Lettres de Mon Chateau

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Recueil des pamphlets écrits par Mazarin (alias Nicolas Sarkozy) pour le journal les Échos en 1995

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Nicolas Mazarin

Les lettres de mon Chteau

1 - Sign Franois MitterrandMonsieur le Prsident de la Rpublique, Vous avouerai-je que cela me fait drle de vous appeler ainsi. Non que vous ne le mritiez pas. Grand Dieu, vous vous tes donn assez de mal pour y arriver. Cest un connaisseur qui vous le dit. Moi qui suis rest vingt quatre ans dans lopposition. De surcrot vous avez eu le bon got de ne russir qu la troisime tentative, justement comme je lavais fait. Je sais bien ce que, tout comme moi, vous pensez de ces quinquagnaires qui se croient encore jeunes et qui voudraient tout russir la premire tentative. Je sais que vous en viendrez vous aussi les har ou les mpriser, ceux qui finalement participent du mme clan, si ce nest dj fait. Malgr tout, jai du mal me dfaire de ce titre. Ce nest pas que je regrette les pompes et les ors des palais nationaux, pas plus que je nai la nostalgie des courtisans qui vont avec. Jen ai soup et bien souvent le dgot mest mont au bord des lvres devant ce spectacle de la comdie humaine, mais cest plutt une question de standing. Javais fini par midentifier la fonction. Elle et moi ne faisions plus quun. Jai t durant quatorze ans Franois Mitterrand, le Prsident de la Rpublique. Je ne suis plus que Franois Mitterrand. Je regarde cette nouvelle ralit comme une incongruit, une sorte danomalie. Comme une erreur quil conviendrait de rparer. Le plus grave, cest que je me demande si cela finira par me passer. Admettre quon est plus que le pass est si difficile, surtout que pour moi qui nai, ma vie durant, pens quau lendemain ! Mais cessons de parler de moi, cest de vous et de la France que je voulais vous entretenir. Dabord bravo, je vois que vous connaissez bien nos compatriotes : ils nont absolument aucune mmoire : je lai vrifi si souvent. Lessentiel nest pas de leur dire des choses importantes, ou vraies ou justes, ils sen moquent. Lessentiel est bien de leur dire ce quils pensent au moment o ils le pensent. Lexercice est plus difficile quon ne le croit tant ils changent rapidement. Je croyais tre un matre en la matire vous tes en train de men remontrer. Continuez ainsi. Cest le bon chemin. Parlez comme un prsident et surtout oubliez le candidat que vous avez t. Vous ntes tenu, Monsieur le Prsident, honorer aucune promesse. Ce ntaient pas les vtres mais celles du candidat. Ne vous embarrassez pas davantage de cohrence ou de rationalit dans vos choix. Laissez cela tous ces technocrates obtus que vous avez eu raison de dsigner la vindicte. Il fallait des coupables. Ils font parfaitement laffaire. Ne vous proccupez que dune seule chose : durer. Et pour cela il convient de savoir mieux flotter que rsister. Jai bien vu lors de la passation de pouvoirs entre nous que vous naviez pas encore pris vos marques. Je ne sais si votre timidit (ou votre rserve) respectueuse mon endroit tait feinte ou relle. Je lai apprcie ! Vous avez ainsi su dmontrer la France entire que vous aviez dlaiss les mthodes de soudard que lon vous a si souvent prtes. Tout de mme, la premire journe ft bien morose pour moi : vous savoir dnant dans mes couverts et dormant dans mon lit. Cest une drle dexprience. Cela a d ltre pour vous. Je vous imaginais respirant mon odeur encore prsente dans ce bureau prsidentiel qui ft le mien durant quatorze ans. Ne brusquez pas le chef. Mes gots culinaires sont si diffrents. Lui aussi va devoir sadapter. Je les orientais vers la cuisine moderne. Jimagine que vous le ferez revenir des gots plus passistes et conservateurs. Remarquez, cest pleinement votre droit, et contrairement aux apparences je ne veux pas men mler. Dailleurs, il faut bien que je me mette dans la tte que, dsormais, je nai plus moccuper de tout, lautre jour jai tlphon Helmut. Il a t trs gentil et chaleureux comme il sait ltre. Il est toujours chaleureux. Mais jai bien senti quil avait moins de choses me dire. Le maladroit a mme trouv moyen de me parler de vous deux reprises. Faites attention : Halifax, vous en avez trop fait. Vous commencez les agacer. Ils ont le sentiment que vous les traitez comme les leveurs corrziens : beaucoup de considration et peu dcoute. Et puis, surtout jai limpression que vous les avez fatigus en vous agitant dans tous les sens. Je sais que vous parlez quelques mots de russes, mais votre dmonstration daffections pour Boris Eltsine ntait pas forcment des plus opportunes dans le contexte tchtchne ! Prenez mon conseil comme je vous le donne : nen faites pas trop, sept ans cest long. Vous avez le temps. Il faut durer, cest si difficile de durer. Cela lest chaque jour davantage pour moi.

Mfiez-vous de John Major. Un fameux hypocrite celui-l. Il nest que de voir comment il a trait Mme Thatcher. Ce nest pas que je laimais mais tout de mme. Il est toujours daccord avec vous, puis il fait tout le contraire. Un vritable Anglais. Dailleurs, il est fini. Je ne vous cacherai pas que son flegme avait fini par magacer. En fait, il est dun ennui mortel. Dailleurs je me demande bien pourquoi nous autres les prsidents, faisons un tel abcs de fixation sur les questions internationales. Ces runions diplomatiques sont formelles plaisir. On ne sy dit jamais rien. Les diplomates nont quune seule obsession : ne rien dcider et servir tous et tout le monde. La forme est leur unique proccupation. Pour le fond, on sadapte. Ils se croient dune race suprieure, confondant en permanence la qualit du col de chemise avec la pertinence dune analyse. Quand je pense que vous avez choisi un diplomate comme premier collaborateur lElyse. Je crois bien que cest votre premire erreur. Vous voulez changer le monde et vous prenez pour le faire un professionnel. Je dis professionnel, car on les a forms pour cela. Faites attention cependant car lon me dit quil est de par nature agit, ce Villepin. Cela mtonne qu moiti puisquil a t le collaborateur de Jupp. Il est intelligent celui-l, mais sa rigidit dogmatique ma souvent frapp. Il se cabre pour le principe. Je me cabre donc jexiste , semble-t-il penser longueur de journe. Vous aurez rapidement des problmes avec lui. Je my connais. Je men souviens avec Fabius. Encore celui-ci sanimet-il avec moins de contentement ostentatoire quAlain Jupp. Ce dernier, cest le palais des glaces et des miroirs du Jardin dacclimatation lui tout seul. Remarquez que, l encore, je vous vois faire et vous vous dbrouillez bien. Laissez-le monter sur tous les crneaux la fois. Cest ainsi quil sera le meilleur fusible quand les ennuis arriveront. Pour linstant il est ivre de pouvoir et de puissance, il pense (le naf) que tout est possible et que rien ne lui rsistera : Premier ministre, Bordeaux, demain le RPRJe vous le dis, cest Fabius en pire. Ce dernier avait un soupon de sensibilit, lautre je ne le pense pas. Je men voudrais dabuser de votre temps en allongeant ma prose. Mais je me dois de terminer en vous donnant quelques trucs qui peuvent tre lis la vie de tous les jours et nen sont pas moins utiles. Au premier tage, dans laile gauche du Palais, il existe un appartement parfaitement quip. Il compte une chambre coucher, une salle manger, une salle de bains et mme une cuisine. Choisissez avec soin celui que vous allez y installer. Il sera comme un coq en pte. De surcrot, sil a une vie prive complique, vous lui rendrez un immense service. Pensez, jy avais install Michel Charasse. Il a d sy trouver bien puisquil y est rest treize ans. Et en matire de qualit de vie, il sy connat, croyez moi ! Je lavais ainsi sous la main vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela ma bien servi pour les grandes comme pour les petites tches. Il faudrait que vous trouviez un Michel Roussin qui naurait pas t mis en examen. Maurice Ulrich ne fera pas laffaire, la fois trop prudent et trop g. JeanPierre Denis, trop jeune. Christine Albanel peut-tre, mais cest une femme. Saura-t-elle garder le moindre de vos secrets ? Jen doute. Elle se ferait tuer pour un bon mot Trs bien aussi, vos consignes dconomie. Soyez draconien avec les autres, surtout le Premier ministre, et contentez vous dtre discret pour vous-mme. Vous le verrez, je nai pas fait donner un seul coup de peinture dans la salle du Conseil. Elle est de toute faon bien assez agrable pour ce que lon y fait. Pensez que jy ai subi plus de mille Conseils des ministres. Plus a allait et plus ils devenaient bavards. Une vritable diarrhe verbale, surtout Rocard qui avait des ides obscures sur tous les sujets simples. Si la salle est trop confortable, ils sy ternisent. Cela deviendra un enfer. Dj que ce nest pas gai et encore moins passionnant. Cest fou ce que les hommes ont tendance devenir intarissables ds quon leur confie la moindre responsabilit. Jai deux derniers conseils vous donner mais ils sont importants. Sagissant de la rduction du train de vie de lEtat. Je vous lai dj dit, continuez la rclamer, la proclamer et surtout la promettre. Faites-le sur tous les tons. a impressionne toujours. Jai approuv la suppression du GLAM. a doit bien tre la cinquime ou sixime. a na aucune importance. a marche toujours aussi bien. Trs bien galement, linterdiction des deux-tons et des girophares (Note du Transcripteur : sic). Il tait temps de les supprimer car on nen a jamais vus autant dans les rues de la capitale ce printemps. Ce doit tre les adjoints au maire de Paris qui ne se dcident pas obir Jean Tiberi. Vous devriez lui en parler puisque la rumeur affirme que vous sjournez toujours dans ce qui fut votre grand bureau de lHtel de Ville. Je me demande le plaisir que vous trouvez vous incruster ainsi. Peu importe, mais au moins que cela serve pour parler Tiberi ou dfaut Romani. Lun est le fidle dcalque de lautre. Cest dire sil reste peu de choses pour Romani.

Mon deuxime conseil est le suivant : continuez rester discret sur les fonds secrets. Pour les ministres ce sont des broutilles, quelques dizaines de milliers de francs par mois. Pour le prsident de la Rpublique, ce sont des millions et pour lElyse, je ne compte pas (croyez-bien quen quatorze ans, je ne lai jamais fait ; je ne suis pas un comptable et cest fichtrement agrable !). Donc silence, ne gchons pas le mtier, nous ne sommes plus que trois dans la confidence et encore, pour ce pauvre VGE, ctait il y a trop longtemps. Il a d tout oublier, inutile de lui rafrachir la mmoire. Il est tellement pingre quil serait capable den demander sa part. Dailleurs, et ce propos, si vous tiez lgant et gnreux, ce dont je ne doute pas vous penseriez que ce nest pas toujours drle et facile demmener tous les jours au restaurant Roger Hanin, Jack Lang ou Michel Charasse Je dois les inviter. Mes amis ont d rduire beaucoup de leurs ambitions. Ils vivent si chichement dsormais. Je vois beaucoup votre pouse Bernadette. Elle semble prendre trs cur sa fonction de Premire Dame de France. Attention, car a va aller en empirant. Jen sais quelque chose. Jai eu grand peine contenir lnergie dbordante de Danielle. a na pas arrt une minute. Elle maurait pas fch avec lhumanit entire si je ny avais pris garde. Car le problme avec les femmes, cest quelles sont sincres. Alors que nous, nous savons prendre de la hauteur ou du recul. Je suis inquiet pour vous. On dit mme quelle a dj dans le nez certains de vos collaborateurs dont ce grand agit de Villepin. Elle va finir par vous donner des conseils. Ce ne sera pas trop grave car vous vous garderez de les suivre. Les problmes viendront quand elle sen rendra compte ! Vous le voyez, je me fais du souci pour vous. Cest que, finalement, avec les ans, jai appris vous apprcier. Je penserai bien vous la rentre. On dit quelle sera chaude. Il faudra veiller. Je le ferai. Nhsitez pas solliciter mon conseil, il pourra vous servir car, aprs tout, je suis bien le seul avoir t lu deux fois et surtout si bien avoir su durer. Je vous lai dit, cest la seule chose qui compte. Vtre, Franois Mitterrand Post-scriptum : Mfiez-vous des huissiers, ils sont si bavards.

2 - A lattention de Franois MitterrandMonsieur le Prsident et cher Franois, Jespre que vous ne me tiendrez pas rigueur de cette familiarit. Jai bien conscience que vous appeler par votre prnom peut vous paratre bien incongru. Je sais que vous dtestez la familiarit et que vous avez tout fait pour cultiver lloignement entre lunivers et votre personne. Moi cest tout le contraire ; je tutoie tout le monde sauf Bernadette que je vouvoie. Ca doit forcment vouloir dire quelque chose. Mme si je serais bien en peine de lanalyser. Dailleurs, il nest rien que je dteste plus que ces phraseurs qui se perdent en considrations infinies sur le moindre dtail. Je nai jamais fait appel ces pseudo-scientifiques de la Cofremca sans lesquels Valery Giscard dEstaing ne fait et ne dcide rien. Le pauvre. Il sest bien longtemps pris pour un intellectuel. Il ntait quun prtentieux. Sil vous plat, ne lui rptez point ce jugement, car il me fut bien utile ces dernires semaines, et je ne voudrais pas passer pour un ingrat. Bref, vous appeler par votre prnom me procure une sorte divresse. Jai limpression aussi dappartenir au cercle si rare de vos intimes, de vos proches, de ceux qui peuvent se permettre de sadresser vous comme un ami, plutt qu un gal. Cest ma faon de raliser que je suis dsormais votre place. Ce fut si long, si difficile, si pesant que jai du mal encore aujourdhui y croire. Bien sur, il y a Roger Romani qui me donne du monsieur le Prsident de la Rpublique autant que jen ai envie. Mais ce nest que lui. Quelle importance voulez vous que jy attache ? Chacun son Pierre Berger. Alors votre lettre ma bien aid. Connaissant votre hauteur de vue et votre vraie gnrosit, je ne doute pas que vous layez fait dessein. Si vous trouvez quelques plaisir poursuivre cet change pistolaire appelez moi Jacques. Jy verrais la marque, que jespre dfinitive de votre considration. Et puis cela me fait tellement de bien de pouvoir crire ! Cest un plaisir que jai dcouvert sur le tard. Jusqu soixante-deux ans, rien. Pas mme la moindre petite ligne. Et puis, tout dun coup, ce fut la rvlation. Cest Jean-Michel Goudard qui ma ouvert les yeux. Son diagnostic tait sans appel. Les Franais ne regardent que la tlvision, mais ne respectent que la littrature. Moins ils lisent, plus ils considrent les crivains. Pour tre pris au srieux, il fallait que jcrive. Et puis a ne devait pas tre aussi difficile que a, puisque ce prtentieux dEdouard Balladur arrive en publier un par an. Remarquez que lorsque nous tions amis, il me les adressait rgulirement. Je me suis toujours content de lire les ddicaces. Aller plus loin mtait impossible, trop srieux et trop ennuyeux. Dailleurs la lecture, a ntait pas mon fort, mis part lhistoire des Celtes ou la posie chinoise. Cest aride et cela prsente limmense avantage que lon est rarement contredit. Je peux ainsi paratre bien savant bon compte Remarquez, jai peu impressionner car je dteste les dners en ville. Un bon western devant sa tlvision avec ses pantoufles, cest tout de mme plus agrable que ces rasoirs qui ont des ides sur tout, spcialement lorsquil sagit des chefs dentreprise. Et encore plus lorsquils sont membres du CNPF. Jaime mieux avoir ma table Marc Blondel. Avec lui, au moins on ne risque pas de se perdre dans des considrations trop intellectuelles ! Cest donc Jean-Michel Goudard qui a eu cette ide gniale de me faire dcouvrir lcriture. Il la expliqu Claude, puis Claude ma demand de me mettre au travail. Franois Pinault, vous savez ce patron qui est de mes amis, ma lou une maison prs de Montfort-lAmaury et le tour tait jou. Jai commenc crire. Certes jy ai t prudemment : 142 pages. Mais pour un dbutant, ce nest pas rien Dailleurs jai aim, puisque cela ma permis dtre lu. Je recommencerai donc pour le prochain septennat. Dans lintervalle, je me contenterai de vous crire. Un jour peut tre, on publiera nos correspondances. Je serai alors dfinitivement entr dans la cour des crivains ou tout du moins des intellectuels. Ceux-l, je ne suis pas prs de leur pardonner. Ils mont si souvent moqu ! Les voir se prosterner aujourdhui me procure un plaisir immense. Je sais que vous aimez Proust, Chateaubriand, et que vous reconnaissez un immense talent Cline. Je nai pas vos gots. Je prfre Denis Tillinac, un remarquable crivain corrzien, ou mme Franz-Olivier Giesbert. Ils ont tant fait pour mon lection. Cest un juste retour des choses que je privilgie leurs uvres. Souvent ils viennent me voir en compagnie de mon vieil ami de Sciences po, Paul Guilbert, la meilleure plume du Figaro . Ils me parlent des Franais et de leurs attentes, de leurs rves. Ils me disent ce qui va, ce qui ne va pas. Ils sont svres, mais tellement justes la fois. Ils noublient jamais un compliment et, jusqu prsent, ne trouvent aucune critique. Je redoute le jour o cela viendra. Ils me mettent en garde contre Jupp. Je crois quils exagrent, mais il est vrai cependant qu deux ou trois reprises jai du me fcher contre lui. Pour le punir, cest trs simple, il suffit que je voie Philippe

Seguin. Cest deux-l se dtestent tant et depuis si longtemps ! Du coup, jai dcid de djeuner tous les mardis avec Sguin. Ce jour l au moins, je suis certain que Jupp ne djeunera pas de bon apptit. Tout laprs-midi, il est pendu au tlphone de Villepin pour quil lui raconte notre conversation. Celui-l ne sait rien car je me fais un malin plaisir le lui cacher. Il fut le directeur du cabinet de Jupp alors ! Vous le voyez, la vie lElyse a repris. Certes, il y a encore beaucoup de bureaux qui sont vides car je souhaite donner limpression de la simplicit et de lconomie. Et puis un jour, je devrai bien, quand les ennuis seront l, faire venir dautres collaborateurs, peut tre mme des balladuriens. Sait-on jamais, quand les miens seront trop uss, il faudra bien en trouver dautres. Aprs deux ans sans rien, ils seront prts accepter nimporte quoi. Oui, vraiment, vous crire est un bonheur. Et puis, qui dautre que vous pourrais-je le faire ? Pour tlphoner, cest facile, je le fais sans cesse. On tlphone nimporte qui pour nimporte quoi, nimporte comment ; a sonne, on parle, on raccroche, et puis cest fini. On ny pense plus. Il ny a ni trace, ni effort. Alors que la lettre, cela reste. Me voyez-vous crire Pons ? Cest Pasqua en pire et sans accent ! Dieu sait ce quil ferait de ma lettre. A Jean-Louis Debr ? il serait affol. Pensez, une lettre de moi ! Dj lorsque je lui tlphone il est au garde--vous. La police a dj dteint sur lui. A Millon ? Oui, cela mviterait de lentendre. Cest un avantage. Si vous saviez comme il est bavard, et pour dire si peu ! Il y a bien Madelin, mais lui, cest tout le contraire, il a tout lu et tout retenu, mais hlas souvent lenvers. Cest une vraie migraine lui tout seul. Quant Edouard Balladur, nous ne parlons plus. Je ne veux plus le voir ! Alors, lui crire, je le connais, il serait capable de me dire que jcris mal. Il ne savait me faire que des reproches. Javais fini par douter. Oui, la rflexion, il ny a que vous, Franois, de prsident prsident : cest une vritable correspondance. Mais je maperois que jai oubli de vous avertir que jai chang, et mme rompu avec lune de vos habitudes. Il faut dire quelle tait bien dtestable. Lors du Conseil des ministres, vous ne serriez la main personne. Tout juste ma-t-on dit, que vous tendiez une main molle vos deux voisins. Sous Balladur, il y avait Mhaignerie votre gauche, cela faisait laffaire ; moi jai Bayrou, ce nest gure mieux. Il ny a que sa poigne de main qui fasse illusion celui l ! Balladur avait fini par vous suivre. Cest bien dans sa nature. Eh bien jai dcid que les choses allaient changer, et dans le bon sens encore. Dsormais, je serre les mains de tous mes ministres. Dans mon enthousiasme, il marrive mme de le faire deux fois. Cela na aucune importance, il faut voir comment Raoult rosit de plaisir. On dirait Oblix devant un sanglier ! Je les salue tout de mme. Douste-Blazy, cest seulement un peu plus long avec lui car il toujours un compliment me faire. Celui-ci, cest ma garde rapproche lui tout seul. Il y a aussi Barnier, un ancien Balladurien, qui trouve toujours que je ne parle pas assez de questions socitales. Il est aussi triste que son ancien patron. Cest bien fait, il a t rtrograd. Il nest plus que ministre dlgu. Je lai mis derrire Peretti, cest dire quil ny avait plus beaucoup de place.

Juste un dernier mot en forme de supplique : la rumeur est venue que vous teniez rigueur Jacques Pilhan de stre promu mon service avec tant dempressement. Cest injuste car ce nest pas une trahison de sa part. Je me suis seulement content de doubler ses moluments. Vous ne pouvez donc pas lui en vouloir. Il travaille pour moi plus cher que pour vous. Lordre naturel des choses est donc prserv. La morale est sauve. Il maime moins que vous, il me cote plus cher. Il est donc rest fidle sa manire. Jespre simplement quil me sera aussi utile car, sil fallait le changer lui aussi, je serais bien dans lembarras. Il ne me resterait que Sgula : il a dj tellement servi ! Voil, mon cher Franois, ce que je voulais vous dire en quelques mots. Jai pu soulager mon cur, vous parler sans prcaution, comme un prsident peut le faire un autre prsident. Vtre, Jacques Chirac Post-scriptum : Nen voulez surtout Bernadette qui a absolument tenu ce que lon change la dcoration des appartements privs de lElyse. Ce ntait pas quelle naimait pas votre got, mais elle narrive pas abandonner nos appartements privs de lHtel de Ville. Ne le rptez pas, ce nest pas le moment avec toutes ses histoires de HLM, mais ils font 1.800 mtres carrs, cest--dire dix fois lappartement de Jupp qui nest dj pas si mal ! Alors, pour elle, se retrouver lElyse cest dur. Pour votre bureau, cest moi qui en assume la paternit. Je ne pouvais supporter cette couleur bleu salle de bains, et puis, reprendre le bureau du gnral de Gaulle, cela simposait. Vous savez, Franois, les symboles, cela compte pour moi aussi.

3 - Sign Line RenaudMonsieur le Prsident de la Rpublique, Mon grand Jacques,

Je tcris de la maison de Rueil, que tu connais si bien. Je suis seule sur ma pelouse, cuisant petit feu sous ce soleil torride. Jai ce maillot une pice bleu pour lequel tu mas si souvent complimente. Tu me disais toujours que cela te faisait venir des penses paennes. Je sais que tu me flattais, mais encore aujourdhui jen rougis de plaisir. Loulou et toi avez les mmes gots. Pauvre Loulou ! Lui aussi laimait mon maillot une pice bleu. Rien que de penser lui, je pleure. Quand je pense que le bon Dieu ne lui a pas permis de voir o tu es maintenant que tu y es, je pleure nouveau. Ah ! zut ! Voil que mes larmes tombent sur mon beau papier lettre senteur vanille. Jai choisi la vanille, car je sais que tu aimes par-dessus tout ton dpartement doutre mer. Cela te rappellera le bon temps. Ne montre pas cette lettre Bernadette, elle marracherait les yeux. Donc le papier gondole, ce sont mes larmes, ce sont mes larmes, mon cher Jacques. Jespre quainsi tu garderas ma lettre plus proche de ton cur. Et puis, tu sais, te savoir l o tu es, jen suis encore tout motionne. Tiens, lautre jour, je prsidais un grand gala contre le sida. Tu sais bien que je moccupe de la lutte contre le sida. Jai t la premire le faire ! Personne ny avait pens ayant moi, pas mme ces prtendus chercheurs. Heureusement, je te le dis, que jtais l pour les pousser tous ces fainants. Je te le disais... Ah ! o en tais-je ? Ah ! oui ! je prsidais un grand dner de gala quand tout dun coup, je ne sais ce qui ma pris, jai pens toi, o tu es maintenant. Jen ai hoquet dmotion. Cest la premire fois que je suis si motionne Je ne pouvais plus sortir un mot. Pas un souffle. Rien ! Tu te rends compte ? Moi, muette, un comble ! Les gens nont sont pas revenus. Il y a mme ce grossier de Guy Bedos qui a hurl de la salle que cela faisait du bien. Tiens, qua-t-il voulu dire ton avis ? Trouves-tu que je parle trop ? Si vraiment ctait le cas, tu me le dirais, toi qui a toujours t si franc avec moi. Je pense sincrement que, quand je serai vieille, il faudra que je me surveille. Tu me diras que jai encore le temps, mais tu sais, vingt ou vingt-cinq ans, cela passe vite. La retraite, on doit la prparer psychologiquement sinon on est bien vite pris au dpourvu. Si tu savais comme je me sens encore jeune ! Et dailleurs, le soir de ton lection, mon cur battait au diapason de tous ces jeunes qui faisaient la fte leur Concorde. Ils taient comme mes enfants, ou plutt jtais comme leur sur ane. Tiens ! Jai fait une folie, jai voulu leur faire plaisir. Je me suis rendue place de la Concorde et jai t danser avec eux toute la nuit. Je ne sais pourquoi, quand je leur ai propos de chanter Ma cabane au Canada , ils ont prfr que lon se baigne dans le bassin. Heureusement que je suis prvoyante. Devine quoi ? Javais sous ma robe, tu sais celle que tu adores, rose, moulante, avec un liser jaune autour des bretelles et un adorable frou-frou dans le bas, javais donc ce maillot de bain une pice dont je tai entretenu plus haut. Les jeunes aussi ont aim. J espre que je nai pas fait de gaffe, jai dit que ctait toi qui me lavais offert lors du voyage que nous avions fait Los Angeles chez Gregory Peck. Maintenant que tu es prsident, je veux te faire un honneur. Je veux tout connatre des usages et des manires. Tu ctoies le grand monde, je le ctoierai aussi. Il faut bien que je my fasse ! Jai donc dcid de mabonner Point de vue Images du monde . Il ny a aucune raison, moi qui suis du mtier, que je narrive pas faire comme elles, toutes ces princesses. Bien sr, pour la rvrence, il ne faut pas que jabuse. Je te vois venir, insolent, je nai pas lge du tout ! Ce sont les rhumatismes. Oui, parfaitement. Ca remonte bien plus loin que tu ne le crois, mes rhumatismes. Dj, lorsque jhabitais Armentires et que jtais petite, javais du mal plier les genoux. Eh bien, voil, cest rare que la mcanique, a sarrange avec le temps. Lever la jambe a toujours t plus facile pour moi que de la plier. Ce pauvre Loulou me disait toujours que ctait une question de caractre et quil ne fallait pas que je men fasse. Mon grand Jacques, je suis mortifie, ce goujat de Frdric Mitterrand ma dit que tu ne voudrais plus me voir, que mme tu avais honte. Limbcile, on se demande de quoi ! Depuis quil te soutient, cest dire depuis si peu de temps, il se trimballe toujours avec une casquette ridicule et pense que a fait peuple. Je nai jamais vu quelquun qui la galure va si mal. Ah ! ma foi, si tu lavais vu, Loulou, il y a quarante ans avec son chapeau Borsalino au volant de notre traction 11, tu aurais vu ce que stait un homme, un vrai. O en tais-je ? Je ne sais pourquoi, mais jai du mal ordonner mes ides. Remarque, moi, jen ai des ides. Tout le monde ne peut en dire autant. Jai bien envie de te parler de labominable Toubon, qui naime rien de ce que je fais. Dailleurs, il naime pas Philippe Clay non plus. Mais tu te rends comptes : ne pas aimer Philippe., comment est-ce possible ? Je tai dit que jtais mortifie, oui, mais de quoi ? Ah ! a y est, jai retrouv ! Non seulement tu ne mas pas

invite la passation de pouvoirs avec Franois Mitterrand. Ctait une occasion manque, car au travers de ma personne, cest tout lart et la culture qui auraient t reprsents et honors ; mais en plus, pas une fois tu ne mas invite souper lElyse. Si tu savais ce que a me manque ! Quand tu le feras, je te demande de le faire grand jeu. Je veux quun motard de la garde rpublicaine vienne jusqu Rueil. Tu me prviendras pour que je puisse alerter mes voisins. Ce sont des jaloux et des prtentieux avec des noms rallonge. Eux non plus ne mont jamais invite. Mais, fais-moi plaisir, sur le carton dinvitation, jaimerais que tu fasses crire Line Renaud de Rueil-Malmaison . Jai vu que a se fait en Angleterre et mme en Belgique. Tu te rends compte de ce que les Belges peuvent faire ! Tu peux bien te le permettre, Loulou aurait t si fier, Line Renaud de Rueil-Malmaison . On dirait sur sur-mesure. Ce nest pas Rgine qui une nouvelle comme celle-l pourrait arriver. Dailleurs, une rousse avec du sang bleu, cela nirait pas du tout. Tandis quune blonde platine comme moi, du sur-mesure, Je te laffirme ! Ah ! que je noublie pas ! Claude ma tlphon. Elle me raconte tout. Elle ma mis en alerte. Cela recommence, ton cur dartichaut est de nouveau prt pardonner. Tu as grand tort. Ils tont fait trop de mal. Il y en a quatre que je ne peux souffrir. Le pompon, cest Balladur ! Je suis certaine quil na jamais mis les pieds dans un cabaret. Tu te rends compte ! Dans ces conditions, quest-ce quils peuvent bien comprendre la vie ? Quant lignoble Sarkozy, laisse-le croupir l o il se trouve. Tu devrais mme augmenter une deuxime fois lISF, rien que pour punir ces crtins de Neuilly davoir vot pour lui. Je ten prie, reste entour de tes fidles de ta premire heure, ta famille et moi-mme. Mfietoi de Goudard et de Pilhan. Ce sont des hommes de la publicit. Ils naiment que les choses la mode. Ils ne comprennent absolument rien au reste. Ils ne respectent rien. Aucune des vraies valeurs. Quand tu penses que pas un de ces deux-l na trouv le temps de venir voir mon dernier spectacle au Casino de Paris Des goujats, que je te dis. Il ny a rien en tirer. Je minquite car je sais quil tarrive dtre sensible ce genre de tralala. Dj en 87, tu as voulu me trahir avec Madonna. Je me demande encore ce que tu pouvais bien lui trouver celle-ci. Je ne peux me faire lide que cest une histoire de petite culotte. Ah ! si josais ! je te dirais bien une dernire chose, mais jai tellement peur que tu te moques de moi, ou pire que tu trouves que je suis devenue aussi prtentieuse que Pascal Sevran. Jaime mieux te prvenir que je ne le supporterai pas. Il faut voir comment il minaudait, celui-l, quand il ctoyait son prsident. Moi, moi, je ne serai jamais ainsi avec le mien de prsident. Moi, je ne suis pas le genre courtisane qui demande toujours quelque chose. En revanche, cest vrai, jais des ides et si elles sont bonnes je ne vois par pourquoi tu ne les prendrais pas. Allez, je me jette leau , la voil, mon ide, je prfre te prvenir quelle fera du bruit, mais elle peut te rapporter gros, comme me dit mon boucher Rueil. Ce sont les jeunes qui seront contents et les artistes encore plus, mais pas simplement les artistes franais, ceux du monde entier. Je pense que mme les militants socialistes et communistes, oui, Monsieur, communistes, sil vous plait, seront heureux. Quant ceux du RPR, tu nimagines pas ce quils seront fiers. Bien sr ces snobs dUDF, je nen suis pas certaine. Encore quon peut tre snob et avoir du got. Bon, je ne vais pas te faire languir davantage. Je sens bien que tu brles de la connatre ; mon ide. Eh bien, voil : la prochaine Marianne, a devrait tre moi ! Oui, moi, Line Renaud de Rueil-Malmaison ! Jai le port altier, la poitrine avantageuse, la courbure des reins assez marque, et surtout la classe ! Oui, la classe ! Je nen ai dailleurs absolument aucun mrite. Nous sommes dailleurs quelques-unes comme cela. Cest de naissance : Marlne, Lova Moor et moi. ! Mais, moi, cest mieux, forcment, je suis plus connue. Oh ! mon dieu ! jai hte de savoir ce que tu en penses. Je suis certaine que cela va te plaire. Tu ny avais pas pens, hein ? Eh bien, les vritables amis, comme moi, a sert a : trouver lintrouvable. Et puis, mon grand Jacques, si tu savais combien jen ai encore des ides pour toi. Jai hte de te lire. Jtouffe de ne plus tentendre, Ta Line.

Rponse de Christine Albanel, conseiller technique, Line RenaudChre Madame. Le prsident de la Rpublique a bien reu votre courrier. Il ma charge de vous en remercier: Vos diffrentes propositions sont intressantes et mritent un examen particulirement attentif. Je ne vous cache pas cependant que sagissant de la Marianne votre effigie, cette initiative, pour sympathique quelle soit risque de se heurter de trs nombreuses difficults juridiques. Le prsident de la Rpublique envisage de consulter le conseil constitutionnel afin de voir prcisment la suite quil conviendra de rserver a votre demande Je suis certaine que dans les mois et les annes qui viennent, le prsident de la Rpublique ne manquera pas de vous convier lune des rceptions habituelles de lElyse. Je vous prie de croire, chre Madame, en lassurance de mes sentiments respectueux et distingus.

4 - A lattention de Jean TibriMonsieur le maire et cher Jean,

Jai tard tcrire pour te fliciter de ton lection la mairie de Paris. Jespre que tu comprendras que je nai gure eu de loisirs ces derniers temps. Jai t triste que tu perdes six arrondissements que javais constamment su nous garder. Je me demande mme comment vous avez fait pour conserver le XVIe et le VIIe ! Mais cest ainsi, il vous faudra tous dsormais apprendre vous dbrouiller sans moi. Car je ne veux plus rien avoir affaire avec la mairie de Paris. Jen ai suffisamment soup depuis dix-huit ans. Inutile donc de me parler du moindre dossier. Ce nest plus mon affaire. Dailleurs, tu sais mieux que personne que je vous ai laiss, Romani, Jupp et toi tes pleins pouvoirs depuis des annes. Je nai donc aucune responsabilit dans vos dcisions. Il est temps maintenant que vous les assumiez. Concernant le bureau et lappartement, jenvisage de les conserver encore quelques mois. Je suis certain que tu ny verras pas dinconvnient Dailleurs, quand je te laurai rendu, je ne saurais trop te conseiller de transformer mon bureau en salle de runion. Je ne te vois pas du tout dans cette pice immense o tu donneras le sentiment de disparatre. Ce serait de bien mauvais augure pour tes dbuts. Tranquillise-toi, je ne ten veux nullement des ennuis que tu mas procurs avec Toubon. Il est dchan. Il est persuad quil aurait fait un bien meilleur maire que toi. Je crois surtout que cest cette manire de Lise qui le remonte ! Elle simagine tellement la place de Xavire. Remarque quavec le sens inn de la dsorganisation brouillonne qui le caractrise, il y aurait bien peu de chances quavec lui la dtestable circulation parisienne samliore. Tu comprendras quavec toutes ces histoires rcentes, la mairie de Paris nest pas un trs bon souvenir pour moi. Je nemmnerai donc personne de mon ancien staff parisien. Jai refil mon directeur de cabinet, Rmi Chardon, Jupp pour quil soccupe des DOM-TOM. Dailleurs, Claude ne pouvait pas le sentir ; comme toujours, elle avait bien raison. Quant mon ancien chef de cabinet, Jean-Eudes Rabut, je te conseille de lloigner. Il a suivi depuis des annes les questions du logement. Il est temps quil fasse autre chose. Finalement, la seule personne qui vaille vraiment la peine que je lemmne lElyse, cest mon fidle huissier Jos. Jaime parler avec lui. Parfois mme, nous disparaissions tous les deux pour aller dguster une bonne bire sur les Quais. Lui au moins ne ma jamais rien demand. Il est dsintress. Cest bien le seul ! De surcrot, il sait couter. Jai une entire confiance en lui. Jaime son jugement sur les choses et les gens. Dailleurs, il fut le premier me conseiller de prendre mes distances avec vous tous. a sent mauvais , ne cessait-il de me rpter. Il avait raison. Et puis jajoute que cest bien le seul de nous tous navoir jamais voulu tre log par la Ville. Et puis je dois bien te dire que lide de ne plus avoir supporter les colres hystriques de Dominati est un profond soulagement. Heureusement, il na que deux fils, sinon il ny avait pas assez darrondissements pour caser sa famille. Je te conseille dtre avec lui aussi ferme que je lai t moi-mme : les fils oui, les cousins pas question. Vois-tu, Jean, il y a un moment o il faut savoir taper du poing sur la table. Appuie-toi sur ce brave Romani. Il ne connat ni Paris, ni les Parisiens, mais il sait admirablement flatter les petits travers de la nature humaine. Conserve-lui son bureau de questeur, son canap, et ses frais de reprsentation. Avec cela, tu te lattaches. Mfie-toi enfin de Cabana ; il aurait tt fait de te fcher avec tout Paris. Ses ides en matire durbanisme sont folles. Il nest pas trs grand, cest sans doute pour a quil trouve que les immeubles ne sont jamais assez hauts. Je maperois que je suis en train de revenir mes anciennes amours. Il est temps dy mettre un terme. Je te lai dit, la mairie, cest fini. Courage Jean ! Sois sans faiblesse, Paris est toi. Essaye. donc de ne pas dilapider ce que jai eu tant de mal te laisser. Bien amicalement toi, Jacques Chirac P.S. : Je ne sais ce quil y a dans les domaines des HLM de Paris, mais Toubon me dit que ce nest pas trs bon. Tu devrais te renseigner. A propos, on me parle dun certain Peyrolle qui serait un lu corrzien. Qui est-ce ?

Rponse de Jean Tibri Jacques ChiracMonsieur le prsident de la rpublique et cher Jacques, Jai t trs touch par tes chaleureuses flicitations. La mairie de Paris est pour ma famille et moi-mme un aboutissement. Tu sais combien je me suis engag tes cts depuis tant dannes au service de notre capitale. Cest un grand soulagement pour moi de te savoir ce point mobilis mes cts. Jen aurai bien besoin. Tu peux tre assur que je continuerai suivre scrupuleusement la ligne que tu nous a fixe depuis dix-huit ans. Je nhsiterai pas solliciter ton avis avant de changer le moindre responsable. Je connais les fidlits qui tont toujours li aux plus hauts responsables de ladministration parisienne. Je ne te cache pas cependant mon tonnement. Emmener avec toi Jos, ton huissier, est une erreur. Je sais bien quil est corrzien dadoption, quil sentend avec ton nouveau chef de cabinet llyse, Annie LHritier. Il est bien le seul laisser ici un souvenir dtestable. Il ta toujours arrang tes petites affaires mais enfin, cest un fourbe qui coute aux portes, qui a toujours dit le plus grand mal des Corses. Quand je pense que son pre est espagnol. Je prfre te prvenir quil est capable de faire battre des montagnes et quil ne manquera pas de faire rgner sous peu llyse le climat dltre qui a si longtemps caractris lHtel de Ville. Enfin, tu feras bien comme tu le veux. Aprs tout, cest toi le prsident. Quant ton bureau, car cest bien du tien dont il sagit, je considre comme un honneur que notre prsident de la Rpublique loccupe Ce simple fait remplit les Parisiennes et les Parisiens dune indicible fiert. Tu ne timagines pas lhonneur que tu leur fais. En revanche, pour lappartement, je serais heureux que nous puissions loccuper notre tour. Ma chre Xavire y tient, essentiellement. Jajoute que tu nous libreras ainsi les deux appartements de la Ville quoccupent mes deux enfants. Ils ont lintention de venir habiter lHtel de Ville. Cest vraiment adorable. Je ten prie, ne me parle pas de Toubon, pas plus que de Jupp dailleurs. Ton garde des Sceaux nattend que mon chec. Il a exig dtre adjoint sans dlgation de surcrot. Je suis certain que cest pour mettre son nez partout. Avec a, tu peux tre sr que les affaires des Parisiens iront mieux. A ltat normal, il est en permanence agit par un mouvement brownien. Tu peux imaginer ce quil est devenu, alors que tu ntais pas l et quil pense avoir autorit sur les juges. Cela finira mal. Si nous avions une arme, je suis certain quil dclarerait la guerre aux communes voisines. Quant Jupp, je ne peux pas dire que sa solidarit ma impressionn... Ce quil a dit aprs les municipales mest rest au travers de la gorge. Bien sr, je nai rien rpondu. Tu sais dailleurs que ce nest pas mon genre de dire quelque chose, mais fais-leur savoir de ma part que je ne suis pas dcid porter le chapeau moi tout seul. Aprs tout, on ne peut pas dire la fois que jai t transparent pendant toutes ces annes tes cts et que dans le mme temps ma seule action et ma seule personne sont responsables de tous les dysfonctionnements actuels et de la perte de six arrondissements. Sans doute aussi devrais-je me considrer responsable de la perte de la finale de la Coupe dEurope par le PSG. Dailleurs, Jacques, toi mme, tu nas gure lev le petit doigt durant cette campagne municipale. Pas un mot. Pas un communiqu. Pas mme un coup de tlphone. A croire que jtais devenu un paria. Je me suis vu dans la peau de Sarkozy, encore que pour lui ctait mrit. Mais moi quai-je fait dautre que de ttre fidle, de me taire, ou les deux la fois ? Cest un comble, il a fallu que Balladur me soutienne. Oui, Balladur, douard ! Jai laudace de ten parler, toi qui ne veux mme plus quon prononce son nom devant toi. Balladur, lui, ma soutenu. Et je suis certain que ce nest pas seulement cause de lappartement de son fils. Heureusement, il y a aussi Roger Romani. Lui ne ma pas laiss tomber Quand a va mal, nous nous retrouvons dans son grand bureau autour dun verre de Cap Corse. a nous rappelle notre le et a prpare le questeur sa sieste quil fait toujours allong sur son canap, derrire son paravent. Cest l quil pense tre le plus utile. Enfin, tu ne mas gure facilit la tche en nommant tous ces lus parisiens ministres. De quoi voulais-tu donc les remercier ? Le pire, cest Debr. Tu te rends compte quil a voulu la Culture. Oui, la Culture. Je ny connais rien, mais tout de mme, il y a des limites la provocation. Tu mas impos tous tes ministres comme adjoints, mme les battus. Jaurai ma revanche. Je vais vendre les appartements quils occupent au nom de la transparence et de la dmocratie. Je commencerai par celui de Jupp et, sil ny a pas dacqureur, cest moi qui men porterai acheteur. Crois-moi, celui-ci a voulu aller Bordeaux. Je veillerai ce quil y reste. Tu sais, je finis par me demander si jen avais vraiment envie, de cette mairie de Paris. Peut-tre ai-je trop attendu ? Peut-tre que le moment pour me la laisser ntait pas le meilleur ? Mais sans doute aurais-je prfr que tu bnficies encore dun an ou deux pour terminer ton uvre. Jai la fcheuse impression que cela arrange trop de monde que cela soit moi maintenant. Cest sans doute tes ides, mais jai fini par me dire quon voulait me faire porter un chapeau trop grand pour moi. Mais rassure-toi, depuis jai chass ces mauvaises penses. Xavire et les enfants sont si fiers. Aprs tout, ce nest pas rien dtre maire de Paris ! Jean Tibri

5 - Sign Line Renaud (encore)Monsieur le Prsident de la Rpublique, Mon grand Jacques, Je nen reviens pas. Je ne peux mme pas y croire. Tes collaborateurs commencent te cacher ton courrier personnel. Tu seras certainement curieux dapprendre quon a fait rpondre ma lettre par lune de tes obscures collaboratrices. Oui, cest la vrit, moi, ta si vieille amie, ton soutien le plus fervent, me faire rpondre par une employe, une employe qui se permet de madresser ses sentiments respectueux et dvous ! Quest-ce que jen ai faire de son dvouement, moi qui tembrassais dj quand cette inconnue tait encore ltat de projet dans la tte de ses parents. Et son respect ! Quest-ce quil me fait, le respect de cette technocrate, moi qui ai chou au BEPC ! Jai donc dcid de prendre les grands moyens. Jai demand Jos, ton fidle huissier qui membrasse comme du bon pain, de donner la copie de ma lettre (heureusement que je lavais garde, sinon, tu te rends compte un peu de la catastrophe) Claude qui ma promis de te la remettre en mains propres. Comme a, je suis bien certaine que tu lauras et que personne naura eu le culot davoir ouvert ton courrier Intime. Dornavant, il faudra donc trouver un nouveau systme. Jos ma dit quil existait une valise diplomatique ou quelque chose comme a. Je nai pas la mmoire exacte des mots compliqus. Simplement, Il faudra que tu mindiques le nom dune excellence (cest comme a parat-il quon appelle les ambassadeurs dans Point de vue-Images du monde ) qui sera charge de transporter mon courrier.

Mon grand Jacques, je ten prie, ne les laisse pas tisoler. Sinon, tu finiras comme Giscard ou, pire, comme Balladur ! Tu te rends compte, terminer comme Balladur ! Je ne peux pas limaginer. Sils faisaient a, ils auraient affaire moi. Tu peux le croire. Dailleurs, si tu ne me rpondais pas, je nhsiterais pas une seconde, je viendrais moi, oui, je dbarquerais lElyse ! Et ils verraient de quel bois je me chauffe. Ils ne te garderont pas tout seul pour eux. Tu appartiens la France, au peuple franais. Et le peuple, cest moi. Jattends quarante-huit heures, mon grand Jacques, et jinterviendrai. Et, crois-moi, je ferai mieux que les soldats de lONU en Herzgomachin. Tu sais pouvoir compter sur moi. Je sais que a te fera du bien de le savoir. Ton amie fidle et sensible, Line Renaud

Rponse de Jacques Chirac Line RenaudMa chre petite Line, Jai bien reu tes deux courriers. Si tu savais comme ils mont fait plaisir. Tu timagines aisment ce qua t mon emploi du temps ces derniers temps, cest ce qui explique que je nai pu te rpondre aussi rapidement que je laurais souhait. Surtout, je ne veux pas que tu marques la moindre rancune lendroit de mes collaborateurs. Ils tadmirent tant ! Je suis fascin de voir quel point tous, je dis bien tous, connaissent lintgralit de ton uvre. Jai mme surpris lautre jour Maurice Ulrich coutant La Demoiselle dArmentlres . Tu me diras que cest normal son ge. Mais il y a mieux puisque, depuis quil connat nos liens damiti, le secrtaire gnral adjoint, Jean-Pierre Denis - un jeune -, ne quitte plus son Walkman et tes cassettes. Je suis certain quil est sincre dans son admiration pour toi. Quant Jacques Toubon, il ne faut pas que tu lui en veuilles. Il na jamais rien compris la grande musique ; il fallait vraiment que a soit ce pauvre Balladur pour penser en faire un ministre de la Culture ! La meilleure preuve que je me mfie de ses gots artistiques est que je nai pas voulu quil devienne maire de Paris. Jean Tiberi, cest quand mme autre chose. Et pour les arts et lettres, auxquels, comme toi, je suis trs profondment attach, cest une vraie garantie. Jai t profondment touch par ta si chaleureuse ide qui consiste venir me voir lElyse. Comme je serais heureux que tu le fasses ! Si cela ne tenait qu moi, je tinviterais ds aujourdhui. Mais hlas, mille fois hlas, je ne suis pas matre de mon emploi du temps. Durant les six prochains mois, je serai

conduit aller de confrences internationales en colloques onusiens. Jai bien sr la possibilit demmener avec moi quelques invits prestigieux ; je pourrais tinviter au prochain G7 sur la rforme du systme montaire. Tu y ferais merveille. Je vois dici Helmut Kohl, ravi de dcouvrir une Franaise, aussi spontane que lui. Je ne me fais aucun souci, tu tentendrais avec Felipe Gonzalez. Fais attention avec celui-l, cest un coureur invtr ! Avec John Major, ce sera plus dur. Il ne faudra pas que tu tattardes. Il est si snob. Franois Mitterrand ma mis en garde: un vritable Anglais. Ignore-le, il risquerait de te faire une rflexion dsagrable sur ta tenue. Pensestu, il naime pas les couleurs. Mais je vois bien que je suis en train de rver. Je serais tellement heureux que tu sois mes cts! Je crains hlas que tu ne tennuies trop, ces runions internationales sont assommantes un point que tu nimagines pas. Jai une meilleure ide : dans quelques mois, quand je pourrai bnficier dun peu plus de temps, tu viendras dner lHtel de Ville de Paris. Jai gard lappartement, et je nai pas lintention de le rendre. Nous ferons un dner en famille, juste toi, Claude, Jos et moi. Ainsi, nous ne serons pas drangs. Ce sera aussi familial et discret que tu las toujours souhait. Nous parlerions du bon temps. Et mme, si tu le veux, de ce superbe maillot de bain bleu marine dont jai gard un souvenir aussi prcis que celui dun gyptologue dcouvrant pour la premire fois la Grande Pyramide. Mais non ! je tentends dici protester. Ce nest pas la Pyramide qui me fait penser toi. Tu es trs bien comme a ! Je voulais simplement te dire que javais gard en mmoire chaque instant de notre premier voyage Los Angeles chez Gregory. Ton ide de Marianne est formidable. Elle tombe pile-poil. Tu te rends compte ! Enfin, avec toi, nous aurions une vritable Marianne. Depuis Brigitte Bardot, il ny a pas eu mieux. Le pays saura se reconnatre dans ta personne, dans ton physique, dans ton langage, dans ton uvre. Oui, vraiment, ma petite Line, si cela ne tenait qu moi, tu serais dj notre Marianne depuis longtemps, et pour toujours. Mais hlas, mille fois hlas, la procdure pour dsigner la future Marianne est extrmement longue et complique. Il faut dabord tre retenue sur une liste daptitude dresse par lAssociation des maires. Je suis certain quils seraient aussi enthousiastes que moi. Mais le problme est quils te feraient passer un examen sur les finances locales et le droit administratif. Cest bien normal de vrifier les comptences de notre future Marianne ! Dis-moi o en sont tes connaissances sur lensemble de ces sujets et si tu peux consacrer une semaine aux divers examens ncessaires Une fois que tu auras franchi cette premire tape, il en restera une autre, combien plus difficile, celle-l ! du Conseil constitutionnel. Comme tu le sais, il est prsid par Roland Dumas, qui naime que les jeunes. Oh oui ! tu es jeune encore, cest certain, mais il y a des candidats qui auraient loutrecuidance dtre encore plus jeunes que toi. Ne dis pas que cest insurmontable, je dis seulement que ce sera difficile. Enfin, je vais essayer et je te tiendrai au courant. Je dois la vrit te dire que jy avais dj pens et que souvent, jen avais parl avec Bernadette et Claude. Si je ne te lavais pas demand, cest uniquement parce que Claude mavait dit que cela allait te gner. Connaissant ta modestie, je me suis donc abstenu de ten toucher le moindre mot. Tu vois, jai sans doute eu tort mais ctait une question de pudeur. Ma petite Line, tu sais comme je suis sincrement touch par les sentiments que tu me portes. Ils sont tout ton honneur. Mais tu devrais faire un peu plus attention lorsque tu m cris pour me parler de tes souvenirs avec moi. Je ne suis plus seul. Je suis prsident de la Rpublique et je nai confiance en personne. Je suis oblig dtre sur mes gardes. Je nai notamment pas le moindre ambassadeur en qui je puisse avoir suffisamment confiance pour lui confier ton courrier personnel. Je sais, cest dur, cest affreusement triste, mais cest ainsi. Le devoir dEtat implique aussi de savoir endurer ses souffrances personnelles. Alors jai une ide. Durant mon septennat, je me demande sil ne serait pas plus commode pour toi dentretenir une correspondance avec Alain Jupp. Je sais quil nourrit une vritable passion pour toi. Tu es tout tait son style dintelligence et de caractre. Dailleurs moimme, quand je le vois, je ne peux mempcher de penser toi. On dirait un frre et une sur ; vous auriez mme pu tre jumeaux. Si, si, je te lassure, je nexagre pas. Dailleurs, tu me connais, je nexagre jamais. Je suis plutt du style modr. Je vais donc lui en parler, si tu me le permets. Vous pourriez correspondre utilement ; tu lui donnerais tes ides sur la France et sur le monde, il te recevrait aussi souvent que tu le voudrais. Vous dneriez et djeuneriez ensemble aussi souvent que vous le souhaitez. Rassure-toi, je le connais... La transparence faite homme. Il me rendra compte de tout. Me rptera lintgralit de vos conversations. Ainsi je pourrai, distance, rester en contact avec toi. Notre amiti restera la mme. Et puis, si tu le souhaites, tous les deux ou trois ans, nous pourrions nous voir. Je pense mme pouvoir venir Rueil pour prendre lapritif. Que penses-tu de cette ide ? Je suis certain que tu la trouves absolument formidable. Vois-tu, ma petite Line, nous deux, qui avons vcu, qui connaissons la vie, nous savons mieux que dautres que lamiti est un bien prcieux quil convient de savoir protger et entretenir. Tu es mon amie, Je suis ton ami. Nous sommes amis. Cest cela qui compte et qui permettra que dans sept ans, la fin de mon septennat, Je serai si heureux de te revoir et de profiter enfin de toi, Ton grand Jacques

10 - Sign Jacques ChiracNote Jacques Pilhan et Claude Chirac Jai parfaitement conscience que la rentre sera particulirement difficile. Aprs stre acharne sur mon Premier ministre, lavoir dstabilis, et tre en voie de lachever, la presse va bien finir par sintresser moi. Ltat de grce prsidentiel ne survivra pas lt. Jen suis absolument convaincu. Croyez-en mon exprience, les cataclysmes arriveront de tous les cts. Il est mme possible que les balladuriens retrouvent quelques couleurs. Cest dire que tout est possible. Il nous faut donc nous prparer cette priode de gros temps et prendre les mesures dorganisation indispensables afin dtre le moins possible pris au dpourvu. Je vous demande donc de veiller avec attention ce que mes consignes soient appliques la lettre. Si vous rencontrez des difficults, nhsitez pas men informer. Dans la seconde, je saurai tre impitoyable, si ncessaire. Premier point : les affaires de la mairie de Paris produisent un effet absolument dplorable dans lopinion. Il convient quen aucun cas mon nom ne sy trouve ml. Ce nest dailleurs que justice, puisque voil des annes que je ne men occupe absolument plus. Jai eu le tort lpoque de laisser Tiberi, Romani et Dominati, les trois Corses, rgenter le tout. Beau rsultat ! Je suis en droit dattendre quils sassurent que lon ne mennuie pas avec toutes ces affaires mdiocres. Jai cependant les plus grandes craintes, quant leur capacit grer leur communication. Il ny a dailleurs qu voir comment les dossiers sensibles se retrouvent dans la presse. Il se peut quils vous demandent de laide et des conseils. Je vous interdis de le faire ; cela ne servirait rien, si ce nest nous y embarquer. Il conviendra de faire comme Villepin a commenc le dire : encourager la presse faire son travail dinvestigation. Oui, parfaitement, les encourager. Tant quils soccuperont de la mairie de Paris, ils ne soccuperont pas de moi. Veillez dans le mme temps gommer de ma notice biographique dans le Whos Who la mention qui a t faite de ma prsence la tte de la municipalit parisienne. Aprs tout, cela na dur que quelques annes et ctait dj il y a trois mois. Il y a de bonnes chances pour que tout le monde ait dj oubli. Noubliez jamais quen matire de communication politique, plus cest gros, mieux a passe. Inutile de se compliquer la vie avec des rgles trop labores. Mieux vaut sen tenir de bonnes vieilles habitudes qui ont dj fait leurs preuves. Je vous signale, Jacques, que cest ainsi que jai t constamment rlu, dans ma circonscription du plateau des Millevaches depuis 1967. Ce nest pas rien, tout de mme ! Et puis, mettez-vous dans la tte que ce nest plus Franois Mitterrand le prsident de la Rpublique. Il tait vieux, je suis encore jeune ; il tait pervers, je suis simple ; il tait tortur, je suis zen ! Deuxime point : dans vos contacts avec les journalistes, vous devez systmatiquement privilgier les plus jeunes, les moins expriments, et les moins titrs. Ils seront flatts que vous les traitiez ainsi ; vous les formerez votre main et vous bnficierez dun rseau qui nous sera acquis, et dont lutilit sera grande lorsque les ennuis arriveront. Ne perdez surtout pas votre temps avec les ditorialistes. Il ny a rien en tirer, si ce nest des ennuis. Ce sont des prtentieux qui croient tout savoir, qui sont coups de notre peuple et qui, de ce fait, ne mont jamais aim. Serge July, Alain Duhamel, Catherine Nay, ou pire encore Jrme Jaffr se sont toujours tromps sur tout. Ce sont des nuisibles. Ne leur donnez aucune information. Au besoin, nhsitez pas les humilier. Tout le monde sen rjouira, surtout leurs confrres. Faites deux exceptions ce salutaire principe avec, au Figaro , Paul Guilbert et Franz-Olivier Giesbert. Eux au moins connaissent le peuple et me connaissent. Il convient donc de leur faire confiance. Ils ne trahiront pas. Je men porte garant. Troisime point : je vous demande de voir tous les jours mon brave huissier Jos. Il faut lcouter ; il vaut beaucoup mieux que tous les panels de BVA. A ma demande, il va chaque jour dans un bistrot diffrent ; le temps quil ait cuv sa boisson du jour, croyez-moi, cest sa pche qui est la bonne. Grce lui, jen sais davantage sur les ractions du pays profond que tous les rapports que madresse ce bent de Jean-Louis Debr. Vous veillerez ce que Jos soit rmunr de ses bons et loyaux services sur lenveloppe des fonds secrets que je vous ai attribus. Quatrimement : vous couperez dfinitivement - je dis bien dfinitivement- toute relation et tout rapport avec le journal Le Monde, qui est totalement infod Alain Minc, lequel est compltement sous lemprise de la pense unique. Je fais par ailleurs mon affaire de casser leur tour de table. Jean-Marie Colombani est bien plus malfaisant quun socialiste, il tait balladurien. Il faut donc sen mfier comme de la peste. Jattends de voir lvolution de Libration pour fixer les mmes rgles son endroit. Quant la tlvision, appuyez-vous au maximum sur La Cinquime et son prsident Jean-Marie Cavada. Aprs tout, ce ne sera que justice puisquil sagit de la chane du savoir. Il est donc naturel quelle sache. Cavada est un vritable professionnel. Rappelez-vous quil fut le seul durant la campagne prsidentielle avoir eu le courage de minterroger sur mon got pour les pommes. Ce nest

pas Elkabbach qui aurait os le faire ! Il ny a rien en tirer de celui-l. Pensez quil a fait un livre avec Balladur, cest dire la confiance que lon peut lui faire ! Cinquimement : je veux quen toute circonstance lon mette en avant ma simplicit et ma proximit avec le peuple. Inutile dessayer de me faire jouer lintellectuel. Jai crit deux livres durant la campagne. Aprs tout, cest bien suffisant. Pas question que je my remette. Dailleurs, depuis que nous sommes ici; Christine Albanel na plus aucune ide. On dirait le ravi des crches de mon enfance. Je nai donc plus personne pour crire et je men trouve parfaitement bien. Pas question non plus de me faire jouer le chien savant dans tous les colloques o lon minvite ; a mennuie mourir, a ne sert rien. Je veux en revanche multiplier les dplacements en province. Jaime les bains de foule, jadore serrer les mains, signer des autographes, embrasser des enfants, clbrer la France ternelle. Je ne me sens jamais autant moi-mme que sur le terrain. Je veux que lon morganise un tour de France tous les deux mois et, quand nous approcherons des lgislatives de 1998, nous passerons un par mois. Je ne men remets pas, voyez-vous, davoir d arrter la campagne. Cest si bon, la campagne ! Ah, sil ny avait que les campagnes, comme la vie politique serait belle et douce ! Hlas, trois fois hlas, il y a llection. Et, pire que cela, les lendemains dlection. Mon vritable cauchemar : notez bien que je ne veux plus voir un seul prfet en uniforme moins de 100 mtres de moi. Ils sont le symbole honni dune lite dont le peuple et moi ne voulons plus entendre parler. Vous veillerez ce que le Falcon 900 de la prsidence se pose dans tous mes dplacements 50 kilomtres de mon point darrive, afin que je ny apparaisse quen voiture. Je veux que lon garde ma vieille Citron ; au besoin, faites la vieillir par les ateliers de la prsidence. Je ne verrai que des avantages ce quune ou deux rayures soient faites la carrosserie. Jai dailleurs mon ide. Balladur a bien fait le coup de lautostop. Jaimerais que mon pneu crve sur la route de mon prochain dplacement. Il faudra dire Jos de prparer le cric, je changerai moi-mme le pneu. Que Claude prvienne Carreyrou (il est prt tout), cela fera de trs bonnes images pour le 20 heures. Siximement : je vous demande de veiller ce que je ne sois entour que par des jeunes, comme au 14 juillet. Mais des vrais jeunes. Pas comme Jupp, Sguin, ou tous les autres. Mme Franois Baroin fait beaucoup trop vieux. Je veux des vrais jeunes donc, comme Patrick Bruel, Vincent Lindon, ou mme Patrick Sabatier. Aprs tout, ce sont eux qui mont fait confiance, mont soutenu, mont aid. Pour des raisons biologiques videntes, ils ne mont pas connu dans le pass. Ils ne savent rien de moi. Ils mont dcouvert en 1995. Il faut que vous en sachiez profiter. Cest ma clientle. Je vous demande dy veiller scrupuleusement. Septimement : il convient de rechercher en urgence un endroit o je pourrai passer mes vacances dt. Convoquez Paris-Match pour le reportage habituel. Le parfait contre-exemple tait les photographies de la famille Balladur dans leur appartement si bourgeoisement amnag. Jai quelques ides. Bernadette et moi pourrions peut-tre nous rendre dans la journe dans un gte rural aveyronnais. Cela fera tellement plaisir Jacques Godfrain. Nous pourrions galement nous dtendre dans une pension de famille Mantes-la-Jolie chez notre compagnon du coin Pierre Bdier. Une fois laffaire mdiatiquement boucle, nous filerions ltranger. Bien malin celui qui dcouvrira la supercherie. A moins que vous ne prfriez que nous laissions filtrer linformation, selon laquelle jai choisi de me reposer chez Line Renaud. Bien sr, Rueil-Malmaison, a ne fait pas trs populaire, mais Line Renaud, a fait culturel. Douste-Blazy pourra se joindre nous pour la photographie. Je suis certain que les vritables artistes et crivains franais y seraient particulirement sensibles. Il faudra galement me trouver un concert o je pourrai me rendre. Jai tellement dit que je dtestais la musique quil va bien falloir que je donne des gages. Si vous saviez comme je suis heureux dtre dbarrass de la mairie de Paris ! Javais en horreur le football. Cest un sport de femmelettes qui passent leur temps se sauter au cou. Ce nest pas comme le rugby, un vritable sport dhommes virils et loyaux. Quand je pense que je devais aller voir le PSG au moins une ou deux fois chaque anne ! Un supplice ! Aujourdhui encore, jignore tout de ce sport qui mest totalement hermtique. Mme Philippe Sguin a renonc, cest dire ! Huitimement - jallais oublier le plus important : il faut commencer faire dire, et si possible crire que le gouvernement gouverne et que moi, je prside. Je ne suis donc pas engag par tout ce quil fait, surtout ce quil fait mal. Jaimerais que lon sabstienne de me faire prendre en photo aux cts de MM. Jupp, Millon, de Charette, Debr et Madelin. De mme que les femmes : je souhaite viter Mmes Hubert, de Veyrinas. Sudre, de Panafieu et Couderc. Il faudra mme me trouver en urgence deux ou trois domaines o je puisse clairement montrer la distance qui existe entre ce gouvernement et moi. Je nai pas compris pourquoi ils ont eu cette ide curieuse daugmenter les impts. Comment ils ont bien pu sy prendre pour sembourber en Bosnie, et pour quelles raisons ils ont tous la maladie de sentourer de technocrates. Tiens, ce train-l, je vais finir par avoir de la considration pour Jean-Jacques de Peretti. Au moins, lui, il ne fait rien, a lui vite de dire et de faire des conneries. Si les autres pouvaient en faire autant, on aurait une petite chance de sen sortir ! Quant toi, Claude, je te demande dapprendre aux cts de Jacques Pilhan. coute, applique-toi, imbibe-toi de sa science qui est grande et qui mest totalement trangre. Un jour, je lespre, tu pourras assumer seule mes cts cette tche que je tai confie. Quant vous, Jacques, veillez sur Claude, elle est ce que jai de plus cher au monde, elle est votre sauvegarde mes cts. Noubliez jamais que chez nous les gaullistes, on chasse en bande comme des loups et lon se dchire comme des chiens. Mfiez-vous, cest bien pire quau Parti socialiste. Jacques Chirac

11 - Lettre de Franois Mitterrand Jacques ToubonMonsieur le prsident de la Rpublique,

Je vous prie de trouver ci-joint la copie du courrier que vient dadresser votre prdcesseur votre garde des Sceaux. Jattends vos instructions. Vtre, Dominique de Villepin. __________________________________________

Monsieur le Garde des Sceaux, Surtout il convient que vous ne vous mpreniez sur lintention qui me fait un devoir imprieux de vous crire. Il ne sagit, en aucun cas pour moi dexprimer une quelconque solidarit politique votre endroit, ou encore moins celle de vos amis. Je ne me suis jamais reconnu dans vos Ides. Ce nest certainement pas maintenant, alors que je suis la fin de ma vie, que je vais changer. Il ne sagit pas davantage de marquer pour moi un quelconque intrt pour la vie et la chose politique actuelle. Jen ai tant vu, tant vcu ! Mes souvenirs sont si nombreux quils font merveille mon prsent en mme temps quils me donnent lillusion dun avenir encore prsent. Je ne veux en aucun cas ni aider, ni, linverse, dsavantager mes amis du Parti Socialiste. Je les appelle toujours mes amis. Je dois dire quil sagit plus dune habitude, dun tropisme mme, que dune ralit. Je les ai oublis aussi vite quils mont laiss tomber. Et croyez bien que ce fut rapide. Mais cest de ma faute. Jai d trop les engraisser tout au long de ma vie politique. Non seulement, ils ne mont gard aucune reconnaissance, mais de surcrot, ils men veulent. On se demande bien pourquoi. Regardez ce Jospin, ctait un obscur enseignant. Son destin inluctable consistait nonner les mmes matires sa vie durant des tudiants qui nen avaient cure. Son physique et sa personne ne le prdisposaient pas, cest le moins que lon puisse dire, la communication. Il tait triste. Il lest plus encore. Chez lui, ce qui compte, ce nest pas quil soit lac, non cest quil reste dogmatique. Durant les guerres de religion, il naurait certes pas tortur, il tait trop intellectuel pour cela. En revanche, cest certain, il aurait revendiqu la place prpondrante dans le jury qui vous dclarait hrtique aussi vite que lon attrapait la petite vrole dans les faubourgs nausabonds et malfams du Paris du Moyen Age. Vous vous imaginez aussi aisment que ce nest pas pour rgler des comptes avec tous ces mdiocres quaujourdhui jai prouv le besoin de vous crire. Car cest bien de cela dont il sagit. Cela fait trois mois que je vous observe. Vous vous agitez comme Chirac nagure. Aprs tout, a ne lui a pas si mal russi. Vous brossez des ides gnrales avec le ton docte quil convient. Je ne peux vous le reprocher. Je lai pratiqu moi-mme si souvent. Votre physique, jai pu le noter, en bien des circonstances, vous sert merveille. Qui pourrait douter de vos bonnes intentions en voyant cette bouille ronde comme un cercle fait au compas. Ces deux billes bleues qui, dfaut de laisser passer votre intelligence, livrent une relle bonhomie. Finalement, et la rflexion, jai peut-tre de la sympathie pour vous. Un peu comme on en prouve lendroit de celui qui en classe, malgr ses efforts, a des difficults suivre. Plus franchement, ma sympathie pour vous se nourrit bien davantage de lantipathie forte, marque, profonde, viscrale que jprouve lendroit de ceux dont vous avez la responsabilit : les juges. Ah, les Juges ! Cest justement deux, dont je souhaitais vous entretenir. Ce sont des tres malfaisants par nature, par action et par conviction. on ne sen mfie jamais assez. Et vous, vous tes en train de chausser les bottes de sept lieues de lchec de vos prdcesseurs ce poste : Vauzelle, Nallet ou Arpaillange. Vous avez not que dans cette liste, qui nest pourtant pas flatteuse, je ne cite pas Pierre Mhaignerie. Car, voyez-vous, il y a des limites. Lui a t le garde des Sceaux le plus malmen : il na jamais rien su garder, pas mme son insuffisance. Il ny a rien qui

mnerve plus que lexpression petit juge . Mais cest une tautologie parfaite. Par dfinition, un juge est petit; Croyez-en mon exprience. Durant lOccupation, certains des plus fidles et zls collaborateurs de loccupant furent des juges. Au nom de lindpendance de la justice, ils envoient au cachot tout ce qui nest pas strictement dans la norme du moment. Quand la norme change, ils changent eux aussi. Ce nest quune affaire de moment, Et ne croyez pas quil sagisse chez moi de laigreur du vieil avocat que je suis toujours rest lendroit de ces magistrats honnis, qui passent leur temps mpriser ces membres du barreau, assommants de bavardises et de futilits. Cest bien plus grave que cela. Si vous les laissez faire, ils vont finir par tuer le mtier. Je veux dire le mtier politique. Et, avec nous, disparatrait la dmocratie. Voil monsieur Toubon ce qui est en cause et cest bien grave croyez-le. Encore une fois jai quelque mrite tenir ces propos. Je ne suis plus en cause et je ne le serai plus jamais. Pour une fois, ma dmarche est compltement dsintresse. Jajoute que jai eu bien de la chance. Car, sur mes deux septennats, ils men ont laiss un se drouler relativement tranquillement. Cest une chance que naura pas mon successeur, votre ami Chirac. Regardez un peu le culot qui est le leur. Le nouveau prsident nest l que depuis huit semaines et dj ils sattaquent son parti. Pour moi, ils avaient attendu huit ans. Pour le successeur de Chirac, ce sera huit jours, ils nont peur de rien. Ils fouillent les coffres, violent les domiciles privs, dbarquent dans les siges sociaux des partis. Croyez-vous quils en aient honte ? Pas une seconde. Comme dirait mon arrire-petit-fils, ils ont la haine. La haine de tout ce qui bouge, de tout ce qui brille et de tout ce qui leur fait de lombre. Tiens, je connais des chefs dentreprise (de fameux lches, aussi) qui, lorsquils sont convoqus par un juge dinstruction, revtent leur plus vieux costume. Vous imaginez un peu Pierre Suard avec un trou son costume. Cest risible. Moi, je suis dune autre trempe et ils le savaient, les petits juges. Cest bien pour cela quen quatorze annes de prsidence il ny en a pas un seul qui ait os me rendre visite. Vous entendez, pas un seul ! Et sil avait pris lide saugrenue lun dentre eux de venir, jaurais revtu mon costume le plus neuf et le plus prcieux. Cest comme cela quil faut les traiter et pas autrement. De toute faon, maintenant, il est dj trop tard. Permettez donc que du haut de ma grande exprience, je vous prodigue quelques recommandations qui pourront paratre utiles. Dabord, lorsque lun de vos amis risque dtre pris dans leurs filets, faites-le partir temps. Regardez ce brave Boucheron, il est aujourdhui quelque part en Amrique latine. Bien malin celui qui mettra le grappin dessus. Force est de constater quil ma valu moins de dsagrments que ceux qui ont cru intelligent de rester. Bien sr, mieux vaut bien choisir son pays. Pas comme ce pauvre Mdecin qui a fait par sa propre maladresse deux fois de la prison. Une fois en exil et une fois au retour. a nest pas trs malin. Il est peut-tre plus honnte quon le dit pour avoir t si maladroit. De ce point de vue, jaurais plutt tendance avoir une apprciation positive sur le comportement de ce monsieur Schuller qui me semble tre parti au bon moment.. Deuxime rgle dor, lorsque lun de vos amis est pris, vous ne le connaissez plus. Vous ne lavez jamais connu. Vous ignorez tout de sa personne et de sa famille. Ne croyez pas que cette attitude soit spcialement cynique. Finalement, on peut tout demander un ami, sauf de se suicider pour lui. Je ne comprends pas, Grard Longuet, sil ne veut pas reconnatre quil tait de la mme promotion de lENA que le financier Cellier, cest facile, il na qu nier avoir fait lENA. Il y a lannuaire des anciens lves, me direz-vous. Eh bien, il ny a qu affirmer que les annuaires se trompent. Croyez-moi, jai fait bien pire. Est-ce que jai dit que javais t premier secrtaire du Parti socialiste pendant plus de vingt ans. Juste une seconde ! Jai laiss Henri Emmanuelli sexpliquer. Le rsultat ne sest pas fait attendre : cest lui qui a t condamn. Aussi, cette madame Cassetta dont on a parl comme tant la responsable du financement du RPR, il faut affirmer que vous ne la connaissez pas. Dites par exemple que ctait une amie de Michel Roussin. Dailleurs, je suis certain quelle na jamais t membre de votre mouvement. Et si par malheur elle lavait t, alors rayez- la impitoyablement de vos listes. Troisime conseil : cessez tout moment de promettre ces magistrats de valeur un doublement ou un triplement, ou pendant que vous y tes, un quadruplement de leur budget. A force de promettre, vous serez un jour oblig de tenir. Alors vous aurez un beau rsultat : les avoir augments pour quils vous rendent la vie impossible. Soyez donc plus conome de vos propos et de notre argent. Sachez faire preuve de discernement. A une bonne dcision doit correspondre une bonne, cest--dire une utile promotion. A une mauvaise dcision de leur part doit correspondre une bonne, cest dire utile sanction de la part du gouvernement. il pour oeil, dent pour dent, il ny a que cela quils comprennent. Charles Pasqua, comme toujours, avait t le premier pressentir cette ralit. Son erreur, le malheureux, fut de choisir des policiers pour mettre en excution son plan. Des policiers ! Pourquoi pas des gendarmes pendant quil y tait. Ils sont aussi sots les uns que les autres. Il fallait rester entre professionnels et nutiliser que des politiques. Croyez-en mon exprience, nous ne pouvons faire confiance qu nous-mmes. Peu importe la couleur politique, car, aux yeux de ces petits juges, nous avons tous quelque chose nous reprocher. Et si eux ne savent pas quoi, ils se disent que nous devons bien savoir. Nous ne sommes pas davantage pour eux quune femme berbre pour une tribu touargue. Un comble, alors quils sont censs appliquer la loi, nos lois ! Dailleurs ce propos, ce sera mon dernier conseil, il convient que le lgislateur soit plus mticuleux, quil prvoit tous les cas et les situations possibles et imaginables afin de rduire au strict minimum la capacit dintervention et dinitiative des juges. Ma conviction est arrte depuis bien longtemps. Il ny a pas assez de lois

et surtout elles ne sont pas assez prcises. A dfaut de pouvoir les museler, je ne saurais trop vous recommander de savoir les encadrer. Une fois ce travail ralis, une bonne partie du chemin aura t parcourue pour le plus grand bien de la dmocratie et du mtier. Encore un mot, ne vous faites pas trop dillusions sur le poids et la porte des honneurs, des dcorations et des colifichets multiples destination de cette population. Tous les gouvernements sy sont essays. Ils ont fait crouler des promotions entires de magistrats sous le poids de mdailles multicolores. Ils ressemblent des sapins de Nol aux lendemains de ftes chez les Rockefeller. Qui trop embrasse, mal treint dit le dicton populaire. Il est vrifi lexcs en la matire. Quant vos amis personnels, une fois au pouvoir, mieux vaut ne plus en avoir. Ils ne vous amnent que des ennuis. Le plus efficace serait de les carter ds le dbut. Hlas ! cela ne sera pas plus possible pour vous que pour moi. Pelat, Grossouvre, Charasse, si vous saviez ce quils mont caus comme ennuis. Je souhaite, sans en tre certain, que MM. Franois Pinault Pierre Dauzier, Pierre Suard, Jrme Monod et consorts vous rserveront un sort moins cruel. Croyez-moi, monsieur le Garde des Sceaux, de votre capacit tre un homme politique dpend la survie du rgime. Jespre, je le souhaite, je doute cependant. Vous savez ce que cest, lexprience.... Franois Mitterrand

12 - De Valry Giscard dEstaing Jacques ChiracMonsieur le Prsident de la Rpublique et cher ami,

Je souhaite vous adresser mes sincres flicitations pour votre lection la prsidence de la Rpublique. Ce fut un combat long, difficile, ardu. Jai admir la faon dont vous avez su surmonter toutes les preuves et toutes les embches. Vous lavez fait votre manire, cest--dire avec une force brutale qui ma toujours fait dfaut. Avec une tnacit qui vous est familire et qui vous a permis de compenser le manque de brio dont vous tes le premier reconnatre que cest votre faiblesse. Avec une certitude personnelle qui a impressionn vos amis comme vos adversaires. Certes, je reconnais bien volontiers que jai tard vous crire. Mais que voulez-vous, la priode ne fut pas des plus heureuses pour moi. Jai dabord d faire mon deuil de ma propre candidature. Je ne vous cache pas que cela fut particulirement douloureux. Jtais persuad que mon projet tait le meilleur pour la France, que mes ides taient les plus adaptes la situation du pays, que mes propositions taient les plus modernes. Je vous avoue que ce nest pas la campagne qui ma fait chang davis. Je nai pas t impressionn, cest le moins que lon puisse dire, par la qualit des arguments qui ont t changs. Cette campagne fut lune des plus mornes laquelle il ma t donn dassister. Aucun des grands sujets du moment na t trait convenablement. Rien dintelligible ne fut dit sur les rformes des institutions europennes. Pas davantage sur nos relations avec lAllemagne. Quant aux propositions qui ont t faites pour lutter contre le chmage, je prfre mabstenir de les commenter afin dviter de porter un jugement qui serait trop cruel. On ne peut tout de mme pas me reprocher davoir mes propres convictions et dtre certain quelles auraient t dune trs grande utilit pour la France. Jajoute que, compte tenu de mon exprience qui est grande, on ma suffisamment fait grief de mon ge pour que je puisse au moins revendiquer mon aptitude gouverner. Dailleurs, qui pourrait bien la contester ? Je suis le plus connu de tous les dirigeants politiques franais sur la scne internationale. Si je nai pas votre force de conviction, vous admettrez lunisson de tous les observateurs que vous navez ni mon imagination ni mes facilits intellectuelles dont le Seigneur a bien voulu me doter. Je ny peux rien. Cest ainsi. Il y a de telles vidences quil serait vain de vouloir les contester. Je vous le dis avec quelque amertume. En effet, quoi me servirait ces qualits, si avec une rare obstination le peuple franais, aprs me les avoir reconnues minterdisait de les exercer peu ou bien ? A quoi me sert dtre le plus intelligent si on ne veut pas de moi ? Vous avez gagn contre Balladur et Jospin. Vous admettrez avec moi qu vaincre sans pril, on finit par triompher sans gloire. Balladur et Jospin sont deux mdiocres qui suintent lennui et la suffisance.Pour Balladur, cest bien fait. Il a voulu me drober ce que javais mis tant de temps organiser : lUDF. Il a voulu le faire avec une rare grossiret, sans mme solliciter mon aval. Il a mme eu le culot de faire comme si mon soutien lui importait peu. Eh bien, il a t puni ! Certes, il la t par vous, mais malgr tout, cela ma provoqu une joie intense. Le sort que vous avez rserv Lotard et Mhaignerie ma combl daise. ce sont des petits esprits et de bien petites gens. Vous avez eu la faiblesse de reprendre Bayrou, et vous avez eu grand tort, je le connais mieux que vous, cest un tratre professionnel. Il est pire que Sarkozy. Il nous a tous trahis sans aucune exception, Lecanuet, Barre, Simone Veil, Balladur, moi et demain ce sera votre tour. Il na aucune des qualits qui font les hommes dEtat. Jajoute que, de surcrot, il est devenu fou. Il pense pouvoir tre le prochain prsident de la Rpublique. On ne dira jamais combien la prsidence fait des ravages dans le monde politique franais. Quant Jospin, je me suis senti personnellement humili pour moi et pour la France quun homme qui dispose de si peu de gnie personnel puisse penser postuler la charge suprme. Parmi les rformes que vous devriez mettre en uvre sans tarder, il me semble que celle qui consisterait exiger un coefficient intellectuel minimum pour avoir le droit dtre candidat se pose avec le plus durgence. Bien sr, pour que vous nayez pas de problme, il faudrait viter toute rtroactivit lapplication de cette nouvelle loi et pour que, malgr tout, quelquun puisse vous succder, on ne mettrait pas la barre un niveau trop lev. Tout de mme cela empcherait la rdition

de dbats dun niveau aussi mdiocre que celui qui vous a oppos Jospin et Balladur. Je doute de ne jamais comprendre mes compatriotes. Dabord, ils refusent de crer les conditions politiques pour que je sois candidat. Ce qui est dj difficilement comprhensible, puisque aprs tout, jai dj t prsident de la Rpublique. Mais, il y a eu pire. Figurez-vous que les Auvergnats ont eu lide saugrenue de me faire battre par un inconnu, Roger Quilliot, qui est maire de Clermont-Ferrand depuis trente ou quarante ans. Et qui de surcrot est beaucoup plus g que moi. Il a soixante-dix ans, jen ai soixante-neuf. Croyez-moi, une anne cela compte, surtout pour un cerveau comme le mien. Moi, oui moi : ancien prsident de la Rpublique, ci-devant prsident de la Rgion Auvergne, encore prsident de lUDF, battu par Roger Quilliot. Absurde. Insens. Suicidaire. Il est des moments o lon se demande si le suffrage universel ne gnre pas des effets pervers tels que lon peut se poser honntement la question de sa suppression. Dailleurs, ce fut comme un vent de folie qui a souffl sur lAuvergne puisque Anmone fut battue Chanonat. Oui Anmone Chanonat. Et Henri dans une obscure commune de la banlieue clermontoise. Voil donc des gens qui disent aimer lAuvergne, qui ont la chance de compter dans leur Rgion lune des grandes familles de ce monde, les Giscard, et qui dcident sur un coup de tte ou un coup de folie de se priver de cette chance, une opportunit qui risque de ne pas repasser avant les prochaines lections. Inou ! Cest ne rien comprendre cette peuplade. Cest vous dire si javais peu le cur vous crire pour vous fliciter. Jtais trop occup consoler ma propre affliction pour me disperser sur dautres sentiments. Finalement, je nai eu comme seule satisfaction que celle de vous voir faire le bon choix sagissant des hommes de lUDF qui vous entourent. Je vous recommande tout particulirement Herv de Charette. Un tre noble, au sens propre comme au figur. Figurez-vous que sa famille remonte au XVIe sicle, sans interruption. Nest-ce pas admirable et rare la fois. Charles Millon saura tre tout autant la hauteur de vos esprances. Cest bien simple, depuis dix ans quil est mes cts, jamais il ne ma contredit ou mme contrari. Cest un solide bon sens. Il est aussi peu brillant que vous ltiez son ge. Cest un gage de russite pour votre entente. Me voici donc une nouvelle fois en rserve de la Rpublique. Dieu que cest triste ! Mon talent cherche semployer. Je suis prt minvestir dans toutes sortes de missions, mme les plus modestes. Aprs tout, jai bien failli tre maire de Clermont-Ferrand. Peut-on imaginer plus sinistre ? Je pourrais, par exemple, tre prsident de lEurope dfaut dtre celui de la France. Je suis certain que mes partenaires europens ny verraient que des avantages : Helmut, John, Felipe... sont des amis avec qui jai beaucoup daffinit et, de surcrot, je parle anglais, allemand et espagnol. Tout le monde ne peut pas en dire autant, mme vous. Je parle galement le chinois, le russe et japprendrais le tibtain sil le fallait, mme si je reconnais que pour tre prsident de lEurope cela nest pas absolument indispensable. Je vous rendrais de grands services ce poste. Jappellerais au tlphone les chefs dEtat qui nont pas de temps consacrer au prsident franais. Ne vous vexez pas, mais cest bien petit la France vue dEurope. Je donnerais notre politique trangre le rayonnement que vous tes en train de lui faire perdre. Bref, je vous serais un alli indispensable, vous devriez y penser. Oui, je crois que lEurope serait ma mesure. Je sens bien que si les Franais ne me veulent plus, les Europens brlent de connatre ce que lintelligence franaise a produit de plus brillant. Et puis, de vous moi, cest bien vous qui me devez quelque chose. Je peux bien vous le confier dans le secret de cette correspondance : je nai rien oubli, rien de tout ce que vous mavez fait subir depuis vingt ans. Alors que je vous avais nomm Premier ministre, ce qui tait un cadeau exceptionnel compte tenu de votre coefficient intellectuel somme toute assez modeste. Vous mavez fait battre en 1981. Puis vous navez eu de cesse de me faire passer pour un ringard acaritre et, malgr cela, moi, jai tenu ce que vous soyez lu. Qui pourrait nier que jai assur votre succs par mon soutien dterminant. Jai fait de vous un prsident de la Rpublique franaise. Le moins que je puisse attendre, cest que vous contribuiez donner lEurope le prsident que notre continent attend. Je souhaite avoir sur ce point trs rapidement de vos nouvelles. Non pas par de vagues promesses auxquelles vous avez habitu depuis si longtemps toute la classe politique, mais par de vritables dcisions. A moins que vous ne me demandiez daccepter de mabaisser exercer la seule charge que je nai pas encore connue : celle de Premier ministre. En tout cas, je rflchirai sans doute largement. Aprs avoir t prsident, devenir Premier ministre doit tre une curieuse exprience. Mais bon, sil sagit de lintrt de la France, jaccepterai une fois encore. Je pense que, dans ce cas, il conviendra que les choses ne tranent pas tant il me semble vident que le gouvernement de ce pauvre Jupp ne fait pas laffaire. Quand je pense que je lai compliment. O avais-je la tte ? Jtais devenu trop indulgent ou trop bon ou les deux la fois. Je certifie quon ne my reprendra pas de sitt.

En bref, il faut donc vous dpcher de me trouver une occupation qui soit digne de mon rang et de mon statut si profondment original dans la vie politique franaise. Dailleurs, avez-vous tellement intrt mon oisivet ? A votre diffrence, vous le savez, je pratique lcriture. Jai mme crit un fort bon roman un peu leste qui fut un grand succs populaire. Vous ne voudriez pas que jexerce mes talents littraires vos dpens ? Je suis fort bon galement la tlvision. Jaime ce moyen de communication tout la fois efficace et moderne. Il mest devenu si profondment familier avec le temps, la pratique et, je dois bien le dire, le talent. Je regretterais de devoir accepter lune des trs nombreuses invitations qui me sont faites pour laisser transparatre quelques critiques lendroit de votre gouvernement. A moins que ce ne soit la radio que je sois conduit exercer mon art. Souvenez-vous que dj avec le Gnral de Gaulle, il y a prs de trente annes, javais invent le oui, mais . Compte tenu des circonstances, je ne voudrais pas tre conduit pratiquer le non, pourquoi pas qui serai du plus mauvais effet pour vous. Jattends enfin que vous preniez date sur un certain nombre de sujets qui me tiennent cur : lEurope, bien sr, la baisse des impts videmment, et les chasses prsidentielles. Jai ou-dire quune vritable monstruosit se prparait dans votre entourage. Car je ne peux croire que cette initiative vienne de vous : on sapprterait fermer les chasses prsidentielles ? Non, vraiment, je ne peux croire chose pareille. Il y a pire puisquil semble que vous vous apprtiez les ouvrir au public. Mais pendant que vous y tes, faites du jardin de lElyse une annexe de la Foire du Trne. Invitez donc le populaire venir danser au 14 Juillet. Bradez la vaisselle nationale. Vendez le patrimoine de la Rpublique. La vrit moblige dire que vous me sembliez plus prcautionneux lorsque vous tiez maire de Paris. Je ne vous ai pas entendu alors proposer de mettre votre appartement la disposition des misreux. Cessez donc ces gadgets. Ils ne vous en seront daucune utilit. Croyez-en mon exprience qui est grande. Monsieur le Prsident et cher ami, jattends un geste de votre part, un geste qui soit suffisamment ample pour signifier la nation la considration que vous me portez et quelle devra me tmoigner. Votre, Valry Giscard dEstaing

13 - Sign Marc BlondelMonsieur le Prsident de la Rpublique, mon cher camarade Jacques, Je peux te dire que, pour une surprise, ce fut une sacre surprise. Je ne my attendais pas. Mes amis encore moins. Quand jai reu ce gros colis avec le tampon de la prsidence de la Rpublique, je nen croyais pas mes yeux. Jtais tellement incrdule qu un moment je me suis moi-mme demand pourquoi ce diable de Franois Mitterrand mcrivait. Tu ne le croiras pas, dis donc, mais javais mme oubli ton lection. Tu parles dune blague ! Je men tiens encore les ctes de mon tourderie. Et puis lorsque jai ouvert le paquet, jai t bloui, Jai mme d masseoir sous le choc. Il y avait l tout ce que je prfre au monde : un camembert bien fait, du jambon espagnol, du pt corrzien, de la tte de veau, un cassoulet de Toulouse et pas de Castelnaudary, des escargots et surtout du vin bien rouge qui tient au corps et qui te permet doublier la pollution parisienne. Tu parles dune fte ! Et,cest toi, toi qui as pens moi. Je timaginais faire la liste de tous ces bons plats bien franais devant ton matre dhtel form la cuisine moderne. Tu sais, celle qui est verte avec des petits ronds rouges au milieu. Oui, je ne te lenvoie pas dire, pour un plaisir, cen fut un ! Aussitt dball, aussitt consomm. Et entre camarades du syndicat de surcrot. On a tous bien bu ta sant, et puis on a dormi. Certains mont dit que, en signe de reconnaissance, ils avaient mme rv de toi. Jespre que tu apprcieras car a ne doit pas leur arriver trs souvent. Et tu sais que, pour un syndicaliste, la sieste, cest une institution. Je me suis dailleurs fait installer un canap dans mon bureau. a me permet de rflchir aprs le djeuner. Jenlve ma veste, je garde mes bretelles, et en avant pour une petite ronflette. Dailleurs, il faudrait institutionnaliser la sieste. Tu devrais y penser. Ce serait une grande affaire et, crois-moi, un grand progrs social. Si nos patrons taient moins cons, et surtout moins attachs leur sacro-saint profit, ils lauraient compris deux-mmes. Tu vois un peu la rvolution dans les rapports sociaux si chaque salari avait le droit ce petit repos rparateur chaque jour. Je tassure que a aurait un impact plus important que les congs pays de 1936 ou le coup de la mensualisation de Pompidou. Penses-y, nous pourrions en discuter ds la rentre. a donnerait du grain moudre, comme aimait le dire mon prdcesseur Andr Bergeron. Je sais que tu laimais bien, celui-ci. Je me demande bien pourquoi, il na jamais dit que des banalits. Il ne tenait mme pas le syndicat. Le moins quon puisse dire cest que tu nas pas perdu au change avec moi. Dailleurs tu las bien vu lors de la dernire campagne prsidentielle. Jespre que tu nas pas eu regretter notre accord. On a sacrment travaill, FO, pour dstabiliser Balladur. Je peux mme te dire que je navais jamais vu des membres RPR de FO aussi dchans. Ds quil y avait le plus petit mcontentement dans la moindre entreprise, hop, on tait partis pour une grve avec occupation ! Il ne savait mme plus o donner de la tte, Balladur ! a fusait de partout : Air France, La Poste, les Finances, la SNCF Cest quon a mise le paquet. a tanguait tellement que mme les trotskistes de chez moi trouvaient que a tapait trop dur. Remarque bien que je nai rien fait pour les calmer. a lui apprendra, Balladur, mavoir tenu po