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Objet: Lettre ouverte aux représentants de la Nation Strasbourg, 19 décembre 2011 Mesdames, Messieurs les Députés, Dans quelques jours, l’Assemblée Nationale examinera publiquement la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi 1 . C’est dans ce contexte et au titre de notre double appartenance, française et turque, que nous suivons avec attention cette dernière proposition de loi qui concerne les évènements de 1915 reconnus expressément comme génocide par la loi française depuis 2001. Etudiants franco-turcs, nous avons ressenti l’impérieux besoin d’exprimer notre point de vue sur l ’aptitude d’une telle loi à contribuer à la solution du “différend” entre la Turquie et l’Arménie d’une part, et à permettre un dialogue apaisé et rationnel dans le débat public entre citoyens français, d’autre part. L’adoption de cette proposition en Commission a suscité de nombreuses réactions tant en France qu’en Turquie et laisse présager une détérioration des relations politiques et économiques entre les deux pays. Toutefois, nous tenons à souligner à cet égard notre désaccord avec toutes les positions dogmatiques des Etats n’encourageant nullement le dialogue et se contentant, à nos yeux, de postures de principe peu enclines à concrétiser des avancées significatives. De tels comportements entre Etats sont contraires à l’idéal “diplomatique” des relati ons internationales et n’ont pour unique effet qu’une prise en otage des peuples ou communautés respectives. Or nous pensons, plus que jamais, que l’heure pour la Turquie et l’Arménie, est à la réunion autour d’une table pour discuter ensemble de ce pan d’histoire commune douloureuse sans préjugés ni tabous, dans le cadre de l’objectivité scientifique incombant au “métier d’historien” tel que le définissait Marc Bloch. Force est de constater à ce jour qu’aucune avancée remarquable n’a été accomplie depuis la signature des protocoles de normalisation en 2009 entre les deux pays et qui n’ont toujours pas étés ratifiés par les parlements respectifs. Conscients du rôle majeur incombant à la Turquie, étant donné que les faits débattus se sont déroulés sur son territoire, elle se doit de manifester une volonté sans failles dans la poursuite du dialogue. L’Arménie doit pouvoir en faire autant. Quant à la France, nous croyons que, partant du triptyque républicain “Liberté, Egalité, Fraternité” qui exprime son essence même, elle peut avoir un rôle positif à jouer dans la consolidation des relations arméno-turques dans une optique constructive et pacificatrice. Et cela, surtout, si on mesure les implications d’une telle démarche en France, puisque les communautés respectives y sont quasiment en même nombre. En effet, aucun voile ne saurait être tiré, à nos yeux, sur un quelconque drame de notre histoire. Nous estimons qu’à partir du moment où une erreur a été commise dans le passé et qu’un préjudice a été causé, il convient de le réparer nonobstant les qualifications qui pourront lui être rapportées. Aussi nous encourageons l’écoute et le partage mutuels avec nos compatriotes arméniens en France. Le dialogue est un défi pour abolir tous tabous et préjugés sur cette 1 Proposition de loi n° 3842 dont la dénomination initiale était proposition de loi portant transposition du droit communautaire sur la lutte contre le racisme et réprimant la contestation de l’existence du génocide arménien, modifiée par la suite en Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Association de l’Organisation du Congrès des Etudiants Turcs de France (OCET) Inscrite au Tribunal d’Instance de Strasbourg VOL No: 86 FOL No: 13 Siège : 9, Place Kléber 67000 Strasbourg Tél : 0033 953 40 25 53 www.cetfrance.com - [email protected]

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Le Congrès des Etudiants Turcs de France partage ses réflexions concernant la proposition de loi visant à qui sera examiné jeudi 22 décembre 2011 en séance publique à l'Assemblée Nationale.

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Objet: Lettre ouverte aux représentants de la Nation Strasbourg, 19 décembre 2011 Mesdames, Messieurs les Députés, Dans quelques jours, l’Assemblée Nationale examinera publiquement la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi1. C’est dans ce contexte et au titre de notre double appartenance, française et turque, que nous suivons avec attention cette dernière proposition de loi qui concerne les évènements de 1915 reconnus expressément comme génocide par la loi française depuis 2001. Etudiants franco-turcs, nous avons ressenti l’impérieux besoin d’exprimer notre point de vue sur l’aptitude d’une telle loi à contribuer à la solution du “différend” entre la Turquie et l’Arménie d’une part, et à permettre un dialogue apaisé et rationnel dans le débat public entre citoyens français, d’autre part. L’adoption de cette proposition en Commission a suscité de nombreuses réactions tant en France qu’en Turquie et laisse présager une détérioration des relations politiques et économiques entre les deux pays. Toutefois, nous tenons à souligner à cet égard notre désaccord avec toutes les positions dogmatiques des Etats n’encourageant nullement le dialogue et se contentant, à nos yeux, de postures de principe peu enclines à concrétiser des avancées significatives. De tels comportements entre Etats sont contraires à l’idéal “diplomatique” des relations internationales et n’ont pour unique effet qu’une prise en otage des peuples ou communautés respectives. Or nous pensons, plus que jamais, que l’heure pour la Turquie et l’Arménie, est à la réunion autour d’une table pour discuter ensemble de ce pan d’histoire commune douloureuse sans préjugés ni tabous, dans le cadre de l’objectivité scientifique incombant au “métier d’historien” tel que le définissait Marc Bloch. Force est de constater à ce jour qu’aucune avancée remarquable n’a été accomplie depuis la signature des protocoles de normalisation en 2009 entre les deux pays et qui n’ont toujours pas étés ratifiés par les parlements respectifs. Conscients du rôle majeur incombant à la Turquie, étant donné que les faits débattus se sont déroulés sur son territoire, elle se doit de manifester une volonté sans failles dans la poursuite du dialogue. L’Arménie doit pouvoir en faire autant. Quant à la France, nous croyons que, partant du triptyque républicain “Liberté, Egalité, Fraternité” qui exprime son essence même, elle peut avoir un rôle positif à jouer dans la consolidation des relations arméno-turques dans une optique constructive et pacificatrice. Et cela, surtout, si on mesure les implications d’une telle démarche en France, puisque les communautés respectives y sont quasiment en même nombre. En effet, aucun voile ne saurait être tiré, à nos yeux, sur un quelconque drame de notre histoire. Nous estimons qu’à partir du moment où une erreur a été commise dans le passé et

qu’un préjudice a été causé, il convient de le réparer nonobstant les qualifications qui pourront lui être rapportées. Aussi nous encourageons l’écoute et le partage mutuels avec nos compatriotes arméniens en France. Le dialogue est un défi pour abolir tous tabous et préjugés sur cette

1 Proposition de loi n° 3842 dont la dénomination initiale était proposition de loi portant transposition du droit communautaire

sur la lutte contre le racisme et réprimant la contestation de l’existence du génocide arménien, modifiée par la suite en Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Association de l’Organisation du Congrès des Etudiants Turcs de France (OCET) Inscrite au Tribunal d’Instance de Strasbourg VOL No: 86 FOL No: 13

Siège : 9, Place Kléber 67000 Strasbourg

Tél : 0033 953 40 25 53 www.cetfrance.com - [email protected]

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question, et permettre une discussion sereine d’un sujet pouvant s’avérer douloureux. Or cela passe par une liberté d’expression incarnée dans un débat fructueux et non pas à travers une accumulation de monologues distincts. D’ailleurs, cette question a déjà pu être librement débattue dans le cadre de nos manifestations diverses. Par cet aspect, c’est un mouvement semblable avec la multiplication de rencontres, colloques et expositions de tous genres que s’est illustrée la société civile turque depuis la disparition de Hrant Dink, journaliste turc d’origine arménienne qui prônait les échanges et l’empathie entre Arméniens et Turcs. Or selon nous, cette proposition, si elle venait à être adoptée, ne saurait nullement servir le processus de réconciliation entre ces deux pays et ces deux peuples: il le freinera voire même l’entravera significativement, éloignant davantage l’espoir d’une issue à ce contentieux. A cet égard, il est tout aussi vain de croire qu’une telle législation parviendra à soustraire à la majorité des Français d’origine turque et aux historiens, leurs pensées ou manières de voir sur cette question. Il nous est impossible de penser que la solution à ce problème se trouve dans une criminalisation latente généralisée d’une partie de la population. Et les risques de non-conformité au corpus constitutionnel ont été au demeurant assez justement envisagés dans un rapport établi en avril 2011 au Sénat suite à une proposition de loi semblable2. Par ailleurs, cette proposition de loi, si elle venait à être promulguée, serait susceptible d’aiguiser davantage les positions extrêmes et d’accentuer encore les postures et réflexes partisans. Ce qui n’est compatible avec aucune de nos aspirations. Nous en appelons à la Représentation nationale afin que celle-ci ouvre les voix d’un dialogue, qu’il ne faut pas rompre même s’il est difficile, au lieu de procéder à l'institutionnalisation d’un ressentiment. Cela consolidera sur le long terme le pacte social français notamment entre les deux communautés partageant un même destin français. Cela requiert la volonté de la part de femmes et d’hommes politiques de voir plus loin que des échéances électorales prises en compte dans une perspective de court-terme. En somme, nous attendons de votre part, que vous preniez des initiatives en vue d’encourager les membres désireux de la société civile - notamment la jeunesse - de parvenir à une normalisation de cette question. Nous vous demandons donc solennellement de prendre part à cet effort, en désolidarisant cette question du calendrier électoral, et ainsi de ne pas adopter par conséquence ladite proposition de loi qui ne saurait constituer le remède auquel aspire cette issue. C’est là une occasion historique d’être les instigateurs d’une démarche volontariste, à même de faire du sol français un terreau concourant à l’éclosion d’un dialogue réel entre les sociétés turques et arméniennes.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Mesdames, Messieurs les Députés, l’expression de notre haute considération.

Au nom du Comité de Direction du Congrès des Etudiants Turcs de France

Hakki Unal, président Selim Degirmenci, vice-président

2 Rapport fait par M. Jean-Jacques HYEST au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage

universel, du Règlement et d’administration générale sur la proposition de loi ( n° 607) tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien.