4
Armand Colin Voltaire, Candide et l'argent Author(s): Claude Galtayries Source: Littérature, No. 15, MODERNITÉ DE FLAUBERT (OCTOBRE 1974), pp. 126-128 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41704391 . Accessed: 15/06/2014 06:00 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.37 on Sun, 15 Jun 2014 06:00:35 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

MODERNITÉ DE FLAUBERT || Voltaire, Candide et l'argent

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: MODERNITÉ DE FLAUBERT || Voltaire, Candide et l'argent

Armand Colin

Voltaire, Candide et l'argentAuthor(s): Claude GaltayriesSource: Littérature, No. 15, MODERNITÉ DE FLAUBERT (OCTOBRE 1974), pp. 126-128Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41704391 .

Accessed: 15/06/2014 06:00

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 194.29.185.37 on Sun, 15 Jun 2014 06:00:35 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: MODERNITÉ DE FLAUBERT || Voltaire, Candide et l'argent

Voltaire, Candide et l'argent (Claude Galtayries , lycée Ca- mille-Jullian , Bordeaux )

Lorsqu'elle étudie, à la rubrique du merveilleux, le disfonctionnement de cette catégorie du conte, France Vernieç 1 élude le problème de l'origine réelle de la fortune de Candide. Il est rappelé certes l'importance d'Eldorado d'où le personnage sort riche, mais sur l'acquisition merveilleuse de cette fortune immense, aucun essai d'interprétation rationnelle n'est tenté. Voltaire lui-même ne nous donne aucun élément d'explication, mais on peut s'interroger sur ce silence du critique.

Oubli, inattention d'un lecteur extra-lucide mais pourtant pris par le charme du conte ? Résidu, malgré qu'on en ait, d'aliénation à l'idéologie dominante, toujours avide de discrétion ou de merveilleux pour masquer l'origine de ses biens ?

Laissons ces suppositions hasardeuses et revenons à Voltaire et à ce jeu sans faille du merveilleux sur un point essentiel de sa fiction.

Si aucune explication rationnelle n'est offerte sur l'origine de cette fortune, Voltaire, comme s'il voulait mieux masquer cet énorme détail, comme s'il était gêné par lui, ne va manquer aucune occasion, entre les chapitres 19 et 30, de souligner l'importance fabuleuse de cette fortune, son invraisemblance dans le gigantesque. Et ceci à chaque fois que la malice ou la cupidité des hommes causera des pertes, immenses elles aussi, à Candide.

Ainsi, fort habilement, s'il ne peut, ou ne veut, rien dire sur l'essentiel, Voltaire insiste sur les étapes 2 du dépouillement progressif de Candide, coïncidant avec une évolution philosophique du personnage qui finalement ne pourra accéder à la sagesse que définitivement « friponné par les Juifs » et n'ayant plus que « sa petite métairie ». L'argent, mal acquis sans doute, n'a pas profité à Candide et pour lui, le dénuement seul sera le début de la sagesse. Et Voltaire, incapable d'expliquer clairement la source de l'argent, préfère tourner la difficulté, escamoter le fric par le gaspillage et tenter d'indigner le lecteur grâce à cette fresque de l'universelle cupidité.

Mais c'est là qu'à nouveau le conte « fonctionne » excellemment. Le héros redevenu pauvre nous fait oublier la réalité des faits : c'est qu'au XVIII6 siècle, le bourgeois qui tire sa richesse des Amériques (traite, plantations, négoce, etc.) - et Voltaire lui-même faisait dit-on dans ces affaires d'avanta- geux placements - ne voit pas ses biens péricliter, bien au contraire. La deuxième moitié du conte se présente dès lors sous un jour très ambigu, et il se pourrait bien que le changement d'attitude de l'auteur à l'égard des lois du genre y soit pour quelque chose. D'ailleurs c'est tellement vrai que la tonalité du récit est bien différente de celle de la première moitié. Para- doxalement vive, enlevée et ironique alors qu'elle entasse les pires catastro- phes, la narration se fait plus lente, larmoyante, pour ne pas dire geignarde dans la seconde moitié (après le départ d'Eldorado). Candide ne sort pas de « ses idées noires », la satire des pays d'Europe est plus traditionnelle (corrup- tion généralisée en France, paradoxes anglais, trafics vénitiens, etc.) et on ne retrouve plus l'humour brillant et faussement désinvolte des premiers cha-

1. Littérature , n° 1, février 1971, « Les disfonctionnements des normes du conte dans Candide ».

2. Dès le chapitre 19, Candide a perdu l'essentiel des présents rapportés d'Eldorado (énumérés fin chapitre 18) et vit avec « ce qui lui restait dans ses poches ». Reste encore substantiel puisqu'il résiste aux entreprises des escrocs français (chap. 22) et permet à Candide de nombreux gestes de générosité (chap. 24, 27, 29). Laminée, cette fortune est épuisée au début du chapitre 30 par les frais de départ du baron et l'achat de la « petite métairie ». Dès lors l'argent est gagné, d'abord par l'exploitation du travail de Cacambo puis par la collectivité.

126

This content downloaded from 194.29.185.37 on Sun, 15 Jun 2014 06:00:35 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: MODERNITÉ DE FLAUBERT || Voltaire, Candide et l'argent

pitres. Sans doute, comme dans « Zadig ». la danse est-elle plus pesante à qui doit soulever une telle masse de diamants ! La conclusion même, dont des générations de lecteurs s'ingénient à interpréter la formule, n'est guère exal- tante. A juste titre F. Vernier dénonce le « morne paradis bourgeois » de cette fin de conte qui disfonctionne certes, mais sans brio par rapport aux lois du genre : traditionnellement les héros finissent riches et combles, à tous points de vue et l'argent, masqué certes, fait le bonheur : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. » Ici, le bonheur et peu d'argent, ou plutôt beaucoup d'argent mais cette fois bien gagné. Et pourtant aucun enthousiasme ne soulève la phrase malgré la satisfaction que pourrait procurer au héros (et au narrateur) cette fortune avouable. On dirait que Voltaire est toujours aussi gêné devant elle. Serait-ce parce qu'une telle situation, bien banale, n'entre plus dans le conte mais plutôt dans la fable la plus platement mora- lisante ? Un très bref paragraphe pour évoquer cette vie nouvelle ! Sur l'autre paradis l'imagination de Voltaire était plus à l'aise et il manipulait avec plaisir les routes de pierreries ou la boue d'or des chemins. L'effet sur le lecteur était certes plus facile. Des fortunes à couper le souffle, offertes à gogo, voilà de quoi éveiller l'attention du lecteur bourgeois qui réagit bien alors comme Candide 3.

Au contraire, comment faire passer le tableau final de pseudo-pauvreté patriarcale, y attirer le bourgeois ? C'est un conte, oui, et heureusement car que d'invraisemblances ! « La petite terre rapporte beaucoup. » Mais que devient ce profit, quels sont les rapports sociaux entre les membres de la « petite société » ? Quel rôle y tient Candide, quel travail produit-il, lui ? L'égalité règne-t-elle ? Non car il s'y trouve encore des parasites, un au moins en la personne de Pangloss et peut-être deux avec Martin (trois avec Candide). Le rôle de direction de l'entreprise reste-t-il implicitement au propriétaire ? Pas la moindre trace d'autogestion communautaire en tout cas n'apparaît. Tout cela reste flou et ce « jardin » payé par un argent honteux, et cultivé dans l'ambiguïté, ressemble bien à ces éléments pseudo-concrets et lénifiants constitutifs de la pire sagesse des nations, c'est-à-dire de la morale bourgeoise à l'usage des prolétaires : « Travaillez, prenez de la peine, / c'est le fonds qui manque le moins. » Cette apologie du travail n'est-elle pas de mauvaise foi quand le « fonds » - le jardin - n'est pas donné à tous également ?

La dégénérescence de l'art de Voltaire dans cette conclusion, et plus généralement dans la deuxième partie du conte, son incapacité à nous amuser comme à nous toucher par la perte d'un magot, la sécheresse de son imagina- tion à inventer une vie placée sous un autre signe que l'argent, ne sont-elles pas révélatrices de la difficulté de Voltaire, c bourgeois et philosophe 4 », à surmonter les contradictions de l'idéologie et de la réalité de sa classe ? Mais la bourgeoisie devenue maîtresse du jeu et maîtresse d'école, s'empresse, pour mieux brouiller les cartes, de concentrer l'attention des lecteurs (élèves et universitaires) sur cette formule digne tout juste de l'almanach : « Il faut cultiver notre jardin », de porter aux nues la trop fameuse ironie voltairienne, de magnifier Candide , chef-d'œuvre d'humanisme et de gaieté. Et de là à conclure au trop bon fonctionnement de l'école, propagatrice de mythes, prise en flagrant délit de mauvaise foi intellectuelle et morale, qui le trouverait

3. Candide dit à Cacambo (chap. 18) : << Si nous restons ici, nous n'y serons que comme les autres, au lieu que si nous retournons dans notre monde, seulement avec douze moutons chargés de cailloux d'Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n'aurons plus d'inquisiteurs à craindre et nous pourrons aisément reprendre Mademoiselle Cunégonde. »

4. Marivaux, La colonie , se. 18. Définition du personnage d'Hermocrate dont le rôle ne manque pas de duplicité.

127

This content downloaded from 194.29.185.37 on Sun, 15 Jun 2014 06:00:35 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: MODERNITÉ DE FLAUBERT || Voltaire, Candide et l'argent

abusif ? Mais encore faudrait-il que la partie progressiste des professeurs de Français (supérieur comme secondaire) se démarque de cette idéologie bour- geoise et n'entretienne pas à l'envi, même masquées sous un jargon impres- sionnant, les images d'Epinal éculées de l'histoire dite littéraire. Voltaire, pourfendeur de l'oppression sans doute, mais aussi digne représentant des ambitions de la classe montante, la sienne. La figure du philanthrope est moins simple, le chapitre sur les « lumières » y gagne quelques ombres et il y a des moments où les lois du conte reprennent leurs droits. A nous enseignants de déceler et de mettre en lumière les intermittences du c dis- fonctionnement » libérateur. Dans cet usage critique des poncifs de l'histoire de la littérature pratiquée dans les lycées, collèges et autres universités, dans cette lecture dégagée d'un respect inconditionnel pour les « grands » auteurs dont la plate juxtaposition dans le temps jalonne la marche indéfinie vers le progrès, l'histoire et la sensibilité littéraire n'ont-elles pas tout à gagner ?

Le directeur-gérant : E. Gillon. - Imprimerie offset-aubin, Poitiers N° 5075 . - N° d'édition : 6919. Dépôt légal : 4e trimestre 1974.

This content downloaded from 194.29.185.37 on Sun, 15 Jun 2014 06:00:35 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions