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CENTRAFRIQUE: POURQUOI LA FRANCE EST MAL PARTIE PAGES2-5 Spécial Angoulême ToutLibé enBD Willem. Néen1941.Dernieralbumparu: Traquenardsetmélodrames (Cornélius). 1,70 EURO. PREMIÈRE ÉDITION N O 10174 JEUDI30JANVIER2014 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,40 €, Andorre 1,90 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,80 €, Canada 4,99 $, Danemark 28 Kr, DOM 2,50 €, Espagne 2,40 €, Etats-Unis 4,99 $, Finlande 2,80 €, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Irlande 2,50 €, Israël 22 ILS, Italie 2,40 €, Luxembourg 1,80 €, Maroc 19 Dh, Norvège 29 Kr, Pays-Bas 2,40 €, Portugal(cont.) 2,60 €, Slovénie 2,80 €, Suède 26 Kr, Suisse 3,30 FS, TOM 440 CFP, Tunisie 2,90 DT, Zone CFA 2 200CFA.

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CENTRAFRIQUE: POURQUOI LA FRANCE EST MAL PARTIEPAGES 2-5

SpécialAngoulême

ToutLibéenBD

Willem

.Néen

1941.Dernieralbumparu:Traquenardsetmélodrames(Cornélius).

• 1,70 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO10174 JEUDI 30 JANVIER 2014 WWW.LIBERATION.FR

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,40 €, Andorre 1,90 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,80 €, Canada 4,99 $, Danemark 28 Kr, DOM 2,50 €, Espagne 2,40 €, Etats-Unis 4,99 $, Finlande 2,80 €, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €,Irlande 2,50 €, Israël 22 ILS, Italie 2,40 €, Luxembourg 1,80 €, Maroc 19 Dh, Norvège 29 Kr, Pays-Bas 2,40 €, Portugal(cont.) 2,60 €, Slovénie 2,80 €, Suède 26 Kr, Suisse 3,30 FS, TOM 440 CFP, Tunisie 2,90 DT, Zone CFA 2 200CFA.

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Parismisait suruneactionchocet rapideenCentrafrique.Mais la résistancede laSéléka, la soif devengeancedes chrétienset le rôleduTchadont étémal anticipés.

«Sangaris»,les erreursde la guerre

Près de deuxmois après le lancementde l’opération «Sangaris» en Cen-trafrique, le 5 décembre, Paris segarde d’évoquer une date de retrait

etmise sur le renforcement de la force pana-fricaine, la Misca, et le déploiement d’unemission européennede500hommespournepas s’éterniser.Mais à la différence duMali,où l’armée française avait enregistré des suc-cès décisifs en quelques semaines, l’inter-vention enCentrafrique a été suivie par uneforte dégradation de la situation sécuritaireet humanitaire. Une réalité gênante qui in-terroge sur la conception de cette opérationmilitaire, sur sa gestion à l’échelon politiqueet, plus généralement, sur la politique afri-caine de la France.

UNE INTERVENTION À RECULONSEn décembre 2012, des rebelles venus dunord sont stoppés devant Bangui sous lapression de la communauté internationale.Mais, enmars 2013, face au refus persistantdu président François Bozizé de négocier, laSéléka s’emparedupouvoir àBangui,malgréla présence des contingents de pays de la ré-gion (Tchad,Congo,Gabon) et d’undétache-ment français de 300hommes stationnés surl’aéroport. Paris justifie son inaction: «Sinous étions intervenus, cela serait passé pourde l’ingérence dans les affaires intérieures d’unpays, explique une source diplomatique. Letemps de la Françafrique est fini, c’est aux Afri-cains d’agir avec notre soutien.»La France adopte une position attentiste.«Ilfallait d’abord examiner le comportement de cenouveau pouvoir», explique-t-on à l’Elysée.On avu:«Au lieu d’administrer le pays, la Sé-léka est restée un mouvement de rebelles sepayant sur la bête et commettant des exactionsen cascade»,noteunobservateur.Cequi res-tait d’Etat enCentrafrique s’effondredéfiniti-vement et les tensions prennent rapidementun tour ethnico-religieux. Composée pourl’essentiel de combattants musulmans (lo-cauxou étrangers), la Séléka épargne ses co-religionnaires, instillantdans les esprits l’idée

d’une collusion entremilitaires et civils.Fin juin, le Quai d’Orsay tire la sonnetted’alarme, expliquant en substance:«Onpartou on reste, mais il faut faire autre chose.»Depuis l’indépendance de son ex-colonie,en 1960, la Francen’a jamais vraiment quittéla Centrafrique. Si le temps où elle exerçaitune forme de tutelle déguisée estrévolu, elle a toujours maintenuune présence militaire dans lesouci de préserver sa zone d’influence enAfrique.Dès lors, Paris peut-il rester les brascroisés? «On allait forcément nous demanderdes comptes», confie un diplomate. Tandisque la communauté internationale se désin-téresse totalement dudrame en cours et que

les pays de la région peinent à semobiliser,la décision est prise d’intervenir. La diplo-matie française semet enbranle pour obtenirun feu vert des Nations unies.

UN CONCEPT D’OPÉRATIONMAL CONÇUMais comment agir dans l’une de ses ex-co-lonies sans s’exposer aux critiques sur l’éter-nel retour du «gendarme» de la Françafri-que ? Réponse de Paris : si la Franceintervient, c’est«à la demande de l’ONU» et«en soutien» à la force panafricaine déployéesur place. Le concept d’opération, élaborépar l’état-major des armées, découle de cepostulat diplomatique et doit intégrer plu-sieurs contraintes : politiques, mais aussibudgétaires etmatérielles. Car lesmoyensdel’armée française, en cours de restructura-tion et déjà engagée auMali, ne sont pas ex-tensibles. L’état-major propose plusieursoptions augouvernement, qui retient l’hypo-thèse basse: lamission sera limitée en termed’effectifs (1600 hommes) et dans le temps(«environ six mois»). «L’idée, c’est d’accom-pagner la montée en puissance de la Misca etde la pousser à prendre ses responsabilités»,explique alors l’état-major. De fait, celle-cipasse en quelques semaines de 2500 soldatsà plus de 5000 (à ce jour).L’état-major parie sur une opération coup-de-poing àBangui, censée impressionner lescombattants de la Sélékapour qu’ils rentrentdans le rang, avant de sécuriser plusieurs zo-nes clés d’unpays grand comme la France etla Belgique réunies et de passer le relais à laMisca.«On a voulu faire un “Serval” bis,maisla situation en Centrafrique était bien plus com-plexe qu’au Mali, reconnaît unofficier.A Ban-gui, il n’y avait pas de bons et de méchants, etil fallait tenir compte du jeu ambigu des pays dela région. On s’est laissé enivrer par notre suc-

cès dans le Sahel.»L’état-major baptise l’opérationdunomdeSangaris, unpapillon

local éphémère.Maisd’entréede jeu,Paris estpris de vitesse par lesmilices d’autodéfense,les anti-balaka («anti-machettes»), qui pas-sent à l’attaque le 5décembre àBangui, justeavant le vote de l’ONU. La Séléka riposte enmassacrant plusieurs centainesdepersonnes

ParTHOMASHOFNUNG

L’ESSENTIEL

LE CONTEXTEDeux mois après le début del’opération militaire en Centrafrique,la situation humanitaire et sécuritairene cesse de se dégrader.

L’ENJEULa France réussira-t-elle à se sortirde ce conflit et la Républiquecentrafricaine retrouvera-t-elleun équilibre politique?

DÉCRYPTAGE

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 20142 •

EVENEMENT

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ParFRANÇOISSERGENT

Calamiteux

La France n’a jamais quitté laCentrafrique. La décolonisation puisl’indépendance formelle en 1960 dece pays immense et immensémentpauvre n’ont rien changé auxingérences et interventionsfrançaises à répétition. De«Barracuda» en 1979 à «Sangaris»aujourd’hui, l’armée française atoujours eu ses bases et ses quartiersen Centrafrique. Le bilan de cesquarante-cinq ans d’ingérences estcalamiteux. La RCA est toujoursaussi pauvre; sans Etat, sans armée,sans routes ni écoles. Le pays est plusdivisé que jamais entre ethnies etconfessions, et la vie démocratiqueinexistante. Les paras français nedéposent plus les présidentscentrafricains comme ils l’avaientfait avec l’empereur Bokassa Ier.François Hollande, qui s’est toujoursméfié de la Françafrique, de sescorrupteurs et corrompus, a agiau Mali comme en RCA sous unmandat de l’ONU. Des électionsrégulières se sont même tenuesau Mali et la France a obtenu qu’unerespectable présidente par intérim,Catherine Samba-Panza, remplacele président Michel Djotodia installépar les escadrons de la mort de laSéléka. Mais ces habits neufs nepeuvent à eux seuls justifier cettepolitique de l’ingérence. L’arméefrançaise, mal servie par son alliétchadien, le peu recommandableprésident Déby, est conspuée dansles quartiers à Bangui alors qu’elledevrait servir d’honnête arbitre.Les Africains méritent mieux queces interventions d’un autre temps.

ÉDITORIAL

REPÈRES

w 24 mars 2013 Les rebelles de la Sélékaprennent Bangui et chassent FrançoisBozizé. Michel Djotodia s’autoproclameprésident.w 17 juillet La Séléka commet des centai-nes de meurtres, selon la FIDH.w 5 décembreDébut de «Sangaris».w 11 janvier 2014Michel Djotodia s’envolepour le Bénin.w 20 janvierCatherine Samba-Panza estélue présidente de transition.

Marcelino TruongNé en 1957.Dernier albumparu:Une si joliepetite guerre-Saigon 1961-1963(Denoël Graphic).

dans la capitale. L’«effet de sidération» es-comptépar l’état-majorne s’est pas produit,contrairement auxprécédentes opérations enCentrafrique. «Les Séléka jouaient au chat età la souris avec nous, se souvient avec amer-tume un militaire. On croisait des pick-upchargés d’hommes en armes. Ils tournaient aucoin de la rue, et on entendait des rafales.»Trois jours plus tard, alors queSangaris a reçul’ordre dedésarmer la Séléka, par la force s’ille faut, deux soldats du 8e régiment de para-chutistes d’infanterie demarine (basé àCas-tres) sont tués par des inconnus à Bangui.Dès cet instant, les anti-balaka, soutenusparlamajorité (chrétienne) deshabitants,multi-plient les actions de harcèlement contrela Séléka et s’en prennent auxmusulmans,jugés complices. Les quartiers s’embrasent.Lamission éclair de Sangaris se transformeen longue et éprouvante opération d’inter-position à Bangui.

PARIS FACEÀ L’«AFRIQUEDESAFRICAINS»«Nous avons empêché ungénocide», insiste laFrance. Entendu récemment par les parle-mentaires à huis clos, le ministre de la Dé-

fense, Jean-Yves LeDrian, a expliquéqu’uneintervention était de toute façon inéluctableet qu’il valaitmieux la lancer«avant lesmas-sacres».Mais, assurentplusieurs sourcespro-ches dudossier, l’ex-puissance coloniale quise targue de bien connaître la Centrafrique apeut-être péché par excès de confiance.Premièrement, elle a sous-évalué la capacitéde nuisance des anti-balaka: loin d’être desimplesmilices villageoises équipées dema-nière rudimentaire, ces derniers bénéficientdu soutien actif des soldats de l’ancien ré-gimedeBozizé.«Ona sous-estimé l’influencede l’ex-président réfugié à l’étranger, expliqueRolandMarchal, spécialiste de la Centrafri-que. Paris était en retard sur la dynamique decristallisation en cours.»Deuxièmement, les combattants de la Sélékase sontmontrés plus coriaces que prévu. Ausein de cemouvement rebelle figuraient detrès nombreuxmercenaires tchadiens et sou-danais –des vétérans des rébellionsmenéesces dernières années contre N’Djamena ouauDarfour–«qui n’avaient pas peur des Fran-çais», dit une source bien informée à Paris.Sous la pression, ils ont tout demême levé le

camp. Les combattants centrafricains ont,quant à eux, rejoint leurs cantonnements àBangui, tout en continuant la nuit à semer lechaos dans les quartiers, jusqu’à leur récenteévacuation de la capitale. Aujourd’hui, unepartie substantielle de la Séléka est réfugiéeavec armes lourdes et bagagesdans son sanc-tuaire historique du nord, la zone dite des«trois frontières».Enfin, les rivalités au sein de la force pan-africaine, notamment le rôle trouble ducontingent tchadien sur place, et le risquede représailles contre lesmusulmans, ont étémal anticipés.«En désarmant ou en obligeantla Séléka à rejoindre ses cantonnements sansassurer la sécurité derrière, on a occulté le rôlede protection qu’elle jouait de facto vis-à-visde ces populations et les Tchadiens se sontengouffrés dans la brèche», pointe un bonconnaisseur du pays. Le mal est fait : enbutte à des représailles sanglantes, lamino-ritémusulmane a fuimassivement Bangui.«On savait que notre intervention pourrait êtresuivie par des pogroms antimusulmans,maisne rien faire aurait été encore pire», se défendun responsable à Paris.Face à cesmultiples critiques etmalgré unesituation sécuritaire et humanitaire toujoursaussi préoccupante, Paris ne dévie pas. Pasquestion d’envoyer des troupes supplémen-taires.«Les renforts, c’est laMisca, expliqueun haut gradé.Nous n’avons pas demandé detroupes supplémentaires, mais adapté notredispositif pour le rendre plus fluide. Ce quicompte, c’est d’avoir les capacités d’agir aubonmoment et au bon endroit.»Est-ce le cas?Si, de l’avis général, la situation ira en s’amé-liorant à Bangui, où les troupes de Sangariset de laMisca sont concentrées, l’ampleur dudésastre reste inconnue hors de la capitale.«Comme lors de la crise en Côte-d’Ivoire, laFrance a sous-estimé la complexité de la situa-tion parce que nous n’avons plus le contact avecles nouvelles générations, formées après les in-dépendances, résumeAntoineGlaser, spécia-liste des relations franco-africaines.Onn’estplus au temps de “Bangui la coquette” [le sur-nom de la capitale à l’époque coloniale,ndlr]. Aujourd’hui, c’est l’Afrique des Afri-cains, et elle nous échappe très largement.»•

«Des soldats français ont été pris à partie [hier]par des individus armésnon identifiés et ont dû riposteraux abords du campRDOT [où sont cantonnés les ex-rebelles].»Le lieutenant-colonelThomasMollardqui préciseque lesFrançais ont tiré aucanonde90mméquipant lesblindésSagaie. L’accrochagea fait 10mortsparmi lesSéléka.

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 • 3

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Depuis le cantonnement des ex-rebelles de la Sélékaet la démissionduprésidentDjotodia, la communautéest partout traquée par des chrétiens ivres de revanche.

ABangui, la curéeanti-musulmans

Des cadavres abandonnésau travers de la rue, destirs qui claquent dans lamoiteur étouffante sans

qu’on sache toujours qui se bat: de-puis plusieurs jours, Bangui a renouéavec la violence, après une courtepériode d’accalmie lors de l’an-noncede l’élection, le 20 janvier, dela nouvelle présidente de transition,Catherine Samba-Panza.Hier, deuxcorpsmutilés étaient exposés sur laroute de l’aéroport et des affronte-ments avaient lieu dans le quartierde PK5, où des musulmans venusd’autres quartiers, notamment deMeskine, s’étaient regroupés pouréchapper aux attaques dont ils sontla cible systématique.Ni les opérations de cantonnementdes ex-rebelles de la Séléka, qui ontperdu le pouvoir début janvier, nil’annonce de la formation du gou-vernement de transition, lundi,n’auront donc réussi à apaiser latension dans la capitale centrafri-caine, où plusieurs quartiers popu-laires ont été vidés de leurs commu-

nautésmusulmanes, assimilées defacto à ces ex-rebelles venus enmars du nordmusulman.Défilé en armes. Il suffit de se ren-dre dans le quartier de PK13 pourmesurer l’impact de cette revanchedevenueaveugle.Unsilencedemortpèse sur les habitations détruites,pillées et désertées. Aucunmusul-man n’est resté dans ce quartieranéanti. Sur la même route, en di-rection du centre-ville, se trouve lequartier dePK12, avec soncarrefourstratégique qui verrouille l’accèsvers l’une des sorties de la ville. Lesmilitaires français y sont postés de-vant unbarrage qui jouxte unpostede gendarmerie déglingué. Mais laprésence des soldats n’a pas empê-ché l’exodedesmusulmansduquar-tier, nimême les ex-rebelles de sor-tir ces derniers jours de leur lieu decantonnement toutproche,pourdé-filer en armes et treillis,malgré l’in-terdiction qui leur en est faite.Il est vrai qu’il ne suffit pas de can-tonner des combattants. Encorefaudrait-il songer à les nourrir. Ap-paremment, personne n’y a songé.Et quand les ex-rebelles tentent des’approvisionner seuls et sans armes

aumarché, ils se font attaquer. C’estenpartie pour cette raisonqu’ils ontpeut-être procédé à cette dérisoiredémonstration de force avec armeset uniformes au carrefour de PK12.«Si on tente de les arrêter quand ils dé-filent armés, on risque unbainde sangaumilieu despetits vendeurs», se jus-tifie un militaire français, lequelconcède dans la foulée que l’opéra-tion«Sangaris»pourrait durer pluslongtempsqueprévu,malgré le votemardi à l’ONUsur l’envoi de renfortde troupes européennes. «C’estainsi, soupire-t-il. On ne se plaintpas,mais c’est dur pour nos épouses.Et quand les missions se prolongenttrop, on finit par avoir plus de cocusque de morts», finit-il par lâcher.Or, lamission initiale s’est compli-quée. Enneutralisant les ex-rebellesde la Séléka, l’intervention destroupes françaises et africaines a in-directement laissé laminoritému-sulmane sans défense face à la soifde vengeance desmilices anti-ba-laka. Et les lynchages de musul-

mans ont parfoislieu sous les yeuxdes forces françai-ses, comme ce futle cas hier à Ban-gui, où les soldatsde Sangaris ont étéaccusés de ne rienfaire pour sauverun musulman at-

taqué par la foule.«Vous, les Fran-çais, vous êtes venus ici pour assisterà notre massacre. On ne veut plusvous voir dans nos quartiers, sinon onvous tuera aussi», lançait vendrediun homme à moto sur l’avenuedéserte qui longe le quartier deMeskine.Accent parisien.Malgré la fin durègne de la Séléka, les massacresn’ont doncpas cessé. Car lesmilicesd’autodéfense civiles sont en réalitétout aussi divisées que l’était la Sé-léka –qui, en sango, signifie «al-liance» de plusieurs mouvementsrebelles opposés à l’ancienprésidentFrançois Bozizé. «En réalité, noussommes tous dépassés! Il y a des gensqui se revendiquent de la Séléka sansfaire partie des rebelles et il y en ad’autres qui s’affirment anti-balakasimplement pour pouvoir piller ettuer», affirmait il y a quelques joursLeopold Bara. Sous une pailloteplantée dans le sable, au bord dufleuve Oubangui, ce trentenaire àl’allure de professeur se présentaitalors comme«le coordinateur politi-que des anti-balaka», tout en préci-sant aussitôt :«Je représente le cou-rant pacifiste du Front de la

résistance.» Son accent parisien netient pas du hasard ou d’une formedepréciosité délibérée.Denationa-lité française, élevé dans l’Hexa-gone, LeopoldBara a été le relais lo-cal de la campagne de François

Kahn [candidat centristeaux législatives pour re-présenter les Français de

l’étranger, ndlr] en 2012. En septem-bre, il est rentré dans sonpays natal«révolté par le chaos qui y régnait».Nébuleuse.Depuis lundi, ce biolo-giste est le nouveau ministre de laJeunesse, des Sports et de la Cultureet le seul représentant des anti-ba-laka au sein du nouveau gouverne-ment, qui compte troisministres re-présentant les rebelles de la Séléka.Le casting n’a pas plu à tout lemonde. «On nous a volé notre vic-toire», a déclaré lundi Edouard-Pa-trice Ngaissona, un fidèle de l’an-cien président Bozizé, rentrérécemment àBangui. Cet anciendé-puté duquartier deBoyRabé repré-sente justement la branchedes anti-balaka, qualifiée d’«extrémiste»parLeopold Bara.Depuis la démission deMichel Djo-todia, le président porté au pouvoirpar la Sélékamais forcé de le quitterle 10 janvier, lesmilices anti-balakaaffichent leurs divergences augrandjour.«Sur les dix sites qui regroupentdes anti-balaka, trois, dont celui deBoy Rabé, ont refusé de désarmer. Ilssont en réalitémanipulés par l’ancienprésident François Bozizé, qui n’a ja-mais renoncé à revenir au pouvoir»,accusait Leopold Bara la semainedernière, affirmant avec force «nepas vouloir d’une république chré-tienne enCentrafrique, où chaque reli-gion, chaque communauté doit avoirsa place».Mais la nébuleuse des anti-balakas’appuie sur une colère populairequi répond autant aux exactions dela Sélékapendant les dixmois où lesrebelles tenaient le pouvoir qu’à desressentiments plus anciens. Dans lelangage courant, à Bangui commedans le reste du pays, on distinguetoujours«lesCentrafricains»et«lesmusulmans»pour évoquer les deuxprincipales communautés du pays.Un abus de langage qui sera bientôtune réalité si les massacres etl’exode forcé des musulmans sepoursuit. Amoins que ces derniersne se décident à réagir. Vendredi,plusieurs imams de Bangui avaientincité leurs fidèles à prendre les ar-mes pour se protéger des attaques.La guerre civile succéderait alors àla purification ethnique en cours.

Envoyée spéciale à BanguiMARIAMALAGARDIS

«Nous sommes tous dépassés. Il y ades gens qui se revendiquent de laSéléka sans faire partie des rebelles etil y en a d’autres qui s’affirment anti-balaka pour pouvoir piller et tuer.»LeopoldBaraministredesSports etde laCulture

Marcelino TruongNé en 1957. Dernier albumparu:Une si jolie petite guerre-

REPORTAGE

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 20144 • EVENEMENT

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SelonPeter Bouckaert, enmissionpourHumanRightsWatch àBangui, les forces deSangaris sont«tétanisées» face aux tueries:

«LesFrançais nequittent pas souventleurs blindés»

Directeur des urgences au seinde l’ONGHumanRightsWatch(HRW), Peter Bouckaert est

l’un desmeilleurs observateurs de lasituation enCentrafrique,pays qu’il a sillonné àplusieurs reprises depuisle mois de novembre.Basé à Genève, mais deretour à Bangui depuis lasemaine dernière, il ana-lyse la nouvelle phase duchaos centrafricain, alorsque la tension reste très forte et querienne semble encore pouvoir arrêterles tueries, malgré les changementsintervenus récemment à la tête dupouvoir.Pourquoi la situation reste-t-elle vola-tile malgré la neutralisation des ex-rebelles de la Séléka qui avaient prisle pouvoir enmars?Le rapport de forces a effectivementchangé avec l’arrivée des soldats del’opération française Sangaris en dé-cembre, qui a affaibli les ex-rebellesdésormais cantonnés dans des basesà Bangui commeàBossangoa, dans lenord-ouest du pays.Mais ils sont en-core armés et la Séléka ressemble à unlion encagequi voit bien comment lesmilices d’autodéfense civiles anti-ba-laka ont profité de son affaiblissementpour attaquer la population musul-mane et ceuxparmi les ex-rebelles qui ont accepté derendre leurs armes. On setrouve donc à un moment très pé-rilleux de la crise où les consignes dedésarmement des forces étrangères seheurtent à lamultiplication des lyn-chages demusulmans ou d’ex-rebel-les devenus plus vulnérables.Ce ne sont pas seulement les anti-ba-laka qui les attaquent. Aujourd’hui, ily a une colère presque impossible àcontrôler au sein de la populationchrétienne, qui a réellement vécu dixmois de cauchemar après l’arrivéedesrebelles au pouvoir enmars.Mais enréalité, dans presque toutes les fa-milles, chrétiennesmais aussimusul-manes, on a rencontré des gens quiont été tués par balles ou qui ont péride maladies après leur fuite dans labrousse pour échapper à la violence.Reste que c’est la communauté mu-sulmane qui, en ce moment, est entrain de payer le prix des exactions dela Séléka.La collusion supposée entre la Sélékaet les musulmans est-elle réelle?Il est vrai qu’unepartie de la commu-nautémusulmanea soutenu les ex-re-belles. Il y a eumêmedes éléments ar-més chez les Peuls qui ont participé àdes tueries aux côtés de la Séléka.Mais la vérité, c’est que tout lemonde

est armé en Centrafrique, chrétienscomme musulmans. La seule diffé-rence, c’est que les musulmans sontuneminorité, ils ne représentent pas

plus de 15%de la popula-tion du pays. Ils sontnombreux dans le nord-est, mais dans le reste dupays, leur style de vie lesrend particulièrementvulnérables. On a ainsisoit des commerçants,souvent riches et doncen-

viés, qui vivent aumilieud’unemajo-rité chrétienne, soit des éleveurs peulsnomades, depuis toujours en conflitavec les agriculteurs qui se plaignentde voir leurs champs saccagés par lestroupeaux. Ces ressentiments ancienset leur positionminoritaire enmilieuchrétien ont conduit depuis septem-bre à un exodemassif desmusulmansdes zones rurales.Maismêmeenville,ils sont encore attaqués par les anti-balaka, qui n’hésitent pas à tuer lesenfants à coups de machettes. Desquartiers entiers de Bangui ont ainsiété rayés de la carte. En réalité, il n’ya plus de refuge pour lesmusulmansde ce pays.Onaparfois l’impression que l’inter-vention française a indirectement ac-céléré lesmassacres desmusulmans…La France s’est trompée en n’antici-

pant pas les périls côté anti-balaka, ni l’explosion deviolences qu’allait provo-

quer la perte du pouvoir de la Séléka.Les Français pensaient pouvoir se li-miter à désarmer les ex-rebelles aucours d’unemission qui leur semblaitsimple au départ, conçue pour unsuccès rapide. Or rien ne s’est passécommeprévu et l’opération Sangarisse retrouve confrontée à un bain desang dans le pays. Face à cette nou-velle réalité, les militaires françaisdonnent surtout l’impression d’êtretétanisés.Quandon leur a signalé quelesmusulmans allaient êtremassacrésdans le quartier de PK13 à Bangui, ilsnous ont répondu qu’ils ne souhai-taient pas prendre parti dans ce con-flit ! Mais prévenir un massacre, cen’est pas choisir un camp. En réalité,ce sont les forces africainesde laMiscaqui prennent l’essentiel des initiatives,mais aussi des risques. En particulier,les troupes rwandaises, burundaiseset celle duCongo, qui ont réussi à sau-ver des gens en faisant preuve debeaucoup de courage, alors que lesforces françaises ne quittent pas sou-vent leurs blindés et s’aventurent peuendehorsdes grands axespourvoir cequi se passe dans les quartiers popu-laires.

Recueilli par M.M. (à Bangui)

HUGUESMIC

OL

INTERVIEW

Saigon 1961-1963 (Denoël Graphic).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 EVENEMENT • 5

Page 6: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

IsraëlcultivesonJourdainsecret

Washingtonvoudrait relancerles négociationsà propos de cettevallée stratégique,âprementdéfendueparles Israéliens.

Des roches arides aux dé-gradésde jauneentourentun plateau où se décou-pent les carrés vert som-

bre des cultures.«Les montagnesque vous voyez se détacher là devantvous, c’est la Jordanie.Notremoshav[village agricole, ndlr] se situe entrele village palestinien deHuja et la villede Jéricho. Plus loin au sud, c’est lamerMorte», expliqueYinonRosen-blum,plantant le décor dans lequelil vit depuis une trentained’années.Avec une poignée de jeunes fa-milles, il a fondé ici, dans la valléedu Jourdain, lemoshavdeNa’ama.Ils y cultivent des plantes aromati-ques, comme le basilic, des dattes,du raisinde table. Lesdeux tiers desproduits agricoles israéliens pro-viennent de la région.Dans cette plaine qui s’étend surprès d’une centaine de kilomètres,entre Beït Shéan (au sud du lac deTibériade) et lamerMorte, 21 com-munautés agricoles ont été établiespar Israël depuis l’occupation de larégion en 1967. Aujourd’hui, envi-ron 7000 Israéliens et 10000 Pa-lestiniens vivent dans la vallée dontle territoire couvre 14% de la Cis-jordanie.«On est venu parce qu’onvoulait faire quelque chose de nou-veau, par goût de l’aventure. C’est legouvernement qui a choisi les endroitsoù nous installer, ils nous ont amenél’électricité et l’eau et, les premièresannées, on n’avait pas à payer la lo-cation du sol», expliqueYinon. Il ditencore que la cohabitation avec lesPalestiniens est paisible : «Onemploie 6000 Palestiniens et il n’y apas de barrières autour de notremoshav.»Yinon rappelle aussi qu’ila fallu des années pour rendre fer-tile le sol ingrat de la région.

JOYAUDISPUTÉ.Après la conquêtede 1967, la vallée du Jourdain arapidement été perçue par Israëlcomme un point stratégique, puiséconomique, central. Aujourd’hui,dans les négociations avec les Pa-lestiniens sous auspices américains,elle est devenueun joyau âprementdisputé.Question de sécurité pourIsraëlmais de souveraineté pour lesPalestiniens. Une dizaine de sta-tions d’écoute s’éparpillent sur leshauteurs, leurs récepteurs pointésvers la frontière jordanienne. Enplus de ce système d’observation,

Tsahal disposed’unebrigade (envi-ron 3000 hommes) qui patrouilledans la zone.«La vallée du Jourdainest le seul endroit où Israël peut dé-fendre sa frontière à l’est», expliquel’ancien commandant Uzi Dayan.«La distancemoyenne entre le Jour-dain [qui dessine la frontière avecla Jordanie] et la Méditerranée est

de 64 kilomètres.Nous ne demandonspas davantage. C’est la profondeurstratégiqueminimale pour assurer lasécurité d’Israël», affirme-t-il, rele-vant que l’exiguïté du territoire etla concentration des ressourcesrendent son pays vulnérable. Prèsde 70%de lapopulation israéliennevit sur l’étroite bande entre la «li-

gneverte» séparant Israël de laCis-jordanie et laMéditerranée. Selonlui, le calme aux frontières a été as-suré jusqu’ici grâce à des zonestampons, la démilitarisationdu Si-naï égyptien et l’occupationduGo-lan syrien.Une position au diapason de celledu gouvernement israélien et qui a

récemment provoqué des frictionsavec l’administration américaine.Le secrétaire d’Etat John Kerry–qui a effectué récemment sadixièmevisite dans la régiondepuisla relance des négociations de paixen août– a présenté, courant jan-vier, un accord-cadre aux deuxparties dont les propositions sur lavallée du Jourdain ont été rejetées.Elles incluaient le maintien d’uneprésencemilitaire israélienne tem-poraire à la frontière jordano-pales-tinienne, avant de passer le relais àune force internationale, coupléede policiers palestiniens. LesAmé-ricains promettant aussi de fournirà Israël des moyens sophistiquésafinde garder unœil, de loin, sur lazone.«Le plan de sécurité qui nous aété présenté ne vaut pas le papier surlequel il est écrit. Il n’assure ni la sé-curité ni la paix», s’est énervéMosheYaalon, leministre israéliende la Défense, selon le quotidienYediotAharonot.Depuis,Yaalon, quiavait également affirmé queKerryétait animé par une«obsession in-compréhensible», s’est platementexcusé auprès deWashington.Maisces diatribes reflètent le climat detension sur la question de la valléedu Jourdain.

DANGER. Côté palestinien, lemaintien d’une présencemilitaireisraélienne dans la région est inac-ceptable.«Kerry fait des allers-re-tours pour discuter uniquement dedeux questions qui n’ont jamais été àl’ordre du jour : la judéité d’Israël etla vallée du Jourdain», a rapportéNabil Chaath,membre du Fatah etl’un des négociateurs palestiniens.Selon lui,«les Israéliens ne parlentplus des Iraniens ou des Irakiens,mais de l’effondrement de lamonar-chie hachémite comme du dangerprincipal» pour la sécurité régio-nale. D’ailleurs, le Premierminis-tre israélien, Benyamin Nétanya-hou, s’est rendu la semainedernière en Jordanie, où il a ren-contré le roi Abdallah II. Des sour-ces proches des négociationscroient même savoir qu’Ammanaurait proposé de mettre des sol-dats à disposition pour surveiller lavallée du Jourdain.•

ParAUDEMARCOVITCHEnvoyée spécialedansla valléeduJourdain

Un retrait israélien «devraintervenir dans les trois anssuivant un accord de paix» aaffirmé hier le président pales-tinien, Mahmoud Abbas. Lespropositions américaines demaintien de forces israélien-nes aux frontières, notammentavec la Jordanie, du futur Etatpalestinien, évoquent unedurée de dix ou quinze ans.

REPÈRES

MilesHymanNé en 1962. Dernier albumparu: le Dahlia noir (Rivages-Casterman-Noir).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 20146 •

MONDE

Page 7: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

Le richissime hommed’affaires Andrej Babis,59 ans, à la tête du mouve-ment populiste ANO, a éténommé hier ministretchèque des Finances.Babis a séduit les électeurspar une politique «sans cor-ruption». Avec une fortuneestimée à 1,5 milliardd’euros, il est le deuxièmehomme le plus riche dupays et la 736e fortune dansle monde. D’origine slova-que, Andrej Babis, qualifiéde «Premier ministre bis», adû renoncer à ses respon-sabilités au sein du géantde l’agroalimentaire Agro-fert, le quatrième plus grosemployeur de la Républi-que tchèque, qu’il dirigeait.

UNMILLIARDAIREÀ LA TÊTEDES FINANCESTCHÈQUES

«L’Afriquesubsaharienneest devenueunincubateur pour lesgroupes extrémistesquimènent desattaques de plus enplusmeurtrières.[…] Lesmauvaisesconditions de viey alimentent lamenace.»JamesClapper le directeurdu renseignementaméricain, hier

115magistrats en poste àIstanbul ont étémutés,dont deux des procureursen charge de l’enquête anti-corruption qui éclaboussele Premier ministre Erdo-gan. Ces deux magistratsont été dessaisis de leurdossier par le nouveau pro-cureur général d’Istanbul,nommé il y a quinze jourspar le pouvoir turc.

Le ton est toujours of-fensif…mais les ambi-tions nettement rédui-

tes. Les perspectives pour2014 énoncées par BarackObamadans son traditionneldiscours sur l’état del’Union,mardi soir, ont con-firmé la métamorphose duprésident de tous les espoirsen gestionnaire du possible.2014 peut être une «annéed’action» ou même une«année de percée», a promisObama.Mais l’action risqued’être surtout présidentielle,a-t-il admis, annonçant quefaute de soutien auCongrès,où les républicains entraventtoujours toutes ses initiati-ves, il agirapardécrets prési-dentiels, d’une portée biensûr plus limitée que des ré-formes législatives. 2014 serasurtout de nouveau une an-née d’élections: l’intégralitéde la Chambredes représen-tants et un tiers du Sénat se-ront renouvelés en novem-bre, cequi accaparedéjà tousles esprits àWashington.«Les discours d’Obama sontvraiment comme le sexe: aussimauvais soient-ils, c’est tou-jours excellent», a pu semo-quer le stratège républicainAlex Castellanos. Commelui, la plupart des commen-tateurs américains, mêmeconservateurs, ont reconnuque le discours d’Obamaétait encore une fois brillant,gonflé d’optimisme, unpar-fait antidote au déclinisme.Mais ils constatent aussi quel’agenda du Président n’estplus que l’ombre de ce qu’ilétait en 2009. Lediscours demardi«semble avoir at-teint un nouveaudegré de vide», «ildoit plus à Proc-ter&Gamble qu’àJefferson et Madi-son», a assassiné le journa-liste ToddPurdumsur le sitePolitico.com. Ses slogans,«année d’action»ou«chancepour tous», sont dignes depublicités plutôt quedespre-miers grands présidents del’Amérique, a poursuivi cetanalyste, qui s’y connaît bienen rhétorique présidentielle:il est marié à une ancienneporte-parole de Bill Clinton.«Je ne pense pas que ce dis-cours vabeaucoupaider à faireremonter la courbe de popula-rité d’Obama [tombée à 41%d’opinions favorables, contre

50%dedéfavorables auder-nier sondageGallup,ndlr], cequi serait nécessaire pour aiderles démocrates à l’approchedesprochaines élections, estimeaussi Eric Ostermeier, pro-fesseur à l’universitéduMin-nesota et auteur du blogSmart Politics.Le Président alancé un thème de campagne,la lutte contre les inégalitéséconomiques, avec le relève-ment du salaire minimum.

C’est un sujet populaire quipeut être un atout pour les dé-mocrates lors des élections àvenir.Mais il n’a pas non pluscentré tout son discours là-dessus, il faudra sans doutequ’il y revienne pour vraimentinsister. BarackObamaaaussireconnu qu’il n’arrive pas àsortir du blocage au Congrès,son discours était empreint derésignation.»Lamesure la plus spectacu-laire, annoncéemardi, le re-lèvement du salaire mini-mumde 7,25 à 10,10 dollars(5,3 à 7,4 euros) de l’heure,

ne concernera que les con-tractuels qui travaillent pourl’Etat fédéral, soit environ200000 salariés, au fur etmesureque leurs contrats se-ront renouvelés. Pour tirerde la pauvreté les millionsd’autres qui travaillent pourmoins de 10 dollars del’heure (unemployé surqua-tre dans le secteur privé), ilfaudrait l’assentiment desrépublicains au Congrès ouau niveau des Etats. Maisceux-ci n’y voient générale-ment que du «populisme»quimenacerait denombreuxemplois.Pour redonner malgré toutcourage à l’Amérique, Ba-rack Obama a conclu parun long hommage à un sol-dat grièvement blessé enAfghanistan, Cory Rems-burg. L’handicapé, invité à lagalerie d’honneur du Con-grès au côté de MichelleObama, a eudroit à une lon-gue standing ovation.L’image était forte,mais éga-lement risquée : elle étaitcelle d’un pays valeureux etrésilient,mais tout demêmebien abîmé par les épreuvesde ces dernières années.

De notre correspondanteàWashington

LORRAINEMILLOT

Obama:adieuespoir,bonjourréelÉTATS-UNISToujours volontariste, le Président estnéanmoins conscientde sa faiblemargedemanœuvre.

L’attristant tableau de la condition bovine nous vient duLand de Hesse. En effet, les flatulences de 90 vaches ontprovoqué une explosion dans leur étable, à Rasdorf, souf-flant le toit du bâtiment. Enfermés dans un «endroit proba-blement insuffisamment aéré», les ruminants ont produitdu méthane qui s’est enflammé, «vraisemblablement enraison d’une décharge électrostatique». L’une des vachesa été victime d’une brûlure au pis. Vacher, métier à risque?On laisse ses bêtes avec unemangeoire pleine et c’estun cratère qu’on retrouve à l’heure de la traite.

EN ALLEMAGNE, LES VACHESPÈTENT LE FEU

L’HISTOIRE

ParSABINECESSOU

LesNéerlandais auxpetitssoins avec leurs jihadistes

Une vingtaine de jiha-distes néerlandais,rescapés des combats

en Syrie, n’ont pas été arrê-tés à leur retour auxPays-Basen 2013. Au contraire, ils ontété aidéspar les pouvoirs pu-blics. En plus d’un toit etd’un emploi, ils se sont vusoffrir des cours de «déradi-calisation» par certainesvilles. C’est ce qu’a révélél’émission Een Vandaag,après recoupement de plu-sieurs sources. Sur ce sujetcontroversé, les villes con-cernées neveulent pas com-muniquer. En fait, leur ac-tion s’inscrit dans le cadred’un vaste programme dedéradicalisation, à l’œuvredepuis 2007.Depuis le meurtre en 2005du cinéaste Theo Van GoghparMohamedBouyeri,Néer-landais d’originemarocaine,le royaume finance des ini-tiatives locales. L’objectif :éveiller un esprit critique etdéfendre les principes de ladémocratie. Des ateliers«Gérer vos frustrations» ou«Gérer les critiques de votrefoi» ont été organisés par lamairie de Slotervaart, unquartier d’Amsterdam quicompte denombreux immi-grés. Désormais, il ne s’agitpas de prévenir, mais deguérir.Mais les villes, en cestemps de coupes budgétai-res, sont-elles équipées pourgérer le stress post-trauma-tiquedes jihadistes?Onpeuten douter.

EnAllemagne, cettemissionrevient à Exit, une organisa-

tiond’aborddestinée à«dé-sintoxiquer» lesnéonazis.Auprogramme: des thérapiescognitives et beaucoupde re-lationnel. Deux chercheurs,MarkDechesne et CharlotteDeRoon, ont publié un rap-port dans la revue d’Exit,dans lequel ilsmentionnentle Système national d’aideaux vétérans, un organismenéerlandais de tutelle qui re-groupe diverses organisa-tions spécialisées, pour lessoldats. Leur recommanda-tion: laisser les islamistes enbénéficier, afin de les réinté-grer symboliquement à lanation, tout en leur épar-gnant les discours binaires etmoralisateurs sur le «bien»et le «mal».

Les Pays-Bas suivent plu-sieurs voies: le parquet a dé-cidé depoursuivre les jeunesarrêtés en partance pour laSyrie –mais pas ceux qui enreviennent. Rob Bertholee,le chef des services secrets(AIVD), s’est publiquementinquiétédu retourdeperson-nes«traumatisées», suscep-tiblesdecommettredes actesviolents. En décembre, ledernier rapportduCentre in-ternational d’étudesde la ra-dicalisation (ICSR) duKing’sCollege de Londres estimaità 11000 lenombremaximumd’étrangers ayant rejointles forces rebelles en Syriedepuis 2011. Parmi eux,1900 ressortissants d’Europede l’Ouest, dont412Français,366Britanniques, 296Belges,240 Allemands et 152 Néer-landais.•

VU D’AMSTERDAM

Ukraine Un pays tirailléentre Est et Ouest.Cartographie.

Israël Les amours paskasher du fils Nétanya-hou.

Liban, Japon, Chine,Etats-Unis, Egypte,Tunisie… Portraits dedessinateurs d’ailleurs.

• SUR LIBÉ.FR

Frederik PeetersNé en 1974. Dernier albumparu:Aâma tome 3, le désert desmiroirs (Gallimard).

«Les discours d’Obama sontvraiment comme le sexe:aussimauvais soient-ils,c’est toujours excellent.»AlexCastellanos stratège républicain

MicolNé en 1969. Dernier albumparu:Providence (Cornélius).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 20148 • MONDEXPRESSO

Page 8: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

Dieudonnéprislamaindansl’or

Les enquêteurs auraient découvert,650000 euros et 15000dollarsen liquide audomicile del’«humoriste».Qui s’est toujoursdit incapable de régler les sommesque la justice lui réclame.

ParVIOLETTELAZARD,WILLYLEDEVINetSYLVAINMOUILLARD

Dieudonné, cette belle ma-chine à cash… C’est ce quiressort des perquisitionsme-nées mardi au théâtre de la

Main d’or et au domicile de l’«humo-riste», situé à Saint-Lubin-de-la-Haye(Eure-et-Loir). Les enquêteursde l’office central de lutte contrela corruption et les infractions fi-nancières et fiscales et de la Directioncentrale de la police judiciaire ontmisla main sur 650 000 euros et15000dollars (11000 euros) en liquide,confirmant une information de RTL.Des documents comptables des Pro-ductions de la plume, la société de lacompagnedeDieudonné,NoémieMon-tagne, ont également été saisis afind’être épluchés dans le cadre d’une en-quête préliminaire ouverte il y a quel-ques semaines par le parquet de Parispour«organisation frauduleuse d’insol-vabilité», «blanchiment» et «abus debiens sociaux».Plus largement, la police travaille sur lepatrimoinedeDieudonné et sur des vi-rements bancaires effectués vers le Ca-meroun, pays d’origine du père du po-lémiste. De 2009 à 2013, 415000 eurosauraient ainsi été envoyés en Afrique.Or, Dieudonné s’est toujours déclarédans l’incapacité de s’acquitter desamendes –d’un montant de l’ordrede 65000 euros dus au Trésor public–récoltées pour ses propos antisémites.Dans une vidéo postée quelques jours

après la décisionduConseil d’Etat d’in-terdire son spectacle leMur, Dieudonnéest allé jusqu’à implorer ses fans d’en-voyer un chèque de 43 euros pour lesoutenir dans la tempête et combler lemanque à gagner. Se moquerait-il,outredu système,de sonproprepublic?En tout cas, la justice n’a pas apprécié.Après cet appel aux dons, qui apparaît

aujourd’hui comme une gigan-tesque farce, une autreprocédurejudiciaire a été ouverte à Paris.

Car, lancer une souscriptionpour réglerdes PV impayés après des condamna-tions définitives, est passible de pri-son… et de 45000 euros d’amende.

«MASQUE».Hier, JacquesVerdier, l’undes avocats deDieudonné, a confirmé«la saisie d’une somme d’argent»,maisa refusé d’enpréciser lemontant. Selonlui, les sommes invoquées paraissent«excessives» et seraient «le produit dela billetterie.» «Tout ceci est totalementtransparent, puisque toutes les contre-marques des tickets sont disponibles»,a-t-il souligné. Toutefois, selon unesource judiciaire,«cela ne suffit pas for-cément pour justifier la possession d’unetelle somme en liquide. Est-elle déclarée?Les justificatifs sont-ils convenables? Et,enfin, lesmontants correspondent-ils auxjustificatifs?» Si tel n’est pas le cas, leblanchiment de fraude fiscale n’est pasloin.D’ailleurs, Isabelle Coutant-Peyre,l’avocate de Noémie Montagne, a faitsavoir àLibération qu’un contrôle fiscaldes Productions de la plume aura lieule 4 février.

RÉCIT

La quenelle a été popularisée parDieudonné dans ses spectacles àpartir de 2009. L’«humoriste» enfait alors l’exégèse dans Libération :«L’idée de glisser ma petite quenelledans le fond du fion du sionisme estun projet qui me reste très cher.»

La Licra a vu, elle, dans ce geste «unsalut nazi inversé» ce qui lui vaut uneplainte déposée par Dieudonné.Mais aussi par Youssouf Fofana,le chef du «gang des barbares» etassassin d’Ilan Halimi, tué en 2006après avoir été séquestré et torturé.

REPÈRES «Dieudonné est unpetitentrepreneur de la haine.Face auxmotsdehaine qu’il utilise,il fallait réagir.»

ManuelVallsministrede l’Intérieur,le 31 décembre, surRTL

LA QUENELLE À L’ORIGINE DES POURSUITES «Jene connais pas très bience geste de la quenelle,maiscelame semble une erreurd’en faire une affairenationale.»

GuyBedoshumoriste, dansLibération,le 30décembre

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201410 •

FRANCE

Page 9: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

Unhommequi adiffusé la photod’unequenelle effectuéedevant l’école juiveOzarHatorahdeToulouse a été arrêté.

Unprochedel’«humoriste»mis en examen

La quenelle tient son mar-tyre. Un dessinateur pro-chedeDieudonnéa étémis

en examen hier pour avoir dif-fusé sur Internet la photo d’unindividu effectuant le fameuxgeste devant l’école juive OzarHatorah de Toulouse. Enmars 2012, Mohamed Merahavait assassinéquatrepersonnes,dont trois enfants, dans l’en-ceinte de cet établissement. Sil’individu figurant sur la photon’a pas été identifié, le dessina-teur, connu sous le pseudonymede«Joe leCorbeau», a étémis enexamen pour «provocation à lahaine raciale».Agé de 32 ans, l’homme –NoëlGérardde sonvrai nom–est unefigure illustre de la «dieu-

dosphère» et unprochede l’hu-moriste. II a parfois vendu sesbandes dessinées enmarge desspectacles de celui-ci en pro-vince. «C’est un copain, on estbons potes, c’est lui quim’amon-tré la voie à suivre, affirmait-ildans une vidéo postée sur You-Tube en décembre 2012. Il m’amontré que, par l’humour, on pou-vait faire passer tous lesmessagesque l’on souhaitait.»Faurisson. Selon unmagistratcité par l’AFP, la défense deNoëlGérard devrait désormais con-sister à contester le caractèreantisémite de la quenelle. Unexercice délicat au vu de la pro-ductionpersonnelle dudessina-teur.CommecedessinparodiantAstérix et intitulé Faurisonix et leZyklonmagique–en référence àRobert Faurisson, ponte du né-gationnisme français. Sur sonsite personnel, Noël Gérard pro-pose une revue de presse et desvidéos principalement consa-crées au judaïsme, auxmédias et

autres avatars de la «gouver-nancemondiale». «Lemonde oc-cidental est infiltré par le sionisme,peut-on lire.Lesmédias demassesont aujourd’hui tous aux ordresd’Israël.» Le site fait aussi of-fice de boutique en ligne pourl’œuvre graphiquede Joe leCor-beau, compilée dans l’albumShoahHebdo, parodie deCharlieHebdo. L’ouvrage a valu à sonauteur une quenelle d’or, «dis-tinction» remise annuellementparDieudonné, dontAlain Soralet Robert Faurisson ont égale-ment été «honorés».«Smicard». Interpellé près deMarseillemardimatin,Noël Gé-rard est dépourvude casier judi-ciaire. Il avait cependant été en-tendu par la brigade criminelle

de la vil leen 2012, aprèsla saisine duprocureurde laRépubliqueparson ancienemployeur, lamairie d’Aix-

en-Provence.«Noël Gérard a étéemployé chez nous en tant quegraphiste entremars 2011 et jan-vier 2013», explique lamunici-palité, confirmant une infor-mation révélée par Jean-ClaudeElfassi, paparazzi en guerrecontreDieudonné.«Suite à plu-sieurs propos douteux, nous avonsvérifié l’activité de l’ordinateur deM. Gérard, poursuit la mairie.L’opération a révélé la consultationintensive du site de “Joe le Cor-beau”, dont il a reconnu être l’ani-mateur.» La ville amis fin à soncontrat de travail. Selon lecompte rendu adressé à lamaired’Aix,NoëlGérard aurait déclarémener «un combat idéologiquesuivi par des millions de person-nes sur Internet» :«Ici, je ne suisqu’un fonctionnaire smicard,maisJoe le Corbeau est une star invitéedans de nombreux pays et prochedeDieudonné, aurait-il ajouté.Enluttant contre les sionistes qui sontpartout, je fais de la géopolitique.»

DOMINIQUE ALBERTINI

Pour lemoment, aucunenouvelle con-vocation deDieudonné ou de ses pro-ches n’est prévue. «Avec le résultat deces perquisitions, le masque de celui quiprétendait être un humoriste est tombé,celui d’un homme d’affaires suspectéd’être un délinquant est apparu», a réagiDavid-OlivierKaminski. L’avocat de laLicra avait déjà porté plainte contreDieudonné en 2011 pour«organisationfrauduleuse d’insolvabilité». L’«humo-riste» doit 25000 euros à l’associationen dommages et intérêts pour injuresraciales et incitations à lahaine. Sommerestée impayée.Mais la plainte pour in-solvabilité de la Licra a été classée sanssuite par le parquet en 2012, l’enquêtemenée à l’époque par un autre servicede police «n’ayant rien donné».

SAILLIES.La journéed’hier, décidémenttrès chaude pour Dieudonné, s’étaitdéjà ouverte par une audience. A force,on s’y perdrait… Ce coup-ci, c’estl’Union des étudiants juifs de France(UEJF) qui demandait au tribunal degrande instance de Paris le retrait de lavidéo «2014 sera l’année de la que-nelle», publiée par l’«humoriste» sursa chaîneYouTube. Saisi en référé (uneprocédure d’urgence), le tribunal degrande instance de Paris amis sa déci-sion en délibéré au 12 février. L’UEJFcible quatre passages susceptibles deconstituer des délits de contestation decrime contre l’humanité, de diffama-tion raciale, de provocation à la haineraciale et d’injure. Stéphane Lilti, avo-cat de l’association, entendaussimettrela plateforme devant ses responsabili-tés:«PourYouTube, le racisme ou l’anti-sémitisme sont des opinions commed’autres, explique-t-il à la barre.C’estpeut-être la vision américaine, mais enFrance c’est un délit.»Quatre saillies deDieudonnéont retenuson attention. Comme celle-ci :«Moi,les chambres à gaz, j’y connais rien. Si tuveux vraiment, je peux t’organiser un ren-card avec Robert», lâche l’ancien com-parse d’Elie Semoun, en s’adressant àl’avocat Arno Klarsfeld. Pour Lilti,«c’est évidemment un propos négation-niste que d’érigerRobert Faurisson en his-torien de référence». Jacques Verdier,le conseil de Dieudonné, fait d’abordminedenepas comprendre.«Qui est ceRobert? Ça peut être Robert Redford, Ro-bert de Niro, qui vous voulez !» Il se re-prend:«Vousme dites que c’est Fauris-son, OK.Mais lorsqueDieudonné l’a faitvenir au Zénith en 2008, c’est lamise enscène qui a posé problème. Aucun proposrévisionniste n’avait été tenu.»Une lignede défense que l’avocat maintiendratout au long des quatre-vingt-dixmi-nutes d’audience.•

«Lemonde occidental est infiltrépar le sionisme. Lesmédiasdemasse sont aujourd’huitous aux ordres d’Israël.»NoëlGérard sur son site internet

90000euros, c’est le montant des amendes dues par Dieudonné en raisonde ses multiples condamnations. 65000 euros vont au Trésor publicet 25000 euros à la Ligue internationale contre le racisme etl’antisémitisme (Licra).

Le 7 février, le tribunal correc-tionnel rendra son jugementdans le cadre d’une plaintedéposée par le parquet deParis pour «injure et diffama-tion», ainsi que pour «apologiede crime».Dieudonné a mis en

cause dans une vidéo «la puis-sance du lobby juif» et appelaità la libération de YoussoufFofana, condamné pour lemeurtre d’Ilan Halimi. Le minis-tère public a requis deux cents«jours-amende» à 100 euros.

ChauzyNé en 1963. Dernier albumparu:Revanche (Treize étrange).

UN NOUVEAU RENDEZ-VOUS JUDICIAIRE

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 FRANCE • 11

Page 10: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

PARLEMENTDans le cadre de la loi égalité entre les femmes et les hommes,un amendement a été voté pour les étrangères victimes de violences.

Souad,femmebattuesanspapiers,enfinprotégée

Mardi après-midi, àParis, les députésvotaient dans le ca-

dre de la loi égalité entre lesfemmes ethommesunemo-dification législative visant àmieuxprotéger les étrangèresvictimesdeviolences conju-gales. Au même moment, àAlès, dans leGard, sur lepar-kingd’un supermarché, unejeune femme algériennede 23 ans, était rouée decoups par le frère de son ex-mari, avant d’être transpor-tée inconsciente l’hôpital.Hier, la jeune femmeapual-ler porter plainte contre sonagresseur. Depuis 2012,Souad (1) avait déposé neufmains courantes et quatreprécédentes plaintes contresonmari et desmembres desa belle-famille. Malgré lescertificats médicaux, lesphotos édifiantes, les témoi-gnages qu’elle a fournis,aucunedesplaintesdeSouadn’avait donné lieu à despoursuites, ni même àaucune enquête. Jusqu’àaujourd’hui semble-t-il,puisque son agresseur devaitêtre entenduhier soir par lespoliciers.Esclave. Mariée en 2010 àun cousin français, la jeunefemme a vécu un calvairedepuis sonarrivée enFrance,

isolée, battue et traitéecommeune esclave.Un soir,lemari l’amise dehors, ellea trouvé refuge chezunevoi-sine. Il a demandé le divorce.Le 26 novembre, Souad areçu de la préfecture duGard, uneobligationdequit-ter le territoire français(OQTF). La préfecture avaitsimplement constaté qu’ellen’était pas à l’origine de larupture de vie commune et

estimé que les violencesn’étaient pas avérées,aucune poursuite ni ordon-nance de protection n’ayantété prise contre elle.En décembre, alertés parRESF, Libération et leMidi li-bre avaient raconté l’histoirede Souad et de deux autresfemmes de ce départements’étant retrouvées dans dessituations comparables.Femmes victimes de violen-ces conjugales ayant perduleurs droits au séjour avec larupture de la vie commune.Le 20 décembre, lendemainde la parution de l’article de

Libération, la préfecture duGard annonçait la régulari-sation de l’une d’entre elles.Pour Souad, elle expliquaitque sondossier serait réexa-miné si elle apportait des«éléments complémentairespour établir la matérialité desfaits dont elle s’estime vic-time».Ce qu’elle a fait. «Onn’a jamais réussi à avoir denouvelles de la préfecture»,expliqueDaniel Angot,mili-

tant de RESF quisuit depuis deuxans ces dossiersdans le Gard. Laministre desDroits des fem-mes, Najat Val-laud-Belkacem,

avait également alors fait sa-voir qu’elle souhaitait porteruneattentionparticulière à lasituation de ces femmes.«J’ai demandé àmes servicesde me faire remonter un pointprécis sur le sujet. Nos équipesse sont beaucoup mobiliséespour suivre les dossiers les plussensibles. C’est notamment lecas dans le Gard », expliquela ministre à Libération.«Double peine». L’adop-tion d’un amendement surce sujet dans la loi égalitéfemmes-hommes votéemardi constitue une avancéeimportante. Jusqu’ici, un

homme violentmarié à uneétrangère pouvait en effetjouer sur elle d’un chantageaux papiers. «Il y avait uneforme de double peine pour cesfemmes», résumeCatherineCoutelle, la députée socia-liste auteure de l’amende-ment. En prenant lui-mêmel’initiative du divorce dèsqu’elle portait plainte oumenaçait de le faire, lemariviolent avait potentiellementle pouvoir de bloquer sondroit au renouvellement dutitre de séjour. La loi consi-dérant qu’une femmeétran-gère victime de violencesconjugales doit être à l’ori-gine de la rupture de viecommune pour faire valoirses droits. C’est du moinsl’interprétation qu’en fai-saient de nombreux préfetset tribunaux. «Nous devionsdonc clarifier les choses pourque le droit à une autorisationde séjour s’applique, quellesque soient les conditions de larupture de la vie commune»,expliqueNajatVallaud-Belk-acem.Hier soir, laministre ademandé au préfet du Gardde suspendre l’OQTF deSouad et de veiller à ce quedes mesures de protectionsoient prises pour elle.

ALICE GÉRAUD(1)Le prénoma été changé.

Jusqu’ici, unhommeviolentmarié à une étrangèrepouvait jouer sur elled’une formede chantageauxpapiers.

ParTONINOSERAFINI

NajatVallaud-Belkacemausecoursdu filsLeDrian

C’est la porte-parole dugouvernement,NajatVallaud-Belkacem,

qui a été chargée dedéminerl’affaire de la nominationcontroversée de Thomas LeDrian àdes fonctionsdehautvol au sein de la Société na-tionale immobilière (SNI), fi-liale à 100% de l’entité pu-blique Caisse des dépôts etconsignations (CDC), quigère 275000 logementsHLMet intermédiaires. Le fils duministre de la Défense a éténommé directeur du con-trôle de gestion d’Efidis(l’unedes filiales dugroupe),chargé de mission auprèsd’André Yché, président dudirectoire, etmembredu co-mité exécutif de la SNI, oùnesiègent que des pontes dugroupe (Libérationdu 27 jan-vier). Ce qui fait beaucouppour un homme de 29 ansdiplômé d’une école decommerce moyenne etdoté d’une expérience mo-deste dans le domaine dulogement.

Mardi, la députée Marie-ChristineDalloz (UMP) a in-terpellé le gouvernement surcette«nomination opaque […]qui n’est pas exemplaire».Ellea permis à l’intéressé depas-ser«devant des cadres [de laSNI] bien plus chevronnés que

lui» pour occuper de tellesfonctions. Hier matin, surEurope 1, Najat Vallaud-Bel-kacema indiquéqueThomasLeDrian avait«toute la légiti-mité» pour occuper sonposte. «Il n’y a évidemmenteu aucune intervention», a-t-elle dit. Ce n’est pas cequ’indiquent des informa-tions que Libération a re-cueillies auprès de sources àla CDC, où le jeunehommeaété embauché comme con-seiller du directeur général,Jean-Pierre Jouyet, fin 2012,après l’arrivée de la gaucheaupouvoir.«Son recrutementn’a pas obéi au hasard d’unecandidature spontanée»,nousa indiqué ironiquement unesource. Il est ensuite passédans les conditions que l’onsait à la SNI.

Dans son CV, diffusé par leLab d’Europe 1, Thomas LeDrianprétendquedepuis sonarrivée chezEfidis, il y a troissemaines, il a mis en placeles«indicateurs de suivi de lagestion locative (impayés,taux de vacance, niveauxd’endettement)». Rien queça. «C’est faux, dément unhaut cadre de la société.Cesindicateurs existaient avantson arrivée.» Normal, dansune société comme Efidis(50000 HLM).•

DROIT DE SUITE

Catel.Née en 1964. Dernier albumparu:Ainsi soit Benoîte Groult (Grasset).

Nouvelle étape dans le parcours hors du commun de JoséBové, 60 ans, eurodéputé Europe Ecologie-les Verts. Lecofondateur de la Confédération paysanne, pourfendeurde la malbouffe, des OGM et ex-candidat antilibéral à laprésidentielle de 2007, a été désigné hier pour porter lescouleurs des écologistes, en binôme avec l’Allemande SkaKeller, pour la présidence de la Commission européenne,à l’issue d’une primaire organisée par le parti vert euro-péen. «La vraie campagne européenne démarre mainte-nant. L’enjeu est politique: à travers l’élection du présidentde la Commission, notre objectif est de montrer qu’il y ades politiques différentes au niveau de l’Europe. Commeaucun parti ne fait à lui seul 50% au Parlement, il y auraun débat pour savoir quel candidat pourra construire unemajorité, sur quel projet et quelle ligne. C’est une premièreet une avancée démocratique», a-t-il réagi. (lire sur Libéra-tion.fr) M.É.

UE: BOVÉ CANDIDATÀ LA PRÉSIDENCEDE LA COMMISSION

LES GENS

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201412 • FRANCEXPRESSO

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Normalement, la réé-lectiondumaireUMPde Boulogne-Billan-

court devrait être une for-malité. La ville vote à droiteà 70% et le sortant, Pierre-Christophe Baguet, peut seprévaloir du soutiende Jean-François Copé et de FrançoisFillon, coprésidents de lacommissiond’investiturequia validé la sienne.Mais en matière électorale,Boulogne-Billancourt n’estpas une ville normale.Depuis plus de vingt ans,chaque scrutin réveille uneguerre fratricide à droite.Onnecompteplus les coups tor-dus et les trahisons. C’estque le fromage est appétis-sant : la plus grande com-muned’Ile-de-France aprèsParis est un vivier prospère,riche en cadres et militantsactifs. Lemaire sortant doit

faire face à un adversaire deson propre camp, Pierre-MathieuDuhamel. Les deuxhommes se faisaient déjàface en 2008 quand Baguet,soutenu par Sarkozy, avaitnettement battu l’ancienmaire Jean-Pierre Fourcade.Il promet de faire au moinsaussi bien en mars. Mais labataille sera rude. Duhamelpeut en effet compter sur lesoutien actif d’Alain Juppé–dont il fut directeur de ca-binet dans les années 80– etdudéputéUMPdeBoulogneThierry Solère.Expert endissidence, ceder-nier avait battu aux législati-ves de 2012 le candidat offi-ciel, ClaudeGuéant. Baguet,lui, avait renoncé à se pré-senter pour se consacrer ex-clusivement à Boulogne. Ilmesure aujourd’hui combienle non-cumul peut affaiblir

un élu local. Solère, probablepremier adjoint en cas devictoire deDuhamel, a reçumardi soir le soutien deses collègues députés BrunoLeMaire et Xavier Bertrand.Duhamel, lui, recevra Juppéà Boulogne le 4 mars. Etcomme pour bien montrerque ce combat lui tenaità cœur, le maire de Bor-deaux a laissé Gilles Boyer,son plus proche collabora-teur, se présenter sur la listeDuhamel.Selon Baguet, Juppé et sesamis veulent faire une dé-monstrationde force. Boulo-gne serait«pris en otage parune écurie présidentielle». Il aprotesté hier devant le bu-reau politique de l’UMP, quis’est contenté de regretter lesoutien apporté à un candi-dat dissident.

ALAIN AUFFRAY

ABoulogne-Billancourt,lesUMPdosàdosMUNICIPALESLemaire, investi parCopé et Fillonpourles élections, affronteraundissident que Juppé soutient.

ParPASCALENIVELLE

Paris vaut bien despoireaux et des carottes

Trois animateurs et cinqcandidats pour un débatmunicipal, sur le plateaude LCI hier soir. On passedes couches-culottes à laPhilharmonie, du grandbanditisme –la sécuritéserait le premier sujet desParisiens…– aux couloirsde vélo. Bref, «onmélangeles carottes et lespoireaux», comme dit defaçon énigmatique AnneHidalgo (PS). D’un tonégal et sans se départir deson sourire, celle-ci dévideson programme élaboré delongue date, suite logiquede l’œuvre de BertrandDelanoë qu’ellerevendique à 100%. Tantd’impassibilité,tant d’assurance surles dossiers, cela agaceNathalie Kosciusko-Morizet, les yeux commedes fusils pointés sur elle.«Madame NKM», commel’interpelle l’énergique

candidate du Front degauche Danielle Simonnet,est la seule figurenationale. Elle voudraittirer le débat sur le terrainpolitique, mitraillant leplateau de petites phrases,«la municipalité a prononcéune fatwa contre lesautomobilistes». En baissedans les sondages,la candidate UMPa commencé sonintervention par untouchant lapsus, «touteseule» au lieu de «tousceux». ChristopheNajdovski (EE-LV), alliécritique d’Anne Hidalgo,parvient à s’immiscer dansle duel, parlant peumaisbien. Danielle Simonnetpeine à faire entendresa voix, qu’elle a pourtantforte. Elu de l’Oise,Wallerand de Saint-Just (FN) semble, lui,un peu perdu, entre lespoireaux et les carottes.

BILLET

Le filon Valérie Trierweilerjusqu’à la lie. A 7heures dumatin, hier, Paris Matchtweete sa «une» du lende-main. Où l’on découvreque l’ex, traits tirés en che-misier orange, parle àMatch… son propre jour-nal. Sous ce titre: «Quandj’ai su, j’ai cru tomber d’ungratte-ciel.»Dans son édition d’hier, leParisien promet quant à luipour ce week-end un «têteà tête avec Valérie Trie-rweiler». Son «envoyée spé-ciale a suivi l’ex-premièredame en Inde». Le teasing?«Après la rupture, entreamertume et soulage-ment.» Les livres, films,DVD et bonus idoines nedevraient pas tarder.

VALÉRIETRIERWEILERFAIT LES «UNES»

LES GENS

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Braqueur,maquereau et finegâchette dumilieu,Michel

Ardouin, associé deMesrine et dela FrenchConnection, a rendu

l’âme la semaine dernière dans uneéglise. Ses obsèques sont célébréesaujourd’hui enprésence de bonzes.

ParPATRICIATOURANCHEAU

Ancien braqueur de ban-ques, souteneur de fem-mes et «nettoyeur»d’hommes, Michel Ar-

douin, alias «Porte-avions», rap-port à son gabarit (1,95mètre pour120 kilos) et à son artillerie, estmort contre toute attente, à l’âgede 70 ans, dans une église… A lamesse d’enterrement d’un vieilami, le 21 janvier, l’athéeest tombé raide. Hémor-ragie cérébrale. Dans sesdernières volontés, ce voyou pleinde vices et adepte duyoga avait ré-clamé à sa «régulière» et associéeMarie-Louise, une ancienne fille dela rue Saint-Denis devenue mèremaquerelle, des funérailles avecdes«moines bouddhistes». Ce sontdoncdes bonzes qui vont officier au cré-matorium du Père-Lachaiseaujourd’hui pour la cérémonie à lamémoire de cet«homme à gonzes-ses» qui se vantait d’avoir «eu1600 nanas quand [il a] fait [ses]

comptes au placard». Porte-avions,qui a carburé pendant des annéesau whisky –trois bouteilles parjour– et aux cigarettes –trois pa-quets–, avait déjà fait deux acci-dents cardio-vasculaires et se sa-vait au bout du rouleau.Yeuxbleu acier et cheveuxblonds-blancs en brosse, pantalon de fla-nelle et blazermarine,Michel Ar-douin déclamait lors de nos repasau restaurant : «J’ai toujours aimé

les putes, et elles me le ren-dent bien.» Quand on sevoyait pour prendre des

nouvelles du milieu, Chez Jenny,place de laRépublique àParis, dansson fief duXVIIe arrondissement ouau bar d’un grand hôtel porteMaillot, Porte-avions débitait seshistoires salaces, de«chattes» et deViagra à la façon d’unemitrailletteet d’une voix tonitruante, attirantles regards noirs de nos voisins detable. Chez Porte-avions, il n’y apas que l’artillerie qui est lourde…On n’est pas bégueule, mais cen’est pas une sinécure de déjeuner

–au champagne s’il vous plaît–avec ce voyou éclectique au parlercru, prêt à tout «pour gagner del’oseille». N’empêche.Depuis notrerencontre à sa sortie deprisonpourproxénétisme à l’été 1998, Porte-avions, alors attelé à l’opulenteMa-rie-Louise de P., qui possédait«quatre camionnettes au Bois» deVincennes, nous a livré des tuyauxde première bourre sur la voyou-cratie et des scènes de film à laAudiard, telle une encyclopédie dubanditisme.

KAFKA.Rien ne prédestinait ce filsde bourgeois à devenir gangster.Rejetond’une chanteused’opéretteet d’un industriel du savon,MichelArdouin, né en 1943 à Paris, agrandi dans un bel appartementde 250mètres carrés duXVIIe–at-mosphère bohème, musiciens,Russes blancs– et a suivi en«can-cre» l’école à Sainte-Croix deNeuilly. Selonunmembrede sa fa-mille, Michel était «un adolescenttalentueux»,qui«jouait de la guitare

PROFIL

Kaneko.Né en 1966. Dernier albumparu:Wetmoon. Tome 1 (Casterman).

Ci-gîtPorte-avions,

gangsteraulongcours

et du piano comme un dieu, écrivaittrès bien» et avait déjà lu tout Sar-tre, Camus et Kafka. Le père étant«dans la lune», les Ardouin ne«roulaient pas souvent sur l’or».Mi-chel, lui, a «toujours eu un énormebesoin d’argent, un ego démesuré»,une fascinationpour les armes et lapègre.A en croire sa biographie (1),c’est à 8 ans qu’il a commis son

premier vol, des stylosWatermanplaqués or pour toute sa familleà Noël. A 17 ans, un énième cam-briolage le pousse à s’engager danslaMarine, façond’éviter le«bagned’enfants». Matelot indocile, Ar-douin part en bordée dans les bou-ges de Toulon, rhum et filles :«L’arméem’a pourri. J’ai eumapre-mière nana sur le tapin à Toulon.»Retour àParis à 20 ans. Il vit dupo-

ker, «maquereautage», cambrio-lage et racket.«Quand un voyou setientmal dans lemilieu, on lui prendsa fille, samontre et ses chaussures,ça s’appelle déshabiller un mec.»Parfois, on le«fume». Pour s’impo-ser, Michel Ardouin tue Henri leGitan qui complote contre lui. Ilsaoule de paroles la brigade crimi-nelle, mais ne dit rien: «C’est ma

méthode.» Pas depreuves. Il ressort. Iltombe pour proxéné-tisme en 1966 : «Entout, j’ai eu 28 filles autapin dansma vie, tou-tes des prises de guerre

[à d’autres proxénètes, ndlr],maisj’ai jamais pris la responsabilitémo-rale d’en mettre une seule auxasperges.»En 1967,Michel Ardouin«flèche»avec André Riffart, un ancien pri-sonnier de droit commun que laGestapo a sorti de sa cellule en 1941pour servir la police allemande, etbraque sa première banque avec«l’impression d’appartenir au gang

«Ses poignets étaient tellementénormes qu’onn’a pas pu fermerlesmenottes.»RobertBroussardcommissairede l’antigang

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REPÈRES

UNMALFRATMULTICARTESNé en 1943 à Paris d’un pèresavonnier et d’une mère chan-teuse lyrique, Ardouin a voléà 8 ans, puis cambriolé.A 17 ans, il s’engage dans laMarine. A 18 ans à Toulon, levoilà proxénète, puis «net-toyeur» dans une filière destups, braqueur, trafiquantd’héroïne, etc.

«Mavie, c’est un tiersde placard, deux tiersde champagne etde fric. Anotre âgedans lemilieu, on est10%commemoi, 30%demorts, 30%enprison, 30%auRSA.»

MichelArdouinàLibérationen2012

16C’est le nombre d’annéesqueMichel Ardouin a pas-sées en prison pour proxéné-tisme, vols à main armé, traficde stups, etc.

braquage et une grosse paire decouilles.» Ils habitent ensemble àMantes-la-Jolie (Yvelines) et font«des braquages commeon vaacheterdu pain», à la volée:«deux lemardi,trois le vendredi» pour «6 à 18 bâ-tons» à chaque fois. Le «grand»Jacquesm’as-tu-vu flambedans lescasinos et les salles de jeux. De soncôté, le «bâtiment de guerre» éco-nomise le fric des hold-up, despasses et des bars pour «remonterdes parcours de came». C’est leurcoéquipier et chauffeur AlainCaillol –futur ravisseur du baronEmpain en 1979– qui, voyant Ar-douin harnaché commeun porte-avions, l’a ainsi baptisé. Ce«blaze»a bien plu à Mesrine, et ça lui estresté. Le commissaire RobertBroussardde l’antigangqui a arrêtéce«truand assez régulier de la vieilleécole, armé jusqu’aux dents», sesouvient que «ses poignets étaienttellement énormes qu’on n’a pas pufermer les menottes».

BUSINESS. Dans le milieu, Porte-avions n’a pas hésité à liquider desmecs qui empiétaient sur ses pla-tes-bandes. Ainsi,Manu, petitmacmaladroit ayant «failli déclencherune guerre contre les frères Zem-mour» devenus des parrains, a étérévolvérisé dans un bois par Ar-douin qui n’avait «pas le temps defaire la guerre» aux Z. De quoi tuerle business :«Nous, on va cherchernotre oseille.»Réglo avecMesrine,attrapé par la police, il scotche unearme dans les toilettes du tribunalde Compiègne le 6 juin 1973 pourqu’il s’évade, et l’attend à la sortie.Alain Caillol leur prépare «le kid-napping d’un type qui a des chevauxde course» prévu le 6 octobre sui-vant, jour du prix de l’Arc detriomphe, avec remise de rançondans unebouched’égout désaffec-tée:«Il s’agissait d’unmonsieur deRothschild»,nous avait révélé Por-te-avions.Mais la«belle affaire» atourné court à cause de l’arresta-tion de Mesrine puis de la siennepour des hold-up.Sorti du«placard» en 1980, le voilàtenancier de bar rue de la Contres-carpe, puis il replonge en 1986pourtrafic de came en lien avec sonvieux complice de la French Con-nection,WilliamPerrin. La brigadedes stups coince Porte-avions avec220 grammes d’héroïne pure danssapocheetdécouvre à sondomicilequatre pistolets de gros calibre, unlance-grenades, un scanner,«35 briques en espèces», sans

compter une inquiétante sarbacaneavecdes fléchettes empoisonnées…Libéré, Porte-avions rafle un héli-coptère et survole la cour de pro-menade de Fleury-Mérogisle 26 novembre 1989 pour délivrerson pote William Perrin, mais lanacelle s’emberlificote dans un fi-let de sécurité. Et l’Alouette III re-part bredouille. Rattrapé en fé-vrier 1990 pour la tentatived’évasion, Ardouin prendneuf anspour trafic de stupéfiants et déten-tion d’armes.

COTOREP.Dehors en 1995, Porte-avionsne raccrochepasmais se re-convertit dans les bandits-man-chots car, selon sadevise,«àchaquetour de roue, faut changer de cré-neau». Il donne des coups demainà sa femme Marie-Louise, aussimonumentaleque lui. Il replongeenavril 1997 pour sesmachines à sousinterdites, corruption active d’ungardiende la paixdeLevallois-Per-ret (Hauts-de-Seine), blanchimentde ses gains (troismillions d’euros)sur des comptes bancaires auLuxembourg, et encorepourproxé-nétisme. Ardouin est alors soup-çonnéd’avoir recruté desCubainespour les envoyer dans desmaisonsdepasse enEspagne, notamment àWilliamPerrin qui, à 72 ans, tenaitun «bordel» du côté d’Alicante.Ressorti de taule à l’été 1998,Porte-avions a monté des magouilles fi-nancières en Suisse, publié sesmé-moires en 2003, épousé la Maro-caineNadia et lui a offert un rade àClichy-la-Garenne.La sortie au cinéma, fin 2008, dubiopic sur son ex-associé JacquesMesrine, l’a tellement énervé qu’ila rançonné le producteur ThomasLangmanpour accepter de«fermersa grande gueule», nous a-t-il dit,sans jamais nous avouer lemontantde ce «dédommagement». On atenté: «15000 euros?» Il a rétor-qué:«Ahnon, ce serait donné.»A laretraite et à la Cotorep, Porte-avi-ons a fini par vendre ses «quatredernières armes de poing» et revenirdans le giron deMarie-Louise qui,depuis sa mort à l’église, le prendpour«un saint». En revanche, unproche se sent «triste» que cethomme«si talentueux et intelligentne soit pas devenu un écrivain de gé-nie comme Jean Genet, ou un archi-tecte comme Jean Nouvel, mais unvieux con».•

(1)«Une vie de voyou», deMichelArdouin, avec Jérôme Pierrat (Fayard),346 pp., 20€.

des tractions avant, sauf qu’on est enDS». En 1968, il devient«coupe-fi-lière»–nettoyeur– pour un réseaucorse de la FrenchConnection, en-tre l’Espagne et l’Argentine:«Si unpasseur se fait serrer, il s’agit de sup-primer le mec qui l’a recruté afin decouper la filière. C’est un boulot dé-gueulasse.»Ardouinn’exécuteper-sonne, jusqu’au jour où un Fla-mand essaie de doubler les Corses.Expédié au Paraguay pour régler lelitige, le coupe-filière tombe dansunpiège: sa fiancéemeurt sous lesballes, «Don Miguel» prend duplombdans le ventre, supprimeuntraître –«le sosie du lanceur de cou-teaux dans l’Oreille cassée de Tin-tin»– puis retourne en Espagnevenger sa belle… à l’arme blanche.Officiellement, le rectifieur «ex-porte des oranges d’Espagne».Pour«remonter ses billes», en 1973,Michel Ardouin se met en équipeavec un certain Jacques Mesrine,évadé d’unpénitencier auCanada:«Ce n’est pas un affranchi, pas unvoyou,mais unmec qui a le génie du

Témoignage. Le 5 novem-bre 2008, Porte-avionsévoque son ancien com-plice: «Intra-milieu, ons’entretuait joyeusement.Mesrine était bien plus dan-gereux que moi.»

• SUR LIBÉ.FR

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Unenuitsurla lignedecrêpe

TUMITONNES!Chaque semaine,passage en cuisineet réveil des papilles.Aujourd’hui,la spécialité dela Chandeleur.

ParJACKYDURAND

Il est inquiet le Grand, ce matin : sagosse a découché. Elle a beau avoirlargement l’âgede guincher le samedisoir, il s’y fait pas. Comme souvent

chez lui, dans ce cas-là, c’est rideau ferméetmine enberne. Pourtant, il fait un tempsmagnifique sur la combe.Unbeau paquetde neige qui t’en fout plein les mirettessous le levant; on se croirait sur les grandsboulevards àNoël tellement ça scintille duflocon sous le grand plafond bleu glacé.Cettenuit, çadevait croûter secdans le dé-vers: -14 qu’il a encaissé le thermomètresous la fermette. Alors, je te dis pas là-basau fonddu ravin, quand la bise s’engouffreentre les sapins et semet à couiner commeune vieille bique.Le Grand, ça lui fout les foies, lemercurequi racle ainsi sous le plancher alors que sadescendance est partie chasser le dahu.Pensez donc, il imagine sa gosse surgeléedans une congère.Alors, il plonge sonmu-seau crispé dans son broc de café où onl’entend soupirer. Faut pas le chercher là,le fauve, il vous crucifierait sur la porte degrange à côté des chouettes et des cor-beaux séchés si d’aventure vous lui susur-riez que la chair de sa chair a l’âge de cou-rir le guilledou.«Elle a dû dormir chez uneconscrite», que l’on risque. Là, il pulvérisesa biscotte dans sa pognede lutteur et gro-gne: «J’ai déjà sonné tout le canton, elle estsur répondeur, elle est nulle part.»C’est pasqu’on soit pleutre, mais vaut mieux paspasser la deuxièmedans ces cas-là. On vafaire dans le double débrayage et proposerau Grand de se rouler un pétard d’Ajjapour s’enfumer le bourdon. Il a le nez colléau carreau, guetteur aux 400 coups scru-tant la toundra où il n’y a pas âmequi vive.

CHAPERON.Ce gars-là, il a dû être patoudans une autre vie tellement il serre sontroupeau. Avec lui, il faudrait faire passerla permission deminuit après le droit devote et transformer les happy hours encouvre-feu post-pubère. Ne lui avouez ja-mais que le Barracudan’est pas une crèchede Noël pour louveteaux et jeannettes, ilserait capable de napalmer tous les balsmontés du département. C’est pas qu’onsoit chineur de paradoxe,mais y a quandmême un gap entre le Grand, docteur èsdécouchage, qui longtemps noça commeà Cana, et ce chaperon qui collerait bienun bracelet électronique à sa portée. C’estfou ce que les mâles ont le tri sélectif enmatière demémoire quand ils deviennentde«bons pères de famille», commedisaitle droit français jusqu’à la semaine der-

nière quand les députés ont jeté l’expres-sion aux oubliettes. Si on ne risquait pasun coupdemerlin, on oserait bien unepe-tite piqûre de rappel au Grand. Juste unequand, il y a vingt ans à peine, il baptisaitla venue de sa fille avec trois jours de java,un fût de JackDaniel’s et une cargaison detournées générales. Quemême les sages-femmes et l’officier d’état civil voulurentl’envoyer en cellule de dégrisement letemps qu’il retrouve l’ordre des prénomsde son enfant et le zinc où il avait égaréson livret de famille. Heureusement qu’ilavait sa garde rapprochée pour l’exfiltrercomme àKolwezi en lui faisant avaler unelessiveuse de café à côté du couffin et dela table à langer.

BOÎTE À GIFLES.Là, il est pas glorieux,no-tre «bon père de famille». Il se réchauffeun mug de café et, soudain, se fige à la fe-nêtre commeunchiend’arrêt.«Mais, c’estmagosse!»qu’il braille.Dans la combe, ondistingueunegrandegiguebruneetunpe-tit blond, skis de fond aux pieds, qui serapprochent.«C’est qui l’autre?» grondeleGrand.«Jean-ClaudeKilly»,que l’on ris-que. Ça ne fait pas rire l’ancien quimâte,soupçonneux, le duo.Unepoignée demi-nutes plus tard, le voilà aussi avenant quele percepteur, qui les toise aumilieu de lacarrée.«Tupouvais pas prévenir que tu ren-trais pas?» tonne-t-il.«Mais, je voulais paste réveiller»,qu’elle dit lamôme.«C’est ga-gné, j’ai fait nuit blanche»,qu’il braille.Ma-demoiselle glousse:«Ben nous aussi.» Là,je crois bien que le Grand, il aurait sorti laboîte à gifles si on ne lui avait pas rappelélaDéclaration des droits de l’enfant. Alorsil se venge: «C’est qui ce troufion?» qu’ildit, endésignant le coturnede sa fille, cra-moisi par la chaleur dupoêle.«C’est le ne-veu de Carmen», qu’elle roucoule. LeGrand, ça lui cause laCarmendans ses pe-tites fugues de jeunesse. Il se radoucit:«Jevais pas vous chauffer pour rien. Allez cher-cher du bois si vous voulez déjeuner.»La filleduGrand, elle se dit que c’est gagné, alorselle yva tout schuss:«Tunous ferais tes crê-pes auxpommes, c’est bientôt laChandeleur,non?» s’exclame-t-elle en descendant aubûcher. Le Grand hausse les épaules :«C’est vraiment sans gêne.»«Mais c’est ceque tu aimes», on lui fait remarquer.«Benouais, sinon, ce ne serait pas ma fille.»Onadéniché une recette de«crâpiaux desbrandons», autrement dit des crêpes auxpommesdansunbel ouvragede cuisinedecampagne(1). Il vous faut 4 belles pom-mes, 2poignéesde sucre enpoudre, 1 verreà liqueur d’eau-de-vie. Pour la pâte, ilfaut : 250g de farine, 3 œufs, 50g debeurre, 45cl de lait, 2 cuillères à souped’huile et une pincée de sel fin. Dans unsaladier, versez la farine et creusezunpuitsau centre. Ajoutez progressivement le laitenmélangeant soigneusement. Incorporezlesœufs, le beurre fondu, l’huile et le sel.Laissez reposer. Coupez les pommes éplu-chées en tranches fines, saupoudrez-les desucre et flambez à l’eau-de-vie. Laissezmacérer durant une heure. Mélangez lespommes et leurmacération à la pâte. Faitescuire et retournez commepour des crêpesordinaires. Servez chaudes et saupoudrezde sucre.•(1)Nos grands-mères aux fourneaux, deGérardBoutet, Ed. Jean-Cyrille Godefroy, 1993.

GOÛTS

BlanquetNé en 1973. Dernier albumparu:Rendez-vousmoi en toi (UnitedDeadArtists).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201416 •

VOUS

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«Okay, this looksbad…» OK, ças’annonce mal.Répétée à l’envipar le héros (jeté

du 12e étage, plon-geant dans une pis-cine sous une pluie deballes…), cette devisevaut aussi pour la BD.Comme nombre deséries consacrées àdesseconds couteaux deMarvel, le sort deHawkeye semblait jouéd’avance : quelquesnuméros et rideau,faute de lecteurs. Si lenom du dessinateurDavid Aja semblaitun gage de qualité, laprésence au scénariode Matt Fraction, enrevanche, faisaitcraindre le pire. Libéréde toute pression édi-

toriale, il signepourtant undes co-mics les plus enthousiasmants deces dix dernières années.Le point dedépart est simplissime:Clint Barton, alias «Hawkeye», est

membre desAvengersaux côtés de CaptainAmerica et d’IronMan. Entouré de sur-hommes, ce faire-va-loir hâbleur et dra-gueur dispose d’unarsenal digne du pa-léolithique: un arc etquelques flèches. Frac-tion, lui, se concentresur le quotidien deHawkeye lorsque soncostume est au lLvo-matic. Pas demenaceinterplanétaire, seule-mentunpaquetdepe-tits mafieux qui ma-gouillent sur le dos deprolos à Brooklyn. Unrécit à la premièreper-

sonne, embedded dans la tête deBarton, mi-flic de proximité mi-007 de pacotille, aussi prompt àperdre ses gadgets qu’une godasseaumilieu d’un combat.Drôle et rafraîchissant,Hawkeyeestun objet pop. Méticuleusementcomposées, les planches d’Aja sontà la fois disciplinées et audacieuses,entre répétitions d’images, bouclesvisuelles et très gros plans. Deséchos et des allitérations visuellesqui touchentaucœurmêmedecequ’est le comicsmainstream: unart de la variation autourde thè-mes oudepersonnages répétés àl’infini. Un jeu de glissements surdes situations cent fois visitées.J a m a i ssage, lacompo-sition faitexploser letemps descène d’ac-tion et donne

le héros (jeté Clint Barton, alimemauxAmeManhomloiguearsléoquetiosurHawcosmatint

MATTFRACTION,DAVIDAJAETJAVIERPULIDOHawkeye, t. 1 et 2,Panini Comics, collection

100%Marvel, 120pp.,

14€.

Arcde triompheQuandun super-hérosmet soncostume à la laverie

L• Qui l’eût Cruchaudet?

«Mauvais Genre»: un déserteur de 14-18mèneune vie en jupon, avec la complicité de sa femme.Rencontre avec la dessinatrice.Pages II et III

Cris demolairesEntre logorrhée de phylactères et histoire dedents et fesses, Blutch suit une jeune fillemuniede cyanure. «Comment ça s’écrit».PageVIII

Balèze,DieuAdam foiré, saint Jean Baptiste prof d’aquagym,Jésus en chemise hawaïenne…Ajoutez bière ettequila, c’est la Bible deWinshluss.PageVII

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014

Spécial BD

de l’ampleur à un instant en appa-rence anodin.Aja structure des ca-ses autourd’onomatopéesou triturele lettrage endilatant l’espace entreles lettres de certaines répliquespour ralentir le récit sans le gêner.Laminutie de samise enpage évo-quemêmeparfois l’inventivitéd’unChrisWare (lamorbidité enmoins).Ledessin est servi parune colorisa-tion sobre–qualité rare dans le co-mics–, tout en camaïeux. De lamême façon qu’Aja gagne en con-fiance, la narration s’affirme: letemps de quelques pages, il éclipsemême le héros, se débarrasse desdialogues, et raconte les aventuresde Barton depuis les yeux de sonchien.En n’exigeant pas du lecteur qu’ilmaîtrise cinquante ans de conti-nuité, Hawkeye constitue unebonne porte d’entrée dans lescomics. L’occasion de dé-couvrirque les super-hé-ros savent semoquerd’eux-mêmes.MARIUSCHAPUIS

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CHLOÉCRUCHAUDETMauvaisGenreDelcourt, 160pp., 17,95€.

Le salut par le juponDrôle de couple danslaGrandeGuerre

«Louise Landy, accep-tez-vous de prendrepour époux PaulGrappe pour lemeilleur et le pire?»

lui demande le maire. La jeunefemme accepte. A cemoment-là,elle sait déjà que ce n’est pas uneunion comme les autres. A peine letemps de s’embrasser, les jeunesmariés sont obligés de courir sur lequai de la gare pour quePaul puisseattraper le train. En tenuemilitaire.Direction la caserne. 1914, la guerreest proche. Pasdepanique, elle seracourte, tout le monde le sait.Dans Mauvais genre (Delcourt),Chloé Cruchaudet s’attaque àlaGrandeGuerre et aux années fol-les, à travers la vie dePaul Grappe, aliasSuzanne Land-gard. Caporal,il fuit la lignede front effarépar la mort,la boue etles explosi-ons. Il secache pen-dant desannées, aidépar sonépou-se.Mais, nepouvant

plus résister à l’envie de sortir, ildécide un jour de se travestir enfemme. Cela dure dix ans, jusqu’àl’amnistie des déserteurs.Cette vie enmarge,mais révélatricedes tensions d’une époque, est res-tée plus oumoins inconnue jusqu’àla sortie en 2011 de Histoire deLouise et de Paul, déserteur travesti,dans le Paris des années folles (Payot)des historiens FabriceVirgili etDa-nièleVoldman.«C’était cette tensionautour du genre qui m’intéressait.Comment, par nécessité, on peut êtreamené à changer d’identité», ra-conte Chloé Cruchaudet.Prix.On la rencontre, à Paris, dansun café du boulevard Bonne-Nou-velle. A 37 ans, elle connaît sonpremier vrai succès avecMauvaisGenre. Depuis sa sortie en septem-

bre, la BD, sombre et émou-vante, a reçu unexcellent ac-cueil deslecteurs et

des journa-listes. Elle vientde remporter leGrand Prix de lacritique et estnomméepourle Fauve d’orà Angoulê-me. «Rien ne

préd i sposa i tPaul, dansses origines,à vivre cet-te doubleident ité .C’était unhomme

un peu macho, avec de nombreusesconquêtes», continue-t-elle.Audé-part, le soldat déserteur rechigne àse déguiser en femme. Son épouse,Louise, l’y pousse car elle ne sup-porte plus de le voir dépérir. Il yprendgoût, sort deplus enplus, af-fine son apparence, parle,marche–et pense?– comme une femmede la classe populaire. Louise l’em-mène avec elle travailler commecouturière.Avec finesse, Chloé Cruchaudet,dans un dessin qui donne la partbelle auxvisages, aux corps et à sesdétails, nousmontre toutes les éta-pes de la transformation.«J’ai tou-jours trouvé cela insupportable ceuxqui revendiquent une ultraféminité ou,à l’inverse, une ultramasculinité»,explique la dessinatrice. Elle,«ti-mide»,«un peu autiste»,qui«a faitde la BD pour ne pas avoir besoin deparler», lorsqu’elle voit certainespersonnes marcher dans la rue,trop maquillées et genrées pourêtre honnêtes, elle ne comprendpas.C’est le doutequi l’intéresse.Toutes les BD déjà parues deChloé Cruchaudet se déroulentsur une période qui va de la findu XIXe aux années 1920.

«C’est unmoment charnièrede la révolution indus-trielle, les gensavaient foi dans leprogrès et la patrie,tout est alors possi-ble», trouve-t-elle.Dans GroenlandManhattan (2008),

elle décrit le parcours

deMinik, jeune esquimauemmenéavec toute sa famille à New Yorkpar l’explorateur Robert Peary.Dans la ville immense, tous sesprochesmeurent demaladie,maisil va survivre et tenter de s’adapterà unmonde pour qui il n’est qu’unobjet de curiosité.Dans Ida, en troistomes, ellemet en avant unevieillefille acariâtre et précieuse qui semet à écriredes livresdevoyage surl’Afrique. Face aux conditions devie et à l’exploitation obscène desressources par les colons belges etfrançais, elle va changer radicale-ment samanière de voir lemonde.«Avec Mauvais genre, je traite del’ambiguïté homme-femme,mais jene m’intéresse pas qu’à ça, confieChloéCruchaudet.Cequi est impor-tant pourmoi ce sont les histoires degens qui ont vécu une transformationintérieure. Qui, là où ils sont, ne sesentent plus à leur place.»Egérie. Pour Paul, qui dans la ruese fait appeler Suzanne, l’enjeu deréussir, ou pas, à trouver sa place,va être fondamental. Il se faufiledonc là où on ne juge pas, là où lanuit est son alliée et où il aura unechancede rencontrerdespersonnesaussi différentes que lui: le bois deBoulogne. Il commenceàparticiperàdes orgies où tous les corps semê-lent: homme, femme, qui fait quoi,qui tient qui, celan’aplusd’impor-tance. Suzanne devient, dans cepetitmilieu, une égérie.«Il est ar-rivé par mauvais temps qu’il n’y aitpas grandmonde dans les sous-bois.Si elle était là, c’était suffisant pourqu’il y ait quelque chose…d’électrique

dans l’air, confie un participant deces soirées.C’est comme si elle étaitplusieurs partenaires, à la fois un êtrecomplet et magnifique.»Au bout de dix ans, l’amnistie desdéserteursn’y changerapas grand-chose.Paul préfère être Suzanne, augrand dam de sa femme. ChloéCruchaudet ne juge pas, ellemain-tient le doute, l’ambiguïté, tout aulong de l’ouvrage. On se demandece que pensent Paul et Louise, onvoit bien qu’ils sont emportés,qu’ils n’avaient rienprévu et pour-tant la vie et les sentiments tour-nent, tournent. «Avec MauvaisGenre, j’ai eu un plaisir à travaillerque je n’avais pas pour les précédentsalbums. Jeme suis enlevé des barriè-res. Je sais depuis longtemps qu’uneplanche de BD, ce n’est pas que descases bien délimitées où il faut remplirtoutes les zones de couleur, mais jerestais bonne élève. J’ai essayé del’être moins», analyse Chloé Cru-chaudet.Après des études à l’école Emile-Cohl à Lyonpuis auxGobelins àPa-ris, elle a travaillé pour un studiosur des dessins animés, pendantplusieurs années. Si elle est désor-mais indépendante, cela lui arriveencore, entre deux albums:«C’estunmétier de fourmi, ça rend humble,les tâches sont très séparées.»Maiscela nepousse pas à la créativité, ceque la BDpermet. L’important, dé-sormais, est la «dynamique», lesouffle. Ce n’est pas si grave si par-fois le dessin est «moche», tantqu’il est «vivant».Elle est admirative devant desauteurs commeQuentin Blake ouChristophe Blain. «Quentin Blakepar exemple travaille debout, et cetteénergie, elle se voit dans le dessin,explique-t-elle.ChristopheBlain, onvoit qu’il a du plaisir à se raconter deshistoires dans sa tête, on perçoit dansson dessin la sincérité.»Mouvementet sincérité au service d’une ré-flexion sur nos identités, voilà toutl’enjeu.

QUENTIN GIRARD

Tchat avecChloé Cruchaudetaujourd’hui à 15 heures.

•SUR LIBÉRATION.FR

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LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 Story L • III

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RécitsJÉRÉMIEMOREAUMaxWinsonDelcourt, 160pp., 15,95€.

Max Winsonn’a jamaisconnu la dé-faite. Depuisqu’il est entrésur un courtde tennis, iln’a même ja-mais perduun

set ou un jeu, enchaînant lesvictoires en tournoi, rempor-tant toutes les compétitionsmajeures, les unes après lesautres. Ce grand blond dégin-gandé est devenu, en l’espacede quelques années, le plusgrand joueur de l’histoire de cesport, renvoyant aux oublietteslesNadal et autres Federer. Pourson deuxième album après ledéjà remarqué le Singe Hartle-pool (Delcourt, 2012), JérémieMoreau s’attaque à la figurehé-roïqueetmoderneduchampionde haut niveau. Il en tire un récitintimiste et brillant, bien loindes figures habituelles de sportifcomme Michel Vaillant que l’onconnaît habituellement en BD.Max Winson a tout gagné, maisa-t-il vécu?, se demande lejeune auteur de 26 ans. N’est-ilpas qu’un objet créé de toutespièces au service d’un père,mégalo et tyrannique, de spon-sors toujours plus avides et d’unpublic qui ne souhaite qu’unechose, le voir briller, encore etencore? Pour apprendre à vivre,peut-être devra-t-il se mettre àperdre.

Q.G.

THOMASGOSSELINSeptmilliards de chasseurs-cueilleursAtrabile, 40pp., 18€.

Sur la page degarde, un In-dien essaie unpagne un peularge. Ça nes’arrange pasà la premièrecase de l’his-toire, on dirait

que le pagne glisse. Peu après,il montre à tout le monde unephoto de lui-même à poil, endisant qu’il cherche cethomme, qui lui a fait de la peineet à qui il compte faire un peude mal parce que«c’est pas in-terdit». Ensuite, il sort un Pola-roid, un«tricot de peau» et dit«nickel», se déguise en cow-boy, se pète la gueule en traver-sant une rivière et déclare à unautre Indien qui le relève :«Mercimonsieur. Je viens du fu-tur et j’ai perdu l’habitude d’évo-luer sur ce type de terrain» (no-tons que l’autre l’avait saluéd’un«Bonjour, impudent impru-dent»). Le temps que le hérosretrouve l’homme (son jumeau)

sur la photo et qu’il sache pour-quoi il trimballe cette image, onaura eu le temps de prendre descouleurs (acides) et de trouverà Gosselin au moins deux pères:l’absurde Fred dePhilémon et leluxuriant Mathieu Sapin duJournal de la jungle. É. Lo.

StripsJOFFWINTERHARTL’été des BagnoldÇaet là, 70pp., 16€.

«Vous lesavez peut-être vusarpenterla ville…en quête

de chaussures neuves.» Eux,c’est Sue et Daniel, mère et fils,Britanniques, dessinés commeune bave d’escargot translucidesur le papier, à peine noircie dusombre de leurs cheveux gras.Le malaise est d’autant plusgrand que de mère à fils, de filsà mère, on dirait que chacun adessiné l’autre en permanencependant qu’il lui parlait oupensait à lui, à elle. Les dialo-gues sont ainsi doublementmélancoliques, et assez comi-ques aussi, avec une doublecouche de ratage, de distanceet d’aparté : «Sue avait oubliéque la chose qu’elle préférait dansla vie était de faire rire son fils…En outre, cela faisait unmomentqu’elle n’avait pas vu la rangéede dents supérieure de Daniel.»A classer dans le rayon «joli pe-tit trait maigre sur la vie prochedes gens infimes.»

É. Lo.

PETERBLEGVADLe Livre de LéviathanL’Apocalypse, 160pp., 32€.

Léviathanestunbébé.Une sorted’animaldecompagniemétaphy-

sique. Quand il pleure, la têtepar terre, on dirait qu’il boitdans une flaque de pisse ouqu’il s’y noie. Un chat fantômel’accompagne. C’est Alice réi-maginée par Winsor McCay,avec de multiples variationsstylistiques touchant à tous lesregistres, faisant éclore des pa-pillons, des morts, du rire, mê-lant chronophotographie etconte de fées, illustration di-dactique et caricature romanti-que. Le Livre de Léviathan est àla fois sur la terreur des jouets,la faim, et la transmutation dulait. On ne sait pas trop quoi ci-ter pour donner une idée. Cettecase avec une main qui dit «Jedessine une charrette», Levia-than qui annonce «Je vais enenfer dedans» et une flèche dé-signant le sol sous la roue :

«pavé de bonnes intentions»?É. Lo.

HÉLÈNEBRULLERStarfuckeuseDelcourt,48pp., 10,95€.

Il y a cinqans, HélèneBruller étaitcomplète-ment «Lo-ve» maisaussi, de sonpropre aveu,la reine dessalopes. La

voilà en serial baiseuse de stars,de Brad Pitt à Barack Obama, enpassant par Britney Spears etJohn Lennon: toutes ces histoi-res ne sont donc pas vraies.Bon, alors, c’est quoi votre fan-tasme? Angelina Jolie? Bien.Hélène l’aborde dans une soiréealcoolisée:«Il paraît qu’elle estbranchée nanas.»Angelina n’estpas farouche mais décidément,non, le silicone dans ces lèvresimmenses, ce n’est pas possi-ble:«La vache! Il faut avoir uneénôôôrme fouffe!»Coucher avecdes stars sans toucher au fan-tasme, c’est toujours un peudifficile. É. Lo.

ERNIEBUSHMILLERNancy (1943-1945) ActesSud–l’An2, 336pp., 39€.

Non, cen’est pasMafalda.Tout estdans laboucle decheveux( r a i d e s

chez l’héroïne de Quino). EnFrance, Nancy s’appelait Zoé (etArthur). On ne vous fera pasl’analyse de cette BD, elle estdéjà dans la préface de HarryMorgan:«Les classes sociales semélangent facilement.»De fait,Sluggo (Arthur) est unpouilleux et Nancy une petite-bourgeoise dont la tante, Fritzi,ressemble à une pin-up de Ti-juana Bible, mais ils se disentfiancés.«La liberté est lamêmedans les relations entre lessexes»: Sluggo trompe allègre-ment Nancy et «l’activité éco-nomiquedes enfants est encoura-gée», puisqu’on a des petitsboulots, et un esprit de dé-brouillardise démoniaque, enparticulier s’il s’agit de gagnerde l’argent de poche. Autre traitsaillant: le jeu visuel sur le si-gnifiant, puisque dès le premierstrip, daté du 1er janvier 1943,on voit Sluggo affolé, cherchantNancy, invisible mais dont ilentend la voix : «Nancy… Oùes-tu?»A la troisième case, ondécouvre un pot d’encre géant,une plume posée à côté, et lavoix de Nancy sortant de l’en-crier:«Là-dedans!…. Je ne tra-vaille pas le Jour de l’an!» É. Lo.

Super-hérosCOLLECTIFBatmanAnthologieUrbanComics, 368pp., 25€.

Bruce Wayne abeau jeu d’êtreorphelin, quandBatman, lui,peut comptersur le soutiend’autant denombreux pa-ternels. Il y a la

filiation évidente, biologique,avec Bill Finger et Bob Kane,qui ont accouché du justicier unjour de mai 1939. Et il y a lespères d’adoption, nombreux etsoucieux de la croissance dupetit détective : l’élégant JimAparo, le nyctalope NealAdams, le schizo Alan Moore oule holistique Grant Morrison…En préambule à une année cen-sée célébrer les 75 ans du per-sonnage, Urban publie uneAn-thologie soignée, à destinationdu grand public comme desérudits. Agrémenté de nom-breuses préfaces, l’ouvragepermet de faire le tour, en20 récits courts, de la carrièredu Caped Crusader : on redé-couvre la créature pulp à mi-chemin entre Sherlock Holmeset The Shadow, le héros new-look du Silver Age bardé degadgets, le tournant noir desannées 70 poussé à son pa-roxysme durant les 80’s, lors-que le lectorat vieillit et réclameune narration plus complexe.Chaque épisode est comme unephoto jaunie sortie d’un vieilalbum de famille, avec son lotd’anecdotes sur le Batman dufutur de 1955, un poil plusgrand que celui qu’on connaît,ou sur le passé d’Alfred, un em-poté rondouillard qui deviendrale flegmatique majordome quetout le monde connaît. M.C.

PIERREGAVUS etROMUALDREUTIMANNL’ExtravaganteCroisièrede Lady Rozenbilt Leshumanoïdes associés, 128p., 15.99€.

D’ordinaire,on n’est pastrès amateurde spin-off.Cela donne leplus souventl’impressionque les au-teurs et les

maisons d’édition tirent à la li-gne pour faire rentrer des sous(cf. XIII). Mais, ici, cela fonc-tionne. Les deux auteurs de lasérie «Cité 14» s’amusent avecla jeunesse de l’un de leurs per-sonnages principaux, le com-mandant Bigoodee. A l’am-biance steam-punk habituelles’ajoutent les cocotiers, desmonstres marins et un amourperdu. Divertissant.

Q.G.

Maxn’aconfaiqu’surde tn’amai

set ou un jeu, ench

Des plancheset des plantesDeux revuesdans la lignede rire

Dérive urbaine 5,Une autre image,70pp., 8€.Alimentation générale V,VideCocagne, 164pp., 14€.

Bienvenue à Capitalia,«princi-pale ville de notre glorieuxpays», mais «encore large-mentméconnue duGrand Pu-blic» ! Heureusement, pour

remédier«aux contre-vérités qui circu-lent, véhiculées par des agents à la soldede l’étranger», la revue Dérive urbaineest là. Dans la zone 7, les habitants vi-vent désormais dans une cité végétale.De la table aux murs, tout est vivant et

floral. Parfoisun peu trop, lavégétation atendance àtransformerpetit à petit enplantes lespauvres loca-taires.Zone 1, on ap-prend quel’ensemble de

la ville et de la vie des gens est régulépar un ordinateur de 1,83km2 contrôlépar un seul homme. La machine décidede tout. Parfois, elle plante «mais per-sonne ne s’en rend compte, dit un em-ployé à son remplaçant. Depuis long-temps, il n’y a plus que les jeunes révoltéset les vieux conservateurs qui votent en-core. Du coup, quand un projet absurdesort, ils s’accusent les uns et les autres del’avoir validé».Pour son numéro 5 – il en sort à peuprès un par an–, la revueDérive urbaineréinterprète Paris à travers le rêve, l’hu-mour et l’errance. Mené par Boris Hur-tel (Prisonnier des Amazones), le collec-tif de dessinateurs essaye de mettre enapplication les propos de Debord sur ladérive urbaine: «se laisser aller aux sol-licitations du terrain et des rencontresqui y correspon-dent».Face au foison-nement des pu-blications, plusou moins forma-tées et fades, ilexiste encorequelques revuesindépendantesqui, dans leurcoin, s’amusentavec bonheur. Alimentation générale,publiée par l’association Vide cocagne,mérite aussi le détour, rien que pour lesstrips absurdes de Fabcaro. L’objet aumauvais esprit revendiqué est beau etbien édité mais la trentaine de dessina-teurs participants arrivent à rester dansl’esprit fanzine cher à Terreur Graphi-que, l’auteur de l’excellent la Rupturetranquille (Même pas Mal éditions,2011), qui dirige la revue.

QUENTIN GIRARD

Surgardiepaglars’aà lacastoi

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LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014IV • L Actualités

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SatoshiKon caséUnmangaka tombedans unde ses dessinset rencontre ses héros

SATOSHI KONOpus t.1 et 2Imho, 200pp., 14€ chaque.

Quatre yeux, un masque,deux scalpels… ah non,zut, ce sont des plumes (àdessin), mais l’ambiancesent tellement le sangqu’on s’était laissé aller à

divaguer en voyant la page de garded’Opus. En plus, ça commence aumi-lieu de la série, avec le résumédes pré-cédents épisodes, mais on a beau re-tourner la couverturedans tous les sens,il y abien indiqué«numéroun»dessus.Normal,mise en abymeoblige, le hérosd’Opus estmangaka, auteurd’une sérieintitulée Résonance, il s’appelle NagaiChikara et ce sont ses planches qu’onest en trainde lire, pas la BDOpus (voussuivez?). On passe peu après aux es-quisses, puis au bureau de l’éditeur et,de là, chez Chikara, avec son assistant.C’est unehistoire qui se délite en avan-çant.Mais un jour, Chikara tombedansun de ses dessins et nous voilà en trainde lireRésonanceOpus,unpalimpsestetouffu où l’auteur fraye avec ses proprespersonnages. Le fait qu’il connaisse lescénario d’avance va-t-il le tirer d’af-faire (ça canardebeaucouppar ici)? Pasforcément, surtout si le script est bienficelé. Il y a des jours où l’on regretted’avoir été bon.L’autre problèmeest que le hé-

ros deRésonance,Rin,a décidé de ne pasmourir commel’avait prévu Chi-

kara: il garde jalousement la case repré-sentant son décès sous son coude, cequi lui permet de narguer son ennemi,leMasque. L’héroïne, Satoko, contraire-ment à son comparseRin, neprendquepeuàpeuconsciencequ’elle est unper-sonnage demanga. Elle en conçoit unedépression digne de la vie desmarion-nettes. Mais tout cela n’irait pas trèsloin si Satoshi Kon (1963-2010),mieuxconnucheznouspour sonanimePerfectBlue, n’avaitménagé issues et fissuresentre lemondede la fiction et lemondedu fictionneur, par où Satoko passepour rejoindre la«réalité».Amoinsquecelle-ci, bien sûr, ne soit à son tour lemanga de quelqu’un d’autre (SatochiKon, à tout hasard?).Si le premier volume est assez sage, lesecond entraîne le lecteur vers le genred’eaux troubles auxquelles les éditionsImhonous onthabitué.Meurtres sordi-des et cisaillements d’entrejambes ligo-tés, troubles identitaires violents, grâceà la présence d’un psychopathe, voiredeplusieurs, si la schizophrénie devientaiguë. Kon est remarquable dansl’agencement spatial de ses figures,toujours acculées dans la case, centri-pètes, filmées en tordu (plongée, con-tre-plongée), regardant vers le dehorscommedans tout bon expressionnisme(car le danger est dans la paged’à côté),souvent suivies par leur ombre qui lesdétoure comme les silhouettes de pa-pier qu’elles sont.Opus fut interrompuen 1996, avec la disparition dumaga-zine qui le publiait. L’édition comporteles dernières planches que Kon avaitinitialement prévues. Il s’y est repré-senté, apprenant la cessation de la pa-rution, et déclarant:«A la fin, les souve-nirs du héros se mélangeaient avec lesévénements deRésonance, et il rencon-trait son double âgé de 10 ans…»

ÉRIC LORET

Tristes tropiquesUn frèreet une sœurnaufragés,unprêtre concupiscent parle cruel SuehiroMaruo

SUEHIROMARUOL’Enfer en bouteilleCasterman, 208pp., 13,95€.

Une falaise, agressée par les va-gues.Une bouteille est lancée àlamer.Deux jeunes adolescentss’embrassent. Ils sautent, dis-paraissent, dans les flots, tour-

billon. «Ah… Père, Mère ! Pardonnez-nous.Pardonnez-nous. Pardonnez-nous», enjoi-gnent-ils. Au loin, on entend la sirène d’unbateau. Dans l’Enfer en bouteille, lemangakaSuehiroMaruo s’attaqueavecbrio àunenou-velle deKyûsakuYumeno, auteur japo-nais de la première moitié duXXe siècle. Une jeune fille,Ayako, et son grand frère se re-trouvent abandonnés sur une îletropicale. Ce sont les seuls rescapésd’unnaufrage. Ils sont petits,mais ilsarrivent à survivre, enRobinsonCru-soé des tempsmodernes. Ils grandis-sent, leurs corps changent, ils se trou-vent,mutuellement, de plus enplusattirants. Comment vont-ils sur-vivre à leur pulsion?Dans cet éden à huis clos, ils ontpeur, ils ont honte,mais ils res-sentent du désir, et le lecteur seretrouve aussi mal à l’aisequ’eux. Tout le talent deMaruoest là, par son dessin fin, portévers le rêve, le fantastique et ladécadence, il ne nous laissepas le choix de nos émo-tions. Dans cette nouvellemais aussi dans les troisautres qui composent lerecueil. Il s’adresse ànos tripes directe-ment, à ces émotionsduventre qui nous di-sent que dégoûtés nousdevrions être, mais, qu’hu-mains, excitésnous sommesunpeu.«Maruo est l’incandescence

totale de la colère sexuelle, de la volonté destruc-trice, de l’appel au secours permanent d’un en-fant torturé […] Il est dressé avec une telle vio-lence et une telle fierté sur les ruines de sonâme», écrivaitMoebius en 1991 dans la revueAsuivre.«Bien fait si je souffre. Bien fait si vousn’êtes pas contents, bien fait si tout s’écroule,bien fait si tout lemondemeurt», continuait-il.Dans la secondenouvelle, lemangaka rejouela tentation de saint Antoine. Il se moqued’un prêtre ressentant du désir dans uneécole. La peur de faillir, les rires des enfantsentraînent l’hommed’Eglise vers la folie. A

genoux, il prie Dieu, mais ce nesont que d’étranges chienss’accouplant et des éléphantsperchés sur de longueséchasses fines qui lui ré-pondent.Dans la troisième,unhommeest riche alors que le Japonest frappé par la crise. Il ap-

prend qu’il va mourir, ildécide de dévorer sonargent. La dernièrenouvellenarre lespé-ripéties d’une jeunefille obligée de seprostituer pour sonpetit frère attardé,aux traits défigu-rés. Elle n’apas lechoix, son pèrevoudrait vendreson fils à unefoire. Le trait deMaruo évoqueDali, Escher, lessurréalistes, Sadeet Bataille. Faitesattention, Maruo

est cauchemar etquestionnement, souffle etbasculement.Cethommeestdangereux.

QUENTIN GIRARD

CASTERMAN

CASTERMAN

IMHO

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LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 L • V

familial32
Tampon
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Clés desous-solHantisesà Lovecraft

JOEHILL etGABRIELRODRIGUEZLocke&Key, t. 5MiladyGraphics, 158pp., 19,90€.

Jusqu’ici, l’horreur avait un vi-sage rond, poupin: celui de Ro-bert Kirkman, le créateur deWalkingDead, rouleau compres-seur du comics. Le genre agoni-

sait sous des vagues de zombies (et devampires), jusqu’à ce que deux incon-nus ne viennent rafraîchir l’ambiance:Gabriel Rodriguez aux crayons et le ro-mancier JoeHill, nomdeplumederrièrelequel se cache JosephH.King, fils de.Locke&Key s’ouvre scolairement sur lemeurtre deRendell Locke, hachémenudevant sa famille par des jeunes du col-lège où il travaillait. Traumatisés, lesLocke fuient San Francisco pour se ré-fugier dans le manoir familial deKeyhouse, à Lovecraft (Massachusetts).Peu après leur arrivée, Bode, le plusjeune des fils Locke, trouve une clé quipermet d’accéder à une arrière-cour.En franchissant le seuil de la porte, soncorps s’effondre, et le gamin se retrouvesous une forme éthérée, libre de se ba-lader et d’épier sa famille… A force defouiller, il met la main sur des passe-partout auxpropriétésmiraculeuses. Leplus passionnant, la «clé de tête», per-met d’ouvrir le crâne de son porteur,qui accède à l’intégralité de ses souve-nirs et peut s’adonner aux joies du trisélectif. Ce pouvoir n’est pas sans atti-rer unemenace d’envergure, mal an-cestral lié à la bâtisse, et la famille setrouve embarquéedansuneguerredontles clés sont les armes et l’enjeu.Toute l’habileté de Joe Hill consiste àbrouiller les cartes, à ouvrir des pansderécit jusqu’au dernier acte, sans que latensionne retombe. Rodriguez, lui, in-suffleunepuissancebrute auxclés, dontchaque apparitiondonne lieu à une ex-plosion visuelle. L’osmose scénariste-dessinateur est telle qu’on se réjouit devoir enterré le projet de série télé. Le co-mics, lui, touche à sa fin: Milady pu-bliera le dernier volume le 18 avril.

MARIUS CHAPUIS

«Je voulais faire entendrela parole infirmière»LisaMandel retourneà l’hôpital psychiatrique

Que se passe-t-il entre lesmursd’unhôpital psychiatrique?Etcomment le raconter en des-sins? C’est le travail auquels’est attelée LisaMandel (NiniPatalo,Esthétiques et filatures),

avec sa sérieHP, entamée en 2009 et dontle deuxième tomevient de sortir. Elle viseune grande fresque de plusieurs volumesracontant la psychiatrie enFrance, des an-nées 60 à nos jours. Mais pas n’importecomment, puisqu’il s’agit de s’appuyeruni-quement sur des témoignages d’infirmiers.La dessinatrice relate de son trait espiègleles anecdotes parfois drôles, souvent cruel-les, qui oscillent entre humanité, humournoir et fatalisme. Il a fallu attendre quatreans pour pouvoir enfin lire le tome2,Crazyseventies,qui se concentre sur la périodede1974 à 1982. Lisa Mandel entame ce nou-veau tomeavec lamise enplacede la circu-lairede 1960, relative à la secto-risation, qui amarquéun tournant dansle traitement

desmaladies psychiatriques.Avez-vous senti en étudiant le sujet qu’il yavait un avant et un après?La circulaire de 1960avraiment ouvert unebrèche énorme enpsychiatrie. Là où avantc’était vraiment«garder les fous», dansunasile d’aliénés fermé, on passe à l’idée detraitements curatifs, on se préoccupe dubien-êtredespatients, et de la réhumanisa-

tion de l’hôpital psychiatrique qui avantressemblait vraiment à l’univers carcéral.Le premier et le deuxième tome sont lesdeux versants d’unemêmepériode. Dansle premier, on s’attache plus aux anciens

servicesmais on est déjà dans latransition. Le deuxième

s’attache plus aux nou-veaux, mais les mé-thodes n’ont paschangé du toutau tout en troisjours, il y a eude vrais cli-vages. Au

départ j’avais séparé les deux parce que jepensais que la rupture était plus claire. Lesdeux époques ont en fait cohabité.Pour le premier tome, vous vous étiez fon-dée sur le témoignage de parents et amis.Est-ce toujours le cas?L’idée des livres est partie de ma mère etmonbeau-père, tous les deux infirmiers, etd’amis à eux. Sept personnes en tout, qui

travaillaient dans lemêmehô-pital àMarseille. J’avais enviede faire entendre la parole in-firmière, et que ce soit celle del’entourage de mes parentspour avoir un regard que jevoulais le plus juste possible.

Comment s’est passé le recueil des témoi-gnages?Audépart je voulais les interviewer tous sé-parément,mais ça faisait des grandsblancsdans la conversation, parce que ce sont devieux souvenirs. Mais dès qu’on les mettous ensemble ça remonte, il y en a un quidit un truc et un autre réagit. Je les inter-viewe par quatre et je les filme. Ensuite jeretranscris tout sur papier. Pour ledeuxième tome, il a fallu trois ouquatre séances de trois heu-res. J’ai de la chanceparce qu’ils racontentbien. Je crois quec’estpropre au Sud. AMarseille, les gensaiment bien ra-conter des his-toires avec forcedétails.

«LaBDpermet de faire dudocu-fictionà peude frais.Maismoi je ne pourraispas faire du reportage sur un sujet quineme touchepas.»

BRAGELO

NNE

L’ASSOCIATIO

N

N’ont-ils pas peur d’être reconnus?Non, j’ai changé tous les noms et il n’y arien d’illégal dans le récit qu’ilsm’ont fait.Ça dénonce un systèmemais pas des per-sonnes. Tout ce que je raconte dansmes li-vres, ce sont des histoires qui se sont pas-sées plusieurs fois.Onnepeut pasme taxerde sensationnalisme. J’essaie vraiment derester dans du quotidien.Lespersonnages se retrouvent sousun traithumoristique, ce décalage est-il impor-tant?Quand les infirmiers me racontent leurshistoires, on sent l’humour noir derrière.Il y a un côté cynique. Parce que l’humour,c’est aussi leur protection. Ils vivent dans

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014VI • L

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Au sixième jour,Dieu passa l’aspiWinshluss s’attaqueauxEcrituresWINSHLUSS InGodWeTrustRequinsMarteaux, 104pp., 25€.

Audeuxièmechapitre,Dieu futfatigué. Winshluss l’a figurétriangulaire, gros œil pochéau-dessus d’une aspirine ef-fervescente. Déjà, au sixième

jour, c’était pas terrible, son aspirateurétait bouché, car Dieu nettoie après avoirbricolé. Et avec la saleté qui reste, il avaitfabriqué l’hommeà son image,«avec de lapoussière, ce qui est assez balèze».De fait,Adam, tas debalayureshébété, ne ressem-blepasdu tout àDieu:«C’est complètementfoiré», admet le Père.Quatre ans après son album Pinocchio(Fauved’OràAngoulême) et trois ans aprèsPoulet aux prunes, filmcoréalisé avecMar-jane Satrapi sous son vrai nomdeVincentParonnaud,Winshluss s’attaque à la Bible.Pour ce faire, un intercesseur (car le livre,beau, cartonné, est encoreune fois commeun recueil de contes défaits), saint Franky,«patron des amateurs de houblon et de ban-des dessinées»,nous raconte les principauxépisodes du Livre saint. Qu’on se rassurecependant,Dieu et ses saints ne carburentpas qu’à la bière. Il y a aussi de la tequila,des champis et de la puréedepois chiches.Winshluss se livre à unhilarant travail vol-tairien, relisant les Ecritures à la lumièredel’histoire et de la société contemporaine.Ainsi Gabriel est-il le bon copain ado quiva brancher les meufs de la part de Dieu,tandis que les Roismages offrent aux pa-rents dudivin enfant unkit antimasturba-tion et que Jean Baptiste devient prof

d’aquagymdans le Jourdain. Avec samé-thodedemuscuexpress:«Vouspourrez en-fin dire: “Ceci estmon corps”» et endécou-dre avec les légionnaires romains.Car le plaisir deWinshluss, c’est celui duremixuniversel, d’Astérix auxMarvels, desréseaux sociaux auporno, des zombies à latéléréalité:«Etmaintenant,Kévin, vous avez30 secondes pour vous enfoncer votre brasdans le cul jusqu’au coude! Topdépart!!»Sespersonnages sont délicieusement vils etlaids, abrutis, graisseux, tel Jésusqui, quoi-qu’ayant commencé InGodWeTrustblondet bienmusclé (grâce àBaptiste), finit l’al-bumenTaxiDriverpunkaprès des phasesplus douteuses, entre sandwich mayo etchemise hawaïenne.Maître du trait Disney-cracra,Winshlussjongle également avec les rythmesde récit,alternant fausses pubs (pour le «rebornchristian system»), pages documentaires(ne ratez pas les témoins de Jéhovah,«cesêtres étranges» qui sourient tout le temps)ou récits littéralement enflammés, commecelui duDies irae: Superman y sauveGo-thamCity d’un tsunami. II y amêmeunepage de pur catholicisme-fiction, où unpécheur vient se confesser à son curé :«Hier soir, j’ai commencé à chahuter avecLoïc le garçon de ferme […]. Bref, de fil enaiguille, il m’a enculé et je dois dire que çam’a bien fait plaisir.»Et le prêtre de répon-dre:«On s’en balance que tu aimes te fairedéfoncer le cul! Il y a des choses plus préoccu-pantes en cemonde, commece putain de sys-tème économique ultralibéral qui ne cesse decréer injustice et violence!»

ÉRIC LORET

unclimat deviolencequ’onn’imaginepas.Eux, se faire frapper, insulter, c’est quelquechose qu’ils expérimentent régulièrement.Ce sont des choses traumatisantes contrelesquelles on se blinde.Quelle a été la réception du premier tomedans lemilieu psychiatrique?Certains infirmiers ont trouvé que ça don-nait unemauvaise image de la psychiatrieet qu’il valaitmieux laver son linge sale enfamille. Laplupart des gensse sont bien retrouvés de-dans. Les psys, eux, disentque c’est«une certaine vi-sion de la psychiatrie».Onnoteunerecrudescencedu BD-reportage. Com-ment l’expliquez-vous?Il y en a toujours eu maisc’est vrai qu’il y en a plusencemoment. Parceque laBD s’y prête bien. C’estbeaucoup moins cherqu’une caméra et un mi-cro, moins intrusif, lesgens se livrent plus facile-mentdevant quelqu’unquia juste unpetit bloc-notes,et à la fois il y a quandmême de l’image, un vi-

suel. La BDpermet demettre une distanceavec le sujet, de faire dudocu-fiction à peude frais.Maismoi je nepourrais pas faire dureportage sur un sujet qui ne me touchepas. J’ai l’impression qu’il faut être unmi-nimum concerné.Cedeuxième tome arrive quatre ans aprèsle premier. Est-ce qu’il y a toujours unesuite prévue?J’aimerais rester sur l’idée de départ qui

était de publier un volumepar an. Après le premiertome, j’ai fait un petit blo-cage, je ne savais pas parquel bout le prendre, alorsqu’il fallait juste continuerpareil. Je vais bientôtm’at-teler au tome3, qui va par-ler plus précisément duservice denuit, oùmespa-rents ont travaillé vingtans. Ensuite il y aura untome 4 sur la situation ac-tuelle. J’ai aussi l’idée defaire un livre sur les pa-tients, mais je pense quec’est un autre projet en-core.

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LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 L • VII

Page 22: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

Comment ça s’écritBlutch, du cyanurepour la soif

Par MATHIEU LINDON

La première image de Lunel’envers, le nouvel album deBlutch,montre une jeune fillequi peint, et la fenêtre der-rière elle laisse entrevoir un

joli paysage. L’ambiance n’est pas en-core durablement établie. Dans ladeuxièmecase, samère apparaît à la jo-lie peintre pour lui dire des mots qui

sonnent commeceuxd’uncontede féesou d’un roman banal:«Ma fille, le mo-ment est venue de temettre au courant decertaines choses…» A savoir, en gros,qu’être une femme libre, ce n’est pas sifacile.«Alors voilà, je crois qu’il est tempspour moi de te remettre aujourd’hui ceque ta grand-mère, en sontemps,m’avait trans-mis…»A savoir, con-trairementà ce qu’at-tendent la

jeune fille et le lecteur,«une capsule decyanure». C’est une protection del’avoir toujours sous la main. La troi-sième planche est aussi une histoire deruptures de tons. Dans les six premiersdessins qui font les deux tiers de lapage, une fille s’agite silencieusement,forte du don maternel au fond de sonsac. Dans le dernier, pas moins de

vingt-sept phylactères, unefoule sur une esplanade, toutlemonde oupresque parlantà sonportable:«Je reste là, jebouge pas»,«C’est la catas-trophe, comme d’habitude»,«Quoi ?», «On avait ditune demi-heure trois quarts

d’heure»,«Allô»,«Nous, on fait ça avecdumiel. Du lait chaud avec dumiel»,«Tum’l’as pas dit ça»,«T’es pasmon père,d’abord», «T’as quelle version?», «Là,j’ai pas de réseau», «Y sont où lesautres?». Pas un mot dans la planchesuivante, simple histoire de dents et defesses avec la fille dans le rôle des fesses

et l’hommeet le chiendans celui desdents.

L’album est aussi fait de rup-tures de temps. L’intrigue estplus ou moins la suivante :dans un futur indéterminé,la bandedessinée a pris uneimportance économique etsociale si considérable quela série duNouveauNouveauTestament est plus oumoinsune causenationale. Ledes-sinateur qui vient de réaliserpendant des années des flo-

pées d’albums, boulotqu’il avait héritéd’un dessinateurlui-même épuisé,après avoir réalisépendant des an-nées des flopéesd’albums, est enpasse d’être des-saisi à son tour.On passe facilementd’une période àl’autre.«Labande des-sinée véritable, ça sefait à la main ! A l’an-cienne…» dit le dessi-nateur qui n’en a pluspour longtemps, les fi-nanciers voyous

«Allô»,«Nous, on fait ça avecdumiel. Du lait chaud avec dumiel», «Tum’l’as pas dit ça»,«T’es pasmonpère, d’abord»,«T’as quelle version?» ayant pris le contrôle du secteur. La

jeune peintre, pendant ce temps (maislequel?),met lesmains dans des troussans une seconde de répit faute de quoielle perd son job.«Il s’agit d’une bandedessinée d’anticipation, ou alors de SF,mais commeon dirait “science fantasma-tique”», écrit Blutch enprésentationdequelques planchesparuesdans leMondediplomatique.«Ce que je sais, c’est qu’ils[ses personnages avec lesquels il a passédeux ans et demi et sur lesquels sonopinion demeure “confuse”, ndlr] vi-vent etmeurent dans unmonde où l’on nesait pas pourquoi on travaille, nimême cequ’il advient du produit de ce travail. Cemonde est celui des animaux humains.»LedessincinématographiquedeBlutch,néChristianHinckeren1967, sedéploie

dans Lune l’envers sous les formes lesplus diverses, l’anticipation et l’hor-reur, la ville et la forêt, l’art et la came-lote, le travail sous ses avatars les plusextravagants.Le vieillissement est une chose trèsétrange.Un jeunehommes’étonnequela jeune fille qu’il a rencontréedeviennesi rapidement«comme un corps étran-ger»,«un pays dont je ne comprends pasla langue».Mais le plus étrange est quele vieillissement, parfois, est une chosesi rapide, une seule planche et le voicitout entier venu pour la jeune fille quirésistait si bien.•

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LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014VIII • L Chroniques

Page 23: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

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LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 ANNONCES • 17

Page 24: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

Entredépôtsetaffaires,l’UEveutunefrontière

Séparationdes activités, findes transactionspour comptepropre:laCommissioneuropéenneveutéviter les dérivesdesbanques.

ParJEANQUATREMERCorrespondant àBruxelles

Michel Barnier veut terminer sonmandat sur un coup d’éclat : lecommissaire chargé dumarchéunique a proposé, hier, d’inter-

dire aux plus grosses banques européennesles«transactions pour compte propre», jugéespurement spéculatives. Et d’imposer une fi-lialisation des activités de marché les plusrisquées (titrisation, produits dérivés com-plexes, etc.), afin d’empêcher toute conta-gion à la partie non risquée de la banque(celle qui gère les dépôts). Une sorte de«Glass-Steagall Act», ce texte américain quia imposé en 1933 la séparation entre banquesd’investissement et de dépôts.«Un projet qui parle clairement aux opinionspubliques, puisqu’il distingue entre la gentillebanque, celle qui gère les dépôts, et laméchantebanque, celle qui se livre à des activités demar-ché risquées, ironiseNicolasVéron, spécialistedes questions bancaires au think tankBruegel.Mais aussi populaire que soit ce texte,on peut se demander s’il est nécessaire, puis-qu’il n’est pas aisé de distinguer entre les acti-vités bancaires. Les Américains, par exemple,ne sont toujours pas parvenus àmettre enœuvrela loi Volcker de 2009, qui interdit les transac-tions pour compte propre purement spéculativesdont s’inspire la législation européenne. L’unionbancaire et le contrôle par le régulateur euro-péen sont bien plus importants pour empêcherla répétition de la crise de 2007-2008.»

BÊTISES.Michel Barnier estime, lui, que l’ar-senal d’une trentainede lois européennes ré-gulant le secteur financier qu’il a fait adopterdepuis cinq ans n’est pas suffisant pour em-pêcher lesplus grossesbanques européennes,une trentaine d’établissements, de faire desbêtises:«Elles sont si grandes que leurs bilanssont plus importants que le PIB des plus grandspays de l’UE, si complexes que nous ne savonstoujours pas exactement tout ce qu’elles font, etsi interconnectées que leur faillite serait impossi-ble à gérer et aurait des conséquences systémi-ques.» Il faut donc les empêcherde continuer«à exercer des activités demarché risquées quileur sont très profitables»,mais«qui n’ont sou-vent aucunavantage pour leurs clients ou dépo-sants». Il proposedoncd’interdire«les activi-tés les plus risquées, isoler les risques, simplifierles structures des banques et les ramener à unetaille où elles nemettent pas en danger la stabi-lité de l’ensemble du système financier», cequ’ont fait selondesmodalités très variablesles Etats-Unis en 2009 avec la loi Volcker, laGrande-Bretagne en 2012 avec sa loi Vickers,l’Allemagne et la France en 2013, ou encorela Belgique (discussion en cours).

Le problèmeest que cedossier des structuresdes banques est truffé de fausses évidences:interdire à certaines banques de se livrer àdes activités de marché pour leur proprecompte (15% des opérations avant 2009,autourde 5%depuis) ou les obliger à filialiserles activités les plus risquées ne réglera pasles crises bancaires.«On oublie unpeu vite que les plus graves crisesbancaires aux Etats-Unis ont eu lieusous le Glass-Steagall Act et que le Crédit lyon-nais était une banque nationalisée. On ne tapepas au bon endroit», explique un banquierfrançais. De fait, 80%des faillites bancaireseuropéennes ont concerné les banques dedépôt du coin de la rue, qui ont entretenu

une bulle immobilière démente (NothernRockauRoyaume-Uni, les banques irlandai-ses ou les caisses d’épargne espagnoles). Siles banquiers admettent du bout des lèvresqu’il faut«contrôler les activités demarché quipeuvent être très dangereuses», ce que l’UE afait depuis cinq ans, ils estiment que les lois

française et allemande qui obligentles banques à cantonner dans desstructures indépendantes les opéra-

tions les plus risquées sont suffisantes. Et ju-gent que la logique de la Commission, quiconsidère que «les activités de marché pourcompte propre sont en soi dangereuses et qu’ilfaut donc les enlever de la banque», est beau-coup trop extrémiste.

ANALYSE

Mais le pire, pour les banquiers du continent,a été de découvrir que la Commission pro-pose d’exclure de sa réglementation les éta-blissements britanniques sous prétexte quela loi Vickers serait plus protectrice…«C’estdu grand n’importe quoi: Vickers a sauvegardéla banque universelle, sauf pour les dépôts bri-tanniques», s’emporte un banquier français.Autrement dit, si Volcker a ségrégué les acti-vités spéculatrices,Vickers a ségrégué les ac-tivités de dépôts britanniques… Bref, alorsque la britanniqueHSBCest la quatrièmeca-pitalisation mondiale, loin devant la BNP(10e), la Société générale ouDeutsche Bank(27e), elle échappera aux règles européen-nes…Oncomprendmieux que des deux cô-

KillofferNé en 1966. Dernier albumparu:Viva Patamach! (Cornélius).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201418 •

ECONOMIE

Page 25: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

Loin d’être révolutionnaire, le projetde l’ancienministreUMP inquiètepourtant le gouvernement français.

MichelBarnier,gauchiste à l’assautdesbanques?

Il y adeuxmanières d’examinerle projet de règlement sur lesbanques, présenté hier parMi-

chel Barnier. Soit en étudiant at-tentivement le texte, soit en écou-tant les réactions des banquiers etdes socialistes français. Et chaqueméthode aboutit à des conclusionstotalement opposées. Si on s’inté-resse au fond, on se dit que lecommissaire européen auMarchéintérieur et aux Services finan-ciers est très prudent, et sa ré-forme peu ambitieuse.Mais si on n’entend que les réac-tions, une autre évidence s’im-pose: l’ancien ministre UMP estdevenuundange-reux gauchisteprêt à détruire lesystème financier.Ainsi, selonChristian Noyer,gouverneur de laBanquedeFrance,«les idées qui ont été mises sur latable par le commissaire Barniersont des idées irresponsables et con-traires aux intérêts de l’économieeuropéenne». La Fédération ban-caire française estime, elle, que«le projet remet en cause la possibi-lité pour les grandes banques euro-péennes continentales d’accompa-gner de façon efficace les entreprisessur les marchés». Karine Berger,députée PS, dénonce«une propo-sition dure et contraignante de laCommission».Quant àPierreMos-covici,ministre de l’Economie, ilavait par anticipation critiquéBarnier, en demandant lundi quece dernier respecte la législationfrançaise,«adaptée à notre systèmefinancier».Savantmélange. Pourtant, riendans le texten’est révolutionnaire.Les propositionsdeMichel Barniers’inscrivent dans un débat récu-rent depuis la faillite de LehmanBrothers, en 2008. Commentmieux réguler les banques pouréviter qu’une telle crise financièrese reproduise, et comment revenirà une formedeGlass-Steagall Act–la loi américaine de 1933 qui sé-parait les banques d’investisse-ment des banques de dépôt– afinque les activités nécessaires au fi-nancement de l’économie soientdifférenciéesde celles dangereusespour la stabilité financière.Pour la Commission, la réponsetient en deux grandes pistes.D’abord, il faut interdire aux ban-ques de spéculer avec leur argent,c’est-à-dire bannir le tradingpour compte propre. Ensuite, il

faut laisser aux autorités nationa-les la possibilité de séparer les ac-tivités risquées de celles considé-rées comme sûres. Il s’agit d’unsavantmélange de réformes déjàdiscutées ailleurs. Le premierpoint est une reprise de la réformeVolcker (dunomde l’ex-directeurde la FED), adoptée en 2010 auxEtats-Unis. Le second est uneversion édulcorée des proposi-tions faites en 2011 par l’écono-miste Jon Vickers au Royaume-Uni, qui veut cantonner les activi-tés de banque de détail dans desstructures à part.Mais rien ne ditqu’avec Barnier, on arrive à une

telle extrémité.«Le texte est d’unecomplexité hallucinante, estimeThierry Philipponnat, de FinanceWatch.Nous partageons ses inten-tions mais, si on rentre dans le dé-tail, il prévoit une multitude d’ex-ceptions. Et, après une lectureattentive, je suis incapable de vousdire si, à la fin, les banques serontvraiment séparées.»«Pasmiraculeuse». Reste que laCommission va plus loin que la loide régulation bancaire, adoptéel’année dernière par la France. Cequi est particulièrement gênantpour le gouvernement. Le texteneprévoyait l’interdiction que decertaines activités spéculatives(une partie du trading haute fré-quence, par exemple) et si elle en-visageait la création de filiales sé-parées, c’était pourn’ymettre que1%du chiffre d’affaires des ban-ques. La filiale version Barnier,elle, pourrait être –sur le papier–beaucoupplus grosse.Même si, enpratique, on voitmal l’autorité decontrôledesbanques, présidéeparlemêmeChristianNoyer qui criti-que la réforme, se montrer trèsméchant avec les banquiers.«La proposition de la Commissioneuropéenne n’est pasmiraculeuse,commente Olivier Berruyer, ac-tuaire et blogueur financier.Elle nes’attaque pas à la spéculation pourle compte des clients, qui est beau-coup plus dangereuse que le tradingpour compte propre.Mais, alors quele gouvernement socialiste est tenupar le lobby bancaire, le texte deBarnier va dans le bon sens.»

NICOLAS CORI

«Après une lecture attentive,je suis incapable de vous dire si,à la fin, les banques seront vraimentséparées.»ThierryPhilipponnatdeFinanceWatch

REPÈRES

LA LOI FRANÇAISE

Adoptée en juillet, la loide régulation et de sépa-ration bancaire prévoitla création d’une filialespécifique où seraientlogées toutes les activitésqui ne seraient pas «uti-les» à l’économie.Cela représenterait àpeine 1% du bilan desbanques.

«Cen’est pas l’excès de règles qui afragilisé la compétitivité de l’économie,c’est la spéculation et l’opacité.»MichelBarnier sedéfendanthier

tés duRhin, les banques aient reçu le soutiende leur gouvernement respectif.

STRESS TESTS. De toute façon, ce projet,«c’est la flèche duParthe deBarnier: cette com-mission ne pourra rien faire avant les européen-nes demai», rappelle Nicolas Véron. En réa-lité, le commissaire est en campagne pours’emparerde laprésidencede laCommission:en présentant un texte qui est censé plaire àla gaucheduParlement européen (si Berlin etParis hurlent, c’est que sa propositionva trèsloin…) tout en évitant de se fâcher avec lesBritanniques, ilmarquedespointspourcons-tituer une futuremajorité qui le soutiendra.Autantdire que la vraie révolution est ailleurset elle est d’ailleurs en cours: la Banque cen-trale européenne (BCE), nouveau supervi-seur, a déjà lancé les stress tests destinés àfaire toute la lumière sur le bilandesbanques.Ainsi, la Société générale, tout comme lesautres grandesbanques françaises, seprépareà recevoir 90 limiersde laBCE,qui vont éplu-cher leurs comptes. Et, à terme, toutes lesbanques seront reliées à Francfort par des li-gnes àhautdébit afinque laBCEpuisse à cha-que instant savoir ce qu’elles font. Cette der-nièren’apas l’intentionde répéter les erreursdes régulateursnationaux, largement respon-sables de la crise de 2007.•

LA LOI «VICKERS»

La législation britanni-que, inspirée par l’écono-miste John Vickers,prévoit un cantonne-ment des activités debanque de détail dansune structure spécifique,afin de protéger lesépargnants. Elle doitentrer en applicationen 2019.

«Je séparerai les activités des banques quisont utiles à l’investissement et à l’emploi,de leurs opérations spéculatives.»LecandidatHollandeauBourget, 22 janvier 2012

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 ECONOMIE • 19

Page 26: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

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en vertu de l’arrêté du 20 décembre 2013

Promotion d’une tech-nique expérimentale«propre» d’extraction

des hydrocarbures de schi-ste, sauvetage du numéro 1français de l’alimentationpour chiens et chats dont ilne faut pas perdre les«capa-cités de production» ou en-core médiation auprès desgrévistes dans le délicat dos-sier Mory Ducros: l’hyper-actif ministre du Redres-sement productif, ArnaudMontebourg, était encoreune fois hier à lamanœuvresur tous les fronts. Un peuplus inattendu, l’hommeà lamarinièrenenéglige pasnonplus la fictionpourydéclinersa défense patriotique du«made inFrance», fut-cedemanière très décalée. Unnouveau front versiondessinanimé et 100% français.Après Daniel Cohn-Bendit,José Bové ou encore MartinHirsch, ArnaudMontebourga accepté de prêter sa voixpour deux épisodes de lasaison 3 du dessin animé Si-lex and the City, qui sera dif-fusée à partir de septembresur Arte. Mais des extraitsaudio circulent déjà sur laToile. Un joli coup de compour«Battling»Montebourget une belle poilade dontl’idée revient au dessinateurJul, auteurde la BDéponymequ’il a lui-même adaptée à

l’écran. Plus grosse audiencedes séries d’animation enFrance, Silex and the City suitles péripéties de la familleDotcomen transposant tou-tes nos tares et obsessionscontemporaines 40000 ansen arrière, à l’époque de lapréhistoire. Montebourg yest caricaturé sous les traitsd’unprimatevêtud’unema-rinière en lainede rhinocéroset qui ne sort jamais sans sapierre taillée «Moulsilex».

Au nom du «made in feu»,ce partisan du «patriotismenéolithique» se bat contrela délocalisationd’unvolcanchez l’homme de Pékin.«Nous ne pouvons pas accep-ter la fermeture d’EDF [pourEnergie du feu, ndlr], dé-clame avec emphase le véri-tableArnaudMontebourg enversion préhistorique.Ce nesont pas les fonds de pensionamphibiens qui vont nousdicter notre politique économi-que.»D’où son idée d’appe-ler à la rescousse les «chas-seurs-cueilleurs qataris»,malgré les doutes de ses con-génères pour lemoins dubi-

tatifs : «Quand tu vois cequ’ils ont fait du primate deSaint-Germain…»«Montebourg connaissait laBDet a été rassuréd’apprendrequ’il n’était pas le premier àprêter sa voix», explique Jul àLibération, pas peu fier de saproduction, «très raccordavec la ligneduministre».«Lasérie est réalisée à 100%dansle IXe arrondissement parisienet fait vivre 80 personnes.C’est peu fréquent dans le des-

sin animé, dont laproduction est trèsdélocalisée, parfoisjusqu’en Corée duNord»,poursuit ledessinateur.Prévuà l’originedans lesstudios, l’enregis-

trement a eu lieu dans le bu-reau du ministre, en fin desemainedernière, entredeuxrendez-vous. «Il n’a rienchangé au script et il s’estvraiment pris au jeu,même s’ilétait d’abord pris de fous riresendécouvrant les répliques, té-moigne Jul.A la fin, il faisaitdes grands mouvements avecles bras, comme s’il était entrain de faire une plaidoirie. Ils’y croyait vraiment.Notre sé-rie se fout de la gueule de lacom et de la langue de bois eten s’autocaricaturantMonte-bourg en rajoute encore»,conclut Jul, ravi de son coup.

CHRISTOPHE ALIX

Montebourgs’animepoursortir laFrancedelagrotteAUTODÉRISIONLeministre àmarinière a prêtésa voix à la série «Silex& theCity».

ParLÉALEJEUNE

2013, annéenoirepourl’automobile française

La production automo-bile française a atteintun seuil historique-

ment bas en 2013. L’ensem-ble de la production desfrançais PSA et Renault,de l’allemandDaimler et dujaponais Toyota (qui dispo-sent eux aussi d’usines dansl’Hexagone) n’atteint que1,74million de véhicules lé-gers, d’après le Comité desconstructeurs français.

Pourquoi la situationest-elle alarmante?L’annéedernière, seulement1,45million de voitures sontsorties des usines françaisesdeRenault et PSA, soit 12,2%demoins qu’en 2012,malgréun rebond au 4e trimestre.C’est plus dedeux foismoinsqu’il y aneuf ans. Laproduc-tion de PSA a fortementchuté après la fermeture del’usine d’Aulnay-sous-Bois(en Seine-Saint-Denis) encharge de la C3.

Y a-t-il un espoirde relance du«made in France»?A priori, non. La directionde PSA pourrait annonceraujourd’hui le démontagedel’unedesdeuxéquipesde fa-brication de la 208 à Poissy(Yvelines) et a commandéune étude pour passer pro-chainement en monolignesur le site deMulhouse.Ces choix stratégiques sontliés à la diminution des ven-tes sur lemarché européen.En 2013, les immatricula-tions de voitures neuvesy ont reculé de 1,7%, à11,8 millions d’unités. Lesconstructeurs français mi-sent donc sur le développe-ment de leur production àl’international, notammentsur le marché chinois enpleine croissance. Endehorsdu territoire français, la pro-duction des deux construc-teurs a d’ailleurs progresséde 6,7% en 2013.•

DÉCRYPTAGE

A cause de sa récente chute à ski, c’est assise que la chan-celière allemande a déroulé hier, devant le Bundestag, lediscours-programme de son nouveau gouvernement.Transfigurée par son alliance avec les sociaux-démocratesdu SPD, AngelaMerkel a arboré une fibre sociale qu’on nelui connaissait pas. C’est par «humanité» que l’âge de laretraite sera ainsi abaissé de 67 à 63 ans pour les actifsayant cotisé quarante-cinq ans. Autre mesure phare, lacréation d’un Smic parce qu’«aucune personne ayant uncœur ne peut rejeter l’idée d’un salaire minimum», dit-elle.

MERKEL: UN DISCOURS DE POLITIQUEGÉNÉRALE LA LARME À L’ŒIL

LES GENS

77%C’est la chute des inves-tissements directs étran-gers en France l’an dernier.Ils sont tombés à 5,7 mil-liards de dollars (4,2 mil-liards d’euros) en 2013,tandis qu’ils atteignaient32,3 milliards en Allemagne(+392%), selon les chiffrespubliés hier par la Confé-rence des Nations uniespour le commerce etle développement.

Licenciés via YouTube…AlbertoWeretilneck, gou-verneur de la province deRio Negro, en Argentine, acausé un grand émoi enannonçant sur le site devidéos le renvoi de 170 des340 hauts fonctionnairesprovinciaux. Plutôt que des’adresser directement auxsalariés, il a posté mardi soirun enregistrement, expli-quant que desmesuresd’austérité étaient nécessai-res pour faire face à l’éro-sion des comptes publics.«J’ai décidé de réduire de50% le nombre de fonction-naires provinciaux […]. Etceux qui continueront dansleurs fonctions verront leursalaire diminué de 15%», adéclaré dans sonmessagele gouverneur.

UNE BANDE-ANNONCE DELICENCIEMENTEN PATAGONIE

L’HISTOIRE

«Tu as raisonArnaud, les gensavaient peur avecde l’eau,mais avecle propane, ça vaêtre nickel…»Leministrede l’Ecologie,PhilippeMartin, àArnaudMontebourgdans l’avionprésidentiel, lorsqu’ildécouvre leprojetduministreduRedressementproductif qui vise àextrairele gazde schiste avecdu fluoropropane

JulNé en 1974. Dernier albumparu:Platon la gaffe (Dargaud).

«Montebourgn’a rienchangé au script et il s’estvraiment pris au jeu. […]Il s’y croyait vraiment.»Julàproposde l’enregistrement

MicolNé en 1969. Dernier albumparu:Providence (Cornélius).

-0,68 % / 4 156,98 PTS

4 445 349 257€ +68,33%

ALCATEL-LUCENT

SOLVAY

LAFARGE

Les 3 plus fortes

ALSTOM

AIRBUS GROUP

GEMALTO

Les 3 plus basses

-0,54 %15 842,09

-0,22 %4 088,94

-0,43 %6 544,28

+2,70 %15 383,91

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201420 • ECONOMIEXPRESSO

Page 27: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

LIBÉRATIONwww.liberation.fr11, rue Béranger 75154 Pariscedex 03 Tél. : 01 42 76 17 89 Edité par la SARLLibération SARL au capital de 8726182 €.11, rue Béranger, 75003 ParisRCS Paris : 382.028.199Durée : 50 ans à compter du 3 juin 1991. CogérantsNicolas DemorandPhilippe Nicolas Associée unique SA Investissements Presseau capital de 18 098 355 €.

Directoire Nicolas DemorandPhilippe Nicolas Directeur de la publication Nicolas Demorand Directeur de la rédactionFabrice Rousselot

Directeurs adjoints de la rédactionStéphanie AubertSylvain BourmeauEric DecoutyFrançois SergentAlexandra SchwartzbrodDirectrice adjointede la rédaction,chargée des N° spéciauxBéatrice VallaeysRédacteurs en chefChristophe Boulard (tech) Olivier Costemalle(éditions électroniques)Gérard LefortF. Marie Santucci (Next)Directeurs artistiques Alain BlaiseMartin Le ChevallierRédacteurs en chefadjoints Bayon (culture)Michel Becquembois(édition)Jacky Durand (société)Matthieu Ecoiffier(politique)Jean-Christophe Féraud (éco-futur)Elisabeth Franck-Dumas(culture)

Florent Latrive (éditionsélectroniques)Luc Peillon (économie)Mina Rouabah (photo)Marc Semo (monde)Richard Poirot(éditions électroniques)Sibylle Vincendon etFabrice Drouzy (spéciaux)Fabrice Tassel (société)Gérard Thomas (monde)Directeur administratif et financierChloé NicolasDirectrice de lacommunication Elisabeth LabordeDirecteur commercial Philippe [email protected] dudéveloppement Pierre HivernatABONNEMENTSMarie-Pierre Lamotte03 44 62 52 [email protected] abonnement 1 anFrance métropolitaine : 371€.

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Directeur général deLibération MédiasJean-Michel LopesTél. : 01 44 78 30 18 Libération Medias. 11, rueBéranger, 75003 Paris. Tél. : 01 44 78 30 68Amaury médias25, avenue Michelet93405 Saint-Ouen CedexTél.01 40 10 53 [email protected] annonces.Carnet. IMPRESSIONCila (Héric), Cimp(Escalquens), Midi-print(Gallargues), Nancy Print(Nancy), POP (La Courneuve)Imprimé en France Tirage du 29/01/14:113 634 exemplaires. Membre de OJD-Diffusion

Contrôle. CPPP: 1115C80064. ISSN 0335-1793.Nous informons noslecteurs que la

responsabilité du jour nal ne saurait être engagée encas de non-restitution dedocuments « Pour joindre un journaliste,envoyez-lui un email initialedu pré[email protected]

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◗ SUDOKU �� MOYEN

MOT CARRÉ ��SUDOKU ��

◗ Homme d’affaires peu scrupu-leux.

◗ MOT CARRÉ ��

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M A N O U C H E S

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Nice Nice

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Orléans

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MontpellierMarseille

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Ajaccio

NuageuxSoleil Couvert FaibleModéréFort

CalmePeu agitée

AgitéeAverses Pluie

Éclaircies

Orage

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LE MATIN On retrouve un temps géné-ralement gris et frais mais sec au nord dupays. Encore instable dans le sud etfortement pluvieux dans le sud-est.

L’APRÈS-MIDI Temps assez calme sur laplupart des régions, malgré encore un risqued'averse ici ou là. En Méditerranée enrevanche les pluies persistent. Le tempsreste généralement gris et assez frais.

-10°/0° 1°/5° 6°/10° 11°/15° 16°/20° 21°/25° 26°/30° 31°/35° 36°/40°

FRANCE MIN/MAX

LilleCaenBrestNantesParisNiceStrasbourg

FRANCE MIN/MAX

DijonLyonBordeauxAjaccioToulouseMontpellierMarseille

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0,3 m/12º

JEUDI ��

La perturbation avance sur le pays etconcerne en milieu de journée lesrégions du sud-ouest au nord.

VENDREDI ��

La perturbation de la veille ondule sur lesrégions centrales avec un risque de neigejusqu'en plaine. Plus sec dans l'ouest.

SAMEDI �er

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LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 JEUX-METEO • 21

Page 28: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

L'ŒIL DEWILLEM

Annoncée au débutde l’été par leministrede l’Intérieur et prépa-réepardeuxparlemen-taires en concertationavec les institutions etassociations concer-

nées, une réforme de l’asile sera pro-chainement présentée par le gouverne-ment. Elle est nécessaire, tantle dispositif actuel souffre de carencespréjudiciables aux requérants, et elle estbienvenue si elle tient compte de l’ex-

périence del’ensemble desacteurs.Sans préjugerde propositionsencore en dis-cussion, il estessentiel, dans

uncontexteoù l’asile fait souvent l’objetde discours aussi péremptoires quemalinformés, d’en rappeler les enjeux etd’en réfuter quelques idées reçues.L’asile est l’une des institutions les plusanciennes puisqu’on en fait remonterl’origine à l’asulon grec et à l’asylumromain, mais il n’a commencéqu’auXXe siècle à faire l’objet d’une ré-gulation internationale, culminant avecla signature de la conventiondeGenèvesur les réfugiés en 1951. Encore ne con-

cernait-il alors que les Européens, puis-que c’est le protocole deNewYork qui,en 1967, a étendu l’application à l’en-semble de la planète. Il s’agit d’assurerà toute personne«craignant avec raisond’être persécutée du fait de sa race, de sareligion, de sa nationalité, de son apparte-nance à un certain groupe social ou de sesopinions politiques»uneprotectiondansle pays où elle cherche refuge. L’asilen’est doncpas une faveurmais undroitqui implique en retour des obligationspour celles et ceux à qui on l’accorde.Aumilieudes années 70, enFrance, surdixdemandeurs,neuf l’obtenaient aprèsexamen de leur dossier par l’Officefrançais de protection des réfugiés etapatrides (Ofpra). Trois décennies plustard, c’était le cas pourmoins deun surdix. Entre-temps, l’immigration étaitdevenue une question centrale dansle débat public, faisant l’objet de poli-tiques toujours plus restrictives, et lethèmedes«faux réfugiés» s’était bana-lisé, jetant un discrédit durable sur lesdemandeurs d’asile, suspectés de vou-loir profiterd’un statut avantageuxalorsqu’ils seraient en fait desmigrants éco-nomiques. Ce qu’on appelle la crise del’asile est donc, pour les uns, le dévoie-ment d’un droit à la protection, dontabuserait lamajorité des requérants, etpour les autres, le recul de ce droit, qui

serait désormais subordonnéaucontrôlede l’immigration. Qu’en est-il?Première idée reçue: la baisse de la pro-portion des demandeurs auxquels onoctroie l’asile est la conséquence del’augmentation du nombre de requé-rants, à cause de l’afflux de faux réfu-giés. Il est certes avéré qu’à partir de lafin des années 70, tandis que les portesde l’immigration se ferment, la quantitéde dossiers déposés s’accroît. Jus-qu’alors, la plupart des personnes sus-ceptibles de demander une protectionse contentaient d’un contrat de travailqui leur valait titre de séjour en leurépargnant leparcoursbureaucratiquedel’asile. Laprogressiondunombredede-mandeurs n’est toutefois pas corrélée àla chute de la proportion d’obtentionsde l’asile à l’Ofpra. Durant la décen-nie 1980, on a 29400 requérants par anpour un tauxmoyende reconnaissancede 55%. Pendant les années 90, alorsque le chiffre des demandes est presqueinchangé, soit 29 700, la proportion destatuts obtenus est déjà tombée à 21%.La décennie suivante connaît une aug-mentation modérée avec 39300 dos-siers, pour une chute du taux moyenplus marquée, à 12%. En réalité, plusqu’une évolution quantitative, c’est unchangementqualitatif qui est intervenu,dans le regardporté sur les demandeursd’asile. Dans les années 70, les réfugiésfuyant les dictatures d’Amérique latinesemblaient dignes d’admiration, tandisque les boat people, victimes du com-munisme en Asie du Sud-Est, susci-taient la compassion.Bienqu’aujourd’hui la répressioncontreles militants des droits de l’hommetchétchènes, sous la dictaturedeKady-rov,ne soit pasmoindrequecelle contreles opposants chiliens, hier persécutésparPinochet, et que le sortdeshabitantsde l’est de la république démocratiqueduCongo où la guerre a fait entre un ettrois millions de morts ne soit guèremeilleur que celui desVietnamiens troisdécennies plus tôt, Tchétchènes etCon-golais sont, pour près de neuf sur dixd’entre eux, déboutés par l’Ofpra.La crise libyenne a révélé au grand jourles contradictions de la politique del’asile, puisque le gouvernement fran-çais menait une campagne militairecontre le régime deKadhafi au nomdela protectiondes populationsmenacéesde massacres, mais refusait aux quel-ques centaines de personnes fuyantces combats la possibilité de déposerun dossier pour obtenir un statut deréfugié. C’est moins la situation desdemandeurs d’asile qui a changé aucours des dernières décennies quela manière dont on les considère.Deuxième idée reçue : la preuve quelamajorité des requérants sont des fauxréfugiés, c’est que l’Ofpra en débouteneuf sur dix et que la Cour nationale dudroit d’asile (CNDA), qui réexamineles dossiers en appel, en rejette quatresur cinq. Ce raisonnement suppose queles officiers de l’Ofpra et lesmagistratsde la CNDA ne se trompent pas dans

leur évaluation des demandes, accor-dent l’asile aux vrais réfugiés et le refu-sent aux faux. Or, quels que soient lesdétails apportés dans les récits des re-quérants, les documents fournis à l’ap-pui de leurs demandes, voire les certifi-cats médicaux et psychologiquesattestant les séquelles de leurs persécu-tions, nul ne peut avoir une certitudeabsolue sur la véracité des faits allégués.Comme ledisent les agents eux-mêmes,c’est au bout du compte leur intimeconviction qui les guide. Non seule-ment, elle a beaucoup évolué dansle temps, conduisantdésormais à rejeterla plupart des demandes quandpresquetoutes étaient naguère évaluées favora-blement,mais fait plus troublant, d’im-portantes variations existent dans lesdécisions en fonction de celui ou cellequi les prend. Dans une enquête, quenous avons réalisée à la CNDA surun échantillon de formations de juge-ment, les taux de reconnaissanceallaient de 8% à 36%, et les écartsseraient encore plus grands si on consi-dérait la totalité des magistrats. A cetégard, une étude conduite aux Etats-Unis sur 300000 dossiers donne desrésultats édifiants, avecdes proportionsde rejets allant de 9,8% à 96,7%en fonction du juge.Ces différences sont-elles liées à l’ori-gine des demandeurs? Il n’en est rien,et pour unenationalité donnée, les dis-parités sont tout aussimanifestes: signede cet arbitraire, les refus vont de 7%à95%pour les Chinois et de 2%à96%pour les Colombiens. Les chiffres résul-tant du travail de l’Ofpra et de la CNDAn’indiquent donc pas la part des fauxréfugiés,mais reflètent lamanière plusou moins suspicieuse dont les magis-trats interprètent les preuves qui leursont données.Troisième idée reçue: la France ne peutpas prendre en charge toute la misèredumonde. En réalité, sur les 15millionsde réfugiés dans le monde, les qua-tre cinquièmes se trouventdans les paysvoisins. Le Pakistan en compte 1,7mil-lion, l’Iran près de 900000, le Kenya560000, alors que la France assurela protection de 160000. Un seul paysoccidental figure parmi les dix nationsles plus accueillantes: l’Allemagne. Surles 2millionsde réfugiés syriens, le pré-sident de la République s’est dit prêt àen recevoir 500, quand le Liban en aplus de 700000 sur son territoire etla Turquie près de 500000. L’effort dela France reste donc remarquablementmodeste au regarddes besoins interna-tionaux de protection.Aumoment où se prépare une réformecruciale de l’asile, il importe queminis-tres, parlementaires, citoyens qui vontendébattre, le fassentnonen se fondantsur des idées fausses qui servent depuisplusieurs décennies à justifier la baissede la reconnaissance du statut de réfu-gié,mais sur la simple vérité des faits.

Coauteur de: «Juger, réprimer,accompagner. Essai sur lamoralede l’Etat», éd. Seuil, 2013.

Dans les années 70, en France,sur dix demandeurs, neufobtenaient l’asile. Trente ansplus tard, c’était le cas dpourmoins d’un sur dix.

ParDIDIERFASSINProfesseur àl’Institute forAdvancedStudydePrinceton

Quelques idées reçues sur l’asile

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201422 •

REBONDS

Page 29: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

UMP: la nostalgiedu chef

L’UMPest en traind’innover à sondétriment. Pour lapremière fois de-puis le début de lacrise (1974), leprincipal partid’opposition nerecouvre passes forces dansl’adversité, neprofite pas de sadéfaite pour se ré-

nover, se ressourcer, se relancer.Jusqu’ici, la règle était presquemathé-matique: quand le Parti socialiste étaitbattu, il ressuscitait dans l’oppositionet prenait sa revanche auxélections sui-vantes. Symétriquement, quand leRPR,puis l’UMP, était défait, il se reconstrui-sait face au pouvoir de gauche et l’em-portait aux électionsd’après. 1981 après1974, 1988 après 1986, etc. L’alternancefonctionnait comme unmouvement pendulaire.Mêmequand lePS avait étéécrasé en 1993, Lionel Jospin était arrivéen tête au premier tour de l’électionprésidentielle deux ans plus tard.Lorsque Jacques Chirac avait perdules élections législatives anticipéesde 1997, il avait été réélu, commeon sait, en 2002. Sous laVeRépublique,la tradition française est que le vaincud’aujourd’hui devientmécaniquementle favori de demain.Or, cette fois-ci, il se produit unphéno-mène étrange. La gauche au pouvoirs’affaisse comme toujours et le PS s’ap-prête à perdre les électionsmunicipaleset à se fairehumilier auxélections euro-péennes. Le gouvernement est particu-lièrement impopulaire et le présidentde

la République traverse une passe cau-chemardesque. De ce côté-là, tout esten ordre, le rite est respecté.C’est à droite, dans l’opposition, quequelque chose ne fonctionne pas nor-malement. Vingtmois après sa défaite,l’UMPdemeure toujours aussi impopu-laire. Pire: alorsmême que lamajoritéest rejetée par la plupart des Français,l’opposition n’en profite pas et n’estmême pas créditée de pouvoir fairemieux. C’est le Front national, c’est-à-dire l’extrême droite, qui effectue unepercée spectaculaire dans les sondages.Elle peut empêcher un succès de l’UMPaux électionsmunicipales et même ledevancer aux élections européennes.Elle imprègne plus les réseaux sociauxque l’UMP et elle s’affirme davantageà travers toutes les formes de contesta-

tion et de protestation.La gauche au pouvoir tient son rôle :elle vacille et prend l’eau dans la tem-pête. L’UMP ne remplit pas le sien :elle ne profite en rien desmalheurs deson vieil adversaire.Ce n’est pas faute demilitants: ils sontlà, plusnombreuxqu’à gauche.Cen’estpas fautedeprogramme: l’UMPachoisilemaximalisme sommaire, ce qui flatteles électeurs en colère et dispensed’avoir des idées. Ce n’est pas fauted’organisation : Jean-François Copéporte tous les défauts du monde,mais en cequi concerne l’appareil, il estvirtuose.En réalité, chacun le sait, la Ve Répu-blique oblige chaque parti à produireun présidentiable. Le systèmemédia-tique contraint toute formation àla personnalisation extrême de sonprétendant. La spécificité, la culture, latradition, le stylede l’UMPconverge sur

cepoint: la quintessencedugaullisme, c’est le culte duchef et la souveraineté de

la nation.Or, s’agissant des prochainesélections européennes, les dirigeants del’UMP s’apprêtent à se déchirer entreeuroconstructifs et eurosceptiques.S’agissant du chef, ils traversentaujourd’hui un insupportable désert.Là est lenœudde toutes leursdifficultéset de toutes leurs nostalgies.Mêmeà trois ansde l’électionprésiden-tielle, uneUMPsansprétendant charis-matique est un canard sans tête.Elle s’agite, elle court, elle n’entendrien, elle ne voit plus. Cen’est pas fautede candidats. Bruno LeMaire, LaurentWauquiez, Xavier Bertrand, NathalieKosciusko-Morizet (François Baroin estplus sage) ont des ambitions affichées

et certains d’entre eux devraies qualités mais pourtous, 2017, c’est trop tôt.Aucunn’a lesmoyens d’ac-quérir une légitimité et uneenvergure présidentiellequelconque en deux ans(avant la primaire). FrançoisFillon a beaucoup déçu de-

puis un an et Jean-François Copé a vio-lemment et durablement choqué.Restent deuxhommes:Nicolas Sarkozyet Alain Juppé qui ont en communde posséder une envergure reconnue–c’est leur duopole–un caractère plusqu’affirmé,une rare expérience et quel-quesdéfaites formatrices. L’unet l’autreont le profil du chef espéré, NicolasSarkozy en conquérant bonapartiste,Alain Juppé en recours quasi barriste.SiNicolas Sarkozyne commetpasd’er-reur (trop tarder à se déclarer, récuserla primaire, snober l’UMP, etc.) rien nipersonne ne pourra l’empêcher de re-devenir l’obligatoire adversaire deFrançoisHollande. S’il existe lemoindreespace, Alain Juppé l’occupera. Alorsseulement, l’UMP ressuscitera en partid’alternance d’une droite complexe.

POLITIQUES

ParALAINDUHAMEL

Langues régionales oulanguesmaternelles?

Il s’y attendait probablement,mais en pré-sentant aux députés la proposition de loivisant à permettre la ratification de laCharte européenne des langues régionales

et minoritaires, Jean-Jacques Urvoas a dé-clenché une de ces tempêtes symboliques etirrationnelles dont la France a le secret. L’is-sue de cette démarche parlementaire n’estdonc pas assurée. Charte ou pas, la questionde laplacedes langues régionales reste posée,en particulier à l’école.Il peut y avoir d’excellentes raisons de récla-mer une présence scolaire de ces langues :mieux connaître ses racines, pouvoir s’entre-tenir avec ses grands-parents dans leur lan-gue maternelle, connaître une littérature

écrite ou orale dans sa version authentique,s’intéresser à la grammaire de la langue…–et les deuxderniersmotifs peuvent concer-ner des personnes de toute origine.Mais il ya une raisonplus pressante, et le plus souventoubliée, bien que l’intérêt des locuteurs etceuxde laRépublique s’y rejoignent: il existedes enfants français non-francophones.Voilà plusieurs décennies qu’aucun jeuneFrançaismétropolitain n’arrive à l’école enne connaissant qu’une langue régionale, etles bilingues en langue régionale et françaisse font de plus en plus rares. La norme estdonc que la pédagogie de la langue régionalesoit celle d’une langue seconde, commeles langues étrangères, et les débats portentsur le droit à apprendre cette langue.Dans lesterritoires ultramarins, le bilinguisme pré-coce est beaucoup plus répandu qu’enmé-tropole,mais surtout, certains enfants arri-vent à l’école sans connaissance du français.Ce cas de figure se rencontre dans certainsendroits de la Guyane (une partie des Amé-rindiens, des Bushinenge ouNoirsmarrons,et des Hmongs), de la Nouvelle-Calédonie(beaucoup de Kanaks), et de la Polynésie ;et dans la totalité de Wallis-et-Futuna etde Mayotte.Il n’est pas nécessaire de remettre en causelemonolinguismede la sphère publique sti-pulé à l’article 2 de laConstitution.Mais pourfaire de ces enfants de futurs citoyens franco-phones, la République se doit de leur donnerlesmoyensde construireunbilinguismehar-monieux, ou, à tout lemoins, de leur assurerune transition vers le français aussi efficaceet peudouloureuse quepossible. La politiquela plus fréquente est encore, malheureu-sement, celle des années 1880: l’exclusiondes languesmaternelles de l’école, avec par-fois punitions à l’appui, et, en annexeodieux,culpabilisation des parents.Cette exclusion symbolique est un objectifplus facile à atteindreque l’aide à la construc-tiondubilinguisme: elle n’exigeni réflexion,ni matériel pédagogique, ni formation des

maîtres.Mais elle résulte d’uncontresens surla nature des langues enn’endiscernant pasla dimension intellectuelle: elle prive le jeuneenfant dumeilleur outil qu’il a de construirele sens et de parler de ce qu’il sait et de cequ’il ressent, avec lesmots et les référencesde son monde familier, avec les catégoriesgrammaticales et la syntaxequi organisent leraisonnement; elle lui enseigneque lemondeentier est digne d’intérêt à l’exception de cequ’il en connaît; et elle retarded’autant tousles apprentissages autres que celui de la lan-guenationale. Les évaluations deCM2mon-trentdesniveaux inférieurs à lamoyennena-tionale dans tous les départementsd’outre-mer,mais ils décrochent enGuyane,et sombrent àMayotte. Il est donc regrettablede reproduiredes procéduresdéjà dénoncéesen leur temps, alorsmêmeque la recherche

en linguistique, enpsycho-linguistique et en sciencesde l’éducation n’en avaitpas encoremontré le carac-tère contre-productif.Dans de tels cas, il ne fautpas raisonner en termes

d’enseignement de langues secondes, maisbiend’activitésde langageen languematernelle.Et, contrairement àune traditionbienancréedans les enseignementsde langues et culturerégionales (LCR), ces activités doivent appa-raître dans les plus petites classes, quand lalangue maternelle, première expérience dulangage,n’estpasencorecomplètementdéve-loppée et doit être soutenueplutôt qu’entra-vée.C’est ainsi que sont apparusdesdisposi-tifs, modulés selon la situation et le degréd’autonomiedécisionnelle. Leplus représen-tatif est celui des intervenants en languema-ternelle (ILM)deGuyane: il s’adresse typique-ment à des élèves allophones, alors que lesLCR s’adressent plutôt à des bilingues fran-çais-créole oudesmonolingues en français.Malgrédes soutiens institutionnels fluctuantset des acteurs de terrainplus oumoinsmoti-vés, ces dispositifs se sont pourtant fait uneplace reconnuedans l’enseignement et la so-ciété, etont fait l’objetd’évaluationspositives.Il n’y a qu’à Mayotte que l’on rencontre unblocage institutionnel total parunehiérarchiehostile, alors que l’expérimentation y seraitla plusnécessaire, et la plus facile àmettre enplace (deux langues assezbien réparties géo-graphiquement, et uncorps enseignant locu-teur).Cette situationestunecomposantenonnégligeabledecequ’onpeutappeler lemalaisemahorais, qui n’est pas sans analogies avec le«malaise alsacien»d’entre les deuxguerres.Les outre-mer français renouvellent doncla problématique des langues régionales,dans lamesure où elles sont aussi bien sou-vent languesmaternelles –et les dispositifscités ici peuvent d’ailleurs être étendus à deslangues demigrants, ce qui est déjà le cas enGuyane pour le portugais brésilien. Toutesles raisons justifiées ou non d’hostilité àla charte européenne s’effacent devantcette réalité : la question fondamentale n’yest pas l’adhésion à un texte internationalsymbolique,mais celle d’un traitement res-pectueux et équitable,mais aussi intelligentet efficace, des jeunes Français allophones.

ParMICHELLAUNEYLinguiste, universitéParis-VII et IRD-Guyane

Dans les territoires ultramarins,le bilinguismeprécoce est plus répanduqu’enmétropole, et certains enfants arriventà l’école sans connaissance du français.

La gauche au pouvoir s’affaisse.De ce côté-là, le rite est respecté.C’est à droite que quelque chose nefonctionnepas normalement.Vingtmois après sa défaite, l’UMPdemeure toujours aussi impopulaire.

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 REBONDS • 23

Page 30: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

WORLDConstituéen 2009 autourd’un«désird’Afrique»et de sons bruts,le groupeprésente sonpremier CDce soir, à Paris.

Rivièrenoire, triobravo

Les trois membres de Rivièrenoire accueillent sur un champésotérique:«alchimie», «inter-actionmagique». Il est tentant

en effet d’invoquer le surnaturel pourdécrire la réussite de leur disque.Acoustique, aérien, d’une sérénité quela métaphore aquatique illustre bien.Une rivière paisible qui a pris tout sontemps pour arriver jusqu’à nous.Pour remonter à la source, il faut sepro-jeter cinq ans en arrière. En 2009, Or-lando Morais, qui partage sa vie entreParis et le Brésil, où il est un artiste re-connu,parle avecPascalDanaé,Guade-loupéen de la métropole, d’un projetautourde l’Afrique.Danaépense à JeanLamoot, homme de son qui a travailléavec leMalien Salif Keïta. Ils passent levoir aux studios Ferber, dans leXXear-rondissement de Paris, et ce qui devait

ParFRANÇOIS-XAVIERGOMEZ

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201424 •

CULTURE

BastienVivèsNé en 1984.Dernier albumparu: LastMan,tome 3(Casterman).

Kassé Mady Diabaté(au centre) seral’invité ce soir du trioRivière noire (en bas).

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Rivièrenoire, triobravo

être une prise de contact devient toutautre chose: OrlandoMorais et PascalDanaé ont apporté leurs guitares, JeanLamoot se met à la basse et ouvre lesmicros.«Au petit matin, expliqueMo-rais, nous avions fini troismorceaux, pa-roles et musique.» Lamoot renchérit :«Le lendemain, nous remettions ça avectrois autres titres.»«C’est un moment comme on en vit unefois dans une carrière, ajouteDanaé.Onn’a rien eu à expliquer, pas de grille d’ac-cords pour démarrer, tout a été improviséet s’est mis en place naturellement.»Cinq de ces six créations figurent surRivière noire, le disque du trio qui vientde paraître.«Nous aurions pu les publieren l’état», assure OrlandoMorais. Lesvoix et les guitares n’ont subi aucuneretouche.«Quand on a essayé, on s’estaperçus qu’on perdait quelque chose, sou-lignePascalDanaé.Onagardé beaucoupde choses telles quelles, comme la photo-graphie d’un moment privilégié.»La démarche logique aurait consisté àfaire écouter cette première étape à desmaisons de disques, afin de les déciderà produire l’album. «C’est une erreurcourante, note Jean Lamoot. On partd’une excellente démopour tenter d’en re-créer lamagie avec davantage demoyens.On y parvient très rarement. Le secretd’un grand disque, c’estsouvent les retours qui pas-sent dans lesmicros quandon enregistre tous ensem-ble. Un peu de basse quientre dans le micro de labatterie donne un son unpeu sale, mais plein de re-lief. La réussite d’un enre-gistrement commeKaya deBobMarley vient de là.»Onpeut se fierà la paire d’oreilles qui nous parle. JeanLamoot, d’abord ingénieur du son, dé-sormais réalisateur de disques, a étél’irremplaçable collaborateur de NoirDésir ou d’Alain Bashung, l’hommederrière les CD récents d’EtienneDaho,Raphael ou Vanessa Paradis.

TRADITION. L’idée de publier les chan-sons sous leur formebrute est pourtantrepoussée:«Onavait un désir d’Afriquedès le départ», insiste OrlandoMorais.Décision est prise depoursuivre les ses-sions àBamako,dans les studiosMoffoucréés par Salif Keïta, où Lamoot a déjàtravaillé. Kora, balafon, kamele ngoni(luth à trois cordes) s’ajoutent à l’en-semble. Et deux voix: BakoDagnon etKasséMadyDiabaté.Outre la puissancevocale, c’est leur modestie qui a im-pressionné le trio.«Ils ne se posent pasdix mille questions avant de chanter,s’émerveille Morais. Ils ouvrent leurcœur et ils y vont. En tant que griots, ilsont une longue tradition derrière eux.»KasséMadyDiabaté, la soixantaine, unedes plus belles voix d’Afrique, sera l’in-vité du concert de présentation dudis-que à l’Alhambra.Brésilien et guadeloupéen, les deuxchanteurs guitaristes de Rivière noire

ont un rapport naturel à l’Afrique.C’est aussi le cas du bassiste, né enBretagne mais élevé au Sénégal puisau Burundi et au Rwanda, en-tre 4 et 16 ans. Homme de l’ombre,Jean Lamoot fait avec Rivière noire sesdébuts face au public.«C’est un cadeaude la vie, un second souffle. Je suis mortde trac, mais je me sens protégé par letalent et l’expérience demes collègues»,avoue-t-il. Orlando Morais raconteune anecdote : «A la fin d’un concertà Brasília, lors de la présentation desmusiciens, Jean, au lieu de faire le solohabituel, a juste joué une note, en effleu-rant à peine les cordes. Il y a des bassistesbien plus techniques que lui, mais cettenote-là, lui seul peut la faire. C’estd’ailleurs ce moment dont m’ont parléensuite mes amis musiciens.»

SANS FILET. Cette façon artisanale decréer lamusique, cette approche bio, atrouvé un prolongement au-delà deRivière noire. Canal Brasil, la chaîneculturelle de TeleGlobo, a confié àOrlandoMorais une carte blanche où ilinvite un artiste parisien de sonchoix (1). La règle du jeu : créer unechanson en direct, sans filet. JeanneCherhal, Yael Naim, Da Silva ou PierreBarouh font partie de la soixantaine

d’invités qui ont défilé au studio Ferber.Trois saisons de treize épisodes de Làont été diffusées, l’enregistrement de laquatrième débute le mois prochain.C’est après une des émissions que lesmusiciens ont voulu convier sur leurdisque SylvieHoarau,moitié duduo fé-minin Brigitte. Elle chante sur ParisLondon, le dernier titre enregistré pourl’album.«C’était une façon de boucler laboucle, explique PascalDanaé.On reve-nait à Paris où tout avait commencé. Syl-vie appartient à l’univers pop français,mais elle des racines à la Réunion.»Rivière noire parle déjà de prolongerl’aventure, avec des suites àMadagas-car, peut-être au Cambodge… Pourchacun des trois, l’expériencemarqueun avant et un après. Orlando Moraisexplique que les voix trafiquées etles centaines d’heures en studio, c’estfini pour lui. Jean Lamoot philosophe:«La liberté, c’est une drogue. Une foisque tu y as goûté…»•(1) Visible sur http://canalbrasil.globo.com/programas/la/

RIVIÈRENOIRECD:RIVIÈRENOIRE (Atmosphériques).En concert ce soir à 20h30 à l’Alhambra,21, rue Yves-Toudic (75010).Aumêmeprogramme,Mamani Keïta (Mali).

«Le secret d’un granddisque, c’estsouvent les retours qui passent danslesmicros.Unpeude basse qui entredans lemicro de la batterie donneunsonunpeu sale,mais plein de relief.»

JeanLammotbassisteet réalisateur artistique

Vingt concerts, dont celui deRivière noire, sont auprogrammedu festival parisien jusqu’au 10 février.

Au fil desvoixdes fillesAUFILDESVOIXJusqu’au 10 février à l’Alhambra(75010), et du 3 au 5 février auStudio de l’Ermitage (75020).www.aufildesvoix.com

Très présentes lors desfestivals d’été, lesmu-siques du monde ont

depuis 2008 leurmanifesta-tion d’hiver à Paris. L’ambi-tion est grandissante, puis-queAu fil desvoixpasse cetteannée à douze concerts etvingt artistes. Partagés entrel’Alhambra et ses 800 fau-teuils et le cadre plus intimedu Studio de l’Ermitage.Une soirée affiche déjà com-plet : celle de demain, quisera consacrée aux chanteu-sesduPortugal, avecCristinaBranco, qui sort uncoffret detrois CD résumant sa car-rière, et la première en

FrancedeCarminho, révéla-tion récente du fado.Quelques artistes consacrésse mêlent aux nouveauxvenus. Le Piémontais Gian-maria Testa recréera l’at-mosphère feutrée, jazzy etlittéraire, de ses spectacles,dont témoigne àmerveille ledouble albumMen at Work.Mayra Andrade, omnipré-sente à Paris ces dernierstemps (Théâtre de la Ville,Trianon), défendra son dis-que Lovely Difficult, danslequel elle mêle ses racinescap-verdiennes avec la popet l’electro.Le souci de parité n’a pasguidé les choixdesprogram-mateurs du festival: les fem-mes se taillent la part de lalionne. L’affiche qui réunitKaterina Fotinaki, exquisepoésie grecque, etMorKar-

basi, chant judéo-espagnolséduisant, mérite le dépla-cement.La découverte la plus atten-due vient, elle aussi, deMé-diterranée. Cigdem Aslan,née en Turquie, est une pro-videntielle chanteuse de ré-bétiko, genre addictif qu’onconnaît par les rééditionshistoriques de 78 tours. Levoir s’incarner dans la voixet le corps d’une jeunefemme est inespéré.Une soirée présentera enoutre deux exemples de laqualité du travail vocal enFrance: les Corses de A Fi-letta, avec leur invitée liba-naise FadiaTombEl-Hage, etle chœur d’hommes basqueAnaiki. Car lesmusiques dumonde, ça se passe aussi(près de) chez nous.

F.X.G.

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DERKAISERVONATLANTISdeVIKTORULLMANThéâtre de l’Athénée, 7, rue Boudreau,75009. Ce soir, 20 heures.Rens.: www.athenee-theatre.com

Retrouvé en 1972 par le fils dumusicologue Hans GüntherAdler, compagnondedépor-

tation du compositeur Viktor Ull-man, reconstitué par HenningBrauel et Andreas Krause, et crééen 1975 àAmsterdam,DerKaiser vonAtlantis est un chef-d’œuvre. De-puis sa redécouverte, cet opéra dechambre en un acte et quatre ta-bleaux a fait l’objet d’un enregistre-ment publié par Decca et de nom-breuses réalisations scéniques,notamment l’an dernier à l’Opérade Lyon. La nouvelle productionproposée par l’Arcal, dévoilée àNanterre et Reims et actuellementprésentée à Paris avant Niort, Poi-tiers, Massy et Saint Quentin, faitpartie des plus réussies.Parachutes.DerKaiser vonAtlantisapour triste particularité d’avoir étécomposé dans le camp nazi deTheresienstadt, dit Terezin, enTchécoslovaquie. Remaquillé enriante station balnéaire, lorsque laCroix-Rouge le visitera en 1944, Te-rezin était une «colonie juive mo-

dèle» où des déportés jouèrent laFlûte enchantée de Mozart et leRequiem de Verdi en présenced’Eichmann, et où sont morts33000hommes, femmes et enfants.C’est là que PavelHaas,HansKrásaet Viktor Ullmann, entre autrescompositeurs regroupés en 1938parles nazis sous le label«musique dégé-nérée», écrivirent certains de leursquatuors et opéras. Composéen 1943 sur un livret de Peter Kien,

poète et peintre pragois, égalementdétenu à Terezin, l’Empereur d’At-lantis est une fable brillante sur lepouvoir totalitaire. D’autant plusterrible qu’elle révèle que les dépor-tés savaient ce qui les attendait, dela mort redoutée «d’un instant àl’autre» au«centre de recyclage descadavres» sans oublier ces«milliersde blessés» qui«cherchent àmouriret n’y arrivent pas».Avec peu demoyens –unmirador,des parachutes, unemachine à fu-mée, quelques projecteurs– et unedirection d’acteurs affûtée, Louise

Moaty réussit un spectacle violentet poétique. PhilippeNahon, qui di-rige le toujours remarquable ensem-bleArsNova, restitue avecprécisionet beauté l’aspect ironique de cettepartition où l’on entend autant lepost-romantisme et l’héroïsmevo-calwagnérien que ses antidotes. Asavoir, l’impureté stylistique et lafragmentation thématique deMahler, le cabaret expressionnisteet les fanfares désarticulées deKurt

Weill, et enfin l’atonalitélunaire de Berg et deSchoenberg, qui fut leprofesseur d’Ullman.Gazé.Onretrouve sur leplateau des chanteursmagnifiques, dont le té-

nor Sébastien Obrecht, la sopranoNatalie Perez et la basse ukrainienneWassyl Slipak, qui incarne avec briocette Mort, furieuse d’être indus-trialisée par l’Empereur et qui dé-cide de se mettre en grève.Bienque répété àTerezin,DerKaiservonAtlantisn’y fut pas créé, un gar-dien du camp ayant perçu son ca-ractère subversif. LaMort reprit peuaprès du service. Ullman entra àAuschwitz-Birkenau le 16 octobre1944 et fut gazé le 18. Un jour aprèsses camaradesHaas, Kien et Krása.

ÉRIC DAHAN

LYRIQUENouvelle productionde l’opéra composé en 1943parViktorUllmanndans le campde concentration.

«L’Empereur d’Atlantis»,joyau sauvédeTerezin

ChloéCruchaudet.Née en 1976. Dernier albumparu:Mauvais genre(Delcourt).

LEROI LEAR deSHAKESPEAREmsChristian Schiaretti. TNP, 8, placeLazare-Goujon, Villeurbanne (69).Jusqu’au 15 février. Rens.: www.tnp-villeurbanne.comEt du 12 au 28maiau Théâtre de laVille (75004).

Autant le dire d’entrée, ceRoiLearneprétendpas à lamo-dernité. Sur le plateau du

Théâtre national populaire de Vil-leurbanne règneplutôt une atmos-phère de dramatique en costumesdu tempsde l’ORTF.Du théâtre oldage, donc, comme si l’établisse-mentdirigé parChristian Schiarettin’avait pas seulement repris, sur lesaffiches qui ornent sa façade, la ty-pographie et les couleurs du temps

de JeanVilar,mais jusqu’à l’esthé-tique de l’époque. Scénographiesimple et circulaire –un demi-cy-lindre de bois, peut-être hommageà Shakespeare et son théâtre duGlobe–, avecdes portes partout, cequi fluidifie entrées et sorties, jeusans fioritures, tout est fait pourrendre la pièce accessible. Et si elledure près de quatreheures, cen’estpas que le rythme traîne en lon-gueur,mais que Schiaretti a choiside ne presque rien couper.Atouts.Une fois accepté qu’il n’yapasde révélation scéniqueoudra-maturgique à en attendre, autantécouter et y prendre du plaisir.D’autant que Schiaretti dispose dedeux atouts majeurs. D’abord, la

traduction d’Yves Bonnefoy. On abeaucoup retraduit, ou réadaptéShakespeare ces vingt dernièresannées et cette inflation n’a pas euque des conséquences heureuses.Le travail deBonnefoyest la preuve,comme il le dit dans la préface desonéditionde lapièce, publiéepourlapremière fois en 1965 (MercuredeFrance),«que la traduction associeparfois poésie et fidélité». Ce qui n’al’air de rien et tient pourtant dumiracle : «Est-ce là, s’interrogeBonnefoy, un simple fait de hasard,produit par la parenté exceptionnelle-ment étroite de deux poètes?Ou uneconscience peut-elle, parfois, revivrecomme enmémoire, les découvertes,les risques, le changement, en un

mot, que quelqu’un d’autre a subi.»Si, dans le Roi Lear, les couples tien-nent une place essentielle –Lear etKent, Lear et son Fou, Lear et lePauvreTom, lePauvreTometGlou-cester…–, on peut parler ici d’uncouple Shakespeare-Bonnefoy, lesecond étant le «fou»du premier,celui qui ose interpréter ce qu’il ditsans jamais l’abandonner.Démesure. Clarté de la langue,audace des images, élégance duvers libre; plus le tonnerre se dé-chaîne, plus la parole deLearporte:«Pauvres gens nus, où que voussoyez, à souffrir/ De cet impitoyableorage qui vous lapide,/ Comment vostêtes sans abris et vos ventres sansnourriture/ Et vos loques criblées de

portes, de fenêtres/ Peuvent-ils vousdéfendre? Oh, je me suis trop peu./Occupé de cela […].»Encore faut-ille corps et la voix pourporter la dé-mesure du roi, sa vieillesse et sapart d’enfance. Comédien irradié,imprécateur exemplaire chez Tho-mas Bernhard et clochard célestechez Samuel Beckett, SergeMerlinsemblait à ce point taillé pour Learque l’on redoutait presque qu’il s’ybrûle. Il semble au contraire s’yressourcer; longue barbe blancheet diction oraculaire, il est Merlinl’enchanteur qui plonge dans lanuit, heureux commeungosse quijouerait à se faire peur. Inoubliable.

Envoyé spécial à VilleurbanneRENÉ SOLIS

THÉÂTRELamise en scènedeChristian Schiaretti est portée par un texte et un SergeMerlin enchanteurs.

Un«Roi Lear»dans la plus pure traduction

Peudemoyens, unedirectiond’acteurs affûtée: lametteureen scène LouiseMoaty réussitun spectacle violent et poétique.

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Page 33: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

PoliçaDouceur de gravité avecla voix de revenante deChanny

LeaneaghGaîté lyrique, 3 bis, rue

Papin, 75003. Ce soir, 20 heures.

Surnatural OrchestraEnergie hybride d’un big band

entre ragga, techno et impro

Théâtre de laCité internationale,

17, bd Jourdan, 75014. Ce soir,

20 heures (festival Sons d’hiver).

Renata RosaRetour de laBrésilienne duNordeste avec

nouvel albumNewMorning,

7/9, rue des Petites-Ecuries,

75010. Ce soir, 21 heures.

Denis Colin & OrnetteLe clarinettiste et la chanteuse

jouentNino FerrerCafé de la

Danse, 5, passage Louis-Philippe,

75011. Ce soir, 20 heures.

MÉMENTO

1millionC’est le nombre d’entrées qu’a atteint le Louvre-Lenshier. La millionième visiteuse, Josiane Hermand,une Ch’ti qui habite la région d’Antibes (Alpes-Maritimes),a traversé la France pour venir découvrir le musée désor-mais le plus visité du pays, hors Paris et l’Ile-de-France.

«J’ai décidé d’écrire à propos [du cancer]parce que c’est unedouleur et unesouffrance qui affectent beaucoupde gens.Mais je vais écrire avec la perspective de lavie, pas de lamort.»L’écrivain suédoisHenningMankell révélant auquotidienGöteborgs-Posten samaladie, à un stade «assezavancé»

Ecrivain, penseur, conteuret dessinateur, l’IvoirienFrédéric Bruly Bouabré estmort mardi matin chez lui àAbidjan, dans le quartier deYopougon. Il était né, sansdoute en 1923, à Zépréguhé,près de Daloa. L’origine desonœuvre est liée à unévénement marquant deson existence survenule 11 mars 1948, lorsque«le ciel s’ouvrit devant mesyeux et que sept soleilscolorés décrivirent un cerclede beauté autour de leurMère Soleil, je devins CheikNadro: celui qui n’oubliepas».Dans la foulée, ilinventa son fameux alpha-bet inspiré de petitscailloux. Comme il l’expli-quait à Libération (2 octo-bre 1995) : «Je suis allé àBékora et j’en ai ramassé. Jeles pensais comme des élé-ments d’écriture antique.»A côté, il réalise desmilliersde petits dessins sur desemballages cartonnés, sou-vent bordés par un texte.Uneœuvre qui lui vaudrad’être sélectionné pourl’exposition desMagiciensde la Terre, au centre Pom-pidou et à la GrandeHallede la Villette, à Parisen 1989, et d’accéder à unereconnaissance internatio-nale jusqu’à son ultime par-ticipation, l’an dernier, à laBiennale de Venise. D.Po.

«LE CIEL S’OUVRIT»POUR FRÉDÉRICBRULY BOUABRÉ

DISPARITION

AnoukRicard.Née en 1970. Dernier albumparu:Plan plancul cul (les Requinsmarteaux).

Le fort de Brégançonsort du domaine prési-dentiel. Résidence offi-

cielle des présidents de laRépublique depuis 1968,cette bâtisse perchée sur unpiton rocheux de la côte va-roise devient unmonumentnational et pourrait être par-tiellement ouverte au publicdès la fin juin. Tout commel’hôtel de la Marine, placede la Concorde à Paris, celieu de villégiature deschefs d’Etat sous la Ve Ré-publique va rejoindre la listedes 98 sites gérés par leCentre des monumentsnationaux (CMN).Paparazzis. La décision dechanger l’affectation decette ancienne place fortemilitaire, dont les premiersaménagements remontentau XIIe siècle, a été prise en

octobre par François Hol-lande qui souhaitait l’ouvrirau public, plutôt que de lavoir convertie en hôtel. Pré-vue pour être saisonnière,l’exploitation du lieu n’a ce-pendant rien d’évident. Sonaccès est compliqué en rai-son des domaines privés àtraverser pour y pénétrer et,à la différencede l’hôtel de laMarine, le site ne sera pas fa-cile à rentabiliser. Cet étéservira de«période d’obser-vation», selon le CMN.Réputé austère endépit d’unemplacement et d’une vueexceptionnels, ce site auconfort assez sommaire estloin d’avoir fait l’unanimitéparmi les sept présidents etleurs entourages qui l’ontfréquenté avec une assiduitévariable. Principal défaut, lapropriété est très exposée

aux regards extérieurs enraison de la proximité de laplage deBormes-les-Mimo-sas, où les paparazzis ontleurs habitudes. C’est de làqu’ils avaient notammentpuapercevoir en 2001 JacquesChirac aubalcon, d’abord enslip puis dans son plus sim-ple appareil, en train dema-ter à la jumelle le yacht desfrères Schumachermouillantau large. Après négociation,les photos n’avaient pas étépubliées.Prof de tennis. Aménagépour le général deGaulle, quin’y aurait passé qu’une seulenuit «cauchemardesque» àcause des moustiques àl’été 1964, le fort est plusprisé parGeorgesPompidou,puis surtout Valéry Giscardd’Estaing. C’est à Brégançonque VGE convoquera sonPremierministreChiracpourundéjeuner en compagnie…de son prof de tennis et qu’ilannoncera son remplace-ment par Raymond Barre.François Mitterrand ne s’yrendra guère, préférant Lat-che dans les Landes, tandisqueChirac, qui comparait lelieu à une «prison», y feraquelques séjours. NicolasSarkozy s’y rendra à quatrereprises et Hollande uneseule fois durant l’été 2012,avec Valérie Trierweiler.Un peu cher pour les230000eurosquecoûte cha-queannée l’entretienà l’Etat.

CHRISTOPHE ALIX

VARBoudée par les présidents de laVeRépublique,la résidence d’Etat devient unMonument national.

Brégançon:le fort en est jeté

Nouvelle création d’Alain Platel, Tauberbach se dérouledans un océan de vieux vêtements qu’habitent six per-sonnages. Avec, en figure tutélaire du hangar de tri, unecomédienne (Elsie de Brauw), meneuse de revue jetantson désarroi à la salle: «I do not agree with life.» A chargepour les danseurs de la sauver de la noyade. Comme àson habitude, Platel a puisé dans un matériau quasi socio-logique –un documentaire sur une SDF de Rio– pournourrir une chorégraphie qui est aussi un manuel de sur-vie. Ce ne sont pas seulement les habits qui sont ici recy-clés, mais les corps lancés à la recherche de nouveauxcodes. C’est par moments très drôle, d’autres fois pluslaborieux, et toujours formidable quand on se fixe sur ledanseur Romeu Runa, contorsionniste au genou bleu. R.S.«Tauberbach», ms Alain Platel, Théâtre national de Chaillot (75016),jusqu’au 1er février. Rens.: 01 53 65 30 00; theatre-chaillot.fr

ALAIN PLATEL: UN «TAUBERBACH»DE BONNES TENUES À CHAILLOT

AUSSITÔT VU

Micol.Néen 1969. Dernier albumparu:Providence (Cornélius).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 2014 CULTURE • 27

Page 34: Libération - Jeudi 30 Janvier 2014 - By Elbogossdu14

GRÈVESuite au plan social à Centre France, des salariésont séquestré des dirigeants vinq-quatre heures durant.

«LaRép»metdeuxpatrons souspresse

Des dirigeants de presse sé-questrés commedes patronsd’usine de pneus?C’est la si-tuation inédite qu’a vécue

la République duCentreoùGilles Crémil-lieux, directeur général adjoint, et Jé-rômeRivière, directeur des ressourceshumaines, ont été retenus par des sala-riés en colèredemardi soir, jusqu’àhieraprès 20 heures. A la Rép, en grève de-puis le 18 janvier, cette double séques-tration a surpris tout lemonde.Notam-ment les représentants du personnel,

qui n’en demandaient pas tant.«L’ac-tion n’avait rien de prémédité et les orga-nisations syndicales n’en sont pas du toutà l’origine, s’excuse presque ArnaudZiomek, délégué CFDT.Mais là, ils semoquent clairement de nous.»

PURGE. Lesmoqueurs que dénonce cejeune imprimeur, ce sont les dirigeantsde Centre France-la Montagne, pro-priétaire, depuis 2010, du quotidien ré-gional la République du Centre. Cetautomne, le groupe clermontois avait

présenté un plan d’économies drasti-que prévoyant la suppression de230 postes sur l’ensemble de ses huitquotidiens et de sa douzaine d’hebdo-madaires, qui emploient 1200 salariés.Et c’est à Saran (Loiret) que la purges’est avérée la plus amère. Dans quel-ques semaines, l’imprimerie et ses40 postes seront rayés de la carte.«Ons’attendait à un plan social, mais pas decette ampleur», confirme le déléguéCFDT. En tout, ce sont 78 emplois quivont quitter le Loiret, avec de faibles

espoirs de reclassement pour leurs titu-laires. La plupart des propositions dé-boucheraient sur le multimédia ou latélévente. Desmétiers nécessitant desqualifications bien éloignées de cellesde l’imprimerie.«Ce que je veux, c’estune vraie prime de départ», assèneBruno, un quinquagénaire dépité.«Audébut, nous réclamions une prime supra-légale échelonnée suivant l’ancienneté,avec un plancher d’environ 50000 euros,rappellent lesmembres de l’intersyndi-cale. Puis, après plusieurs négociations,nous avons revu nos prétentions pour lesfixer à 20000 euros.»Alors, quand le directeur général ad-joint de la Rép et le directeur des res-sourceshumainesdugroupeont fait sa-voir, mardi, que la prime serait de7500 euros et que«les jours de grève neseraient pas payés», les salariés grévistesont bondi. Et invité les deux cadres à lessuivre vers un lieu de «retenue».

PATERNALISME.«Ladirection dugroupeCentre France ne peut tolérer la séquestra-tion de deux de ses dirigeants […] et pren-dra toutes lesmesures permettant d’assu-rer le bon fonctionnement du journal», amartelé hier la direction dans un com-muniqué. Elle expliquehabilement queles salariés vont toucher près de100000euros«de salaires cumulés, sousforme d’indemnités et congés de reclasse-ment». En fait, ni plus nimoins que lesdispositions légales.«Je pense que les di-rigeants ont sous-estimé notre détermi-nation et pris les revendications par-des-sus la jambe», confie un salarié. «Ducoup, on observe une vraie solidarité, ycompris de la part de certains journalistesalors que, globalement, la rédaction nedevrait pas être affectée.»Un sentimentde défiance rarissime dans cet organede presse aux méthodes de manage-ment longtempsbasées sur unpaterna-lisme autoritaire, notamment sous l’èreJacques Camus.La nouvelle direction, elle, argue dedifficultés structurelles (38000 exem-plaires quotidiens diffusés en 2012,contre 55000en2006) et de lanécessitéd’économiser 16millionsd’eurospar and’ici à 2016. Question de survie.Mais face à elle, la colère des salariés setrouve accentuée par un rapport d’ex-pertise comptable commandépar le co-mitéd’entreprise, quimet fortement endoute la légitimité du plan social. «Lemotif économique ne peut être invoquépour justifier des licenciements, ces der-niers devant, en droit, reposer sur unmotifréel et sérieux»,pointe le cabinetMetis.Un autre rapport indique que la réorga-nisation voulue par Centre Fran-ce-la Montagne est «vécue de manièrebrutale par les salariés, tous niveaux hié-rarchiques confondus, constituant en soiun risque psychosocial».Une analyse qui trouve écho dans lescouloirs du journal.«Notre direction n’aaucune considération pour les titres dugroupe, hormis lamaisonmère», expli-que un salarié. «L’important, c’est quela Montagne se porte bien. Si les autrestitres vontmal, tant pis.»Plusieurs sour-ces indiquent qu’en cas d’enlisementdu conflit, la direction pourrait faireimprimer dans une unité extérieure.Hier soir, les deux cadres ont puquitterles locaux de la Rép sous les huées dessalariés.«Onne pensait pas finir commeça», regrette Bruno.•

ParMOURADGUICHARDCorrespondantàOrléans

Vuillemin.Né en 1958. Dernier albumparu: les Sales Blagues de l’Echo, tome 17 (Glénat).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201428 •

ECRANS&MEDIAS

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A LA TELE CE SOIR

20h50.R.I.S Policescientifique.Série française :Les cercueils de pierre -1re& 2eparties.Avec Delphine Rollin,Stéphane Metzger.22h50.R.I.S. policescientifique.Série française :Magie noire.Avec Pierre-Loup Rajot.23h45. New YorkSection Criminelle.Série.

20h45.Envoyé spécial.Magazine présenté parGuilaine Chenu etFrançoise Joly.22h20.Complémentd’enquête.Racket, enlèvement,affaire Dassault : lesriches pris pour cible.Magazine présenté parBenoît Duquesne.23h30. Alcaline, le concert.Gaëtan Roussel .Spectacle.

20h45.Calculsmeurtriers.Thriller américain deBarbet Schroeder,118mn, 2001.Avec Sandra Bullock,Ben Chaplin.22h45. Météo.22h50. Grand Soir 3.23h50.Violencesconjugales, parler pour renaître.Documentaire.1h40. Midi en France.Magazine.

20h55.Homeland.Série américaine :En ligne de mire,Haute trahison.Avec Claire Danes.22h40.Shameless.Gallagher comme à laguerre.Série.23h35. Mad men.Naufrage.Série.0h20. ThérèseDesqueyroux.Film.

20h50.DCI Banks.Téléfilm britannique :Beau monstre.Avec StephenTompkinson, Charlotte Riley.22h20.September, une femme seule.Téléfilm de PennyPanayotopoulou.Avec Nikos Diamantis,Kora Karvouni.0h00. Virgin suicides.1h35. Contes de lavirginité.

20h50.Bones.Série américaine :Le supplice deProméthée,Combustionspontanée,L’écran de la mort,X-files,Retour vers le passé.Avec John FrancisDaley, Tamara Taylor.1h00. The killing.La cage.Série.1h55. Météo.

20h45.Flashpoint.Série américaine :Retraite impossible,État de guerre,Le mauvais rôle.Avec Enrico Colantoni,Hugh Dillon.22h45.C’est quoi ceboucan ?Magazine présenté parChakib Lahssaini.23h45. Retour surl’évènement lesnaufrages qui ont faitl’histoire.

20h35.La grandelibrairie.Magazine présenté parFrançois Busnel.21h40.Blum - Pétain,duel sous l’occupation.Documentaire.22h35. C dans l’air.Magazine présenté parYves Calvi.23h40. Dr CAC.23h45. Entrée libreMagazine.0h05. Michel Rocard,la politique avant tout.

20h40.Windtalkers,les messagers du vent.Film de guerreaméricain de JohnWoo, 134mn, 2002.Avec Nicolas Cage,Adam Beach.23h05.En territoireennemi.Film de guerreaméricain de JohnMoore, 106mn, 2001.Avec Owen Wilson.0h50. Spartacus :vengeance.

20h50.Tellement Vrai.Mon ado n’en fait qu’àsa tête.Magazine présenté parMatthieu Delormeau.0h05.Tellement Vrai.Parents dépassés : ont-ils la bonne méthode ?Magazine.1h45.Tellement Vrai.2h15. La maison du bluff 2.3h20. Programmes denuit.

20h45.La ligne verte.Comédie dramatiqueaméricaine de FrankDarabont, 189mn, 1999.Avec Tom Hanks, David Morse.23h55.90’ Enquêtes.Légionnaires : 8 semaines dans l’enferde la jungle.Magazine présenté par Carole Rousseau.1h45.90’ Enquêtes.Magazine.3h10. TMC Météo.

20h50.Mr. and mrs. smith.Film d'action américainde Doug Liman, 120mn,2004.Avec Brad Pitt,Angelina Jolie.23h10.Ennemisrapprochés.Thriller américain deAlan J. Pakula, 107mn,1996.Avec Brad Pitt,Harrison Ford.1h20. Météo.

20h45.Mon voisin du dessus.Téléfilm de LaurenceKatrian.Avec Michèle Laroque,Richard Berry.22h20.Drôle de famille 2.Téléfilm français :Deux heureuxévénements.Avec Juliette Arnaud,Zacharie Chasseriaud.0h05. Redoutablescréatures.

20h50.Nouvelle star.7eprime en direct del’Arche Saint-Germain".Magazine présenté parCyril Hanouna.23h30.Nouvelle star, çacontinue.Divertissementprésenté par Enora Malagré.0h20. Programmes de nuit.

20h45.Hot fuzz.Comédie d’EdgarWright, 121mn, 2006.Avec Simon Pegg, Nick Frost.22h50.Shaun of the dead.Comédie d’EdgarWright, 99mn, 2004.Avec Simon Pegg, Kate Ashfield.0h30. Fringe.5 épisodes.Série.

20h50.The sentinel.Thriller américain deClark Johnson, 108mn,2006.Avec Michael Douglas.22h45.Le témoin du mal.Thriller américain deGregory Hoblit, 124mn,1997.Avec DenzelWashington.0h30. Programmes de nuit.

TF1

ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5

GULLIW9TMCPARIS 1ERE

NRJ12 D8 NT1 D17

FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL +

Dessine-moi un porcFrance 2, 20h45Gag rituel du spécialbédé: hé, on parie que tusais pas dessiner le cochonde l’enquête sur la filièreporcine d’Envoyé spécial.

Dessine-moi un mort6ter, 20h50Là, c’est bien simple: onveutQuatremariages etun enterrement, soit huitépoux, les invités, le mort,le cimetière, on veut tout.

Dessine-moi goreD8, 20h50Evil Dédé veut du RockyHorror Picture Show pourle dédéfi de Nouvelle Star?«Touch touch touch touchme, I wanna be dirty…»

LES CHOIX

C’était dimanche auxEtats-Unis: ça y est, MargeSimpson s’est mise auxGoogle Glass. Et forcé-ment, quand la série crééepar Matt Groening s’atta-que au prochain gadgetmade in Google, quidevrait être commercialisécette année, le résultat estgrinçant. Dans le dernierépisode des Simpson dif-fusé sur Fox et intituléSpecs in the City (lunettes,en anglais), l’infâme Burnsoffre aux employés de sacentrale nucléaire des«Oogle Googles» afin deles espionner en tempsréel. Chaussant ses lunet-tes, Homer découvre, lui,que son Krusty Burger estfait à partir de litière pourhamster. Et bien sûr, il lebouffe. PHOTODR

MARGE SIMPSONCHAUSSE LESGOOGLE GLASS

LES GENS

12C’est le nombre de candidats qui ont postulé à la prési-dence de Radio France auprès du Conseil supérieurde l’audiovisuel (CSA). Pour l’instant, seuls le sortant,Jean-Luc Hees, et l’humoriste Stéphane Guillon ont offi-ciellement fait état de leur candidature. Le secrétairegénéral de France Télévisions, Martin Ajdari, a confirméde son côté sa candidature auprès de son équipe hier,tout comme, ainsi que le racontent les Echos, AnneDurupty, la directrice générale d’Arte France, qui a faitune partie de sa carrière au CSA. La candidature d’AnneBrucy, ancienne directrice de France Bleu, est encoreofficieuse. Restent les sept candidats mystère, qui pour-raient sortir du bois ces prochains jours. Le 12 février,le CSA donnera la liste des pesonnes retenues, parmiles douze, pour être auditionnées. Un nouveau présidentdevra être désigné avant le 7 mars. S.Gin.

Le CSA a adressé à Canal+un avertissement en formede mise en demeure derespecter sa convention,à la suite d’un sketchsur le génocide du Rwandadiffusé dans l’émissionle Débarquement, le20 décembre. Le sketch enquestion se payait la fiolede l’émission Rendez-vousen terre inconnue en met-tant en scène des célébri-tés plus préoccupées parleur petite personne quepar le survivant du géno-cide croisé lors cette paro-die. La romancièrerwandaise ScholastiqueMukasonga avait dénoncédans Libération «l’inno-cence tranquille duracisme ordinaire» de laséquence. Canal+ s’étaitexcusée pour le sketchen soulignant qu’il ne visaitqu’à «caricaturer et dénon-cer l’attitude de certainsOccidentaux». Ce qui n’apas empêché la sanctiondu CSA, voyant dans laséquence une «atteinteà la dignité de la personnehumaine, en dépit du genrehumoristique auquel elleentendait être rattachée».

CANAL+ MISE ENDEMEURE POURUN SKETCH SURLE RWANDA

L’HISTOIRE

Comme chaque année, les Jack Bauer de la BD s’étaientdonné rendez-vous mardi pour l’un des moments forts dufestival d’Angoulême: les 24 heures de la bande dessinée,soit 24 planches à réaliser en 24 heures. Et une contrainte,proposée par Lewis Trondheim: utiliser 90 photos ducompte Instagram du dessinateur et blogueur Boulet. Lesclichés ont inspiré 600 professionnels et amateurs et lesrésultats, dont celui de Boulet (illustration), ont été mis enligne sur le site des 24 heures de la bande dessinée. S.Gin.www.24hdelabandedessinee.com

BOULET EN 24 HEURES DE BOULOT

VU SUR LEWWW

HUGUESMIC

OL

«France Inter a cédé à la frénésiemédiatique en envoyant un reporterà Bombaypour couvrir ce non-événement.Un choix éditorial qui interroge, dans cettepériode de restriction budgétaire.»

LeSNJdeRadioFrance fumasseque la radiopubliqueait dépêchéun journalisteen IndeavecValérieTrierweiler

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Un jourde folieAl -Sissi

Moham

med

Shennawy.Néen1978.D

ernieralbumparu:TokTok9,collectif.

(Editions9eArt.LeCaire).

LIBÉRATION JEUDI 30 JANVIER 201430 •

GRANDANGLE

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Pas toujours facile d’être abstentionniste. Notrecorrespondant enEgypteMarwanChahine et ledessinateur Shennawy s’amusent des déconvenuesdes opposants au référendumconstitutionnel.Un jourde folieAl -Sissi

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Natived’Oran, l’actrice-réalisatrice amoureusede lamer estmue par une houle toute personnelle, fiévreuse mais maîtrisée.

Qui-vive

PORTRAIT NICOLE GARCIA

visage, aigu, tout en saillies. Paradoxe que renforce sa façond’actrice commede réalisatrice, qui épouse une ligne claire,très juste, sobrementmélancolique. Voir ses derniers filmsen date. En tant qu’actrice,Gare duNorddeClaire Simonoùelle joue, au cordeau, une femme atteinte d’un cancer quitombe amoureuse en se rendant à ses séances de chimio,d’unétudiant en sociologie (RedaKateb). En tant que réalisa-trice, le Beau Dimanche qui nous l’amène, âpre histoired’amour entre unemère célibataire financièrement aux aboiset un instituteur délibérément remplaçant, qui fuit l’enraci-nement, l’affiliation, la filiation, et pour cause.Elle a 67 ans. L’âge où supposément on se pose et s’apaise.Face ànous,NicoleGarcia se tord lesmains, fixe intensémentou alors ferme les yeux commeenproie à une concentrationfiévreuse, se tourne, continue la conversation de profil, puiss’affale, s’affaisse, avant de se redresser, et rebelote. A-t-elletoujours été inquiète? «Comment savez-vous que je suisinquiète?» Le ton est celui de la curiosité, pas de la protesta-tion.Disons qu’onperçoit une intranquillité.De quanddate-t-elle?Quelle enfant a-t-elle été?«Cequime vient en premier,c’est la peur. La peurme guidemême dans l’écriture, d’ailleursje me dis que je pourrais écrire un polar, j’en ai beaucoup lu,du roman noir américain…oui, j’ai dû avoir peur, dansmon en-fance.»Dequoi, elle ne sait dire exactement. Serait-ce cette

«fin d’unmonde» à laquelle elle a assisté à Oran, où elle estnée et a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans? Elle a vécu«les événe-ments» en enfant,«comme un désordre, un joyeux désordremême». C’est aussi que la future lectrice d’Annie Ernaux,l’échappée d’Yvetot, avait follement envie de partir,d’ailleurs, de trouver sa place d’élection.Mais autour, les vi-sages des adultes s’assombrissaient,«la tristesse, la souffrancedemon pèrem’a rattrapée». Samère?«C’était une femme trèsfroide, qui reculait quand je voulais l’embrasser.»NicoleGarciaa une sœur aînée, mais dix-sept ans les séparent. «J’ai étéélevée comme une enfant unique.» Pourquoi cet espace,cet abysse, entre les deux filles?NicoleGarcia, là encore, nesaurait dire.A chacun ses petits arrangements, tout lemonden’est pas tritouilleur de passé dépassé, et celle qui voitses scénarios comme des «pelotes», qui tisse ses films desecrets, n’a pas cherché à savoir. Demême qu’elle n’a pasla fibre généalogique, n’a pas sondé les racines espagnolesde ses parents.«De toute fa-çon, faire des recherches seraitdifficile, il y a tant de gens quis’appellent Garcia là-bas…Quand un enfant n’avait pasde nom, on l’appelait Garcia.»Ellen’est jamaisvraiment re-venue àOran.Officiellementoui,«dans les soutes de prési-dents de laRépublique»,pourun filmaussi (Unbalcon sur lamer), au fondnon, et elle en-térine la rupture sanspathos.«Un jour, jeme suis retrouvéesur la plage où mes parentsavaient une maison, mais laplage n’était plus qu’un rubande sable: c’est un peu ça, mamémoire d’Oran.» La famillenéanmoins lui tient à cœur, irrigue ses films, de préférenceautourd’unvilainpetit canard,d’unélément (jugé)défaillant.Hors fiction, elle en a fondé une, s’en entoure jusque dans letravail. Le jeune prof d’Un beau dimanche, beau, doux, etfaroucheet insaisissable à la fois, est jouéparPierreRochefort,son fils cadet, qu’elle a eu avec JeanRochefort. L’aîné est lemetteur en scèneFrédéricBélier-Garcia, quidirige leNouveauThéâtre d’Angers, et qui a coscénarisé l’Adversaire, SelonCharlie etUnbalcon sur lamer. Larguer des amarres, ennouerd’autres, flux et reflux, vents etmarées: il y a de la houle enNicole Garcia, qui a unemaison en bord d’Atlantique (île deRé), qui en voudrait une enMéditerranée.Onpourrait la soupçonnerdevouloir noyer par ses circonvo-lutions le poisson.Mais elle peut s’avérer très, étonnamment,directe. Par exemple à propos de son activité d’actrice, inin-terrompue depuis quarante-cinq ans et un premier prix auConservatoire deParis. Elle fuse:«Je ne pourrais pas arrêter.»Pour le repos que cela lui apporte, l’état de«simple soldat».Mais aussi, surtout, par«besoin d’être regardée, j’ai toujourseu besoin d’être rassurée surma beauté, désespérément…Avecle passage à la réalisation ça a décru, avant, c’était comme unefièvre, je voulais retenir l’attention de tout le monde, jusqu’ausimple garçon de café».Bam. Là où d’autres convoqueraientl’effacement, de la joie de se glisser dans d’autres peaux quela leur,Garcia expose (expie?) sonnarcissisme façonnévrose.Idemde sa relation au féminisme, à laquelle on vient via sonappétencepour les femmesdéchues, fragilisées. Elle balance,sans craindre l’opprobre:«Je remercie les féministes pour tousles progrès accomplis, je suis d’ailleurs assez proche d’AntoinetteFouque.Mais ça n’est pas un combat personnel, j’en profite plusque je n’œuvre pour.» L’offense faite à Valérie Trierweiler?L’électrice deFrançoisHollande évalue en rompue au rapportde forces:«Ne plus être aimée, désirée, est un des plus grandschagrins que l’on peut connaître. Enmême temps, l’expositionla sauve peut-être, dans le sens où elle est obligée de sécherses larmes, de trouver une posture, une stratégie qui arrache dudésespoir.» Et d’affirmer que les femmes, telle Sandra dansUnbeaudimanche (LouiseBourgoin),«ont la faculté de renaître,l’aptitude au rebond, on se fracasse demanièremoins définitiveque les hommes». Et de citer Shakespeare: «Demain, dansla bataille, pense à moi» (Richard III).NicoleGarcia: petit soldat et général à la fois.Qui dira de l’in-quiétude qu’on lui supposait : «Je parlerais plutôt de “qui-vive”. C’est inconfortable mais c’est fructueux, ça devientunmoteur.»Une femmemouvementée, enmouvement. •

ParSABRINACHAMPENOISDessinCHARLESBERBERIAN

EN 10DATES

22 avril 1946Naissanceà Oran. 1962 Départ pourla France. 1967 Des garçonset des filles, premier filmen tant qu’actrice. Decibel,pièce de théâtre. 1990Un week-end sur deux,premier long métragecomme réalisatrice.1994 Le Fils préféré. 1998Place Vendôme. 2002L’Adversaire. 2006 Selon

Charlie. 2010 Un balcon

sur la mer. 5 février 2014Sortie sur les écransd’Un beau dimanche.

L’affaire s’annonçait coton. Il y eut d’abord cette réti-cence initiale, de sa part, liée à unprécédent portraitdans ces colonnes. Elle s’y faisait égratigner en ac-trice en toutes circonstances, portée aux «Fausses

confidences»du titre. Il y eut ensuite ces lapins, rendez-vousdécalés in extremis. La faute àunmarathonpromotionnel quilui fait ces temps-ci sillonner la France, nous expliqua-t-on.Sowhat?Et nous, onpasse nos journées en ateliermacramé,peut-être. L’éponge se gorgeait de dépit, on s’apprêtait àla jeter, quand:«Cet après-midi! Elle décalemême son voyageen train exprès.»A l’hôtel germanopratin, le réceptionnisteannonça«pas demadameGarcia» en vue,mais non, faussealerte. Dixminutes plus tard, Nicole Garcia est arrivée flan-quée d’une petite valise à roulettes façon représentant decommerce ou conférencier itinérant, un cinéaste en promorelevant des deux. Et elle a joué illico le jeu, de sa voix graveet résonnante. Par de longues phrases qui serpentent, bou-clent, hésitent et repartent, commedansune forêtdebanians.Elle euphémise: «Je ne suis pas très concise…» Une heuren’aurait jamais suffi, on eut le double. Le contraste est de faitfrappant, entre ce verbe spirale porté à la digression et son

Charles BerberianNé en 1959. Dernier albumparu:Paris (Lonely Planet-Casterman).

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familial32
Tampon