , par le Nom , et dans le Nom 30.

    Dans certaines versions du hadith rapport par `Al, celui-ci ajoute : ...et je suis le point sous le b . Il sagit alors dun symbole de lHomme universel, lequel est galement, bien que sous un autre rapport, le barzakh par excellence. On a vu plus haut que Shibl faisait usage du mme symbolisme, qui fut employ par certains grands initis pour exprimer la perfection de leur ralisation spirituelle 31. Ibn `Arab utilise le mme symbolisme dans sa Prire sur le Prophte, o il dsigne celui-ci par les expressions de Parole du Nom Suprme , Ftiha du Trsor Inviolable , point de la Basmala qui renferme ce qui sera et ce qui a t , et vocable du Dcret qui tourne sur les circonfrences des mondes . Michel Vlsan, dans sa traduction de cette Prire, commente comme suit cette dernire expression :

    Ce vocable nest rien dautre que lexpression, sous un aspect distinctif et dynamique, du point sous le b. On remarquera en mme temps que ce point est lui-mme la projection de la pointe suprieure de lalif dont le trait vertical reprsente laxe suivant lequel se manifeste le Dcret divin. Llment circulaire de la forme du b reprsente les circonfrences des mondes, qui, en tant que non spares

    29 Cest aussi pourquoi le b ou son quivalent est la lettre initiale des Livres sacrs : la Thorah commence par Bereshit, le Qorn par BismiLlah et bien quon nait pas actuellement le texte de lEvangile dans une langue sacre, on peut du moins remarquer que le premier mot de lEvangile de Saint Jean, en hbreu, serait aussi Bereshit (Note de Ren Gunon). 30 Ren Gunon, Aperus sur lsotrisme islamique et la Taosme, ch. V (Er-Rh). 31 Ibn `Arab, Prire sur le Prophte, traduction et notes de Michel Vlsan, Etudes Traditionnelles, 1974, p. 243.

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    les unes des autres, forment ensemble une spirale sur laquelle tourne le vocable du Dcret 32.

    Ces considrations permettent de comprendre que le Prophte Muhammad - sur lui la Grce et la Paix - a pu dire : Je suis le Calame (an al-qalam) . Or, selon un hadith transmis par Sa`d ibn Manr : "La premire chose qucrivit le Calame fut : En vrit, Ma misricorde prcde (ou : lemporte sur) Ma colre". Cest pourquoi lune des significations du point sous le b est celle de misricorde (rahma); cette signification, qui se retrouve dans les noms divins al-Rahmn et al-Rahm mentionns dans la basmala, renvoie elle aussi aux liens trs troits qui unissent la rahma et le Prophte sur lui la Grce et la Paix divines. Les deux noms qui viennent dtre mentionns se rattachent tous deux lide de misricorde (rahma)33, mais il y a nanmoins entre eux plus quune nuance : Allh est al-Rahmn en tant que Sa misricorde embrasse toute chose (Cor. 7, 156) ; Il est al-Rahm en tant quIl fait misricorde. Par Son nom al-Rahmn, Il cre le monde ; par Son nom al-Rahm, Il y fait descendre Sa grce et le sauve. Cest par lExpir du Tout-Misricordieux (nafas al-Rahmn) que toute chose vient lexistence : Al-Rahmn est la Qualit commune ( tous les degrs de lExistence universelle), car Il est Rahmn de ce monde et de lautre 34. En revanche, le Nom al-Rahm sapplique plus particulirement la demeure de lau-del , ce qui, transpos sur le plan initiatique, signifie que ce Nom se rfre lHomme universel, qui est la vritable finalit de la cration.

    32 Ibid. 33 A noter galement lide de matrice (rihm). 34 Dans tout ce qui suit, et sauf mention explicite du contraire, toutes les citations renvoient au chapitre 5 des Futhat dIbn `Arab, consacr au commentaire de la Ftiha.

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    Les trois noms divins qui apparaissent dans la Basmala peuvent galement tre mis en correspondance respective avec les domaines de lEssence, des Attributs et des Actes : Allh est le Nom de lEssence ; al-Rahmn est lAttribut par excellence, qui contient en quelque sorte tous les autres ; et al-Rahm correspond au domaine des Actes divins, au sein duquel se manifeste la Forme prophtique. Les trois mondes de lEssence, des Attributs et des Actes sont galement symboliss dans la Basmala par trois alif qui y sont occults 35. Le premier est cach dans le vocable bism qui est en ralit compos de deux mots, la prposition bi, rduite une seule lettre, tant prfixe au mot suivant, ism, qui signifie nom . Ce mot commence en principe par un alif, mais la prsence de la prposition a pour effet de le faire disparatre. Cet alif perdu , dont le Prophte a dit quil avait t vol par Satan, symbolise le Nom suprme de Dieu : de mme que celui-ci est voil par la manifestation, de mme lalif est-il voil par le b :

    Et lalif supprim la place duquel se trouve le b est la Ralit essentielle du Trs-Haut, Recteur de lunivers (al-qim bi-l-kull), dont la misricorde est voile dans le point qui est sous le b.

    Deux autres alif sont galement occults dans la Basmala, en ce sens quils sont prononcs, mais non crits : lalif qui se trouve dans le nom Allh, entre le deuxime lam et le h ; et lalif du nom al-Rahmn, entre le mm et le nn. Le premier, tant voil dans le nom Allh, est un symbole de lEssence divine ; le second se rapporte au nom al-Rahmn et par l au monde des Attributs divins ; quant lalif occult dans le vocable bism, il correspond comme nous lavons dit au Nom suprme qui est en relation avec

    35 Ce point est galement dvelopp par al-Qshni dans son commentaire de la Ftiha. Cf. la traduction et les notes de Michel Vlsan, Etudes Traditionnelles, 1963, pp. 81 sq.

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    lHomme Universel, et donc aussi au troisime Nom nonc dans la Basmala. Ces trois alif constituent ainsi une expression de lunit dans les trois mondes ; juxtaposs, ils forment le nombre 111, qui est le nombre du Ple (qutb)36. Nous venons de voir que le premier et le dernier mot de la Basmala renvoient lHomme Universel ; cependant, Ibn `Arab est plus prcis encore et indique les rapprochements suivants :

    Al-Rahm est Muhammad sur lui la Grce et la Paix divines et Bism est notre pre Adam .

    Autrement dit, Bism et al-Rahm ouvrent et ferment la Basmala, de mme que Adam et Muhammad ouvrent et ferment respectivement le cycle de la Prophtie. En outre :

    Adam sur lui la Paix tait porteur des Noms selon la Parole du Trs-Haut : Et Il enseigna Adam tous les Noms 37, et Muhammad sur lui la Grce et la Paix tait porteur des significations de ces Noms que portait Adam sur lui la Paix. Ce sont les Paroles, selon ce qua dit le Prophte sur lui la Grce et la Paix : Jai reu les Sommes des Paroles .

    Il est noter en outre que la lettre mm vient en dernier dans le nom dAdam, qui est le premier des hommes mais aussi des Prophtes, et quelle vient en premier dans le nom de Muhammad, qui est le dernier des Prophtes et des Envoys et les rcapitule tous38.

    36 Ainsi dailleurs que le nombre form par le total des lettres composant le mot alif lui-mme. Cf. Ren Gunon, Symboles [Fondamentaux] de la Science Sacre, ch. XV. 37 Cor. 2, 31. 38 Cf. Ibn `Arab, La Profession de Foi, Sindbad, 1978, p.138.

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    Nous devons arrter ici ces brves considrations, que nous ne pouvons dvelopper davantage dans le cadre de la prsente introduction. Par ailleurs, un livre ny suffirait pas. Les commentaires de la Basmala se rencontrent, ainsi quil est naturel, trs souvent dans le soufisme. Nous devons toutefois rserver une mention particulire au trait d`Abd al-Karim al-Jl sur le mme sujet39. La traduction en est rcemment parue, prcde dune longue et excellente introduction qui dveloppe plusieurs points ici peine effleurs. Nous ne pouvons quy renvoyer le lecteur dsireux den approfondir la connaissance.

    LLeess sseeccrreettss ddee llaa BBaassmmaallaa (Extrait de louvrage Trsor pour les chercheurs de la Voie de Dieu - al-Ghunya li-tlib tarq al-Haqq - d`Abd al-Qdir al-Jln)40

    1. De la vertu (fadl) de Bismillh al-Rahmn al-Rahm `At a rapport, daprs Jbir ibn `Abdallh quAllh soit satisfait deux : Lorsque fut rvl (le verset) Bismillh al-Rahmn al-Rahm, les nuages fuirent vers lorient, les vents sapaisrent, la mer se souleva, les animaux tendirent loreille son appel, les dmons furent lapids depuis le ciel, et Allh 39 Abd-el-Karim el-Jl, Un Commentaire sotrique de la formule inaugurale du Coran, traduit et annot par Jbir Clment-Franois, Editions Albouraq, 2002. Bien qugalement originaire du Jln, cet autre grand soufi (mort en 1428) ne doit pas tre confondu avec `Abd al-Qdir al-Jln, auteur du commentaire dont la traduction figure ci-dessous. 40 `Abd al-Qdir al-Jln al-Hassan : Al-Ghunya li-tlib triq al-Haqq fi-l-akhlq wa-l-taawwuf wa-l-db al-islmiyya. Dr al-fikr d., premire partie, pp. 110-116.

  • 35

    puissant et majestueux jura par sa Toute-Puissance que lon ninvoquerait pas son Nom lors dune maladie sans tre guri, que lon ninvoquerait pas son Nom sur une chose sans que celle-ci soit bnie, et que qui rciterait Bismillh al-Rahmn al-Rahm entrerait au Paradis . Ab Wil a rapport, daprs `Abdallh ibn Mas`ud quAllh soit satisfait de lui : Celui qui veut quAllh le dlivre des dix-neuf gardiens (al-zabniya)41, quil dise Bismillh al-Rahmn al-Rahm, car cette parole est (compose) de dix-neuf lettres, et Allh le Trs-Haut fera de chacune de ces lettres un paradis 42. Daprs Twus, Ibn`Abbas quAllh soit satisfait deux a rapport que `Uthmn ibn `Affn quAllh soit satisfait de lui avait demand au Prophte sur lui la grce et la Paix divines la signification de Bismillh al-Rahmn al-Rahm. Celui-ci rpondit : Cest un nom dentre les noms dAllh puissant et majestueux ; entre ce nom et le Nom Suprme dAllh, il ny a pas plus de distance quentre le noir et le blanc de lil 43.

    41 Le terme al-zabniya est coranique : voir Cor. 96, 18. Cest dans un autre passage (Cor. 74, 30) quil est prcis que les gardiens du Feu sont au nombre de dix-neuf. 42 Ce sont les lettres effectivement crites dans la transcription de ce verset qui sont au nombre de dix-neuf. Il y a lieu de considrer en outre 3 alif occults dans lEcriture : le premier, entre le b et le sn de bism ; le second, prononc mais non crit, entre le second lm et le h de Allh ; le troisime, galement prononc mais non crit, entre le mm et le nn de Rahmn ; ce qui a pour effet de porter vingt-deux le nombre total de lettres de la Basmala. Al-Qshn met ces 19 lettres en relation avec les mondes suivants : le monde de la Toute-Puissance (Jabart), le monde de la Royaut (Malakt), le Trne (al-Arsh), le Pidestal (al-Kurs), les sept cieux, les quatre lments, les trois rgnes et le monde de lhomme qui synthtise lensemble des degrs dexistence (Cf. Etudes Traditionnelles, 1963, p. 84). 43 Littralement : sous le rapport de la proximit (min al-qurb). Il faut se souvenir, conformment une remarque de Michel Vlsan, que les termes qurb, qurba sont souvent utiliss pour parler mots couverts de lIdentit Suprme (E.T., 1966, p. 248).

  • 36

    Daprs Anas ibn Mlik quAllh soit satisfait de lui lEnvoy dAllh sur lui la Grce et la Paix divines a dit : Celui qui ramasse sur le sol une feuille sur laquelle est inscrit Bismillh al-Rahmn al-Rahm, par considration envers Allh et pour viter quelle soit foule aux pieds, Allh linscrit parmi les vridiques et loigne de ses parents le chtiment de lenfer, mme si ceux-ci sont mcrants . Il est dit aussi : Ibls le rprouv na jamais fait entendre de gmissements aussi plaintifs quen trois occasions : le premier gmissement, lorsquil fut maudit et chass du royaume cleste (malakt al-sama) ; le deuxime gmissement, lorsque naquit le Prophte sur lui la Grce et la Paix divines ; et le troisime gmissement lorsque fut rvle la Ftiha du Livre, cause de la prsence en elle de Bismillh al-Rahmn al-Rahm . Slim ibn al-Ja`d a rapport qu`Al quAllh soit satisfait de lui a dit : Lorsque fut rvl Bismillh al-Rahmn al-Rahm, lEnvoy dAllh sur lui la Grce et la Paix divines dit : la premire descente de ce verset eut lieu sur Adam ; celui-ci dit : ma postrit sera labri du chtiment tant quelle le rcitera. Ensuite, ce verset remonta, puis descendit sur Ibrhm, lAmi intime (dAllh). Il le rcita alors quil se trouvait dans le plateau du mangonneau44 et Allh fit pour lui du feu fracheur et paix45. Aprs cela, le verset remonta, et ne descendit plus si ce nest sur Sulaymn ; et les anges dirent alors : prsent Allh a parfait ta souverainet (mulk). Ensuite le verset remonta et Allh puissant et majestueux le fit descendre sur moi ; au Jour de la Rsurrection, ma communaut se prsentera en disant Bismillh al-Rahmn al-Rahm, et lorsque leurs actions seront dposes dans la Balance, les bonnes actions lemporteront . 44 Le mangonneau (manjanq) est une machine de guerre destine lancer des pierres. Selon la tradition, Nemrod avait lanc Abraham dans la fournaise au moyen de cette machine. 45 Nous dmes : feu, sois pour Ibrhm fracheur et paix (Cor. 2l, 69).

  • 37

    LEnvoy dAllh sur lui la Grce et la Paix divines a dit aussi : Ecrivez ce verset en tte de vos lettres, car si vous lcrivez, vous parlerez en Son nom .

    2. De la vertu de Bismillh al-Rahmn al-Rahm (suite) `Ikrima quAllh lui fasse misricorde a rapport (une version beaucoup plus complte du propos cit ci-dessus et attribu `Al) : La premire chose quAllh a cre, cest la Table et le Calame. Allh ordonna au Calame dinscrire sur la Table tout ce qui devait tre jusquau Jour de la Rsurrection. Et la premire chose qui fut crite sur la Table est Bismillh al-Rahmn al-Rahm. Allh fit de ce verset une sauvegarde (amn) pour ses cratures tant quelles le rciteront. Cest la rcitation des habitants des sept Cieux, des gens du Pardon suprme, des gens des Pavillons de la Splendeur, des chrubins, des purs et de ceux qui louent Allh (al-musabbihn). Ce verset descendit tout dabord sur Adam sur lui la Paix et Adam dit : Ce verset protgera ma postrit du chtiment, pour autant quelle ne cesse de le rciter . Il remonta, puis descendit sur Ibrhm, lAmi intime sur lui la Paix dans la sourate Louange ( Allh)... (cest--dire la Ftiha). Il la rcita alors quil se trouvait dans le plateau du mangonneau, et Allh fit pour lui du feu fracheur et paix. Ensuite il remonta, puis descendit sur Ms sur lui la paix dans les feuillets rvls (uhuf)46; cest dans ce verset que se trouvait la victoire sur Pharaon et ses magiciens, sur Hmn et ses armes, ainsi que sur Qrn et ses

    46 Cf. Cor. 87, 18.

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    partisans47. Aprs lui, il remonta puis descendit sur Sulaymn ibn Dwud sur eux la Paix et cest son sujet que les anges dirent : O fils de Dwud, aujourdhui Allh a parfait ta souverainet . Car Sulaymn ne prononait pas ce verset sur une chose sans que celle-ci lui soit soumise. Le jour o Il le fit descendre sur lui, Allh lui ordonna de dclarer aux tribus des Ban Isrl : Que celui dentre vous qui veut entendre le verset de la protection divine (amn Allh) se prsente dans le sanctuaire de Dwud devant Sulaymn, car celui-ci dsire y tenir un prne . Il ne resta pas un ermite ni un voyageur sans accourir vers lui. Lorsque les prtres, les adorateurs, les ermites et les tribus furent tous rassembls auprs de lui, il se leva et gravit la chaire dIbrhm, lAmi intime. Puis il leur rcita le verset de la protection : Bismillh al-Rahmn al-Rahm. Et personne ne lentendit sans tre rempli dune grande joie. Et ils dirent : nous tmoignons que tu es en vrit lEnvoy dAllh (nashshaddu annaka larasul Allh haqqan). Cest grce ce verset que Sulaymn a vaincu les rois de la Terre, et cest par lui quAllh donna la victoire La Mekke son Prophte quAllh prie sur lui et le salue. Aprs Sulaymn, le verset remonta, puis redescendit sur le Messie, `Is fils de Maryam sur lui la Paix ; il fut rempli de joie, et les Aptres se rjouirent de mme. Allh le Trs-Haut lui rvla alors : O fils de la Vierge, sais-tu quel est ce verset qui est descendu sur toi ? Cest le verset de la protection, savoir la Parole Bismillh al-Rahmn al-Rahm. Multiplie sa rcitation que tu sois debout, assis ou couch, que tu ailles ou que tu viennes, que tu montes ou que tu descendes48. Car celui dont le feuillet contiendra au jour de la Rsurrection huit cents fois Bismillh al- 47 Pharaon, Hmn et Qrn sont cits ensemble dans le Coran : Quant Qrn, Pharaon et Hmn, Mose leur avait apport des preuves dcisives, mais ils senorgueillirent sur la Terre et ils nchapprent pas (au chtiment) (Cor. 29, 39). Qrn nest autre que le Cor biblique (Nb., ch. 16). Il est encore question de lui dans la sourate Le Rcit (Cor. 28, 76-82). 48 Il y a ici une allusion trs nette aux directions de lespace (aller et venir se situant dans le plan horizontal, monter et descendre selon laxe vertical). Pour les positions debout, assis ou couch , on peut se rfrer Cor. 3, 191 et Cor. 4, 103.

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    Rahmn al-Rahm, qui croit en Moi et en Ma seigneurie, Je le sauverai du Feu et Je le ferai entrer au Paradis. Que ce verset soit le commencement de ta rcitation et de ta prire, car celui qui mourra aprs lavoir plac au dbut de sa rcitation et de sa prire, Munkar et Nakr49 ne le terroriseront pas, les affres de lagonie et loppression du tombeau lui seront facilites, Ma misricorde sera sur lui, Je le mettrai laise dans sa tombe et Jy clairerai ce quil voit, Je le ferai sortir de la tombe le corps blanchi et le visage illumin, de telle sorte quil rayonnera ; Je rendrai facile la reddition de son compte, Je surchargerai (le plateau contenant les bonnes actions dans) ses balances, Je lui donnerai la Lumire Parfaite sur le Pont enjambant la Ghenne (irt) jusqu ce quil pntre dans le Paradis, et jordonnerai celui qui convoquera (en ce Jour) de laccueillir dans les jardins de la Rsurrection par la flicit et le pardon . `Is sur lui la Paix demanda : Allhumma, Seigneur, cela est-il pour moi particulirement ? Le Trs-Haut rpondit : Cest en particulier pour toi et pour qui te suivra, adoptera ta voie et parlera selon ta parole ; et cest aussi pour Ahmad (nom cleste de Muhammad) et sa communaut qui viendront aprs toi. Cest ainsi que `Is sur lui la Paix avertit ses disciples (quun autre Prophte le suivrait), et dit : (O fils dIsral, je suis lEnvoy dAllh auprs de vous pour confirmer ce qui de la Tora est entre mes mains) et pour vous annoncer la bonne nouvelle dun Envoy qui viendra aprs moi, et dont le nom sera Ahmad (Cor. 61, 6). Il leur fit part de tel et tel caractre, qualit ou vertu qui seraient les siens. Il reut leur allgeance concernant leur foi en lui, et renouvela ce pacte avec ses compagnons au moment o Allh le Trs-Haut lleva vers le ciel. Lorsque les Aptres et ceux qui le suivaient moururent, et que dautres vinrent, ils sgarrent et garrent les autres, ils changrent et substiturent la vie de ce monde la religion ; le verset de la protection quitta alors la poitrine des chrtiens (nar), tandis quil resta dans la

    49 Munkar et Nakr sont les anges "terribles" chargs dinterroger les dfunts dans leurs tombes.

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    poitrine des vritables croyants parmi les gens de lEvangile (ahl al-Injl)50, tels Bahr le moine51 et ses semblables. Cela jusqu ce quAllh envoie le Prophte - sur lui la Grce et la Paix divines - et le fasse descendre sur lui dans la sourate de la Louange (srat al-hamd, cest--dire la Ftiha) La Mekke. LEnvoy dAllh - sur lui la Grce et la Paix - ordonna que ce verset soit crit en tte de toutes les sourates, ainsi quen exergue des lettres et des livres. La rvlation de ce verset sur lEnvoy dAllh sur lui la Grce et la Paix fut une ouverture (fath) sublime. Le Matre de la Puissance jura par sa Toute-Puissance quaucun croyant ne le prononcerait avec une totale conviction en commenant quelque chose sans quelle ne soit pour lui une source de bndiction, et quaucun croyant ne la rciterait sans que le Paradis ne lui dise : A ton service et tes ordres ! Allhumma, fais entrer ce serviteur chez moi, cause de Bismillh al-Rahmm al-Rahm ! Et si le Paradis adresse cette demande pour un serviteur, assurment cela a pour consquence que celui-ci y entre !

    50 Il y a donc une distinction entre les chrtiens qui ont trahi le message du Christ (et qui sont dsigns par le terme nar) et ceux qui sont rests fidles son enseignement, dsigns littralement par les musulmans dentre les gens de lEvangile . Cette distinction est en quelque sorte comparable celle que le Coran tablit entre les Yahd et les Bn Isrl. Voir ce sujet les notes de Michel Vlsan sa traduction du Commentaire de la Ftiha d`Abd al-Razzq al-Qshn, Etudes Traditionnelles, 1963, pp. 90 sq. 51 Il sagit du moine nestorien Bahr (prnomm Serge ou Georges) qui reconnut Mohammed pour le Prophte de Dieu alors que celui-ci tait encore enfant (pour les circonstances de cet pisode, voir par exemple : Tabari : Mohammed, Sceau des Prophtes (extrait de la Chronique), Sindbad, 1983, pp. 34-35. On pourra se rappeler, la suite de Ren Gunon que les Nestoriens, dont les relations avec le Lamasme semblent incontestables, eurent une action importante, bien quassez nigmatique, dans les dbuts de lIslam (Le Roi du Monde, ch. II, en note). Le texte qui avait motiv cette note disait, aprs avoir mentionn le Royaume du Prtre Jean dont il tait question au Moyen Age : Ctait le temps o ce quon pourrait dsigner comme la couverture extrieure du centre en question [i.e. lAgartha] se trouvait form, pour une bonne part, par les Nestoriens (ou ce quon est convenu dappeler ainsi tort ou raison) et les Sabens.

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    LEnvoy sur lui la Grce et la Paix a dit aussi : La requte qui commence par Bismillh al-Rahmn al-Rahm ne sera pas rejete. Et de mme : Si les gens de ma communaut parviennent au Jour de la Rsurrection sans cesser de dire Bismillh al-Rahmn al-Rahm, leurs bonnes actions seront alourdies dans la Balance et les (autres) communauts diront : comme les balances de la communaut de Muhammad sur lui la Grce et la Paix psent davantage (que les ntres) ! Leurs Envoys leur diront alors : cest parce que (ceux de) la communaut de Muhammad sur lui la Grce et la Paix mettaient en tte de leurs paroles trois noms dentre les nobles noms dAllh exalt soit-Il ! Et si lon dposait dans lun des plateaux de la Balance (les bonnes actions de ceux de la communaut de Muhammad) et dans lautre plateau les mauvaises actions de toutes les cratures, ce seraient les bonnes actions qui lemporteraient . Il a dit aussi quAllh le Trs-Haut institua ce verset comme gurison de tout mal, comme aide tout remde, comme indpendance de toute pauvret, comme voile pour le Feu, et comme protection contre toute humiliation, toute insulte et toute laideur pour autant quon ne cesse de le rciter.

    suivre.

    Bismillh crit en lettres arabes stylises