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L'Hyperorganisation de la Famille Author(s): RENÉ KŒNIG Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 9 (1950), pp. 42-56 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40656753 . Accessed: 17/06/2014 09:01 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.78 on Tue, 17 Jun 2014 09:01:53 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'Hyperorganisation de la Famille

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L'Hyperorganisation de la FamilleAuthor(s): RENÉ KŒNIGSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 9 (1950), pp. 42-56Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40656753 .

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UHyperorganisation de la Famille

PAR RENÉ KŒNIG

II est dans la nature de la famille moderne en tant que groupement intime bien déterminé de former l'homme jusque dans des profondeurs qui échappent à toutes les autres institutions sociales. Ceci nous montre l'importance fondamentale de la structure fami- liale quant à la formation de la personnalité sociale et culturelle. Dans la sphère intime, les données objec- tives du monde extérieur se trouvent refoulées autant que possible; autrement dit, elles sont liées à des liaisons communautaires d'une intensité particulière. L'entourage personnel de l'individu s'élargira jusqu'au point d'englober les autres. Par conséquent nous pou- vons déclarer que l'intimité persistera tant que la substance propre de la personne ne sera pas entravée. Et voici la raison qui fait de l'hyperorganisation de la famille un danger tout spécial à la fois pour la santé mentale et pour la famille elle-même; ceci du fait que la substance propre des personnes en jeu s'y trouve mise en danger.

Dans le mariage moderne, l'hyperorganisation appa- raît régulièrement lorsque les survivances de repré- sentations patriarcales cherchent à se faire valoir en s'opposant à la nouvelle réalité du mariage qui consiste essentiellement dans l'union de deux personnes auto- nomes. Ainsi s'ajoute au problème de la désorganisa- tion du mariage par le divorce celui du mariage hyper- organisé dont les conditions intérieures ne subsistent

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plus. Les suites fatales d'un mariage désorganisé par le divorce, tant pour les conjoints que pour les enfants, se rencontrent également dans le cas du mariage hyperorganisé non rompu. Celui-ci s'accom- pagnera de troubles répétés, entraînant des réper- cussions psychiques graves chez les conjoints, comme chez les enfants. Il est, certes, difficile de mettre ces phénomènes en évidence, la véritable situation étant, dans l'état d'hyperorganisation, obstinément cachée et voilée. Dans ce cas, le divorce ne signifierait pas une désorganisation, mais bien le seul chemin menant à la guérison 1.

Cependant l'hyperorganisation n'apparaît pas seu- lement dans la vie conjugale, mais aussi dans le groupe familial lui-même où ses conséquences sont parti- culièrement visibles, conséquences auxquelles nous attribuons une importance particulière puisqu'elles s'étendent avant tout aux enfants. Comme on l'a souvent relevé, ceux-ci seront condamnés à devenir eux-mêmes des conjoints incapables; car il n'y a pas de poids qui pèse plus lourdement sur le mariage que le fait d'avoir été élevé au sein d'un mauvais ménage. Il en est de même pour la famille. Mais pour avoir un aperçu de la multiplicité des problèmes qui se pré- sentent, il est nécessaire d'esquisser, ne fût-ce que de façon simplifiée, les situations fondamentales possibles.

Il y a essentiellement trois situations fondamen- tales dans lesquelles l'hyperorganisation de la famille peut se produire : Io dans la famille que nous pourrions désigner comme complète; 2° dans la famille désignée comme « incomplète »; et 3°, comme cas particulier, dans la famille en déchéance totale.

1. Dans la famille complète, l'hyperorganisation se présente avant tout sous la forme suivante. L'autorité

1. Nous avons fait allusion à ce problème déjà ailleurs, cf. R. Kœnig, Materialien zur Soziologie der Familie, Berne, 1946, notamment dans l'article « Zwei Grundbegriffe der Familiensoziologie : Desintegration und Desorganisation der Familie », pp. 97 et suiv.

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René Kœnig

paternelle au sens du patriarcalisme y survit toujours encore, tandis que l'évolution sociale, économique et autre a fait complètement disparaître les bases sur lesquelles reposait le patriarcalisme. Nous nous trou- vons ici en face d'un phénomène de retardement dans l'adaptation de la famille à son entourage, phénomène dont les conséquences négatives ne peuvent être suffi- samment relevées 2. De plus, ces conséquences sont très différentes selon les diverses couches et classes sociales. Dans la paysannerie indépendante elles se font moins sentir, car il y existe encore certaines bases du patriarcalisme, à savoir la coïncidence des commu- nautés de famille, de propriété, de production, d'en- treprise, de bénéfice, de consommation, d'éducation et de civilisation. Mais il faut remarquer, d'autre part, que cette structure familiale excessivement rigide entrave sérieusement le développement de l'individua- lité. En effet, cette structure étroite de la famille paysanne incite les éléments les plus entreprenants et les plus indépendants à délaisser la campagne pour la ville. Ainsi la population rurale doit compter aujour- d'hui avec une perte toujours croissante de ses « élites ». Il va de soi que ces « emigrants » seront soumis à une épreuve toute particulière pendant la période d'adap- tation à leur nouvel entourage. En outre la même structure rigide de la famille crée souvent des tensions entre la vieille et la jeune génération, qui peuvent amener de véritables catastrophes (dont le poète suisse Gottfried Keller nous donne un exemple saisissant dans sa nouvelle Roméo et Juliette au Village).

Même s'il ne s'agit là que d'un phénomène isolé et périphérique, les conséquences de ce patriarcalisme périmé et venant d'une autre époque peuvent être fatales pour l'ouvrier de la ville. Les conditions du travail salarié dans l'économie moderne ont irrémé-

2. Nous renvoyons le lecteur à notre article : « Von der Notwendigkeit einer Familiensoziologie », cf, op. cit>, p. 29.

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diablement sappé toutes les bases du patriarcalisme. Si, malgré cela, il essaie de s'imposer, il devra avoir recours à des succédanés de l'autorité ce qui produira la forme typique de la famille hyperorganisée. Il s'en suivra trop souvent que les enfants, garçons et filles, se détacheront du père pour se rapprocher de la mère. Cet éloignement pourra frayer la voie à des sentiments de haine proprement dits. D'autre part l'apparition du complexe d'évasion incitera les jeunes à quitter leur foyer familial aussitôt qu'ils disposeront des moyens économiques nécessaires à leur indépendance. Les consé- quences les plus fatales d'un tel détachement se ren- contreront chez les enfants d'ouvriers d'âge moins avancé. Ceux-ci se trouvant trop souvent sans sur- veillance sont à la merci de groupes ou plutôt de bandes (« gangs ») d'enfants et de jeunes gens où, soumis à différentes tentations, ils peuvent aboutir à un état de déchéance complète. Dans ce cas également, la raison profonde se trouve être l'hyperorganisation fami- liale sous forme d'une autorité paternelle exagérée et artificielle 3.

Le problème auquel nous venons de faire allusion se manifeste, sous une forme différente, dans le cadre des classes sociales moyennes ou supérieures. Alors que les disharmonies familiales dans les classes infé- rieures donnent lieu à des manifestations tumultueuses alarmant les voisins, étant discutées sans pudeur, celles-ci, dans les classes supérieures, se trouvent être soigneusement dissimulées. Dans ce cas, l'hyperor- ganisation familiale crée une atmosphère de dissimu- lation (« Verheimlichungssphaere ») dont les consé- quences néfastes à l'équilibre mental sont suffisamment connues 4. Il suffit d'y faire allusion.

3. Nous rencontrons un passage très caractéristique dans le livre d'Éric Agier, Désintégralion familiale chez les ouvriers, Neuchâtel, 1950 : « A la base de tels conflits, il y a, du côté des pères, l'inassouvissement d'un énorme besoin instinctif de domination. »

4. Ici nous adaptons, tout en l'élargissant, un terme de Hildegard Kipp, Die Unehelichkeit, Leipzig, 1933.

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René Kœnig Ce qui précède ne se rapporte qu'à la situation géné-

rale de la famille « complète » hyperorganisée sans tenir compte des cas spécifiques et plus complexes qui s'y rencontrent. Nous pensons, par exemple, au fait que les enfants peuvent prendre parti pour l'un ou l'autre des parents; de là l'attachement exagéré au père ou à la mère, attachement qui peut impliquer une « fixation » ou même une régression vers un état d'évo- lution antérieur; nous ne nous sommes également pas attardés sur les conséquences du manque d'affection d'un des parents (ou des deux) à l'égard des enfants et des jeunes gens, ce qui se produit spécialement dans les familles à la fois hyperorganisées et atteintes dans leur sphère intime. Dès maintenant nous nous trouvons en plein champ de travail de la psychana- lyse.

Il s'agit ici surtout du phénomène que le Code Civil Suisse dénomme « un lien conjugal profondément atteint » (art. 142). Les conjoints d'une telle union, dans la plupart des cas, ne se sépareront pas, malgré qu'ils auront perdu tout lien plus ou moins profond, et détourneront leurs intérêts du foyer commun. Dans ce cas également, nous pouvons parler d'hyperorganisa- tion, les conjoints se trouvant réunis sans union intime. Les conséquences en pourront être néfastes pour toutes les personnes en jeu.

2. La famille incomplète, elle aussi, peut présenter des phénomènes d'hyperorganisation. Remarquons en passant que les sociétés modernes comportent un assez haut pourcentage de familles incomplètes. La « famille conjugale » (selon l'expression de Durkheim) s'étant souvent détachée de ses ramifications de parenté éloi- gnée, une réduction du noyau central de la famille, par la mort prématurée du père ou de la mère, pro- voquera en général des troubles sérieux. L'appari- tion massive de telles familles incomplètes deviendra ainsi un problème particulier traité par la psychohy- giène et méritant notre intérêt. Brüschweiler nous

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donne, pour la Suisse en 1940, en grands traits l'esti- mation suivante 5 :

Le nombre global de 1.150.000 enfants au-dessous de 18 ans, se décompose comme suit : 80.000- 90.000 orphelins de père ou de mère ou des

deux. 25.000 enfants illégitimes. 25.000- 30.000 enfants de ménages divorcés. 40.000- 45.000 enfants d'un autre lit.

170.000-190.000

De ce tableau ressort que 16 % de tous les mineurs au-dessous de 18 ans proviennent de familles incom- plètes. On doit ajouter que la majorité de ces cas ressort sans doute des familles « désorganisées ».

Nous pouvons ajouter que la désorganisation de la famille incomplète se présente à différents degrés selon qu'il s'agisse d'un phénomène de dissociation naturelle (décès de la génération des parents) ou d'un phéno- mène de dissociation artificielle et souvent violente (divorce). Les enfants illégitimes représentent un pro- blème particulier, de même les cas assez fréquents où les enfants, par une cause ou par une autre, sont confiés aux soins d'une famille plus ou moins étrangère aux parents; mais là nous manquons complètement d'in- formations statistiques.

Remarquons pourtant que la famille incomplète n'est pas toujours et forcément désorganisée. Tout d'abord, une famille incomplète pourra se réorganiser après avoir passé par une période, plus ou moins agitée, d'essais d'adaptation à la situation nouvelle, ce qui, pour une famille originairement assez bien organisée, ne comporte pas de difficultés spéciales. Ainsi les dangers de la désorganisation ne seraient pas inévi- tables, même après la perte du père ou de la mère.

5. Carl BRÜSCHWKIT..ER, « Reflexionen ans dem Zahlenspiegel », in Juven- lus Helvetica, Zurich, 1943, vol. 2, p. 14.

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René Kœnig D'autre part, nous rencontrons toujours encore la possibilité d'une hyperOrganisation, du moins tempo- raire, provoquée par le fait que les survivants se resserrent étroitement après le choc subi. Ceci peut aboutir à la reconstruction d'une famille résistante bien qu'incomplète et qui, sous tous les aspects, présente le caractère d'un groupement normal et sain. Mais la famille en présence peut aussi bien s'hyperorganiser d'une façon intense avec tous les dangers que cela implique pour la santé psychique.

Prenons par anticipation le cas de la fille-mère, cas relativement bien étudié. Certes, nous y constaterons d'une part les symptômes classiques de désorganisa- tion (indifférence de la mère à l'égard de son enfant, déchéance de la mère, soit inclusion de l'enfant dans une famille étrangère où il ne rencontrera aucune affection). Or, d'autre part, dans les cas les plus favo- rables et spécialement sous l'influence d'une réaction hostile et malveillante de l'entourage, la mère s'atta- chera de toute son affection à son enfant, le gâtera, produisant ainsi un lien excessif réciproque. Souvent aussi, et même régulièrement dans les cas les plus favorables, la situation se compliquera du fait qu'il s'agit d'enfants uniques. Ceux-ci pourront, après une période d'attachement exagéré à leurs mères, se retour- ner contre elles d'une manière agressive, du moment qu'un entourage sans cœur les aura mis au courant de leur situation réelle, et ceci presque toujours en invo- quant les préjugés de la « morale » courante.

Nous nous heurtons à des problèmes similaires en étudiant les autres types de famille incomplète, la famille décimée soit par divorce, soit par veuvage. Les deux types peuvent, évidemment, présenter des symptômes de désorganisation. Mais, en analogie à la fille-mère, une hyperOrganisation peut, ici aussi, se faire valoir, entraînant des suites dangereuses pour la santé psychique. Prenons comme premier exemple la famille décimée par le veuvage, envisagée du point de vue des

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enfants. La statistique nous apprend que les enfants privés de pères forment une majorité écrasante. Ceci se comprend facilement, étant donné l'âge plus avancé où l'homme se marie et la mortalité plus élevée des hommes en comparaison avec les femmes.

En 1930 nous comptions, en Suisse, 43.756 orphe- lins de mère et 70.672 orphelins de père, donc un surcroît de 62 %. Or, la mort du chef de famille a des conséquences naturelles spécialement fâcheuses. Les lourdes charges économiques pesant sur les familles ainsi décimées pourront provoquer de profonds bou- leversements. D'autre part, l'enfant ou les enfants s'attacheront de manière excessive à leur mère, atta- chement particulièrement défavorable lorsqu'il s'agit d'un fils unique ou d'un cadet gâté par des sœurs plus âgées. La probabilité de tels liens excessifs entre l'en- fant et sa mère est assez grande, les mères veuves se remariant bien moins souvent que les pères veufs. Cette dépendance anormale de l'enfant vis-à-vis de sa mère représente, par conséquent, au point de vue socio- logique, un phénomène de haute fréquence. Les sta- tistiques sociales nous donnent donc, dans une certaine mesure, une indication sur le nombre de pareilles situa- tions dans une société donnée et nous permettent ainsi certaines estimations sur la probabilité de telles « fixa- tions » en rapport avec le cas opposé. Mais revenons à la famille privée de son chef.

Si la mère se remarie, l'enfant aura souvent grand' peine à s'adapter au beau-père, restant trop attaché à l'image et au souvenir du père défunt. Pourtant ce cas est assez rare du fait que les mères veuves ne se rema- rient pas souvent.

Il nous reste à considérer la situation opposée où un attachement excessif à l'image et le souvenir de la mère défunte empêchera l'enfant de s'adapter à sa belle-mère, situation très répandue, nous venons de le dire, puisque les veufs tendent à se remarier. L'atta- chement excessif des enfants au père dans la famille,

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privée de mère, est par contre rare. Le phénomène habituel y sera la désorganisation pure et simple, le veuf étant bien moins apte à reconstruire une famille normale que la mère seule.

La situation d'une famille, où les parents ont divorcé, est plus complexe encore. Une forme d'hyperorganisa- tion spéciale s'y manifestera, provoquée par le fait que l'enfant prendra presque toujours parti pour l'un ou l'autre des parents. Le divorce menant en général à l'attribution des enfants à l'une des parties, une nou- velle complication s'en suivra. Si le conjoint en ques- tion est celui pour lequel l'enfant avait précédemment pris parti, nous retrouverons les phénomènes cités de fixation excessive. Il s'agira fréquemment de la mère, les enfants lui étant, en général, confiés. Mais ceci ne représente que le cas le plus simple. Considérons le cas où la famille en question se compose de plusieurs enfants qui, au cours des disputes précédant le divorce, avaient pris différemment parti. Si tous ces enfants sont confiés à la mère, certains s'y attacheront d'une façon excessive, attachement encore exagéré du fait qu'ils ont sous les yeux l'exemple de leurs frères ou sœurs qui ont pris parti pour le père. Une difficulté supplémentaire résidera dans le fait que ceux-ci, sépa- rés de leur père, développeront une agressivité crois- sante envers leur mère et, de même, envers les frères ou sœurs attachés à celle-ci. L'hyperorganisation arti- ficielle et secondaire d'une famille incomplète faisant suite au bouleversement qui la désorganisèrent doit être considérée, ici aussi, comme cause dernière des phénomènes décrits. Cette hyperorganisation peut éga- lement être renforcée du dehors, un exemple en sera l'influence du père divorcé sur les enfants attribués à la mère.

Ce problème est particulièrement délicat au point de vue de la juridiction. Le sens du divorce doit for- cément résider dans une dissolution générale du lien familial. Cette dissolution est à la fois dans l'intérêt des

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conjoints et des enfants. Elle a pour base, d'ailleurs, une procédure juridique. L'organisation familiale ne devrait donc pas survivre au divorce. Or, il se pose la question suivante : le conjoint auquel les enfants ont été enlevés n'a-t-il pas humainement parlant un droit inaliénable en dehors de l'exercice de la puissance parentale à « des relations personnelles indiquées par les circonstances » (Code Civil Suisse, art. 156) avec ses descendants - et ces relations ne peuvent être qu'intimes et toucher aux profondeurs des « Moi ». Ce dilemme est, l'expérience le montre, difficile à résoudre. Il fait « du droit de visite », un procédé peu satisfaisant provoquant, sans le vouloir, l'illusion d'une structure familiale encore en fonction, quoique en réalité elle n'existe plus. Les essais multiples tendant à influencer les enfants ne feront qu'empirer la situation. En outre, comment tracer les limites entre l'exercice de la puissance paren- tale et cet autre droit purement humain à l'intimité avec l'enfant que nous venons d'évoquer? Une situa- tion pareille exige, cela va sans dire, une sensibilité toute spéciale et un tact extraordinaire, choses sur lesquelles il est difficile de compter, surtout après le divorce, période encore toute chargée de l'amertume des disputes et conflits passés. Cette description des faits nous amène à envisager la nécessité de réorganiser et de réviser profondément toute la question du « droit de visite ». Il nous semble d'ailleurs juste que le juge dispose de la plus grande liberté et se rend indépen- dant de toute réglementation schématique et rigide.

3. Alors que dans les cas décrits jusqu'ici, l'hyperorga- nisation de la famille peut se caractériser en moyenne par un trouble général de la santé psychique, formant un terrain fértil aux névroses de tous genres et à leurs conséquences sociales défavorables, celle-ci se présente, quant à la troisième possibilité envisagée (la famille hyperorganisée en déchéance totale), sous un jour fort différent. Dans ce cas, le milieu défavorable représenté par une telle famille conduira rapidement à la déchéance

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René Kœnig et à la criminalité si aucune influence bienfaisante et (( thérapeutique » ne se fait valoir de l'extérieur. Certes, nous rencontrerons différents degrés de menace sociale allant de la famille ébranlée à celle dont la déchéance est totale. Si nous sommes conscients de l'importance qu'a la vie familiale quant à la formation de la per- sonnalité sociale et culturelle, nous ne nous étonnerons pas que cette influence puisse produire dans le cas actuellement discuté une perversion des plus funestes, à supposer toutefois qu'une telle famille ait su conser- ver ses liens.

La famille déchue représente un bien mauvais centre d'éducation auquel les enfants ne réussissent pour ainsi dire pas à se soustraire, du moins par leurs propres moyens. Pourtant il est spécialement important, dans ce cas, de ne pas confondre les phénomènes de désor- ganisation et d'hyperorganisation. La désorganisation totale d'une famille mène à la destruction radicale de tout lien et de tout principe éducatif familial. Une incertitude profonde quant aux formes les plus élé- mentaires de comportement en sera la conséquence. De là formation déficiente du caractère, labilité, etc. L'hyperorganisation d'une telle famille provoquera, d'autre part, les principes d'éducation y étant faussés, des comportements non seulement associaux, mais bien antisociaux. Enfants et jeunes gens seront ainsi « dressés » à commettre des actes sociaux négatifs tels que vol, prostitution, etc. En résumé, nous pouvons donc déclarer que la désorganisation est responsable d'un manque d'adaptation sociale, tandis que l'hy- perorganisation crée plutôt une activité antisociale bien déterminée.

Or, il est particulièrement important de constater que la personnalité antisociale ne se caractérise pas par son manque de respect envers l'ordre social, mais bien par sa tendance à former un nouvel ordre personnel, souvent très rigide, parfois même despotique, dirigé contre la société. Le déséquilibre mental résultant de

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ces phénomènes ne mène donc pas à des états patholo- giques identiques, la désorganisation s'accompagnant en général de névroses, l'hyperorganisation de véritables psychoses et psychopathies. L'hyperorganisation d'une famille déchue n'empêche donc pas un comportement réglé; pourtant elle sera responsable de la formation de maximes morales sui generis d'après lesquelles ce comportement s'organisera. Le voleur qui commet ses méfaits en cachette prouve par là qu'il reconnaît, du moins indirectement, l'existence du Code Pénal.

La formation de telles familles en déchéance et par- tant du milieu éducatif néfaste qu'elles représentent dépend à la fois de facteurs endogènes, en général psychopathiques, et de facteurs exogènes, c'est-à-dire sociaux, économiques (pauvreté), d'ambiance (mau- vais voisinage), etc. Ces derniers ne devront jamais être négligés. En cela, il nous est impossible de discer- ner l'héréditaire de l'acquis; nous nous trouvons obligés d'admettre le point de vue de M. H. Meng : « II est toujours encore impossible de savoir si des conditions de développement défavorables peuvent déclencher chez l'enfant sain les comportements typiques du psy- chopathe, ou si, tout au contraire, une sensibilité exagérée est provoquée par une déficience organique s'accompagnant de déficience psychique G ».

De toute manière, l'hyperorganisation proprement . dite est dans une grande mesure déclenchée par l'en- tourage en ce sens, par exemple, qu'une telle famille devant une collision avec la police, ou bien devant de simples menaces de polices et d'installation d'une tutelle, se renferme plus étroitement sur elle-même. En outre, il y a ici aussi des survivances d'autorité paternelle affermie jusqu'au despotisme, qui condi- tionnent une organisation extrêmement rigide de telles familles. L'identification avec le père déchu doit néces- sairement empêcher la formation d'un « hypermoi » qui

6. H. Meng, Die Prophylaxe des Verbrechens, Bale, 1948; p. 490.

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René Kœnig pourrait fonctionner comme conscience ou bien de nouveau la pervertir. La thérapie proprement dite essaie avec raison de relâcher les liens familiaux en éloignant les enfants le plus tôt possible de la zone d'influence d'un pareil milieu, ce qui donne souvent de bons résultats et contredit naturellement l'hypothèse de l'hérédité. Mais, d'autre part, on voit que les enfants de telles familles en déchéance, élevés dans des familles étrangères ou dans des institutions, s'enfuient très souvent de nouveau et reprennent après peu de temps leur premier genre de vie. Alors précisément on ne doit pas négliger la puissance formatrice d'une famille per- vertie; dès que l'entraînement social (ou plutôt anti- social) a atteint un certain niveau de perfectionnement, il n'est presque plus possible de reconduire ces indivi- dus à l'intérieur d'un ordre social normal. C'est à cette idée que se rattache l'exemple souvent cité de la « Famille Zéro » au sujet de laquelle J. Jorges a pu montrer que les qualités antisociales de cette famille ont en dernier lieu leur racine dans les troubles de la guerre de Trente Ans, et se sont conservées depuis avec une ténacité incroyable 7. Il résulte de cette remarque que nous devons donner une attention toute particulière au nombre inouï et aujourd'hui encore incalculable de familles déchues dans l'Europe d'après-guerre et veiller à ce qu'une aide soit fournie à temps.

Revenant sur l'intention qui a orienté notre travail, l'intention d'étudier la notion d'une hyperOrganisation de la famille, il nous faut naturellement concéder qu'il s'agit là de la mise en évidence d'un certain ordre de faits particuliers qu'il serait certainement inadéquat de considérer isolément. L'hyperorganisation n'exerce autant dire jamais des effets défavorables sur la santé morale à elle seule, mais toujours en combinaison avec d'autres circonstances. Il suffira peut-être d'une hyper-

7. J. Jorges, Psychiatrische Familiengeschichten, Berlin, 1919, p. 107.

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organisation familiale pour qu'apparaissent certaines irrégularités du caractère, sans qu'il y ait du même coup un péril véritable pour la santé morale. Pour cette dernière éventualité, il faut que d'autres facteurs encore interviennent. D'après l'opinion moyenne de la doctrine actuelle, l'ébranlement de la santé morale requiert un complexe de causes assez diverses.

Notre intention portait cependant plus loin : nous voulions attirer l'attention sur un certain ordre de faits qui passent en général inaperçus. Lorsqu'on s'oc- cupe de tels ou tels problèmes donnés, ceux-ci se présentent le plus souvent avec leurs caractères indi- viduels, et l'on ne met pas en lumière le fait qu'il s'agit, dans la hyperOrganisation de la famille, de circons- tances assez largement répandues. Comme preuve, rappelons la survivance du patriarcalisme, qui peut être spécialement rendu responsable de l'hyperorga- nisation familiale, et qui reste dominant dans de larges couches de nos sociétés modernes. Grâce à cette notion, il nous devient en outre possible d'éclairer l'altéra- tion de certaines familles qui, vues de l'extérieur, paraissent encore intactes, et en particulier sur les unions ébranlées ou compromises, comme nous l'avons fait plus haut.

Jusqu'ici, l'attention de la sociologie de la famille se portait presque exclusivement sur l'étude des familles désorganisées, et la pathologie sociale s'occupait avant tout des cas frappants de désorganisation familiale. Mais il fallut bientôt reconnaître que les relations entre les attitudes sociales négatives (quelles qu'elles soient) avec la désorganisation familiale ne sont pas aussi simples qu'on l'avait parfois admis. Une propor- tion étonnamment élevée de jeunes criminels sortent, par exemple, de familles en apparence parfaitement intactes. En examinant les choses de plus près, et avec plus d'insistance, on constata cependant que ces familles comportaient, à un très fort pourcentage, des troubles internes qui n'avaient rien à faire avec la désorgani-

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Page 16: L'Hyperorganisation de la Famille

René Kœnig sation et qui tenaient bien plutôt d'une hyperorgani- sation prononcée.

La notion d'hyperorganisation de la famille que nous avons discutée ici doit permettre, à notre avis, de désigner un caractère fondamental de certaines familles intérieurement troublées. Nous avons, en même temps, cherché à donner une première casuistique des aspects sous lesquels elle peut se présenter.

Pour finir, et comme résultat secondaire, nous aime- rions encore insister sur un point de vue, qui n'a cer- tainement pas passé inaperçu des lecteurs avertis : en analysant notre notion, il nous est arrivé à plusieurs reprises de souligner que certains faits sociaux peuvent donner lieu à l'apparition en série, mesurable par les moyens de la statistique, de tels phénomènes qui font l'objet particulier de la psychanalyse sous ses diffé- rentes formes. Ce point de vue nous semble être d'une importance considérable, même exceptionnelle. Il est, en effet, regrettable que la psychanalyse et la socio- logie de la famille aillent, trop souvent encore, chacune leur chemin presque sans prendre contact de l'une avec l'autre, bien qu'elles s'occupent du même objet sous des angles différents : la psychanalyse portant son attention sur les préoccupations et les difficultés indi- viduelles, la sociologie en rendant manifestes les réper- cussions de certaines situations sociales dans la sphère individuelle. Les rôles pourraient être répartis comme suit : la sociologie pourrait fournir le cadre social de certains phénomènes, la psychologie sociale et la psy- chanalyse auraient à le remplir. La situation respective des deux disciplines nous semble comparable pour user de l'image connue de Bougie à celle de deux équipes qui percent un tunnel en partant des deux versants d'une même montagne : leur but est le même; elles le montreront en se donnant la main lorsqu'elles se rencontreront à mi-chemin.

Université de Zurich.

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