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Éditorial Modifier les pratiques cliniques : des félicitations pour un regret et un espoir Modifying the clinical practices: some congratulations, one regret and one hope L’article sur les pratiques de l’antibioprophylaxie chirur- gicale est passionnant car il expose des méthodes simples [1]. Ne nous trompons pas : la simplicité est souvent un gage de qualité, mais la volonté pour mener à bien ces études et une collaboration des acteurs sont indispensables. Les études évaluant des pratiques, insuffisamment considérées comme « scientifiques », doivent être développées. Elles participent à la compréhension de la performance d’un système : tous les outils existent, tous les acteurs sont compétents et tous sont d’excellents professionnels. Donc « tout est parfait », mais comment expliquer que les malades n’obtiennent pas tou- jours les soins qu’ils sont en droit d’avoir ? Pourquoi l’article publié par les Annales de chirurgie mentionne : « Le taux de conformité globale de l’antibioprophylaxie par rapport aux recommandations nationales était de l’ordre de 40 % » [1] ? J’aimerais féliciter plusieurs intervenants de ce travail : les participants : d’abord les malades, acteurs passifs dont la participation est indispensable, mais surtout tous les soignants qui pendant une longue période ont ac- cepté une intervention externe en 3 phases. Neuf hôpi- taux, 13 équipes chirurgicales représentent beaucoup de participants. Les soignants ont dû collaborer entre eux (chacun est un excellent professionnel) car c’est le groupe qui a été étudié. Une rigueur de tous est un gage de qualité : celui qui a fait l’injection d’antibiotiques, comme celui qui a détecté des complications ou analysé les données, etc. Tous ceci est un prérequis que le lecteur ne peut juger. Des pratiques simples comme l’antibio- prophylaxie ne sont pas toujours conformes à des stan- dards ! Est-ce possible ? Cette observation nous oblige à regarder d’autres domaines de notre pratique pour nous poser des questions semblables. Ce regard sur d’autres pratiques est un facteur d’amélioration. Bravo ! les concepteurs, organisateurs et auteurs qui ont mobi- lisé une énergie importante pour cette étude. Les résul- tats étaient peut-être évidents pour certains et il fallait accepter de faire ce travail. Nous sommes tous persuadés que nous faisons bien notre travail et que nous connais- sons et appliquons les recommandations. Mais évaluer nos pratiques, constater qu’elles peuvent être différentes d’un standard, et expliquer ce qui est observé sont des démarches que nous n’avons pas toujours apprises. Par- tager ses pratiques avec des pairs en les comparant à des standards est une démarche que je respecte, que j’ai du mal à appliquer pour moi. Avoir l’humilité de reconnaî- tre les divergences dans sa pratique est fantastique. En- fin, écrire est un travail souvent négligé : il fallait le faire. Encore bravo ! les financeurs qui ont choisi de privilégier une étude sur les pratiques professionnelles. Ils ont utilisé au mieux les ressources dont ils disposaient et ils n’ont pas à le regretter. Ils ont probablement écarté des projets intéres- sants mais dont l’impact immédiat sur les malades et les améliorations des pratiques professionnelles était diffi- cile à argumenter. Ils ont résisté aux pressions de nom- breux chercheurs comme ceux qui veulent financer un nouveau protocole d’association de plusieurs anticancé- reux qui pourrait allonger la survie de quelques jours pour un petit pourcentage de malades. Par leur choix, ils ont recentré les recherches sur la qualité des soins et le bénéfice immédiat des malades. Ils ont choisi d’agir sur du long terme plutôt que de privilégier l’amélioration fugace d’un indicateur biologique ou clinique. Encore bravo ! la revue : les rédacteurs et les experts qui ont relu cet article ont décidé de le publier. Ils prennent le risque de décevoir des lecteurs qui ouvrent ce journal pour lire de la chirurgie, des résultats, des complications, etc. Ils ont compris que la performance d’un système n’était pas acquise quand les acteurs ont le savoir et la compétence : ce n’est pas suffisant. Encore bravo ! les lecteurs : ils ne seront pas déçus car ils vont constater que changer est un objectif ambitieux. Les processus d’innovation et de changement des pratiques ont leurs propres règles, leurs rythmes, leurs méthodes [2]. Il faut prendre le temps de lire en détail les tableaux de cet article sur l’antibioprophylaxie [1], les interpréter et voir si la discussion est pertinente. S’améliorer en évaluant ses pratiques est difficile, et cela mérite réflexion et admiration. Encore bravo ! Annales de chirurgie 128 (2003) 423–424 www.elsevier.com/locate/annchi © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0003-3944(03)00180-9

Modifier les pratiques cliniques : des félicitations pour un regret et un espoir

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Éditorial

Modifier les pratiques cliniques :des félicitations pour un regret et un espoir

Modifying the clinical practices:some congratulations, one regret and one hope

L’article sur les pratiques de l’antibioprophylaxie chirur-gicale est passionnant car il expose des méthodes simples[1].Ne nous trompons pas : la simplicité est souvent un gage dequalité, mais la volonté pour mener à bien ces études et unecollaboration des acteurs sont indispensables. Les étudesévaluant des pratiques, insuffisamment considérées comme« scientifiques », doivent être développées. Elles participent àla compréhension de la performance d’un système : tous lesoutils existent, tous les acteurs sont compétents et tous sontd’excellents professionnels. Donc « tout est parfait », maiscomment expliquer que les malades n’obtiennent pas tou-jours les soins qu’ils sont en droit d’avoir ? Pourquoi l’articlepublié par lesAnnales de chirurgie mentionne : « Letaux deconformité globale de l’antibioprophylaxie par rapport auxrecommandations nationales était de l’ordre de 40 % »[1] ?

J’aimerais féliciter plusieurs intervenants de ce travail :• les participants : d’abord les malades, acteurs passifs

dont la participation est indispensable, mais surtout tousles soignants qui pendant une longue période ont ac-cepté une intervention externe en 3 phases. Neuf hôpi-taux, 13 équipes chirurgicales représentent beaucoup departicipants. Les soignants ont dû collaborer entre eux(chacun est un excellent professionnel) car c’est legroupe qui a été étudié. Une rigueur de tous est un gagede qualité : celui qui a fait l’injection d’antibiotiques,comme celui qui a détecté des complications ou analyséles données, etc. Tous ceci est un prérequis que le lecteurne peut juger. Des pratiques simples comme l’antibio-prophylaxie ne sont pas toujours conformes à des stan-dards ! Est-ce possible ? Cette observation nous oblige àregarder d’autres domaines de notre pratique pour nousposer des questions semblables. Ce regard sur d’autrespratiques est un facteur d’amélioration. Bravo !

• les concepteurs, organisateurs et auteurs qui ont mobi-lisé une énergie importante pour cette étude. Les résul-tats étaient peut-être évidents pour certains et il fallaitaccepter de faire ce travail. Nous sommes tous persuadésque nous faisons bien notre travail et que nous connais-sons et appliquons les recommandations. Mais évaluernos pratiques, constater qu’elles peuvent être différentes

d’un standard, et expliquer ce qui est observé sont desdémarches que nous n’avons pas toujours apprises. Par-tager ses pratiques avec des pairs en les comparant à desstandards est une démarche que je respecte, que j’ai dumal à appliquer pour moi. Avoir l’humilité de reconnaî-tre les divergences dans sa pratique est fantastique. En-fin, écrire est un travail souvent négligé : il fallait le faire.Encore bravo !

• les financeurs qui ont choisi de privilégier une étude surles pratiques professionnelles. Ils ont utilisé au mieuxles ressources dont ils disposaient et ils n’ont pas à leregretter. Ils ont probablement écarté des projets intéres-sants mais dont l’impact immédiat sur les malades et lesaméliorations des pratiques professionnelles était diffi-cile à argumenter. Ils ont résisté aux pressions de nom-breux chercheurs comme ceux qui veulent financer unnouveau protocole d’association de plusieurs anticancé-reux qui pourrait allonger la survie de quelques jourspour un petit pourcentage de malades. Par leur choix, ilsont recentré les recherches sur la qualité des soins et lebénéfice immédiat des malades. Ils ont choisi d’agir surdu long terme plutôt que de privilégier l’améliorationfugace d’un indicateur biologique ou clinique. Encorebravo !

• la revue : les rédacteurs et les experts qui ont relu cetarticle ont décidé de le publier. Ils prennent le risque dedécevoir des lecteurs qui ouvrent ce journal pour lire dela chirurgie, des résultats, des complications, etc. Ils ontcompris que la performance d’un système n’était pasacquise quand les acteurs ont le savoir et la compétence :ce n’est pas suffisant. Encore bravo !

• les lecteurs : ils ne seront pas déçus car ils vont constaterque changer est un objectif ambitieux. Les processusd’innovation et de changement des pratiques ont leurspropres règles, leurs rythmes, leurs méthodes[2]. Il fautprendre le temps de lire en détail les tableaux de cetarticle sur l’antibioprophylaxie[1], les interpréter et voirsi la discussion est pertinente. S’améliorer en évaluantses pratiques est difficile, et cela mérite réflexion etadmiration. Encore bravo !

Annales de chirurgie 128 (2003) 423–424

www.elsevier.com/locate/annchi

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/S0003-3944(03)00180-9

Un regret : comparer, comparer, comparer est la base de ladémarche scientifique. Qu’ il aurait étésatisfaisant de pouvoirobserver un groupe témoin de 13 équipes chirurgicales, auxpratiques semblables mais sans aucune information, sansaucune intervention. Est-ce que pendant les 2 ou 3 ans decette étude, d’autres équipes ont progressé, influencées pardes facteurs externes ? Cette question a dû être posée par lesacteurs, par les financeurs, par les experts de la revue et leslecteurs. La réponse est connue, je cite : «On peut regretter lararetédes travaux français (et àun moindre degréeuropéens)de méthodologie valide dans le domaine de la mise en œuvredes recommandations médicales. Les évaluations (des prati-ques) ne doivent pas prendre la forme de simples étudesavant/après non contrôlées par un site témoin, études qui nepermettent jamais de conclure sur l’efficacité de l’ interven-tion évaluée » [3]. Je n’ai plus de bravos !!! La comparaisonn’est pas toujours dans nos habitudes, elle est dérangeante, etparfois difficile à interpréter. Revenons àun exemple chirur-gical où la comparaison dérange : que faire des résultats decette étude chez 180 malades ayant une ostéo-arthrite dugenou ? Après 1 an, les malades ayant eu un lavage avec ousans débridement par arthroscopie avaient les mêmes dou-leurs que ceux ayant eu un placebo (procédure chirurgicaleavec incision de la peau sans arthroscopie) [4] ? On peut biensûr dire qu’ il n’est pas éthique de faire cela !!!

Un espoir à méditer : qu’une meilleure application desrecommandations pour l’antibioprophylaxie diminue encorele taux d’ infections observées après chirurgie.

Références

[1] Lallemand de Conto S, Bretl E, Huc B, Picard A, Tuefferd N, Talon D.Efficacité à long terme d’une action d’ information sur les pratiquesd’antibioprophylaxie chirurgicale. Annales de Chirurgie 2003;128:441–9.

[2] Berwick D. Disseminating innovations in health care. JAMA 2003;289:1969–75.

[3] Anaes. Service des recommandations et références professionnelles.Efficacité des méthodes de mise en œuvre des recommandationsmédicales. 2000 48 pages. 2000 48 pages. Accès gratuit sur http://www.anaes.fr.

[4] Moseley JB, O’Malley K, Petersen NJ, Menke TJ, Brody BA,Kuykendall DH, et al. A controlled trial of arthroscopic surgery forosteoerthritis of the knee. N Engl J Med 2002;347:81–8.

H. MaisonneuveDépartement de Santé Publique et d’Economie de

la Santé, Hôpital Fernand Widal, 75010 Paris, FranceAdresse e-mail : [email protected] (M. Maisonneuve).

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