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Éthique et santé (2012) 9, 101—106 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL L’impact de l’Internet sur la relation médecin-malade How does Internet transform physician-patient relationship? J.-C. Weber a,b,a Service de médecine interne, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg cedex, France b Institut de recherches interdisciplinaires sur les sciences et la technologie, université de Strasbourg, 67091 Strasbourg cedex, France MOTS CLÉS Internet ; Relation médecin-malade Résumé La littérature académique n’a pas tardé à faire état des transformations de la rela- tion médecin-malade consécutives à l’usage croissant de l’Internet par les patients. Plutôt qu’une influence unidirectionnelle, il semble plus exact de considérer qu’usage de l’Internet et modifications relationnelles s’influencent et se transforment réciproquement. L’espoir entre- tenu est celui d’une relation améliorée par le gain d’informations du patient, donnant tout son sens au consentement éclairé et à la décision partagée. Toutefois, les obstacles sont nom- breux : fiabilité de l’information, équité d’accès, usages commerciaux. Les médecins semblent encore très réticents devant ce qu’ils perc ¸oivent comme une mise en cause de leur légitimité, et de nombreux malades sont fragilisés plutôt que renforcés. Ce qui est avéré aujourd’hui est le sentiment d’un déplacement dans l’équilibre apparent des savoirs/pouvoirs au sein de la consultation, qui nécessite de la part des médecins une adaptation. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Internet; Physician-patient relationship Summary Professional literature has been quick to report on changes in doctor-patient rela- tionship resulting from the increasing use of the Internet by patients. Rather than unidirectional influence, it seems more accurate to consider that use of the Internet and relational changes influence and transform each other. Hope is maintained of enhanced relationship thanks to well-informed e-patients, giving full meaning to informed consent and shared decision-making. However, there are many obstacles: reliability of information, equity of access, commercial pur- poses. Doctors still seem very reluctant to what challenges their legitimacy, and many patients Service de médecine interne, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg cedex, France. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] 1765-4629/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2012.06.002

L’impact de l’Internet sur la relation médecin-malade

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Page 1: L’impact de l’Internet sur la relation médecin-malade

Éthique et santé (2012) 9, 101—106

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

L’impact de l’Internet sur la relationmédecin-malade

How does Internet transform physician-patient relationship?

J.-C. Webera,b,∗

a Service de médecine interne, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital,67091 Strasbourg cedex, Franceb Institut de recherches interdisciplinaires sur les sciences et la technologie, université deStrasbourg, 67091 Strasbourg cedex, France

MOTS CLÉSInternet ;Relationmédecin-malade

Résumé La littérature académique n’a pas tardé à faire état des transformations de la rela-tion médecin-malade consécutives à l’usage croissant de l’Internet par les patients. Plutôtqu’une influence unidirectionnelle, il semble plus exact de considérer qu’usage de l’Internet etmodifications relationnelles s’influencent et se transforment réciproquement. L’espoir entre-tenu est celui d’une relation améliorée par le gain d’informations du patient, donnant toutson sens au consentement éclairé et à la décision partagée. Toutefois, les obstacles sont nom-breux : fiabilité de l’information, équité d’accès, usages commerciaux. Les médecins semblentencore très réticents devant ce qu’ils percoivent comme une mise en cause de leur légitimité,et de nombreux malades sont fragilisés plutôt que renforcés. Ce qui est avéré aujourd’hui estle sentiment d’un déplacement dans l’équilibre apparent des savoirs/pouvoirs au sein de laconsultation, qui nécessite de la part des médecins une adaptation.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary Professional literature has been quick to report on changes in doctor-patient rela-

Internet;Physician-patientrelationship

tionship resulting from the increasing use of the Internet by patients. Rather than unidirectionalinfluence, it seems more accurate to consider that use of the Internet and relational changesinfluence and transform each other. Hope is maintained of enhanced relationship thanks to

well-informed e-patients, giving full meaning to informed consent and shared decision-making.However, there are many obstacles: reliability of information, equity of access, commercial pur-poses. Doctors still seem very reluctant to what challenges their legitimacy, and many patients

∗ Service de médecine interne, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg cedex, France.Adresses e-mail : [email protected], [email protected]

1765-4629/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2012.06.002

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are weakened rather than strengthened. Which is known today is the sense of an apparent shiftin the balance of knowledge/power in the consultation, which requires physician’s adaptation.© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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’usage de l’Internet par les patients, bien qu’il resteous-estimé des médecins [1], suscite déjà une littéra-ure abondante et multidisciplinaire au sujet de son impactsupposé ou observé, salué ou critiqué) sur la relationédecin-malade [2]. L’ampleur du phénomène reste diffi-

ile à saisir mais est certainement toujours en croissanceontinue1. L’Internet est le médium dominant pour obtenire l’information en tout genre, et pour effectuer un certainombre de transactions aujourd’hui [3]. L’augmentation duombre de sites dédiés à la santé et au bien-être sembleoïncider avec un désir des patients d’assumer davantagee responsabilités dans la gestion de leur propre santé [4].ans ce travail, nous proposons une synthèse critique de la

ittérature sur ce thème, qui laisse le champ libre à plusieursnterprétations.

e cadre d’exposition et la toile de fond

i on devait peindre un tableau à partir des donnéesubliées, son cadre serait celui d’une causalité circu-aire auto-amplificatrice : usage de l’Internet et relationédecin-malade s’influencent réciproquement et se como-ifient. La couleur de fond reste celle d’un usage enchantée l’Internet, pour des relations améliorées, voire idéales,ême si sont concédés des obstacles dont l’importance estinimisée.

ne causalité circulaire

’Internet est considéré presque unanimement comme unromoteur de changements [5] pour au moins trois raisons :’est une source massive de données, un lieu de stockage

brouillon » plutôt qu’une mémoire organisée, et c’est unourvoyeur de liens entre des individus distants qui ontes préoccupations voisines [6]. Le patient change (il estavantage informé), ses attentes changent (il a besoin d’unxégète-herméneute), le médecin doit donc modifier sa pra-ique, particulièrement les modalités relationnelles de saencontre avec ce patient nouveau.

Mais il faut en même temps saisir l’éventualitéompossible du mouvement inverse. L’étude de Tustinux États-Unis [7] porte sur 178 patients atteints de cancer,nterrogés à la fois sur leur satisfaction dans la relation etur leur utilisation de l’Internet. Cinquante-huit pour cent

hoisissent l’Internet comme source préférée d’informationcontre 31 % leur cancérologue), et 51 % ont utilisé l’Internetour chercher un autre oncologue ou un autre hôpital.

1 La France n’est pas le pays le plus avancé en la matière ; ononsultera par exemple les résultats d’un sondage effectué par’institut IPSOS pour le compte du Conseil national de l’ordrees médecins : http://www.conseil-national.medecin.fr/system/les/sondage%20internet%20CNOM%202010.pdf?download=1.

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ais ceux qui sont satisfaits de leur oncologue le désignentomme étant leur première source d’information fiable.ela suggère que c’est l’insatisfaction dans la relationui pousse, incite, augmente l’usage de l’Internet par lesatients. D’autres enquêtes en effet vont dans ce sens [4,8]t suggèrent que les internautes les plus actifs sont lesatients les moins en confiance, ceux qui ont des attentesnsatisfaites, qui ont moins souvent l’opportunité de poseres questions, de participer à une prise de décision, d’êtreidés dans l’incertitude, etc. La durée courte des consul-ations est mise en avant. Bref, plus la relation est déjàégradée, plus le patient ira (devra ?) chercher du soutienilleurs que dans la rencontre. Kassirer remarque que laommunication par e-mail émerge au moment où beaucoupéplorent une relation médicale devenue impersonnelle9]. Toutefois, une étude effectuée dans l’État de Rhodesland en 2003 n’avait pas montré de lien entre l’intérêtes patients pour l’Internet et leurs perceptions à propose la manière dont leur médecin les incitait à prendreeurs responsabilités et les impliquait dans la décision [10].’interprétation se complique si on tient compte que laatisfaction du patient est plus grande quand le médecinpprouve explicitement son usage de l’Internet [11].

Entre l’usage de l’Internet et les modifications de la rela-ion médecin-malade, il semble s’agir donc d’une influenceéciproque. Cette causalité circulaire est renforcée par lalace générale qu’a prise l’Internet dans nos vies, dont laanté n’est qu’une dimension. Plusieurs aspects de ce ren-orcement sont à l’œuvre. Dans le registre de l’efficience,’Internet est le moyen moderne, efficace, incontournable,u service d’une finalité généralement approuvée : procu-er les meilleurs soins de santé possibles [12]. C’est aussie médecin qui montre l’exemple : une étude australienneéalisée en 2007 a montré que 56 % des généralistes faisaientes recherches sur Internet pendant la consultation [13].n peut en rapprocher l’émergence d’une publicité faitear certains médecins sur la Toile pour leur propre activité14]. Plus la santé devient un marché, plus la consultatione rapproche d’une prestation de services, et plus le patientera incité ardemment à devenir davantage un consomma-eur et un usager. Aujourd’hui, adopter ces rôles passe par’Internet. Un certain mode d’information du patient, quiénère plus d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses,ontribue aussi au recours à l’Internet, lequel amplifie enoucle ce phénomène marqué d’un fond d’inquiétude.

À côté de la quête d’information, l’Internet fait aussi’objet d’une consommation anthropologique, à la foisxpérientielle et relationnelle, qui consiste à s’enquérir’expériences relatées sur le Web dans le but d’améliorere vécu au quotidien de la maladie, et d’obtenir du sou-ien via les relations nouées sur les forums de discussion

15]. L’entourage des malades s’informe peut-être davan-age encore que les principaux intéressés [16]. L’analysees blogs personnels qui ont pour thème principal la santé
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L’impact de l’Internet sur la relation médecin-malade

et la maladie montre qu’il s’agit pour l’essentiel de témoi-gner (notamment sur le quotidien des maladies rares), dedonner des renseignements pratiques (sans basculer dansle consumérisme médical), invitant à l’échange d’affectscompassionnels [17]. Une théorie du soutien social en ligne(online social support theory) a été proposée, pour intégrerles différentes modalités (mailing lists, forums de discus-sion, communautés virtuelles, chat on line) et les différentsmodèles théoriques de communication, dans une perspec-tive holistique fondée sur le paradigme du nursing [18].

Les médecins ne peuvent répondre seuls à cette demandeparticulière de socialité. Tout semble donc concourir à uneétroite corrélation et à des influences réciproques entreusage de l’Internet et modifications de la relation médecin-malade.

La couleur de fond, une doxa enchantéemalgré des obstacles techniques

Grâce à l’Internet, nous dit une doxa enchantée, la rela-tion médecin-malade accède à un niveau supérieur : mieuxinformés, les patients utilisent mieux les ressources de santéet leur compliance au traitement est meilleure [8,19,20].La connaissance est mieux partagée, ce qui améliore lacommunication en général. Les patients se sentent respon-sabilisés, habilités (mis en capacités), contrôlent mieux leurétat de santé (par exemple en accédant à leur propre dos-sier médical), sont plus à même de prendre des décisions,ou d’y participer activement. Le temps de la consulta-tion est mieux employé puisque des bases ont été acquisesavant la consultation. Le concept de consentement éclairéprend davantage de sens. L’information donnée par lemédecin est potentialisée. D’autres avantages sont sou-lignés : les groupes de soutien en ligne sont une sourced’encouragement et d’échanges entre patients ; grâce àl’accès aux données EBM et par les échanges avec ses pairs,le médecin améliore et actualise ses propres connaissances.L’usage d’Internet pourrait aussi favoriser la participationaux essais cliniques en oncologie [21].

Dans le chemin pour rejoindre cet optimum, on rencontrecependant quelques inconvénients auxquels il convient depallier. Par rapport à d’autres secteurs d’activité profondé-ment remaniés par l’usage de l’Internet, celui de la santéaccuse un certain retard [3]. Certains médecins (les aînés ?)peuvent être réticents à l’usage de nouvelles technologies[9]. La qualité variable de l’information disponible pose desdifficultés réelles : mal interprétée, elle peut compromettreles comportements de santé, amener le malade à demanderdes interventions inutiles ou dangereuses, accroître inuti-lement l’anxiété. L’étude sémantique des échanges sur lesite Ask the doctor relève la grande fréquence des questionsposées sur la cause des phénomènes et des maladies, et lafaible congruence sémantique des réponses avec les ques-tions [22]. Pour les marchands, l’Internet offre l’opportunitéde capturer les internautes pour d’autres fins [15].

On admet aussi, pour le public, que la pluralité desusages possibles comporte d’autres enjeux qu’une meilleure

compréhension de son état de santé au service d’un agirplus efficace [20]. L’asymétrie d’information pénalisait lespatients consommateurs : aujourd’hui ils peuvent choisir àquel producteur de soins ils vont s’adresser. Cet enjeu revêt

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ne grande importance dans les pays avec des systèmes inté-rés de type Health Management Organisations. Il y a aussia possibilité de remplacer la consultation physique par uneonsultation en ligne : en Suède, le site Infomedica offre unervice de consultation on-line, de plus en plus utilisé, parne clientèle majoritairement féminine [23]. Toutes sortese sujets médicaux sont abordés. Le service est utilisé 7j/7,t autant le soir ou la nuit que pendant la journée.

La question de l’accès à la Toile est d’ailleurs crucialeour éviter l’augmentation des inégalités de santé qui résul-erait d’un moindre recours possible à l’Internet. L’analyseontextuelle de la cohorte santé, inégalités et rupturesociales (SIRS) en région parisienne a montré de grandes dis-arités en fonction des caractéristiques socioéconomiques24].

Il nous semble toutefois que former les médecins auxouvelles technologies, garantir ou labelliser l’informationisponible [25], et démocratiser l’accès à ces informationse suffit pas à prendre la mesure de la nouvelle donne rela-ionnelle à laquelle les médecins sont invités à participer.’usage croissant de l’Internet force à une redéfinition desôles, laquelle n’est pas toujours aisée.

es rôles bousculés

ous verrons que nombre de médecins restent mitigés vis-à-is de ce qui est globalement considéré comme un progrès,t que les plus favorables au changement peuvent avoires raisons discutables de l’être. Du côté des patients, ononstate aussi une double tendance : certains semblent plusragilisés que renforcés, d’autres endossent leur nouveauôle avec plus d’enthousiasme, mais seront-ils prêts à enayer le prix ?

es médecins souvent sur la défensive

es médecins apparaissent souvent sur la défensive. Touteses autres avancées technologiques qui ont pris place dansa consultation étaient restées sous leur contrôle, alors que’Internet est autant aux mains des patients [26]. Si on parlearfois de relation triangulaire (médecin-web-patient), lariangulation peut devenir un ménage à trois avec un par-enaire jaloux, le médecin [11]. En fait de jalousie, ce quist exprimé se formule comme anxiété, frustration, irrita-ion, soit une perception globalement négative, comme leontre par exemple une enquête récente auprès de méde-

ins généralistes en Grande-Bretagne [27]. Les enquêtesenées auprès des médecins montrent qu’ils peuvent se

entir dépassés ou menacés par ce qu’ils percoivent commene contestation de leur diagnostic, de leurs connaissances,e leurs compétences, de leur autorité [11]. Les patientsont parfois ouvertement désapprouvés, et adoptent alorses stratégies prudentes pour avouer à demi-mot qu’ils ontrouvé des infos sur le web, sans faire perdre la face àeur médecin. Les patients informés de standards de bonnesratiques peuvent vérifier que les soins prodigués corres-ondent aux dernières recommandations scientifiques, voire

dopter un comportement processif. S’il faut commenteres informations du web, les consultations inutiles peuventugmenter, et le temps risque d’être gaspillé. Enfin, commeeaucoup de patients ne discutent pas avec leur médecin les
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nformations qu’ils ont trouvées sur l’Internet parce qu’ilsnt peur de sa réaction, il faut apprendre au médecin deouvelles stratégies d’accueil du malade « web-informé ».

Les médecins peuvent craindre la disparition de’avantage que leur conférait l’exclusivité du savoir. Ilseuvent être mis en face du fait que les patients seébrouillent mieux qu’eux pour trouver la bonne infor-ation sur Internet, et qu’ils sont moins au courant de

’état de l’art sur un sujet que leurs malades [28]. Ilsstiment que la consultation de l’Internet conduit souvent

la mésinformation, la confusion, la détresse, aux auto-iagnostics et automédications délétères [8,29]. S’imagineromme l’interprète ou l’herméneute nécessaires pour aidere malade à se débrouiller avec tout ce qu’il sait ou croitavoir apparaît alors moins comme la projection dans unouveau rôle que comme une responsabilité supplémentairet indésirable [29], au mieux comme un lot de consolationur fond de dévalorisation, de perte de notoriété, et d’uneoncurrence déloyale de légitimité qui tourne à leur désa-antage.

Bien sûr, quelques médecins ont une vision plus positive.insi en Israël l’enquête menée auprès de généralistes sala-iés d’organisations de santé montre une majorité d’opinionslutôt positives à propos des e-patients [28]. Ce peut êtreour des raisons pragmatiques : une durée moyenne deonsultation de cinq minutes suppose des compléments.ais d’autres médecins décrivent positivement leurs nou-eaux rôles auprès de patients qui se sont forgé deseprésentations de leurs problèmes de santé. Ces derniersttendent de leur médecin un avis sur ces informations,ne aide pour les interpréter et prendre une décision, desonseils pour trouver les sites fiables, des suggestions pouroursuivre leurs recherches sur des points précis.

La tendance à des perceptions plus positives peut sem-ler évolutive : majoritairement négative il y a quelquesnnées, et actuellement plus nuancées [30]. Mais ce constataraît réservé aux spécialistes, alors que les généralistesestent plutôt négatifs, que ce soit au Royaume-Uni ouu Canada [29]. Il faut rapprocher cela d’un constat plusénéral. La figure du notable expert est désacralisée, et laonfiance du patient ne lui est pas automatiquement acquise31], mais les spécialistes résistent mieux, probablementarce qu’ils incarnent davantage la médecine toujours pluserformante, parce qu’ils profitent plus qu’ils ne pâtissentu zapping médical qui fait jouer la concurrence entreechniciens de haut niveau [32], image qu’ils ne répugnenteut-être pas autant que les médecins généralistes à endos-er.

es patients déboussolés

es patients sont parfois fragilisés plutôt que renfor-és. Il apparaît dans les enquêtes que la consultatione l’Internet par les patients a des effets contrastésur leurs propres perceptions. Les conséquences positivesaugmentation des connaissances, diminution des craintes,onnaissance des droits, satisfaction avec le traitement),nt des contreparties négatives pour d’autres patients :

onfusion, anxiété, sensation d’être en chute libre dansne galaxie d’informations [33]. L’effet de l’information sura prise régulière du médicament n’est pas univoque : elleeut la faciliter ou la décourager. La connaissance des effets

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ndésirables, de plus en plus recherchée, est une source deréoccupation, mais ne conduit pas tous les patients à uneeilleure compliance [34].Vu du point de vue des médecins, le risque prin-

ipal encouru par les malades résulte des tentatives’autodiagnostic à partir de leurs symptômes [1]. Parfois,ela les amène à identifier correctement un problème deanté, et à consulter plus vite. Mais l’Internet est périlleuxour ceux qui sont enclins à l’hypochondrie. C’est laême chose d’ailleurs avec la communication des résultats’analyse et des courriers médicaux (rapports de consulta-ion et d’hospitalisation). Chacun peut se faire son film,e construire un scénario dont il est aussi l’acteur princi-al, héros ou victime. Le rôle du médecin restera essentielour aider les patients à se repérer. Certains malades neeuvent s’empêcher de se focaliser sur les informations leslus dramatiques. Ils peuvent être complètement perdus, nearvenant pas à trier, hiérarchiser, interpréter les donnéesui leur sont fournies. Les malades atteints de pathologiesncurables peuvent être attirés par des annonces fantai-istes, proposant de la macrobiotique pour guérir un canceru de l’oxygène hyperbare pour soigner le sida [26]. Leédecin est parfois dans une situation inconfortable quand

l tente de dissuader un patient désespéré de croire en desaux témoignages.

nternet et empowerment

ans la logique du patient partenaire actif et de la décisionédicale partagée, l’information n’est pas seulement unoyen pour des soins plus efficaces et une meilleure santé.’est aussi le médium pour une transformation nomméempowerment. Ce terme est difficile à traduire parceu’il englobe plusieurs dimensions : responsabilisation ;utonomisation ; habilitation ou capacitation ; attributione pouvoirs [35]. Pour atteindre ces objectifs, l’usage de’Internet constitue une plateforme importante. Le concept’empowerment est devenu une question stratégique poures politiques de santé, un des buts de la prévention, de laromotion et de la protection sanitaire dans les campagnese santé. La stratégie surfe sur l’hypothèse d’une hypercon-ommation caractérisant l’individu de la société hypermo-erne : instantanéité, séquences courtes de type stimulus-éponse [31]. Mais cette volonté d’émancipation passant par’Internet pourrait bien être aussi un des leviers sur les-uels s’appuie(ra) la gouvernance libérale des corps [36].’image d’un « consommateur » libre d’utiliser la technolo-ie et son contenu est cependant égratignée par une étudeanadienne portant sur les utilisateurs du site passeport-anté.net [37] : la perspective du consommateur affirmanta liberté de décision est concurrencée par la perspectiverofessionnelle qui décrit un internaute cherchant en fait àieux se conformer aux attentes des experts et à faire ceui est prescrit. Tous les malades n’ont donc pas adopté unomportement consumériste, loin s’en faut. Une bonne qua-ité de relation est d’ailleurs un frein au consumérisme [20].

es personnes qui ont confiance dans les médecins cherchenteu d’informations et ont moins de connaissance en santé.e ne sais pas jusqu’à quel point il faut vraiment s’en réjouir.’agit-il de rester ignorant pour faire confiance ?
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Conclusion

Ce qui est donc avéré est le sentiment d’un déplacementdans l’équilibre des savoirs/pouvoirs au sein de la consul-tation. Ce déplacement nécessite de la part des médecinsde nouvelles attitudes : ils doivent s’adapter à ce nouveaucontexte. Si la relation préalable était de bonne qualité,l’utilisation de l’Internet par les malades n’est pas unemenace. La satisfaction du patient est renforcée quand ilpeut parler de ses recherches sur l’Internet à son médecinet que ce dernier lui manifeste son intérêt ou son approba-tion explicite [11]. On peut supposer que les transformationsde la relation médecin-malade sont imprévisibles. L’Internetne dégradera pas par lui-même une relation de qualité. Maisil ne rétablira certainement pas une mauvaise relation. Lasatisfaction dans le soin joue un rôle important, non pastant pour prédire le recours à l’Internet, mais l’intensité dece recours et le degré de confiance qui lui est accordé. Lespatients satisfaits usent Internet comme source addition-nelle d’informations, les patients insatisfaits se tournentvers Internet comme source principale d’informations, etconsidèrent l’Internet comme une source plus crédible etplus autorisée que leur médecin.

Une autre perspective s’ouvre encore, avec le concept dee-Health 2.0 : c’est alors la communication avec le médecinqui se fait en ligne ; le patient peut implémenter son propredossier médical, et évaluer les services de santé qu’il aexpérimentés [38]. C’est aujourd’hui un usage encore confi-dentiel, mais qui amènera, s’il connaît une forte expansion,d’autres modifications d’importance [39].

Aujourd’hui plus que jamais, les transformations accélé-rées de la relation médecin-malade invitent à se pencher surson essence, son noyau dur. L’Internet a permis d’éreinterl’idée d’une rencontre médicale comme se déroulant entreun sujet vierge de tout savoir et un autre qui serait seulsupposé détenir le savoir. On s’apercevrait alors peut-êtreque la mise en crise de la légitimité du médecin parl’Internet n’a pas supprimé ce qui fait le cœur de la rela-tion, et qui ne repose pas que sur le savoir, partagé ounon [40].

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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