Marco Ristitch - L'Humour, Attitude Morale

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MARCO RISTITCH Lhumour, attitude morale Le surralisme au service de la revolution No.6 (Rponse lenqute Lhumour est-il une attitude morale?) Quels sont les rapports de lhumour et de la posie, de lhumour et de la morale, de lhumour et de la mort? Il sagit tout dabord dune nouvelle manire denvisager la ralit et de se comporter envers elle (mais sous cet angle les objets eux mmes se montrent dans ce qui est en eux rellement laspect du moderne), et cela, tandis que la machine dtraquer et nier de lhumour ne fonctionne pas, ou aprs le bref instant de son fonctionnement fulgurant. Je veux dire que je parle sans humour de lhumour. Les quatre pages de la publication LImpossible (Belgrade, 1931) qui furent, sous le titre Le Rveille-Matin, une premire tentative dtablir exprimentalement les rapports entre la posie et lhumour, ont t totalement incomprises des intellectuels bourgeois. la lumire de ces rapports, il apparat pourtant trs clairement que lhumour est, dans son essence, une critique intuitive et implicite du mcanisme mental conventionnel, une force qui extrait un fait ou un ensemble de faits de ce qui est donn comme leur normale pour les prcipiter dans un jeu vertigineux de relations inattendues et surrelles. Par un mlange de rel et de fantastique, hors de toutes les limites du ralisme quotidien et de la logique rationnelle, lhumour et lhumour seul donne ce qui lentoure une nouveaut grotesque, un caractre hallucinatoire dinexistence, ou du moins, une objectivit douteuse et mprisable et une importance drisoire, ct dun sur-sens exceptionnel et phmre, mais total. En contact avec la posie, lhumour est lexpression extrme dune inaccommodation convulsive, dune rvolte laquelle sa retenue, sa compression ne font que donner plus de force. Selon Freud, lhumour a un ct grandiose qui se trouve sans aucun doute dans le triomphe du narcissisme, dans linvulnrabilit victorieusement affirme du moi. Le moi refuse de subir une offense, de souffrir par des causes venant de la ralit, il persiste croire que les traumas du monde extrieur nont aucune prise sur lui, il va mme jusqu prouver quils fournissent des motifs son plaisir . En tant quinacceptation, non-reconnaissance de la ralit et de sa gravit, lhumour satisfait certaines tendances tendances ludiques et rgressives vers des modes de pense pr-logique et pr-raliste. ce propos, Jean Frois-Wittmann attire lattention sur les rapports qui existent entre le mot desprit et lhumour dune part et limage potique de lautre, et arrive ainsi des conclusions qui sont celles de lexprience purement potique. La psychanalyse nous montre comment la transformation des sentiments accumuls en plaisir humoristique rend momentanment superflue toute extriorisation effective. Par ailleurs, lhumour est dune certaine faon un masque estampill et approuv par le sur-moi, quarbore linconscient pour pouvoir passer en resquilleur ct du contrle de ce mme surmoi. Et maintenant, quels sont les rapports entre lhumour et la morale, entre lhumour et une attitude morale, qui suppose justement cette raction constante, consciente et agissante dont lhumour dispense? Dans notre Esquisse dune phnomnologie de lirrationnel Kotcha Popovitch et moi, aprs avoir rejet la morale normative bourgeoise, ensemble dgotant de rgles et de rglements, codification qui pour varier en de et au del des Pyrnes nen demeure pas moins codification et non seulement du bien et du mal, in abstracto mais de la conduite de lhomme, de lhomme et de femme en amour (le normal et le pervers, le permis et le dfendu, la procration et le soixante-neuf), nous avons distingu, dune part, la morale relle (processus de la ralisation du dsir concret, irrationnel et individuel, expression des revendications directes de linconscient, de linstinct, du raisonnement, en dehors de toute systmatisation) et, dautre part, la morale moderne (tape de ce devenir, systme relatif, attitude conditionne par les exigences des catgories dont la morale relle, individuelle et inapplicable dans la socit actuelle, ne peut, par dfinition, tenir compte, telles que les catgories du jugement, de la conscience rationnelle, de la chronologie, de lhistoire, de la socit). dfaut dune conception dialectique, la notion de morale nous apparatrait sur deux plans irrconciliables. Sur le premier, dj contradictoirement, mais du moins sur le mme plan , il nous faudrait considrer la morale comme un systme qu tout prix il faut abolir et, en mme temps, comme la condition mme de cette abolition, comme la ngation de ce systme sur lautre de ces deux plans, tant lexigence irrductible et pleinement arbitraire de la libert personnelle de lindividu, le droit du dsir de se raliser, la morale nous apparat comme la personnification du dsystmatis de la dsystmatisation elle-mme. Pour viter ce paradoxe confusionnel, la distinction et la terminologie proposes par l Esquisse me semblent suffisamment justifies. Si lon tient compte de la distinction mentionne entre la morale relle (la morale du dsir) et la morale moderne (lattitude rvolutionnaire dpendante de la dialectique sociale), la rponse la question: lhumour est-il une attitude morale? est ngative, tandis qu la question lhumour est-il moral? La rponse est affirmative. Car, par cela mme que lhumour est parfaitement amoral, on peut dire quil est parfaitement moral,

tant donn que par lui-mme, il ne tombe pas sous le coup de la catgorisation du moral et de limmoral, qui ne peut soccuper que des consquences pratiques de lhumour. Cependant un tel humour en soi, en dehors de sa dtermination et de ses rsultats, quil soit utilisable ou non rvolutionnairement, ne pourrait simaginer que dans le plein devenir phnomnologique illimit, impensable au stade actuel de notre conscience ou bien dans linfiniment brve fulguration dun prsent ternis, cest--dire hors du temps dans lun et lautre cas. Mais nous sommes dans le temps, et comment! Et dans quel temps! Si donc on conoit quici, dans limplacable lumire de la veille, en pleine lutte de classes, le mot moral nonc haute voix (je ne suis pas seul au monde, tu nes pas seul au monde, quelquun parle quelquun, quelquun sexplique quelquun) signifie conforme aux exigences de la morale moderne, car lnonciation donne aux mots un sens social , alors, il devient clair que seul est moral ce qui est rvolutionnaire. Rvolutionnaire parce que moral; moral parce que (peuttre considr comme) rvolutionnaire: cest par ses consquences, ses rsultats que lon peut juger de la moralit dune donne initiale. Parce quil ne laisse en paix aucune pierre tombale des sicles, aucune pierre angulaire de lamphithtre de lternelle sagesse, lhumour est moral, tout comme la folie, la posie, lamour (rponse affirmative). Se pourrait-il dailleurs quune chose qui idalement sidentifie avec la ralisation dsintresse de linconscient, cest-dire avec la morale relle du dsir, quune telle chose nait pas des consquences morales? Mais cela ne veut pas encore dire que lhumour soit une attitude morale. Lhumour serait lanarchie sil pouvait tre une attitude. Mais il nexiste quinstantan, aussi loin que puissent rouler ses consquences dont il nest pas responsable et quil na pas pu prvoir (Kotcha Popovitch ). Lhumour en tant quattitude vitale est intenable. Jacques Vach sest tu, Jacques Rigaut sest tu. Lhumour persistant pourrait tre la morale de la solitude, mais la solitude sest condamne elle-mme mort, (ou bien elle est oblige de se transformer en action, cest-dire de se nier), prcipite vers son unique rsolution, vers lautodestruction, solitude dfinitive. Lhumour, nihiliste, tend rgressivement vers sa propre annihilation, vers la paix intra-utrine de lisolement, de la non-participation, de lirresponsabilit, vers le repliement humoreux de lembryon. Lhumour par dfinition ne peut choisir, prendre parti, car il nadmet pas, naccepte pas la ralit ou son choix, sa dcision devraient sexercer. Son ironie suprme est en ralit une indiffrence sans issue. Enopposition avec toutes les donnes possibles de la ralit sociale lhumour gnralis, perptu est incompatible avec chaque dcision, avec chaque adquation sociale possible Et, en tant indiffrence, lhumour nest ni vital, ni viable; la vie de lhomme particularise dans la matire ne peut pas tre indiffrente. (Esquisse, pp. 170-171). Les temps sont trop svres et trop prsents pour que qui que ce soit puisse esprer sen tirer par la conservation artificielle dune illusion, sous le vague toit de chaume de lhumour, dans le moulin solitaire et mort de lhumour, dans le phare sans feux de lhumour. Lhumoriste dsenchant (je ne parle pas des journalistes), envelopp dans la cape illusoire du fatalisme, est accroupi au sommet de la plus haute meule de foin (celle-ci brle la base), sans une miette dillusion (et vou tout entier une illusion), sans espoir mais sans amertume cratrice, sans un seul geste de rvolte agissante, sans mouvement et sans efficacit. Sensation jallais presque dire un sens de linutilit thtrale (et sans joie) de tout (Vach): sentiment qui doute de tout ( O DIEU ABSURDE! Car tout est contradiction nest ce pas? et sera umoreu celui qui toujours ne se laissera pas prendre la vie cache et SOURNOISE de tout O mon rveille-matin ). Sensation de linutilit thtrale de tout, (... et sera umoreu celui qui sentira le trompe lil lamentable des simili symboles universels ): aube trouble et cendre de dada. Sentir la vanit lamentable, labsurde irralit de tout, cest sentir sa propre inutilit, cest tre inutile. Alors, il faut ou bien sanantir ou bien se transformer, se dpasser par une ngation substantielle: Vach sest tu, dada est devenu le surralisme. Lindiffrence de lhumour est une force dexpansion refoule, dont la puissance virtuelle dexplosion est tire au clair par une autre puissance, relle et dterminante, celle du temps prsent, au clair de la dcision et de laction: lnergie cache, particulire cette indiffrence, attele, devient ainsi un moteur de laction. Et pour cela, je salue trs bas les miasmes virulents de lhumour. Psychologiquement, par son attitude humoristique un homme montre quil ne veut rien savoir des attaques du monde extrieur, et il transmue ses traumas en motifs de plaisir humoristique. Mais nul nest mithridatis contre le poison opaque et perfide de la ralit de ses dsastres. Il est vrai que dans ses minutes actives, lhumour est un poison plus secret, subtil et corrosif. Dans certains cas prcis (p. ex. la face dun prtre), sans tenir compte du nihilisme narcissiste qui lui est gnralement propre, non seulement il est moralement justifi, mais encore ses ractions sidentifient avec celles de la morale moderne du rvolutionnaire. Or, voil qui ne saurait tre constant, qui ne saurait se prolonger objectivement. Lhumour devient immoral, ds quil tente (mme inconsciemment) de parer son incapacit de validit durable par une systmatisation non moins immorale que toutes

celles opres abusivement sur les lments subversifs de lesprit, except celle, consciente et consciemment relative et pratique, de la morale moderne . Statiquement gnralis des fins narcissistes et illusoires, lhumour nest plus lexpression dsintresse et directe de linconscient. Tratre sa propre particularit concrte et irrationnelle, il nest pas non plus une systmatisation rationnelle ncessaire, au but objectivement, cest--dire rvolutionnairement efficace, il se rduit rien. Il nest plus quune dsertion, un alibi et couvre tous les compromis. Pour que la libert de la vie dsystmatise puisse devenir universelle, il faut une systmatisation (tout le contraire de la gnralisation de certains lments pris part) qui englobe tous les lments prsents et incomplets et, non moins que les autres, ceux de lhumour, image fuyante de larbitraire dchan. Le surralisme va droit la zone interdite mais si, dans son exprimentation spcifique, il ne saurait en rien tre rationalis, il sest, dautre part, mis au service dune cause la seule historiquement invitable et dcisive qui exige une organisation rationnelle de la pense, le surralisme sest mis au service de la rvolution qui, elle-mme, en travaillant transformer les conditions matrielles de lexistence humaine, est au service dune libert concrte et certaine dont les lments, autant quil est actuellement possible, se sont dj incorpors au surralisme, se mettant leur propre service. Lhumour, par exemple, peut-tre une arme ne pas ngliger. Mais le fatalisme qui devient son fait ds quil se gnralise na rien voir avec le caractre dterministe de lattitude morale du rvolutionnaire. Un rvolutionnaire sait quon natteint la libert que par la connaissance de la ncessit, et quon ne se drobe pas la responsabilit devant la ncessit de cette connaissance et de laction avec laquelle elle sidentifie.