Memoire Claire 13-27-08

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CONCEPTION ARCHITECTURALE ET PERFORMANCE ACOUSTIQUE DES SALLES DE CONCERT - Claire CAPDEVILLE Sminaire S810 - Jean-Pierre FRANCA et Jean-Marie PRIN fvrier 2008

I INTRODUCTION

Au mois de novembre 2004, le Thtre alla Scala (Milan, Italie), a t inaugur aprs davoir tre ferm pendant deux ans pour travaux. Le nouveau thtre a surpris par son excellente sonorit. Le mrite revenait au physicien Higini Arau, qui avait aussi dot d'une acoustique exceptionnelle le Nuevo Liceo (Barcelone, Espagne). Opration russie, donc, mais corriger lacoustique dune salle implique souvent de changer compltement sa gomtrie et ses matriaux, et donc de dpenser des quantits dargent colossales. Parfois, une correction satisfaisante est mme impossible. Alors, la question suivante se pose : comment russir une salle du premier coup ? En 1885, l'Universit dHarvard (Massachussets, USA) inaugura le Muse d'Art Fogg, un btiment no-gothique qui comportait une vaste salle de confrences. Le problme, constat le jour mme de son inauguration, tait que les mots qui taient dits depuis la scne, restaient en rverbration pendant des secondes, se transformant en un bruit inintelligible. Le Conseil de l'Universit appela alors un mathmaticien et expert en acoustique, Wallace Clement Sabine, pour qu'il essaie de rsoudre le problme. Le travail de recherche de Sabine marqua la naissance de l'Acoustique Architectonique, qui changea la manire dont les architectes conoivent les espaces publics et, particulirement, les salles des concerts. Lun des facteurs considrs, grce au travail pionnier de Sabine, est le temps de rverbration, qui est le temps que met un son disparatre une fois quil a cess dtre mis. Ce temps dpend du volume de la salle et des matriaux de surface. La psycho - acoustique value les prfrences des diffrentes personnes, et elle trouve quen gnral, on a tous tendance juger dun bon son dans des conditions semblables. Cependant, dans une salle de concerts, personne nest plac dans la mme position. Mais qui doit tre favoris ? Les musiciens sur la scne, la zone

Thtre Alla Scalla, Miln 2003

Muse dArt Fogg, Universit dHarvard Massachussets, 2004

Wallace Clement Sabine (1868-1919), physicien amricain

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centrale, les places du fond ? Obtenir un son sans distorsion toutes les places est un problme trs complexe. Les matriaux utiliss jouent un rle primordial dans laffaire. D'une part, il est vident que toute enceinte doit tre suffisamment isole du bruit extrieur, et dautre part, quelle doit empcher que les rverbrations intrieures du son ne se transforment en bruit. Alors il faut prendre en compte la capacit dabsorption et de rflexion des matriaux et leur emplacement. Dans les salles de concerts, le son qui arrive une place dtermine nest pas uniquement compos du son direct, mais aussi des sons rflchis sur les murs latraux, sur la scne, sur le plafond. Pour quune salle soit enveloppante, elle ncessite beaucoup dmetteurs secondaires, cest--dire que le son doit tre rflchi non seulement par une surface, mais par plusieurs, avec des degrs dattnuation diffrents. L'coute sera alors douce et de qualit. cet effet, il est ncessaire la collaboration directe de l'architecture et de l'acoustique depuis le dbut de la conception du projet. Quels sont les lments qui devraient tre pris en considration ds les premires esquisses du projet ? Quels matriaux devraient tre utiliss ? En quelle quantit ? Quels aspects du projets doivent tre ngocis? En une seule question :

Comment intgrer lacous tique dans une dmarche de co nceptio n ?

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II PERSPECTIVE ACOUSTIQUE DE LARCHITECTURE

L'exploration scientifique de notre environnement sonore est une entreprise relativement rcente, mais le fait que nous ayons commenc considrer le problme difficile de la pollution sonore comme une situation laquelle nous devons, invitablement, faire face, est un indice clair de l'importance du sujet dans une civilisation technologique dans laquelle nous sommes plongs.LE S PRE MI RE S C ON NAI SSAN C E S A CO USTIQ UE S

Les connaissances acoustiques apparaissent, dans un premier temps, dans la relation de l'homme la musique, comme nous pouvons le constater en Egypte du XIIIe sicle av.J-C., avec les peintures de la tombe de Nakht de la ncropole de Thbes. Dans le domaine phnomnologique, les premiers vestiges de l'existence d'un certain contrle des conditions acoustiques dans des enceintes apparaissent dans lAncien Testament, o se trouve la description de rideaux de poils de chvre qui, accrochs dans le tabernacle, se plissent et absorbent le son. De nos jours, les studios d'enregistrement prsentent des dispositions semblables de matriaux absorbants sur les murs. Aristote, dans la Problemata, se demande : Pourquoi, lorsquon dispose de la paille sur le parterre de l'orchestre d'un thtre, le choeur parat-il moins sonore ? Est-ce la cause de la rugosit relative produite par la paille, que la voix ne trouve pas le sol lisse et uniforme quand elle arrive jusqu' lui et, en consquence, perd du volume en raison des discontinuits ? 1 Les fondements de l'Acoustique Gomtrique sont lis aux phnomnes optiques. Au IIIe sicle av.J-C., Archimde de Siracuse dtermina laire du disque en donnant la valeur de pi comme 22/7, et posa le principe de ce quon appelle linverse du carr de la distance pour l'intensit acoustique et lumineuse . Un sicle plus tard, Hron indiqua que l'angle d'incidence, lorsquun son frappe un solide, est gal l'angle de rflexion. Cest la civilisation grecque qui tisse les liens entre optique et acoustique et pose les premiers jalons de l'Acoustique Architectonique.

La tombe de Nakht, Egypte, XIIIe sicle av.J-C.

1 LAMBROS, C. La Physique dAristote, Ousia, Bruxelles, 1998, ISBN 2870600623

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LE T H T RE G REC

Le point culminant de lacoustique applique larchitecture fut atteint avec la conception et la mise en scne du Thtre Grec , lment urbain qui ne manquait jamais dans les villes de cette priode. Les Grecs considraient que l'audition et la visibilit taient deux concepts insparables (le mot tetaron , drive de theaomai , contempler), ce pourquoi ils situaient leurs thtres gnralement dans des dpressions du terrain, et profitaient de la pente naturelle des collines, dans lesquelles ils excavaient les gradins. Les acteurs portaient de grands masques, qui possdaient une triple fonction : 1. dfinir exagrment les caractristiques histrioniques du personnage ; 2. amliorer la visibilit loigne et 3. aider lacteur diffrencier la prononciation, la rsonance vocale tant amortie. Une hypothse consiste dire que le masque servait amplifier la voix comme un mgaphone. Les gradins taient disposs de manire semicirculaire sur le plan horizontal et s'levaient avec une pente variable qui s'approchait de l'image idale d'une zone sphrique. Les Grecs, dans leur recherche de l'quilibre architectonique, construisirent des oeuvres aussi extraordinaires que le Thtre de Dionysos Athnes, dune capacit de dix-sept mille spectateurs, et obtinrent une coute magnifique par rception du son direct, sans tenir compte des rflexions et des diffractions possibles de celui-ci. L'hritage grec fut repris par les Romains, qui btirent des thtres gigantesques bass sur la mme typologie. Ceux-ci drivrent en "amphithtres", qui sont la combinaison de deux thtres. Lon peut considrer que ce sont les Romains Lucrce et Vitruve qui russirent rsumer toute la philosophie naturelle de leurs prdcesseurs et la transmettre. Ils abordrent des concepts tels que lacoustique de la transmission et de la rception de la parole (intelligibilit) ou l'influence de la forme de l'enceinte pour la qualit de l'audition. Lucrce, dans le dernier sicle de lre prchrtienne, rvla avec clart les concepts de rverbration, de transmission et de diffraction du son : "Quand l'espace parcourir nest pas trs grand, la voix va du dbut la fin de chaque mot et ceux-ci peuvent tre entendus avec distinction, mais si le chemin est plus long que ce qui est adquat, il apparat la confusion, les mots sont couts sans qu'il existe un entendement, cette confusion est la voix quand elle arrive trop gne. Une voix se disperse soudainement en plusieurs voix, certaines frappent lair au loin

Lvolution du Thtre Grecque

Les masques utiliss pour le Thtre Grecque

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sans aucun effet, d'autres sont brises contre les corps solides et reviennent, avec l'image trompeuse d'un mot... Dans les lieux isols, les grands murs de roche nous restituent les mots, ainsi ils giflent colline aprs colline et la rverbration se rpte Par consquent, l'espace est compltement empli de voix, tout ce qui se trouve autour est excit par le son... Et mme si la voix est capable de dpasser le mur d'une maison et de pntrer dans loreille, elle est obtuse et confuse, et il nous semble entendre des sons au lieu de mots 2 .LE D B UT D E L A CO USTIQ UE D E S SA LLE S

2 LUCRCE, KANY-TURPIN, J. (ed., trad., intr. et notes), De la nature. De rerum natura, Paris, Aubier, 1993.

Cependant, la contribution au domaine de l'Acoustique Architectonique la plus significative - au moins la plus structurea t apporte par l'architecte romain Vitruve, dont l'oeuvre clbre connue sous le nom de Les Dix Livres de Vitruve a servi comme fondement thorique et pratique de l'architecture la Renaissance, et appartient encore aujourd'hui aux bases classiques de l'architecture traditionnelle. Dans son oeuvre, son analyse sur l'acoustique des thtres est mise en valeur : Nous devons choisir un lieu o la voix dcrot doucement, et o elle n'est soit pas restitue par rflexion de sorte qu'elle arrive indiscernable l'audition. Il existe des endroits qui, de par leur nature, gnent la diffusion de la voix Ces espaces (dissonants) sont ceux o, au dbut, la voix est dirige vers le haut, puis frappe contre les corps solides des hauteurs et reflte, interfrant dans sa chute avec lascension du mot suivant Dautres endroits ( circonsonants ) sont ceux o la voix se meut en tous sens puis revient vers le centre, o elle se dissout en rendant confuses les fins de phrases, et meurt en forme de sons sans sens Il y a les lieux rsonants o la voix se heurte contre les solides, provocant des chos et faisant que les mots se rptent Il y a aussi les lieux consonants o la voix est renforce dans toutes ses caractristiques et atteint les oreilles des spectateurs clairement et distinctement 3 . Ces concepts basiques de l'acoustique de salles sont traduits au langage actuel dans les termes suivants : dissonance est le phnomne d'interfrence ; circonsonance se rfre la rverbration ; rsonance est lcho ; et finalement, consonance , pour laquelle on na pas dquivalence, exprime le sentiment de lidal acoustique , la perfection, la consonance enfin, bien que ce terme soit toujours elliptique. Et il est curieux que mme si Vitruve disposait dj d'un concept aussi subtil qui est que la superposition de deux sons peut produire du silence

Marcus Vitruvius Pollio (90 20 av.J-C), architecte romain

3 VITRUVE, PERRAULT, C., Les Dix Livres dArchitecture. Pierre Mardaga Editeur, 1995. ISBN 2870091141

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(des interfrences), cette observation est reste dans loubli jusquau sicle dernier.LA CO USTIQ UE C OM M E SCI EN C E

Lonard de Vinci a marqu le dbut d'une nouvelle tape en affirmant, propos de la propagation des ondes dans l'eau et du son dans lair : Dans les deux instances, on accomplit la mme loi de la Mcanique ! Comme les ondes dans l'eau provoques par la chute d'une pierre, les ondes du son ont le mme comportement en voyageant dans l'air, en se croisant les unes avec les autres sans se mlanger, et en prservant leur centre respectivement comme lorigine de chaque son... Par consquent il existe seulement une loi de la Mcanique pour toutes les manifestations de la Force 4 . De ses observations sur l'cho, Da Vinci conclut que le son devait avoir une vitesse finie, et il dcouvrit la rsonance par sympathie de corps affins dans la mme note. On peut dire aussi quil fut le prcurseur historique de la technique du son, par l'observation suivante : ...si, ton bateau larrt, tu introduis un long tube dans leau et tu places ton oreille l'autre extrmit, tu entendras des bateaux qui sont une grande distance de l 5 . En 1485, L. B. Alberti - architecte italien souligna clairement la ncessit de considrer toutes les perceptions sensorielles. Dans son trait De re aedificatoria, il parla des exigences de confort thermique et acoustique dans larchitecture. Sur la thermique, Alberti dit : Le mur de pierres ou de marbre est froid et humide, parce que le froid fait prendre en masse lair et le transforme en sueur ; mais la pierre de grs et de brique est plus commode, puisquelle est sche 6 et sur lacoustique : Il peut se prsenter linconvnient dont le pote parle dans une satire : quils vous quittent le sommeil, les charrettes qui passent dans les rues troites et tortueuses et le vacarme de la foule affaire 7 . Durant cette mme priode et jusqu' Newton, la presse se dveloppa dfinitivement, et la Mcanique commena avoir un corps formel trs solide en tant que science : Kepler, Cardan, Stevin, Brahe et Galile sont les reprsentants de cette mentalit en processus de changement, des concepts mtaphysiques aux raisonnements physiques.

Leonard de Vinci (1452-1519)4 ZLLNER, F., Lonard de Vinci, 1452-1519. Editeur Taschen, 2000. ISBN 3822861790

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Ibid

6 L.B. ALBERTI, De re aedificatoria, 1485. Traduit par CAYE P. et CHOAY, F., LArt dedifier. Paris, 2004. ISBN 2020121646 7

Ibid

Leon Battista Alberti (1404-1472), architecte italien

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La fin de ce sicle fut glorieuse, avec Newton et Hooke dans la partie anglaise, et avec Leibnitz et les frres Bernoulli (Jacques, Nicolas et Jean) dans le reste du continent europen. La prvision thorique, par Newton, de la vitesse du son (332 m/s 0 C), fut le premier exemple d'infrence dductive d'une constante physique basique. Cependant, elle ne fut dtermine avec prcision que jusquen 1738, par Csar Franois Cassini de Thury, onze ans aprs le dcs de Newton. Quelques annes plus tard, un mdecin connu sous le nom de Giovanni Lodovico Banconi rpta lexprience pendant lhiver et lt, et dtecta une augmentation de la vitesse du son dans l'air avec la temprature. Lon peut stonner de lapparente lenteur du dveloppement de lacoustique. La cause est srement rapprocher de la position de frontire de cette science, entre plusieurs savoirs disjoints. Jusqu'au XVIIe sicle, lacoustique navait suscit dintrt que par sa relation inhrente avec la musique et pour expliquer le mystre phnomnologique de l'cho. En revanche, le XVIIe sicle vit progresser la communaut scientifique vers la dtermination du paramtre objectif quest la vitesse du son. Pour y parvenir, il tait dabord ncessaire de trouver un moyen objectif de mesurer le temps (et cest Huygens qui dclaira le chemin avec ses tudes sur le pendule), mais aussi de comprendre la nature lastique des gaz et ltablissement des lois thermodynamiques sans oublier le dveloppement des mathmatiques. Ce nest qu partir de ces connaissances pralables quil fut possible de trouver une concordance entre exprimentation et thorie. Par consquent, cest avec Lord Rayleigh que lon peut commencer parler de lAcoustique comme science, au moment o les domaines de la physique et des mathmatiques permettaient une parfaite comprhension des ondes sonores.LA CO USTIQ UE A RCHIT E CT URA LE D E N O S JO URS

Joseph Henry (1797-1878), physicien amricain

En 1849, un physicien amricain connu sous le nom de Joseph Henry - inventeur de l'auto-induction lectromagntique - fut charg par le prsident des Etats-Unis d'effectuer une tude des plans pour les nouvelles ailes du Capitole : la Chambre des Reprsentants (aujourd'hui la Salle Statuaire), puisque les solutions acoustiques adoptes par les architectes lors des restructurations prcdentes n'avaient pas eu de bons rsultats. Pour cela, Henry fit des recherches sur les limites de perception de l'cho et sur les problmes de la position relative de

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la source et du rcepteur du son. Cependant, son tude la plus passionnante aborda le traitement nergtique des phnomnes acoustiques de Rverbration et dAbsorption. Henry fut le premier distinguer clairement cho et rverbration : La rverbration est produite par la rflexion multiple du son sur les murs de la pice, et elle est beaucoup plus frquemment la cause de la confusion que le simple cho La persistance dun son simple et la tendance la confusion doivent dpendre de plusieurs conditions : premirement, de la taille de la pice ; deuximement, de la force du son ou de lintensit de limpulsion ; troisimement, de la position des surfaces rflchissantes et quatrimement, de la nature du matriau desdites surfaces 8 . Des annes plus tard, en 1895, le jeune W.C. Sabine se trouva, de manire fortuite, dans un problme semblable : l'ordre du recteur Elliot de "faire quelque chose" avec les conditions daudition dsastreuses quavait la salle de confrences du premier btiment quoccupait le Fogg Art Museum l'Universit dHarvard. Cest l que commena vritablement l'acoustique architectonique telle que nous la connaissons aujourd'hui. Le secret du succs de Sabine est non seulement d l'tablissement de la relation mathmatique qui lie la gomtrie d'une salle et son pouvoir d'absorption acoustique au temps de rverbration [TR(s) = 0.161 * V(m3) / A(m2)], mais aussi, au fait quil publia les rsultats de ses expriences dans des revues non scientifiques, dont les destinataires pourraient en bnficier immdiatement 9. La vision de l'acoustique architectonique de Sabine fut globale. Il dpassa tous ses prdcesseurs en tant le premier tudier l'isolation aux bruits arien et de choc. Et il travailla directement avec les fabricants de matriels de construction, en dveloppant avec Gustavino plusieurs prototypes de briques acoustiques entre 1908 et 1915-, jusqu' la fabrication de la plaque connue comme AKOUSTOLITH , avec laquelle Gustavino domina plus du 50% du march de l'amnagement acoustique, jusqu'aux annes 30. Ce fut une poque de grande expansion conomique et par consquent, d'euphorie constructive. L'acoustique, grce l'activit de Sabine, trouva sa place dans le monde, et grce la fondation de The Acoustical Society of America , en 1929, l'acoustique architectonique s'est transforme dans une activit fbrile qui continue se dvelopper de nos jours, sur plusieurs fronts.

SYNDER F. W. Acoustical Investigations of Joseph Henry as viewed in 1940. JASA. 12-1, 58-61., 1940.

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Les magazines taient principalement dArchitecture et de Construction, par exemple, The American Architect, The Brickbuilder, The Engineering Record et The Journal of the Franklin Institute.

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III HISTORIQUE DES SALLES DE CO NCERTS

Aujourdhui, la salle de concerts constitue le lieu privilgi de rencontre entre la musique et larchitecture. Mais cela ne fut pas toujours le cas. Jusquau XVIIIe sicle, les rapports entre les deux arts se jouaient principalement sur un plan thorique. Leurs interfrences sexprimaient plutt en termes danalogies et de mtaphores. Certaines caractristiques communes aux deux arts ont pu stimuler cette dmarche, comme leur caractre abstrait ou le fait que tous deux procdent par composition, assemblant un tout selon des rgles prcises de nature mathmatique. En gnral, on peut distinguer deux tendances dans les rapprochements de la musique et de larchitecture, sattachant chacune un personnage mythique. Dune part, lcole pythagoricienne a fait appel la musique pour imposer de lordre. Il en dcoula un systme danalogies ayant principalement trait la structure interne de luvre dart. Dautre part, les philosophes allemands du XVIIIe sicle, sinspirant du mythe dAmphion, se sont intresss au pouvoir expressif et immersif de la musique.LA MY STIQ UE D U N O MB RE

le Concert Hall de Sydney contient le plus grand orgue mcanique du monde, Australie,

Pythagore dcouvrit quaux consonances harmoniques de la musique grecque ancienne (centres autour de loctave, de la quarte et de la quinte) correspondent des rapports simples entre nombres entiers (respectivement demi, trois quarts, deux tiers) exprimables gomtriquement laide dune corde vibrante. Les frquences mises par celle-ci dpendent de sa longueur : il suffit, par exemple, de faire rsonner la moiti de la corde pour obtenir loctave du ton original ; deux tiers de la corde donnent la quinte, etc. Selon Pythagore, la consonance de ces intervalles nest pas fortuite : loreille les apprcie parce que ces sons rsonnent avec la musique des sphres , les tons produits par le mouvement des plantes autour de la Terre. La musique rend donc audible la structure harmonique du cosmos. Do le prestige dont a pu jouir cet art dans lesthtique occidentale depuis lAntiquit jusquau XXe sicle. Au Moyen ge et la Renaissance, ces ides ont abouti une mystique du nombre trs rpandue, pntrant tous les aspects de la vie artistique et religieuse. Comme lexplique Rudolf Wittkower dans son ouvrage Architectural Principles in

Pythagore et la dcouverte des rapports mathmatiques des consonances harmoniques (F. Gafuri, Theroica Musice, 1492)

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the Age of Humanism, la notion de beaut tait attache celle d harmonie , cest--dire le rapport proportionnel et correct des parties par rapport lensemble 10.La qualit esthtique de luvre se mesure alors sa capacit reflter la structure harmonique de lunivers. Cest sous cette lumire quil faut comprendre les allusions musicales dans les thories dAlberti ou Palladio. Chez le premier, on peut lire par exemple dans De re acdificatoria : [] les nombres, par lintermdiaire desquels lharmonie [concinnitas] ravit nos oreilles, sont les mmes que ceux qui merveillent nos yeux et notre esprit. [] Cest pourquoi nous emprunterons toutes nos rgles sur les rapports harmoniques aux musiciens, qui connaissent parfaitement bien ces nombres [] 11 . De Palladio, on sait quil concevait les plans de ses villas comme des fugues architecturales : les proportions dites musicales dterminent non seulement les proportions des pices seules mais galement leur rapport lensemble de la composition architecturale. Comme on peut le deviner, il sagit ici de spculations thoriques qui nont pas de rapport direct avec lexprience spatiale. Les sens de loue et de la vision ne fonctionnent pas de la mme faon : lil accepte et corrige plus facilement les aberrations que loreille, car il est en mesure de voir lensemble. Loreille est moins tolrante cet gard car elle est plus analytique par nature. Par consquent, lusage de proportions exactes servant dterminer la taille dune pice ne garantit nullement une ambiance architecturale harmonieuse . Il faut donc tre prudent avec des tels transferts car, dans leur manifestations phnomnologiques, architecture et musique sont loin dtre homognes. Lier les deux champs par le biais des mathmatiques constitue avant tout une opration intellectuelle, visant fonder larchitecture sur des lois universelles et donner lart de btir le prestige dont jouissait la musique cette poque. Car la Renaissance, seules les disciplines utilisant des nombres taient considres comme des arts nobles. Il nempche que la mystique du nombre et lide de lquivalence des sens sont restes bien vivantes jusquau XXe sicle. Le Corbusier, dans le Modulor, crit par exemple : Loreille peut voir les proportions. On peut entendre la musique de la proportion visuelle 12 . Issu dune famille de musiciens, Le Corbusier considrait le Modulor comme une gamme architecturale : linstar de la musique, elle comprenait une srie limite de mesures, permettant de composer toute symphonie architecturale imaginable. On comprend alors combien le vieux matre a pu se rjouir devant les applications

WITTKOWER (Rudolf), Architectural Principles in the Age of Humanism, Londres, 1949.

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11 ALBERTI cit dans SZENDI (Peter), Espaces, Paris, Ircam, 1994, p. 201

LE CORBUSIER, Modulor II, Boulogne-Billancourt, 1995, p. 154

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musicales quen a proposes lun de ses assistants de lpoque, le futur compositeur Iannis Xenakis.LE M YTH E DA M PHI ON

Si les pythagoriciens sappuient sur laspect mathmatique de la musique comme outil de formalisation rationnelle, les philosophes allemands du XVIIIe sicle font appel, eux, lart des sons pour cerner le pouvoir expressif de larchitecture. Ce glissement doit tre compris la lumire de lesthtique relativiste qui sinstalle au XVIIe sicle. La notion de beaut ne dpend plus de lois absolues mais de lapprciation individuelle. Par contraste avec la doctrine pythagoricienne, on sintresse alors moins aux analogies structurelles entre une uvre musicale ou architecturale qu la similitude de leffet esthtique que produisent les deux arts chez lindividu. Dans Philosophie de lart (1802), le philosophe allemand EW. Schelling compare larchitecture une Verstummie Tonskunsi (composition muette) avec une composante rythmique, harmonique et mlodique. Pour lui, une belle faade constitue une musique pour les yeux qui nest pas perue dans le temps mais comme un concert simultan dharmonies et de relations harmoniques 13 . Goethe reprendra cette ide : en effet, lambiance dgage par larchitecture se rapproche de leffet de la musique 14 . Il se rfre ici au mythe grec classique dAmphion qui rige les remparts de la ville de Thbes en attirant les pierres aux accords de sa lyre. Do la structure harmonique de ces constructions et leffet musical quelles dgagent. Cest dans cet enchanement dassociations quil faut situer le clbre aphorisme de Goethe comparant larchitecture une musique ptrifie . nouveau, tout comme chez les pythagoriciens, cette mtaphore nest pas fortuite : en dclarant quune construction de pierres peut mouvoir tout aussi bien quune symphonie, larchitecture slve ainsi au rang de la musique, lart prfr des philosophes de lpoque. Cest galement au temps de Goethe que nat le phnomne du concert : un public se rassemble pour couter de la musique dans le silence. Les premiers concerts publics et payants ont lieu Londres vers la fin du XVIIIe sicle 15. Lcoute de la musique devient alors une activit culturelle indpendante, avec ses propres codes sociaux et une nouvelle typologie architecturale, la salle de concerts. Son avnement atteste de limportance

Amphion, linventeur mythique de la musique, rigeant les remparts de la ville de Thbes, (gravure de B. Picard, 1733)

SHELLING, dans STEINHAUSER (Ubrike), Musik and Architekture , Musik in Geschichte und Gegenwart, 1997, p. 729

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GOETHE, dans PEHNT (Wolfgang), Verstummte Tonkunst. Musik and Architektur in der neueren Architekturgeschte in VON MAUS (Karin), Vom Klang der bildes, Munich, Prestl, 1985, p. 394

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Pour lhistoire du concert comme manifestation culturelle et sociale, et lavnement de la typologie de la salle de concerts, voir Michael FORSYTH, Architecture et musique. Larchitecte, le musicien et lauditeur du XVII sicle jusqu nos jours, Bruxelles, Mardaga, 1987.

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croissante de la pratique musicale cette poque, la diffrence de la Renaissance, o la musique constituait principalement un domaine de spculation thorique. La musique savante tait alors rserve pour des occasions festives ou religieuses et joue dans des espaces qui ntaient pas conus selon des critres acoustiques. Les compositeurs taient donc obligs daccepter les aspects architecturaux et acoustiques des lieux o tait excute leur musique comme un fait accompli. Il faut attendre la fin du XIXe sicle pour que lacoustique soit tudie avec srieux par Wallace Sabine. Auparavant, ltude du comportement du son dans lespace seffectuait sous langle visuel et par analogie avec loptique gomtrique, comme chez le savant Arthanasius Kircher au XVIIe sicle.

IM M E RSIO N D AN S LE S SON S

Aujourdhui, le comportement acoustique dun espace peut tre prfigur avec une grande prcision grce linformatique, qui permet de simuler les trajets des ondes acoustiques. Chez les compositeurs du XXe sicle, on constate une mme volont de contrler le comportement du son dans lespace. Dans le prolongement des expriences des compositeurs Adrian Willaert et des cousins Andrea et Giovanni Gabrieli Venise au XVIe sicle, disposant deux churs face face sur les balcons de la basilique, la distribution des sources sonores est devenue, partir des annes cinquante, un vritable champ de recherche chez les compositeurs davant-garde. Plusieurs figures marquantes de la musique contemporaine se sont associes des architectes afin de proposer des expriences auditives autres que celles de la classique situation frontale du concert traditionnel. Parmi les ralisations les plus remarquables, citons le pavillon Philips de lExposition de Bruxelles de 1958 (une collaboration entre Le Corbusier, Xenakis et Varse), le pavillon sphrique conu par larchitecte Bornemann pour le compositeur Karlheinz Stockhausen lors de lExposition dOsaka, en 1970, et le vaisseau sonore en bois conu par Renzo Piano pour lopra Prometeo de Luigi Nono en 1984. Dans tous les cas, larchitecture entoure le public de sons. Cest toujours leffet dimmersion dans la musique qui est recherch. Aujourdhui, les rapprochements entre la musique et larchitecture sattachent principalement aux aspects acoustiques et spatiaux du lieu de diffusion. Il ne sagit plus tant de formes ordonnes par des proportions musicales ou des principes mtaphysiques que despaces obissant aux lois acoustiques. Le

Le Corbusier, Xenakis, Varse, pavillon de lexposition universelle de 1958, Bruxelles

Renzo Piano, scnographie pour lopra Prometeo, de Luigi Nono (1984-1985)

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pouvoir motif de larchitecture, voqu par Goethe, est mis en uvre pour crer une exprience spatiale qui va au-del de sa propre matrialit. Dans ce sens, lacoustique pourrait constituer le seul vritable rapport entre larchitecture et la musique, une relation qui sexprime peut-tre moins en termes danalogies que de complmentarit. Une vritable fusion de ces deux arts ne se produit quau moment prcis o lauditeur oublie que deux arts sont ncessaires pour crer lexprience quil est en train de vivre.LA SALLE D E CO NC E RT S D U 2 1 E SI C LE

Comme au XIXe sicle, laspect extrieur de lobjet architectural et sa valeur iconographique sont revenus au premier plan. En tmoignent la Casa da Musica Porto ou le Palau de les Arts Valence, en Espagne ; ce sont des objets sculpturaux, possdant une forte prsence urbaine, que renforcent le miroir de plans deau, des porte--faux spectaculaires ou des effets dclairage nocturne. Ces astuces accentuent laspect rituel du concert et aident le public se prparer mentalement pour une communion avec les arts. Autant dire que la flexibilit et le rejet de la formalit typiques des annes soixante-dix- ne sont plus de rigueur. Pourtant, plus que jamais, pour tre conomiquement viable, une salle doit rpondre un impratif contradictoire : accueillir diffrents genres musicaux dans des conditions acoustiques parfaitement adaptes chacun deux. De leur ct, les artistes se montrent de plus en plus exigeants : ils ne dbarquent plus en vieille camionnette mais ont besoin de camions de 20 tonnes pour transporter leurs dcors de plus en plus sophistiqus. Le public, enfin, dont les gots voluent toujours plus rapidement, veut bien voir, bien entendre, tre bien assis et bien accueilli. Cette tendance se reflte dans le prestigieux concours pour une salle de musique de jazz au sein du Lincoln Center de New York, ainsi que dans nombre dimportantes de salles de musique ralises rcemment aux Pays-Bas ; mais aussi en France, avec la srie des Znith, dont le dernier, situ Limoges et dessin par Tschumi, a t termin en 2007. Les villes semblent avoir dcouvert la salle de concerts comme lieu de concurrence. La recette est devenue classique : le prestige dune salle dpend du nom de son concepteur, de sa qualit acoustique et du renom des formations rsidantes. De

Casa da Musica, Rem Koolhaas, Porto, 2006

Palau de les Arts, Santiago Calatrava, Valencia, 2005

Znith de Limoges, Tschumi, Limoges, 2007

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mme, cest lidentit de la ville quil est invit rinventer travers un btiment, iconique et controvers de prfrence. Puis, aprs le concert inaugural, il sagit de donner limpression que toutes les salles construites avant ntaient que des tentatives en ce qui concerne la performance acoustique. cet gard, on oublie trop souvent que le caractre acoustique dune salle peut se dvelopper dans le temps et quil demande une certaine accoutumance de la part des formations musicales rsidentes et du public. La Philharmonie de Berlin en constitue lexemple le plus significatif : plusieurs annes ont t ncessaires pour apprcier sa sonorit tant clbre aujourdhui.

La Philharmonie de Berlin , architecte Hans Scharoun (1953-1963)

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IV LES TYPOLOGIES DES SALLES DE CONCERTS

me rge nce d u n e t ypo lo gie

La salle de concert est aujourdhui devenue un btiment spcifique, avec ses caractristiques propres. Elle manifestait un retard par rapport au thtre qui avait engendr ds lAntiquit ses propres lieux. Dans tous les pays dEurope -sauf en Angleterre, qui en ce domaine a manifest une grande avance- la ralisation de salles de concert pour un public payant a seulement t envisage au dbut du XVIIme sicle, au moment o la musique instrumentale prenait son autonomie par rapport la musique religieuse ou lopra. Les premiers difices conus pour cet usage apparurent plus tard : en 1781 Leipzig, 1800 Amsterdam, 1811 Paris. Jusqu cette priode, la musique se faisait dans des lieux privs, lglise ou dans des lieux prvus pour dautres usages 16.Les dema nd es ad resses la rchite cte

BOULET, M-L., MOISSIGNAC, C., SOULIGNAC, F. Auditoriums, Editions Le Moniteur, 1990. .

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Les demandes adresses larchitecte ont considrablement volu au cours des annes. Au XVIIIme sicle et mme en partie du XIXme sicle, peu de salles ont t construites pour ne servir quau concert, une certaine polyvalence tait demande. Jusquau milieu du XIXme sicle, le concert tait surtout une manifestation o il fallait se faire voir. Larchitecte devait mettre en valeur lvnement social par les espaces de rencontre autour de la salle. Lampleur grandissante de lorchestre a ensuite demand une transformation des espaces. En effet, lorchestre symphonique a considrablement augment son effectif entre le XVIIIe sicle et la fin du XIXe sicle, avec des phalanges passant de moins de cinquante personnes, comme ctait le cas de lorchestre typiquement mozartien , plus dune centaine. Il a donc fallu que les manifestations de concerts publics gnrent leur espace propre pour que la salle de concert , en tant que telle, puisse exister. Puis lvolution de la musique, des normes de son excution et des comportements dcoute du public

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ont de plus en plus spcifi les salles, ainsi que leur acoustique. Une salle de musique de chambre, une salle de concert symphonique, un opra ou une salle de musique amplifie ne rpondent pas la mme demande architecturale, ni acoustique. Chacune ncessite un lieu spcifique, bien quaujourdhui, bon nombre de salles tmoignent de la polyvalence quon a voulu leur donner et qui na pas toujours donn des rsultats satisfaisants.Trois rf re n ces fo rmel les

Pour laider laborer sa rponse aux contraintes dun programme bien particulier quest une salle de concerts, larchitecte a dispos de trois modles de rfrence (voir fig. 4.1) qui, selon les lieux et les poques, ont connu une plus ou moins grande diffusion.

Figure 4.1 Trois rfrences formelles de larchitecte : a) la bote chaussures b) lhmicycle c) la salle scne centrale

a)

b)

c)

La salle rectangulaire ou bote chaussures Dans de petites salles, la forme importe relativement peu du point de vue acoustique. Quand est ne la demande de grandes salles de concert publiques, lon sest rendu compte que celles dont la forme drivait des dimensions et des plans rectangulaires des salles de bal avaient une acoustique particulirement favorable. Les proportions de ce type de salle sont peu prs celles dun double cube, c'est--dire 1 :1 :2. La salle est rectangulaire, des tribunes ou des gradins peuvent y tres installs dans diffrentes parties. Toute lEurope, sauf lItalie, a vu souvrir des salles de ce type. La rfrence en la matire est la Altes Gewendhaus (voir fig 4.2) Leipzig en1781. La ralisation la plus marquante aux Etats-Unis est le Boston Symphony Hall en 1900 (voir fig. 4.3 et 4.4).

Figure 4.2 Altes Gewendhaus, Leipzig , 1781, J.F. Dauthe

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a )

Figure 4.3 Symphony Hall, Boston 1900, Kim, Mead & White

b )

Figure 4.4 (a) Plans et (b) coupe longitudinale du Boston Symphony Hall, Massachussetts

La salle en hmicycle Souvent dnomme amphithtre, elle a comme origine le demicercle des thtres grecs classiques. Elle permet une bonne vision de tous les spectateurs, mais nest pas trs adapte pour une salle de concert, car les rflexions latrales sont trs faibles. Le Kultuuritalo Helsinki et le Wembley Conference Center (voir fig. 4.5 et 4.6), construit en 1976 en Angleterre, font partie de cette typologie. Ce dernier, conu pour avoir une certaine polyvalence, est inadapt aux concerts. Les seules rflexions parvenant aux spectateurs viennent du plafond, le son est sec, loign, contraint et faible. La salle remplit cependant sa fonction de salle de confrence, puisque pour cet usage, labsence de rflexion latrale permet une coute claire et une bonne distinction des mots.

Figure 4.5 Wembley Conference Center, Angleterre, 1976, R. Seifet and Partners

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a)

Figure 4.6 (a) Plan et (b) coupe longitudinale du Wembley Conference Center

b)

La salle scne centrale La salle scne centrale drive du modle du thtre romain. Trs en vogue aujourdhui parce quelle permet une plus grande intimit entre le public et les musiciens, la premire vritable salle de concert scne centrale a t la Philharmonique de Berlin (voir fig. 4.7 et 4.8), conue par H. Scharoun et termine en 1963. Il convient galement de citer la salle de Denver ouverte au tournant des annes 1980 (Hardy, Holzmann, Pfeiffer), et la future Philharmonie de Paris, puisque lenveloppement de la scne par le public faisait partie des exigences du concours dont Jean Nouvel est laurat. La caractristique principale de ces salles est que les spectateurs sont placs, non seulement frontalement et latralement la scne, mais aussi derrire les

Figure 4.7 Scne de la Philharmonique de Berlin, 1963, H. Scharoun

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musiciens, cest--dire face au chef dorchestre. Il est noter que ce type de rapport entre le spectateur et la scne nimplique pas une forme ronde ou ovale de la salle. Dans le cas de la salle philharmonique de Berlin, la scne centrale a donn deux problmes rsoudre : comment fournir des rponses latrales rapides (puisque, en comparaison une bote chaussures, les parois latrales sont plus loignes) et comment accommoder la nature directionnelle des instruments de musique ? Dans la rponse finale, des rflexions latrales rapides sont ralises par les bords des ailes qui diffusent en partie le son, mais non suffisamment et de manire non uniforme. Le choix a donc t fait de permettre des rflexions tardives grce des diffuseurs et des rflecteurs suspendus au plafond. Le plafond en forme de tente fournit des rflexions fortes qui amliorent luniformit.

a)

b)

Figure 4.8 (a) Plan et (b) coupe longitudinale de la Philharmonique de Berlin19

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V CRITRES ACOUSTIQUES

Pour le langage parl, lexigence subjective est que le discours soit intelligible. Le succs de la conception peut tre apprci quantitativement par le moyen de tests dintelligibilit, en introduisant des mots dans des phrases simples. Des quantits physiquement mesurables, qui prdisent avec prcision le rsultat du test dintelligibilit, existent. En musique, en revanche, il nexiste pas dvaluation de la sorte. On peut bien sr dire que lacoustique est excellente mais, ds quon compare deux situations acoustiques, les rponses se rfrent tout un lot de caractristiques diffrentes. La musique et lacoustique tant nes indpendamment lune de lautre, elles ont dvelopp un vocabulaire diffrent pour dcrire leurs concepts.Dime ns io n s u bje ct ive

Leo Beranek, acousticien amricain, Cofondateur de Bolt, Beranek and Newman Consulting

Leo Beranek a t le premier proposer une approche de dfinition gnrale de la qualit acoustique d'une salle de spectacle 17. Il a fait comparer, dans son tude des aspects perceptifs, diffrentes salles de concert par des experts (chefs dorchestre, interprtes et critiques musicaux). partir des interviews de ces experts et de ses coutes personnelles, Beranek a dress une liste de 18 facteurs perceptifs qu'il rsumera plus tard en 7 : 1. Reverberance : rverbrance, valuation subjective du phnomne de rverbration; 2. Loudness : puissance sonore ;

BERANEK L. Music, acoustics and architecture, John Wiley and sons, Inc., USA, 1962. pp.6417

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3. Spaciousness : sensation d'espace et d'enveloppement sonore, lauditeur doit se sentir entour ou envelopp par le son 4. Clarity : clart ou transparence, elle doit tre adquate pour apprcier les dtails musicaux ; 5. Intimacy : intimit, sensation de proximit sonore ; 6. Warmth : chaleur apporte par la coloration des timbres par la salle ; 7. Hearing on stage : aptitude pour les musiciens s'entendre correctement. Lintensit du son direct, lintensit du son rverbr, la brillance, la balance, le mixage, lensemble, lattaque, la texture, la dispense dcho, la dispense de bruit, la gamme dynamique, la qualit tonale et luniformit viennent complter le tableau des attributs subjectifs.Dime ns io n o bje ct ive

Pour presque tous ces facteurs perceptifs, dfinis par Beranek, il existe des critres objectifs mesurables : - le temps de rverbration TR pour Reverberance, - la force sonore G pour Loudness, - la proportion de rflexions prcoce parvenant latralement l'auditeur pour Spaciousness (dcouverte de Michael Barron), - le rapport de l'nergie sonore prcoce sur l'nergie sonore tardive pour Clarity (critre C80 dfini

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par Abdel Alim), - le dlai temporel de la premire parvenant l'auditeur pour Intimacy,

rflexion

- le rapport du TR en basses frquence sur le TR dans les mdiums pour Warmth. Seul Hearing on stage n'est pas associ un critre objectif. Le temps de rverbration, la clart objective, lenveloppement objectif, le degr de rverbration, la sonorit (G), l"initial-time-delay gap" (t1), les relations nergtiques (ELR), la clart musicale, la courbe d'nergie rflchie accumule, la texture, la spatialit du son; lamplitude apparente de la source sonore (ASW), sont quelques-uns des critres objectifs utiliss pour la modlisation des salles de concert. Leo Beranek sest consacr tablir la correspondance entre sensations auditives et facteurs acoustiques (voir figure 5.1).

Figure 5.1 Tableau montrant les relations entre les facteurs musicaux audibles et les facteurs acoustiques dans salles de concert In Beranek, L., pp.43

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VI PARAMTRES DE CONCEP TION ET OBJECTIFS ACOUSTIQUES

Pour obtenir une bonne acoustique dans une salle de concert, il faut : - un son direct assez fort, - des rflexions, mais des rflexions qui arrivent tt (au-del de 50 ms, loreille spare les sons et le phnomne dcho apparat), - un temps de rverbration assez long, autour de 2 secondes, pour une salle de concert symphonique. 17 Bien sr, dautres objectifs acoustiques, exprims de manire plus technique, existent, mais nous nous basons sur cette simplification pour en tirer quelques conclusions quant la conception. En termes architectoniques, les exigences acoustiques se traduisent en trois paramtres : le volume de la salle, sa forme et les matriaux qui la composent. Comme on pourra le constater, il est impossible de tracer un lien exhaustif entre un objectif acoustique et un paramtre de conception. Cest finalement lensemble de la salle qui intervient sur tous les rsultats acoustiques.VO LUM EXU, Albert, entretien, juin 2007.18

Le temps de rverbration est le temps que met un son donn, partir des premires rflexions, pour dcrotre de 60 dcibels. Lquation de Sabine exprime le temps de rverbration en fonction du volume de la salle et de sa surface. Plus le volume de la salle augmente, plus le temps de rverbration augmente lui aussi. Plus il y a de surfaces absorbantes, et plus le temps de rverbration diminue. Chaque type de salle est associ un TR optimal (ou plutt un TR par bande doctave), suivant son usage. Pour lcoute de

TR=0,16 V/A V=volume en m3 A = i ai Si = surface dabsorption du local en m2 ai coefficient d!absorption "sabine" du matriau i de surface Si

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lorgue, on prfrera une rverbration assez longue, autour de 2,5 secondes. Lorchestre symphonique, qui se produit en gnral dans de grandes salles et o une certaine homognit est apprcie, a besoin dun temps de rverbration assez long galement, denviron 2 secondes (de 1,8 2,2). Un discours, quant lui, demandera un TR infrieur 0,8 secondes pour tre intelligible. Ce TR optimal dpend son tour du volume de la salle (voire figure 6.1). Par exemple, une salle de concert symphonique de 10,000 m3 aura un TR optimal de 1,8 s alors que si son volume est de 20,000 m3, le TR optimal passera 2 secondes.

Figure 6.1 Temps de rverbration optimal 1000 Hz, daprs Beranek

Admettons que je veuille construire une salle de concert symphonique de 1800 places. Quel doit tre son volume pour gnrer un temps de rverbration optimal ? Ne serait-ce quau sujet du temps de rverbration, lon se rend compte que le processus de conception demande un certain nombre ditrations pour arriver un rsultat satisfaisant. Dans la pratique, lon commence par fixer une constante de volume par spectateur, suivant lusage de la salle, pour se faire une premire ide. Dans le cas du concert symphonique, la constante de 10 mtres cubes par spectateur est frquemment utilise. Lon obtient donc, pour notre salle, un volume de 18,000 m3, dont le temps de rverbration optimal correspondant est de 1,95 secondes selon labaque de Beranek. Ces valeurs nous servent dimensionner notre premire esquisse, quil faudra valider avec lquation de Sabine et une premire hypothse sur les matriaux. Il faut savoir que, dans une grande salle, lhomognit sur toutes les frquences du temps de rverbration est trs difficile obtenir et demandera par la suite un calcul informatique complet et des ajustements prcis des matriaux selon leurs frquences dabsorption.

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FO RM E

Dessiner la salle pour un temps de rverbration appropri ne fournit quun volume. Comme la forme de lauditorium na presque pas dinfluence sur le temps de rverbration, beaucoup darchitectes ont considr quils avaient carte blanche au niveau de la forme, ce qui na pas toujours donn de bons rsultats. La forme est, entre autres, responsable des rflexions qui parviennent au spectateur et que celui-ci peroit en plus du son direct. Les premires rflexions, dans une salle de concert, contribuent la clart, lintimit et la sensation de forte intensit et, si elles arrivent des cts, la sensation denveloppement. Plus les murs se rapprochent du paralllisme et plus lefficacit latrale augmente. A contrario, plus langle douverture de la salle slargit en forme dventail, et moins la prsence de premires rflexions est possible car le trajet des ondes sonores atteint rapidement le fond de la salle sans pouvoir rebondir successivement sur les parois latrales (voire figure 6.2). Si la pose dlments correcteurs diffusants ou rflchissants aux abords de la scne participe activement renforcer lefficacit latrale, la forme gnrale de la salle savre encore plus dterminante et en particulier les murs latraux. Les premires rflexions doivent donc tres prises en compte ds la conception de la forme, dans les termes qui suivent : - Plus le chemin parcourir entre la source et lauditeur, -en passant par la surface de rflexion-, est grand et plus le dlai de rflexion est grand. - La valeur maximale du dlai de rflexion est de 50 ms, audel de laquelle la confusion des sons puis le phnomne dcho apparaissent. Connaissant la vitesse du son, ce dlai correspond une diffrence de trajet de 17 mtres entre londe directe AC et londe rflchie ABC (voire figure 6.3). Les rflexions rpondent des rgles gomtriques simples : pour un dlai de rflexion donn, la surface de rflexion doit tre tangentielle une ellipse dont les positions de la source et de la cible sont les foyers (voir fig 6.4). Comme une ellipse a la proprit que la somme des distances des foyers nimporte quel point est constante, une ellipse particulire dfinit un certain dlai deFigure 6.3

Figure 6.2

Rflexions dans une salle rectangulaire et dans une salle en ventail

Le phnomne dcho est du une diffrence de temps suprieure 50 ms entre le chemin direct AC et le chemin rflchi ABC

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rflexion. En trois dimensions, on a affaire un ellipsode. Lapplication de ce critre mne des dessins de plans intressants. Dans un plan de forme symtrique, les siges les plus loigns des surfaces de rflexion sont situs le long de laxe de symtrie.

Figure 6.4 La surface doit tre tangentielle une ellipse pour que la rflexion arrive dans le dlai donn.

Sur la figure 6.5, une surface de rflexion doit se trouver lintrieur ou tangentielle lellipse k pour rflchir le son de la source la position K sans produire dcho. Pour le point N et dans le mme dlai de rflexion, lellipse admissible, n, est plus large. Ce dtail sur la gomtrie illustre une possible conversion de llment technique en lment fondateur du projet, tout du moins de sa gomtrie.Figure 6.5 Lellipse k est lellipse admissible pour une rflexion de 50 ms vers le receveur K, etc. Les surfaces de rflexion doivent se trouver lintrieur de lellipse admissible pour que le dlai de rflexion soit infrieur 50 ms.

Le dessin du plafond peut, en premire approximation, se dterminer laide de ce mme principe gomtrique. Il reprsente la surface la plus efficace pour la radiation des premires rflexions significatives. Comme nous le montre la figure 6.6, un plafond horizontal simple ne fournit quun faible rendement de rflexions directes, alors quun plafond profil adquatement permet daccrotre le nombre des premires rflexions tout en augmentant sensiblement la force sonore.

Figure 6.6 Efficacit du plafond

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Lune des premires questions qui se pose en ce qui concerne la forme dune salle de concert est la manire de disposer le public. Dune part, lidal des organisateurs est que la salle ait la plus grande jauge possible, pour vendre un maximum de billets, alors que lexigence de qualit acoustique veut que le son direct reu par chaque spectateur soit assez fort, et donc que la distance de la source au spectateur le plus loign ne soit pas trop grande. Par exemple, dans une salle en forme de bote a chaussures, lacoustique est excellente si sa capacit est infrieure 2000 places. Au-del, le son direct est affaibli au fond et un trou apparat dans les places centrales. Plusieurs procds architectoniques sont possibles pour rsoudre le problme : Les balcons permettent la proximit scnique dun plus grand nombre de spectateurs. Cependant, cet avantage peut tre obtenu au dtriment des personnes situes sous les balcons, quand ils sont situs dans une zone dombre acoustique. Une rgle, dans les salles de concert, est dviter que lavance en salle ne dpasse la hauteur sous plafond 18. Le profil du balcon est lui aussi critique et peut provoquer des rflexions indsirables, ou tout au contraire participer la diffusion acoustique. Il faut traiter la sous-face des balcons comme des plafonds part entire. Une rpartition de spectateurs entre le devant et larrire de la scne est une autre solution. Elle a t employe dans la salle de 1354 places de lArsenal de Metz (fig. 6.8). Dans ce cas, le compromis faire tait le suivant : dune part, les personnes places face la scne ne devaient pas se trouver trop loin car le son direct sen serait trouv trop affaibli ; dautre part, les personnes places derrire la scne ne devaient pas tre trop nombreuses. Le public apprcie de voir le chef dorchestre, mais la qualit acoustique est moindre cet endroit.

MALET, T., Acoustique des salles, le guide de rfrence du praticien. Publications Geaorges Ventillard, Paris, 2001, p.111.

19

Figure 6.7 Pour sassurer dune couverture acoustique homogne, on vite si possible que lavance du balcon ne dpasse la hauteur sous plafond

Figure 6.8 Larsenal de Metz, 1989, Ricardo Bofill

Cest un rectangle de 50 m de long sur 25 m de large, avec une lvation de 15 m audessus de la scne. Le volume, de 13 000 m3, -10 m3 par spectateur-, a une rverbration de 2,3 secondes au milieu de la Salle.

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Comme la distance scne-public ne doit jamais dpasser 25 ou 30 mtres, le fait de serrer les siges est un autre recours qui a t employ pour loger un maximum de spectateurs dans une salle. a a t le cas de la salle de concerts de Vienne, qui compte 1700 places. Elle a une bonne acoustique, mais il ny a pas de confort et le public y est quelque peu entass. Dans dautres salles, un compromis a t trouv entre des siges assez serrs dans la salle et une zone VIP avec plus de confort. Quelques prcautions supplmentaires sont prendre en compte lors de la conception de la forme et correspondent un phnomnes acoustiques particulier : lcho flottant. On le rencontre ds que l'on a deux parois parallles qui sont rflchissantes. Il rsulte d'une succession trs rapide et rgulire de rflexions d'un son qui provient d'une source place au milieu. Il est donc prfrable dviter tout paralllisme exact des parois dune salle.SURFA C E S ET M AT RI A UX

Salle de concerts de Vienne

En plus de la forme et du volume, les matriaux sont le troisime critre dterminant pour lacoustique dune salle de concert. Il sont choisis et disposs de faon obtenir les conditions dcoute optimales dans la salle. Les trois principales classes de matriaux sont les absorbants, les rflecteurs et les diffuseurs. Quun matriau soit rverbrant ou absorbant dpend de la quantit dnergie quil absorbe par rapport la quantit dnergie incidente. Cest le coefficient Sabine qui caractrise le degr dabsorption dun matriau en fonction de la frquence et permet de comparer les performances des diffrents produits. Si Sabine = 1 ou tend vers 1, cela signifie que la paroi a absorb la totalit de lnergie et que rien nest rflchi : le matriau est absorbant. Si Sabine = 0 ou tend vers 0, cela signifie que la paroi a rflchi la totalit de lnergie et que rien nest absorb : le matriau est rverbrant.

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Si maintenant londe acoustique, aprs limpact sur une paroi, repart dans de multiples directions, le matriau est dit diffusant. Prs de la zone mettrice, cest--dire de la scne, les matriaux employs doivent tre majoritairement rflchissants et diffusants, de faon transmettre les sons efficacement lauditoire. Plus on avance vers le fond de la salle, plus les caractristiques acoustiques des matriaux sacheminent vers une absorption. Le revtement des siges est trs important car ceuxci doivent offrir le mme pouvoir absorbant, quils soient vides ou occups. Ainsi, les variations des critres acoustiques restent minimes, dans le cas dun auditoire partiel ou complet.MATERIAUX 125 Hz 250 Hz 500 Hz 1000 Hz 2000 Hz 4000 Hz

bton brut pltre brut pltre peint panneau de laine minrale 4 cm contreplaqu 5 mm espac de 5 cm du mur Polyvinyle perfor sur 1 cm de laine de verre chaise vide fauteuil rembourr relev personne isole debout personne assise sur une chaise

0.01 0.04 0.01 0.30 0.47

0.01 0.03 0.01 0.70 0.34

0.01 0.03 0.02 0.88 0.30

0.02 0.04 0.03 0.85 0.11

0.05 0.05 0.04 0.65 0.08

0.07 0.08 0.05 0.60 0.08

Matriaux rflchissants

Matriaux absorbants

0 ,04

0,08

0,25

0,56

0,73

0,65

0.02 0,15 0.15 0.10

0.03 0,26 0.25 0.15

0.04 0.26 0.35 0.32

0.04 0,28 0.45 0.42

0.04 0.30 0.55 0.55

0,05 0.30 0.55 0.55

Figure 6.9 Quelques coefficients dabsorption et leur variation selon la frquence

Comme on peut le constater sur le tableau ci-dessus, selon les matriaux, labsorption nest pas gale toutes les frquences. Il y a trois types dabsorption : - Les matriaux poreux ou fibreux : Si l'onde sonore peut pntrer l'intrieur du matriau, elle y engendre des frottements, des dplacements de fibres lgres, d'o la transformation d'nergie. La porosit doit donc tre de type ouverte. Ces matriaux ont un coefficient d'absorption faible aux frquences basses, qui augmente avec la frquence, et fort aux frquences leves. L'absorption aux frquences basses est d'autant plus importante que le matriau est pais et que ses pores

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ou cavits sont grandes. Ce type est le plus courant, le plus facile utiliser, mais il ne permet pas une absorption uniforme en frquence. La laine de roche, la mousse, les textiles et la moquette font partie de cette catgorie. - Les plaques et membranes : Un volume d'air ferm par un matriau pouvant se dplacer ou se dformer ralise un systme masse-ressort qui possde une frquence de rsonance laquelle l'nergie est absorbe par la mise en vibration de la masse. Cest le cas des plaques de plafond, dont lefficacit dpend du mode de pose. - les rsonateurs : Une cavit ou un volume d'air ouvert sur le local par un "col" ralise un rsonateur dit d'Helmoltz. Une rsonance appele rsonance de cavit se produit une frquence Fr. Le panneau de bois perfor en est un exemple. L'absorption dans les frquences leves est obtenue facilement avec les matriaux porosit ouverte, fibreux, textiles. L'absorption dans les frquences basses ncessite de l'espace pour installer des membranes ou des rsonateurs dont l'encombrement est non ngligeable lorsque l'on veut obtenir une frquence dabsorption faible. L'absorption dans les frquences moyennes est ralise par des matriaux poreux pais, des petits rsonateurs ou des plaques. Il faut donc plusieurs modes d'absorption pour absorber dans toutes les bandes de frquence. La solution pour raliser une absorption uniforme avec la frquence consiste utiliser un assemblage ou panachage de matriaux diffrents dans une mme salle. Pour augmenter la surface d'absorption totale d'une salle, lon peut raliser des surfaces convexes, les matriaux peuvent tre placs ailleurs que contre les parois, par exemple suspendus au plafond. Dans la plupart des cas, l'absorption dpend du mode de fixation.

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A UT RE S C RIT E RE S DE C ON C E PTIO N

En plus des objectifs acoustiques associs aux bonnes conditions dcoute des spectateurs, il faut soigner les conditions acoustiques sur la scne. En effet, il est trs important que les musiciens sentendent et aient limpression que leurs efforts en valent la peine. En particulier, il faut faire attention ce quaucun cho leur parvienne du mur du fond. Llimination des bruits extrieur la salle est aussi une contrainte prendre en compte trs tt dans la conception. Afin que lisolation ne cote pas trop cher, on essaie dabord de trouver le meilleur emplacement pour que les salles se gnent le moins possible entre elles. Le procd de la bote dans la bote est souvent utilis en tant que systme masse-ressort-masse pour isoler efficacement une salle. Lenveloppe de la salle se trouve alors lintrieur dune autre. Des circulations peuvent avoir lieu entre les deux. Lattnuation du bruit d la climatisation est galement considrer pour viter des surprises dsagrables. Il ne faut pas confondre absorption et isolation : l'absorption est leve si lintensit rflchie est faible par rapport lintensit incidente; l'isolation est importante si cest lintensit transmise qui est trs faible. L' absorption est un phnomne de surface et, en gnral, obtenue avec des matriaux lgers. L'isolation ne peut tre obtenue qu'avec de la masse, ou des couches multiples, comprenant ventuellement un absorbant dans une lame d'air entoure de part et d'autre d'lments (au moins un peu) massifs. Par exemple, le placopltre est une isolation, mais il nabsorbe pas, tandis que la laine de verre est une isolation qui absorbe aussi le son. Pour conclure ce chapitre sur les paramtres de conception, je voudrais mettre laccent sur linterdisciplinarit laquelle fait appel la conception dune salle de concert. Chaque paramtre de la conception architecturale a une incidence sur les rsultats acoustiques, et jai voulu exprimer plus haut les liens qui mettent en jeu les principaux lments de conception. Comment se droule, en pratique, la conception dun projet de salle de concert ? Comment se rpartissent les rles ? De quelle faon les acteurs de la conception sorganisent-ils pour intgrer lacoustique larchitecture dune salle de concerts ? Nous nous intressons plus loin ce processus.

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VII LES OUTILS ET METHODES DE LACOUSTICIEN

Au cours lavancement du projet, lacousticien dispose principalement de trois outils pour ltude acoustique, qui sont le calcul classique, les logiciels et la maquette.LE CA LC UL C LA SSI Q UE

Le calcul classique et les tracs gomtriques sont trs utiles pour valider les premires phases de la conception. Le calcul classique est cependant limit, puisque la rponse acoustique en un point de la salle nest pas isolable de ce qui se passe dans le reste. Pour pouvoir modliser une salle de faon plus complte, lon utilise loutil informatique.LE S LOGICI E L S

Cest sur informatique que les calculs servant dterminer labsorption ncessaire sont raliss, en fonction des critres acoustiques obtenir, comme la clart ou le temps de rverbration. Le dpartement Acoustique et Eclairage du CSTB, localis Grenoble, a notamment dvelopp plusieurs de ces logiciels, dont le dernier en liste, ICARE (fig 7.1). Celui-ci est un modle de calcul bas sur le trac de cnes pyramidaux et dvelopp pour la modlisation de volumes complexes 20. Il prend en compte la diffraction sur les artes, la diffusion sur les surfaces irrgulires ou courbes, les interfrences de phases et la rponse modales des volumes. Cest actuellement le seul programme capable de prvoir le couplage acoustique, dans un thtre ou un opra, entre la fosse d'orchestre et la scne ou le parterre des spectateurs, ainsi que le champ sonore sous des balcons profonds. Dautres logiciels sont disponibles sur le march. Il ne faut pas perdre de vue que le logiciel nest quun outil. Les phnomnes acoustiques y sont plus ou moins simplifis, selon les versions, et il convient de porter un il critique sur les rsultats.

http://dae.cstb.fr Site internet du CSTB, Division Acoustique et Eclairage20

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Figure 7.1 Modlisation dun volume complexe et analyse des trajets sonores dans la salle Pleyel Paris par le logiciel ICARE

Dautre part, des mesures sont faites pour dterminer labsorption des matriaux rels. Pour pratiquer ces tests, il faut obtenir un chantillon et choisir un laboratoire agr. Cest un processus coteux.LA MA Q UETT E

Le logiciel ntant quun outil simplifi, il faut ensuite approuver le modle par une maquette tridimensionnelle lchelle 1/20me. Quand on rduit 20 fois un modle, on doit utiliser une frquence 20 fois plus leve pour valuer la rponse des matriaux. Les tests sur les maquettes ont lieu au CSTB de Grenoble, o un laboratoire muni d'une installation de dshydratation puissante est spcialement quip pour raliser des mesures prcises sur des modles de salles chelle rduite. L'humidit relative de l'air peut tre abaisse jusqu' des taux permettant de raliser les conditions de similitude pour des chelles de l'ordre de 1/20 1/50. Des salles rverbrantes chelle rduite permettent de caler prcisment l'absorption acoustique des matriaux utiliss dans les maquettes. La maquette, elle aussi, est seulement un outil. Le CSTB fait galement des recherches sur les mthodes dauralisation. Lauralisation est une technique binaurale qui permettrait de percevoir les sons comme si lon se trouvait dans la salle tudie. Le problme de ce systme, cest quun certain nombre dinexactitudes lui est inhrent. En effet, il faut dabord enregistrer un concert dans une chambre choque, c'est--dire sans rflexion. Ensuite, il faut dcider dun nombre de hautparleurs utiliser pour reproduire le son spatialement, ce qui est un peu subjectif. Cest pourquoi lauralisation est plus un outil commercial, qui sert illustrer au client quun outil de conception.

Figure 7.2

Maquette lchelle 1/20me de la salle Pleyel

Auralisation

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VIII LINTEGRATION TECHNIQUE

Afin de cerner les problmatiques lies linteraction de larchitecture et de lacoustique pour la conception dune salle de concert, jai rencontr M. Xu, acousticien, et M. Bertrand Beau, chef de projet latelier Christian de Portzamparc.

DE RO UL E ME NT D U P ROJ ET

En rsum et au risque de trop simplifier les choses, le droulement idal dun projet, pour une salle de concert, commence par un programme bien dfini par la matrise douvrage, o lexigence technique est pose. Ensuite, larchitecte sentoure de techniciens ds les premires esquisses et des allersretours entre spcialistes (entre autres, lacousticien) et architecte ont lieu tout au long de la conception. Le travail de lun et de lautre est itratif. Larchitecte recherche les formes qui fonctionnent pour lensemble des contraintes auxquelles il est confront et lacousticien valide ou invalide le modle, sur le plan acoustique, par des calculs et des simulations informatiques. Le processus est videmment facilit si larchitecte connat quelque peu le thme de lacoustique. Litration aboutit une forme et un volume satisfaisants. Ce nest que plus tard que le patchwork des matriaux commence tre dfini plus prcisment selon les frquences absorber. Une tude approfondie est alors ralise sur informatique et au moyen de tests en laboratoires. La maquette chelle 1/20 ou 1/50 est lune des dernires phases de la modlisation, une fois les calculs et les matriaux choisis affins. Pendant la phase de chantier, la mise en uvre des matriaux est particulirement cruciale pour que leurs proprits thoriques concident avec la ralit. Finalement, il faut faire des mesures sur place et corriger ou rgler. Cette phase prend du temps et se fait idalement avant linauguration.

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LE PROC E SSUS D E CO NC E PTI ON

La dmarche de conception, en architecture, est un processus itratif d'exploration, de gnration de solutions et surtout d'valuation constante. Le projet est continuellement structur et restructur au fur et mesure de lavance dans la conception. Comme le travail de larchitecte se situe la croise des chemins entre plusieurs spcialits, cette avance dans la conception est ponctue de confrontations avec les spcialistes, qui valident ou rorientent le projet, suivant que ce dernier permet une ralisation cohrente de leur discipline ou non. Dans le cas des salles de concerts, larchitecte sentoure surtout de deux spcialistes : le scnographe et lacousticien, car ce sont ces deux domaines qui dfinissent les contraintes programmatiques principales. Architecte et acousticiens doivent travailler ensemble ds les premires esquisses. Classiquement, il y a deux acousticiens. Lun est spcialiste en isolation et lautre en traitement de la salle. Si larchitecte arrive avec son projet de base, cest trop tard, commente M. Xu. La localisation des pices en est un exemple. Il faut que le studio de batterie et celui des violons soient loigns lun de lautre, sinon, lisolation cotera trop cher inutilement . Cest pendant cette premire phase de conception que le dialogue est le plus intense, entre larchitecte et lacousticien, car cest ce moment-l que la forme et les grandes options de la salle sont dfinies. la Cit de la Musique de la Villette, larchitecte Christian de Portzamparc avait premirement dessin une salle de forme ovale autour de laquelle tous les btiments senroulaient, comme des nuages autour de loeil dun anticyclone. Lacousticien, le professeur Xu, est intervenu pour expliquer que dans un espace elliptique, toute lnergie acoustique produite par les musiciens revient sur les foyers. Pour caricaturer, il y a deux personnes qui entendent trs bien et tout le reste entend mal. Donc, dans cette phase de la conception, une ngociation a eu lieu entre Portzamparc et Xu et la dcision a t prise de garder la forme ovale dans la partie suprieure de la salle, et de donner la partie infrieure une forme trapzodale et pas trop large, de faon permettre les rflexions et viter lcho flottant. Cest comme un jeu dchec, il faut intgrer larchitecture et lacoustique , conclut le professeur Xu. Architecturalement parlant, le parterre a reu une forme trapzodale, les balcons sont une intersection entre lellipse et le rectangle, et la galerie est une ellipse (fig 8.1). Les

Cest comme un jeu dchec, il faut intgrer larchitecture et lacoustique Pr Xu

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parois du cylindre ont t creuses par des niches qui ont reu un traitement diffusant.

Figure 8.1 Vues de la salle de concert Salle de concert de la Cit de la Musique, 1995, Christian de Portzamparc

A lArsenal de Metz, lintention de larchitecte, Ricardo Bofill tait que tout soit lisse. Du point de vue acoustique, le fait que tout soit lisse posait un problme : deux parois parallles rverbrantes provoquent un cho flottant. Pour lviter, le fruit de la ngociation entre lacousticien et larchitecte a t que les portes soient mises en retrait, leur aspect lisse tant prserv (fig 8. 2).Figure 8.2 Salle de concert de lArsenal de Metz, Ricardo Bofill.

Pour certains architectes, le fait de raliser plusieurs salles de concerts leur permet de considrer llment technique comme base pour la conception, en ce qui concerne certains aspects tout du moins. De Portzamparc, pour la conception de la Cidade Da Musica Rio, a choisi de crer des botes dlibrment chahutes, dconstruites, aux parois non parallles, plutt que de crer des volumes cubiques et de les dparallliser ensuite (fig 8.3).

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Figure 8.3 Projet de la Cidade Da Musica, Rio. Christian de Portzamparc

Suite cette tape dterminante, lacousticien est surtout aux cts de larchitecte pour fixer des limites, pour corriger la copie, principalement au niveau des matriaux. Cette conception avec larchitecte prend du temps. A titre dexemple, le concours de la Salle Philharmonique du Luxembourg a t gagn en 1997 alors que la salle a t acheve en 2007.

UN RETOUR DINFORMATION UTILE A LA CONCEPTION Pour concevoir une salle et ses espaces connexes, il est trs important pour ses concepteurs de connatre ses utilisateurs : les auditeurs et en particuliers les musiciens. Il faut savoir, par exemple, quen gnral, une salle nest jamais construite seule. Des salles connexes et un plateau dorchestre sont ncessaires pour les rptitions, et les solistes de lorchestre gagnent leur vie en partie en donnant des cours. Il est aussi bon savoir que la couleur verte est viter dans une salle, car dans la tradition de la reprsentation, cette couleur porte malchance. Beaucoup de choses ne sont pas prsentes dans les programmes, tant technique quarchitectural et cest la pratique du milieu qui les donne connatre. Une fois la salle construite, le retour dinformation est lui aussi prcieux puisquil permet de savoir de quelle faon lespace est rellement vcu par les utilisateurs. Par exemple, dans la salle de la cit de la musique, les lumires mises en place ntaient pas satisfaisantes pour les musiciens. Ceux-ci taient distraits par les lumires prsentes sur les marches descalier et leurs partitions, en revanche, manquaient dclairement. Pour quun orchestre puisse tre domin, tenu par son chef dorchestre, il faut37

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privilgier des couleurs sombres et donner au moins 400 lux aux partitions. Le retour dinformation sur des critres acoustiques est, lui aussi, riche. Les acousticiens, autant que les architectes, gagnent pratiquer ce retour pour leurs futures conceptions.

VARIABILITE ET POLYVALENCE DES SALLES Aujourdhui, la plupart des programmes de salles, pour des raisons conomiques, demandent un double usage dau moins une salle. Cest--dire quil faut tre capable de concevoir une salle qui puisse la fois accueillir de la musique de chambre et des confrences, ou la fois de lopra et de la musique symphonique, par exemple. Dans ce type de cas, la collaboration entre architecte, scnographe et acousticien doit tre dautant plus renforce. En effet, du point de vue acoustique, un changement dusage demande une modification du temps de rverbration de la salle et donc une modification du volume. Cette transformation est possible grce des lments mobiles, par exemple un plafond amovible. En ce qui concerne la scnographie, lusage de la salle demande l aussi une transformation de la configuration. Pour les salles dopra qui servent de temps en temps des orchestres philharmoniques, un procd rpandu est le suivant : en mode opra, la cage de scne est ferme et lorchestre est situ en dessous. En mode philharmonique, deux lvateurs montent le proscenium au niveau de la scne, le cadre de scne souvre et une conque, place derrire lorchestre, permet de diriger le son vers les spectateurs. A Rio, lide tant de construire une salle philharmonique qui serve parfois des opras, la transformation a donc t pense diffremment. Dans la configuration philharmonique de 1800 places, les dix tours de loges sont places sur les cts du parterre. Quand il y a un opra, quatre des tours, escamotables, sont mises sur coussin dair et emmenes larrire-scne, o elles sont stockes. Il en rsulte une salle en fer cheval de 1300 places. La variabilit acoustique, quant- elle, signifie la variation possible des conditions acoustiques suivant le type duvre jou par lorchestre. Elle est rendue possible par ltude de positions particulires du plafond ou dautres composantes de la salle. Dans le cas de Rio, la position des tours de loge participe cette variabilit, chaque tour ayant des proprits acoustiques diffrentes.

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Il convient de mentionner quen dehors de la conception classique des salles de concert, il existe un procd, mis au point par le CSTB, qui permet lui aussi une polyvalence des salles. Ce systme sappelle CARMEN, cest dire Contrle Actif de la Rverbration par Mur virtuel Effet Naturel . Le principe consiste crer des murs virtuels actifs, constitus d'un ensemble de cellules associant un microphone et une enceinte acoustique rparties autour de la salle et au plafond. Chaque cellule capte et restitue en temps rel les sons comme s'ils taient naturellement rflchis par un mur. Un poste de traitement effectue le pilotage de l'ensemble et le traitement des signaux. Deux des trois salles du Grimaldi Forum de Monaco, ouvert depuis juillet 2000, sont quipes de ce systme. Comme le systme ne permet pas de diminuer le temps de rverbration mais seulement de laugmenter, les salles conues avec ce systme sont en gnral adaptes au congrs (TR=0,7s) et la transformation se fait vers les autres types dusage aux temps de rverbration plus long. Nous nous passerons de commentaires sur ce type de conception.

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IX CONCLUSIO N

Afin dtre matre de sa conception et de permettre lintgration de lacoustique dans un projet quest une salle de concert, larchitecte se doit de connatre un peu le domaine de lacoustique. Pour Bertrand Beau 21, les spcialistes (acousticiens et scnographes), ont tendance vouloir diriger le projet leur manire , et ce nest quen connaissant une partie de se quils font que larchitecte peut se dfendre deux et jouer un jeu de collaboration entre gens qui parlent le mme langage et se renvoient la balle . Le jeu de lintgration technique prend parfois lallure dune lutte de pouvoir, mais le fait quil faille connatre un peu de la discipline de lautre pour russir un projet reste indniable. M. Xu, lui, considre, qu il ne faut pas enlever sa personnalit larchitecte . En tant quassistant, il doit sadapter au projet de larchitecte et chercher la meilleure solution, celle qui est invisible. En fait, il me semble que larchitecte a parfois peur dtre limit par les contraintes trop grandes imposes par lacoustique, et que celles-ci ne soient pas justifies. Caricaturalement, lacousticien voudrait toujours faire une shoebox et lui, en tant que concepteur de ce qui sentend mais aussi de tout le reste, voudrait innover sur dautres plans. Quelques exemples cits plus haut morientent plutt dire quune bonne collaboration permet dinnover. Inversement, une mauvaise comprhension de ce quest lintgration technique enfermerait larchitecture par un dictat technique, ou rsulterait en une acoustique dplorable. La comprhension du travail de lautre est un atout majeur dans la conception. Dans une dmarche de conception, il faut reconnatre quil est difficile de garder en tte les contraintes techniques lors de la naissance des ides. Cest une question de fonctionnement du cerveau. Crer en se limitant est quasi impossible. Un point de vue dun professeur de deuxime anne en architecture, Franois Torrecilla, mavait marque : la contrainte technique, dans le projet, est une vidence et un minimum ; larchitecte doit proposer quelque chose de plus. Cest cela qui fait tout lintrt. Partant de ce principe, les bases du projet doivent pouvoir sexprimer, dans un premier temps, avec des mots ou des schmas et non avec des

21 BEAU,

Bertrand, chef de projet de latelier Christian De Portzamparc, entretien, janvier 2008.

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formes. Cette dmarche permet de pouvoir fixer les premires ides, indpendamment de la forme que prend ensuite le projet en rpondant aux diffrentes contraintes. Elle me parat propice lintgration de contraintes telles que lacoustique. Litration des phases dexploration, gnration et valuation, grce aux connaissances dans les domaines techniques, doit pouvoir mener un projet cohrent. La salle de Scharoun Berlin a mis du temps tre apprcie. Le fait de rompre avec le seul modle de salle de concert matris jusqualors par les acousticiens, la shoebox, et de proposer une forme qui modle le son de manire diffrente, a demand un temps dadaptation de la part des musiciens et du public. Et la salle est maintenant trs bien accepte par une majorit. Lon peut se demander si la perception acoustique de lauditeur nest pas influence par ce quil voit. Pour Yannis Xenakis 22, la musicalit est autant dans la forme du lieu que dans les sons quon y entend, l'effet des formes architecturales a une influence quasi tactile sur la qualit de la musique ou du spectacle qui s'y jouent. La finalit de lintgration de lacoustique dans la conception dune salle de concert est le plaisir et la transcendance dun concert russi. Le jeu en vaut la chandelle ! Et si larchitecture pouvait magnifier cet instant que de bonheur.

XENAKIS, Yannis, Musique de larchitecture, ditions parenthses, 200622

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