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Meurtre chez les Côté

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Roman policier sec. 4C

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Victor Pattee-Gravel

Vincent Langelier

Daniel St-Jean

Frédérick Pagé

MEURTRE CHEZ LES CÔTÉ

À ceux qui se sentent concernés

Éditions les Farfafouilles

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Observations

Après être arrivé à la maison somptueuse aux allures de palais, où avait été commis le meurtre du pauvre homme, avec mon associé Pierre Mattson, je pus commencer mon rapport préliminaire sur le meurtre. La soirée avait donc eu lieu en l’honneur des fiançailles de Maxence et d’Éléonore, fille de la victime âgée de 20 ans et étudiant l’administration à l’Université Laval. Autour de la table, sept convives, tous suspects jusqu’à preuve du contraire, du meurtre de François Côté. Sur la table, les vestiges d’un repas copieux. Je demandai à mon assistant de prendre des prélèvements sur chaque verre, chaque assiette, chaque tasse. Aucun détail ne devait filer entre nos doigts. Tout le monde avait eu sa part de viande, tous les bols de soupe étaient vides, les tasses et les coupes aussi. Je regroupai tous les suspects dans le salon et leur interdis de quitter la pièce avant mon retour. Ainsi, mon associé leur dit poliment , d’un ton compatissant et chaleureux :

« Merci de bien vouloir excuser mon collègue Richard Normandeau pour sa rudesse, il est un peu bourru quand il s’agit d’histoires de meurtre. Ne le blâmez pas trop… Je suis vraiment, sincèrement désolé pour votre père. Voilà un mouchoir, tenez. »

Je n’ai jamais aimé la partie de faux-semblants dans une enquête. Pierre, lui, a l’air si sincère quand il ment que je me demande parfois s’il n’est pas vraiment affligé de la mort de ces personnes.

Les seuls suspects étaient Maxence (le gendre), Éléonore (la fille), Axelle (la femme), Fabrice (le fils), Geneviève (l'ex-conjointe), Anaïs (la mère) et Marie-Jeanne (mère de l’ex-conjointe). Le meurtre, car les circonstances nébuleuses semble confirmer l’hypothèse du meurtre, sans toutefois rendre caduques celles de la mort naturelle ou accidentelle, avait donc probablement été commis par une de ces personnes entre 8h00 et 8 h15, heure de la découverte du corps. En compagnie de mon assistant, je pris connaissance de la position du cadavre, de son état physique et de la position des meubles. Mon assistant prit environ 200 photos afin que nous soyons certains de n’omettre aucun indice.

François gisait sans vie, il est utile de mentionner ce genre de petites choses sur un rapport d’enquête, car il arrive parfois que les gens nous appellent alors que le sujet n’est pas mort. Fâcheux. Reprenons. Le corps gisait sur le ventre, la tête près de la poubelle. Un téléphone était par terre près de sa main, la pile était à plat. Il ne semblait pas s’être heurté la tête contre quoique ce soit. La poubelle était remplie de papiers, mais il semblait aussi que M. Côté ait eu besoin de s’y vider l’estomac. Un empoisonnement serait bien plausible. On ne se met pas à vomir jusqu’à la mort par accident. Après un examen en surface, je pus m’assurer que le corps ne comportait aucune blessure. Sur le bureau, un coupe-papier. Celui-ci n’avait probablement pas été utile à l’assassinat, mais n’omettons rien. Une tasse de café à moitié vide reposait près de son ordinateur. Une enveloppe avec un relevé de compte. Un papier avec des gribouillis plus ou moins compréhensibles et incohérents, peut-être des griffonnages ayant eu lieu lors de la conversation téléphonique. Un crayon, probablement celui ayant écrit les dits gribouillis, avait

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été laissé un peu à gauche du corps. Le fauteuil était un peu en retrait dans le coin et semblait avoir été éloigné du bureau.

À mon retour au salon, un silence pesant régnait. On n’entendait évidemment que quelques sanglots étouffés, l’ambiance était peu gaie. Je demandai à mon assistant de préparer les suspects aux interrogatoires pendant que j’essayais de trouver un endroit paisible pour les mener. Il faut dire que je n’avais guère d’habilités à faire semblant d’être gentil alors que Pierre, lui, se montrait un véritable prodige de l’hypocrisie. Au fond il voulait piéger le coupable autant que moi.

Je gravis les escaliers menant au deuxième étage et choisis une chambre qui semblait inoccupée, probablement une chambre d'amis. Elle était munie d’un lit double, d’une petite salle de bain, d’un bureau de bois et de deux fauteuils. Un miroir faisait aussi partie du mobilier. À l’allure de mon reflet, je me rendis compte que je ne m’étais pas rasé depuis deux jours, que mes cheveux étaient dans un triste état et que je devais avoir l’air d’un ours sortant de son hibernation. De toute façon, ils allaient avoir à faire avec moi s’ils voulaient dénicher leur coupable, alors ils me supporteraient bien, un point c’est tout. La pièce était l’endroit idéal pour dénicher un criminel.

Le travail pouvait maintenant commencer.

Interrogatoires

Pierre fit monter tous les membres de la famille à tour de rôle dans la chambre, et j'eus le loisir de les interroger afin de dresser un schéma de chaque individu présent dans la maison le soir du meurtre ainsi que leur relation avec la victime. Nous invitâmes donc madame Geneviève à venir dans la chambre pour commencer les interrogatoires. Elle s’assit et me regarda avec attention.

« Où étiez-vous lors du meurtre de votre ex-conjoint ?», lui demandai-je

« Je me trouvais dans le salon, avec les autres membres de la famille. François nous avait laissé pour un téléphone important et nous avons continué la célébration même s’il s’était retiré.»

«Avez-vous vu quelqu’un qui ne semblait pas dans son état normal, qui semblait concentré sur autre chose après le départ de la victime ?»

«Non, tout le monde avait un comportement bien normal. Tous étaient énervés et célébraient ce merveilleux moment : les fiançailles de ma fille. Il est vrai, par contre, que j’ai aperçu à plusieurs reprises Fabrice se diriger vers la cuisine. Il semblait nerveux et tourmenté.» Dit-elle avec du recul. «Toutefois, c’était peut-être simplement à cause des cafés qu’Axelle lui avait demandé de préparer. Je ne pense pas que mon cher fils ferait une chose pareille.»

«Comment prenez-vous la mort de votre ex-mari, madame ?», répliquai-je.

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«Bien qu’il soit mort d’une façon étrange, je n’éprouve pas de grande tristesse à son égard. Il m’a laissée pour une plus jeune et, durant plusieurs années, je lui en ai voulu beaucoup. Cependant, je ne peux dire non plus que cela ne m’affecte pas.» Elle soupira, puis reprit de nouveau :

«Je l’ai même déjà harcelé, me sentant trahie par son geste crapuleux. Je n’ai jamais voulu qu’il me laisse, je l’aimais tellement et je croyais que c’était réciproque, jusqu’à l’arrivée de cette Axelle. Cependant, même après cette querelle, sa mort est douloureuse et je ne vois vraiment pas qui aurait pu lui vouloir du mal.»

Pour la suite de l’interrogatoire, j’invitai Fabrice afin de découvrir la raison de sa nervosité lorsque François s’est retiré dans son bureau. Le jeune homme entra, accompagné de sa sœur Éléonore. Je lui demandai la raison de sa présence et elle me répondit qu’il était réellement sous le choc et il avait peine à retenir ses larmes. Je lui demandai pourquoi il était nerveux, et il me répondit :

«J’avais vraiment besoin du téléphone, et puisque celui du salon est brisé, le seul que je pouvais utiliser était celui du bureau. J’attendais dans la cuisine dans le but d’entendre la conversation de façon à savoir quand il aurait terminé»

«C’est bien vous qui avez découvert le corps de votre père gisant par terre dans son bureau ?», demanda Pierre.

«Oui, à un moment, je n’entendais plus la voix de mon père et je suis donc allé vérifier dans son bureau si tout allait bien. Lorsque je suis arrivé dans son bureau, j’étais réellement sous le choc.» Le jeune homme s’effondra de chagrin.

«Comment prenez-vous la mort de votre père?», demanda Pierre à Éléonore afin d’éviter à Fabrice de se sentir encore plus mal.

«C’est très dur pour moi aussi, dit elle avec une voix frileuse. Je l’aimais beaucoup et j’appréciais chaque moment passé en sa compagnie. Il s’était vraiment donné de la peine pour que la célébration soit parfaite. »

«Sauriez-vous dire s’il avait des problèmes de santé, des maladies?»

«Il n’était pas malade, en tout cas je ne crois pas. Cependant, il était allergique à plusieurs choses, comme les noix, les légumineuses, les pêches et l’acétaminophène. Je m’étais vraiment donné la peine pour qu’aucune de ces substances ne se retrouve dans les bouchées de célébration», dit Éléonore. Fabrice ajouta qu’on ne retrouvait jamais de ces substances dans les armoires ou le réfrigérateur.

Éléonore et Fabrice se retirèrent. Maxence et Axelle entrèrent par la suite dans la chambre. Ils voulaient imiter les deux enfants sous le choc, afin d’écourter l’interrogatoire. Je ne m’attendais pas à voir ces deux là ensemble

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«Comment allez-vous ?», demandai-je à Maxence

«Je prends avec difficulté la mort de mon beau-père, un être extraordinaire. Je ne vois vraiment pas qui lui aurait voulu du mal, il était tellement sympathique.»

«Oui, en parlant de ça, sauriez-vous dire si la victime avait des ennemis, des gens qui lui voulaient du mal ?»

«Je ne vois pas vraiment. Il est vrai que Geneviève a détesté le pauvre homme durant plusieurs années, mais je suis sûr qu’elle ne lui voulait aucun mal.»

«Aviez-vous une bonne relation avec votre mari ?», demanda Pierre à la jeune femme.

«Oui, nous passions énormément de temps ensemble et je l’aimais vraiment beaucoup. Nous étions faits l’un pour l’autre.»

« Saviez-vous si François était malade, allergique à quelque chose ou s’il avait des problèmes cardiaques? »

« Non, pas à ma connaissance», répondit Axelle. Il était normal que Maxence ne puisse pas répondre. Je les renvoyai au salon et je fis appeler Anaïs.

Au début de son interrogatoire, Anaïs entamait son café. Quelques minutes plus tard, ne se sentant pas très bien, elle se retira à la salle de bain et ne sortait plus. Inquiet, je fis venir Pierre et nous forçâmes la serrure ensemble pour découvrir la pauvre femme qui était étendue sur le plancher, le visage enflé et respirant à peine. Tout comme son fils, elle s'était vidé l'estomac dans la poubelle. Les ambulanciers nous confirmèrent à leur arrivée qu'elle semblait avoir été victime d'une violente réaction allergique. Nous avons tout de suite fait le lien entre les circonstances de sa mort et celles de François, son fils.

Je commençais à avoir quelques doutes sur ce café.

Analyse

Il ne restait maintenant qu’à déterminer qui avait bien pu commettre ces deux actes crapuleux. En effet, comme nous pouvions le déduire, mon cher acolyte et moi, le meurtrier avait certainement préparé les cafés, puisque c’est dans ceux-ci que l’on retrouvait la substance qui avait tué les deux victimes. Avec ces précieuses informations, nous étions donc dans la possibilité de continuer notre enquête. Nous recherchions donc la personne qui était présente dans la cuisine et qui avait préparé les cafés durant la soirée. Je demandai à Pierre d’analyser le café, pour y chercher l’une des substances auxquelles François était allergique, et j’allai chercher notre suspect numéro un au salon.

C’était Fabrice, puisque Geneviève avait affirmé qu’il avait préparé les cafés qui avaient probablement tué les deux victimes. Le jeune homme entra dans la pièce et demanda ce qui se passait. En effet, Fabrice, un garçon que je trouvais un brin stupide, n’avait pas l’air de se rendre compte de son acte :

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«C’est bien vous qui avez préparé les cafés ?», lui demandai-je

«Oui», dit-il d’une voix distraite. «Vous en voulez un?»

«Mais vous ne réalisez vraiment pas que vous avez tué votre grand-mère et votre père ?»

Le jeune homme s’assit, il était sous le choc. En effet, il pleurait avec une intensité impressionnante. Il reprit ensuite après un peu de réflexion :

«Mais je ne vois pas comment j’aurais pu les tuer. Je n’ai fait que préparer des cafés, ce que ma belle-mère m’avait demandé de faire. Elle m’a dit que la mouture était déjà prête et reposait dans un bocal près de la machine à café. Normalement, puisqu’elle est la femme de la maison, c’est elle qui les prépare pour François, mais là, pour une raison que je ne connais pas, elle me l’a demandé.»

«Donc, ce que vous me dites, c’est que vous n’avez qu’écouté votre belle-mère, c’est-à-dire Axelle, et mis de la mouture, déjà préparée, conservée dans un pot, dans la machine à café.»

«Exactement»

« Je vous remercie, j’ai obtenu toutes les informations que je souhaitais obtenir de vous. »

Je devais maintenant interroger Axelle, puisque j’avais des doutes premièrement sur cette mouture, mais aussi sur celle qui l’avait préparée. Je la fis monter à son tour :

« Axelle, j’ai besoin de quelques renseignements anodins à propos de Maxence, puisque Fabrice n’a pas pu répondre à mes questions à son sujet. Il m’a dit que vous le connaissiez bien mieux que lui. Est-ce exact? »

Elle eut une drôle de réaction :

« Oui, cet adolescent manqué de Fabrice ne connait pas bien Maxence, il ne s’intéresse qu’à lui-même. »

Bien sûr, je lui faisais croire qu’elle n’était pas soupçonnée pour la mettre en confiance. J’avais trouvé une manière de la confondre à son insu.

« Est-ce que c’est Fabrice qui a fait l’épicerie pour acheter la nourriture du repas? »

« Non, je fais toujours l’épicerie seule. »

« Fabrice avait-il une bonne relation avec vous? »

« Assez bonne, je dirais. Mais il avait souvent des conflits avec son père, qui n’aimait pas ses habitudes de vie. »

« Très bien, je pense que j’ai tous les éléments nécessaires pour l’inculper. Merci beaucoup de votre collaboration. »

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Elle n’y avait vu que du feu, et elle m’avait donné une preuve irréfutable qu’elle avait délibérément tué son mari. Pendant que je redescendais au rez-de-chaussée, mon assistant me confirma que le café contenait de l’acétaminophène, mais je le savais déjà.

Coup de théâtre

J'avais enfin démasqué la coupable. Un meurtre d’amateur, mais tout de même assez bien pensé. Je tenais la clé de l’énigme.

Je fis venir cette charmante Axelle dans ma salle d’interrogatoire. J’étais absolument certain qu’il s’agissait d’elle, et je crois même avoir deviné un de ses petits secrets :

« Mademoiselle, vous êtes en état d’arrestation. »

« Comment osez-vous, vous n’avez aucune preuve contre moi! »

« Au contraire, je suis en mesure de prouver que vous avez bel et bien tué votre mari et je peux même dire pourquoi. Vous l’avez tué à l’aide d’acétaminophène. Un simple comprimé broyé aurait suffi à tuer François. Nous en avons trouvé des résidus dans toutes les tasses. Vous pensiez vous défendre en disant que les invités choisissaient eux-mêmes leur tasse. Personne n’a été incommodé, sauf François et Anaïs qui étaient allergiques. D'ailleurs, c’est la mort d'Anaïs qui nous a mis sur la piste de l’allergie, car nous avons pensé qu'elle avait dû transmettre son allergie à son fils. De plus, vous avez même fait en sorte que ce soit Fabrice et non vous-même qui prépariez le café. Vous avez pensé que nous accuserions celui-ci et que vous seriez écartée de nos hypothèses.

Vous aviez dit que vous ne saviez pas que François était allergique aux noix, aux légumineuses, aux pêches et à l’acétaminophène, ce qu’Éléonore avait affirmé avec assurance.»

«Je ne le savais pas!», répondit-elle agressivement.

«Oh oui, vous le saviez. Fabrice nous a appris dans son interrogatoire qu’on ne retrouvait jamais de ces substances dans les armoires ou le réfrigérateur. Comme vous m'avez vous-même dit que vous faisiez toujours l'épicerie toute seule, il est peu probable que vous évitiez d'acheter, par simple hasard, tous les produits auxquels François était allergique, produits que l'on retrouve dans la plupart des maisons.

Bien entendu, nous avons aussi retrouvé de l’acétaminophène dans toutes les tasses de café. Conclusion, si Fabrice avait voulu tuer son père, il aurait simplement broyé quelques comprimés dans la machine et n’aurait laissé pratiquement aucune trace. Vous vouliez être sûre que, quoiqu’il fasse, il mette une quantité suffisante de médicament dans les cafés pour tuer votre époux. Vous vouliez qu’il meure afin qu’Éléonore et son mari Maxence viennent habiter ici. Car vous avez une relation avec ce dernier, n’est-ce pas?»

Elle ne répondit pas, je déduisis donc que j'avais vu juste.

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«J’ai remarqué votre attitude face à lui lors de la soirée, à chaque fois que je prononçais son nom durant l’interrogatoire, vous aviez réaction particulière que je n’avais su identifier. Mais voilà, tout est clair. En plus de cela, vous vouliez l’argent que vous toucheriez l’assurance. Je suis désolé de vous l’annoncer, mais vous n’en aurez jamais un sou. Vous aurez tout votre temps pour réfléchir à ce que vous avez fait, en prison!»

«Mais…»

Je lui passai les menottes, l’embarquai dans le camion et laissai mon compagnon se démêler avec les larmes de la famille. Comme j’aime le travail bien fait!

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