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Cahiers DU DOCUMENTAIRE Le documentaire dans le monde des médias audiovisuels . . 1 1 Mai 2013 .

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Cahiers DU DOCUMENTAIRE

Le documentaire dans le monde des médias audiovisuels. .1 1Mai 2013 .

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SOMMAIRE Directeur de publication : Patrick GIRARD

Tuteur de mémoire :Jean-Michel FRODON,

Journaliste et critique de cinéma, ancien rédacteur en

chef des Cahiers du cinéma

Rédaction/mise en page : Émilie LAMINE

Icônes & logos :Romain LAMINE

Photographies de couverture :Sugar Man, Vertov, Tahrir, Dayana Mini Market, pellicule Lumière

© Francetv.fr, blogg.org, Arte.fr, Bifi.fr, sentieriselvaggi.it

ISCPA LYON47 rue Sergent Michel Berthet 69009 Lyon04 72 85 71 73

questiondocumentaire.wordpress.com/

Une-hommage aux Cahiers du cinéma

L’héritage des actualités cinématographiques

Les pères du cinéma : Georges Méliès et les frères Lumière

Le journalisme audiovisuel en pleines mutations

Les origines du documentaire et ses frontières

Nouvelles technologies : un nouveau champ visuel

Entretien avec Thierry Garrel, ancien directeur documentaire sur ARTE

Info & docu : des divergences financières

Le succès du documentaire de société

Interview croisée d’un documentariste et d’un JRI

Nouveau public pour le web-documentaire

Le web-documentaire comme nouveau support des médias

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810 DOSSIER

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de l’information même si celle-ci ne cesse de changer en fonction des environnements. Cette place a sans doute gagné en nécessité et en singularité. On réalise depuis le début des années 2000, notamment en France mais pas seulement, plus de films documentaires que jamais au cours des trente années précédentes.

Émilie Lamine

Les belles frontières

C’est aussi de l’analogique et du numérique, de la télévision et du web. Aujourd’hui, on le décline volontiers en lui associant d’autres mots, du web-docu au docu-fiction. À défaut de savoir précisément ce qu’est le documentaire, on sait déjà un peu ce qu’il n’est pas, ce avec quoi il ne faut pas le confondre : le documentaire n’est pas un reportage. L’un et l’autre campent pourtant aux frontières du même territoire que l’on appelle la réalité. Mais ils n’y pénètrent pas de la même manière. C’est ainsi qu’ils modifient la nature de cette frontière-même. Cette histoire n’est pas nouvelle. Elle vient de loin, de plus d’un siècle maintenant ; depuis la naissance de ces deux pratiques caractéristiques de la modernité que sont la presse et le cinéma. Un nouvel épisode se joue actuellement sous l’éclairage des technologies numériques. Ça change. Un peu ? Beaucoup ? Complètement ? Tout cela reste à voir. Une chose est sûre, cela accuse les différences. Dans un monde marqué par l’accélération de la production et de la circulation des informations, la singularité du documentaire se remarque davantage. Il prend son temps. « Prendre son temps »... Cela ne signifie pas seulement qu’il est plus lent, mais qu’il construit sa propre temporalité, son propre rythme. Le documentaire se sert de ses propres modes d’articulation à la fichue et incernable réalité. Campant aux frontières, il les dessine lui-même pour mieux les franchir. Cette histoire... Les différentes techniques d’enregistrements et de diffusion l’ont marquée, non pas en étapes successives, mais par sédimentation. Elle a évolué avec les techniques du cinéma, les actualités filmées, les différents âges de la télévision, les outils successifs et les pratiques aussi, celle des professionnels, celle des publics. « Ceci n’a pas tué cela », disait Umberto Eco. C’est pourquoi le documentaire trouve sa place aujourd’hui dans les écoles de journalisme, sur les sites d’information et dans les festivals récompensant des reportages. Il tient depuis toujours sa place dans le monde

Le documentaire, c’est beaucoup et peu à la fois. Des images, des sons, des gens, des silences, des lieux et de l’imaginaire.

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Héritage d’un cinéma informatif

Le journalisme a quelques décennies d’avance sur le cinéma. C’est pourquoi les

deux médias se sont inspirés l’un de l’autre au fil du temps. Deux choses les relient : l’idée de démocratie et de diffusion de vision(s) du monde. Très tôt, s’inspirant de l’information de la presse écrite, le cinéma a inventé les actualités filmées. Plus tard, quand de nouvelles techniques l’ont rendu possible dans les années 50, le journalisme s’est inspiré des actualités filmées pour inventer les journaux d’information télévisés. Ainsi, journalisme télévisuel et cinéma ont appartenu à la même période, intégrés dans les idéaux collectifs d’une même société. Dans sa préface pour l’ouvrage Print The Legend, Irene Bignardi montre que : « Le journalisme tout comme le cinéma, ont un rôle crucial en tant que système d’information mais aussi de formation idéologique, politique, vérités et mensonges. Ils disposent d’un pouvoir de séduction aussi puissant qu’éventuellement pervers ».

Entre autres multiples aspects (un loisir de masse, une industrie, un art…), le cinéma participe très tôt à la production d’information. Beaucoup des premières vues Lumière documentent des événements de société, notamment des cérémonies impliquant des rois, des empereurs et autres puissants de ce monde. La notion de « véracité » n’est pas forcément invoquée, et des événements historiques sont remis en scène sans complexe avec des acteurs. Des faits divers propres à émouvoir les foules sont également enregistrés, voire organisés pour être filmés. Thomas Edison a par exemple fait tuer un éléphant par électrocution afin de filmer l’événement. Le film connaîtra un immense succès. Même si une telle date reste évidemment contestable, le film Nanouk l’Esquimau de Robert Flaherty, marque en 1922, la naissance du documentaire

l’usage du présentateur à l’image, et le journal se divise en petits reportages variés. En 1954, le présentateur fait son apparition ! Cette nouvelle figure va permettre au JT d’allier présentation, illustration en image et actualité. C’est donc au début des années soixante que la formule que l’on connait actuellement sur les chaînes comme TF1 ou France 2 grandit et s’impose. Le présentateur a une place primordiale et un rôle essentiel : il se fait intermédiaire entre l’information et le public. C’est aussi lui qui permet au journal télévisé de s’émanciper de la représentation cinématographique classique. Au-delà du JT, l’information se décline sous d’autres formes à la télévision, avec notamment l’émission 5 colonnes à la Une. Celle-ci entretenait une relation différente avec le cinéma, totalement détachée des actualités filmées.

« Le génie de la télévision, c’est l’image »Les pouvoirs politiques se posent très tôt la question du contrôle du sens des informations diffusées par le nouveau média, dont la puissance apparaît rapidement. En France, on trouve une curieuse approche, manifestée à l’occasion de la création du ministère de l’information suite à l’élection du général De Gaulle en 1958. Cette approche se fonde sur l’affirmation d’une neutralité de l’image et d’une défiance envers le commentaire. « Il suffit qu’on mette le journaliste en mesure de s’informer et de traduire son information en langage télévisé, c’est-à-dire en images parlantes… Le génie de la télévision, c’est l’image… […] Transformer le JT en un miroir. Transformer le présentateur en un simple meneur de jeu qui donne la parole, le plus possible, aux images », explique Alain Peyrefitte, ministre de l’information de l’époque, pour inaugurer la nouvelle formule du JT en 1963.

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Pierre Sabbagh a inventé le premier JT français en 1949

© INA

Cahiers du documentaire | Mai 2013 | HISTOIRE

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Le Coq claironnant de Pathé-Journal, la marguerite Gaumont, le générique des actualités françaises... Tous ces souvenirs que je n’ai pas connus sont de vieux souvenirs perdus. Pourtant les actualités cinématographiques n’ont disparu des écrans qu’en 1979 ! Alors oui, la presse filmée est née du cinéma et le journal télévisé provient directement de son héritage. Comme leur nom l’indique, les actualités filmées du XXe siècle étaient des nouvelles projetées dans les salles obscures avant la diffusion d’un film. Avec une naïveté qui leur était propre, elles parlaient de fêtes foraines et d’autres faits divers à l’origine. La notion d’information n’était pas antinomique avec celle de mise en scène et de divertissement. Ces petites informations étaient d’ailleurs plus actuelles qu’immédiates (une ou deux semaines après les faits), au contraire du journal télévisé qui les remplacera assez vite. En France, 1949 marque le passage de la presse filmée à la presse télévisée, même s’il faudra plus de dix ans pour que le nouveau média acquiert un poids sociologique décisif. Sous l’effet de ce basculement, l’information obtient un statut différent. On la regardera chez soi, seul ou en famille, sur un petit écran. Le côté collectif, attendu dans une salle obscure et sur un grand écran sera perdu. De ce point de vue, la rencontre avec l’information en image s’est

LES ACTUALITÉS FILMÉES EN FRANCE

Avant que le cinéma ne devienne un art, il était une industrie. Cette industrie a permis la création des premières actualités cinématographiques. Elles sont les ancêtres du journal télévisé que l’on connait actuellement. Peut-être bien plus que celle du cinéma documentaire.

« Cette nouvelle formule, qui supprime les commentaires pour laisser parler seulement les images ou les faits, ou alors des dialogues, marquera un progrès vers l’objectivité et la dépolitisation », ajoute-t-il.

L’écriture en héritageLaisser les images parler d’elles-mêmes fut aussi le credo de ceux qui ont créé les premiers JT et les premières émissions d’information à la télévision. Ce nouvel avatar du rêve impossible de l’objectivité détourne le regard du fait que toute information est inévitablement mise en scène. On met toujours en scène des évènements pour mieux illustrer une actualité. En s’inspirant de celles du cinéma de fiction, les mises en scène propres au journalisme d’image ont inventé leur propre rhétorique. Thierry Lancien, professeur en sémiotique des médias, explique que pour créer un évènement, il y a une notion de choix, de point de vue, de cadrage et de déplacement dans le champ à prendre en compte. Il y a par la suite un travail de représentation distinct de celui du cinéma. La télévision, qui est un média, travaille le visible et vise à le mettre en

partage. Le septième art a pour sa part affaire avec l’invisible. Cela vaut pour la production d’informations sur le réel comme pour la fiction. Au fil des années, la dimension « produit de consommation » de l’information télévisée s’amplifie. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la presse va jouer un rôle nouveau de quatrième pouvoir dans la société. Le rapport de force entre exigence d’audience et rigueur journalistique évolue. De manière peu prévisible, cette évolution ouvre un champ d’action élargi au cinéma documentaire, qui multiplie les propositions de constructions de rapports au réel, y compris sur les petits écrans. La relation entre les deux médias dans la production de représentations du réel est sujette à des variations. Dans les années 80, le documentaire aura du mal à faire face à l’arrivée et au succès des médias d’information, avant de trouver de nouveaux espaces d’expression.

1895 : Première bande d’actualité filmée1896 : Création de la société Pathé1908 : Création du journal Pathé-faits divers, premier journal filmé au monde.1910 : Création de Gaumont actualités1927 : Création du journal Pathé-Gaumont-Métro Actualités1930 : Arrivée du cinéma parlant1949 : Premier journal télévisé en France1975 : Dernier numéro du journal Pathé

rapprochée de la lecture (privée) du journal. En tout cas, le nom des maîtres de cette industrie des actualités cinématographiques est encore reconnu aujourd’hui et s’affiche en grand sur les salles de cinéma. Ce sont les frères Pathé et Léon Gaumont. En 1927, leurs deux sociétés s’allient avec la Metro Goldwyn Mayer, pour produire un journal commun : le Pathé-Gaumont-Metro-Actualités. Le journal se transformera en Pathé-Gaumont-Actualités jusqu’en août 1931. Enfin, en avril 1975, les sociétés Gaumont et Pathé s’unissent pour créer l’ultime média en commun : le Gaumont Pathé Magazine. Ils ne survivront que quelques mois. Aujourd’hui, les actualités filmées, (mais aussi les sujets non retenus dans les choix éditoriaux) sont conservés dans de nombreuses cinémathèques et archives (CNC, INA, Cinémathèque Gaumont, etc.).

Retrouvez la petite histoire des actualités filmées sur questiondocumentaire.wordpress.com

comme réalisation composée, mais revendiquant son rapport à une réalité préexistante. Le film suscitera d’ailleurs une polémique, annonciatrice d’un débat sans fin, sur l’authenticité de ses conditions de réalisation.Pour ce qui est des débuts du journalisme d’image en France, le journal télévisé est né en 1949, à l’initiative du journaliste Pierre Sabbagh. Son fonctionnement originel, en totale construction permanente, était une sorte d’ébauche du JT tel qu’on le connait actuellement. Superficiellement, il apparaît comme une imitation des actualités de l’époque. Rétrospectivement, on peut se demander si ces « actualités filmées » étaient vraiment du cinéma, ou plutôt une manière de faire du journalisme d’image

avant que l’outil approprié, la télévision, existe. Il y a de bonnes raisons de considérer les actualités filmées bien davantage comme la préhistoire du journal télévisé que comme une des formes de cinéma. Le documentaire se distingue en tout cas de ce que l’appareil cinématographique a fait dans le cadre des actualités filmées. Dans celles-ci, les premières informations télévisées ignorent

Jacqueline Joubert est la première présentatrice TV en 1949

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | ORIGINES

Et le cinématographe fut...

Lumière

Établir le premier inventeurQuelques noms sont encorepour sa technique dugrandes figures ont marquéles frères Lumière cinématographe et les qui se transformeraGeorges Méliès pour ses son rôle considérable dans

AVANT - Il y avait deux frères déjà. Max et Emil Skladanowsky, inventeurs du bioscope, sorte d’appareil optique servant à reproduire des images ou des photographies. Reconnus pour leurs trouvailles techniques, ils projettent un film lors d’une des premières représentations publiques et payantes au Wintergarten. Cela se passe le 1er novembre 1895, quelques semaines avant la séance Lumière du 28 décembre au Grand Café à Paris.

Lumière. Comme si leur destin avait été tracé sur leur acte de naissance. En 1894, les deux frères examinent le kinétoscope de Thomas Edison. Cette machine inventée en 1888 permettait à une personne de visionner une image par le biais

d’une fenêtre. C’est l’un des premiers appareils de visualisation cinématographique. Après cette découverte, les frères s’intéressent à l’idée de diffuser des images animées. « Mon frère en une nuit avait inventé le cinématographe », racontait Auguste, l’ainé des deux frères. Le brevet est déposé le 13 février 1895, il porte alors le numéro 245.032. Un mois plus tard, ce que l’on considère dans l’histoire du cinéma comme le premier film (documentaire), La Sortie des ouvriers de l’usine Lumière à Lyon, est projeté pour quelques personnes. Il faudra attendre décembre 1895 pour assister à la première projection publique, et payante (un franc). À partir de cette date, plus un jour ne s’écoulera sans qu’il y ait une, et bientôt beaucoup, de projections à Paris, en France et dans le monde entier. Mais si les bandes « documentaires » dominent dès la première séance, un film de fiction y figure tout de même, la saynète comique de L’Arroseur arrosé… En 1897, le premier catalogue des frères Lumière est diffusé. Il regroupe alors de nombreuses « vues », toutes de moins d’une minute (la durée d’une bobine de pellicule). La plupart sont des enregistrements de situations réelles, d’autres sont plus ou moins mises en scènes, voire expérimentent les premiers trucages comme la Démolition d’un mur, projeté à l’envers. L’industrie du cinéma fait ses premiers pas. Puis le succès est tel que de nombreuses personnalités souhaitent s’emparer de l’invention des deux frères. Le cinématographe-théâtre est investi par les plus grands du spectacle. Georges Méliès propose alors 10 000 francs pour le brevet. Les deux frères refusent. Si

l’on regarde de plus près le principe des premières images diffusées par les frères Lumière : ce sont des faits d’actualité retranscrits sur grand écran. Louis et Auguste plantent dès la fin du XIXe siècle, les premiers germes du journalisme en image. Ce sont, en partie, les prémices des futures actualités télévisées.

Le cinématographe Lumière a été inventé en 1895 par les frères Auguste et Louis Lumière.

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du cinéma relèverait du défi.débattus comme celui d’Edisonkinétoscope. Deux autres l’histoire du cinéma:pour leur invention du prémices d’une industrieen art et inventions de trucages etla naissance de la fiction.

& Méliès

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Celui qui se qualifiait comme le « Jules Verne du cinéma, le magicien de la fantasmagorie, le magicien de l’écran », est élu en 1900 président de la première Chambre syndicale des Editeurs cinématographiques. Mais avant de devenir un des pères « féérique » du cinéma, Georges Méliès a fini sa vie, ruiné dans un kiosque de souvenirs à la gare de Montparnasse. Il a été retrouvé et identifié par le journaliste Druhot. En 2011, Martin Scorsese relate cet épisode dans son film Hugo Cabret (adaptation du roman pour enfants The Invention of Hugo Cabret de Brian Selznick en 2007).

Mécanicien, acteur, dessinateur, décorateur de théâtre ou encore illusionniste, Georges Méliès avait de multiples talents. Son premier fut d’organiser de véritables spectacles à partir de son savoir-faire de prestidigitateur. Lui qui

était présent dès la séance fondatrice du 28 décembre 1895, est l’un des premiers à considérer les nombreuses possibilités de spectacle offertes par l’invention des frères Lumière - on verra combien la notion de spectacle sera importante dans l’évolution des médias. Ses premières productions présentent pourtant des scènes réalistes de la vie quotidienne. Il les appelle Scènes des villes et des champs. Il invente même un procédé pour mieux décrire la réalité en faisant effectuer à sa caméra un tour complet sur elle-même pour filmer entièrement un lieu. Mais surtout, il met en scène des événements historiques ou d’actualité. Il consacre ainsi douze films à l’Affaire Dreyfus en 1899, dont une Bagarre entre journalistes. Tous sont des reconstitutions interprétées par des acteurs et par lui-même. Pour les réaliser, G. Méliès – qui a aussi pratiqué le journalisme dans les années 1880, au journal La Griffe dirigé par son cousin - a mené sa propre enquête et assisté au procès de Rennes. L’Affaire Dreyfus anticipe, avec des moyens qui sont ceux de la fiction (décors, costumes, acteurs) ce qui deviendra ensuite le langage du récit d’actualité en images. Mais avec dans ce cas, l’affirmation claire d’un point de vue sur l’événement. Méliès tournera d’autres reconstitutions, comme Éruption du Mont Pelé ou Catastrophe du Maine. Si Georges Méliès est entré dans la mythologie comme le grand inventeur de trucages au service de fantasmagories, on voit qu’il était loin d’être indifférent au réel et à ses ressources spectaculaires. L’opposition souvent invoquée entre les frères Lumière, réalistes, « documentaires » et Méliès, le fantaisiste père de la fiction au cinéma, apparaît donc en grande partie schématique. Elle aura du moins eu le mérite de personnaliser les deux horizons qui polarisent le cinéma : le réalisme, l’artifice de la mise en scène. Des horizons qui sont toujours l’un et l’autre présents dans tout film de cinéma, quoique de manière très variable.

Georges Méliès réalise Voyage dans la lune en 1902. Le film est inspiré de La Terre à la Lune de Jules Verne

Du réel et du spectaculaire

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« À la course de l’actualité »Né sous la forme imprimée, le journalisme s’est décliné sous plusieurs formats au cours de son histoire (les actualités filmées, la radio, la télévision, et plus récemment internet). Ces évolutions ont modifié la façon d’informer et de s’informer. Aujourd’hui, le journalisme traverse une phase d’incertitude riche de possibilités nouvelles mais qui fragilise ses anciens repères. Pour l’instant, il se noie un peu dans des bouleversements numériques et dans l’opinion publique de plus en plus exigeante. Le journalisme actuel est en perpétuel mouvement, en pleine mutation.

Lors de « l’affaire Françoise Claustre », cette archéologue

française enlevée au Tchad en 1974 par des rebelles, le photographe, documentariste et reporter Raymond Depardon, est allé sur place avec la photographe Marie-Laure de Decker. Après des mois passés avec les rebelles et leurs chefs, ils sont autorisés à interviewer la détenue. La diffusion de cet entretien en France fait mouche et émeut l’opinion publique. Paris décide alors de payer la rançon mais le gouvernement est furieux. Ces images réalisées dans les années 70 par Raymond Depardon n’auraient pas le même destin aujourd’hui.

Elles passeraient en boucle sur les blogs citoyens comme AgoraVox. Elles auraient également fait le tour des réseaux sociaux et conduit à de nombreux commentaires des internautes, à des débats sous forme de Tweets sur le rôle du gouvernement en temps de prise d’otage, etc. Les nouveaux acteurs des médias actuels sont les spectateurs et plus seulement la presse. Même si cela se joue souvent en 140 signes.

La grand-messe de 20hPour Thierry Lancien, professeur en sémiotique des médias : « Le journal télévisé traverse une période de turbulences

marquée par l’arrivée de formules concurrentes et de nouveau dispositifs d’accès à l’information. Son atout est pourtant de s’ancrer dans une histoire médiatique et culturelle complètement différente de celle d’internet ». La construction du journal télévisé se divise en reportages. Le commentaire, la voix off et le présentateur ont pris une large place dans le mode d’information. « Pour TF1 et France 2, les chiffres d’audience sont en baisse, le public est vieillissant et les critiques virulentes », insiste Thierry Lancien. Le JT ne serait-il plus compatible avec le public actuel ? Florence Ferrari a fait les frais de cette interrogation en mai 2012 lorsqu’elle a dû quitter le 20h de TF1. L’audience n’étant plus bonne, c’est le présentateur qui semble être tenu pour responsable.

Plutôt que de tenter de modifier son modèle d’information, la chaîne se réfère aux chiffres d’audience* et à la figure

Raymond Depardon

© blog.m

adame.lefigaro.fr

Cahiers du documentaire | Mai 2013 | MÉDIAS ACTUELS

8 Impression d’écran d’une vidéo sur l’histoire du journal télévisé en France.  © INA

Gilles Bouleau, présentateur du JT de 20h sur TF1

du présentateur qui passe mieux face aux spectateurs. Après Patrick Poivre d’Arvor et Harry Roselmack, ces indécisions sur le choix du présentateur ont pourtant été bien prises par le public, si l’on s’en réfère justement aux chiffres d’audience. Gilles Bouleau présente actuellement le 20h de TF1. Dans un de ses articles pour Le Monde (janvier 2013), Marie de Vergès constate que le nouveau présentateur propose moins de sujets mais plus de décryptage. Elle explique que selon la directrice de l’information, Catherine Nay : « Il fallait rompre avec une culture de l’exhaustivité, faire des choix plus affirmés ».

Un monde de concurrenceÉvidemment, le changement de présentateur n’est pas la seule préoccupation des JT. Ils doivent faire face à d’autres remises en cause comme l’arrivée de la TNT en 2005 et les chaînes d’information en continu comme BFM, France 24, LCI ou encore Itélé. Dans ces nouvelles formules, les reportages sont bien plus courts et plus nombreux. Le téléspectateur est donc informé presque en instantané sur des faits d’actualité qui passent en boucle. Il faut également prendre l’internet en considération. Le public s’informe tout au long de la journée, au travail, en voiture, chez lui, entre deux cafés… sur son téléphone ou son ordinateur. Le JT de 20h que l’on considérait comme « la grand-messe » n’est donc plus si attendu, et pourtant... La TV n’est pas encore dépassée par internet. Mais l’expérimentation de nouvelles formes est un challenge pour les différentes émissions d’information télévisées. Pour le JT particulièrement,

puisqu’il s’est forgé sur des traditions et est présent dans le décor télévisuel depuis soixante ans ! L’information télévisée va devoir trouver de nouvelles idées pour attirer le téléspectateur, aujourd’hui habitué aux changements

rapides et aux nouveautés. C’est un fait, le journalisme audiovisuel actuel est fait de concurrences et de consommation en pleines mutations.

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CHIFFRES D’AUDIENCE*TF1 - De septembre à fin décembre 2012, le JT a gagné 600 000 nouveaux téléspectateurs par rapport aux premiers mois de l’année. Soit 27,4 % de part d’audience. Presque 7 millions de personnes pour le JT de TF1 chaque soir.

France 2 - 1,7 million de téléspectateurs de moins que TF1. Un peu plus de 5 millions de téléspectateurs chaque soir tout de même (chiffres Médiamétrie -

janvier 2013).

Valéry Giscard D’Estaing suivi de

Raymond Depardon en 1974, dans Une partie de campagne© toutlecine.com

Laurence Ferrari au JT de 20h de TF1.

© TF1

France 24 est une des chaînes d’info en

continu © lexpress.fr

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Le documentaire a été le premier modèle du Septième Art. Ce genre noble des débuts s’est vite transformé en genre maudit au cours de son histoire. On le comparera aussi beaucoup au reportage. Mais si le documentaire n’est pas un média d’information, il est pourtant ancré dans cette même culture de la télévision et de ses engrenages. À la fois dans ses financements mais aussi dans sa diffusion. Pourtant, la télévision n’est pas la seule garante de ces deux médias. Même si l’entente n’a pas toujours été facile entre documentaristes et journalistes sur le petit écran, les frontières s’ouvrent et de nouveaux lieux s’offrent aujourd’hui à eux. Ils se retrouvent de plus en plus sur les podiums de festivals et sur le web. Des représentations documentaires vont sortir des sentiers battus pour laisser place à de nouvelles images.

En France, le documentaire a connu un déclin important dans les années 70. À cette époque, de nouveaux circuits parallèles, généralement militants, vont se créer. En effet, l’intégration du documentaire à la télévision n’a pas été chose facile. Pour Didier Mauro, réalisateur et théoricien du documentaire, les raisons étaient diverses : « Il y a eu le démantèlement de l’ORTF, une hégémonie du mode de traitement journalistique et une nouvelle course à l’audience »*. Parallèlement, le Journal Télévisé va multiplier les sujets d’actualité en instaurant de courts reportages et ainsi imposer un nouveau mode d’information. Cette offre est alors justifiée par ce que les rédactions considèrent comme une nouvelle demande du public. Le sociologue Pierre Bourdieu qualifiait ces informations d’omnibus*1 : « Une part de l’action symbolique de la télévision, au niveau des informations, consiste à attirer l’attention sur des faits qui sont de nature à intéresser tout le monde, donc on peut dire qu’ils sont omnibus. Ils ne doivent choquer personne, sont sans enjeu, ne divisent pas, font le consensus, et intéressent tout le monde mais sur un mode tel qu’ils ne touchent à rien d’important ».

DOCUMENTAIRE &Chacun sa place à la télévision...

*Praxis du cinéma documentaire, Publibook, Paris, janvier 2013*1 Sur la télévision, Liber-Raisons d’agir, Paris, 1996

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Cette « emprise du journalisme » (cf. Pierre Bourdieu), a provoqué une domination sur les programmes de la télévision, dont les documentaires. Mais l’arrivée des chaînes privées comme Canal + en 1984 et la création de La Sept en 1989 (actuellement ARTE), apporteront des changements considérables. La télévision va élargir ses programmes vers l’animation, la fiction et le documentaire. C’est également à ce moment-là que l’industrie des médias va commencer à se développer et le système de production a évoluer. Aujourd’hui, le documentaire a retrouvé ses lettres de noblesse, mais sa renaissance à la télévision est assez récente. On est passé de moins de 100 heures de production documentaire en 1986, à 2748 en 2002 ! L’année dernière, 2921 heures ont été produites, bien plus que les autres genres audiovisuels (fiction, animation, magazine). Cela s’explique par le temps de préparation bien plus long et par un nouvel engouement pour le documentaire en France. Mais pour que le documentaire ait autant de succès aujourd’hui dans les salles et à la télévision, il aura fallu de nombreuses réflexions sur son économie et sur la reconquête de son public dans les dernières années.

MEDIAS EN IMAGE

© vintag.es

Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

Portrait de Chris Marker et de son chat Guillaume-en-Egypte. © Les Films du jeudi

Chris Marker est mort le 29 juillet 2012. Son œuvre était en grande partie composée « d’essais cinématographiques* » documentaires. Ne se considérant ni comme un cinéaste, ni comme un artiste, mais plutôt comme artisan, Chris Marker mélangeait les genres. « Les éléments se combinent comme des pièces de mon Meccano imaginaire, je ne me demande jamais si, pourquoi, comment... ».*1 En alliant individuel et collectif, son cinéma est marqué par de nombreuses collaborations (Alain Resnais…) et par une vision personnelle, engagée, et ouvertement subjective du monde. Il s’intéressait à la fois à la mémoire, à la circulation dans le temps (La Jetée, 1962), mais aussi au présent, dont les nouvelles technologies le marqueront. « La difficulté des temps est qu’avant d’apporter des idées nouvelles il faudrait détruire tous les simulacres que le siècle, et son instrument favori, la TV, génèrent à la place de ce qui a disparu. C’est pourquoi je suis passionné par toute cette nouvelle grille d’informations, internet, blogs, etc. Une nouvelle culture naîtra de là »*2. Il questionnait aussi beaucoup la relation entre l’image et les mots. Dans un recueil de « Commentaires », il publie en 1961 les scénarios de certains de ses films comme Les Statues meurent aussi ou encore Dimanche à Pékin. Une manière de redonner au spectateur son pouvoir, en lui donnant « son » commentaire.

LA BANDE À LUMIÈRE

En 1985, quelques réalisateurs et producteurs (Yves Billon, Jean-Michel Carré, Yves Jeanneau, Jean Rouch...) se réunissent pour créer la Bande à Lumière (présidée par Joris Ivens) et faire revivre le documentaire en France. À l’époque,

le ministère de la Culture propose un nouveau fond de soutien pour le cinéma, mais le documentaire y est absent. Leur action fait suite aux revendications du Groupe des 30 (soutenu par Chris Marker ou encore Alain Resnais) dans les années 50, qui défendait déjà le court-métrage et le documentaire discriminé au bénéfice du cinéma de fiction. Sous la pression de la Bande à Lumière, le genre documentaire est remis au-devant de la scène et le terme de documentaire de création est créé en réaction au concept journalistique, comme vision objective du monde. Il se démarque officiellement et pour la première fois du reportage. Depuis, un label reconnu du CNC lui permet l’intervention du fonds de soutien. Le 6 juin 1986, la Bande à Lumière organise une manifestation nationale : plus de 1500 documentaires sont montrés dans 70 villes et provinces. Après le succès de l’évènement, ils entreprennent pendant trois ans, un travail de réflexion sur le genre documentaire tout en se battant pour affirmer sa valeur culturelle. Pour trouver une économie rentable du documentaire de création, ils vont démarcher des décideurs et constituer des réseaux de production. De ces réflexions et du succès de la manifestation de 1986, l’évènement se transforme en festival. Les États Généraux du Documentaire s’ouvrent à Lussas en 1989 ! Ils deviennent un lieu d’échanges et de rencontres pour les professionnels et permettent également de renforcer l’engouement du public pour le genre documentaire. La 25e édition aura lieu du 18 au 24 août 2013. Dans leur élan, ils créeront plusieurs autres manifestations : la première Biennale Européenne du Documentaire à Lyon qui se déplacera à Marseille et deviendra le FID (aujourd’hui basé à la Rochelle), le Sunny Side of the Doc, pour aborder le versant économique de la production…

CINÉMA DU RÉEL

Yves Billon

Jean Rouch

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Trois membres de la Bande à Lumière

Jean-Michel Carré

* Didier Coureau écrit dans l’ouvrage collectif L’essai et le cinéma que « l’essai est une forme qui pense ». Jean-François Lyotard écrit que « l’essayiste et l’artiste travaillent sans règle afin d’établir les règles de ce qui aura été ».

*1 « Je ne demande jamais si, pourquoi, comment… », Entretien avec Jean-Michel Frodon, Le Monde, 20 fevrier 1997.

*2 La seconde vie de Chris Marker, entretien pour les Inrockuptibles, 2008.

en 1955 et plus tard Shoah de Claude Lanzmann, 1985…

Rapport entre réel et fictionDans les années 50 en France, des ethnologues et sociologues commencent à intégrer les outils cinématographiques à leur travail, pour aller vers « une objectivité scientifique ». Leur science donnera parfois lieu à du cinéma direct. Jean Rouch est un des fondateurs de l’anthropologie visuelle. Pour lui, la meilleure façon de connaître les populations étudiées est de les faire participer à un « processus filmique » et d’y allier de la fiction. Il réalise plusieurs films en

Les différentes tendances du d o c u m e n t a i r e

s’inscrivent dans plus d’un siècle d’histoire du cinéma. Quelques grands maîtres marqueront cette histoire avec différents styles : le cinéma direct, la caméra-œil de Dziga Vertov, le cinéma d’essai (Agnès Varda, Chris Marker…), le documentaire ethnographique (Jean Rouch)…

Filmer le réelÀ travers ses guerres, l’Holocauste et la révolution bolchevique, l’Histoire a posé les fondements du documentaire. Après la Seconde Guerre mondiale, filmer le réel devient une volonté essentielle pour les cinéastes. Comment montrer la réalité ? Les Soviétiques vont mener une réflexion sur cette image du réel et sur le documentaire : L’homme à la caméra de Dziga Vertov en 1929 ou encore Le cuirassé Potemkine d’Eisenstein en 1925. L’Holocauste fera également l’objet de plusieurs films comme Nuit et brouillard d’Alain Resnais

Alain Resnais

L’homme à la caméra de Dziga Vertov, 1929

Avant 1985, quelques documentaristes étaient intégrés dans les chaînes. Ils avaient une autorité qui leur permettait une

certaine autonomie. Il existait d’ailleurs à cette époque une carte de réalisateur. Et puis il y avait les indépendants qui étaient

souvent très engagés politiquement, et plutôt à gauche... Ceux-là sortaient leurs films en salle, car dans les années 60 et 70, il y avait un public pour ce cinéma. À partir des années 80, le monde a changé. L’attrait du public pour le cinéma militant s’est épuisé. En 1986 il n’y a presque plus que des documentaires animaliers à la télévision française ! En 1987, la naissance de la Sept, permet au documentaire de création de continuer d’exister à la

télévision. Thierry Garrel, directeur de l’unité documentaire, a largement contribué à renouveler le genre en imposant des standards de qualité très élevés. Dans le même temps, les journalistes, se sont beaucoup emparés du savoir-faire des documentaristes. Ce qui a été ressenti, c’est qu’ils ont pris un terrain qui était occupé

auparavant par les documentaristes.

Extrait d’un entretien avec un documentariste français, qui a souhaité rester anonyme. - entretien à Paris, février 2013 - La situation des documentaristes français dans les années 80.

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Dziga Vertov, cinéaste soviétique des années 1920-1945, invente le concept de Kino-Pravda, qui signifie ciné-réalité en russe. Pour lui, les scénarios ou les acteurs n’ont aucun intérêt dans un film. C’est la caméra qui permet d’aborder des thèmes de société, comme la lutte des classes. La caméra est donc un perfectionnement de l’œil humain, qui lui, est imparfait. Il parle alors de « Cinéma-Œil » afin de pouvoir « prendre la vie sur le vif ».

Afrique comme Moi un noir, en 1958 ou Les Maîtres Fous en 1954. D’autres créeront après lui, des formes autour du cinéma du réel, en réinterrogeant le rapport entre le documentaire et la fiction : les faux documentaires d’Orson Welles, F For Fake, 1973 et de Woody Allen, Zelig, 1983.

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

Dans les années 60, l’allègement du matériel de tournage et d’enregistrement des sons a considérablement modifié la façon de voir et de filmer dans le monde de l’audiovisuel. C’est en partie grâce à ces techniques que les langages documentaires ont évolué, pour laisser place à des formes diverses et à différentes manières de filmer le réel.

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Bricoleurs d’images

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DATES REPÈRES

1895 : Invention du cinématographe1923 : Apparition de la caméra 16mm1927 : Le Chanteur de Jazz d’Alan Crossland, est le premier long-métrage en son synchrone.1930 : Apparition du technicolor 1938 : Démonstration de la télévision couleur, les images sont retransmises depuis le Crystal Palace au Dominion Theatre de Londres1967 : Invention du TIME CODE qui évite le décalage entre son et images.1970 : Apparition du Dolby StéréoAnnées 2000 : Installation progressive de matériel HD et des caméras numériques

le HI-8, standard analogique d’enregistrement pour les caméscopes et le Betacam, format d’enregistrement vidéo sur bande magnétique (développé par Sony en 1982). Le matériel devient de plus en plus léger, sophistiqué et de moins en moins onéreux ! Dans les années 90, la vidéo numérique fait son apparition avec les DV, DVCam, DVC Pro. S’en suit l’arrivée des caméscopes Haute Définition, à prix abordables, qui profiteront aux différents acteurs de l’audiovisuel. Depuis 2010, les HD sont largement utilisées. Avec toutes ces évolutions d’allègement et l’abaissement des coûts du matériel, les cinéastes vont pouvoir concevoir, réaliser et monter leurs films jusqu’au PAD (prêt à diffuser).

Dès les années 20, l’apparition des caméras 16 mm et le son synchrone des magnétophones avec système de pilotage au quartz a un impact conséquent pour les cinéastes. Ces instruments deviennent l’outil de prédilection des documentaristes. Jean Rouch et Frederick Wiseman en feront usage par la suite pour leur cinéma du direct. C’est dans les années 60 que les cinéastes révolutionnent vraiment la façon « traditionnelle » de faire du documentaire, à l’aide d’appareils plus légers et silencieux, et de pellicules sensibles. Le documentaire profite également des techniques de transmission de la télévision pour faciliter la prise de vue hors studio. Le début des années 80 marque l’apparition de la révolution vidéo avec

Le CNC, ancien Centre National de la Cinématographie a été créé en 1946. L’inspiration culturelle aujourd’hui ancrée au CNC est née du ministre de la culture de l’époque,

André Malraux. En 1959, il rattache le CNC au tout nouveau ministère de la Culture. Actuellement, le CNC permet entre autres, un soutien économique aux œuvres de l’audiovisuel, à leur diffusion et à leur protection. En 2012, le CNC a soutenu la production de 5 151 heures de programmes, soit plus 6,2 % par rapport à 2011. En revanche, les créations journalistiques ne sont absolument pas reconnues par le CNC et ne bénéficient par conséquent, d’aucune aide.

Les chaînes de télévision publique ne sont pas les seules alternatives de financement pour le documentaire

mais elles restent la voie la plus accessible. Le réalisateur passe par un producteur qui passe par un diffuseur qui discute avec une chaîne de télévision. Peu de documentaires ont la chance de sortir au cinéma lorsqu’ils ne sont pas achetés par les chaînes. Il faut pourtant nuancer tout cela avec les festivals de plus en plus présents pour diffuser les films et les soutenir. En tout cas, les diffuseurs de la TV sont les premiers financeurs en termes de documentaires en France. Ils assurent la moitié des investissements si l’on s’en réfère aux derniers chiffres du CNC (avril 2013). En 2012, avec plus de 223 millions d’euros, les engagements des diffuseurs ont progressé de 17,9 %. Le plus gros apport étant celui de France Télévisions. Au niveau des chaînes télévisées, ce sont les chaînes privées de la TNT gratuite qui commandent le plus de documentaires. De son côté, le CNC offre de plus en plus de subventions

aux producteurs : 87 millions en 2012, soit une hausse de 8,3 % par rapport à 2011. 2 921 heures de documentaire ont bénéficié du soutien financier. Le reportage pour sa part, n’est pas soutenu par le CNC. La ROD (Réseau des Organisations du Documentaire) le rappelle : « Le documentaire est souvent sciemment confondu avec le reportage. Or, la distinction a son importance car un programme qualifié de reportage par le CNC n’ouvre pas droit au COSIP [Compte de soutien à l’industrie de programmes] pour son producteur ». C’est donc France Télévisions qui est l’un des premiers employeurs de journalistes en France. Il est également un des actionnaires fondateurs des chaînes d’information Euronews et France 24.

L’audience, maîtresse financièreTourner pour la télévision signifie aussi se plier à des formats. Sans pour autant appliquer officiellement des règles éditoriales, les diffuseurs interviennent souvent dans la finition du « produit ». L’auteur doit alors

Money makes the world go aroundD’un point de vue financier, journalistes et documentaristes ne jouent pas dans la même cour. Le secteur public audiovisuel dépend principalement de la redevance, de la vente de programmes à l’étranger, et de la publicité. Mais le documentariste est plus indépendant que le journaliste puisqu’il ne travaille pas directement pour les chaînes, mais avec elles. Cependant, même si la ligne éditoriale n’existe pas pour eux, les contraintes auxquelles ils sont confrontés en termes de financement font qu’ils dépendent aussi parfois de l’avis d’un diffuseur ou d’un producteur.

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QUELQUES CHIFFRES

Financement du documentaire en 2012, en France © CNC, avril 2013

(Pourcentages & données de la SCAM et du CNC) 56 % des auteurs considèrent que les diffuseurs s’immiscent dans leur travail de création, 8 % considèrent cette ingérence comme positive,27 % considèrent qu’elle dénature leur travail, 23 % considèrent que leur dernier film ne correspond pas à leur projet initial à cause de cette intervention 36 % ont dû réécrire les commentaires de leur dernier film à la demande du diffuseur. 2921 documentaires aidés en 2012 contre 2665 en 2011

Éric Garandeau est président du CNC depuis le 1er janvier 2011

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adapter le contenu en fonction du public visé, des horaires de diffusion, et du média… Cela signifie une réduction des durées de plans, des entretiens, des silences et des plans fixes… Ce sont des règles qui s’appliquent également au journalisme télévisuel. L’audience ordonne le système des chaînes publiques depuis une vingtaine d’années. C’est elle le plus grand financeur. Elle dicte l’écriture et le formatage du documentaire à la télévision.

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

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ENTREVUE AVEC THIERRY GARREL

Thierry Garrel est un ancien membre de l’ORTF, de l’INA mais également ancien directeur de l’unité documentaires sur la chaîne ARTE depuis sa naissance en 1992, et sur la Sept depuis 1987. Il est actuellement heureux retraité et vit entre la France et le Canada. Occupé par un projet multimédia sur la préservation des baleines blanches au large de Vancouver, il reste fidèle à sa cause et se qualifie aujourd’hui comme « consultant bénévole de bonne cause documentaire » ! Entre deux discussions sur les baleines, nous avons parlé documentaire.

Meurice sur Elf ou sur le Crédit Lyonnais, dans lesquels il s’appuie sur un travail journalistique approfondi, avec des entretiens de première main, des protagonistes principaux. En même temps, il les organise de manière filmique avec des formes qui emprunteraient au langage documentaire.

Il y a toujours eu cette confusion autour du terme documentaire. Est-ce quelque chose qui vous dérange ?Non, il y a une raison historique à cela. Dans ses premiers âges, la TV était considérée comme moyen de partager des expériences, de s’ouvrir sur le monde. Elle était par nature et par essence, documentaire. Assez rapidement finalement, le journalisme a phagocyté le documentaire en TV. Il a progressivement développé des formes qui se sont prétendues documentaires. Dans le même temps, il a minoré des formes plus créatives, plus métaphoriques. Il y a donc eu ces effets de conclusion. D’ailleurs, récemment, le festival de Cannes a donné à Michael Moore un prix documentaire [ndlr. Farenheit 9/11]. C’est pourtant une forme de journalisme engagé. Il a filmé des faits, il n’a pas échangé de pensées.

Le documentaire pourrait-il être complémentaire au journalisme d’actualité ?Au XIXe siècle, les journalistes se battaient pour les droits humains. Depuis la mondialisation, le journalisme est rentré en crise. Dans le système des grands médias, c’est devenu un art spécial conditionné par les gros titres, le désir d’attraper la plus grande audience. Cette compétition fait que les valeurs initiales de porter

à la connaissance du plus grand public des faits pour aider à une mutation d’une société, de porter la vérité, sont en perdition. L’actualité a tué le journalisme. Ce besoin de transmettre rapidement avait un sens au XIXe et peut-être au XXe. Plus tellement aujourd’hui finalement. On est dans un sentiment du présent, de l’actuel; pourtant ce qui est actuel échappe probablement à cette temporalité brève, ce n’est pas durable. On efface tous les jours le tableau, comme une espèce de papillonnage où l’on étale des morcellement de faits, dont le spectateur ne peut trop rien faire. Les faits sont des faits sans cause, repêchés avec rien de ce qui vient avant ou de ce qui vient après. Le documentaire réorganise une certaine cohérence dans l’organisation des pensées qui environnent des faits. Bien sûr, il y a aussi des faits dans le documentaire, on parle du monde réel, pas de la planète Mars. Mais souvent plus en profondeur.

Le documentaire peut donc avoir l’impact d’une information différente...Il y a eu relativement peu d’études sur ce que les images font aux gens mais ce que l’on vérifie lorsque l’on est spectateur, c’est que dans le temps organisé par le documentaire, on pense. Ils produisent des effets de mémoire. À une époque où l’information mondialisée est partialisée en millions de petits faits, c’est important. La pensée peut toujours être appliquée de manière analogique à un autre objet, c’est dans ce sens que le documentaire est métaphorique, il parle plus que ce dont il parle. Ce n’est pas le fait du journalisme où on va observer de très près la matérialité des faits.

Quelle est la différence entre le reportage et le documentaire ?Un reportage, c’est une succession d’images et de choses vues. Le journaliste rapporte par des mots, des choses qu’il a apprises. La différence est celle-ci : le documentaire parle par métaphores. Il n’est pas organisé selon la pensée verbale. Le reportage oui car il illustre un texte journalistique. Donc, le documentaire rend compte d’une expérience du réel mais il le fait avec des moyens d’images et de sons qui ne sont pas forcément la reproduction d’un morceau de la réalité ; alors que le reportage prétend filmer des faits. Je crois que le documentaire cherche plutôt à transmettre une pensée qui environnerait les faits.

On parle parfois de documentaire d’information. Le documentaire n’a-t-il jamais vocation à informer ?Disons qu’il informe aussi, mais sa première fonction c’est d’avoir une pensée sur le monde. Il existe des formes qui sont plus informatives que d’autres comme le documentaire d’investigation. Mais encore une fois, ce n’est pas prioritaire. L’investigation, c’est ce qu’on a vu au croisement du journalisme et du cinéma. C’est en gros la tentative de restituer par le film et d’organiser un ensemble d’informations. En général, c’est plutôt une information à laquelle on n’a pas d’ordinaire accès. Ce type de documentaire s’est développé relativement récemment. Je pense au film de Marie-Monique Robin sur Monsanto par exemple, qui, pour dénoncer le pouvoir mondial de cette firme, a fait un travail journalistique approfondi et sous la forme d’un film documentaire. Il y a aussi le travail de Jean-Michel

« L’actualité a tué le journalisme »

Retrouvez l’intégralité de l’interview sur questiondocumentaire.wordpress.com

cinéma documentaire travaille souvent à partir de ou avec la relation journalistique des évènements du monde. Il opère donc avec ou sur les liens entre les récits sociaux et leurs référents si bien que toute une pression confuse ne cesse de mêler dans le même ressac - quoi qu’on y objecte - le reportage ou le magazine d’essence journalistique au documentaire* ». Le journalisme s’apparente à de l’information-spectacle où l’interview télévisuelle par exemple est soumise à une expérience de non-écoute. Le documentaire de

Pour Jean-Louis Comolli, documentariste et critique de cinéma, le documentaire et le monde de l’information sont totalement opposés. Ce qui dissocie le régime de l’information à celui du cinéma, c’est cette idée « qu’il n’y aurait rien d’autre à voir que ce qui est montré » dans les médias. Cependant, la société fonctionne aujourd’hui sous influence médiatique : « Ce qui est vrai pour la grande presse l’est aussi pour le cinéma documentaire qui participe, quelque minoritaire qu’il puisse être, de cette dimension politique* ». Selon lui, le simple fait de filmer implique une responsabilité dans la société mais le documentaire se replace au point zéro de l’information pour partager « son ignorance » avec le spectateur. « Le

LE DOCUMENTAIRE SELON JEAN-LOUIS COMOLLI

Jean-Louis Comolli s’est intéressé à la figure du journaliste au cinéma. Il les filme par exemple dans Jeux de rôles à Carpentras (1998). Le documentaire propose une analyse des effets d’influence et de manipulation des médias lors du scandale de la profanation du cimetière juif de Carpentras.

« Le cinéma, documentaire ou non, filme les journalistes non comme des ‘experts’ mais comme des personnages, avec, donc, leurs fragilités, leurs bons et mauvais côtés, leur corps tel qu’il est face à la caméra. Le cinéma ne peut pas faire autrement que de changer le programme en jeu. Le cinéma est ludique, le journalisme ne l’est pas et ne doit pas l’être. Nous jouons

avec le spectateur. Le journaliste ne joue pas avec son lecteur ou son spectateur. Un abîme sépare donc les deux registres. Le cinéma peut s’emparer

de ‘sujets’ qui sont aussi ceux de l’information. Mais il ne les traite pas de la même manière. La place du spectateur de cinéma est à l’opposé de celle du lecteur de journaux ou du téléspectateur. La place du spectateur de cinéma est celle du rêve éveillé. Du désir de se projeter dans les corps filmés. Il y a de l’enfance dans le spectateur de cinéma. Autrement dit : les savoirs, les autorités, les spécialistes, les experts, tous ceux à qui nos sociétés ont confié une part de pouvoir, sont fragilisés au cinéma, rendus

plus humains, montrés dans leurs crises et leurs doutes ». [commentaires récoltés par email, mars 2013] Plusieurs documentaires réalisés sur dix ans se

confrontent dans la série de DVDs Marseille VS Marseille (1989-2008)

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Jean-Louis Comolli est un réalisateur et critique de cinéma français. © Critikat.com

Coffret réunissant quatre documentaires de Jean-Louis Comolli, 2011

Comolli préfère donner une importance au spectateur dans la participation du film, une sorte de processus participatif entre le filmeur et le filmé. « Le cinéma a

construit un spectateur capable de voir et d’entendre les limites du voir et de l’entendre ! Un spectateur critique* ».

* Cinéma contre spectacle, Jean-Louis Comolli, éditions Verdier, 2009 - Voir et pouvoir, JL Comolli, éditions Verdier, 2004 - Print the legend - Cinéma et journalisme, Ouvrage collectif, dir. Giorgio Gosetti et Jean-Michel Frodon, Paris, Cahiers du cinéma/Festival international du film de Locarno, 2004

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Chroniques d’un Iran interdit, réalisé par Manon Loizeau, diffusé en 2011 sur ARTE

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NOUVEAU CHAMP VISUELLes médias en tant que « quatrième pouvoir », ont toujours eu le monopole de l’image d’information. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, le public a accès à de nombreuses alternatives sur internet entre autres. Lors des évènements du Printemps arabe, ce sont des mouvements populaires de grande ampleur qui se sont emparés de la production et de la diffusion d’images.

Le pouvoir des images. Andy Warhol a dit un jour : « Everybody’s gonna be

famous some day » - Tout le monde aura son quart d’heure de gloire un jour. Vision ou phrase en l’air, l’artiste avait raison. Il parlait des télé-réalités actuelles mais elles ne sont pas les seules reines. Aujourd’hui, chaque citoyen peut accéder aux images par de nombreux moyens, grâce à internet et à toutes les évolutions technologiques qui en découlent, des Smartphones aux tablettes tactiles… Ce n’est pas de gloire dont on va parler ici, mais bien de pouvoir.

« Tout le monde peut avoir son heure de pouvoir »Aujourd’hui les images sont accessibles à tous. Pourtant, la cyber-censure est de plus en plus efficace. Elle persiste dans certains pays mais tend à s’amenuiser petit à petit. Les images sont de plus en plus difficiles à contrôler malgré tout et ce, grâce un nouvel engouement libertaire et démocratique, voir carte RSF. Il y a quelques années, certains pays censurés étaient contrôlés par des pouvoirs

dictatoriaux qui ont éclaté en pleines révoltes. On se souvient de l’Iran et des pays du Printemps arabe. Hélas, cette anomalie de ne parler que d’actualité (à quel moment ne l’est-elle plus ?), a provoqué après cet engouement, un

désintérêt quant aux situations de ces peuples. Elles ont pourtant empiré dans la plupart des cas (en Égypte, en Tunisie...). Quatre ans après la Révolution Verte en Iran, les conséquences sont aussi catastrophiques. Il y a un véritable problème de visibilité des luttes dans les médias internationaux. En revanche,

les nouvelles technologies ont l’avantage et l’inconvénient d’être utilisées par les peuples en conflit, mais aussi par leurs dirigeants. Lorsqu’un peuple veut s’émanciper, il attaque son plus vigoureux ennemi. Ici : la censure, le manque d’information, mais aussi de visibilité. Les dernières révolutions en date (celles suivies par des médias) ont beaucoup eu recours au nouveau pouvoir des images. Leurs propres images. Qui s’inventait cameraman, reporter, réalisateur ? Les acteurs-mêmes des conflits. Plus généralement, des jeunes générations, baignées dans une culture où le téléphone portable et internet font partie du quotidien. Avec tous leurs défauts, les nouvelles technologies ont ouvert la porte au plus grand nombre pour pouvoir diffuser des photographies, des vidéos ou encore des enregistrements sonores. Plus besoin de caméra haute définition, un simple téléphone portable suffit.

Un peuple révolté est un peuple visionnéUne révolte se vit plus facilement aujourd’hui si elle est reconnue au niveau international, en tout cas à plus grande échelle. La génération 2.0 a interprété son propre rôle face à ses propres caméras. Smartphones, webcam et autres appareils photos de qualité médiocre ont été leurs

Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

Affiche du film Tahrir de Stefano Savona, 2012

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outils. Les manifestants ont créé leur image, diffusé sur les réseaux sociaux et illustré leur histoire grâce aux autres moyens de diffusion.

Le poids des imagesLe monde s’est retrouvé face à de nouvelles images, à de nouvelles réalités. Aujourd’hui, plus personne n’est choqué de voir une image de la Syrie en sang, pixélisée à souhait au JT de 20h (bien que la Syrie « ne fasse plus l’actualité » aujourd’hui...). Nous nous sommes habitués à nos nouvelles images. Elles ne sont pas esthétiques, elles ne sont pas lisses et elles n’ont plus de règles.

Qui les publie, qui est l’auteur, faut-il les montrer, quel est l’intérêt ? Lorsque Mouammar Kadhafi est mort, des images violentes de son cadavre ont circulé sur la toile, mais aussi sur certaines chaînes

d’information (Al-Arabiya, Al-Jazeera, Reuters, etc.). Ces images provenaient d’une vidéo amateur et ont été diffusées avant même l’officialisation de sa mort. Deux ans après, on ne sait toujours pas ce qui s’est vraiment passé. Là où le réalisateur de documentaire a sa place dans cet imbroglio d’actualités, c’est qu’il prend le temps d’aller et surtout de rester sur place, pour rencontrer les personnes, les filmer et revenir. Après le succès de la révolution tunisienne de 2010, de nombreuses révoltes ont suivi. En Égypte par exemple, le mouvement pour contester la présidence de Moubarak a été lancé sur Facebook

fin janvier 2011 avec la «Journée de la colère». Face à ces manifestations interdites, les agents de police ont encerclé la place Tahrir. Mais après quelques jours, la place est devenue l’épicentre de la contestation,

et a été envahie par des milliers de manifestants. Environ deux millions de personnes se sont réunies dans l’ensemble de la capitale. Pour illustrer tout cela, tout en envoyant quelques correspondants sur place, les JT français se sont surtout emparés des images des manifestants, sur des Smartphones. Des images de qualité piètre mais d’un impact très important et que peu de médias sont allés filmer sur du long terme par leurs propres moyens. En tout cas, l’objectif était atteint dans ce cas précis : les médias internationaux ont fait écho, chacun à leur manière, de la situation du régime contesté.

Le monde change avec ses imagesCes nouvelles images ouvrent de larges portes aux mondes du cinéma et des médias. Ils s’en nourrissent. Les uns avec les images brutes, comme illustration ou preuve. Les autres pour créer des fictions ou de nouvelles images sur les lieux de conflit. Le réalisateur Stefano Savona était sur place lors des évènements en Égypte en 2011. À l’aide d’un simple appareil photo 5D et d’un micro pour enregistrer, il présente un an après son film, Tahrir, place de la libération. (Voir encadré). L’impact est alors différent. Le temps des faits est passé.Les nouvelles technologies ne sont pas une solution miracle aux différentes censures actuelles mais leur rôle devient primordial dans les médias, pour les documentaristes et les différents peuples qui y ont accès.

TAHRIR, PLACE DE LA LIBÉRATION

Carte mondiale de la censure médiatique en 2013 © Reporters Sans Frontières

Stefano Savona a suivi trois jeunes Égyptiens en pleine révolution. Il explique* : « Une fois sur zone, ma première contrainte était de trouver des ‘personnages’ que je pourrais ensuite suivre comme des fils rouges à travers la place bondée. Dès le départ, je savais que mon parti pris serait de raconter les évènements [...] et non d’essayer d’adopter une posture factice d’observateur neutre et omniscient. Pour les synthèses, les analyses, les chroniques, il y avait Al Jezira, Twitter et consorts. Le cinéma, lui, exigeait de rester à hauteur d’homme, au beau milieu de la place, et d’assumer un point de vue, nécessairement fragmentaire ». Selon Jacques Mandelbaum du Monde *1 : « Le film nous montre une reconquête exaltante de la liberté de parole et de mouvement, puis une diversité de visages, d’âges, de sexes, d’origines, d’appartenances, d’attitudes, [...] En un mot, un peuple en marche, une utopie réalisée. De telles images sont rares, et d’autant plus précieuses. Un an après, cette victoire semble pourtant déjà lointaine. Un étrange sentiment saisit donc le spectateur à la vision de ce film qui lui fait revivre sur le vif un événement dont il ne peut désormais partager ni la liberté ni l’incertitude ».

*Extraits commentés de “Tahrir, place de la Libération” par Stefano Savona - 27.01.2012 © télérama.fr*1 « Tahrir, place de la Libération » : un film emporté par la révolution égyptienne - 24.01.2012 © lemonde.fr

RÉVOLUTION VERTE 2.02009 : les Iraniens se rendent aux urnes pour désigner un président. La corruption est telle que Mahmoud Ahmadinejad, déjà en fonction, obtient 85% des voix. Des milliers de manifestants vêtus de vert envahissent les rues de Téhéran et des autres grandes villes pour proclamer : « Where is my vote ? ». La police choisit alors la répression et les attaques sont de plus en plus violentes. Les médias iraniens n’ont pas d’autres choix que de se taire et les journalistes étrangers sont expulsés. Une propagande se met en marche. Cacher ces images en dehors de leurs frontières ? Il en est hors de question pour les manifestants. Ils décident de filmer leurs propres images. Côté documentaire, la réalisatrice Manon Loizeau est elle aussi parvenue à recueillir clandestinement des témoignages sur deux années de répression avec un téléphone portable et des petites caméras envoyées à des Iraniens. Elle a reçu le grand prix du FIGRA 2012 (Festival International du Grand Reportage d’Actualité et du documentaire de société).

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INFORMER VITE, INFORMER BIEN ?

Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

Playmobil journalistes accompagnés d’un arbitre levant un carton rouge ©cidscount

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La pression des chiffres d’audience, de l’audimat et de l’information en instantané sont des vecteurs devenus inévitables dans la sphère journalistique audiovisuelle. Ce mécanisme s’oppose à la création documentaire. En étant confronté à d’autres exigences, le documentaire a l’avantage de prendre son temps. Le temps de construire, d’analyser, de comprendre, de filmer, de monter ses images et de connaître les gens qui deviendront les personnages de ses films. Le journaliste TV actuel travaille pour sa part, de plus en plus dans l’urgence.

Dans le trio – personne interviewée, journaliste et spectateur – un pacte intime de confiance, de vérité, et d’information

est consenti. Ainsi, lorsque les rapports se bouleversent, les conséquences peuvent aller de la perte de confiance, à une vérité biaisée, ou à une information qui devient spectacle. L’urgence, la rapidité et la réactivité prennent souvent le pas sur une réflexion de l’information et sur l’information elle-même. Selon la théorie de Pierre Bourdieu : « La télévision n’est plus un vecteur d’argumentation et de pensée car il y a un lien entre la pensée et le temps, et, un lien négatif entre l’urgence et la pensée. […] une amnésie permanente qui est le pendant de l’exaltation de la nouveauté*». Les chaînes d’information en continu illustrent bien la situation. Sur ces chaînes, un reportage est bien souvent, le jour suivant de sa diffusion, déjà dépassé, « broyé par l’engrenage de l’information ». – Le journaliste par nature doit se dépêcher de recueillir les nouvelles. Le cinéaste, lui, creuse en profondeur, aussi bien à l’aide des images qu’à l’aide du récit, en quête de vérité*2 » [cit. Abbas Kiarostami].

De l’éphémère du journalismeMême lorsque les médias fabriquent une analyse moins ancrée dans l’instantané, avec les formes de reportages longs par exemple, la durée de préparation accordée au journaliste reste courte. Un documentariste peut encore filmer pendant des mois et monter ses images sur une année (malgré les difficultés financières), chose presque impensable dans le monde médiatique. Pour son film Tahrir, place de la libération, Stefano Savona s’est réservé un an de postproduction pour en arriver au résultat final.

Au-delà des compte-rendu journaliers des morts sur la place et des évolutions de la manifestation, la sortie « tardive » du documentaire a permis un an après de remettre en perspective l’instabilité politique qui persiste aujourd’hui en Égypte. Il ne s’agit pas là d’une bataille, ni de s’attarder à comparer les qualités informatives du documentaire

et du journalisme, mais de prendre en compte l’éventuelle capacité de leur complémentarité (dans certaines circonstances). Le documentaire permet de revenir sur les faits qui ne sont plus « médiatiques », ni médiatisés dans la presse traditionnelle, de proposer un autre regard. Il laisse également une plus grande place à l’interprétation du spectateur. Le journaliste quant à lui, énonce les faits pour ouvrir sur cette réflexion. Évidemment, la contrainte de l’actualité change le rapport au réel. Pour le journaliste d’investigation, Carl Bernstein : « Si la presse a un défaut, c’est bien le manque de contexte. Cette superficialité ravageuse a empiré à mesure que les informations ont proliféré sur le câble et à la télévision et que les valeurs […] de controverse fabriquée sont devenues majoritaires sur la scène journalistique. »*2 Le journaliste semble lutter contre l’actualité. « Il faut faire vite et bien, dans cet ordre », nous enseignent les professionnels

dès l’école de journalisme. Au contraire, le documentaire, par sa durée, son temps de préparation et sa vision personnelle, prend son temps, tout en amenant le spectateur à penser.

Contraintes professionnellesLe suivi régulier de l’actualité par les médias n’est pas remis en question. Il est assurément indispensable à la démocratie. Mais le système

Pierre Bourdieu à l’émission Arrêt sur Images, 20 janvier 1996, France 5

« Faire vite et bien, dans cet ordre »

* Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Liber-Raisons d’agir, Paris, 1996*1 Gérard Leclerc, Les répercussions de l’information en direct à la télévision sur les

normes journalistiques, Mémoire de maîtrise, 2000. Université Laval, Québec

*2 Print the legend - Cinéma et journalisme, Ouvrage collectif, dir. Giorgio Gosetti et Jean-Michel Frodon, Paris, Cahiers du cinéma/Festival international du film de Locarno,

2004

Télévision vintage © Vintag.es

LE PUBLIC ET L’INFORMATION TÉLÉVISÉE

Selon un baromètre publié en janvier 2013 sur la confiance des Français envers les médias (TNS Sofres pour La Croix), la télévision est leur média favori et leur intérêt pour l’actualité est assez élevé (70%). D’une façon un peu paradoxale, 69 % d’entre eux disent y avoir recours pour « avoir des nouvelles, connaître ce qui se passe » ; mais 54 % avouent avoir plus confiance en la radio pour ce qui concerne « la restitution de l’information dans les médias ». – Contre 49 % en presse écrite, 48 % à la télévision, et 35 % sur l’internet. D’après les sondés, la crise en Centrafrique et le coup d’état au Mali n’auraient pas été assez couverts par les médias français.

vite dans sa pensée pour intégrer toute l’information qui lui est donnée* », il passe également très rapidement sur chaque fait en faveur d’une actualité plus « chaude ». Cette pression génère des choix mais aussi des absences de choix de sujets, chose qui n’a rien d’objectif. En tant que spectateur, ce système de consommation rapide, où l’on ne fait que jeter un coup d’œil sur ce qui se passe, peut être enrichi en considérant d’autres formes « informatives » moins ancrées dans le présent et l’instant. Pour le cinéaste Abbas Kiarostami : « Le cinéma possède l’avantage de pouvoir aspirer à surmonter le caractère éphémère* ». En discernant bien les rôles de chacun et en s’inspirant des deux, le spectateur peut aspirer à s’informer autrement. Grâce aux nombreux moyens de diffusion, il peut diversifier ses sources d’information pour élargir sa réflexion sur la réalité, avec toutes les valeurs du cinéma documentaire et de la presse, aussi distinctes soient-elles. À cette différence énorme que le cinéma ne revendique aucune objectivité, bien au contraire, il assume pleinement le point de vue de son auteur.

actuel, parfois saturé par des images dénuées de sens et très vite consommées, ne laisse plus que peu de moyens au journaliste pour effectuer son travail dignement. Pour Gérard Leclerc, professeur au Département d’information et de communication de l’université de Laval au Québec, les mécanismes de l’information en direct ont chamboulé les normes journalistiques. Ainsi les journalistes resteraient prisonniers de règles comme l’objectivité ou le principe de séduction : « Pour faire un travail acceptable, les journalistes, pressés par le temps, sont certes obligés de jouer sur l’approximation, mais également sur les émotions. On ne peut pas vraiment leur reprocher de devenir partie prenante à l’évènement. Il nous serait difficile d’effectuer un travail carrément objectif, distant de l’événement*1». Et si le journaliste « va

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*1 Gérard Leclerc, Les répercussions de l’information en direct à la télévision sur les normes journalis-tiques, Mémoire de maîtrise, 2000. Université Laval,

Québec

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INTERVIEW Le documentaire pourrait-il apporter quelque chose au journalisme audiovisuel ?

Alexandre Bonche : Pourquoi pas, mais les journaux TV ne sont pas prévus pour ce genre de diffusion. Précisément, les JT permettent d’aborder beaucoup de sujets différents. Mais combien de minutes, de secondes y sont accordées ? Les gens aiment bien se tenir informés d’un maximum de choses, alors on doit vite zapper sur autre chose. Il y a des cases réservées au documentaire à la télévision, heureusement qu’elles sont là. Avec France 2, France 3, France 5 ou encore ARTE [ndlr. seulement chaînes publiques], nous avons de la chance en France ! France 3 Région offre un certain nombre d’espaces aussi et des moyens financiers pour que l’on puisse réaliser des films. J’y ai eu recours pour mon film Profession Humanitaire. Il a été financé par France 3, le CNC, et la région. Et puis il y a évidemment ARTE qui est la chaîne qui propose vraiment beaucoup de documentaires, ou Infrarouge sur France 2. Antoine Bonnetier : Pas grand-chose dans la mesure où il se place dans le temps long. Le documentaire ne répond pas aux mêmes contraintes. C’est un film que l’on regarde le soir pour se distraire. Le reportage, lui, peut se consommer en petit-déjeunant le matin, en préparant le sac de ses enfants, etc. C’est un produit que l’on consomme rapidement, parfois en faisant autre chose. Il mobilise moins l’attention.

Pour vous, quelle est la différence entre reportage et documentaire ?

AB : La différence c’est exactement la situation dans laquelle on est actuellement. On a pris un rendez-vous, tu viens, tu enregistres mes paroles, qui ne sont pas préparées, très confuses. À partir

de ça, tu vas construire une réalité qui va être présentée comme la mienne : ça c’est le journaliste. Un documentariste travaille un peu comme l’ethnologue, il prend le temps de rester avec les gens, il va les rencontrer souvent, discuter avec eux, pas juste une fois comme ça lors d’un rendez-vous. Lorsqu’il va élaborer son sujet il va être capable de savoir si la réalité qu’il va présenter dans son montage, c’est la réalité telle qu’elle est vécue par les gens qu’il a côtoyés ou bien si c’est juste un papillon qu’on a pris comme ça dans un filet, qui passait par hasard, comme une idée peut passer. Selon qu’on est en bonne forme

ou pas, on dit des choses plus ou moins contrastées. La grosse différence c’est cette fréquentation plus longue, plus assidue et plus profonde des gens. Au niveau de la forme, le reportage consiste le plus souvent en interviews face caméra. J’essaye d’éviter ça. On essaye de lécher un peu plus les transitions, l’aspect artistique ressort dans le documentaire. Les enchaînements sont plus lisses. Bien qu’un JT aussi, les frontières sont très poreuses si ce travail est effectué avec un très bon cameraman et un bon monteur.Abe : J’ai réalisé un seul documentaire dans ma vie lorsque j’étais à l’école de journalisme. C’est plus

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

Les journalistes-reporters d’images (JRI) et les documentaristes ont certains points en communs. L’un d’entre eux, c’est la télévision, ce petit écran vers lequel convergent divertissement, information, documentaire, fiction et autres images. À partir de leur propre expérience, Alexandre Bonche, documentariste et anthropologue de formation, basé à Lyon et Antoine Bonnetier, JRI à BFM TV, témoignent. Synthèse sur les situations du reportage et du documentaire dans le paysage audiovisuel français, avec deux acteurs des médias et du documentaire.

Alexandre Bonche, documentariste français, en plein tournage au Mali

CROISÉE

long, plus contemplatif, alors qu’un reportage s’attache plus à l’enquête, la démonstration, la révélation de vérités, je dirais. Un documentaire est plus travaillé en images, il prend plus le temps de l’observation. Le temps investi pour aboutir est ce qui diffère le plus. Encore une fois, le distinguo est parfois ténu entre les deux. Le documentaire suppose l’observation, le reportage l’enquête et la démonstration. Les deux sont-ils forcément incompatibles ? Comment qualifier le travail de Pierre Carles ? Ce qui est sûr, c’est qu’un documentaire sera forcément long. Un reportage, en revanche, peut durer 1 min 30 comme 52 min. Le spectre est large.

Un des points communs pour les documentaristes et les journalistes, c’est la télévision. C’est elle qui finance votre travail. Est-ce un atout ?

AB : Si on veut gagner notre vie en faisant du documentaire, on doit obligatoirement passer par la TV. Sauf peut-être au cinéma, mais ça

ne finance pas énormément parce qu’il y a très peu de producteurs qui prennent ce qu’ils considèrent comme un risque. Avec la TV, ils ont l’assurance d’avoir un apport de la chaîne et du CNC. Le problème pour nous concerne le salaire, qui n’est jamais très élevé. En tant que réalisateur, notre seul revenu minimum, c’est le SMIC, contrairement aux autres techniciens de la chaîne audiovisuelle. Heureusement, à la différence des journalistes, nous bénéficions du statut d’intermittent du spectacle, qui permet de vivre plus au moins dignement. ABe : La télévision, en tant que diffuseur principal, paie des sociétés de production ou « boites de prod », qui fabriquent les documentaires et reportages longs. Mais c’est comme acheter une baguette : le boulanger les fabrique parce qu’il sait que tu vas venir lui acheter. La télévision achète des reportages ou des documentaires pour les diffuser. Après, on peut aussi trouver des productions associatives, hors du circuit traditionnel, qui peuvent avoir pour cibles

les cinémas d’art et d’essai ou des lieux alternatifs. L’exemple, c’est Pierre Carles, que j’aime beaucoup.

Avez-vous envie de diffuser votre travail sur internet ?

AB : Je n’ai pas le sentiment pour l’instant que cela permette de toucher autant de spectateurs qu’à la TV avec la TNT. Ça s’adresse à mon avis à des petites niches. Ce qui existe déjà, c’est du documentaire TV diffusé sur internet. Après, je trouve l’idée intéressante, pourquoi pas plus tard quand je connaîtrai un peu plus. C’est bien de mettre des images à disposition du public, mais c’est bien de penser à la rémunération des gens aussi. On a la chance en France d’avoir des droits d’auteur. Sur internet… Je ne pense pas que ce soit possible. Je mets mes films sur internet parce que j’ai envie que les gens les regardent, parce que c’est de la culture que je leur apporte. Mais pour l’instant internet n’est pas une bonne solution. Pour les reportages c’est pareil, à moins de faire des sites payants, et là tu restreins ton nombre de spectateurs. De mon côté, j’ai mis des films dont j’ai les droits sur internet [Tchoumpa, les enfants du tourisme], mais c’est très récent, il y a un mois [janvier 2013]. Je ne pourrai pas le faire systématiquement parce que la question financière est cruciale.ABe : Notre travail est déjà diffusé sur le site BFMTV.fr. Toutes les chaînes de télévision essaient de mettre au moins une partie des contenus disponibles sur le net. La toile est incontournable. Elle offre une notoriété par-delà les frontières et offre une seconde vie à notre travail, que les internautes peuvent trouver indexé thématiquement dans Google, etc.

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Antoine Bonnetier est journaliste-reporter-d’images pour BFM TV

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

SUCCESS STORYOn n’a jamais autant réalisé de documentaires en France qu’en 2012. Depuis les années 2000, l’engouement du public grandit et cela se ressent dans les commandes multipliées des chaînes de télévision et aux succès dans les salles de cinéma. Le film documentaire a une place intégrante dans le cinéma et dans la société. De nombreux festivals lui sont consacrés et il est même possible de se former de façon professionnelle dans le secteur de l’audiovisuel. Pour combler le tout, les festivals de reportages les intègrent dans leur palmarès et les écoles de journalisme s’empressent de joindre à leurs cursus, des formations aux techniques documentaires.

LA TÉLÉVISION - retour au réel.

Les chiffres en hausse du CNC attestent du succès documentaire à la télévision. Même si les moyens de productions sont encore précaires, le nombre de créations n’a jamais été aussi important. C’est sur le petit écran

que le documentaire est le plus diffusé. De nombreux exemples illustrent ce succès. Le documentaire « Planète alu », diffusé mardi 12 mars 2013 à 20.45 par exemple, a réalisé la deuxième meilleure audience de l’année pour la chaîne. Mais le Réseau des Organisations du documentaire (ROD) reste nuancé : « Il n’y a jamais eu autant de programmes appelés ‘documentaires’ sur les principales chaînes de télévision de service public – en bénéficiant, à ce titre, de ses mécanismes de financement – alors qu’ils relèvent de plus en plus souvent

du divertissement ou du journalisme ». Le risque de l’exhaustivité des productions est un probable formatage à la demande des chaînes même si le documentaire se distingue aujourd’hui comme genre cinématographique à part entière.

LES FESTIVALSLes festivals du réel et d’information

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Diffusé le 12 mars 2013. Il a réalisé la deuxième meilleure audience 2013 pour un

documentaire du mardi sur Arte.

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sont nombreux à promouvoir la scène documentaire contemporaine. Par exemple, le festival FIGRA présente des reportages et des documentaires produits pour la télévision. Il tend particulièrement à encourager les grands reportages d’actualité et les documentaires de société. Les lauréats récoltent 1000 euros, une diffusion sur grand écran et un échange avec différents professionnels. La mort est dans le pré, d’Eric Guéret, sur les ravages des engrais et des pesticides, a été récompensé par le Prix du 20e anniversaire du FIGRA en 2013. Le Prix spécial du jury a été attribué au documentaire Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde, de Jérôme Fritel et Marc Roche (de l’agence Capa). La Fondation Varenne qui valorise les reportages journalistiques avec le Prix Varenne, s’est d’ailleurs associée à ce festival pour créer le Prix Varenne Web&Doc Figra. D’autres festivals comme le FIPA (Festival International de Programmes Audiovisuels) mettent en avant les créations documentaires. Il y a aussi le Festival International du Documentaire à Marseille qui se déroule en juillet ou encore celui du Cinéma du Réel, etc. Ils sont en revanche, peu nombreux à ne promouvoir que des formes documentaires.

LA FORMATION Elle se multiplie dans les écoles de l’audiovisuel

et des stages courts professionnels se développent pour apprendre les techniques documentaires, mais les coûts sont importants (environ 4000 euros). Cinédoc à Annecy, l’École nationale Louis Lumière à Lyon, le CIFAP à Montreuil… Ils se développent également dans les écoles de journalisme ce qui démontre une certaine connivence actuelle entre les deux professions. L’ESJ Lille propose une formation pour « les journalistes de télévision habitués aux formats courts

et désirant acquérir les bases fondamentales et la méthodologie d’une démarche documentaire de la production à la réalisation ». L’ESJ Paris, propose un nouveau mastère d’investigation et de documentaire créé l’année dernière. Pour sa première année, le mastère

a été fusionné avec celui de Journaliste Reporter d’Images (JRI). L’IEJ Paris a également créé son mastère de Journalisme d’investigation/Documentaire/Grand Reportage.

LES COLLECTIFSEn France, de nombreux collectifs associatifs de documentaristes

se mobilisent pour la défense du documentaire. Ils créent des lieux de rencontre entre le public et les réalisateurs. L’un des premiers a été le Sunny Side of the Doc (marché international professionnel du documentaire) à La Rochelle. Ces collectifs permettent également de perpétuer une réflexion sur l’écriture, la production, la diffusion du genre. Il y a également l’ADDOC (Association des cinéastes documentaristes), qui proposent des ateliers, des débats et des manifestations. Ils ont par exemple inventé La toile d’Addoc, sorte d’œuvre collective qui se déploie sur le web. « Un site où cinéastes et cinéphiles peuvent se rencontrer, croiser leurs regards et partager leurs manières de faire ».

3

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Étudiants de l’ESJ Lille © esj-lille.fr

Sunny Side of the doc © primi.pro

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER

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Définition(s)

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Les dernières statistiques du CNC montrent que le documentaire de société est celui qui est le plus diffusé en France

Illustration de Tom Haugomat pour Le Monde. © Tom Haugomat

Le succès du documentaire à la télévision tient en partie à un de ses genres*: celui de société. 1686 heures ont été commandées en 2012, contre seulement 253 pour le

documentaire historique (pourtant en deuxième place). Ainsi, le documentaire pourrait bien être victime de son propre succès. Le CNC considère par exemple les sujets du magazine de société Tellement Vrai sur NRJ 12 (dont les thèmes vont de : « Peut-on tout accepter par amour ? » à, « ma beauté est intérieure - Jérôme, toujours vierge à 28 ans »), comme documentaires et leur accorde un soutien financier. Les délimitations du documentaire de société semblent très vagues mais le CNC a annoncé qu’une réflexion sur ce thème se tiendrait fin juin 2013 au festival Sunny Side of the Doc, à La Rochelle. Le problème reste que l’appellation « documentaire de création » n’existe plus juridiquement. En 1987, la CNCL, ancêtre du CSA, annonçait que toute œuvre « se référant au réel, le transformant par le regard original de son auteur et témoignant d’un esprit d’innovation dans sa conception, sa réalisation et son écriture » serait considérée comme documentaire de création. La différenciation avec le reportage y était même indiquée : « Il se distingue du reportage par la maturation du sujet traité et par la réflexion approfondie, la forte empreinte de la personnalité d’un réalisateur et/ou d’un auteur ». Seulement, cette définition a été annulée par le Conseil d’État. L’interprétation de la notion d’œuvre par rapport à la loi était trop restrictive.

*Appellation du CNC

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Pensez-vous qu’internet va remplacer la télévision ?Non, la télévision a encore des décennies de tranquillité devant elle. Ce qui va la renforcer c’est la télévision connectée, c’est-à-dire regarder sur votre téléviseur aussi bien des programmes d’internet que des programmes classiques, comme des broadcasts. Actuellement en France, les téléviseurs sont tous vendus en système de TV connectées. Cela va renforcer son attrait et surtout ramener les spectateurs vers le petit écran alors qu’ils l’avaient abandonné pour les ordinateurs.

Le web semble être un passage obligé, même pour les médias. La chute d’audience devant les JT est-elle une répercussion du désintérêt public pour l’information télévisuelle ?Les médias ont déjà une énorme place et à terme, même les journaux papiers vont faire des versions numériques où vous aurez des reportages image qui seront annexés au texte des journaux. Pour les JT, les chiffres ne sont pas aussi

évidents que cela. Si on cumule toutes les émissions d’information, que ce soit les journaux ou les magazines d’information, la télévision est encore aujourd’hui très importante parce qu’on cumule ! Évidemment il n’y a plus le phénomène du journal à 20h, mais il y a toute la journée des chaînes d’info en continu. Si on additionne tout le temps des chaînes qui parlent d’information ou d’actualité, c’est considérable... L’audience reste très forte !

Avez-vous senti la montée d’un nouveau public pour les créations du web ?Complètement, en quatre ans, on a vu une évolution importante sur la qualité, le nombre de productions et surtout les financements des productions qui arrivent. Maintenant, on trouve un début de financement par le CNC, les diffuseurs, les éditeurs de programmes, les marques et des partenaires des web-programmes. Quant au public, il y a une sorte de progression tous les ans par rapport aux nombres de visionnages et de

Pour cette 4e édition, 165 programmes étaient en compétition, 214 636 pages vues

(+16% par rapport à 2012), 10 7397 programmes visionnés (+41%) par 48 687 visiteurs uniques sur le site (+9%). Le Prix du public dans la catégorie Web-documentaire est remporté par le projet Iranorama, réalisé par Yann Buxeda et Ulysse Gry. L’idée est simple : le spectateur se retrouve plongé dans le corps d’un journaliste envoyé en Iran. Cinq jours pour appréhender la culture de Téhéran et rendre un reportage sur les élections présidentielles à venir.

Jean Cressant est président du Web Program Festival International, un festival dédié à la télévision sur internet. Il est également président et fondateur du groupe Mativi, chaîne de TV sur Internet basée à La Rochelle. Le Web Program festival a pour but de récompenser les différents acteurs du web. Internet devient un nouveau terrain de jeu où journalistes et documentaristes transgressent leurs règles établies. Pour autant, la télévision n’est pas encore morte d’après Jean Cressant.

journalisme…). En soit, le journalisme n’emprunte pas aux pratiques documentaires. Il emprunte sûrement à certaines de ses catégories, si l’on peut les appeler comme cela (documentaire de société…). Le documentaire peut parfois servir de « contrepoids » aux discours du journalisme. Selon Nathalie Fillion : « cet apport du documentaire à la communication publique a été rendu nécessaire parce que les conditions de la production du journalisme traditionnel, télévisuel en particulier, ont rétréci son champ d’action et que, dans ce contexte, le documentaire est venu suppléer en quelque sorte à un manque. » Mais les deux pratiques restent bien distinctes, seuls certains outils ont été mis en commun pour arriver à un résultat et un objectif différents.

participants. L’intérêt pour toutes ces nouvelles plateformes de diffusion est clairement visible. Elles voient leur nombre de vidéos regardées augmenter à une vitesse incroyable. Mais sur internet, les gens zappent très rapidement, bien plus qu’à la télévision, c’est évident. C’est un phénomène très intéressant ! Il faut faire très attention au nombre de visionnages qu’on observe et le temps où les gens sont restés sur le programme. Il y a un effet buzz qui existe, c’est donc grâce aux réseaux sociaux qu’il faut mettre en valeur les nouveaux programmes.

Quelle place est apportée au webdocumentaire dans votre festival ?

Il fait partie des dix catégories que nous présentons. C’est une des plus importantes en termes de propositions de films, de visionnage et de demande du public, avec la fiction. Le webdocumentaire est quelque chose d’intégré aujourd’hui et puis il s’enrichit tous les ans avec la technologie, et l’interactivité. Demain, avec la télévision connectée qui arrive, les webdocumentaires vont pouvoir se décliner différemment. Ce qu’on a vu cette année, ce sont de nouveaux concepts qui sont en fin de compte des programmes beaucoup plus courts. Il y a quatre ans on avait beaucoup de programmes qui étaient de trois à cinq minutes en unitaire et puis cette année on a fait des présentations de films qui font trente secondes, qui ont une cible et une construction très spécifique. Mais attention, on distingue complètement l’actualité et le reportage du documentaire. On ne mettra jamais en compétition un webdocumentaire qui est fait comme un webreportage, jamais.

JEAN CRESSANT :Pour une TV connectée

C’est assez monnaie courante dans l’histoire des médias d’emprunter à d’autres formes et d’autres pratiques. Pour Nathalie Fillion, chargée d’enseignement au Département d’information et de communication de l’Université Laval : « Dès

lors que l’appellation ‘journalisme’ touche une grande diversité d’activités […] centrées sur la médiation de la délibération publique, il est possible de qualifier de ‘journalistiques’ des documentaires qui répondent à certaines caractéristiques, dont la référence au réel, le rôle éducatif et d’animation sociale ainsi que la médiation de la liberté d’expression et d’opinion. En ce sens, la sphère des documentaires croise celle du journalisme professionnel parce que toutes deux contribuent à la délibération publique ». Tout comme la définition du terme documentaire, celle du journalisme est difficile à cerner. Avec les évolutions numériques entre autres, la profession tend à ouvrir ses frontières et ses pratiques (journalisme citoyen, slow journalism, data-

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Depuis le milieu des années 2000, le webdocumentaire investit les différentes plateformes du web (blogs...). Des pages-rubriques lui sont dédiées sur les sites internet des grands médias de la presse écrite et audiovisuelle. Lemonde.fr, Lefigaro.fr, France24.fr, la liste est longue... En 2013, les webdocumentaires se multiplient sur les sites d’information et laissent la place à de nouveaux contenus de plus en plus interactifs. Cette espace accordé au documentaire multimédia peut laisser perplexe quant à sa définition et à sa place sur des supports de journalisme.

En 2002, le Centre Pompidou organisait le festival « Les cinémas de demain :

le webdocumentaire ». Onze ans

plus tard, le webdocumentaire n’est pas devenu le cinéma d’aujourd’hui. Le concept est né au début des années 2000, à peine quelques années après le lancement d’Internet en bas débit en France et s’est développé vers 2006. À la base de l’appellation, il y a le mot documentaire. Cela porte à confusion, encore. Les œuvres qualifiées de webdocumentaires sont toutes différentes dans leur contenu, leurs outils, leur

réalisation, leur financement et sont parfois bien loin des bases documentaires. Leurs seuls points communs restent la

forme interactive et l’aspect multimédia. L’interactivité signifie-t-elle toujours forme de webdocumentaire ?

Pour l’instant, le procédé attire bien plus les journalistes que les documentaristes du circuit « traditionnel ». Gilles De Maistre, d o c u m e n t a r i s t e et réalisateur de

fictions, avoue « ne pas avoir encore exploré le webdocumentaire ». Pour l’instant, le lien qu’il opère avec le public grâce au documentaire lui convient : « Moi ce qui m’amuse c’est de raconter une histoire, de prendre les gens par la main, de les emmener dans un film qui dure une heure ou plus. Avec le webdoc, les gens cliquent un peu à volonté comme dans une arborescence. Ils font un peu leur propre histoire, c’est difficile de les emmener. On leur pose quelque chose qui s’ouvre. C’est plutôt dans l’esprit du reportage ». Avec le webdocumentaire, la relation entre l’œuvre et le spectateur est effectivement vouée à se transformer. La

Prison Valley a été réalisé en 2010 par le journaliste David Dufresne et le photojournaliste Philippe Brault. Arte.tv et la société Upian en sont les producteurs. Entre juin et septembre 2009, les co-réalisateurs ont filmé l’industrie carcérale à Cañon City, dans l’État du Colorado, aux États-Unis. Pour entrer dans le webdocumentaire, le spectateur doit être attentif et peut se diriger selon son envie

vers les différentes sections proposées : indices, personnages, lieux… Il peut également décider de s’arrêter à une cérémonie pour les gardiens de prison morts en service ou de continuer sa route. Il peut choisir d’engager la conversation sur un forum avec une des personnes interviewées ou écouter le témoignage d’une des journalistes luttant contre les failles du système carcéral. L’interactivité est totale. Prison Valley est considéré comme l’un des premiers webdocs aboutis. Trois ans après, il vit sur les réseaux sociaux, les festivals et dans la presse internationale. Il s’est également décliné sous une forme linéaire de 58 minutes. Cette version a été diffusée sur Arte.

Cahiers du documentaire | Mai 2013 | WEBDOCUMENTAIRE

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Le webdocumentaire vous informe !

notion de lecteur-acteur (lect-acteur*) a été développée par Jean-Louis Weissberg, Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paris XIII. Elle peut s’appliquer dans le cadre de la relation au webdocumentaire. Face à un nouveau mode de narration, le public devient actif. Thierry Garrel pour sa part considère que le webdocumentaire n’existe pas vraiment encore : « Je n’ai pas encore rencontré de vrais webdocumentaires. Ce sont plutôt des espèces de reportages ; des manières de restituer dans leur diversité et leur richesse, les matériaux qui ont servi à une enquête. Cela permet de donner accès au spectateur à l’intégralité des entretiens qui ont été menés par exemple. Cela suscite sa curiosité. Effectivement, c’est un enrichissement évident pour le journalisme ». Même si la définition du webdocumentaire n’est pas encore clairement définie, son principe est un peu contradictoire avec celui du

documentaire selon T. Garrel : « Essentiellement, le documentaire est un objet temporel, fixe, qui organise des signes et pas forcément la reproduction littérale du réel. Avec la dé-linéarisation sur le web, on enlève finalement au documentaire sa nature-même. Comme disait un humoriste, c’est comme ôter l’élasticité au caoutchouc, il reste bien peu de choses. Si on enlève la durée, qui permet la mémoire du film, à mon avis, on enlève toute sa puissance ». Il admet cependant qu’une forme interactive peut être considérée comme du documentaire sur l’Internet : « Le seul

webdoc que je connaisse d’une certaine façon, c’est le travail qu’avait fait Chris Marker en CD-ROM - Immemory [1997], dans lequel il a préparé dans une forme essayiste des circulations possibles à l’intérieur d’un ensemble de segments d’histoire qui représentent une espèce de documentaire modernisé ».

Prendre entière possession de nouveaux outilsAprès plus de dix ans d’existence, le modèle économique du webdocumentaire est encore bancal. Cependant, le CNC a élargi dans les dernières années ses aides aux créations du multimédia, les festivals priment de plus en plus de webdocs et de nombreux projets sont financés grâce au crowdfunding*1, une autre manière pour l’internaute de s’impliquer dans le webdocumentaire. Justement, le succès des nombreux webdocumentaires diffusés ces dernières années devrait permettre de repenser

son financement ; même si beaucoup d’aspects restent à définir et à améliorer. Si la diffusion sur le Web n’est pas encore rentable, elle permet cependant d’engendrer par la suite des diffusions à la télévision. C’est sur ce point que les dernières expériences se multiplient. Sur Arte.tv par exemple, les formats

LE WEBDOCUMENTAIRE SELON WIKIPEDIA

Webdocumentaire : documentaire conçu en RichMedia et produit pour être dʼabord diffusé sur Internet, en associant texte, photos, vidéos, sons et animations, de manière interactive. Ce type d’œuvre se caractérise par : l’utilisation d’un contenu Multimédia, l’introduction dans le récit de procédés interactifs, une navigation et un récit non-linéaire, une écriture spécifique, un point de vue d’auteur.

RichMedia : média interactif intègrant différents médias (sons, vidéos, photos, métadonnées), présentés de manière interactive et temporelle au sein d’une interface de consultation ergonomique.

Le webdocumentaire sort de la toile pour s’installer dans les salles obscures, le temps des festivals.

Du web aux salles obscures...POINT DOC est un festival spécialement dédié au documentaire. Les créatrices du projet Élise Donadille et Laila Loste ne parlent pas de webdoc mais seulement de documentaire diffusé sur le net. Les quatre films « Coups de cœur » ont été projetés sur grand écran lors de la soirée de clôture en mars 2013 à Paris, « car la meilleure façon d’apprécier un film est la salle de cinéma » ! Selon elles : « *La diffusion sur le web n’est pas juste une passerelle, mais un véritable espace de diffusion. Les différents supports ne doivent pas s’opposer. Nous pensons que la diffusion sur le web et en salle sont complémentaires. En diffusant sur le net, nous souhaitons aussi donner l’envie à notre public de visionner des œuvres en salle. Il s’agit de multiplier les moyens de diffusion. Un film peut tout à fait s’apprécier chez soi, chez un ami, en salle ou ailleurs. Le grand écran demeure un bel outil de visionnage que nous ne souhaitons pas occulter ». Yves billon, un des fondateur de La Bande à Lumière faisait partie du jury. Pour lui : « Faire des films sans la télé est un rêve que nous poursuivons tous, de plus un festival sur Internet me paraît tout à fait dans l’air du temps Internet est un cinéma ou l’on peut aller en restant chez soi. Quelle merveille ! »

*Entrevue pour le blog cinemadocumentaire.wordpress.com - 15 mars 2013

* Présences à distance, L’Harmattan, Paris, 1999. * 1 Finances participatives : investissements cumulés de personnes/internautes pour soutenir un projet.

Alma, enfant de la violence est un des succès webdocumentaire de 2012. Le projet a été produit par

Upian et l’Agence Vu’ . L’internaute est directement confronté au

témoignage d’Alma, qui raconte ses premiers meurtres dans un gang.

En levant la souris, il découvre des plans de coupe composé

de photographies, de vidéos et de dessins. Il peut alterner les

confessions de la jeune femme, face caméra et une composition visuelle réalisée par Miquel Dewever-Plana

et Isabelle Fougère

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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | MULTIMÉDIA

webdocumentaires se divisent généralement en deux parties : une première entièrement interactive, où il est possible de naviguer avec sa souris à travers les différentes entrées possibles sur internet et une deuxième plus linéaire, plus traditionnelle diffusée sur la chaîne et sur le web. Pour un documentariste, les contraintes de création sont nouvelles. La forme, l’écriture, les compétences et surtout l’adaptation à un nouveau public sont des enjeux naissants. Du côté des médias, les webdocumentaires investissent leurs plateformes internet. Ils sont, selon Alexis Delcambre, rédacteur en chef du Monde.fr : « un formidable terrain

d’expérimentation ». Pour France TV c’est aussi une bonne manière de se rapprocher du public internaute. En 2010, le groupe de presse lance un projet dirigé par Boris Razon et intitulé Nouvelles Écritures. L’objectif est de comprendre et de dialoguer avec les internautes. Dans un manifeste diffusé sur la page de Nouvelles Écritures, Boris Razon explique : « Peu importe le genre — fiction, documentaire, magazine, divertissement, animation, information, seule compte l’expérience. Nous proposons ainsi des œuvres hybrides qui mixent médias, genres et récits pour raconter notre monde. Cette marche déterminée vers le futur constitue à la fois une nécessité et un devoir pour l’audiovisuel

de service public. Nécessité car, dans cet univers mouvant et instable, les habitudes se prennent vite. Devoir car nos valeurs — l’exigence de qualité, la formation d’un esprit citoyen, la curiosité au monde — doivent être brandies avec détermination dans un univers où la concurrence est toujours plus rude et plus directe. ». Dans le cadre de ces nouvelles écritures, un des projets « Transmédia-documentaires » sur le viol, a déjà eu un grand succès : Viol, les voix du silence2. La chaîne prévoit aussi de diffuser un autre gros projet sur France 5, fin mai : Anarchy1. France 5 qui propose aussi depuis 2010, une série de

1Anarchy est l’un des futurs projets du nouveau programme transmédia proposé par France TV  (développé en partenariat avec Le Monde.fr et la Sofrecom) : Nouvelles Écritures. L’internaute participe à l’écriture de la série et aux destinées de ses personnages. Le point de départ est la faillite d’une grande banque qui oblige la

France à sortir de la zone euro. Il sera diffusé sur France 5 fin mai 2013 © Plateautele.francetv.fr

Défense d’afficher a obtenu le prix du Webdocumentaire FRANCE 24 - RFI 2012. Les huit réalisateurs proposent un parcours qui mène l’internaute vers de courtes vidéos sur des graffitis.

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24 webdocumentaires, intitulée « Portrait d’un nouveau monde ».

L’avenir du webdocumentaire Malgré la créativité du concept web-documentaire, il ne faut pourtant pas oublier que cette forme est condamnée à évoluer avec les innovations technologiques. Avec l’évolution très rapide des formats, ils ne seront peut-être plus consultables dans dix, vingt ou trente ans. Et même si pour l’instant, le webdocumentaire apparait plus

comme un concept médiatique que cinématographique, une belle frontière semble se briser entre les deux médias. Cette forme tend à devenir un concept hybride et multimédia entre le documentaire et le reportage. Puis, les plateformes d’information permettent une large diffusion et des investissements pour les différents webdocs. « Une nouvelle pratique éditoriale » selon Éric Pedon, chercheur au Centre de recherche sur les médiations (CREM). L’effet de

mode peut aussi être pris en compte. Le terme de documentaire accolé à celui du web, plait.

C’est peut-être la clé du succès d’un journalisme contemporain, que de créer de nouvelles formes et de renouveler les

siennes pour produire des contenus inédits, en utilisant des outils qui n’étaient pas les siens - tout en profitant du support numérique. Jean-Luc Godard écrivait il y a vingt

ans* : « Il n’y a pas de demi-mesures. C’est ou la réalité, ou la fiction. Ou bien on met en scène, ou bien on fait du reportage. On opte à fond ou pour l’art, ou pour le hasard. Ou pour la construction, ou pour le pris sur le vif. Et pourquoi donc ? Parce qu’en choisissant du fond du cœur l’un ou l’autre, on retombe automatiquement sur l’autre ou l’un. ».

Le site de France 24 présente une page réservée aux webdocumentaires. Le terme de reportage interactif apparait parfois, au hasard. En cliquant sur ce webdocumentaire par exemple, le terme revient alors que le projet est classé comme webdocumentaire sur la page principale.

La signification du terme de webdocumentaire reste encore à définir. Son utilisation en première page plutôt que celle de webreportage laisse à réfléchir. Le terme documentaire serait-il plus séduisant que celui de reportage pour les internautes ? Impression écran de la page de webdocumentaire sur france24.com. © France24.com

Impression écran de la page de webdocumentaire sur lemonde.fr. © Lemonde.fr

2Viol, les voix du silence est un dispositif proposé par FranceTV qui regroupe deux documentaires et une plateforme ayant recueilli 1 000 témoignages. 800 ont été publiés par la chaîne et environ 35 000 visites ont été enregistrées. Le projet fait aujourd’hui l’objet d’un livre. La gestion du site internet sera ensuite transmise à des associations qui gèreront cette plateforme pour

continuer de donner la parole à ces femmes.© femme.gouv.fr

* Godard par Godard, les années Cahiers, Jean-Luc Godard, Flammarion, 1989, p. 218.

Page 17: Maquette mémoire finale planche

UN GRAND MERCI À

Jean-Michel Frodon, mon tuteur, pour m’avoir guidée tout le long de la préparation de ce mémoire, pour son aide précieuse et sa confiance.Toutes les personnes qui ont accepté de prendre sur leur temps pour répondre à mes questions.Alexandre Bonche, Documentariste et anthropologue, Thierry Garrel, grand contributeur du documentaire en France. Jean Cressant, président du Webprogram Festival International.Gilles de Maistre, Antoine BonnetierJean-Louis Comolli,À ceux qui, au cours de conversations, m’ont apporté de nombreuses informations pour ce mémoire. Je pense entre autres àJean-Marc La Roccadocumentariste françaisFred Banes, professeur de montage.

Rémy Ourdan, r e p o r t e r d e g u e r r e À la famille et aux amis pour avoir eu la gentilesse de m’écouter et de me donner des conseils tout au long de l’écriture du mémoire. Mon frère, pour avoir créé de beaux logos grâce à ses talents de dessinateur. Mes grands-parents, grâce à qui j’ai pu faire ces deux années d’étude en journalisme.Léo, pour m’avoir éclairée grâce à sa culture cinématographique et avoir été mon meilleur soutien.À tous ces cinéastes et journalistes, qui nous offrent ou nous ont offert un aperçu du monde, et avec lesquels je me suis documentée pour ce travail : Jean-Luc Godard, Raymond Depardon, Claudine Nougaret, Marcel Ophuls,

Pierre Carles, Manon Loizeau, Stefano SavonaChris Marker

ATTESTATION DE NON PLAGIAT

Je, soussignée, Émilie Lamine, étudiante dans le programme de journalisme de l’ISCPA Institut des Médias, atteste sur l’honneur que le présent dossier a été écrit de ma main, que ce travail est personnel et que toutes les sources d’informations externes et les citations d’auteurs ont été mentionnées conformément aux usages en vigueur (Nom de l’auteur, nom de l’article, éditeur, lieu d’édition, année, page). Je certifie par ailleurs que je n’ai ni contrefait, ni falsifié, ni copié l’œuvre d’autrui afin de la faire passer pour mienne. J’ai été informée des sanctions prévues au Règlement pédagogique de l’ISCPA en cas de plagiat.

Fait à Montréal, le 28 avril 2013 Signature :