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Vendredi 10 mai 2013 - 69 e année - N˚21245 - 1,80 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice : Natalie Nougayrède M En annonçant un « accord » avec Vladimir Poutine destiné à prépa- rer une conférence inter- nationale sur la Syrie, mêlant représentants du régime Assad et émissaires de l’opposi- tion, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a accédé à de vieux desiderata russes : occu- per une place de premier plan sur l’échiquier du Moyen-Orient, et obtenir que les Occiden- taux renoncent à toute posture de change- ment de régime par pressions extérieures. M. Kerry est allé loin dans les concessions à Moscou, en commentant qu’il ne lui « appar- tenait pas de se prononcer » sur l’éviction du pouvoir de Bachar Al-Assad comme préalable à des pourparlers. C’est un recul notable si l’on se souvient que, dès août 2011, les Etats- Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Allema- gne avaient demandé par des déclarations solennelles et concertées la démission immé- diate du dictateur de Damas. Plus rien de tel aujourd’hui. Avec plus de 70 000 morts et environ 5 mil- lions de déplacés et réfugiés, la Syrie est bien la Bosnie de notre époque, un écho poignant de l’impuissance qu’avait démontrée, de 1991 à 1995, la diplomatie internationale face aux pires atrocités dans les Balkans. C’est un sceau de honte et d’incapacité apposé sur ce début de siècle, alors que les Occidentaux brandissaient, en 2011, leur volonté de soute- nir les aspirations démocratiques survenues sur les pourtours sud de la Méditerranée, ce « Printemps arabe » dont le sens apparaissait alors clairement à tous. La Syrie est-elle l’objet de nouveaux renon- cements ? Les Etats-Unis, où le président Oba- ma se trouvait ces derniers temps sous le feu des critiques pour ses tergiversations à pro- pos de la « ligne rouge » qu’il avait lui-même tracée sur l’emploi d’armes chimiques, optent pour une relance de la diplomatie. Les pourparlers envisagés seront ouverts à des membres d’un régime incriminé par des ins- tances de l’ONU pour « crimes contre l’huma- nité » méritant de conduire leurs auteurs tout droit dans le box des accusés de la Cour pénale internationale. On peut imaginer la satisfaction de Bachar Al-Assad, dans son palais ou son bunker, appuyés par ses alliés russes et iraniens. La réaction indignée de la coalition syrienne d’opposition ne s’est pas fait attendre, elle qui a été reconnue par la France et d’autres pays comme « seule représentante légitime du peu- ple » syrien. La radicalisation islamiste d’une partie des rebelles syriens, souvent invoquée pour justi- fier l’inaction, est le fruit d’un long pourrisse- ment du dossier que Moscou a pu instrumen- taliser à son profit. Le système Poutine est rodé sur ce terrain, pour avoir pratiqué depuis une bonne décennie la politique du pire dans le Caucase du Nord. L’attentat de Boston, attribué à deux jeunes d’origine tchét- chène, aura, au passage, huilé les rouages de la relation russo-américaine : l’antiterroris- me est revenu au premier plan. Les Européens saluent le nouveau plan rus- so-américain pour la Syrie, tirant un voile pudique sur les reculades qu’il comporte. aaaLIRE LA SUITE PAGE 18 Literie en 140, 160 ou 180 : 1 SEUL ET MÊME PRIX PROMO REVENDEUR TEMPURAGRÉÉ BÉNÉFICIEZ DE CES OFFRES À PARIS : RIVE DROITE (12 e ) 60 cours de Vincennes, 01 43 41 80 93, 7j/7, M° Nation. 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CAHIER ÉCO – PAGE 5 Les cours en anglais enflamment l’université Le projet de loi de Geneviève Fioraso cherche à attirer les étudiants étran- gers. Partisans du texte et défenseurs de la langue françai- se s’écharpent. SOCIÉTÉ – PAGE 9 La com’, nouvel opium du politique ? Après les affaires DSK ou Cahuzac, le métier de com- municant politique est en pleine crise. Cinq experts pas- sent au crible les méthodes des gourous de la com’. DÉBATS – PAGE 16-17 AUJOURD’HUI ÉDITORIAL NATALIE NOUGAYRÈDE Syrie : le renoncement occidental France : les trois réformes exigées par Bruxelles ENTRETIEN LE MONDE DES LIVRES Dans les yeux de Greta Garbo LE REGARD DE PLANTU a René de Ceccatty fait siens les renoncements de la star suédoise a Robert Littell s’essaie au polar et confie son amour pour Chandler SUPPLÉMENT RDA tFinancement des retraites, diminution du coût du travail, ouverture à la concurrence des biens et des services : la Commission demande des engagements précis au gouvernement tBruxelles négocie les contreparties au délai de deux ans accordé à Paris pour contenir le déficit public LIRE CAHIER ÉCO PAGES « UNE » ET 3 LES SUPERPOUVOIRS DE DAFT PUNK tLe duo français sort un nouvel album, entre quête mémorielle et futurisme LIRE PAGE 10 DAVID BLACK LE MONDE DES LIVRES supplément 10 PAGES

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Vendredi 10 mai 2013 - 69e année - N˚21245 - 1,80 ¤ - Francemétropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice: Natalie Nougayrède

MEn annonçant un«accord» avec VladimirPoutine destiné à prépa-rer une conférence inter-

nationale sur la Syrie, mêlant représentantsdu régime Assad et émissaires de l’opposi-tion, le secrétaired’Etat américain JohnKerrya accédé à de vieux desiderata russes : occu-per uneplace depremier plan sur l’échiquierduMoyen-Orient, et obtenir que lesOcciden-taux renoncent à toute posture de change-mentde régimeparpressions extérieures.M.Kerry est allé loin dans les concessions à

Moscou, en commentant qu’il ne lui «appar-tenait pas de se prononcer» sur l’éviction dupouvoirdeBacharAl-Assadcommepréalableà des pourparlers. C’est un recul notable sil’on se souvient que, dès août2011, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Allema-gne avaient demandé par des déclarationssolennelleset concertéesladémissionimmé-

diate du dictateur de Damas. Plus rien de telaujourd’hui.

Avecplusde70000mortsetenviron5mil-lions de déplacés et réfugiés, la Syrie est bienla Bosnie de notre époque, un écho poignantdel’impuissancequ’avaitdémontrée,de 1991à 1995, la diplomatie internationale face auxpires atrocités dans les Balkans. C’est unsceau de honte et d’incapacité apposé sur cedébut de siècle, alors que les Occidentauxbrandissaient, en 2011, leur volonté de soute-nir les aspirations démocratiques survenuessur les pourtours sud de la Méditerranée, ce«Printemps arabe» dont le sens apparaissaitalors clairement à tous.

LaSyrieest-elle l’objetdenouveauxrenon-cements?LesEtats-Unis,où leprésidentOba-ma se trouvait ces derniers temps sous le feudes critiques pour ses tergiversations à pro-pos de la « ligne rouge» qu’il avait lui-mêmetracée sur l’emploi d’armes chimiques,optentpourune relancede ladiplomatie. Lespourparlers envisagés seront ouverts à desmembres d’un régime incriminé par des ins-tancesde l’ONUpour«crimescontre l’huma-nité» méritant de conduire leurs auteurs

tout droit dans le box des accusés de la Courpénale internationale.

Onpeut imaginer la satisfactiondeBacharAl-Assad, dans son palais ou son bunker,appuyés par ses alliés russes et iraniens. Laréaction indignée de la coalition syrienned’oppositionnes’estpasfaitattendre,ellequia été reconnue par la France et d’autres payscomme«seulereprésentantelégitimedupeu-ple» syrien.

La radicalisation islamisted’unepartie desrebellessyriens,souventinvoquéepourjusti-fier l’inaction, est le fruit d’un longpourrisse-mentdudossierqueMoscouapuinstrumen-taliser à son profit. Le système Poutine estrodé sur ce terrain, pour avoir pratiquédepuis une bonne décennie la politique dupire dans le Caucase du Nord. L’attentat deBoston,attribuéàdeuxjeunesd’originetchét-chène, aura, au passage, huilé les rouages dela relation russo-américaine: l’antiterroris-meest revenuaupremierplan.

LesEuropéenssaluentlenouveauplanrus-so-américain pour la Syrie, tirant un voilepudique sur les reculadesqu’il comporte.

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Laurent Fabius: «Le chaudron syrienest, avec le nucléaire iranien,la plus grandemenace contre la paix»LeministredesaffairesétrangèresdresseunbilandesapremièreannéeauQuaid’Orsay, évoquantuneépoqued’«hésitation stratégique»marquéepar «une crise de l’ambition collective». LIREPAGE2

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La com’,nouvel opiumdupolitique?Après lesaffairesDSKouCahuzac,lemétierdecom-municantpolitiqueestenpleinecrise.Cinqexpertspas-sentaucrible lesméthodesdesgourousde lacom’.DÉBATS – PAGE 16-17

AUJOURD’HUI

ÉDITORIALNATALIE NOUGAYRÈDE

Syrie: le renoncementoccidental

France: lestroisréformesexigéesparBruxelles

ENTRETIEN

LE MONDEDES LIVRESDanslesyeuxdeGretaGarbo

LE REGARD DE PLANTU

a René de Ceccatty faitsiens les renoncementsde la star suédoise

a Robert Littell s’essaieau polar et confieson amour pour ChandlerSUPPLÉMENT

RDA

tFinancementdes retraites, diminutionducoûtdu travail, ouverture à la concurrencedesbiensetdes services : laCommissiondemandedes engagementsprécis augouvernementtBruxellesnégocie les contreparties audélaidedeuxansaccordé àParis pour contenirledéficit public LIRE CAHIER ÉCOPAGES «UNE» ET3

LES SUPERPOUVOIRS DE DAFT PUNKtLeduo français sortunnouvelalbum,entrequêtemémorielleet futurismeLIREPAGE 10

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international

SyrieetIran,«laplusgrandemenacecontrelapaix»LaurentFabiuss’inquiètedu«chaudronsyrien»etaffirmeque«toutes lesoptionssontsur la table»concernantl’Iran

Entretien

Leministre des affaires étran-gères, Laurent Fabius,revient, mercredi 8mai, sur

sa première année au Quai d’Or-say.Quel bilan tirez-vous de l’actionextérieure de la France?

Je juge notre bilan de politiqueétrangère positif dans l’ensemble.Conformément à notre engage-ment, nous nous sommes retirésmilitairementd’Afghanistanpournouer avec ce pays une coopéra-tion civile. L’intervention au Malia été plus qu’utile : déterminante.Nous avons opéré une réconcilia-tion avec plusieurs Etats impor-tants avec lesquels la France étaiten froid – Algérie, Chine, Japon,Mexique, Pologne et Turquie.

La reconnaissance du statutd’Etat nonmembre observateur àl’ONU pour la Palestine constitueaussi une avancée. D’autres initia-tives de fond ont été prises quivont dans le bon sens, telles que lamiseenplacedeladiplomatieéco-

nomique, l’adaptation de notreréseau diplomatique au mondeduXXIesiècle,notrepolitiqued’ap-puiaudéveloppementet à la fran-cophonie,et,mêmesielledoitêtreamplifiée, une nette avancée auplan européen vers le binôme«sérieuxbudgétaire/croissance».

Il faut bien comprendre que lecontexte international a changé,et que c’est dans ce cadrenouveauque notre puissance d’influencepeut s’exercer. Les années 1990étaient celles d’une mondialisa-tion confiante, après la chute dumur de Berlin, les années 2010sont celles d’une mondialisationméfiante. Parce qu’il y a eu la crisefinancière,quiaalimentéunecris-pation des souverainetés. Parceque la répartition de la puissanceévolueauseindusystèmeinterna-tional, mais sans qu’on puisseexactementenprévoir l’issue.Par-ce que le couple Chine/Etats-Unisfascine, avec d’un côté une puis-sance renaissanteet de l’autreunepuissance réticente, mais cela res-te assez indécis. Parce que l’évolu-tion des transitions arabes ajouteà cette perplexité.

Nous vivons donc une périodeque j’appellerais d’hésitation stra-tégique, qui conduit à un mondeattentiste, au moment même oùles problèmes de fond s’accumu-lent et exigeraient des réponsesclaires et concertées. Dans cecontexte, la France doit jouer plei-nementsonrôledepuissanced’in-fluence, une puissance repère, quicontribueà résoudre cette crise del’ambitioncollective.Sur la Syrie, crisemajeure dansla région la plus troublée de laplanète, la France n’a-t-elle pasune position attentiste?

La tragédie syrienne, si elle sepoursuit,peutêtre lapirecatastro-phehumanitaireetpolitiquedecedébutde siècle. Lesmorts, les bles-sés, lesdéplacés,lesréfugiéssechif-frent par centaines de milliers enSyrie ou dans les pays voisins. Sionneporte pasun coupd’arrêt auconflit, c’est l’éclatement du paysqui se profile, l’ultra-radicalisa-tion sectaire des deux camps, ladéstabilisation de toutes les com-posantesdecette zonedéjàérupti-ve. Le chaudron syrien constitue,avec le nucléaire iranien – etd’ailleurs les deux sont liés –, laplus grande menace actuellecontre la paix.

Seuls, nous ne pouvons résou-dre ce conflit, mais nous sommesconstammentà l’initiative.

Nous entendons poursuivre

selon quatre orientations.D’abord,continuerdepousserunesolution politique: les Etats-Unisdoivent pleinement s’engager, lesdiscussions avec la Russie se ren-forcer ; nous proposons depuislongtemps un Genève II, faisantsuite à la réunion de Genève enjuin2012 qui avait failli réussir.

Deuxième décision, nousallons augmenter notre soutienenvers l’opposition modérée, laCoalition nationale syrienne quidoit s’élargir, s’unifier et garantirclairement à chaque communau-té le respect de ses droits en cas dechangement de régime. Pour qu’il

n’y ait pas d’ambiguïté, nous pro-posonsdeclassercomme«organi-sationterroriste»ausensde l’ONUle Front Al-Nosra, opposé à BacharAl-Assadmais filiale d’Al-Qaida.

Troisième décision, discuteravecnospartenaireseuropéensdel’embargosur lesarmes.D’uncôté,il n’est pas question que les résis-tants et les civils continuentd’êtrebombardés: ils demandent légiti-mement les moyens de se proté-ger. De l’autre, on ne peut pas leurfournir d’armements susceptiblesde tomber dans lesmains du régi-meoudemouvementsterroristes.

Enfin,nous sommesen trainde

préciser nos enquêtes et nos plansd’actionfaceà lapossibilitéd’utili-sationparAl-Assadd’armeschimi-ques. Il faut bouger et bouger vite.FrançoisHollande avait dit quel’utilisation d’armes chimiquesentraînerait une réponse «fulgu-rante». Or il semble que certai-nes aient été utilisées…

Il existe des indices en ce sensmais pas de preuves. Nous creu-sonscettequestion importante.Après l’embarras lors des révol-tes à Tunis et auCaire puis l’in-tervention en Libye, la France nes’est-elle pas alignée sur l’em-barras américain sur la Syrie?

Jene lecroispas.Ces transitionsarabes prendront du temps. Lessituations ne sont pas les mêmesselonlespays.Noussoutenonscesmouvements, les causes, lesvaleurs qui les ont animés. Nouslessoutenonssur leplanéconomi-que, politique, et enmême tempsnous voulons le respect de deuxprincipes: leslibertésfondamenta-les (droit d’expression, droits desfemmes…) et la possibilité d’alter-nance, le pluralisme. Ces peuplesdoivent pouvoir librement déci-der s’ils veulent continuer, accélé-rer ouprendreun autre chemin.EnSyrie, la radicalisationmilitai-re deDamas et islamiste au seinde l’opposition n’invalide-t-ellepas ces deux années d’attentis-me?Ne fallait-il pas intervenirmilitairement?

Depuis un an, nous avons orga-nisé lagrandeconférencedesamisde la Syrie à Paris et été les pre-miers à reconnaître la Coalitionnationale syrienne. Nous avonsété très actifs dans l’aide humani-taire. Nous avons aussi, les pre-miers, accrédité un ambassadeurde la Coalition à Paris. Nous avonssoutenu Moaz Al-Khatib, le prési-dentdelaCoalition,danssapropo-sition courageuse de dialogueavec certains éléments du régime.Nous avons participé, et j’étaismoi-même un de ceux qui onttenu la plume, à «GenèveI». Nousfaisons partie du noyau de ceuxqui peuventpeser.Quel est le niveau d’engagementdes Iraniens aux côtés du régi-me syrien?

Considérable. Il existed’ailleursunecertainerelationentrelaques-tion du nucléaire iranien et lesaffrontements en Syrie. Si la com-munauté internationale n’est pascapable d’arrêter un mouvementdans lequel les hommes d’Assadsont soutenus puissamment parlesIraniens,quelleseranotrecrédi-bilité pour assurer que l’Iran ne sedoterapas de l’armenucléaire?Aquel horizon pensez-vous quel’Iran puisse se doter de l’armenucléaire?

Pas avant les élections iranien-nes de juin. Nous sommes totale-ment hostiles à la disséminationnucléaire. Si l’Iran se dote de l’ar-me nucléaire, d’autres en feraientdemême dans cette région. L’Iranpeut parfaitement utiliser lenucléaire civil, mais pas acquérirla bombe atomique. Pour l’éviter,il faut négocier et sanctionner.Et en cas d’échec?

Toutes les options sont sur latable, mais l’option souhaitableest que lanégociation réussisse.Concernant leMali, l’opérationmilitaire française est présentéecommeun succès. Comment,maintenant, gagner la paix?

Les améliorations sont considé-rables. Mi-janvier, tout le pays ris-quaitdetombersouslacoupecruel-ledesterroristes,menaçantlasécu-ritédesMaliensetdespaysvoisins.Aujourd’hui,laplupartdesterroris-tes sont neutralisés. La sécuritérevient. Lesélections sepréparent.

Celanesignifiepasquetoutsoitréglé. Il resteàréussir lepassagedela force africaine à la force del’ONU, veiller à ce que le dialogueSud-Nord soit une réalité, que

Kidalnesoitplusunezonedenon-droit, et faire en sorte que les élec-tionsaient lieuàleurdate. Il resteàréussir la paix.Est-ce que l’échec de la stabilisa-tion enAfghanistan après uneopérationmilitaire réussie n’inci-te pas à la prudence sur l’après-guerre auMali?

Nous devons tirer les leçons dupassé, même si les circonstancessont différentes. Eviter les butsd’opérations imprécis et chan-geants. Au Mali, les buts sont debloquer les terroristes, de rétablirla sécurité et l’intégrité du pays,afinque lepays sedéveloppedansla paix. Il faut aussi lier étroite-ment la sécurité, la démocratie etledéveloppement.Luttercontre lacorruption et la drogue. Ne pastolérer d’exactions. Et éviter dedevenir une armée d’occupation:c’est pourquoi nous avons dit quenous n’avions pas vocation à res-ter éternellementauMali.Insister pour organiser des élec-tions en juillet, n’est-ce pas uneerreur?

Certainementpas.Legouverne-ment et le président actuels sontdes autorités de transition. Il fautdes institutions durables et desélections légitimes.LeMalimarque-t-il un retour à lapolitique traditionnelle de laFrance enAfrique?

Sur leMali, l’ensemble des paysafricains a soutenu cette opéra-tion.J’aiparticipéàunegranderéu-nionàAddis-Abeba,trèsémouvan-te, où lamoitié des chefs d’Etat quisesontexprimésontterminéleursproposendisant«VivelaFrance!».Jamais jen’avais entenducela.

Onnousdemandebeaucoupdechoses, à nous, la France. Nous fai-sons le maximum, mais nousn’avons pas vocation à intervenirpartout.p

Proposrecueillis parChristopheChâtelot

etRémyOurdan

«Nousvivonsunepérioded’hésitationstratégique.Unecrise

del’ambitioncollective»

«Nousn’avonspasvocationàresterauMali.Nousn’avons

pasvocationàintervenirpartout»

Allemagne:«Ouiaudébat,nonaupugilat»

Laurent Fabius, dans son bureau duministère des affaires étrangères, mercredi 8mai. NICOLALOCALZO/LUZ POUR «LE MONDE»

Nepensez-vous pas que les rela-tions entre la France et l’Allema-gne se sont dégradées depuis unan, à la fois au niveau gouverne-mental et, récemment, avec letexte du Parti socialiste surAngelaMerkel?

AvecFrançoisHollande, nousrevenionsde Chine lorsquenousavonsappris parunedépêched’agencecemauvais psychodra-me.Autant il est légitimedemenerdes discussionsutiles avecnotrepartenaire allemand, autantil est déplacéd’attaquer le chefd’ungouvernementvoisinet defaire commesi l’Allemagneétaitresponsabledenotrepertede com-pétitivité et de toutesnos difficul-tés.Oui audébat, nonaupugilat.Renforçonsnotrepartenariat.

Il faut expliquerà ceuxdenoscompatriotesde tousbordsquinel’auraientpas comprisque lesAlle-mandsnesontpasdes Françaisquiparlent…allemand, et auxAlle-mandsque les Françaisnesontpastousdes«cigales irresponsables».

Il n’y a pas de constructioneuropéennesolide sansunparte-nariat franco-allemandrobuste,d’égal à égal, ouvert aux autres. LaFrance et l’Allemagne représen-tent lamoitié de la richesse euro-péenneet bienplus de lamoitiéde sa force propulsive. C’estensemblequenousdevonsconstruire l’euro-projet qui nouséloigneradu spleenactuel: crois-sance, énergie, défense, recher-che, investissementsd’avenir. LaFrance seule, ce n’est pas une

option.Mais si l’Europe est enrécessionou tout simplement enstagnation, cela emporte aussides conséquencesnégatives surl’Allemagne.L’Europe ne traverse-t-elle pasune crise existentielle?

Nous ne vivons pas seulementune crise, nous vivons un change-ment dumonde. Le temps n’estplus où l’Europe était le centreimpérial de la planète. Lesmodesde production, les outils de com-munication, lesmodes de régula-tion, les hiérarchies entre pays,tout a été bouleversé. La France,avec l’Europe, doit être enmesu-re d’affronter ce changementradical.p

Proposrecueillis par Ch. CtetR.O.

2 0123Vendredi 10mai 2013

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Leministre tunisien de l’inté-rieur, Lotfi Ben Jeddou, a révélé,mercredi 8mai, que les groupesdjihadistes pourchassés à lafrontière entre la Tunisie et l’Al-gérie comptaient des vétéransde la rébellion auMali et ont pro-mis de les«éradiquer»,malgréles difficultés rencontrées sur leterrain.Mardi, sonministèreavait indiqué que ces groupesétaient liés àAl-Qaida auMaghreb islamique (AQMI),signe inquiétant pour la Tunisie,confrontée à un essor de grou-puscules djihadistes depuis la

révolution de 2011.M.Ben Jed-doun’a pas précisé si les combat-tants pourchassés aumontChambi (ouest) et dans lemas-sif du Kef (nord-ouest) avaientété rejoints par des vétérans duMali avant ou après l’interven-tionmilitaire française.Les terroristes pourchassésdepuis décembre sur lemontChambi seraient une vingtaine,«une moitié de Tunisiens et unemoitié d’Algériens». Seizemili-taires et gendarmes ont été bles-sés depuis fin avril dans ces opé-rations de ratissage.– (AFP)

IstanbulCorrespondance

Conformément à ce que leurcommandement militaireavait annoncé, les combat-

tants du Parti des travailleurs duKurdistan (PKK) ont amorcé,mer-credi 8mai, leur retrait du territoi-re turc. «D’après ce que noussavons, ils ont commencé à fairemouvement», a confirmémercre-di GültanKisanak, la coprésidenteduPartipourlapaixetladémocra-tie (BDP), la vitrine légale dumou-vementkurde.

Les manœuvres ont en réalitédébuté plusieurs jours aupara-vant. Dans tout l’est de la Turquieet le longdescôtesde lamerNoire,desmilliersdemembresde lagué-rilla, en lutte depuis 1984 contrel’Etat turc, sont censés quitterleurscachesetdescendredesmon-tagnes, à pied, pour faire routevers la frontière avec l’Irak. Le pro-cessus doit prendre plusieursmois pour s’achever après l’été.

Le gouvernement turc estime àenviron 2000 le nombre d’hom-mes et de femmes en armes quipourraient ainsi traverser la fron-tière irakienne pour parvenir jus-qu’auxmontsQandil, le refuge duPKKdanslenorddel’Irak:unmas-sif montagneux où sont retran-chés les chefs de l’organisation,ainsi qu’environ 5000rebelles,disséminés dans des camps d’alti-tude le longde la frontière turque.«Nous allons tenir nos promesses

et respecter ladécisiondenotre lea-der, AbdullahÖcalan. Les premiersgroupes sont attendus à Qandildans une semaine», a précisé unporte-paroleduPKK,mercredi.

Après le cessez-le-feu décrétédepuis saprisonpar le chef rebelleAbdullah Öcalan et annoncé le21mars, jour de la fête de Newroz,le Nouvel An kurde, le retrait de laguérillaestuneétapedécisiveversla fin du conflit qui a fait plus de40000morts en trente ans deguerre. Mais le gouvernementcomme le mouvement kurde res-tentprudentsàl’aubedeceproces-susinédit.Mardi, lepremierminis-tre turc, Recep Tayyip Erdogan, avoulu relativiser la portée duretrait.«L’important,cen’estpasleretraitmaisledésarmementdel’or-ganisation», a-t-il souligné.

Pour le PKK, pas question dedéposerlesarmesavantd’avoirpu

se mettre en sécurité. Les rebelleskurdes craignent en effet d’êtrepris pour cible pendant leurretrait. En 1999, après l’arrestationd’Abdullah Öcalan, environ500d’entre eux avaient été tués

par l’arméeturquealorsqu’ilsdes-cendaient des montagnes. «Nousn’avonspas dedoute sur la démar-che de l’Etat mais nous craignonsdes provocations de la part des for-ces obscures», a déclaré SelahettinDemirtas, dirigeant duBDP.

Le parti kurde a égalementmisen garde contre toute manœuvrequipourrait«retarder le processusde paix et favoriser des provoca-tions et des accrochages». L’arméeturqueamassédestroupes,multi-plié les check-pointsdans les villa-ges frontaliers et a envoyépatrouiller le long de sa frontièreavecl’Irakdesavionsdesurveillan-ceetdesdrones.Finavril, lechefdelabranchemilitaireduPKK,MuratKarayilan, avait précisé que leretrait s’arrêterait immédiate-ment«encasd’attaqueoudebom-bardement de ses troupes » etentraîneraitdes représailles.

Au contraire, si cette opérationderetraitétaitunsuccès,ellepour-rait ouvrir la voie à un règlementpacifique de la question kurde.Mais des mesures concrètes sontattendues par la minorité kurde,qui représente 20% de la popula-tion de Turquie. Une nouvelleConstitution a été promise maisles discussions au sein de la com-missionparlementaire s’enlisent.

Les Kurdes réclament la recon-naissance légale de leur identité etune décentralisation de l’Etat.Mais le gouvernementdeM.Erdo-gan doit aussiménager une oppo-sition qui guette le moindre fauxpas.LePartikémaliste(CHP)aqua-lifié les «marchandages avec l’or-ganisation terroriste» de «désho-norants» et le Parti de l’actionnationaliste (MHP) voit dans cesnégociationsune «trahison». p

GuillaumePerrier

WashingtonCorrespondante

Si Barack Obama pensait enavoir fini avec la polémiquesur l’attaque du consulat de

Benghazi, le 11septembre2012,quiavait entraîné la mort de quatreAméricains, dont l’ambassadeuren Libye, Chris Stevens, il a puconstater, mardi 8mai, qu’il setrompait. Bien que les électionssoient passées, « la politisation deBenghazicontinue», a regrettésonporte-parole Jay Carney, en souli-gnantqu’unecommissionofficiel-le avait déjà établi les faits endécembre2012 dansun rapport.

Exploitation politique ? Cen’est évidemment pas l’avis desrépublicains du Congrès, qui sesont remis à accuser la MaisonBlanche d’avoir cherché à «cou-vrir» les défaillances dans la sécu-rité du personnel diplomatiqueen Libye. L’ancienne secrétaired’Etat Hillary Clinton est dans laligne de mire, d’autant qu’ellepourrait être la candidate du Partidémocrate pour la succession deBarackObama.

Cette fois, les républicains ontinvité trois agents du départe-

ment d’Etat à témoigner devantune commission de la Chambredes représentants. Dont l’adjointde Chris Stevens, Gregory Ricks,qui,restéàTripoli,atentéd’organi-serdesrenforts lanuitdel’attaque.

S’exprimant avec lenteur, lavoixparfoisnouée, le diplomateatenu l’assistance en haleine lors-qu’il a déroulé le film des événe-

ments de la nuit du 11 au 12 sep-tembre 2012 : du coup de fil del’ambassadeur–«Greg,onestatta-qués»–àceluideHillaryClintonà2heures du matin, s’inquiétantdu sort de l’ambassadeur, jus-qu’au message capté sur Twitterassurant que la prochaine cibleserait l’ambassade à Tripoli. Al’aube, les diplomates ont évacuépréventivement les locaux aprèsque la secrétaire de l’ambassade

eut détruit à la hache des disquesdurs des ordinateurs.

Après le premier assaut contrele consulat de Tripoli, GregoryRicks a tenté de mobiliser le com-mandement des forces américai-nes en Afrique. «Est-ce que quel-qu’un vient ? Est-ce qu’il y a del’aide quelque part?» Les militai-resontréponduqu’il faudraittroisheures pour que l’aviation arrived’Italie et qu’il n’y avait «pas deravitailleurs pour refaire le plein».Il a essayé d’envoyer l’équipe desécurité de Tripoli dans un avionlibyenmais la permission lui a étérefusée, au motif que, là aussi, lesrenforts seraient arrivés trop tardet qu’il n’était pas prudent dedégarnir l’ambassade.

L’audition a duré six heures.Gregory Hicks, diplomate depuisvingt-deuxans, a déploréque l’ad-ministration ait dans un premiertemps lié l’attaque à unemanifes-tation spontanée en réaction à lavidéo islamophobe L’Innocencedesmusulmans, diffuséesur Inter-net au même moment, plutôtqu’une action terroriste, ce qui,selonlui, a«nuià lacrédibilité»duprésident du Parlement libyen,Mohamed Youssef Al-Megarief,qui fait office de chef de l’Etat, et a«affecté sa capacité à diriger».

Il s’estprésentécommevictimedemesures de rétorsion de la partdes adjoints de MmeClinton pouravoir donné sa version des événe-ments, notamment au sénateurrépublicain de l’Utah, Jason Chaf-fetz, alors qu’il avait reçu la consi-gne de ne pas lui parler. Cela lui avalu un coup de fil furieux de ladirectrice de cabinet de MmeClin-ton, CherylMills.

Ledépartementd’Etatadémen-ti toutemiseàl’écartdudiplomateet laissé entendre que M.Hicksobtiendrait tout l’avancementqu’il souhaitait. p

Corine Lesnes

L’attaquedeBenghazicontrel’ambassadeaméricainecontinued’agiterWashingtonUndiplomate reprocheà l’anciennesecrétaired’EtatHillaryClintond’avoir faitpressionpourqu’ilnetémoignepas

PourlePKK,pasquestiondedéposerlesarmesavant

d’avoirpusemettreensécurité,depeurd’êtreprispourcible

LaHongrierechigneàpayerpourpréserverAuschwitz

GregoryRicksaessayéd’envoyerl’équipedesécuritédeTripolidansunavionlibyenmaislapermissionluiaétérefusée

LesrebelleskurdesduPKKontcommencéleurretraitdeTurquieAprès lecessez-le-feudécrétépar leurchefAbdullahÖcalan,quelque2000combattantsvont traverserla frontièreà l’estdupayspourse réfugieren Irak,ouvrant lavoieàunrèglementpacifiqueduconflit L ’historienpolonaisPiotr

Cywinskiest enmission.Leprésidentde laFondation

Auschwitz-Birkenaumilitedepuisquatreanspourconvain-cre lesEtatsdumondeentier, sur-toutceuxendeuilléspar la secon-deguerremondiale,departiciperà lapréservationdu lieu.Un fondsspécial aété créé, quidoit lever120millionsd’euros,dont leplace-mentpermettrade financercha-queannée les travaux.«Onadéjàdespromessesde 23paysàhau-teurde 100millions,expliquePio-trCywinski.Lesderniersmètressont lesplusdifficiles.»

Lasurfacecouverteestde200ha, comptant 155bâtimentset300ruines, ainsiquedesmilliersd’objets (chaussures, valises,docu-ments, etc.). Lepremier chantierouvertest le camppour femmesàBirkenau,45baraquementsentrèsmauvaisétat.«Lesmotsontbesoindu lieu et le lieuabesoindesmotspour rendre le réel palpable,expliqueM.Cywinski. Il y a 1,4mil-liondevisiteurs chaqueannéeetcelanecessed’augmenter.C’estunritedepassagecitoyenpour les jeu-nes.Il fautpréserver ce fondementde l’identité européenne.»

Heureusesurprise: l’Australie,laNouvelle-Zélandeou laTurquieontapporté leur contribution,mêmesi elleestbien inférieureàcellede l’Allemagne(60millionsd’euros),desEtats-Unis (5), de laPologne (10)oude laFrance (5). Enrevanche,unpaysn’a toujoursrienproposé.Cepays traîne lespieds,usedeprétextes,alorsqu’ilest concernéaupremier chef: laHongrie.«Onacommencéàdiscu-ter en2009-2010avec lesautorités

hongroises, expliquePiotrCywins-ki. Ils ont répondualorsque c’étaitla crise économiqueetqu’il fallaitattendrequelquesannées. Et puisrécemment,onaentendudirequ’ils envisageaientdedonner110000euros.»

Unesommerisible comparéeauxautrespayseuropéens,maissurtoutentenant comptedupas-sénational.«Il s’agitd’unesortededrame intérieurpour laHon-grie, souligne leprésidentde laFondation.D’unpointdevue sym-bolique,Auschwitz représente leplusgrandcimetièrehongroisaumonde.Sur 1,1milliondevictimesau total, il y eutplusde400000juifs hongroisenàpeinetroismois, en 1944. Suivent les juifspolonais, environ300000.»

«Tolérance et intelligence»Le6mai, lepremierministre

hongroisViktorOrbans’estexpri-médevant leCongrès juifmon-dial (CJM)réuniàBudapest.«Nousnevoulonspasque laHon-griedevienneunpaysdehaineetd’antisémitisme», a-t-il dit.Mais leCJMattendaitunecondamnationdumouvement Jobbik, troisièmeforcepolitiquedupays, ouverte-mentantisémite.

LaHongriesuscite l’inquiétudeenEuropeen raisonde lamontéede laxénophobiedans la société,mêmesi legouvernementn’enestpas l’instigateur.«La toléran-ce, c’est l’intelligence.La toléranceenvers l’intolérance, c’est de lafolie», a expliqué leministrealle-manddesaffairesétrangères,Gui-doWesterwelle, le 5mai, avantsarencontreavecM.Orban.p

Piotr Smolar

Des terroristes d’AQMI dans l’ouest de la Tunisie

TURQUIE

SYRIECHYPRE IRAK

IRAN

Mer Noire

MerMéditerranée

200 km

Istanbul

Ankara

Izmir

GÉORGIE

AZER.

RUSSIEBULGARIE

ARMÉNIE

Zone de peuplement kurde

Diyarbakir

Qandil

30123Vendredi 10mai 2013

Page 4: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

L a Russie souffre d’une percep-tionnégativeauxyeuxdel’opi-

nion publique? C’est la faute auxjournalistes enclins à la décriresous un très mauvais jour. Pourcontrer ce mauvais travers, leKremlin dépense des sommescolossales en opérations de com-munication. Pas un jour ne se pas-se à Moscou sans la tenue d’unforum, d’une conférence ou d’unetable ronde vantant l’attrait de laRussie de Vladimir Poutine, futureldoradodes investisseurs.

Le 18avril, la Sberbank, la plusgrosse banque publique, avaitconvié la fine fleur dumonde desaffaires au Forum «Russie 2013»,organisé au Centre du commerceinternational, sur les bords de laMoskova. Hôte d’honneur duforum, le vice-premier ministreIgor Chouvalov faisait l’article :«La Russie est un endroit bien plusconfortable et bien plus sûr pourles investisseurs que des tasd’autres pays qui ont perdu leurattrait.»

Soninterventiondevaitêtresui-vie de celle de l’oligarque ViktorVekselberg, par ailleurs présidentdeSkolkovo, laSiliconValleyrussecréée en 2010 pour faire entrer lepays dans l’ère des hautes techno-logies. Du forum à Skolkovo, l’oli-garque n’avait qu’un pas à fairepuisque les bureaux administra-tifs de la Silicon Valley sont situésdans le même bâtiment. Mais sonsiège resta vide. Un contretempsde dernière minute? Un rendez-vous d’affaires urgent? Non,mais

un souci de taille : une perquisi-tion à Skolkovo.

AuCentreducommerceinterna-tional, une étrange pièce de théâ-tre se jouait ce jour-là. Tandisqu’au forum, l’élite bureaucrati-que interprétait « laRussie radieu-se» devant un parterre d’investis-seursbéats,uneescouaded’enquê-teursdu comitéd’enquêteperqui-sitionnait lesbureauxadministra-tifsdu fondsSkolkovosur lemodedeCrime et châtiment.

En général, quand les enquê-teursduFBI russesedéplacent–etle fait est routinier en ces tempsde lutte à tout-va contre la corrup-tion–,ilsnefontpasdansladentel-le. Que personne ne bouge! S’en-suit une longue immobilisationdes présents qui doivent deman-der la permission pour aller auxtoilettes.

Manque de chance, dans lesbureaux du fonds Skolkovo setrouvait ce jour-là un représen-tant de la firme américaine Intel,numéro un mondial de semi-conducteurs, engagé dans un par-tenariat prometteur avec Skolko-vo. Venu discuter de l’avenir de larecherche, le représentant d’Intel,qui n’a pas souhaité divulguerson nom, a été confiné plusieursheures dans un couloir avecd’autres suspects sans pouvoircommuniquer, son passeport etson téléphone portable lui ayantété confisqués.

Une fois « libéré», l’homme n’apas demandé son reste, il a filéillico à l’aéroport de Cheremetie-

vo. L’histoire ne dit pas s’il croitencore à la Russie de l’innovation,mais elle résumeassez bien l’inca-pacité de l’élite politico-militaireau pouvoir à jouer la séduction.Dans l’esprit des hommes à épau-lettes, séduire c’est faire peur.

Ilfautdirequ’ils’enpassedebel-les à Skolkovo: détournements defonds, rapports scientifiquesbidons et très cher payés, petitsarrangements familiaux. Le comi-té d’enquête, soumis à l’autoritédirecte du président Poutine, a dupain sur la planche.

EtcommelaSiliconValleyrusseest le «bébé» de Dmitri Medve-dev, surnommé par la rue«AïphoneAïpadovitch», laconclu-sion est toute tirée : le premierministreestassis surunsiègeéjec-table. Il vient d’ailleurs de perdresonvice-premierministre, Vladis-lav Sourkov, détenteur d’un siègeauconseildesurveillancedeSkolk-ovo, et dont la démission a étéapprouvée par Vladimir Poutinemercredi 8mai.

Lors d’une récente conférence àLondres,M.Sourkovavaitosécriti-quer les agissements du comitéd’enquête, trop zélé dans ses per-quisitions. Avec une phrase detrop : «En Russie, les gens disentque le poisson pourrit par la têtemais nous, à Skolkovo, notre têten’est pas pourrie, nous sommesbien plus propres que beaucoupd’autresgrandsprojets.» Il yade laluttede clans dans l’air. p

[email protected]

LETTRE DE RUSSIEpar Marie Jégo

Quandinnovation

rimeavecperquisition

LES BUREAUXDU FONDSSKOLKOVOFURENT

FOUILLÉS SURLE MODE DE«CRIME ETCHÂTIMENT»

europe

vendredi à 11h45

avec

au micro d’Agnès Soubiran sur France Info

franceinfo.fr

Plantudévoilesondessindu jour

Silvio Berlusconi, devant son domicile, à Rome, le 27avril. AP

LondresCorrespondance

David Cameron tente derebondir après son reversaux élections locales du

2mai. Le premierministre britan-nique a fait du durcissement del’immigration la pièce centrale deson programme législatif pourl’année à venir, entendant ainsidonnerdes gages à sonaile droite.

Mercredi8mai, lareined’Angle-terre a procédé, pour la soixantiè-me fois depuis son couronne-ment, à l’ouverture officielle duParlement. Dans un décorumtou-joursidentique–arrivéeencarros-se, couronne d’Etat impériale surla tête, perles de la reine Victoriaaux oreilles –, elle a prononcé enhuit petites minutes un discoursdévoilant leprogrammeàvenirde«son»gouvernement.

Ce n’est évidemment pas ellequi l’a écrit, mais la coalition aupouvoir. Et M.Cameron lui a faitannoncer une loi sur l’immigra-tion, «qui attirera ceux qui contri-buent [auRoyaume-Uni]etdissua-dera les autres».

C’est surtout la deuxième caté-gorie que le dirigeant britanniquea en tête. Londres entend faciliterl’expulsionduterritoiredesimmi-grés clandestins et des étrangerscondamnésparla justice.Actuelle-ment, ceux-ci obtiennent souventle droit de rester au Royaume-Unisi leur familleyvit. S’ils fontappel,ils ne sont généralement pasexpulsés avant que le nouveaujugement ne soit prononcé.M. Cameron voudrait que lesexpulsions aient lieu avant le pas-sage en appel. Le sujet est particu-lièrement sensible à cause de l’af-faire AbouQatada, un prédicateurislamiste suspecté de terrorisme,dont l’extradition vers la Jordanieest bloquée depuis des années parune longuebataille judiciaire.

Autre mesure proposée parM.Cameron : les propriétairesdevront vérifier que leurs locatai-respossèdentdespapiersen règle.Dans un pays où le logement esttrès fluide, avec des préavis quidépassent rarement unmois, celapourrait provoquer d’importantsbouleversements. Enfin, le pre-mier ministre britannique veut

s’assurer que les immigrants quiviennent pour de courts séjourspaient eux-mêmes les éventuelssoins dont ils bénéficieraient, afind’éviter le tourismemédical.

Cesmesures, dont les détails nesont pas encore connus, s’inscri-ventdansladroitelignedelapoliti-que queM.Cameronmène depuisqu’il est arrivé au pouvoir il y atroisans.LeRoyaume-Uniaconnudepuisvingtansunaffluxd’immi-grés, qui sont passés de 8% de lapopulation en 1995 à 14,5% en2012. Ce phénomène provoqueune grogne croissante, accentuéepar la crise.M.Cameronadonc faitducontrôledesfrontièresuneprio-rité. Il a déjà réduit les visas de tra-vail et l’arrivéedes étudiants.

Néanmoins, l’annonce de cesnouvelles lois semble aussi êtreune réaction directe à la percée del’United Kingdom IndependenceParty (UKIP) aux élections localesdu2mai.Cepartiaobtenu23%desvoix – juste derrière les conserva-teurs, à 25%–et il doit sonsuccèsàsapositiontrèsdurecontrel’immi-gration, encoreplus qu’à sa volon-tédesortirde l’Unioneuropéenne.Nigel Farage, son chef, propose dediviser le nombre d’immigrantspardix,de500000personnesparanà 50000.

M.Cameron est donc accusé desombrerdansundangereuxpopu-lisme. «Son ton général est clair :les étrangers nous envahissent etprennent nos emplois, nos alloca-tions sociales, nos maisons. C’est,bien sûr, une réaction de paniquefaceà lamontéede l’UKIP», estimeIan Birrell, qui a été l’une de ses«plumes» pendant la campagneélectoralede 2010.

Ed Miliband, le chef des tra-vaillistes, est aussi très critique,rappelant que Ken Clarke, unministre conservateur, estimaitavant les électionsque l’UKIPétaitunebandedeclowns.«Ils lesappe-laient des clowns, maintenant ilsveulent rejoindre le cirque.»

Enfin, siM.Cameron se concen-tre ainsi sur l’immigration, c’estaussiparcequ’iln’aquetrèspeudemarge de manœuvre par ailleurs.En matière d’économie, le princi-pal problème – la croissance estquasiment nulle depuis deux ansetdemi–, ilcontinueàprônerl’aus-térité,sanschangerdecap.Surl’Eu-rope, il a promis un référendumvers 2017 (après une potentielleréélection) et ne veut pas céder àceux qui lui demandent d’accélé-rer son calendrier. Restait doncl’immigration, qui lui permettaitdedonnerquelquesgagesàsabaseélectorale, sans pour autant pro-fondément changerde cap.p

EricAlbert

RomeCorrespondant

Renoncerourelancer?Mettrefin à vingt ans de vie politi-que marquée par trois élec-

tions victorieuses qui l’ont porté àla présidence du conseil ou bienrenverser la table, provoquer unnouveauscrutinet tenterd’échap-per à son sort judiciaire en retrou-vant les plus hautes fonctions etles immunités qui vont avec? Telssont les choix qui s’offrent désor-mais à Silvio Berlusconi, condam-né,mercredi8mai,parlacourd’ap-peldeMilanàquatreansdeprison(réduits à un an en raison d’uneremisedepeine)etcinqansd’inter-diction d’exercice de toute fonc-tionpubliquepour fraude fiscale.

Si lapeineétaitconfirméepar laCour de cassation, au plus tard audernier trimestre de 2013, le Cava-lieredevraitrenoncer,à76ans,àsacarrière politique. C’est la premiè-refoisdanssonlongparcoursjudi-ciaire, rythmé par une trentainede procédures dont il est à chaquefoissorti indemnesousl’effetde laprescriptiondesfaitsoudeladépé-nalisation des délits, que l’ancienchef du gouvernement voit unedes sentences qui le visent confir-méeenappel. Ilestexclu,enrevan-che, qu’il aille en prison: la peineest trop légère ; son âge est tropavancé.

Dans ce procès, M.Berlusconiestaccuséd’avoirgonfléartificielle-mentleprixdesdroitsdediffusionde films,achetéspar l’intermédiai-re de sociétés-écrans lui apparte-nant, aumomentde leur reventeàson empire audiovisuel Mediaset.Le groupe aurait ainsi constitué,durant la période 2002-2003, laseule à ne pas être prescrite, descaissesnoires à l’étranger et réduitses bénéfices en Italie pour payermoinsd’impôts.

Lemanqueà gagnerpour le fiscitalien a été évalué à 7millionsd’euros.Poursadéfense,SilvioBer-lusconi soutient qu’au momentdes faits, il était premier ministreet ne s’occupait pas de son entre-priseetque7millionsd’eurossontbienpeudechosecomparéàsafor-tunede l’époque,estiméeàprèsde8milliardsd’euros…

Les défenseurs de SilvioBerlus-coni ont tout fait pour échapper àce verdict, réclamant le dépayse-ment du procès au tribunal deBrescia (Lombardie), arguant quecelui de Milan, qui a condamnéleur client à verser plus de 3mil-lions d’euros par mois à sonex-épouse,étaitmaldisposéà leurégard. En vain.

Toutefois, la Cour constitution-nelle doit encore se prononcer surun éventuel conflit entre la prési-dence du conseil et le tribunal deMilan, qui avait refusé, enmars2010, d’excuser l’absence àune audience de M.Berlusconi,alors chef du gouvernement, enraisonde la tenue d’un conseil desministres. Si la Cour, qui devraitprendre sa décision en juin, don-nait raison au Cavaliere, toute laprocédure serait annulée.

Mais, au-delà du sort deM.Ber-lusconi, c’est celui du gouverne-mentdecoalitionconduitparEnri-co Letta qui est en jeu. En accep-tant de donner son feu vertà cetassemblage fragile reposant surune trêve entre le Parti démocrate(gauche) et le Peuple de la liberté(droite), M.Berlusconi a voulu

démontrer qu’il était un hommed’Etat capable de sacrifier ses inté-rêts personnels et électoraux àceuxdel’Italie.Alorsquelessonda-ges donnent son parti largementvainqueur d’une nouvelle consul-tation,il seprésente,parsonattitu-de ostensiblement conciliante,comme un « faiseur de paix»,alors que les deux camps se haïs-sent depuisdeuxdécennies.

«Verdict politique»L’ouverture d’un front judiciai-

re, qui pourrait être suivi d’unautre lorsque sera prononcé, pro-chainement,le réquisitoiredansle«procès Ruby» (prostitution demineureet abusdepouvoir)pour-rait faire exploser cette «paixarmée» et conduire le Cavaliere àreprendre les armes au plus vitepour briguer la présidence duconseil – et l’immunité qui y estattachée – d’où il pourrait tenterdecontrôleretprévenirlesassautsdesmagistrats.

Pour ses proches, il s’agit biensûr d’un «verdict politique». L’unde ses avocats, Niccolo Ghedini,également député, a aussitôt criti-qué une sentence dictée par des

«préjugés » des magistrats deMilan à l’encontre de l’ex-chef degouvernement. «Nous nous som-mes aperçus qu’il était totalementinutile de donner notre opiniondevant une cour d’appel qui avaitdéjà pris sa décision au premierjour de l’audience», a-t-il encoredénoncé, en précisant qu’il «n’yavait aucun lien» entre la décisionde la couret laduréedugouverne-ment Letta.

Maisd’autresvoixsefontenten-dre, plus belliqueuses, moins ras-surantes. Ancien président duSénat, Renato Schifani dénonce«une persécution judiciaire contreun dirigeant qui a recueilli les suf-frages dedixmillionsd’électeurs».

Une fois encore, commedepuisvingt ans, les fidèles opposent lalégitimitépolitiquedeM.Berlusco-ni,soutenuparunepart importan-te des Italiens, à la légitimité desjuges forcément «politisés ». Lapremière devant s’imposer à laseconde. «Quelqu’un veut fairesauter le gouvernement», affirmelaberlusconienneDaniela Santan-ché. Comme si «quelqu’un» luiavait soufflé la finde l’histoire.p

PhilippeRidet

LajusticerisquedemettreuntermeàlacarrièrepolitiquedeSilvioBerlusconiL’ancienprésidentduconseil a interdictiond’exercerunefonctionpubliquependantcinqans

Aveccesmesures,l’oppositionaccuselepremierministre

desombrerdansundangereux

populisme

Défiésursadroiteparl’UKIP,DavidCamerondurcitletoncontrel’immigrationLepremierministrebritanniqueveut faciliterl’expulsiondesclandestinsetdescondamnés

4 0123Vendredi 10mai 2013

Page 5: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

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> 29 mai 2013

Un premier cas d’infectionrespiratoire aiguë liée aunouveau coronavirus qui

sévitdepuisunandanslapéninsu-leArabiqueaétésignaléenFrance,a annoncé, mercredi 8mai, leministère des affaires sociales etde la santé. Il s’agit d’un hommeâgéde65ans,hospitalisé le23avrilà Valenciennes (Nord) et transféréle 29avril à Douai (Nord), avantd’êtreadmisdanslanuitdemercre-di à jeudi auCHUdeLille, toujoursen réanimation,dansun«état trèssérieux». Le malade revenait d’unséjour à Dubaï, dans les Emiratsarabesunis, du9 au 17avril.

Face à ce « cas importé », laministre de la santé, Marisol Tou-raine, a indiqué qu’elle faisaitappliquer «lesmesures de précau-tion préconisées par les autoritésinternationales». L’Organisationmondiale de la santé (OMS) «n’adonnéaucune restrictiondedépla-cement»,a-t-elleprécisé.Unnumé-ro vert (le 0800130000) a étéouvert,«pourquelesFrançaistrou-vent des réponses à leurs ques-tions» sur une maladie dont lessymptômes sont la fièvre, la toux,l’essoufflement et les difficultésrespiratoires.

Il y a dix ans, le monde décou-vrait,avec lesyndromerespiratoi-reaigusévère (SRAS) et sesplusde8000 cas de pneumonie atypi-que recensés, dont près de 800mortels, que les coronavirus–dont le nomvient des prolonge-ments en forme de couronne quiles entourent – n’étaient pas unefamille d’agents infectieux seule-ment responsables de rhumesbanals. Signe des temps de mon-dialisation, le virus s’était rapide-mentdisséminé,àpartirde lapro-vince chinoise du Guandong, àHongkong, Hanoï et Toronto, auCanada. En tout, à une trentainede pays.

Une nouvelle variante du coro-navirus (nCoV),différenteduvirusresponsable du SRAS et des quatreautres formes connues, a émergéen avril 2012 en Jordanie, avecdeux cas confirmés en laboratoireetonzeprobables–dixdecestreizecassontsurvenuschezdesperson-nelssoignants–, ainsiqu’enArabiesaoudite et auRoyaume-Uni.

Cela illustrait la capacité de cevirus jusqu’alors inconnu à serépandre dans les établissementsdesoins–cequipourraitfairepen-

ser à une infection nosocomiale –,mais aussi à se transmettre entreindividus en contact proche, com-mecelaavaitété lecasavec lecoro-navirusduSRAS.

L’identification du nCoV a étéréalisée chez un homme de60ans, admis le 13 juin 2012 à l’hô-pital Soliman-Fakeeh de Djedda(Arabie saoudite) par un médecinégyptien,leprofesseurAliMoham-med Zaki. Le patient devait décé-der d’insuffisances respiratoire etrénaleauonzièmejourd’hospitali-sation.

Dans l’un des prélèvements, leprofesseur Zaki avait identifié uncoronavirus, diagnostic confirmépar l’équipedevirologistesdudoc-teurRonFouchier,auCentremédi-calErasmusdeRotterdam.Lesana-lyses génétiques des chercheurshollandais démontraient qu’ils’agissait bien d’une varianteinconnue,ycomprischezl’animal.

Le médecin égyptien avait faitétat de cette découverte sur leréseau en ligne proMED, qui per-met des échanges rapides entrescientifiques. Une semaine plustard, son contrat à Djedda étaitrompu, semble-t-il à la suite depressionsduministresaoudiendela santé, et le professeur Zakiretournait auCaire.

Si la note mise en ligne par leprofesseur Zaki avait été remar-

quée par les autorités saoudien-nes,ellen’avaitpasnonpluséchap-pé aux médecins londoniens duSt.ThomasHospital. Ils avaientunmaladeqatari de 49 ans, souffrantd’une infection respiratoire.

L’homme avait passé cinqsemainesauPakistan,d’oùils’étaitenvolé, le 20janvier, pour l’Arabiesaoudite, où il avait participé aupèlerinage à LaMecque. Le 24jan-vier, il avait commencé à avoir de

lafièvreetdessymptômesrespira-toires, sans avoir eu de contactdirectavecdesanimauxoudesper-sonnessouffrantdemaladie respi-ratoire sévère au cours des dixjours précédents. Il a regagné leRoyaume-Uni le 28janvier.

Sonétat sedégradant, l’hommeétait hospitalisé le 31 janvier dansun service de soins intensifs. Le7 février, un virus était retrouvédans un prélèvement de gorge. Lelendemain, les analyses confir-maient que ce virus était à 99,5%

identiqueaunCoV isolé àDjedda.Deuxmembres de la famille de

cemalade, qui n’avaient pas voya-gé,ontà leur tourétéatteints. L’unestmortd’unepneumonie, l’autrea développé des symptômes grip-paux. De façon similaire, l’infec-tion a été transmise à des mem-bres de la famille d’un malade enArabie saoudite. Ce sont, à ce jour,les seuls cas de transmission inte-rhumaineétablis.

Dans le bilanmis en lignemer-credi, qui n’inclut pas le patientfrançais, l’OMS fait état de 30 casd’infection par le nCoV confirmésen laboratoire: deux en Jordanie,deuxauQatar,23enArabiesaoudi-te, deux au Royaume-Uni et unaux Emirats arabes unis. Dans23cas, lesmaladesétaientdeshom-mes.Dix-huitpatientssontmorts.

L’OMS précise qu’il existe desargumentsvirologiquespourpen-ser que le nCoV dériverait d’unvirus présent chez la chauve-sou-ris. L’expérience tirée d’autresvirus, notamment le coronavirusdu SRAS, montre cependant qu’ilexiste fréquemmentdes animauxservant d’hôtes intermédiairesentrel’animalréservoirduvirusetl’homme. Les limiers de la santépublique sontmobilisés pour ten-ter de découvrir la chaîne quimène jusqu’auxhumains.p

PaulBenkimoun

Selonl’Organisationmondialedelasanté,lenCoVpourraitdériverd’unvirus

présentchezlachauve-souris

DesEmiratsarabesunisàlaFrance,surlapistedunouveaucoronavirusL’agent infectieuxprocheduSRASaété identifié chezunFrançaisderetourdeDubaï

EnChine, lemystèredemeuresurlemodedetransmissionduvirusgrippald’origineaviaireH7N9,causede32morts

PROCHE-ORIENT

LegrandmuftideJérusaleminterrogéparlapoliceisraélienneJÉRUSALEM.L’interpellation,mercredi 8mai, par la police israé-lienne, dugrandmufti de Jérusalem,MohamedHussein, est legenrede décision susceptiblede provoquerde violents troubles.Il a été relâché auboutde six heures d’interrogatoire, après devivesprotestationsdeMahmoudAbbas, le présidentde l’Autori-té palestinienne, et dugouvernement jordanien.Aucune chargen’a été retenue contreMohamedHussein, la plus haute autoritéde l’islampalestinien, la policeprécisant qu’il avait été entenduen raisonde son «implicationprésumée»dans les violences, laveille, sur l’esplanadedesMosquées (lemontdu Templepour lesjuifs). Des chaises avaient été jetées par desArabes israéliens surquelque 200 juifs, exceptionnellementautorisés par la police àprier sur l’esplanade.AAmman, le Parlement a votéune résolu-tionpourdemander le rappel de l’ambassadeur jordanien à Tel-Aviv et le départ de l’ambassadeurd’Israël dans le royaumehachémite; celui-ci a été convoquépar leministèredes affairesétrangères àAmman.p Laurent Zecchini

IsraëlStephenHawking boycotte l’Etat juifJÉRUSALEM.Le célèbre astrophysicienbritanniqueStephenHaw-kingneparticiperapas en juin à uneprestigieuse conférenceenIsraël, en solidarité avec la cause palestinienne. Le directeur de laconférence, IsraelMaimon, a qualifié le boycottageuniversitairede«scandaleuxet inapproprié». – (AFP.)

Malaisie L’oppositionmanifeste contre la fraudeKUALALUMPUR.Malgré l’interdictionde la police, 40000per-sonnesontmanifesté,mercredi 8mai, contre les «fraudesmassi-ves» lors des récentes élections législatives. Le chefde l’opposi-tion, Anwar Ibrahim, qui estimeque la victoire lui a été «volée»par la coalitionaupouvoir duBarisanNasional (BN, Frontnatio-nal), doit donner le coupd’envoi à une campagnepourpromou-voir des réformes électorales. – (AFP, Reuters.)

Cleveland (Ohio)Envoyé spécial

Attachées par des chaînes etdes cordes, elles n’étaient«relâchées que de temps à

autre », a indiqué MichaelMcGrath, lechefde lapolicedeCle-veland (Ohio), en évoquant, mer-credi 8mai, le sort qu’aurait réser-vé Ariel Castro à Amanda («Man-dy») Berry, Georgina («Gina»)DeJesus et Michelle Knight, qu’ilavait auparavantkidnappées.Ellesont aujourd’hui respectivement27, 23 et 32 ans, et cet homme estsoupçonnédelesavoirséquestréeschez lui entre neuf et onze ans.C’était là les premières indicationsfournies par les enquêteurs sur lesconditions de leur enfermement,jusqu’à ce qu’Amandaparvienne àcréer un contact avec l’extérieur etàprévenir lapolice, lundi.

Dans la soirée, Victor Perez, leprocureur de Cleveland, a mis enexamenArielCastro,52ans.Ilarete-nu contre lui quatre chefs d’incul-pationpourenlèvementet séques-tration–quatre,parcequ’unefillet-te de 6ans, à laquelle Amanda adonné le jour, a aussi été trouvéesurleslieux.Lajusticeaajoutétroisautres motifs d’accusation pourviols. En revanche, son aîné, PedroCastro, 54 ans, et le benjamin,Onil,50ans, arrêtésdans la fouléeet for-tement soupçonnés de complicité,ont été laissés libres. Rien, en l’état,ne permet de considérer qu’ils ontprispartauxcrimes imputésà leurfrère,aindiquéleprocureur.Quantaux agressions physiques qu’ArielCastroestsoupçonnéd’avoirperpé-tré sur ces femmes, elles devraientfaire l’objet demises en accusationultérieures.Enfin,lafouillecomplè-te du lieu «n’a révélé aucun restehumain», a indiqué le directeur dela sécurité de la ville, mettant finaux rumeurs de fœtus enterrésdans l’arrière-cour.

Cesmises en examen n’ont pasenrayé lamontéedes griefs contreles servicesmunicipaux. La policesurtout se retrouve en fâcheuseposture. Plus elle révèle d’élé-mentsd’enquêteetplus lacruautéet la morbidité accablantes quis’en dégagent concernant M.Cas-tro attisent la colère contre ce quiestperçucommeunelongueimpé-ritiepolicière.Carunnombrecrois-

santde témoins rapportentdésor-mais qu’ils auraient prévenu lapoliceàdiversesoccasionsd’étran-getés suspectes impliquant ArielCastro, en particulier en 2011.«Nous n’avons aucune trace d’ap-pels de cet ordre ces dix dernièresannées », a répondu, cassant,M.McGrath.Mais il a ordonnéuneenquêteinternesurlesquinzeder-nières années pour déceler si unappel probant a pu êtrenégligé.

Soupçons de négligenceQuant aux coups et blessures

portés par ArielCastro sur sa fem-me, Grimilda Figueroa (nez etcôtes cassés, épaules déboîtées,sans compter les menaces verba-les contre elle et ses enfants), ils sesontpoursuivisde 1993, où il avaitétéremisenlibertécontreunecau-tionde10000dollarspourviolen-ces conjugales, jusqu’à 2005, alorsque les trois jeunes femmesétaient déjà séquestrées et le cou-ple divorcé. Même si la femme –décédée en 2012 – avait retiré sesplaintes, les services sociaux ne seseraient jamais intéressés plusavant àAriel Castro.

Le maire (démocrate) de Cleve-land,FrankJohnson,aaussi récuséles soupçons de négligence : «Nivoisin,nipassant,ni témoin,niqui-conque d’autre n’a jamais fourniune indication sur ce qui se passaità l’intérieurdecettemaison.»Maissur les sites locaux de débat, lesréponses ont fusé, sur le mode :précisément, pour obtenir ces«indications», encore eut-il fallutenir compte des indices rappor-tés sur les «bizarreries» de l’hom-me qui vivait au 2207, SeymourAvenue. Sur le blog de la mairie,Your Community, la plupart desmessages sont édifiants : «Eh, lapolice, réveille-toi» ;«Et leFBI, iln’arienàdire?»

Les psychiatres sont les rares àseporterà larescoussede lapolice.Comment déceler un «pervers»dont l’attitude consiste précisé-ment à gagner la confiance de sesinterlocuteursgrâceàuneinsaisis-sable normalité ? Ariel Castron’avait-ilpas,encoreen2012,parti-cipé, à une veillée organisée en lamémoire d’Amanda? Sur sa pageFacebook, n’indiquait-il pas aimers’amuser avec les chiens?p

SylvainCypel

DisparuesdeCleveland:lapoliceetlesservicessociauxmisencauseAlertés, ilsn’auraientpasenquêtésurArielCastro,inculpéd’enlèvements,séquestrationsetviols

ShanghaïCorrespondance

LevirusH7N9a contaminé 131 per-sonnes enChine et causé 32 décèsdepuis l’annonceofficielle de sadécouverte, le 30mars, chez despatientsd’unhôpital de la ban-lieue sudde Shanghaï. Cette for-mede grippe aviaire s’est répan-duedansdixprovincesde lamoi-tié est dupays, la plus peuplée, etjusqu’àPékin, après s’être limitéedans les premières semaines à lacapitale économiqueet aux troisprovinces les plus proches.Un casa également été recensé à Taïwan.La dernièrepersonneà avoir étécontaminéeest une éleveusemodestede la province rurale duJiangxi (centre).

L’Organisationmondialede lasanté (OMS) expliquenepas avoirdepreuved’une transmissionsou-tenueduvirus entrehumains,mêmesi ont été relevésquelquescas – toujours inexpliqués– decontaminationau seinde famillesdontunmembren’avait euaucuncontact avec des volailles au coursdes semainesprécédentes.

La questiondumodede trans-missionduvirusH7N9 reste tou-

joursune sourced’interrogation.Mais la visite sur le terrain, enavril, d’unequinzained’expertsdépêchéspar l’OMS, apermisd’ap-porter quelques élémentsderéponse.«Il est prouvé qu’unepro-portion importantede patients aété en contact avec desmarchés devolailles», ditMalik Peiris, virolo-guede l’université deHongkong.

Nouveaux casLa réactiondesautorités chinoi-

ses semble avoir été relativementefficacepour freiner la propaga-tionduvirus,même si denou-veauxcas continuentd’être rele-vés. «La fermeturedesmarchés devolaille [vivante]apermis d’endi-guer la transmissionautourdeShanghaï», pense le Pr Peiris, quia fait partie de la délégationd’en-quêtede l’OMS. Si le contact aveccesmarchés de volailles sembleêtre la clé de ces transmissions, lechercheurprécise qu’une incerti-tudedemeure sur des cas, peunombreux, qualifiés d’«exposi-tion indirecte».

«L’OMSprend leH7N9ausérieux,mais nous ne voulonspasexagérer lamenace», déclarait, audébutdumois demai,Michael

O’Leary, représentantde l’organi-sationenChine. Lesmédiaschinois, de leur côté, poussent à lafermeturede cesmarchés, où lavolaille vivante est pourtant syno-nymede fraîcheurdesproduits,dansunpaysmarquépar les scan-dales alimentaires.

La Chine a transmis les séquen-ces génétiquesduvirus à la com-munauté scientifique internatio-nale et certains y voient le signed’uneprogressiondans la réactivi-té des autorités, accuséesde dissi-mulationpendant la crise du syn-drome respiratoire aigu sévère(SRAS). Ces séquencespermettentd’apporterde premiers élémentssur l’origineduvirus.

Dansune étudepubliéepar lemagazine scientifiqueThe Lancet,des chercheurs de l’Académiedessciences chinoise expliquentavoirdéduit de l’étudedes séquen-ces génétiquesque leH7N9est lefruit d’un réassortiment généti-que entredes virus ayantpourori-gine le canard et la poule etd’autres virus issus d’oiseauxmigrateurs. Ils en concluentquela poule et le canard sont proba-blement les intermédiaires à lasourcedes infectionshumaines.

Le directeur du centre améri-cainde contrôle et de préventiondesmaladies, Thomas Frieden, aindiquéà l’agenceReuters que,selon lui, le risqued’une transmis-sionà l’échelle internationale res-te limité. «Ce virusne vapas cau-ser depandémie, car il ne se trans-metpas depersonneàpersonne»,estime-t-il.

Lepremierministre chinois, LiKeqiang, jugepour sapart que lesmesuresadoptées jusqu’àprésentse sont révéléesefficaces,maisque«la situationévolue encore».p

HaroldThibault

50123Vendredi 10mai 2013

Page 6: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

france

HarlemDésir,oulePartisocialisteauxabonnésabsents

I lest rare, ces temps-ci, d’enten-dredesdiscoursoptimistessurla politique. Alors que tous les

indicateurs ont de quoi inquiéter,qu’il s’agisse de la participationélectorale,quidécline,deladéfian-ce vis-à-visdes élus, qui progresse,ou de l’intérêt pour la viemilitan-te, qui s’étiole, trois chercheursfrançaismontrent que le lien avecles citoyenspeut être renoué.

En 1983, 80% des électeursavaient voté auxmunicipales; en2008, ils ne furent que 66%. En1977, 42% des Français considé-raient que les hommes politiquesne se préoccupaient que «très peuou pratiquement pas de leurs pro-blèmes» ; ils sont aujourd’hui85%. A la fin des années 1980, leParti socialiste revendiquait plusde 200000 adhérents ; désor-mais, il ne prétend plus en comp-ter que 175000. Bref, le tableau estsombre, et le titre de l’ouvragepublié en 2003 par le politologuePascalPerrineausembleplusperti-nent que jamaispour caractérisernotre époque : celle du «désen-chantementdémocratique».

Ce désenchantement, Guillau-me Liégey, Arthur Muller et Vin-cent Pons, trois jeunes chercheursen science politique, ne le parta-gent pas du tout. Au contraire. Lelivre qu’ils viennent de publier,Porteàporte.Reconquérir ladémo-cratie sur le terrain (Calmann-Lévy, 358 pages, 18,90 euros) estun bréviaire d’optimisme, maisd’optimisme intelligent, car fon-dé sur des données objectives quimontrent que tout espoir n’estpas perdu.

Pour Guillaume Liégey, ArthurMulleretVincentPons, l’espoirestd’abordvenudes Etats-Unis.Noussommesalorsenseptembre2008,àBoston,oùlesdeuxpremierspré-parent un master d’administra-tion publique à Harvard et où letroisième commence une thèsed’économie et de science politi-que auMassachusetts Institute ofTechnology (MIT). L’Amérique seprépare à élire Barack Obama et,sanssurprise, lestrois jeunesFran-çaissepassionnentpourlacampa-

gne de ce démocrate qui s’est fixépour défi de mobiliser les élec-teurs abstentionnistes, ceux quela plupart des candidats, au fil desannées, ont cessé de chercher àconquérir, convaincus que c’étaitlà du tempsperdu.

La stratégie se révélera payante,les études électorales le confirme-ront, et les trois jeunes gens sontconvaincusqu’il y a là, pour la gau-che françaisedont ils ne se cachentpas d’être sympathisants, uneleçon à tirer pour les campagnes àvenir. Leur enthousiasme et leurentregent font le reste : au prin-temps 2010, ils convainquentl’équipede Jean-PaulHuchon, can-didat socialiste à sa réélection à latête de la région Ile-de-France, detester à l’échelle d’une campagnerégionale les techniques utilisées

parBarackObama. L’expérimenta-tion se révèle concluante. A l’uni-versité d’été du PS à LaRochelle,quelquesmoisplustard,leurconfé-rence intitulée «Yes we can» faitsallecomble.Danslessemainesquisuivent, Martine Aubry, alors pre-mière secrétaire, leur demande depiloterdes formations et deprépa-rer des outils en vue d’une campa-gne présidentielle qu’elle souhaiteauplusprèsduterrain.

Devenus incontournables auseind’unPS à qui ils font redécou-vrir l’efficacité du porte-à-porte,unetechniquetombéeendésuétu-demais désormais redevenue trèspriséedepuisqu’Obamaena redé-couvert les vertus, c’est assez logi-quement que l’équipe de campa-gne de François Hollande, endécembre2011, les embauchentavec un objectif : frapper à cinqmillions de portes en l’espace decinqmois.

C’est d’abord cette expérienceque les trois chercheurs, âgésaujourd’hui d’une trentaine d’an-nées, racontent dans ce livre qui,dans un style très américain et aufond très plaisant à lire, mêle unsens aigu du récit et une véritableérudition, le goût de l’anecdote etle souci des références à demulti-ples travaux de science politiqueédités aux Etats-Unis et peuconnusen France.

Mais leur livre, en réalité, vabien au-delà. Car ce qu’ils mon-trent, au fond, c’est que le por-te-à-porte n’est pas seulement unoutil de conquête électorale, maisqu’il y a là, pour les partis politi-ques, un véritable levier pour se

régénérer.C’est lecasduPS,notam-ment, dont ils se sentent prochesmais dont ils ne cachent pas quel’organisation leur semble aujour-d’hui totalement démodée, à basede réunions de section où les dis-cussions tournent en rondet où lecontact avec le monde extérieurest en réalité très limité.

Selon eux, les partis d’aujour-d’hui auraient tout intérêt, com-me ils disent, à changer de «para-digme».Aenfiniravecune«visionélitiste» qui consiste à se pensercommedesorganisationsd’avant-

garde. A s’ouvrir au contrairedavantage, en considérant quec’est au contraire de l’extérieurque le parti peut se régénérer.

Forts de telles convictions, onnes’étonnerapasde les voir assezcritiquesà l’égardduPS d’aujour-d’hui. Pour eux, les « ateliers duchangement» organisés depuisjanvier par la direction du parti,etdestinésàpromouvoir lapoliti-que du gouvernement, sont cer-tes louables mais insuffisants.«On touche le premier cercle, lesmilitants et les sympathisants,

cela permet de dire qu’on va “surle terrain” mais c’est en grandepartie une illusion», expliquent-ils auMonde.

Sortir des cercles déjà «concer-nés ». Aller à la rencontre des«oubliés», de ceux qui sont, com-me ils disent aussi, « hors desradars». Pour Guillaume Liégey,ArthurMulleretVincentPons, quiontété frappéspar l’absencequasitotale du PS dans certaines ban-lieues et dans les zones périurbai-nes, l’enjeuestévidemmentélecto-ral car, ils ensont convaincus, il y a

là un vivier d’électeurs qui nedemandent qu’à être entendus etqui, sociologiquement, peuventêtre raccrochés à la gauche. Sinon,avertissent-ils, d’autres partisoccuperontlaplace, leFrontnatio-nal notamment, dont ils rappel-lent que certains succès électo-rauxrécentssontprécisémentdusà une mise en pratique extrême-mentoffensiveetefficacedestech-niques demobilisation de terrain.La leçon d’optimisme n’interditpas l’avertissement lucide.p

ThomasWieder

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75

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Cettetechniquedeterrain, tombéeendésuétude,est

redevenuetrèspriséequandObamaena

redécouvert lesvertus

Leporte-à-portepourrenoueraveclesélecteursPubliéeilyaunmois, l’étudedetroischercheursfrançaismontrel’efficacitédecemodedecampagneélectorale

Desmilitants du Parti socialiste lors d’une tournée de porte-à-porte à Sceaux (Hauts-de-Seine), en avril2012. FABRICE GABORIAU POUR LEMONDE.FR

TOUSLES LUNDIS SOIR, depuis unmois,HarlemDésir et Jean-MarcAyrault se retrouvent àMatignonpourune «réunionde coordina-tion». Lepremier secrétaire duPSet le premierministre devisent-ilsainsi d’égal à égal des relationsentre le parti et le gouverne-ment? Pas du tout.

Carautourde la table sontaussiprésentsseptministres (ManuelValls, PierreMoscovici, StéphaneLeFoll, VincentPeillon,ArnaudMontebourg,BenoîtHamonetFrançoisLamy), lesprésidentsdesgroupesparlementairesauSénatet à l’Assemblée, FrançoisRebsa-menetBrunoLeRoux,ainsiqueGuillaumeBachelay,numérodeuxduPS, et Jean-ChristopheCambadélis,poids lourddeSol-férino.Un«bureaunationalbis»de lamajorité«hollandaise»,missurpiedà lademandeduchefdel'Etat lui-même.Avecunobjectif:rendreenfinefficace le triptyquegouvernement-Parlement-parti.

Dansce conseild’administra-tionsocialiste,HarlemDésirn’estdoncqu’unevoixparmi lesautres.Uncamoufletpour lepatrondessocialistes,qui«rêvaitd’un rôledepremier secrétaire commeJospinsousMitterrand: le chef quine trai-te quede l’essentiel endirectavec leprésident,expliqueuncadrede lamajorité.Saufqu’il n’enani le cha-rismeni les capacités».

A la tête duPS depuis lecongrèsde Toulouse enocto-bre2012,M.Désir est régulière-

ment accusédenepas l’incarneret d’affaiblirundespiliers dupou-voir àmoinsd’un andes électionsmunicipales et européennesquis’annoncentàhaut risque.

Porté à Solférinopar «la bandedesquatre» (M.LeFoll,M.Valls,M.Peillon,M.Moscovici) pour fai-re barrage àM.Cambadélis soute-nuparMartineAubry, il se retrou-veprisonnier d’uneéquationpoli-tique insoluble: s’il colle tropà lalignede l’exécutif, il est accuséd’êtreun leader sans relief ; s’iltentede sortir du rang – commesur le non-cumuldesmandats,dont il est undéfenseur –, il estrappelé à l’ordre par les gardiensde la doxa gouvernementale.

Conseillépar sondirecteurdecabinetMehdiOuraoui, queplu-sieursdécrivent commeson«gou-rou»,M.Désir a tentédepuis septmoisde sedétacherde la tutellehollandaise,alorsqu’il est confron-té àuneaile gaucheremuante.Aurisquede finir isolé.«Iln’est plusdans lamaindepersonne,mais iln’aplusd’appui, car il améconten-té tout lemonde»,pesteunde sesancienssoutiens.

Formation sans piloteLapreuveàSoustons (Landes),

leweek-enddes4et 5mai, lorsdurassemblementsocialistepourfêter lepremieranniversairede laprésidenceHollande.M.Désirn’était accompagnéd’aucunefigu-reduparti. Parmi lesministresinvités, seulAlainVidalies, chargé

des relationsavec leParlementetanciendéputédudépartement,est restédimanchepourécoutersondiscours.Quantà Jean-MarcAyrault, dont laprésenceétait ini-tialementprévue, il avait annuléquarante-huitheuresavant…

Une solitude renforcéepar lefait queM.Désir, député euro-péen, ne siègepas à l’Assembléenationale etnepèse doncpasdans le groupeparlementairesocialiste, contrairementà ses pré-décesseurs.Une lacuneque luiont fait remarquer ses camaradesdéputés lors de leur séminairedu22avril aupalais Bourbonavec lepremierministre, en instruisantle procès d’unparti sanspilote.

Illustration le 26avrildernier,lorsque lePSaélaboré son texted’orientationsur l’Europe. Lepre-miersecrétairen’apasprésidé lesdébats, laissantofficierM.Camba-délis.Maisalorsque le tonmontaitcontre l’Allemagne,provoquantdans la fouléeune criseavecBer-lin,M.Désir est restémuet, obli-geantMatignonaréagirpoursif-fler la finde la séquence.

Pas facile, ainsi, d’apparaîtrecommeunacteurclédudispositif.D’autantque le chefduPS, quin’ajamaisétéprochedeM.Hollande,nebénéficied’aucunlienprivilé-giéavec l’Elysée.«Harlemauraitdûexigerdepuis longtempsd’êtrereçuplus souventpar leprésidentpourque lesautres le respectent.C’està luide fairepreuved’autori-té, sinon il ne sera toujoursqu’un

pantin», commenteunancien.«Le parti est entendu, c’est l’es-

sentiel,mon cas personnel n’estpas important», répondM.Désir,qui invite les socialistes à «fairepack» [groupe]. Ses jours ruedeSolférino sont-ils déjà comptés?Certains auPS le croient, et évo-quentune «exfiltration» vers unministère à l’occasiond’un éven-tuel remaniement.D’autres luilaissentun sursis jusqu’au scrutineuropéendemai2014, pourlequel il devrait être tête de liste.

Pasde «scénario alternatif»Maisundépart anticipén’est

pas aisé, carM.Désir est élupourtrois ans et «il n’y a pas, pour l’ins-tant, de scénarioalternatif qui fas-se consensus», expliqueun cadre.Le remplacerparM.CambadélisouM.Bachelay, prochesdeMmeAubry? Les «hollandais» refu-sent.Déplacer à Solférinounministre ami duprésident?Aucunn’en a envie dans l’immé-diat, préférant attendre leCongrèsde 2015 pourpréparer laprésidentiellede 2017.

L’issuenepeut venir quedel’Elysée,maisM.Hollande se tientofficiellement loindes affairesduPS, de peurd’être accusé d’outre-passer son rôle. Alors, les quel-ques soutiensdupremier secrétai-re tentent de se rassurer: «Il n’y apasun jour sans qu’un socialistenedise dumal de lui,mais, à la fin,Harlemest toujours là.»p

BastienBonnefous

6 0123Vendredi 10mai 2013

Page 7: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

70123Vendredi 10mai 2013 politique

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présentent

Reportage

Cannes (Alpes-Maritimes)Envoyé spécial

Cannes est en pleins prépara-tifs en prévision de l’ouver-ture de son festival, les tou-

ristessefontphotographiersur lesmarches du palais. A quelquesmètresde là, c’estunautreescalierquelesélus locauxrêventdegrim-per, celui de l’hôtel de ville.Amoinsd’unanduscrutinmunici-pal,fillonistesetcopéistessedéchi-rent pour succéder à Bernard Bro-chand (UMP).

A 74ans, l’ancien président duParis-Saint-Germain a décidé derendre son écharpe de maire. Ausein de l’UMP, les prétendants à lareprise ne manquent pas. Sur leurdroite,leFrontnational,fortdusco-re de 31% réalisé dans la ville ausecond tour des législatives de2012, se voit commeunallié incon-tournablepour le candidatUMP.

«Pas de doute !», pour lemairede Cannes, qui se souvient d’unequadrangulaire périlleuse à lamunicipale de 2008 et d’une«pentangulaire» en 2001, « le ris-que» d’avoir en 2014 un Frontnational « fort », susceptibled’êtreenpositiond’arbitrer l’élec-tion cannoise, est réel.

Pour rassembler la droite le

pluslargementpossible, lefillonis-te Brochanda choisi sondauphin:David Lisnard, adjoint chargé dudéveloppement économique, dutourisme, de l’événementiel… l’es-sentiel à Cannes. La quarantainedynamique, marathonien, «Lis-nard est unhomme fin, intelligent,qui maîtrise parfaitement les dos-siers de la ville», décrit ApollineCrapiz, conseillère municipale…socialiste. Bernard Brochand neditpasmieux:«J’ai choisiunhom-mehonnête, intransigeant.»

«Honnête» : le mot n’est paschoisi au hasard dans le contextelocal.ACannes, lapolitiqueconser-ve les cicatrices laissées par lesaffaires Mouillot. Maire de 1989 à1997, membre de Parti républi-cain, Michel Mouillot a étécondamnéen2005àsixansdepri-son ferme pour «corruption, priseillégale d’intérêt, abus de bienssociaux, faux et usage de faux, etemplois fictifs ». «En 2001, j’ai

conquisuneville corrompueet cor-ruptrice. J’ai pris la tête du conseilmunicipal secondéparquatreavo-cats et quatre experts comptablesaveccommemissiondesortir lavil-le d’un clientélismeà l’africaine oùtout est tarifé, du permis deconstruire aumètre carré de plageen passant par le kiosque à jour-naux.Et j’aiplutôtbienréussi», ton-neM.Brochand,jurantquelesécu-ries d’Augias version cannoisessontnettoyées.

Toutefois, lorsque, jeudi 2mai,des bureauxde l’hôtel de ville sontperquisitionnés dans le cadred’uneenquêtepourdétournementde fonds publics, M.Brochand estmoins disert. C’est pourtant deuxde ses proches conseillers, DanielAlessio et André Taddeï, sur les-quels portent des soupçonsde cor-ruption, deprise illégale d’intérêts,de faux en écriture et d’usage defaux et détournements de fondspublics.Aucuneréactiondumaire,justeun communiqué lapidaire dela municipalité: «La Ville de Can-nes ne peut pas commenter lesrecherchesen cours.»

L’affairisme, c’est les autres,assène-t-on au cabinet du maire.«Plusieurs des élus qui se présen-tentfaceàDavidLisnardauxmuni-cipalesont étémembresde l’exécu-tif municipal de Mouillot», souli-gneM.Brochand. Dans son viseur,

deux têtes : Philippe Tabarot(UMP) etGilles Sima (UDI).

Le premier, conseiller munici-pal et conseiller général des Alpes-Maritimes,est en lice contre le suc-cesseurqueM.Brochands’estdési-gné. Frère cadet de la très copéisteMichèle Tabarot, maire duCannetvoisinetdéputéedesAlpes-Mariti-mes, Philippe Tabarot ronge sonfreindepuis2008.Cetteannée-làila échouéà ravir lamairied’ungrosmillierdevoix.Eluconseillermuni-cipal dès 1989 sur la liste deM.Mouillot, il balaie de lamain lesreprochesdeM.Brochand:«J’étaisalors en charge de la jeunesse, jen’étais pas en mesure d’accorderdes permis de construire illégaux.Direque j’étaismembredusystèmeMouillot, c’est caricatural.»

Le second dans la ligne demiredu maire, Gilles Sima, compte

conduireune listeduparti centris-te. Chargé de l’urbanisme dansl’équipe de Brochand, il a rejointl’exécutif municipal en 2008.Mais sa carrière locale a commen-cé en 1989, avecM.Mouillot.

Lisnard, Tabarot, Sima… Face àla profusion de candidats de l’an-cienne majorité présidentielle, levide,oupresque,àgauche.LePartisocialiste se cherche toujours uncandidat à Cannes. Usée par lesbatailles internes de la fédérationdépartementale, Apolline Crapiz,tête de liste socialiste en 2008, nese représenterapas. Les ambitionsdu PS se limitent à sauver quel-ques sièges d’opposition.

Une gauche absente, une droitedivisée par une version cannoisede la bataille Copé-Fillon, desrelents d’affairisme… « Ils nousconstruisentunesituationtrèsfavo-

rable», se réjouit Lydia Schénardi,conseillère régionale et secrétairedépartementale du Front nationaldanslesAlpes-Maritimes.Lesfrons-tistes et leur candidate, CatherineDorten, se voient gagnants à tousles coups. « Il nous suffit de faire12,5% au premier tour pour nousmaintenir. Au second, le FN jouerale rôle de faiseur de roi», prévoitMme Schénardi, «ouverte à desarrangements».

«Il y auraunduel, il estprévudelongue date entre Lisnard et moi,balayeM.Tabarot. Le premier toursera notre primaire.» Mais cettebataillefratricides’annonceredou-table. «La campagne sera dure»,pressent M.Lisnard, et les belligé-rants «ne suivront pas les mêmesrègles du jeu». Sur la Croisette, laportedu FN leur reste ouverte.p

EricNunès

Témoignages

Survêtement ample et écou-teurs autour du cou, Ryan(les prénoms des stagiaires

ont été changés) témoigne: «Monemploi d’avenir, ça se passe pépè-re », lâche-t-il en triturant sonsmartphone. A ses côtés, vendredi26avril, entre les murs du centrede formation de Créteil, se tien-nentsagementquatorze jeunesen«emploid’avenir», réunisà l’occa-sion d’un stage de sensibilisationau fonctionnement des collectivi-tés territoriales.

Embauchésparlavilleetl’agglo-mération de Plaine centrale, cesjeunes de 18 à 26ans font un biland’étapedeleurpremièreexpérien-ce au sein d’une administrationlocale. Employés d’entretien, élec-triciens, assistantes maternelles,cantonniers, tous s’accordent surun point: 1150euros qui tombentchaquemois, ce n’est pas l’Améri-que, mais, après des mois de chô-mage, ça change la vie.

« Ils ont été triés sur le volet»,avance Jean-PierreMorel, leur for-mateur pour le Centre national dela fonction publique territoriale(CNFPT). Certains ontunCAP,maisla majorité sont sortis de l’écolesans diplôme. «La fonction publi-que territorialepeut êtreunesecon-de chance», leur promet M.Morel.La plupart des stagiaires ont laisséleur CV à la mission locale pourl’emploi, qui les a redirigés versleur futur employeur. Pourd’autres, le cheminvers un contratd’avenir a été plus simple: «Monpère travaille pour la ville», glisseAmanda,26ans.

Fatima, dont la mère travailleégalement à l’hôtel de ville, estagent de service dans une école.«Une première marche», selon lajeune femme, qui attend, de ceCDD d’un an, de l’expérience, desformations qualifiantes et uneembauche définitive. Idem pour

Khadija et Leila, qui se rêvent enauxiliaires puéricultrices. Leursdirectrices respectives leurauraientlaisséentrevoirunavenirau sein de leurs écoles. «Nousapprenons la ponctualité et le tra-vail d’équipe», s’accordent les jeu-nes femmes, enthousiastes.

Samir, 18 ans, cantonnier etsans diplôme, s’interroge sur lapertinence de son parcours et surun éventuel retour dans le cyclescolaire. «Tu ne pourras pas. Tou-cher un salaire, c’est addictif »,l’avertit Julien, 26ans. «Quand tuas commencé à gagner de l’argent,tunepeuxpas retournerà l’école.»

Un contrat d’avenir, c’est unpieddans lavieactive,mais«il fau-dra encore attendre trois ans pouravoir une chance d’y mettre lesdeux», compte Boualem. Cescontrats d’un an sont renouvela-blesdeuxfois.«Leproblème,c’estlaprécarité du contrat», souligneDenis, 26ans, quidéplorequ’«avecun CDD d’un an renouvelable, il estimpossibled’obtenirunlogement».Khadija renchérit : «Après deuxrenouvellementsdecontrat, ilspeu-vent nous virer.»Pour l’instant, cescontrats ne coûtent pas cher auxcollectivités, 75% du salaire étantpris en charge par l’Etat. «Maisaprès?», s’inquièteDenis.

Ce premier contrat avec la mai-rieoul’agglomérationestunechan-ce d’intégrer l’institution, et, enpériode de crise, un poste de fonc-tionnaire fait rêver. «La fonctionpubliqueterritorialeestunformida-ble gisement d’emplois», assure le

formateur à ses élèves. Avec enmoyenne un agent pour quarantehabitants, l’administration territo-rialeestsouvent,danslespetitesvil-les, le principalemployeur.

Pour ceux qui ont déjà connuplusieurs années de précarité,enchaînant intérim et CDD, « lamairie,c’est laplanque», témoigneJulien. « Bosser ici, c’est8h30-16h30. Et pour l’avenir, l’as-surancequetuneferasquemonter.C’est confort», poursuitBoualem.

Johan, technicien, a perdu sonemploienseptembre2012.Ilseféli-cite aussi de la tranquillité de sonnouveauposte:«L’intensitédutra-vail enmairien’a rienàvoiravec lesecteur privé où il faut charbon-ner.» Sur la faiblesse du salaire,Denis relativise : «Pour mon der-nier employeur privé, il m’est arri-vé de bosser jusqu’à 2heures dumatinsansavoirautre choseque lesalaireminimum.A lamairie, il n’ya jamais de surprise. Ni au niveaudu temps de travail, ni au niveaude la rémunération.Onnous inter-dit même de faire des heures sup-plémentaires!», regrette-t-il.

Selon les stagiaires, le rythmeestdictépar l’encadrement:«Onyva doucement, en suivant lesconseils de nos formateurs. Maismême si les titulaires glandent,nous on fait le boulot. Nous som-mes enCDD, nous savons quenousavons une épée de Damoclès sur latête», souligne Julien.

«Les cadences ne sont pas lesmêmesentrelesecteurprivéetleser-vice public, qui n’est pas soumis auprincipede rentabilité», rappelle leformateur.Lemessageestbienpas-sé.Mais tousn’ontpas été conquis.«Après avoir multiplié les missionsde seulement quelques mois, j’aisignécecontratpouravoirunandesalaire,maisjeneveuxpasêtrefonc-tionnaire», tempère Astrid, 18ans,pâtissière. «Je veux faire autre cho-sedemavie.»p

E.N.

«Ausecondtour,leFrontnationaljoueralerôle

defaiseurderoi»Lydia Schénardi

conseillère régionale (FN) deProvence-Alpes-Côte d’Azur

LadroitecannoiseseprépareàlivrerunebataillefratricideenvuedesmunicipalesA74ans,BernardBrochand,maire (UMP)sortant,passe lamain.Lesprétendantsàsasuccessionsebousculent. LeFNestenembuscade

SelonJulien,«lamairiec’est

laplanque»,pourceuxquiontdéjàconnudesannées

deprécarité

David Lisnard, dauphin dumaire (UMP) sortant de Cannes, Bernard Brochand. SERGE HAOUZI/MAXPPP

ACréteil, lesemploisd’avenir,«çasepassepépère»…Crééennovembre2012, cedispositifprévoit 100000postespour les jeunes

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PREFECTURE DE L'AIN REPUBLIQUE FRANCAISEBureau de l'aménagement et de l'urbanisme

AVIS D'ENQUETE PUBLIQUEOBJET : Enquête publique relative à la demande de permis de construire déposée par Électricité de France SA en vuede la construction d'une installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés (ICEDA), sur le site ducentre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de SAINT-VULBAS.Par arrêté préfectoral en date du 6 mai 2013, la demande de permis de construire ci-dessus visée est soumise à une enquêtepublique dans les formes prescrites par les articles L.123-1 à L.123-19 et R.123-1 et suivants du code de l'environnement.A cet effet, un dossier d'enquête comprenant notamment une étude d'impact accompagnée de l'avis de l'autorité environnemen-tale et du mémoire du pétitionnaire du 30 avril 2013 ainsi qu'un registre d'enquête à feuillets non mobiles ouvert, coté et paraphépar un membre de la commission d'enquête sont déposés à la mairie de SAINT-VULBAS du 28 mai au 28 juin 2013 inclus,a!n que chacun puisse en prendre connaissance aux jours et heures habituels d'ouverture au public de la mairie, consigner éven-tuellement ses observations sur le registre ou les adresser, par écrit, à la commission d'enquête à la mairie de SAINT-VULBAS.Cet avis sera publié sur le site internet de la préfecture de l'Ain à l'adresse suivante: www.ain.pref.gouv.frPar décision en date du 21 mars 2013 le président du tribunal administratif de Lyon a institué une commission d'enquêtecomposée ainsi qu'il suit :Président :M. Jean-Pierre BLACHIER, ingénieur à la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement en retraite,Membres titulaires :M. Georges GUERNET, ingénieur en génie atomique en retraite,Mme Karine BUFFAT-PIQUET, conseil en environnement, aménagement et urbanisme.Membre suppléant :Mme Marie-Jeanne COURTIER, juriste retraitée du ministère de l'intérieur.Durant l'enquête, deux membres de la commission recevront les observations du public en mairie de SAINT-VULBAS selonle calendrier suivant :- Mardi 28 mai 2013 de 9h à 12h,- Samedi 1er juin 2013 de 9h à 12h,- Mercredi 5 juin 2013 de 9h à 12h,- Samedi 8 juin 2013 de 9h à 12h,- Mercredi 12 juin 2013 de 9h à 12h,- Samedi 15 juin 2013 de 9h à 12h,- Jeudi 20 juin 2013 de 14h à 17h,- Samedi 22 juin 2013 de 9h à 12h,- Mercredi 26 juin 2013 de 9h à 12h,- Vendredi 28 juin 2013 de 9h à 12h.Le responsable du projet auprès duquel des informations peuvent être demandées est :

M. Thierry LECOURTOIS. Mail : [email protected] commission d'enquête formulera son avis sur le projet dans le délai d'un mois à compter de la !n de l'enquête.A l'issue de l'instruction de la demande de permis de construire, la décision d'autorisation ou de refus sera prise par arrêté préfectoral.Le public pourra prendre connaissance des rapport et conclusions de la commission d'enquête à la préfecture de l'AIN (bureaude l'aménagement et de l'urbanisme), en sous-préfecture de BELLEY ainsi qu'en mairie de SAINT-VULBAS pendant un an àcompter de la date de clôture de l'enquête. Ces éléments feront l'objet d'une mise à disposition du public sur le site internet dela préfecture de l'Ain pendant un an.

APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE01.49.04.01.85 - [email protected]

Reportage

AmiensEnvoyée spéciale

Laquestiondesmineursétran-gers isolésa temporairementtrouvé une solution, à

Amiens, dans la Somme, derrièrela façade discrète d’une maisonbourgeoiseprochedelagareferro-viaire. Dans cette bâtisse aux airsdepensiondefamille,uneassocia-tion, France Terre d’asile, héberge,depuis janvier, un public particu-lier: unevingtainede jeunesd’ori-ginecongolaise,soudanaiseougui-néenne,qui, cesderniersmois,onttous débarqué seuls, sans parents,dans la «petiteVenise duNord».

Les structures de ce type sontrares en France, mais se dévelop-pent avec la hausse constante,depuisvingtans,dunombred’ado-lescents sans papiers. A l’échellenationale, 6000à 8000mineursdépendent aujourd’hui de collecti-vitésplusoumoinspréparées.

La situation est devenue finan-cièrement ingérable dans lesdépartements où ils se concen-trent. Ceux-ci sont en effet légale-ment tenus de s’en occuper. Uneobligation qui engendre des diffi-cultés telles que le gouvernementdevrait publier dans les prochainsjours une circulaire sur le sujet.Principale avancée: l’Etat devraits’engager à aider financièrementles départements pendant les pre-miers jours de la prise en charge.

A Amiens comme ailleurs, unjeunemigrant isolé coûte environ250eurospar jourauconseilgéné-ral. Soit plus de 8,5millions d’eu-ros par an. Un défi financier,maisaussi logistique : l’aide sociale àl’enfance (ASE) de la Somme, com-me dans d’autres départements,n’offre pas assez de place dans sesfoyers spécialisés. Ces dernierstemps, c’est à l’hôtel qu’il a falluloger certains jeunes.

Le foyer géré par France Terred’asile fonctionne grâce à une sub-ventionduconseilgénéral.Lastruc-tureaaumoinspermisdesoulagerles services du département de lagestion matérielle de ces adoles-cents.Ici,ilssontlogésdansdesdor-toirs proprets de trois ou quatrelits.Onlesoccupeavecdescoursdefrançais, des ateliers socio-éduca-tifs,dessortiesculturellesetsporti-

ves. Ils bénéficient d’un accompa-gnement juridique.

Mais ce foyermodèle, avec par-quet ancien, moulures au plafondet «maîtresse de maison», oùrésonnent les rires de jeunes visi-blementheureuxd’avoiratterriici,pourrait ne pas suffire. En 2000,seuls cinqmineurs isolés s’étaientégarés jusqu’à Amiens. Depuis2011, ils sontunecentainepar an.

Les raisons de la venue de cesjeunes migrants sont floues. Lamajorité d’entre eux disentn’avoir aucun contact avec leursparents. Comme Brigette, unecoquette adolescente aux longs

cheveuxnoirs, d’origine congolai-se,hébergéeaufoyerdeFranceTer-red’asileetquiseditâgéede17ans.Elle explique avoir «pris l’avion»depuis le Congo Kinshasa jusqu’àParis. Après son arrivée, le 20jan-vier, elle a été conduite «par unefemme» jusqu’à la gare du Nord.De là, celle-ci lui aurait ditdepren-dreun trainpourAmiens.

Les premiers temps, elle a étéhébergée dans un foyer pour jeu-nes filles en difficulté. Puis elle aétéorientéeversFranceTerred’asi-le quand la structure a ouvert sesportes. «Je me sens beaucoup plusà l’aise ici», confie-t-elle. Brigette

«aimel’informatique»etsouhaite-rait rester en France «faire des étu-des»pour «devenir secrétaire».

Ce récit parcellaire et pudiqueest classique chez les mineursétrangers isolés. Certains ont deshistoires douloureuses. Beaucoupdisent être «orphelins» ou n’avoir«plus aucun contact» avec leursproches. Le plus souvent, ils ont enfait été envoyés par leurs parents.Le but plus ou moins avoué: êtrepris en charge avant sa majorité,poursuivre des études, obtenir untitredeséjouretouvrirainsi lavoieau regroupement familial. Si unjeune arrive en France avant ses 16ans, il peut aussi plus facilementobtenir lanationalité française.

A l’Office centralpour la répres-sion de l’immigration irrégulièreet de l’emploi d’étrangers sanstitre (Ocriest), on indique avoirpeu de prise sur le phénomène.Seules«unepetitedizaine»defiliè-res de ce type ont été démanteléesdepuis 2011, selon son responsa-

ble, Julien Gentile. Quand ils sontoriginaires d’Afrique, la plupartdes jeunes viennent en France paravionavecde fauxpapiers.Quandils partent duMoyen-Orient, c’estpar la route classique par la Tur-quie ou la Grèce. «Tout se passedoncendehorsdeFrance», détaillele commissaire divisionnaire.

Dans l’Hexagone, la plupart deces adolescents viennent de l’Afri-que francophone ou lusophone etd’Afghanistan.Lamajoritésontdesgarçons. Mais des filles, parfoisenceintes,apparaissent.Unepartieest issue de milieux modestes,

mais certains viennent de« familles bourgeoises dans despays en guerre», assureM.Gentile.Le pari des familles est alors «dou-ble» : «Protéger le gamin et avoirunappui dans unpays qui permet-te de s’échapper en cas de grandchamboulementpolitique.»

L’autre difficulté qui devraitaideràrésoudrelaprochainecircu-laire du gouvernement est la«répartition» géographiquede cesadolescents. La plupart arrivent enSeine-Saint-Denis (800 en 2012), àParis (1800 en 2012) et en Ille-et-Vilaine (400). Les départementsproches de la frontière (Bas-Rhin,Rhône, Alpes-Maritimes, Isère…)sont en deuxième ligne avec envi-ron 200 jeunes par an. A l’avenir,l’idée serait que, une fois repérés,les mineurs soient orientés dansdes régionsmoins surchargées.p

EliseVincent

n Sur Lemonde.frVoir le portfolio

société

Mineur,uncritèredifficileàprouver

Souvent,cesjeunesontétéenvoyésparleursparentspourouvrirlavoieauregroupement

familial

AmiensEnvoyée spéciale

Si le sort des quelque6000à8000mineurs étrangers isolésqui arrivent enFrance chaqueannéeamène le gouvernement àpublierune circulaire, c’est parceque le débat autourde leurpriseen charge est en grandepartie liéà la réalité de leurminorité.Ont-ilsmoins de 18 ans comme ils leprétendent, ou sont-ils en faitmajeurs? Le sujet est sensible,puisque leurprise en charge ouleur expulsiondépendde laréponse à cette question.

Enprincipe, pour qu’un jeunesoit confié à l’aide sociale à l’enfan-ce (ASE), saminorité doit avoir étéclairementétablie. Un systèmeexistepour cela depuis long-temps: le «test osseux», un exa-menmédical qui consiste enuneradiographiedupoignet.Maiscelui-ci est très contesté, autantpar les défenseursdes droits desétrangersquepar touteunepar-tie du corpsmédical. Lamarge

d’erreur est en effet de plus oumoins 18mois.

L’autremanièrede déterminerl’âgede ces jeunes consiste à véri-fier les actes denaissance.Mais lafraudedocumentaire a atteint detels degrés de sophisticationquemême les policiers spécialiséspeuvent avoir dumal à distinguervrais et fauxpapiers. La corrup-tionqui sévit dansun certainnombredepays permet enoutre,moyennant finances, d’obtenir defauxcertificats denaissance.

Croiser les résultatsFaceà ces incertitudes, le

conseilgénéral de la Somme(àmajoritésocialiste) a longtempspris encharge tous les jeunes iso-lés sansexigerde testsosseux.Mais faceà l’affluxd’adolescents,la collectivitéabrutalementrevusonapprocheen septembre2012,décidantdeneplusaccepteraucundes«mineurs»qui sepré-senteraientà l’avenir.

Des divergences existent aussientre les unitésmédico-judiciai-

res (UMJ), les serviceshospitalierschargésd’effectuer les testsosseux.A l’hôpital Jean-Verdier,en Seine-Saint-Denis, lesméde-cins ont tendance à considérertous les jeunes commemineurs.AuxUMJde l’Hôtel-Dieu, à Paris,on tente de croiser les résultatsavecun examendentaire.

Pour contourner ces difficultés,lanouvelle circulairedugouverne-mentdevraitproposerunemétho-de inspiréede l’approcheanglaise,quiviseraità instaurer,préalable-mentau testosseux,une«évalua-tionsociale».«L’idée seraitde sou-mettre le jeune isoléàunentretienapprofondiaucoursduquel ilserait interrogésur sonparcours,ses liens familiaux, sa scolarisationaupaysetc.», expliqueLaurentDel-bos, spécialistedesmineurs isoléschezFranceTerred’asile.

L’applicationde ce protocoledevrait devenir la conditionnéces-saire au soutien financier de l’Etatauxdépartementspour la priseen chargedesmineurs isolés.p

E.V.

LaFrancefaceàl’affluxd’adolescentssanspapiersLaprise enchargedes«mineurs isolés», obligation légaledesdépartements,estundéfi logistiqueet financier

Au centre pourmineurs isolés étrangers de l’association France Terre d’asile, à Amiens. JULIEN PEBREL/MYOP POUR «LEMONDE»

8 0123Vendredi 10mai 2013

Page 9: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

90123Vendredi 10mai 2013 société

RELIGION

Lesdatesdesfêtesmusulmanesserontfixéesà l’avanceLes dates des fêtes religieuses seront dorénavant, pour lesmusulmansde France, déterminées à partir des calculs astrono-miques, devait décider, jeudi 9mai, le Conseil français du cultemusulman (CFCM). Elles seront donc fixées à l’avance, ce qui per-mettra aux fidèles, pour le ramadanpar exemple, demieux s’or-ganiser. Jusqu’àprésent, expliqueMohammedMoussaoui, prési-dent du CFCM, dansune interviewpubliée par Le Parisien, cesdates dépendaient de l’observationoculaire de la Lune. «Or, enFrance, la visibilité n’est pas très bonne,dit-il.On se basait doncsur des observations effectuées ailleurs dans lemonde. (…)Nousne pouvions annoncer le début du ramadanqu’à la veille de cetévénement.»p

Fait divers Un touriste tué par un requinà LaRéunionUn touriste a été tué,mercredi 8mai, par un requin. il faisait dusurf au largede la plagedesBrisantsde Saint-Gilles, à La Réunion,que le drapeauorange requinétait dressé. La victime, âgéede36ans et domiciliée àMorteau (Doubs), était envoyagedenoces.Il est la premièrevictimedes requins cette année, surune île oùl’animala tué trois personnes en2012 et 2011. – (AFP.)

Voilà de quoimettre du bau-me au cœur des quelque13millions de célibataires

français qui, parfois, désespèrentde ne plus l’être un jour. On peutêtre riche, bien de sa personne etpeiner à trouver l’amour. L’agenceBerkeley Internationala fait de cesfortunes esseulées un fonds decommerceplutôt prospère.

Il y a six mois, cette agencematrimoniale de luxe fondée en2003 à Londres a ouvert desbureauxàParis. Trois cents clientsont afflué, pour moitié français,pour moitié étrangers résidantdans la capitale. Tous prêts àdépenser un minimum de10000euros (abonnement natio-nal), mais le plus souvent50000euros(«membership»pla-nétaire)pourrencontrerdansl’an-néehuitâmessœursenprospérité– seuls les heureux cotisants deBerkeley sontmis en relation.

L’agence a déjà essaimé dansdix villes qu’affectionne le gotha.Avec un carnet de bal mondial de4500nantis,nousassureIngaVer-beeck,quidirigelasuccursalepari-sienne. Trentenaire souriante,d’une élégance raffinée, cette Bel-ge flamande qui reçoit à l’hôtelMeurice comme en son salon,convaincaisémentque lebusinessmodeldel’agenceBerkeleyestjudi-cieux: n’aurait-ellepas elle-mêmepu y recourir, il y a quelquesannées, alors qu’elle dirigeait lenégoce familial d’acier et traver-saitunelonguepériodedecélibat?Sa silhouette parfaite, ses longuesboucles blondes n’y faisaient rien.«Les hommes perçoivent les fem-mes qui réussissent comme dureset froides. Elles leur font peur.»

Telles sont donc les clientesargentéesde Berkeley.Des quadra-génaires et quinquagénaires detempérament qui ont fait mer-veille dans les affaires et ont sou-vent divorcé. Tout comme leursalter egomasculins. Chefs d’entre-prise,banquiers,avocats,médecinsabsorbés par leur carrière, ainsiqu’une flopée d’artistes célèbresdont onne saura rien, la discrétionétant leurobsessioncommune.

Tout juste apprendra-t-on queleshappy fewde chezBerkeleyontbeaucoup d’argent et peu detemps. Et lahantiseden’être cour-tisés que pour leur capital finan-cier ou leur notoriété. «Nos clientsont souvent vécu des désillusionsamoureusesliéesàcela.C’estdiffici-

le pour euxde trouver une relationsincère», explique MmeVerbeeck.Dans le cercle huppédeBerkeley –dont lesmembres lesmoins gâtéspar la vie empochent 400000euros l’an–, l’entre-soiprotègedesblessuresd’orgueil.

Une avocate franco-anglaise de44 ans, totalement séduite par unbanquier estampillé Berkeley,témoigne au téléphone: «J’ai ren-contré quelqu’un commemoi. Unepersonne intelligente, de bon stan-ding. La cotisation est unpetit prixà payerpour le bonheur.»

«Sauvée»A peine quinquagénaire et

divorcée, Sophie, qui donne dansla production artistique sur plu-sieurs continents, a, elle, été «sau-vée de tous ces Français formida-bles» qui lui disaient qu’elle étaitla femme de leur vie et dont elledécouvrait au bout de trois moisqu’ils étaientmariés.

L’agence lui aorganisé sept ren-contres. «Toutes intéressantes etpas forcément dans mon universprofessionnel, ce quim’ouvreénor-mément.» Deux brillants hom-mesd’affairesveulentl’épouser, lavoilà bien embarrassée. «Je trouveprécieux ce savoir-faire pour sélec-tionner des gentlemen de très bonniveau qui aspirent à une relationdurable.A 50ans, jen’envisagepasde commencer à payer l’addition,faire le plein d’essence ou passerl’aspirateur… Le bon Dieu ne m’apas faite pour cela!»

Endeuxou trois heures d’entre-tien, les conseillers de BerkeleyInternationalvérifientquelepostu-lant dispose des bonnesmanières,du sérieux dans lesmotivations etdu compte en banque susceptibled’épargner les affres ménagèresaux clientes maison. Une petiteenquêtepermetaussid’écarter cel-les et ceux qui seraient tentés des’endetterpourentrerdans le jeu.

Les goûts sont ensuite cernés,les attentes tempérées. Ramener àplusderéalisme.Apprendreà«ceshyperactifs qui sont dansl’hypercontrôle» à «retrouver l’hu-main sous le businessman». A cet-te condition, en neufmois et septrencontres en moyenne, huitclients sur dix s’engageront dansune relation d’aumoins trois ans,selon la statistique Berkeley. Lesdeux restants auront les moyensde renouveler l’inscription.p

PascaleKrémer

Berkeley, l’amourpour«happyfew»L’agencematrimonialede luxemetenrelationdescélibataires fortunésdésireuxd’entre-soi

«Je serai candidat quoiqu’il arrive à la présidentiellede 2017»François Fillon,députéUMP de Paris et ancien premierministre, a tenu ces propos à quelques journalistes, jeudi 9mai,peu après avoir été décoré par l’empereurAkihito, à Tokyo.

L aFrance saborde-t-elle sa lan-gueaunomdelacompétitionuniversitaire internationale?

Le projet de loi sur l’enseignementsupérieur,attenduauParlementle22mai, n’en finit plus de faire desvagues. Le texteprévoitde faciliterlamiseenplacedecoursen langueétrangère (donc en anglais). Ainsi,la loi du 4août 1994 (dite «loi Tou-bon»)seraassoupliepardeuxnou-vellesexceptionsauprincipegéné-ral de l’utilisation du français :«Pourlamiseenœuvred’unaccordavec une institution étrangère ouinternationale, ou dans le cadred’unprogrammeeuropéen.»

La France, cinquième destina-tion des jeunes qui étudient àl’étranger, est attractive dans sasphère traditionnelle d’influence(Maghreb et Afrique),mais elle esten perte de vitesse. Le gouverne-ment, aiguillonné par les écoles etles universités, veut attirer les étu-diants des puissancesmontantes:Brésil, Chine, Inde, Indonésie…

L’enjeuest décisif : prendre tou-te sa part dans la formation desfuturesélitesmondiales et assurerle rayonnement du pays. L’Agenceuniversitaire de la francophonie abeau assurer que des départe-ments de français se développentpartout, le gouvernement estimequ’il reste nécessaire de faciliterl’usagede l’anglais en France.

La question «perturbe beau-coup» Thomas Piketty. Professeuràl’Ecoled’économiedeParis,oùlescours sont donnés en anglais, il estconscientdel’enjeu:«Soitonnelesforme pas, et ces étudiants irontchezlesAnglo-Saxons.Soitonparti-cipeàuneéconomiepolitiquemul-tipolaireeton fait cequ’il fautpourqu’ils viennent.»

«L’Indecompteunmilliardd’ha-bitants,dont60millionsd’informa-ticiens,maisnousn’accueillonsque3000 étudiants indiens, déploreGenevièveFioraso,ministredel’en-seignement supérieur. Nous som-mes ridicules.»

DansLeMondedu8mai,unetri-bunesignéepardebrillantsscienti-fiques (Françoise Barré-Sinoussi,Nobeldemédecine,SergeHaroche,Nobeldephysique,ouCédricVilla-ni, médaille Fields…) est venueappuyersoninitiative.«Lesscienti-fiques du monde entier utilisentl’anglaispourcommuniquer»,écri-vent-ils. Le projet de loi «favorisel’insertiondelaFrancedanslemon-de en renforçant son attractivité».MmeFioraso, longtemps bien seule

à défendre son texte, peut espérerque ce soutien calmera les espritsqui s’échauffent.

Le 21mars, dans unedéclarationassez rêche, l’Académie françaisepointait«les dangersd’unemesurequi se présente comme d’applica-tion technique, alors qu’en réalitéellefavoriseunemarginalisationdenotrelangue».ElledemandeauPar-lementde s’y opposer.«Nous som-mesenguerre!», embraye,sabreauclair, ClaudeHagège. Le professeurauCollège de Franceparle de «pul-sion d’autodestruction», de «can-cer», de«projet suicidaire».

En danger de mort, le français?Sur France Info, le 31mars, MichelSerres donne l’alerte. «Une languevivante,débute le philosophe, aca-démicienetprofesseuràl’universi-téaméricainedeStanford, c’estunelangue qui peut tout dire.» Sa lan-guematernelle, le gascon, estmor-tecar,unjour,elle«nepouvaitplustout dire : polyèdre et ADN, ordina-teur et galaxie…» Ensuite, ditM.Serres, «une langue vivante estun iceberg», dont la partie émer-gée «est représentée par les motsdu langage courant». L’important,«c’est la partie immergée» : l’en-semble des langages spécialisés.Car «une langue vivante, c’est lasommede ces langues spécialisées,insiste le philosophe. Il suffitqu’une langue vivante perdeun oudeuxdecescorpusetelleestvirtuel-

lement morte. » Pour M.Serres,«enseigner en anglais nous ramè-nerait,pardisparitiondecescorpus-là, à un pays colonisé dont la lan-guenepeutplus toutdire».

La charge est vigoureuse. Maiselle n’ébranle pas la ministre, quiappelleaucalme.MmeFiorasoassu-re que seul «1% des formations àl’université» passerait à l’anglais(dans les grandes écoles, la part sesitue entre un quart à un tiers descours). Ensuite, dit-elle, ce sera«encadré et limité à des enseigne-

ments très spécifiques, avec uneconventionsur le contenude la for-mation qui devra justifier de l’inté-rêt d’enseigner en anglais. Commeje l’ai fait moi-même, le présidentdelaRépubliquel’aécritauSecrétai-re perpétuel de l’Académie françai-se. Et MmeCarrère d’Encausse m’aréponduqu’elle était rassurée.»

Au reste, les intellectuels qui sesont investis dans cette polémi-que,dontlaFranceraffole,sontsou-vent mesurés. «Interdire l’anglais

ne serait pas plus raisonnable quede l’imposer», rappelle ThomasPiketty. Là comme ailleurs, toutsera nuances de gris. «Nous som-mesobligés dedonner la possibilitéd’atterrir aux non-francophones,dit-il. La question est : “Combiendetempsdoit durer l’atterrissage”?»

Opposéauprojet,AntoineCom-pagnon, professeur au Collège deFrance et à Columbia University,n’est «pas contre une certaine pro-portiondecoursenanglais,pourvuqu’ilnes’agissepasdescoursmagis-traux». Axel Kahn, ancien prési-dent de l’université Paris-Descar-tes, est, lui, globalement favorableau texte. Mais il insiste : «Nousdevonsutiliser le françaispourpen-ser le monde actuel et l’avenir. Jesuis donc très attaché à ce qu’ildemeure la langue unique pour lepremier cycle, la licence. Enmasteret endoctorat, en revanche, ondoitpouvoir utiliser la langue de com-munication internationale.»

Quoiqu’ilensoit,aécritMmeFio-raso à MmeCarrère d’Encausse, ilseraposécomme«condition»queles étudiants étrangers «maîtri-sent [le français] aumoment où ilsvaliderontcesenseignementspourobtenir leur diplôme. Il ne s’agitdoncpasd’unrenoncementlinguis-tique,maisau contraired’un levierpourledéveloppementdelafranco-phonie».p

Benoît Floc’h

V ous n’allez finalement paspouvoir passer l’oral. » Lasanction tombe après un

longsilence,gêné,del’agentdurec-torat à l’autre bout du fil. Ce17avril, lorsque Zoé (le nom a étéchangé) contacte le rectorat del’académiedeToulouse,où elle estconseillère principale d’éducation(CPE) contractuelle depuis plus dedix ans, «c’est la douche froide».Comme plusieurs collègues quipartagent son statut, elle apprendqu’elle n’est pas éligible auconcours réservé aux non-titulai-res, alorsmême qu’elle en a réussila première étape – les épreuvesd’admissibilité.

Mis en place dans le cadre de laloi de résorption de la précaritédans la fonction publique – dite«loi Sauvadet» – demars2011, lesconcoursréservéspermettentauxenseignants et aux personnelsd’éducation contractuels dusecond degré de faire valoir leurexpérience professionnelle pourdécrocher la titularisation.Un dis-positifquidoitpermettre,surqua-tre ans, de titulariser quelque10000contractuels.

Zoécroyaitpouvoirenfairepar-tie. Elle avait bien vu son nomsurla liste des admissibles. Mais onlui apprend qu’«après vérifica-tion»,ellenerépondpasauxcritè-res d’éligibilité. Le procédé «peutparaître surprenant, mais il esthabituel dans ce type deconcours», explique SébastienBiot, du syndicat des enseignants

de l’UNSA (SE-UNSA). Dans unenote de service du 17décembre2012 à destination des recteursd’académie, Zoé a pu lire, troptard, que « la convocationdes can-didats aux épreuves ne préjugepas de la recevabilité de leurdemande d’inscription».

Pourtant, le nombre de person-nesdans son cas a surpris contrac-

tuels, syndicats etmême leminis-tère. Sur les 13800 inscrits à cettesession (pour 2583 recrutementscette année), «plusieurs dizaines»de personnes seraient dans le casdeZoé, selon les syndicats.

Ces derniers se sontmobilisés,dès lami-avril, face au désarroi età la colère de nombreux contrac-tuels. Au SE-UNSA, Angelina Bledexplique que dans l’académie deBordeaux,parexemple,«surqua-torze candidats admissibles auCapes réservéde lettresmodernes,douze se sont finalement révélésnon éligibles».

En cause, selon elle, « le floutotal sur les critères d’éligibilité etlaméthodedecalculde l’ancienne-té » : par exemple, prend-on encompte l’année civile ou l’annéescolaire, les interruptions decontrat pendant l’été?

Par conséquent, candidats etrectorats auraient eu des difficul-tés à déterminer qui pouvait pas-ser le concours. Des erreursauraient été commises des deuxcôtés. D’où ces refus «massifs»aux dires des syndicats, souventlégitimes, parfois abusifs. Selon

Frédéric Sève, secrétaire généralduSGEN-CFDT,«personnen’aanti-cipé le difficile travail de vérifica-tion par les agents des rectorats, etles différences d’interprétation destextes selon les académies».

Reconnaissant la complexitédu texte de loi – élaboré par l’an-cienne majorité – et «dans unevolonté d’égalité de traitemententre les candidats», la directiongénéraledes ressourceshumainesde l’éducation nationale a finale-ment considéré, le 18avril, quetous les candidats admissibles leresteraient jusqu’à nouvel ordre.Elle s’est engagée à réexaminer lesdossiersinitialementjugésinéligi-bles par les rectorats.

Officiellement, les candidatsquine remplissentpas tous les cri-tères sont avertis, en temps et enheure,qu’ilne sert à riende se ren-dreà l’orald’admission.Zoéadéci-dé qu’elle s’y rendrait quoiqu’ilarrive: «Même si j’ai aujourd’huicompris que je ne réponds pas auxcritères, je veux leurmontrer que jevaux le coup. Pournepas avoir faittout çapour rien!»p

SéverinGraveleau

«Enseignerenanglaisnousramèneraitàunpayscolonisé

dontla languenepeutplustoutdire»

Michel SerresAcadémicien

Despostulantspeuventêtre

convoquésalorsqueleurdemanded’inscription

n’estpasrecevable

Cafouillagemassifpourlescontractuelsdel’éducationDenombreuxcandidats auconcoursde titularisationsontvictimesdecritèresd’éligibilité flous

Ledéveloppementdescoursenanglaisàl’universitédéchire lemondeacadémiqueLeprojetde laministrede l’enseignement supérieur révoltelesdéfenseursdelalanguefrançaise

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culture

Unemarchandisationorchestréeavecmaestria

Rencontre

Fallait-il qu’ils soient sûrs deleurs superpouvoirs ! Endévoilant au compte-gouttes

les extraits de leur nouvel album,Random Access Memories, pourmieux en attiser l’attente, DaftPunk prenait le risque d’un retourde bâton. En un tube mondial etinstantané, guidé par le falsettosexydePharrellWilliams–GetLuc-ky, n˚ 1 des classements iTunesd’une cinquantaine de pays dès sasortie le 19avril –, les robots starsde la dancemusic ont apporté undébut de réponse à ceux qui com-mençaient à s’agacer. Et c’est loind’être terminé!

Carsid’autreshits,deLoseYour-self toDanceà InstantCrush, pour-raient rejoindre l’impressionnan-te collection d’hymnes desauteurs d’Around theWorld (1997)etOneMore Time (2000),RandomAccess Memories, qui sortira le20mai, se révèle surtout un dis-que bourgeonnant d’audaces etd’expériences jouissives. Huit ansaprès leur précédent album stu-dio, l’abrasif et minimal HumanAfter All, enregistré en six semai-nesentotaleautarcie,ThomasBan-galter et Guy-Manuel de Homem-Christo se sont donnés de longsmois pour peaufiner une œuvremonstre, embrassant nostalgie etfuturisme,où lesmachinescèdentla place à l’humain.

Longtemps avare de paroles –une seule interview accordéedepuis 2005 –, Daft Punk a cettefois choisi de prendre le temps des’expliquer. Une heure et demid’entretiendansunesuitede l’Hô-telMeurice,àParis.Legroupefran-çais le plus célèbre de l’histoire dela pop est aussi le plus anonyme.On se souvient pourtant des pre-mièresrencontresàvisagesdécou-verts. A 39 ans, Guy-Manuel deHomem-Christo a gardé ses allu-res d’étudiant nonchalant, plus àl’aise dans son studio que devantunmicro. D’un an son cadet, Tho-mas Bangalter reste d’une élégan-ce émaciée,malgré son jean troué.Barbe fournie, cheveux bouclés,désormaisplusclairsemés,cetana-lyste au regardbleuvif aimedéve-lopper ses théories, avec douceuret précision.

Lemot«idée»revientconstam-ment dans sa bouche. Sans douteparce que, depuis ses débuts, leduo n’a cessé de formaliser sesintuitionsenconcepts.PedroWin-ter qui, jusqu’en 2008, fut pen-dantplusdedixans leurmanager,

sesouvientainsideleurenvieinsa-tiable «de concrétiser des projets»,de «se sentir enmission» pour fai-rebouger«lesfrontièresdelamusi-que et dubusiness».

Dans la seconde moitié desannées 1990, les deux jeunes roc-kers, dont le premier groupe avaitété qualifié de «punk idiot» (daftpunk) par un critique musicalanglais, avaient perçu le potentielrévolutionnairedes techniquesdeproduction de la house et de latechno. «En 1997, l’idée était demontrerqu’onpouvaitfaireundis-que dans une chambre, rappelleThomasBangalter,qu’enbricolantun home studio, on pouvait créerquelque chose d’urgent et d’exci-tant.»Capturantl’énergiedel’épo-queavecunescienceaiguëdel’effi-cacité, leur premier album,Homework, devenait le premiermètre étalon de la générationélectroetletremplind’unenouvel-levaguehexagonale,bientôtbapti-sée «French touch».

En 2001, leur deuxième opus,Discovery, redonnait le goût desrefrains à la techno, brassant pop,

funketdisco, à l’aubed’unedécen-nie qui allait se repaître de tenta-tions rétromaniaques.

A l’opposé de cette autonomiedomestique, Random AccessMemories a été conçu à New York,Los Angeles et Paris, où des instru-mentistes de pointe ont rejoint lesrobots dans des studios d’enregis-trement d’avant la révolutionnumérique. Ceux qui furent lesapôtresdesmachinessont-ilsdeve-nus des déçus de l’électro? «Cesquinze dernières années, ce quiétaitlehomestudio,construitàpar-tir de différents éléments, a étéminiaturisé en un ordinateur danslequel sont modélisés banques desonset logiciels, constateBangalter.Aujourd’hui, la majorité de la popetde l’électroestproduiteaveccetteassistancetechnologiqueformatée,accessibleàtous.Unmagicienpeut-il encore faire son tour quand toutlemondeconnaît son truc?»

Plus que de rétablir une hié-rarchieentre l’artisteetsonpublic,le duo affirme vouloir recréer durêve. Etape déterminante de sonévolution, la composition de la

bandeoriginale du filmTron: l’hé-ritage, sortieen2011,pour laquellele duo a utilisé les services d’unorchestre symphonique. «Celanous a décomplexés en termes decomposition, en nous convain-quant aussi des vertus du travaild’équipe», souligne Bangalterpour, qui l’usine à rêves d’Hol-lywood ose des défis que n’oseplus se permettre l’industrie dudisque.

Les deux musiciens sont pour-tant bienplacés pour savoir qu’unâged’orde laproductionmusicalea existé. Depuis leurs débuts, ilsn’ont cessé d’échantillonner desextraits des trésors passés. «Cesdisquesambitieuxenregistrésde lafin des années 1960 au début desannées 1980 témoignaient d’unpeu de folie, mais aussi de techni-ques et de savoir-faire. Nous vou-lionsrecréerunenvironnementquinous replonge dans ce qui avaitémerveillé notre enfance, tout enprouvant que le passé n’a pas lemonopoledes grands disques.»

Dans sa quêtemémorielle,DaftPunk a choisi de recruter certains

techniciens et musiciens emblé-matiquesdecetâged’or,tels l’ingé-nieur du son Mick Guzauski(Earth, Wind and Fire, Prince…), leguitariste Paul Jackson Jr (MichaelJackson, George Benson…), les bat-teurs John J. R.Robinson (Madon-na, Michael Jackson…) ou OmarHakim (Weather Report, DavidBowie…).«Commecegenredepro-ductionnes’enregistreplusaujour-d’hui, il a fallu aider certains à sesouvenir de la façon dont ils procé-daient», s’amuseBangalter.

Parmi les idoles que le duo aapprochées figure Paul Williams,orfèvre de la pop américaine, etinterprètemémorable de Swan, leproducteur faustien de Phantomof the Paradise, film fétiche desDaftPunk, réaliséparBrianDePal-ma. Cœur psychédélique de l’al-bum, la chansonTouch sur laquel-le chante ce septuagénaire à l’in-quiétantevoixde ladysefragmen-te magnifiquement entre music-hall et espace sidéral.

Autre icône des Français, Gior-gio Moroder inspire un morceaude bravoure en forme demanifes-te. «Nous sommes fascinés parl’éclectismede son parcours, expli-quent les Daft. Des montagnes duTyrol aux lounges d’hôtel où il fai-sait les premières parties de John-ny,danslesannées1960,de l’inven-tion du disco robotique de DonnaSummer aux musiques de filmscommeMidnight Express ou Flas-hdance…» Dans Giorgio by Moro-der, le duo a enregistré une inter-view avec le producteur-composi-teur italo-allemand et construitautour de son récit un hymne épi-que à la libertémusicale.

Comme Moroder, le guitaristeNile Rodgers est l’un des parrainsde la dancemusic des années1970et 1980. «Il était une de nos idolescommunes quand nous nous som-mes rencontrés au lycée Carnot,Thomas et moi », se souvientHomem-Christo. Les adolescentsallaientsurleurs13ans.«Vousima-ginez quand on nous a rapportéqu’il était fan du groupe!» As duriff funky avec le groupe Chic,l’Américain a également brillé en

composant ou produisant quel-ques-uns des plus gros succès deDavid Bowie, Madonna ou DianaRoss. En illuminant trois mor-ceaux(dontGetLucky) deRandomAccess Memories, Nile Rodgerstémoigne aussi du rayonnementde Daft Punk, indéniablement undes groupes les plus respectés etcourtisés aumonde.«Pourmoi, ilssont largement l’égal depersonna-lités comme Bowie ou Madonna,s’enthousiasme le guitariste. Ilspossèdent comme eux une visionglobale, intégrantmusique, image,marketing.»

Ces«collaborators», commelesdésignelasériedepetitsdocumen-taires présentant ces invités sur lesite du groupe (Daftalive.com), ne

sont pas tous des gloires du passé.L’album fait ainsi côtoyer lesvieilles pointures avec de jeunestalentsparmi lesquels JulianCasa-blancas des Strokes, le pianisteChilly Gonzales, la star R’n’B Phar-rell Williams ou Panda Bear (l’élé-giaque Doin’it Right) du groupeindie rockAnimalCollective.

Pour brillant et inventif qu’ilsoit,cet idéalsonorepuiséàlasour-ce des plus luxueuses – et des pluslisses – productions desannées1970 et 1980 fait-il pourautant rimer perfection et émo-tion? Les fêlures intimes fragili-sent rarement ces robots,mêmesileurs voix cherchent désespéré-ment à s’humaniser. Ces super-héros masqués ne sont-ils pasaprès tout fils de la fête, du specta-cle et de la pudeur? p

StéphaneDavet

RandomAccess Memories, de DaftPunk, 1CD Columbia/Sony.Sortie le 20mai.

DaftPunk,deuxrobotsdanslerétroLeduofrançaissort«RandomAccessMemories»,nouvelalbumenformedequêtemémorielle

Letitre«GetLucky»s’estplacéentêtedesclassementsiTunesdansune

cinquantainedepaysdèssasortie, le19avril

Desinstrumentistesdepointeontrejoint

lesrobotsdansdesstudiosd’avant

larévolutionnumérique

Le duo, toujours casqué, jouera, pour la première fois, sonnouvel albumdans un festival agricole australien. DAVID BLACK

ENFANSd’AndyWarhol, lesDaftPunk, ThomasBangalter etGuy-ManueldeHomem-Christo, onttrès tôt claméqu’ils envisageaientla créationartistique commeuntout, intégrant aussi bien la pro-ductionde l’œuvreque sa repré-sentationet son exploitationcom-merciale.

Pour leur nouvel album,Ran-domAccessMemories, le groupe,décidé à «redonnerunepart derêveà l’expériencemusicale», achoisi d’attiser les fantasmes enpariant sur une communicationminimaliste.«Aune époqueoùles artistes ont tendanceà commu-niquer toutes les cinq secondes surles réseaux sociaux, le succès denotreprésentation tient à ce quenousne nous exprimonsque tousles cinqouhuit ans. Commequel-qu’unqui ne parle jamais pendant

les dîners de famille et qu’on écou-te d’autantplus le jour où il se déci-de», analyse ThomasBangalter,

Le groupeadistillé 15, puis30 secondes instrumentalesdesonpremier single dansun spotdiffusédans l’émission américai-ne «SaturdayNight Live». Un«effeuillage»que les fans ont faitfructifier sur la blogosphèreenpostantdemultiples versions etremixesde cet extrait. UneWebsérie, «TheCollaborators» (finan-céepar Intel), présentant les pres-tigieux collaborateursde l’album,a été diffusée sur Internet.

Campagne d’affichageAlorsque la réalisationartisti-

quedudisque chercheà retrouverle luxedes années1970 et 1980, legroupe stylise ceparti pris dansune campagned’affichage.Ades

endroits stratégiques commeSun-setBoulevardà LosAngeles, l’ima-gedes deux casquesde robotsfusionnésenun seul évoqueà lafois l’âged’or de l’industriedudis-queet les blockbustershollywoo-diens. Sur chaqueaffiche apparaîtl’imposant lettragede lamaisondedisquesColumbia.Une façonde s’affilier à l’histoire du label età ses artistes lesplus prestigieux(Michael Jackson,BobDylan, Bru-ce Springsteen…).

Les deux Français ont cepen-dant opté pour cette filiale améri-caine de lamultinationale Sonypourd’autres raisons. «Cela leurpermet de travailler lamarqueDaft Punk à l’américaine, de fairepasser unmêmediscours demanièremondiale et instanta-née», estimeEmmanuel de Bure-tel, patronde lamaison de dis-

ques Because, qui travailla avec legroupe quand il était chez Virgin.

Ayant assumé seul la produc-tion à très gros budget de sonalbum,Daft Punk a-t-il récupérésamise avec le contrat Colum-bia? La notoriété et l’imagedeDaft Punk attirent lesmarquesles plus prestigieuses. «Nousn’avons jamais reçu autant dedemandes pour un groupe»,confirme la branche française deColumbia. Le duo reste prudentsur ces associations. En atten-dant, la présentationdudisqueaura lieu en public pour la pre-mière fois lors de… la fête agricoledeWeeWaa, au fin fondde la cam-pagne australienne. «Une idéepoétique qui peut stimuler l’imagi-naire», suggère lemusicien. Et unimpact commercial. p

S.D.

10 0123Vendredi 10mai 2013

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culture

20H45CONTREHISTOIRE

DELAFRANCEOUTRE-MERUne page de l’histoire de France

qui n’est racontée dans aucun manuel.

2 documentaires inédits

10H30CÉRÉMONIECOMMÉMORATIVEEn présence du Président de la République,

du Président du Sénat et du Comitépour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.

En direct du Jardin du Luxembourg.

VENDREDI 10 MAISPECIALE ABOLITION DE L’ESCLAVAGE

France Ô SE MOBILISE

LeMansEnvoyé spécial

Le trio s’appelleMarcel &Solange.A la Fonderie duMans (Sarthe),mercredi 8mai, c’est une découver-te enthousiasmante, comme le fes-tival Europajazz en programmedepuis plus de trente ans. GabrielLemaire, saxophones et clarinet-tes, Valentin Ceccaldi, violoncelle,et Florent Satche, batterie, débu-tent free, virent en évocation bos-sa, passent de tensions grondantesà desmélodies rêveuses, avec despièges rythmiques, beaucoupd’idées. De quoimettre en trainpour la double soirée à l’abbaye del’Epau, lieu des histoires les plusfortes de l’Europajazz.

Là, grand choc avecMoutin Reu-nionQuartet. FrançoisMoutin à lacontrebasse, son jumeau, Louis, àla batterie, Pierre de Bethmannauxpianos, l’un acoustique, l’autreélectrique, et RickMargitza au saxo-phone.Unehistoire communeremontant à 1999, un sondeplusenplus intense, un jeu qu’empor-tent loin les deux frères. Déferle-ment sur les peaux des tambours

et le cuivre des cymbales. Les pia-nos suivent, répondent, proposent.Le saxophonepourrait semblerretenu; ses déliés sont en fait auplus exact. Le jazz, avec ces quatre-là, affirme sa violencemusicienne,du tempo le plus lent auplus rapi-de, son expressivité. Exemplaireest ainsi le passage de la balladeDepth Light à l’épiqueMomentum.

Du coup, le quartette de JoshuaRedman, une autre histoire com-mune en concert, laisse avec lesentiment d’un sage déploiement,bien contrôlé. Rien à dire sur lephrasé, la profondemusicalité dusaxophoniste américain. Saconnaissance de l’histoire du jazzest évidente, ses compositionsont une identité forte, comme samanière de renouveler les stan-dards. Mais ce soir, manquent lerelâchement, le dépassementhors du cadre. Cela surgit durantBalance et Leap of Faith.Deux bon-heurs, oui,mais on en aurait atten-du plus. p

Sylvain Siclier

Europajazz duMans, jusqu’au dimanche12mai. Europajazz.fr

Rencontre

Depuis 2007, l’opéra a, luiaussi, ses journées portesouvertes en France – et

danstoutel’Europe–,aveclamani-festation Tous à l’opéra. Marrainede l’opération 2013, qui a lieu leweek-enddes11et12mai:lamezzo-sopranoSophieKoch.

Dans sa loge de l’Opéra Bastilleà Paris, où elle répète ce 19avril lerôle de Waltraute du Crépusculedes dieux, de Richard Wagner(repris du 21mai au 16 juin),Sophie Koch déjeune sommaire-ment d’une salade. A 44ans, lamezzo française, dont la carrièrecommencée il y a vingt ans explo-se depuis une décennie, se réjouitd’apporter son concours à l’opéra-tion. «J’ai accepté parce que je suisconvaincue que l’opéra est unmédia extraordinaire, capable, àtravers la scène, la danse, le chantet la musique, de parler à tout lemonde.» Mince et jolie, ni star nidiva, cette jeune femme déploreque l’image de l’opéra passe enco-re pour beaucoup par la fameuseBianca Castafiore de Tintin. «Endehors du renouvellement dupublic, notre problème majeur estde rendre cet artmoins snob», dit-elle,ajoutantàmi-voixquelespre-miers à véhiculer ces préjugéssontsouvent lesamateursd’opéraeux-mêmes. Son credo? L’éduca-tion,«dès leplus jeuneâge», préci-se-t-elle. «L’année dernière, j’aiamené la classe de cours prépara-toiredema fille àune répétitiondeLa Cenerentola, de Rossini, auPalaisGarnier.Plusdelamoitiéontété subjugués, ne serait-ce que parla beauté du lieu.»

SophieKochest elle-mêmeuneenfant de l’éducation nationale,biberonnée au chant choral (unepanacée, qui efface les différencessociales), à qui une professeure demusique particulièrementdévouéea fait rencontrer l’opéraà12ans. «On participait au projeteuropéen d’une création d’opérasur Alice au pays des merveilles,raconte-t-elle. On était encadréspar des professionnels, cela m’adonné le virus.» Car Sophie Kochcroit peu à la démocratisation, unmot dont elle se méfie, sûre aucontraire que c’est «en sollicitant

l’effort qu’on gratifie le mieux lapersonne».

Pas besoin pour autant d’unsavoir pour écouter la musique:«On accepte bien qu’il y ait diffé-rents niveauxde lecture en littéra-tureoudans ledomainedesbeaux-arts, explique-t-elle. Cela n’empê-che pas les gens de lire ni d’allervoirdesexpositions.Pourquoi fau-drait-il que ce soit différent pourl’opéra? S’il y a un art qui parledirectement et ne demande pasd’explications, c’est bien la musi-que!»

Aprèsavoir fait duchant choralet du piano durant quinze ans,raté deux fois Sciences Po, vouludevenir chanteuse de jazz aprèsavoir été recalée à la chorale de laSorbonne, Sophie Koch a pris descours de chant. «J’ai aussi raté leconcours de l’Ecole de l’Opéra !C’est le ténor Michel Sénéchal quim’a fait rencontrer Jeanne Berbié.Je suis entrée dans sa classe auConservatoire à 21ans, et je tra-vaille toujours avec elle. Elle a82ans, c’estun exemple incroyablede patience et d’amour, bien loinde l’esbroufe ou du charlatanismequi sévissent parfois dans cemétier. Quant au côté glamour dela carrière, il a fallu attendre et enbaver pas mal !» Et Sophie Kochd’évoquer pudiquement lesmoments de découragement, depression, les nuits difficiles, lamusique têtue qui trotte dans latête:«C’estunmétieroùilyabeau-coup de solitude. Je connais nom-bre de femmes malheureuses,dépressives. J’ai de la chance: monmaria cesséde travaillerpour s’oc-cuper de notre fille et voyager avecmoi, ce qui me permet de garderune vie de famille.»

Elledoit ledéclenchementdesacarrière à la grande mezzo alle-mandeChristaLudwig,devantquielle a auditionné en 1991, au Stu-dioBastille,àParis :«Jesuisarrivée

avec un air de Vivaldi. Au bout dedeux mesures, elle m’a fait signeque c’était formidable. Je ne l’aijamais revue, mais je sais qu’elleest venue m’écouter à Salzbourgdans Le Chevalier à la rose, deStrauss. » Ses atouts? Le timbresomptueux de sa voix chaude demezzo, l’intelligencesensible aveclaquelle elle aborde ses rôles – àl’Opéra Bastille, le Compositeurdans Ariane à Naxos, de RichardStrauss, l’inoubliableCharlotte duWerther de Massenet avec l’inou-bliable Jonas Kaufmann dans lamiseenscènedeBenoît Jacquot,etmaintenant une Fricka de grandeclasse dans La Tétralogie wagné-rienne intégralement reprise du18au26juin. Il sembleque laFran-ce lui ait enfin fait la place qu’elleoccupait déjà sur les scènes étran-gères: «Il y a toujours un ostracis-me vis-à-vis des chanteurs fran-çais,constate-t-elle,cequin’estpasle cas dans les autres pays. Mais

cela coûte moins cher d’engagerdes étrangers !»

Reste que le mystère, pourSophieKoch,c’estl’inertiedespou-voirs publics en matière d’éduca-tion artistique depuis des décen-nies. «La musique est un facteur

d’équilibre et de bonheur, le chant,un phénomène de société. Voyeztous ces acteurs qui chantent, lesémissions de télévision comme“Star Academy” ou “The Voice”»…Le chant est libérateur. Il exprimenos angoisses et nos frustrations,

déchaîne nos émotions. Cela nousconcerne tous.»p

Marie-AudeRoux

Tous à l’opéra, 7e édition les samedi 11et dimanche 12mai dans 25 opéras deFrance. Tous-a-lopera.fr

«Lamusiqueestunfacteurd’équilibre,debonheur, lechantunphénomènedesociété»

Sophie Koch dans «L’Heure espagnole», deMaurice Ravel, à l’Opéra de Paris. PASCAL VICTOR/ARTCOMART

SophieKochveutrendrel’opéra«moinssnob»LamarrainedeTousà l’opéraplaidepouruneéducationdès l’enfance

INSTANTANÉ JAZZ

Grandchocet sagedéploiementauMans

110123Vendredi 10mai 2013

Page 12: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

MoteursLesFrançaisdécouvrirontcetétélavoitureaméricainequidevraits’imposercommeuneréférencedanslesprochainesannées,unelimousineàpropulsionélectriquequin’enapasl’air

TeslaModelS,uneberlinedeluxesurvoltée

AParis,dessociétéscréentdesapplicationscommunautairespoursegarersanssouci

Lecréneaudupartagedesstationnements

culture& styles

Aquoiressemblerontlesgran-des voitures de demain? Laquestionpeut être posée au

présent. Et la réponse pourraitbien être: à la TeslaModelS.

Cettelongue(5mètres) limousi-ne à propulsion électrique conçueet fabriquée en Californie par unemarque qui a choisi de rendrehommage à Nikola Tesla(1856-1943), inventeur serbe dumoteurà induction, s’adresseàunpublic privilégié mais avant-gar-diste. Ce qui ne va pas forcémentdepair. Proposée, selon la version,à un prix allant de 65 000 à100000euros (déduction faitedes primes accordées aux ache-teurs de voitures électriques), ellesera commercialisée à partir dejuillet en France.

Le ModelS s’efforce de ne pasressembler à une voiture électri-que, ce qui constitue sans doute lemeilleur moyen de briser les réti-cences, immanquables, que susci-teunetelleproposition.Ses lignes,d’une élégance académique maisparfaitement équilibrées, témoi-gnent d’une inspiration très euro-péennesanspourautantsinger lesgrandes signatures allemandes.Même lenomdudesigner en chef,Franz von Holzhausen, apporteune touched’aristocratie…

Cettevoitureélectriquelogesesquelque 700 kg de batterieslithium-ion sur dix centimètresd’épaisseur juste au-dessus duplancher.Unchoixquicontribueàpréserver sa silhouette élancée et,surtout, permet d’afficher uneautonomiemaximale de 480kilo-mètres. Lemoteur, quidégageunepuissance de 310kW (l’équivalentde 416ch) sur la version la mieuxdotée,est installésur l’essieuarriè-re,dégageantunbelespacederan-gement sous le capot avant, enplusdu coffre arrière.

Cettemécaniquepropulsesilen-cieusement la Tesla à des alluresinavouables,etprodiguedesaccélé-rations on ne peut plus vigoureu-ses (le 0 à 100km/h est abattu en4,6secondes, à peine plus qu’uneFerrari). Outre la réactivité dumoteur électrique et le centre degravité placé très bas, le conduc-teur apprécie dès les premierstoursderouelarépartitionoptima-le (pratiquement 50-50) du poidsentre l’avant et l’arrière ainsi quelesmultiples réglagesmis à sa dis-position. La hauteur de caisse estadaptable,demêmeque lasuspen-sion et, surtout, l’intensité de larécupération d’énergie à la décélé-ration (autrement dit, le freinmoteur).Cettedernièrecaractéristi-que offre une « élasticité » deconduite des plus agréables. Bref,enparvenantàmasquersonpoids,

le ModelS se conduit du bout desdoigts dans un environnementsonore qui ne laisse percevoir quelesbruitsderoulage.Combleduraf-finement, les poignées extérieuress’extraientdelacarrosserielorsquel’on s’en approche. Il suffit de leseffleurerpourouvrir laportière.

Le style intérieur de la Teslaprend intelligemment ses distan-cesavec l’univershabituelduhautde gamme. Très lumineux, l’habi-tacle est sobre mais jamais glacialet a été réalisé avec beaucoup desoin. Rien à voir avec les habituelsmodèlesdeluxedesmarquesamé-ricaines qui accordent une impor-tance toute relative à la concep-tioncommeà laqualitéde finitionde l’environnement intérieur.Légèrement incongru mais trèspratique, un énorme vide-pochesse logeentre lesdeuxplacesavant.Le morceau de bravoure est sansconteste l’immense écran tactilehautde 17poucesquisedéploieau

milieu de la console centrale. Tou-tes les fonctions du véhicule sontaccessiblesparcebiais,une liaisonInternet est disponible et s’y affi-chent en grand les images de lacaméra de recul, lorsque l’on s’en-gage dans une manœuvre. Les

commandes d’essuie-glaces et declignotants évoquent un universconnu; celui de Mercedes, qui apris uneparticipationminoritairedans le capital de la firme de PaloAlto. Celle-ci reste contrôlée parson fondateur, ElonMusk, un per-sonnage qui contribue à donner

unetouchedeglamourmoderneàlamarque.Aprèsavoir fait fortuneavec PayPal, moyen de paiementtrèspopulaire sur Internet, cequa-dragénairea toutrevenduen2003pourfonderTeslaet SpaceX, socié-té qui se propose d’organiser desvoyagesdans l’espace.

L’autre prouesse de Tesla estd’être parvenu, dix ans après sacréation, àdevenir rentable, ce quin’est pas courant dans le petitmonde de la voiture électrique. Al’heure actuelle, le constructeurproduit 500ModelS par semaineet assure disposer de 16000pré-commandes, dont plus d’une cen-taine en France. Tesla, qui lanceral’an prochain le Model X, un SUV,ne s’est pas encore installé parmilesmarquesdugothaautomobile.Après être passé derrière le volantdu ModelS, on se dit que la firmeaméricaine peut légitimement yprétendre. p

Jean-MichelNormand

Musique

250000C’est le nombrede visiteurs attendus cette annéepar leMuséeABBAde Stockholm. Le templede 1300m2consacré augroupemusical pharedes années 1970a ouvert ses portes lundi 6maidans la capitale suédoisedont sont originaires les quatre artistes.Objets de collection, tenuesde scène etmobilier d’époqueontété rassemblés avec la participationdeBjörnUlvaeus, le seulancienmembred’ABBAà s’être engagédans le projet. Des activi-tés interactivespermettent également aux fansde chanter leurschansonspréférées sur scène oudansune reproductiondu stu-diod’enregistrementdu groupe. Le prix dubillet est de 195cou-ronnes, soit prèsde 23 euros.

«J’ai promisplusieurs foisàma femmed’arrêter.Cette fois, je vais le faire»Gilles Jacob,qui fêtera ses 83 ans en juin, confirme, lors d’unentretien à paraître, samedi 11mai, dansNiceMatin,qu’ilquittera bien la présidence du Festival de Cannes en 2015, aprèsun derniermandat de trois ans renouvelé en 2011. Gilles Jacobpréside le grand rendez-vous cannois depuis 2001, après avoirexercé les fonctions de délégué général depuis 1977.

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Jeudi 22 janvier 2009Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA,Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack etMichelleObama, à pied sur Pennsylvania Avenue,mardi 20 janvier, se dirigent vers laMaisonBlanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObamaen2008, et de nouveaupendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-

miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo.Pages 6-7 et l’éditorialpage 2

a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviewspage 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquêtepage19

GAZAENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds.« C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscoursne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénérations’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformationa commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-

cain-américain de 47 ans.Lire la suite page 6

Corine LesnesEducationL’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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0123BOUTIQUEEN LIGNE

Lespoignéesextérieures

s’extraientdelacarrosserielorsquel’ons’enapproche. Ilsuffitdeleseffleurer

S egarer…uneplaiequotidien-ne pour les automobilistesque tente de cautériser une

dizaine d’entreprises parisiennesspécialiséesdanslepartagedepla-ces de stationnement par Inter-net. Toutes affirment voler ausecours des automobilistes stres-sés qui tournent pendant de lon-gues minutes avant de se garer,dépités,àunkilomètredeleurdes-tination, contraints de finir leurtrajet à pied… ou enmétro.

«On compte à Paris environ800000 places de stationnement,dont plus de la moitié appartien-nent à des particuliers. Et toutes nesont pas occupées en permanen-ce», observe Alexandre Poisson,26ans, lui-même automobiliste,quiafondé,en2012,Parkadom,pla-te-formedepartage deparking. Laformule permet à des propriétai-resdelouerleurgarageouleurpla-ce souterraine pour une semaine,

une journée ou quelques heures.Sont visés les automobilistes tra-vaillant dans le quartier ainsi queles personnes séjournant quel-ques jours dans la capitale. Unefois la transaction enregistrée enligne, il reste aux partenaires àfixer un rendez-vous pour procé-der à l’échange de clefs. L’idée nesemble pas mauvaise. La preuve:au moins deux autres sociétés,Mobypark et Monsieur Parking,proposentdes services similaires.

Innovation technologiqueLe modèle de Zenpark, créé en

janvier, repose sur le stationne-ment disponible «dans les admi-nistrations,leshôtels, lessupermar-chés, les immeubles locatifs», indi-que William Rosenfeld, le fonda-teur de la société, qui se charge deprospecter les institutions ousociétés qui pourraient disposerdeparkingsvides.Entreprisecréée

en 2011 à Bruxelles, BePark fonc-tionne peu ou prou de la mêmemanière.AParis, depuis le 22avril,elleproposeunpetitmillierdepla-ces dans les parkings souterrainsde Park’A, un opérateur privé.BePark présente pour l’occasionune innovation technologique.«L’application mobile permet delocaliser leparkingleplusprocheetmême d’ouvrir la barrière. Et il estpossible de payer son stationne-ment à laminute, nonplus à l’heu-re. En restant 1h10,onpaiera 1h10,pas 2 heures », signale LaurentMichelet, le PDGdeBePark.

L’application Apila, pour sapart, s’adresse directement auxautomobilistesengluésdans la cir-culation. L’abonné qui chercheune place le signale et espère tom-ber surunebonneâme,égalementabonnée, qui s’apprête précisé-mentàquitter son stationnement.Celui qui s’en va reçoit alors un

«point»qui luidonneraà sontourle droit de prendre la place d’unautre membre. Le système reposesur la formationprogressived’unecommunauté d’automobilistesprêts à signaler leurs mouve-ments.

Les fondateurs de ces sociétés,pour la plupart des jeunes ingé-nieurs ou commerciaux, révolu-tionneront-ils le stationnementdans lesgrandesvilles?Celaresteàprouver. Parkadom ne proposeque330places, BePark, àBruxelles,n’affiche pour le moment que200abonnésetZenparknesouhai-te pas communiquer sur ce point.Apila revendique 50000abonnés,mais ne précise pas le nombre detransactions réalisées. Placelib,une société créée en 2011 et propo-santunserviceprochedeceluid’A-pila,aétérécemmentmiseensom-meil, fautede clients. p

OlivierRazemon

ARCHITECTURE

AccusationdeplagiatpourlaVillaMéditerranéeàMarseilleEstimantque laVillaMéditerranée, l’un desbâtimentspharedu renouveauarchitectural deMarseille, a été copiée sur l’unde ses projets, l’architecteMohamedAli Chafter demande3,5millions d’eurosde dommages et intérêts.M.Chafteravait conçu, en 2001, dans le cadre d’undiplômed’architectureunprojet de grandemosquée enporte-à-fauxau-dessusd’unbassin, a indiquémercredi 8mai sonavocat,Me Julien Sube.M.Chafter estimeque ces deuxprincipes ont été copiéspar les concepteursde la VillaMéditerranée, l’architecte italienStefanoBoeri (associé à Jean-PierreManfrédi et IvanDi Pol),qui a été réalisée enoutre à l’endroitmêmeoù il avait situésonprojet.Me Sube confirmequeM.Chafter demandeàAréa,une émanationdu conseil régional,maîtred’ouvragede la VillaMéditerranée, des réparations à hauteurde 3,5millionsd’euros.La régionPACAa indiquédansun communiquéqu’«il appartiendraà la justice seule de trancher entrela reconnaissanced’unplagiat et celle d’une réclamationdénuéede tout fondement». – (AFP.)

MuséeUne collecte pour restaurerle divan de FreudLe FreudMuseumde Londres lanceunappel auxdonspour sau-ver le divande consultationde SigmundFreud. Lemusée consa-cré au fondateur de la psychanalysedemande5000livres ster-ling (près de 6000euros) pour remettre en état ce que sadirectri-ce, DawnKemp, considère comme «peut-être lemeuble le pluscélèbre dumonde». Cadeaude l’unede ses patientes en 1890, ledivanaurait à peuprès l’âge de Freud, né en 1856. Lemédecinneurologueautrichien l’avait emporté avec lui à Londres lors deson exil en 1938.

Le 0 à 100 km/h est atteint en 4,6 secondes,à peine plus qu’une Ferrari. JAMES LIPMAN/TESLA

PhotoPatrice Thébaultmet en boîte la beautédugesteLephotographePatriceThébault est allé observer les gestes d’ar-tisansd’art, coutelier, chausseur, gantier, brodeur. Il a poussé lesportesde dixmaisonsd’art françaises: CausseGantier, Charles(bronzier),Declercq Passementiers, Forge de Laguiole (coutelier),Goossens (parurier), Guerlain (parfumeur), Lesage (brodeur),Massaro (bottier), Pleyel (facteur depianos) et leMoulinRouge(costumierde scène). Ses clichés ennoir et blanc se concentrentsur lesmains des artisans et racontent l’artisanatd’art d’unemanièreà la fois concrète et poétique. Ils sont rassemblésdansune exposition intitulée «Lamain en scène», à découvrir jus-qu’au31octobre à lamanufactureCausseGantier deMillau, dansl’Aveyron. pCarine Bizet

ArtsFrançois Pinault remballe son«Garçonà la grenouille» posté à l’entrée deVeniseLa Pointede laDouane,muséevénitien abritant les collectionsdumilliardaire français François Pinault, a dû retirer jeudi 8maiune statue enacier blanc, LeGarçonà lagrenouille, exposéeà l’en-tréeduGrandCanal depuis juin2009. Cette statuemodernedusculpteuraméricainCharles Ray, hautede 2,40mètres, sera rem-placéepar un réverbèrevénitienen fontequi occupait cet empla-cementavant l’installationde cetteœuvre. LamunicipalitédeVenise avait exigé ce retrait, fruit selon elle d’unaccord avec laFondationPinault qui prévoyait le retour duvieux réverbèreune fois restauré. L’œuvredeCharles Ray avait été commandéeparM.Pinault. – (AFP.)

12 0123Vendredi 10mai 2013

Page 13: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissances

Orianne VIOLLET, Jean TYANet leur famille,

ont la joie d’annoncer la naissance de

Maya,

le 24 avril 2013, à Neuilly.

Angelo et Elia MAZZELLA,ses frères,

Juliette HANROT et Damien BALDINsont heureux d’annoncer la naissance de

Ulysse,

le 6 mai 2013, à Paris, juste avant quene brille l’aurore aux doigts de rose.

Décès

Georges Abadie,membre honorairedu Conseil constitutionnel,son époux,

Et leurs enfants et petits-enfants, Crystelle,Régine (†), Lionel, Sébastien, Hadrien

Ainsi que Serge et Richard Pajot,Suzanne Martin, Jacqueline Palmade,et leurs familles

Et avec M. et Mme Robert Houbas, Jeane t Mar ie Fredenucc i e t Jos ianeGuillement,

ont la douleur de faire part du décès de

Mme Lysiane ABADIE,née GUILLEMENT,

le 7 mai 2013, àMonaco.

Les obsèques et l’inhumation dansle caveau familial ont lieu dans l’intimitéà Moulédous (cimetière de l’église),Hautes-Pyrénées.

Chemin de la Fontaine,65190 Moulédous.1, boulevard Franck-Pilatte,06300 Nice.31 bis, boulevard de la Saussaye,92200 Neuilly-sur-Seine.

Alès. Branoux-les-Taillades.

Hélène Aldebert,son épouse,Jean-Louis et Michèle Aldebert,Françoise et Bernard Motheau,Catherine et Robert Riou,

ses enfants,Eric et Alexandra, Sophie et Katsuo

Isabelle et Alain, Caroline, Guillaume (†)Renaud et Emmanuelle, Fanny, Mathieuet Amanda,ses petits-enfants,Simon, Claire, Louise, Jeanne, Alix,

Noé, Max, Joseph, Théo, Pavel, Zoé, Nanset Amélie,ses arrière-petits-enfants,Marie-Thérèse Aldebert,

sa sœur,Ginette Aldebert,

sa belle-sœur,Ses neveux, niècesEt toute la famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

M. Jean ALDEBERT,procureur de la République honoraire,chevalier de la Légion d’honneur,

ofcier dans l’ordre national du Mérite,croix du combattant,

survenu le 3 mai 2013,à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.

Les obsèques religieuses ont eu lieule mardi 7 mai, à 10 h 30, en la cathédraleSaint-Jean d’Alès, suivies de l’inhumationau cimetière d’Alès.

Mme Annick Bonnes,son épouse,Son frère, ses sœurs et sa belle-sœurEt toute la famille,

ont la tristesse de faire part de ladisparition de

Philippe BONNEFIS,professeur émérite

à l’université Charles de Gaulle Lille III,Asa Candler Professor

at Emory University Atlanta,

survenue le 5 mai 2013,à l’âge de soixante-treize ans.

Ses obsèques seront célébrées le samedi11 mai, à 14 heures, au crématorium,316, rue de Leers, àWattrelos (Nord).

119, boulevard Clemenceau,59700 Marcq-en-Barœul.

Le département des Lettres et artsde l’université du Littoral Côte d’Opale,Son laboratoire

«Modalités du ctionnel »,Ses étudiants, enseignants, chercheurs,

apprennent avec chagrin le décès de

Philippe BONNEFIS.

Ils saluent sa mémoire et son œuvre,remercient l’admirable veilleur critique,l’ami fidèle qui accompagna de sagénérosité leurs initiatives.

Ils présentent à sa famille leurs plussincères condoléances.

Pierre et Isabelle,ses enfants,Baptiste, Camille, Marie, Thomas, Paul

et Benjamin,ses petits-enfants,James,

son arrière-petit-ls,Marie Christine Bock,

Catherine Le Moinget Michelle Cheminot,

ont la tristesse de faire part du décès du

docteur Lise CEDARD,directeur de recherche au CNRS,

survenu le 6 mai 2013, à Saint-Prix.

Les obsèques seront cé lébréesle mardi 14 mai, à 16 heures, enla chapelle-Est du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.

L’inhumation se fera dans la sépulturede famille, au cimetière du Père-Lachaise,Paris 20e.

Sa familleEt ses amis,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Jean-Claude CHAMPESME,

survenu le 2 mai 2013,à l’âge de soixante-seize ans.

L’inhumation a eu lieu le mardi 7 mai,à 16 heures, au cimetière du Montparnasse,Paris 14e.

42, rue d’Inkermann,59000 Lille.

Les familles Comparat,Veyrat-Charvillon, Bouvaist,Busato, Bory,ses enfants, petits-enfantset arrière-petits-enfants,

font part du décès de

Mme France COMPARAT,née BERIEL,

veuve de Paul COMPARAT,

survenu le 6 mai 2013,à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.

La cérémonie aura lieu le samedi11 mai 2013, à 8 heures, en la sallede cérémonie du centre funéraireà la Tronche (Isère).

[email protected]

M. et Mme François Dubuisson,Jean-Sébastien,Sylvain, Jérôme (†),Marie-Aurore,

ses enfants,en union avec leur père,M. Jean Dubuisson (†),

Bénédicte (†), Jean, Benoît,Claire, Constance,Romain, Clément,Emile, Paulina, Thomas,Félicie, Aimée, Sören,Raphaël, Oriane,

ses petits-enfants,

Rose,Titouan, Louise, Mahaut,Matteo, Esteban,Calixte, Otto, Wim, Mathis,

ses arrière-petits-enfants

Et toute la famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Marie-Josèphe DUBUISSON,née PERRIER,

survenu le 30 avril 2013.

La cérémonie religieuse a été célébréele lundi 6 mai, à 10 h 30, en l’église Saint-François-de-Sales, 6, rue Brémontier,à Paris 17e, suivie de l’inhumationdans le caveau de famille, à 16 h 45,au c ime t iè r e de Mi l l y - l a -Fo rê t(Essonne).

Cet avis tient lieu de faire-part.

15, quai Paul-Doumer,92400 Courbevoie.

Thierry de Duve et Lisa Blas,Anne de Duve et Yves Lefebvre,Françoise de Duve,Alain de Duve,

ses enfants et beaux-enfants,Aurélie, Alice, Martin, Ondine,

Sébastien, Isabella, Diego,ses petits-enfants,Thomas Résimont,

son beau-petit-ls,Merlin et Jules,

ses arrière-petits-ls,

ont la profonde douleur de faire partdu décès de

Christian de DUVE,professeur émérite de l’université

catholique de Louvain et de la RockefellerUniversity, New York,

administrateur-fondateur de l’Institutde Duve (anciennement ICP),

président-fondateurdes prix UNESCO-L’Oréalpour les femmes et la science,membre de l’Académie Royaledes Sciences, des Lettres

et des Beaux-Arts de Belgique,de l’Académie Royale de Médecine

de Belgique et de nombreuses académieset sociétés savantes étrangères,

prix Francqui 1960,prix Nobel de Médecine 1974,

survenu à Nethen, le 4 mai 2013,dans sa quatre-vingt-seizième année.

L’incinération a eu lieu dans la stricteintimité familiale.

Selon la volonté du défunt, un hommagelaïc sera présidé par son ami GabrielRinglet, le samedi 8 juin, à 15 heures,en l’église de Blocry, 121, rue del’Invasion, 1340 Ottignies-Louvain-la-Neuve.

239, rue de Weert,1390 Nethen,Belgique.

Françoise Le Camus,Anne et Patrick,

ses enfants,Ses petits-enfantsAinsi que toute sa famille,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Robert LE CAMUS,militant associatif,

cofondateur du Village Club du Soleil,ancien résistant,

à l’âge de quatre-vingt-dix ans,àMarseille.

« Le désir possède une persistanceindestructible. »

Jacques Lacan - Extrait des Ecrits.

Christophe Gaumont,son ls,Lydie Gaumont,

sa belle-lle,Paola et Roméo,

ses petits-enfants,Josèphe Chapeau,

sa tante,Sa famille proche et alliée,

ont l’immense tristesse de faire partde la disparition de

Viviane MARINI-GAUMONT,

le 5 mai 2013, à 8 heures.

Elle s’est éteinte sereinement dansson sommeil.

Un temps de recueillement a lieu cejeudi 9 mai, entre 14 heures et 16 heures,à la maison funéraire de Ménilmontant,7, boulevard de Ménilmontant, Paris 11e.

Une messe sera célébrée en l’églised’Omessa (Haute-Corse), le vendredi10 mai, à 16 h 30.

Cet avis tient lieu de faire-part.

L’École de la cause freudienne

a appris avec une grande tristesse le décèsde

Viviane MARINI-GAUMONT,psychanalyste,

membre de l’école (AME),

survenu le 5 mai 2013.

Ses membres se souviennent de ladélité de Viviane à Jacques Lacan, sonanalyste, et de son engagement constantdans l’ECF, pour la diffusion de sonenseignement.Son attachement à sa région d’origine

a accompagné son travail incessant pourla psychanalyse en Corse.

Ils assurent ses proches, son filsChristophe et ses petits-enfants, tous ceuxet celles qui l’ont aimée, qu’ils n’oublientpas la trace que laisse Viviane parminous.

Paris.

Le docteur Liliane Marmie,son épouse,M. François Marmie,

son frère,Juliette et Nicolas Marmie,

sa nièce et son neveu,

ont la douleur de faire part du décès du

docteur Daniel MARMIE,ancien interne et ancien chef de clinique

des Hôpitaux de Paris,

survenu le 6 mai 2013,à l’âge de soixante-quatorze ans.

La levée de corps aura lieu le lundi13 mai à 10 h 30, au funérarium desBatignolles, 1, avenue du Général-Leclerc,à Clichy.

La crémation aura lieu à 13 h 30,au cimetière du Père-Lachaise.

Ni eurs ni couronnes.

Cet avis tient lieu de faire-part.

36, rue Louis-Braille,75012 Paris.

Mme Juliette Réveillé,sa mère,Gilles et Jean-Marie,

ses frères,Elisabeth,

sa belle-sœur,Sa nièce et ses neveux,Ses amies et amis,

ont la tristesse de faire part du décès de

Thérèse RÉVEILLÉ.

La cérémonie aura lieu au crématoriumde Tours-Sud, route de Loches, le lundi13 mai 2013, à 10 h 25 et à 15 heures, pourl’inhumation des cendres au colombariumde Saint-Pierre-des-Corps, rue Marcel-Cachin.

Thérèse Réveillé a travaillé aux Editionsdes femmes et milité au MLF, puis àl’Alliance des femmes d’AntoinetteFouque. Elle a parallèlement été journalisteet conceptrice-rédactrice.Elle a également co-traduit différents

ouvrages d’Aung San Suu Kyi, de SusanFaludi, de Taslima Nasreen et d’HananeAshraoui.Depuis quelques années, elle collaborait

à la revue Superux et se consacrait à desrecherches sur « Freud-éditeur ».

Cet avis tient lieu de faire-part.

Coulommiers.

Mme Denise Ruescas,Hélène Ruescas et Annie-Claude

Bouquet-Ruescas,Paul, Alice, Juliette, Léo et Martin,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

M. Michel RUESCAS,

survenu le 25 avril 2013.

Ses obsèques ont eu lieu le mardi30 avril, dans l’intimité.

Nous avons l’immense douleurd’annoncer le décès de

Jacques STARKIER,

à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Un grand architecte,Un époux exceptionnel,Un père et un grand-père formidable,Un homme généreux et passionné,Un mentsch.

L’enterrement a eu lieu le lundi 6 mai2013, à 14 h 45, au cimetière parisiende Saint-Ouen, 69, avenue Michelet.

Cet avis tient lieu de faire-part.

63, place du Docteur-Félix-Lobligeois,75017 Paris.

Paul TIPHINE,né en 1933,X 51,

ingénieur général de l’armement,

s’est éteint paisiblementdans la nuit du 2 au 3 mai 2013.

Françoise Tiphine,son épouse,Charles, Julien et Laurent,

ses ls,Sa famille,Tous ceux qui l’ont aimé.

Un moment de recueillement, dansl’intimité familiale, aura lieu le 13 mai,à 16 heures, au crématorium du cimetièredu Père-Lachaise, Paris 20e.

Cet avis tient lieu de faire-part.

30, rue Miollis,75015 [email protected]

Conférence

Institut d’études de l’Islamet des sociétés du monde musulman

(IISMM-EHESS)et le Collège de France :

conférence publique, le 14 mai 2013,18 heures - 20 heures,Patrick Haenni,

« L’islam politiquedeux ans après le printemps arabe ».

EHESS-amphithéâtre,105, boulevard Raspail, Paris 6e.Contact : 01 53 63 56 02.

Entrée libre.

Communication diverse

ISF : Déduisez 75 % du montantde votre don à

La Fondation du patrimoinejuif de France.

Pour soutenir les petites communautésjuives en péril.

Tél. : 01 49 70 88 [email protected] l’égide de la Fondation

du judaïsme français.

Page 14: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

Lapremièrepartie de soiréed’Arte,mardi 7mai, que j’airegardée le lendemainendif-

féré sur le site de rediffusionArte+7, était dévolueauxWindsors età deuxde leurs rejetons, Albert –fameusementbègue et timide,sujet du film LeDiscours d’un roi(2010), de TomHooper – et sonaîné, Edward, promis au trôned’Angleterre.

Wallis Simpson, duchesse deWindsor, celle par qui le scandalearriva (2012), de ClaireWalding,narre la relationpassionnelle et lemariaged’Edwardet de l’Américai-neWallis Simpson, pour qui ilabdiqua (il n’était pas questionqu’un roi épouseune femmedeux fois divorcée), livrant, danslanuit du 11décembre 1936, l’undesplus beauxmessages qui fût àsonpeuple, qui l’aimait avec fer-veur: «J’ai estimé impossible deporter le lourd fardeaude respon-sabilités et de remplir les devoirsquim’incombent en tant que roisans l’aide et le secours de la fem-meque j’aime.»

Fondé sur denombreuses ima-ges d’archives, le film retrace ledestinpersonnel et commundecesdeuxamoureuxscandaleux,bannis d’Albionet dépêchés auxBahamas (royaumeduCom-monwealth)pendant la guerre, oùl’on suspecta queWallis, qui avaitconnu JoachimvonRibbentroppendant sonmandatd’ambassa-deurduReichà Londres, conti-nuait d’entretenir des relationsavec celui-ci et, surtout, livrait parson entremisedes informationsau régimenazi.

Ce quin’a jamais été en faitprouvé, ainsi que le rappelle ledocumentaire,mêmesi le couplefit, avant guerre, le voyage àBer-

lin pour tenter, au grandembar-ras dugouvernementbritanni-que, depacifier les relations entreles deuxpays.

Dans la foulée, Arte proposaitun autredocumentairedeClaireWalding,Albert&Edward, fondésur lesmêmesprincipesnarratifs.Mais ce filmdonnait la désagréa-ble sensationd’être unedeuxiè-mepressionà froid dupremier – àmoinsque cene soit l’inversepuis-queAlbert&Edward fut réalisé en2011, un an avantWallis Simpson,duchessedeWindsor, celle par quile scandale arriva.

Nonseulement ce récit croisédudestindes deux frères – quiallèrent au trône à reculons – fai-sait en grandepartie redite aveccequ’on venait de voir,mais il uti-

lisait aussi lesmêmes imagesd’ar-chives endépitdeplans et séquen-ces alternatifs. De surcroît, lesintervenants interviewésétaientlesmêmes avec, parmi eux,davantagede biographesqued’historiens.

On sortait de ce «double bill»redondantavec la sensationden’avoir rien appris qu’onne sûtdéjà – ce qui est rare avec les pro-grammesde ce type surArte.Man-quait juste, pour donnerunpeud’épices à ce propos lénifiant, lephrasé sublimede FrédéricMit-terrand,du tempsqu’il commen-tait, avec l’éloquente rhétoriqued’unBossuet, la vie des têtes cou-ronnées…p

C’EST À VOIR | CHRONIQUEpar Renaud Machart

Roismalgréeux

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Météorologue en directau 0899 700 703

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Amiens

Metz

Strasbourg

Orléans

Caen

Cherbourg

Rennes

Brest

Nantes

Poitiers

Montpellier

Perpignan

Marseille

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303022312826

Islande Beaucoup de pluie en perspective

En Europe12h TU

On retrouvera un temps plutôt nuageux et

instable entre les Pyrénées et les Alpes où des

averses éclateront. Averses également, mais

plutôt faibles et dispersées au nord de la Loire

sous un ciel variable et souvent lumineux. Le

soleil brillera davantage entre ces deux zones,

c'est-à-dire des Charentes à l'Alsace. Le pourtour

méditerranéen connaîtra aussi un temps plutôt

ensoleillé, malgré un orage possible sur

l'arrière-pays niçois. Températures relativement

fraîches, sans excès.

Sainte SolangeCoeff. demarée 84/84

LeverCoucher

LeverCoucher

Frais et quelques ondées

Aujourd’hui

Horizontalement Verticalement

I

II

III

IV

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VII

VIII

IX

X

Solution du n° 13 - 109HorizontalementI. Simplifiable. II. Adoration. On.III.Nin. Ennemie. IV. Sodas. Esse.V. Etalons. MV.VI.Mi. Pré. Légua.VII. Perec. Désert.VIII. Asimov.Lai. IX.Obi. Eut. Sano.X. Insurrection.

Verticalement1. Sans-emploi. 2. Idiotie. BN.3.Monda. Rais. 4. PR. Alpes. 5. La.Sorcier. 6. Ite. Ne.Mur. 7. Fines.Dote. 8. Ions. Lev. 9. Anesses. ST.10.Me. Gelai. 11. Loi. Murano.12. Enervation.

Philippe Dupuis

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 1 12

1. Apprécié pour soi pas pour lesautres. 2. Rend l’avancement plusdélicat. 3. Papa de cinquante joliesfilles. Lumière de la ville. 4. Feraimon choix. Ouverture de gamme.5.Disparu. Amour vache chez lesGrecs. 6. Arturo sur scène. Remiseen forme enmusique. 7. Sourcesde lumières. Poule pour legagnant. 8. Cours polonais.9.Garde sesmystères. Patron enrégion. Suit les bandes de près.10. Bout de rideau. Descend duJura. Personnel. 11. Fait desprouesse à coups de pédales.12. Joliment assombrie.

I. C’est chez elle qu’elle sera lemieux. II. Elle aussi a doublé devaleur. Possessif. III. Les accrosn’en rateront pas un épisode. Ecritl’histoire au jour le jour. Un peude stress. IV. Coup de chaud.Direction générale. Aller simple.V.Nymphe de bons conseils. Vitau large.VI. Encadrent le deuil.Retentit.VII. Tournions le dos ànos idées. La deuxième est entréedans Paris et dans l’Histoire.VIII. Supprime. Entrer enopposition. IX. Egalementfamilièrement. Fin de partie.Même bien tenue, elle restecochonne.X. Part dans tous lessens.

Jeudi9maiTF1

20.50 Jo.Série. Place Vendôme. Le Marais (saison 1, 5 et6/8, inédit)U. Avec Jean Reno, Jill Hennessy.22.40 Les Experts : Miami.Série. Le Fan. Experts contre experts. Poursuiteà Manhattan (S2, 18, 20 et 23/24, 110min)V.FRANCE2

20.45Carnet de voyaged’«Envoyé spécial». Magazine.Ryanair, embarquement à bas coût ? Un corpsde rêve à quel prix ? Turquie : la nouvelle Riviera.22.15 Complément d’enquête.1940-1945 : les Français et leurs secrets.23.15Grand Public. Magazine (95min).FRANCE3

20.45 Les Pleins Pouvoirspp

Film Clint Eastwood. Avec Clint Eastwood, GeneHackman, Ed Harris, Laura Linney (EU, 1997)V.22.45Météo, Soir 3.23.55 Le temps qu’il resteppp

Film Elia Suleiman. Avec Elia Suleiman,Saleh Bakri (Fr. - Pal., 2009, v.o., 105min)U.CANAL+

20.55 Scandal.Série. Tueur un jour, tueur toujoursU. Défiance(S2, 6 et 7/22, inédit). Avec Kerry Washington.22.20 The Big C.Série (saison3, 1 et 2/10, inédit)U.23.10 30Rock. Série (S6, 4 à 6/22, inédit).0.15 38 témoinsppp

Film Lucas Belvaux. Avec Yvan Attal, SophieQuinton, Nicole Garcia (France, 2012, 104min).FRANCE5

20.38 La Grande Librairie.Spécial Marcel Proust.21.41 La Mémoire des cartes.[2/4]. Le Génie de Ptolémée. Documentaire.22.32 C dans l’air. Magazine.23.46 Entrée libre. Magazine (15min).ARTE

20.50Hatufim, prisonniers deguerre.Série. Le Retour. La Plate-Forme [1/2] (saison 1,1 et 2/10). Avec Yoram Toledano, Yaël Abecassis.22.45 Sciences - Les corbeauxont-ils une cervelle d’oiseau? (2009).23.40 Société - Le Voyaged’une jeune topmodel (2011, 51min)M6

20.50 Body of Proof.Série (saison 2, 16, 17, inédit ; et 8 à 10/20)U.1.00Medium. Série (S7, 8/13, 42min)U.

météo& jeux écrans

Sudokun˚13-110 Solutiondun˚13-109 Vendredi10maiTF1

20.50 Les Experts : Miami.Série. La Guerre froideU (saison 7, 25/25) ;Naissance d’un mythe. Un retour explosifU(saison 8, 1 et 2/24). Avec David Caruso.23.20 Vendredi, tout est permisavec Arthur. Les Moments forts.1.05Confessions intimes (50min).FRANCE2

20.45Candice Renoir.Série. Malheur à celui par qui le scandale arriveU.La fin justifie les moyens (S1, 7 et 8/8, inédit).22.30 Ce soir (ou jamais !). Magazine.0.25Mon Taratata àmoi.Variétés (95min).FRANCE3

20.45 Thalassa.Des Bermudes à la Bretagne :petites et grandes énigmes de la mer. Magazine.Au sommaire : Bermudes : le triangle maudit ;La Légende du Hollandais volant ; etc.23.30Météo, Soir 3.0.05 La Case de l’oncle Doc.Les Munch, soudés à jamais (Fr., 2013, 52min).CANAL+

21.00Rugby.Championnat de France Top 14.Barrage d’accession aux demi-finales.Toulouse - Racing Metro 92. En direct.23.05 ContrebandepFilm Baltasar Kormákur. Avec Mark Wahlberg,Kate Beckinsale (Etats-Unis, 2012, 109min)V.FRANCE5

20.40Onn’est pas que des cobayes!21.35 Empreintes.Line Renaud, mon arbre de vie. Documentaire.22.30 C dans l’air. Magazine.23.40 Entrée libre. Magazine (20min).ARTE

20.50 Kaddish pour un amipFilm Leo Kashin. Avec Ryszard Ronczewski,Neil Belakhdar, Neil Malik Abdullah (All., 2012).22.25 Le Marché de l’amourpFilm Ralf Westhoff. Avec Sebastian Weber,Anna Böger, Felix Hellmann (All., 2006, v.o.).23.50 Court-circuit. Magazine (55min).M6

20.50NCIS : Los Angeles.Série. La force adverse (S4, épisode 14, inédit) ;Le Caméléon. Blye, K [1 et 2/2] (S3, 15 à 17/24)U.0.05 Sons of Anarchy.Série. Divisions (S5, 6/13, 52min, inédit)W.

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«…Sansl’aideet lesecoursdelafemmequej’aime»

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Président : Louis DreyfusDirectrice générale :Corinne Mrejen

14 0123Vendredi 10mai 2013

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MONDEà la recherche d’une gouvernancePréface de Jean-Pierre Langellier

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La SDN après 1914-1918, l’ONU après 1939-1945 :à l’issue de chaque guerre mondiale, les dirigeantsdu monde ont mis en place des organisationscensées empêcher ou au moins encadrer le recoursà la force dans les relations internationales.Cette volonté de mettre au-dessus des Etatsdes instances supranationales est égalementà l’oeuvre dans le domaine économique,avec l’OMC ou le FMI, et en matière judiciaire,avec la Cour pénale internationale.

Page 16: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

pDel’ombreàlalumièreDesgouroustropexposés

pUntechniciendel’opinionpourHollande

décryptages

Q u’il semble loin le temps où unprésident de la République enexercice, François Mitterrand,candidat à sa propre réélectionen 1988, pouvait déclarer à voixhaute à l’endroit de son

conseillerencommunication,ensaprésen-ce : «Ce jeune homme me prend trop sou-vent pour son produit.» En l’espace de deuxdécennies, les conseillers en communica-tion,dumoins lespluscélèbresd’entreeux,semblent avoir troqué l’ombre – et la forceocculte qu’on lui prête – pour l’éclat de lalumière.Lesmésaventures récentesquiontconduitHavasWorldwide (ex-Euro RSCG) àcesser d’entretenir des relations contrac-tuelles avec desministres en exercice, à l’is-sue des malencontreuses «affaires» Cahu-zac et Strauss-Kahn, constituent un indica-teurde la visibilité croissante acquisepar leconseil en communicationpolitique.

Lesrecettesdel’undespluscélèbresd’en-treeux,toujourscélébrémaisrarementimi-té, Jacques Pilhan, tour à tour conseiller àl’Elysée de FrançoisMitterrand, puis de Jac-ques Chirac, semblent être entre-tempstombées aux oubliettes. On lui doit notam-ment d’avoir «théorisé», en effet, la straté-gie de la rareté de la parole présidentielle,dont l’impact devait reposer sur le «désir»

suscité ainsi que le devoir d’invisibilité duconseiller du prince, homme de coulissesquisefaisait fortdenepasrépondreauxsol-licitations des journalistes (on ne connaîtdeluiqu’untextepubliésousformed’entre-tien dans l’austère revue LeDébat).

Un ensemble d’épisodes récents, sansliens apparents, dont l’accumulation acontribué à exposer sur la place publiquecertainsconseillersencommunicationpoli-tique, a fini par attirer l’attention, voire àpointer du doigt dans les médias la naturemême de leur influence : avant même lespolémiques récentes liées aux gestions desaffaires Cahuzac et Strauss-KahnparHavasWorldwide sous la houlette de StéphaneFouks, le fameux épisode de la Porsche deRamzi Khiroun, un des dirigeants du grou-pe Lagardère, dans laquelle était montéeDominique Strauss-Kahn alors en précam-pagne présidentielle, en avril 2011, a ainsipurévéleraugrandjouràquelpoint le trainde vie d’un proche conseiller pouvait, sousle feu des médias et des paparazzi, êtreimputé directement au responsable politi-

que. Cette encombrantepromiscuité faisaitd’une certaine façon écho au mot d’espritde Jacques Séguéla qui, souhaitant prendrela défense de Nicolas Sarkozy mis en causepour son côté exagérément bling-bling,avait déclaré, en février 2009, dans uneinterviewtélévisée,que:«Si,à50ans,onn’apas une Rolex, on a tout de même raté savie.» Loin de disculper le président en exer-cice, le propos – qui a alimenté les débatssur Internet – a ravivé la polémique sur ladimension ostentatoire de la présidenceSarkozy.

Pour anecdotiques qu’ils soient, ces inci-dents – que les professionnels califieraientcertainement d’«erreurs de communica-tion» – illustrent parfaitement que, en pas-sant de l’ombre à la lumière, les conseillersen communication deviennent à leur tourdespersonnagespublics, sujetsdeportraitsdans la presse, auteurs de témoignages surles coulisses de leur métier, invités de pla-teaux télé, parfois conviés à se prononcersur les performances médiatiques… deleurs clients et, inévitablement, suscepti-blesdecommettreà leur tourdesbévuesens’exposant.

Cette omniprésence des conseillers lesplus en vue, bien que témoignant de leurindéniableréussite socialeetde l’importan-ce de leurs réseaux professionnels, gage desuccès dans un univers où la concurrenceestdeplusenplusvive,pourrait s’avéreraubout du compte préjudiciable à leurs com-manditaires.Acteursdevenusincontourna-bles du jeu politique en raison de la sacrali-sationdes cotesdepopularité et de ladiver-sification des supports médiatiques, lesconseillers en communication s’efforcentde rationaliser – au sens de la psychanaly-se– lecomportementduresponsablepoliti-que, en lui fournissant des raisons plausi-bles à son infortune (unepopularité en ber-ne)etdes issuespossibles (commentrebon-dir). Cette dimension essentielle de réassu-rancesymboliquequiconsisteàcroireetfai-re croire en la grandeurdupouvoir et de sesreprésentants à la fois distants (la prise dehauteur induite par la fonction) et prochesdes gouvernés (l’injonction à «être soi-même» dans les médias) achoppe désor-mais sur les artifices d’une mise en scènedont les ficelles deviennent beaucoup tropapparentes.

Les journalistes politiques manifestentainsiouvertement leur agacementà l’égardd’opérations de communication télégui-dées et n’hésitent plus à livrer publique-ment les ressortsdes«coupsde com’»dontils sont les premiers et principaux destina-taires. A leurmanière également, les succèsrencontrés par les divers programmes quis’enorgueillissent de démonter sans relâ-che les actes de communication des diri-geants politiques laissent profiler le risquebien réel qui revient à ne plus appréhenderl’activité politique qu’à partir des «artifi-ces» émanant de la communication.

Cettevictoireà la Pyrrhusd’unecommu-nication politique omnipotente résonne-rait alors comme un aveu d’échec cinglant.La communicationencourt ainsi lamenacede se réduire à unpur et simple travestisse-ment, alors que les dirigeants politiques,métamorphosésendepurset simplescom-municants, auraient, pour leur part, renon-cé à leur fonction : proposer des solutionspolitiques crédibles.p

Après les «affaires»DSK, Cahuzac ouGuéant, lesconseillers en communicationpolitiqueont été jugés res-ponsables de la défense calamiteuse de leurs clients. Aupoint que l’une des principales agences, EuroRSCG, a décla-ré vouloir cesser ses activités de conseil politique. Ces rebon-dissements annoncent-ils une crise de cemétier, qui aconnu son âged’or de la présidencede FrançoisMitterrandà celle deNicolas Sarkozy? Lesméthodes des «gourous» dela «com’» sont-elles obsolètes face aux réseaux sociaux?Qu’en est-il des connivences supposées entre journalisteset communicants? La communicationest-elle lamort ou laconditionde la politique?

Entreleprésidentet lescitoyens, il existeunproblèmedecommunication.Leprésidentparledans le vide. Les Françaisboudent. Ilsne se comprennent pas. Voilà un hommeéludepuis peupour cinqans, quasi unani-mement jugé honnête, intelligent et opi-

niâtre.Etquinepourraitéchapperaurejetpopulaire?Parcequ’ilatropd’humour?Parcequelamodetrouvesesmanches trop courtes et sa cravate de travers?Unpeud’embonpoint etunecompagnede caractère?

Pour que cela fonctionne, il faudrait inventer unmétier:techniciendel’opinion.Cemétier,quin’existepas, sera unmétier de pratique délicate.Discret, voiresecret. En contact direct avec le président, puisque

c’est le seul niveauopérant. Cemétier d’avenir n’auraqu’une justification: donner au président une forcetranquille, celle constituée par la fiabilité des prévi-sionssur lesconséquencesdesesdécisions.Pasbesoinde communicants. Pas d’experts en camouflage, pasdespécialistesdu«relookage».Cescommunicants-là,«Le Petit Journal» les tue chaque jour avec talent. Endémontantpour rire les grosses ficelles de la commu-nication de crise, la plus lucrative. En optant pour «lebusinessavant lebrain!», ils seretrouventculpar-des-sus tête. Pour avoir pris la question par le mauvaisbout: l’éliten’estpas le sujet. Le sujet, c’est l’opinion.

Le technicien fournira au président des indica-teurs d’opinion lisibles sur le tableau de bord de lagouvernance.Etablispar l’analyseet le croisementderésultatsd’enquêtes, laplupartdisponibles, augmen-tés de quelques enquêtes spécifiques. Les enquêtessur les stylesdeviepermettentdéjà l’anticipationdesétats futurs de l’opinion. Le président gardera toute

latitude, parfois à l’encontre d’un avertissement dutechnicien,mais saura qu’il court un risque. Sans cesoutils, leprésidentrisqueraitd’êtreentraînéversl’abî-medes désaffections. Sans savoir pourquoi.

Le techniciendevra être capablede créer une com-municationoriginale:unehistoire avecundébut,unmilieu et une fin. Et pas à la petite semaine! Sur lesquatreprochainesannées. Il proposeraun fil conduc-teur à communiquer, un continuum qui précise lecap et éclaire la route, pour que le président ne soitpas le jouet de l’histoire impérative dictée par le tor-rentmédiatique. S’il ne sait pas dire à son opinion cequ’ilsvontvivreensemble,unchefd’Etat laisse lapla-ce à l’ambiant. Et, en période de difficultés, l’ambiantplombe. Il donnerait alors l’impression de subir, severrait piégé à dire son impuissance, serait condam-néà être seulement réactif, c’est-à-dire en retard.

Le technicien proposera un repositionnementd’image pour évoluer de «normal» à «présidentiel»par une gestion contrôlée des apparitions publiques.Rien ne sera interdit ni obligé: le président seramaî-tre de ses interventions. Leur rareté fera leur densité.Sa personnene sera publiquementproduiteque si safonctionen tire avantage.

Letechnicienaideraleprésidentàfairevivresonhis-toireetuseradescanauxquetoutlemondeconnaît: le«on», le «off», la presse écrite, les radios et télés. Quisont à disposition, à condition de savoir en ajusterl’usage. Parce qu’il doit s’adresser à tous, le présidentaurasurtoutrecoursà la télévision,exerciceobligatoi-re et jamais sans conséquence. Autiliser avec pruden-ce, car, pour son image, c’est un outil de constructionou de destruction massive. Il ne portera pas d’atten-tion excessive aux «nouveaux» médias, comme lesnews radio-télé en continu, ou les blogs et plates-for-mes de réseauxWeb, car leur actualité est hystérique.Le technicien connaîtra la vertu du silence, la variétédes rythmes médiatiques, les symboles exclusifs dupouvoir, lesmarqueursd’opinion.Et lesensdesgestes.

Reste à inventer ce technicien, pour que la recon-quête de l’opinion soit possible. Soit plus de30points. Invraisemblable, direz-vous? Pour moi,l’invraisemblable, c’est un monde en misère glori-fiant tous les ans 200milliardairesdeplus, un cham-pion gagnant sept fois le Tour de France sans«moteur». Par comparaison, aider François Hollan-de à être unprésident respecté, c’est cool. p

PhilippeRiutortChercheur au sein du laboratoire

commmunication et politique (CNRS),auteur de «Sociologie

de la communication politique»(LaDécouverte, 2007)

Lacommunication,opiumdupolitique?

GérardColéExpert en communication politique,

ancien conseiller de FrançoisMitterrand

L’omniprésence desconseillers lesplus en

vue, bienque témoignantde leur indéniableréussite, pourrait

s’avérer préjudiciableà leurs commanditaires

Le technicien connaîtra lavertudusilence, lavariétédes rythmes

médiatiques, lesmarqueursd’opinion

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débats

DominiqueCardonSociologue

La caricature est toute prête, lesmots sont là pour dénoncer :«connivence» pour nommerles petits arrangements entre« amis » ; «manipulation»pour rejeter ceuxqu’onappelle

les «communicants». Qu’ils soient atta-chés de presse, «dircom», consultants ouconseillers en communication, ils sontparticulièrement présents dans l’universpolitique. Ils parviennent de manièrecroissanteàconstruirecequ’ilsnommentdes «cordons sanitaires» pour devenirdes «filtres» entre les sources primaires(les professionnels de la politique, lesautres conseillers, les fonctionnaires desadministrations…)et les journalistes.

De leur côté, les journalistes sont desproiesdeplusenplusfaciles : laquêted’in-formationsupposedesmoyensconsidéra-bles que les rédactions ne possèdent plus,les logiquesde flux les poussent à produi-re des articles en nombre croissant et leplusvitepossible.Autantdirequelesjour-nalistes n’ont pas toujours la possibilitéde mener des investigations imposanttempset recoupementspatients.Certainss’enremettentd’autantplusàdescommu-nicants prêts à produire un discours surmesure, à leur raconter des histoires ajus-tées aux logiques et formatsmédiatiquesqui éviteront d’aller plus loin et ailleurs.

Unoxymorepermetdedépasserlesana-thèmesoulessimplesantagonismes. Jour-nalistes et communicants sont bien des«associés-rivaux». Forgé par le sociologueFrançois Bourricaud (1922-1991) pour dési-gner d’autres types d’acteurs, le conceptrappellequecertainesrelationsdepouvoircontraignent ses occupants à produire descompromis, sans que les tiers non initiéspuissent en comprendre les logiques éloi-gnéesdudiscourspublic enchanté.

Journalistesetcommunicantssontain-si rivaux, en particulier parce qu’ils ten-tentd’imposerunedéfinitionde l’actuali-té différente – les uns s’intéressent auxtrains qui n’arrivent pas à l’heure quandles autres sont rétribués pour faire croireque tout est fait pour que le plus de trainsarrivent à l’heure. Les uns tendent à sefocaliser sur les discontinuités et autresdysfonctionnements du monde social.Les autres seproposentde«positiver» lespouvoirs et leurs occupants.

Necourantpaspour lesmêmesenjeux,

leurs relations sont faites de tensions for-tes, notamment parce que la plupart desjournalistes accèdent directement à dessources complémentaires – et en particu-lier aux professionnels de la politique etaux premiers cercles – leur permettantd’éclairer autrement la situation ou, plusencore, parce qu’un communicant serapersuadé que le contenu d’un article des-sert sonmentor.

Franchir le RubiconContrairementàuneidéereçue, lesuni-

verssontsidifférentsquepeudejournalis-tes deviennent communicants, franchis-sant alors ce qu’ils appellent le Rubicon.Les casmédiatisés qui brouillent les fron-tières – tel présentateur devenantconseiller du président, telle anciennejournalisteétantengagéeparunresponsa-ble de parti – sont statistiquement peusignificatifs.Lesfilièresd’accèssontsingu-lières, même si de nombreux communi-cantsontunrapportnonneutreaujourna-lisme, ayant souvent souhaité très jeunesaccéder à cet univers. Il leur en reste unmélangede répulsion et d’attirance, voirede fascination, qui explique leur propen-sion à penser qu’une bonne stratégie decommunication passe forcément par desmédiastroprétifs.Lescommunicantspeu-vent être d’autant plus tendus avec lesjournalistes qu’eux-mêmes subissent lespressions de commanditaires imaginantqu’une conférence de presse ou qu’unpetit déjeuner doivent susciter un retoursur investissement immédiat.

Journalistesetcommunicantssontaus-si associés parce qu’ils savent qu’ils seretrouverontdemain.Ayantdes«ressour-ces»mutuellesquinesontpassiasymétri-ques, ces différents acteurs ne s’imposentjamaisdéfinitivement:«Nepouvantespé-rer durablement se débarrasser de l’autre,ils n’ont d’autres choix que de négocier»,écrivait Bourricaud.

Chacunabesoinde l’autre, les commu-nicants pour forger une bonne image deleur«patron», lesjournalistespourdispo-ser d’informations, de contacts, d’analy-ses de la situation pour étayer leurs arti-cles ou plus prosaïquement du discoursd’un ministre en amont… Leurs relationssont alors faites aussi de séduction où semêlent tutoiement, humour et confes-sions personnelles plus oumoins contrô-lées. Leur association est à la hauteur descroyances communes qui structurentleurquotidien, notamment les effets sup-posésmassifs desmédias sur les citoyensou l’importance du jeu politique, de sesconcurrencesinternes,desespetitesphra-ses, ce que les Américains ont qualifié de«course de chevaux». p

Charité bien ordonnée com-mence par soi-même et lamoindre des choses pour lesconseillers en communica-tionestbienderéussirsapro-pre communication.

Ils l’ontfaitau-delàde leursespérances.Nonseulementilsontsuimposerleurpré-senceaupremierplandescampagnesélec-torales, mais ils sont aussi sollicités pourpromouvoirdespolitiquesgouvernemen-tales ou les objectifs des lobbies.

On n’imagine plus un dirigeant ambi-tieuxouunparti politiquequi ne recourepas à leurs services. Souvent au service deplusieurs, car on ne saurait jamais êtretrop bien conseillé. La profession a ainsiprospéré dans le sillage de quelques figu-res importantes ou astucieuses, au gréd’épisodesquinourrissent le prestige.

A côté des têtes d’affiche, les conseillerssont devenus de plus en plus apparents.Chacunsupputaitleurrôledanslaconquê-te ou l’exercice du pouvoir d’un chef degouvernement ou d’Etat, celui d’un Alas-tair John Campbell auprès de Tony Blair,d’un Karl Rove auprès de George Bush Jr,d’unJacquesPilhanauprèsdeFrançoisMit-terrandavant JacquesChirac.

Certains ont pris en main leur proprepromotion, au point que l’on se demandeparfoissi cen’estpas JacquesSéguélaquiagagné l’électionprésidentiellede 1981. Lesautresont laissédire ennedémentantpasles rumeurs leur prêtant une très grandeinfluence,enagrémentantleursconfiden-cesdestitresetnomsdesgrandspersonna-ges rencontrés, en les nommant par leurprénompour se prévaloir d’une intimité,endistillant quelques secrets.

Etnaturellement,lesspécialistesdusto-ry telling se sont ainsi offert personnelle-ment en sujets de récits pour le cinéma,par exemple brillants seconds rôles auxcôtésd’unpremierministre commeTonyBlair dans The Queen, ou d’un fictif etromantiqueprésidentdesEtats-Unis, rap-pelé sans cesse à la courbe des sondagespar son conseiller le plus proche dansLe Président et Miss Wade. A moins que lafigure du conseiller ne se mue en hérosdémocratique dans le récent film chilienNo, où le conseiller en communicationdevient l’acteur principal de la chute dugénéral Pinochet. Il est vrai que leconseillerdudictateurn’était autre que lepatronduhéros.

Cen’est sansdoutepas lemoindre suc-cès des conseillers en communicationqued’avoir réussi par desprocédésmora-lement ambigus. Comme tous les candi-dats aux élections ne peuvent gagner,tous les conseillers non plus. Sauf àconseiller les adversaires.

Lesgrandsgroupespeuventprétendre,

tel Euro RSCG, que ce ne sont pas lesmêmes équipes qui «conçoivent» lescampagnes des rivaux, d’autresconseillers peuvent prétendre conseillerplusieurs candidats, comme ce sondeurqui se vantait de «trois électionsprésiden-tielles pour dix-sept candidats ». Sansconflit d’intérêts, cela va sans dire…

Il restedoncquelqueparfumsulfureuxà une profession qui a d’abord prospérédans l’ombre, comme toute activité nou-velleetpeulégitime, spécialementdans ladémocratie, où l’opinion est censée êtresouveraine et l’engagement être motivépar des convictionset l’altruisme.

Le mystère a sans doute contribué lepremier à la renommée des conseillers.Après l’ère des éminencesgrises, les semi-dévoilements ne l’ont pas contrariée enconjuguant les prestiges ambigus de lapuissance et du cynisme, selon cetteexpression anglaise de spin doctors donton ne saurait dire si elle exprime d’abordlaréprobation, l’admiration,ousiellerelè-ved’une approche froidement réaliste.

La grande réussite collective desconseillersencommunicationestdoncdefaire croire. Et d’abord en eux. Elle estd’autant plus grande qu’ils y sont parve-nus par un savoir-faire élémentaireemprunté à la publicité. Connaissance dumarché, c’est-à-dire du public, segmenta-tionde cepublic, enpolitiquepardes son-dages et des focus groups, et applicationde recettes empruntées à une sommairepsychologiesocialepourprésenterlespro-

duits, soit, enpolitique, des candidats, desimages, des décisions.

L’activitéaaussiprospéréd’elle-même,selonlavieillestratégieduDocteurKnock,puisque l’existence d’unemesure perma-nente de l’opinion publique impose leurconseil pour gérer cette opinion. Les son-dages sont-ils «mauvais»? Les conseillersen communication interviennent pour«redresser» lamauvaise image.

L’intervention des conseillers en com-munication politique s’inscrit sans doutedans la longue tradition des conseillersdes princes. Elle se renforce aujourd’huide la professionnalisation politique, de ladivision du travail politique, de la relèvedesmilitantspardesexpertsmercenaires.

Il ne faut pas accuser les communi-cants des maux dont ils profitent. On nesaurait les en exonérer non plus. Ils necontraignentpas les dirigeants politiquesà les employer.

Ilsontnéanmoinscontribuéàintrodui-re plus d’argent en politique et, en s’étantrendus indispensables, ils ont su fairepayer leur concours, augmentant les

coûts de la politique payés par l’Etat etdonc les contribuables.

Mais la désillusion démocratique doitplus encore à la nouvelle économie sym-bolique instituée par le marketing politi-que. Est-il sans conséquence que lescitoyens soient assimilés à des consom-mateurs, auxquels s’appliquent des pro-cédés issus de la publicité marchande?Ces citoyens le sont-ils encore lorsqu’ilssont les «cibles»de tactiquesetde calculscyniques?

Car l’objectif de la communication estbien de gagner. A n’importe quel prix ?Cher, si l’onconsidère les coûts financiers,et plus cher encore si l’on considère lescoûtsmoraux infligés à la démocratie.

On ne peut plus l’ignorer, comme onl’avait fait devant des campagnes publici-taires célèbres commecelle d’EdwardBer-nays, employé par American Tobaccopour briser le tabou interdisant aux fem-mesde fumer enpublic.

Sur les conseils d’un psychanalysteassociant la cigarette à un pénis, Bernaysse persuada d’associer le féminisme à lapromotion du tabac et organisa, à l’occa-sionde la célèbre parade de Pâques 1929 àNew York, la scène d’un groupe de jeunesfemmesallumantensembleunecigarettedevant les photographes.

Le lendemain, cette scène de suffraget-tes allumant des «flambeaux de la liber-té» (torch of freedom) fit le tour des Etats-Unis. On sait aujourd’hui que « fumertue». p

Dans nos démocraties, la politiques’énonce deux fois : en son centre,dans les médias et les institutionsreprésentatives,et enpériphérie,danslemaillage foisonnant etmultiple desconversationsdes citoyens.

Acette coupure, tenuepour responsablede la crisede la démocratie représentative, le numérique – etnotamment les réseaux sociaux sur Internet – pré-tend apporter un remède. En rapprochant ces deuxterritoires séparés de la parole politique, Internetviendrait décloisonner un espace politico-médiati-que clos sur lui-même etmomifié par les profession-nels de la communication.

Favorisant l’expression des citoyens ordinaires,rendantvisibles lesdiscussionsde la sociabilité, com-mentant, moquant et relayant les informations desmédias, la bruyante conversation des internautes nes’évaporeplusdans les cercles sociauxde laviequoti-dienne. Visible, frondeuse, virale, elle est désormaisaucontactdes lieuxd’énonciationdelapolitiquepro-fessionnelle.Alafaveurdecetélargissementdel’espa-ce public, un échange plus direct, sans intermédiaireni pare-feu, permettrait d’encourager une démocra-tie plusouverte et participative.

Ce serait pourtant seméprendre que de croire quece rapprochement est susceptible de révolutionnerles formes de la communication politique tradition-nelle.Ilyaplutôtlieudepenserquel’expressivitépoli-tique sur Internet traduit plus un déplacement ducentrede gravitédenosdémocratiesvers une sociétécivileplurielle, critiqueetdeplusenplusautonomeàl’égarddes gouvernants qu’un renforcement des for-mes de fidélisation et d’affiliation aux structures etauxpersonnalitésde la démocratie représentative.

C’està cette contradictionqueseheurtent les tech-niquesde communicationmisesenplacepar les pro-fessionnels du marketing politique. Pour eux, Inter-netn’estsouventqu’unnouveaumédiaauxpotentia-lités inférieuresà celles de la télévision. Et l’expérien-ce des récentes campagnes électorales numériquesne contredit pas ce diagnostic. Aussi la modeste partdes budgets de communication destinée au numéri-queest-elle consacréeà la réalisationdesitespermet-tant la mise à disposition des messages, discours,vidéos et matériel de campagne des hommes et desfemmes politiques selon une logique qui ne diffèreguèredestechniquesdecommunicationtraditionnel-les. Tout au plus la diffusion numérique permet-ellede déplacer quelques lignes pour accélérer le tempod’une information, la décadrer, l’enrichir ou la testersous formedeballond’essai.

L’exercice s’avère beaucoup plus délicat lorsqu’ils’agit de faire entrer les hommes politiques dans laconversation des internautes. Car dans le monde deFacebook,deTwitteroudesblogs, ilestrequisd’enten-dre une voix personnelle et non une parole déléguéeàdesprofessionnels selon leprincipedeventriloquie

qui caractérise aujourd’hui la communicationpoliti-que. Ceux qui la contrefont sont vite démasqués parlesinternautes.Certes,certainsacteurspolitiquesontprofité de cette exigence d’authenticité pour se libé-rerdufardeauencombrantdeleurscommunicantsetontreçuunaccueilplutôtfavorable,mêmesisouventtumultueux,des internautes.

Mais il faut cependant observer que cette stratégied’émancipation est, elle aussi, rattrapée par des logi-ques communicationnelles. Plutôt que desmessagespasse-partout et dévitalisés, les jeunes communi-cants numériques sculptent des phrases vives, déca-lées et virales. Plutôt que d’encadrer le discours deshommespolitiques, ils instrumententsaréceptionenorganisant des équipes de bénévoles chargées – telleuneclaque–d’applaudiretdediffuserentempsréellabonne interprétationdes discours de ceux qu’ils sou-tiennent. Plutôt que de façonner positivement desidentitéspolitiques, ils installentdescellulesderipos-te afin de faire face aux risques de discrédits que leremue-ménage du Web pourrait faire subir à leursclients. Les logiques du calcul, du buzz et la quête ins-trumentaledevisibilité sontdevenuesdans la sphèreélargie du commentaire politique numérique unenouvelle culture faite de vitesse, d’à-propos cinglant,de storytelling, de tweetclashetdepunchlineaiguisés.

Tout montre pourtant que ce nouvel espace de ladiscussionpolitique,aussiélargisoit-il, resteunentre-soi, qui s’est simplementétenduà ceuxdes internau-tes qui disposent d’un fort capital politique et d’unintérêt affirmé pour l’information. Comme l’a souli-gné l’enquête Mediapolis du Centre de recherchespolitiques de Sciences Po (Cevipof), l’enrichissementde l’information politique sur le Web augmente lesressourcesdeceuxquisontdéjà très informésetdontles choix politiques sont acquis et stables. Mais ellen’a guère d’influence sur les autres.

A très grandevitesse et dansun style plus désinhi-béquesur lesmédias classiques, la twittosphèrepoli-tique perpétue la compétition que se livrent acteurspolitiques, journalistes,professionnelsde la commu-nication, et une nouvelle frange d’internautes pourimposer des interprétations dominantes des actionspolitiques. Les journalistes y participent désormaispleinement. Mais ils auraient tort d’avoir le senti-mentde rencontrerpar ce biais la France électorale.

Aufond,lerapprochementsurleWebdesdeuxfor-mes d’énonciation du politique est aussi un conflitentredeuxconceptionsdupublic.Cellequedéploielacommunication politique est celle d’un public qu’ilfaut séduire, influencer et synchroniser afin de pro-duire des effets de visibilitémesurables dans la com-pétitionpartisane.Or les formesdiffuses,distantesetargumentativesde«politiquepar lebas»qui s’expri-ment dans la conversation numérique renvoient àune conceptiondu public affranchi de l’espace parti-san et de ses techniquesde séduction. p

pRivalitécourtoiseentrejournalistesetcommunicants

Lagranderéussitecollectivedesconseillersencommunicationestdoncdefairecroire…ettoutd’abordeneux

AlainGarrigouProfesseur en sciences politiquesà l’université Paris-X-Nanterre

Visible,frondeuse,virale, laconversationdesinternautesestdésormaisaucontactdeslieuxd’énonciationdelapolitiqueprofessionnelle

Jean-BaptisteLegavreDirecteur de l’école de journalisme

de l’Institut français de presseUniversité Panthéon-Assas (Paris-II)

¶DominiqueCardon estl’auteur deLa DémocratieInternet (Paris,Seuil, coll. «LaRépublique desidées», 2010). Il aédité le n˚177 dela revue Réseaux,«Politiquedes algorithmes»(La Découverte,avril 2013).

pOmniprésents, les«spindoctors»infligentuncoûtmoralàladémocratie

pLenumérique,peuinvestiparlespolitiquesFacebooketTwitter, lieuxdelasociétécivile

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Suite de la première page

Pour laFranceenparticulier,quise voulait enpointe dans le sou-tien aux «résistants» syriens.Car le plan consiste à reprendreun «communiqué» négocié àGenève en juillet2012, texte lar-gementdictéparMoscouetréus-sissant le tour de force sémanti-

que de placer au même niveauvictimesetbourreaux.

Que se trame-t-il? Le rappro-chement russo-américain quid’ors et déjà relègue les Euro-péensàunrangsubsidiaire,s’ins-critdansuncanevascomplexe.

1) Le dossier syrien, aussi san-guinaire soit-il, n’a jamais été« traité» par les diplomatiesqu’enlienaveclaproblématiquedunucléaire iranien.

2) Les récents raids israélienscontredes sites enSyrie visaientàdémontrerquel’Etatjuifdéfen-drait «ses» lignes rouges. Celles-cin’ontrienàvoiravecl’ampleurdes crimes perpétrés en Syrie,mais relèvent exclusivement dela perception d’une menacepesant sur la sécurité d’Israël (lefacteurduHezbollah libanais liéà l’IranetactifenSyrie).Cesraidsétaient un message adresséautant à Téhéran qu’àWashing-ton, sur le mode: «Si les lignesrouges sur le nucléaire iranienne sont pas mieux défenduesque celles sur chimique syrien,ons’enchargera.»

3)Ladiffusionintensed’infor-mations sur un usage d’armeschimiques, démontré ou non,aura «habillé» les raids israé-liens d’un vernis de légitimité.

Comme si Israël menait unemini-guerre préventive servantl’intérêt de tous – Russes com-pris–,onaurarelevé,aupassage,l’extrême et inhabituellemodé-ration de la diplomatie russeaprèsces raids.

4)La conférenceinternationa-le voulue par M.Obama sur laSyrie préfigure le traitementqu’il entend réserver au dossiernucléaireiranien.C’estunballond’essai, en quelque sorte. L’op-tion militaire reste la hantised’unprésident américaindécidéà éviter tout nouveau bourbierpour son pays. Le spectre de laguerred’Iraketdesoncortègedemensonges à propos d’armes dedestruction continue de hanterle successeurdeGeorgeW.Bush.

Hillary Clinton, marquée parle drame bosniaque, plaidait ausein de l’administration améri-caine, à l’été 2012, en faveur delivraisonsd’armesàdesgroupesde rebelles syriens, pour modi-fierlerapportdeforcessurleter-rain – une position affichéeensuiteparlaFranceet leRoyau-me-Uni,quoiqu’avecmoinsd’en-trainaujourd’hui.

JohnKerryaétéchargéd’adop-teruneposturemoinsoffensive.On peut l’expliquer. Les crisesdu Moyen-Orient s’imbriquentles unes dans les autres commedes dossiers-gigognes. Enentrant dans cette séquencediplomatique, la crédibilité desOccidentaux n’est pas au beaufixe.L’expression«lignerouge»aété vidéede son sens. Les civilssyriens continuent de subir unetragédie à l’ombre d’un imbro-glio stratégique jugé beaucoupplus grave que leur propre sortdemartyrisés: lecas iranienet ledanger d’une proliférationnucléaireauMoyen-Orient.p

ANALYSEpar Laurent ZecchiniCorrespondant à Jérusalem

Les Israéliens et les Palestinienssaluent l’énergie avec laquelleJohnKerrys’estatteléàcequelesCas-sandre qualifient demission impos-sible : ressusciter un processus depaix qui n’a donné aucun signe de

viedepuisdeuxansetdemi. Lespremiers,dontl’agenda politique n’a pas changé d’un iota,sont un rien goguenards devant le soupçon denaïvetéqu’ils croientdécelerdans la«diploma-tie discrète» professée par le secrétaire d’Etataméricain, et sa méthode en forme d’aphoris-me: «Mieux vaut faire bien que vite.»

Les seconds, qui ont vu passer à Ramallahtant de prédécesseurs de M.Kerry, ne se fontquepeud’illusions,maisn’ontd’autrealternati-ve que de faire confiance, une fois de plus, à ladiplomatie américaine, d’autant que celle-ci sepropose de déverser sur la Palestine des mil-lions de dollars d’aide économique. L’anciensénateurduMassachusettsaobtenucarteblan-che de Barack Obama, lequel ne souhaite pasapparaîtreenpremière ligne surundossierquine vaut en général que des déboires aux prési-dents américains.

M.Kerryestloind’êtreunnéophytesurlePro-che-Orient,maissastratégie,enapparencenova-trice, ne l’est pas au fond. Puisque les acteurs decevieuxconflit,parmanquedevisionpolitique,nepeuvent se résoudreà faire les gestes depaixpourengagerunprocessusvertueux,il fautlesyinciter.Comment?D’aborden lançantunmini-planMarshall pour la Palestine, sur la based’unpartenariat entre secteurs privé et public, grâceauquel des investissementsmassifs pourraientgénérerdesmilliers d’emplois enCisjordanie.

De grandes entreprises américaines, dontCoca-Cola, et européennes vont être invitées àinvestirdans les territoiresoccupés.Avecun tis-suéconomiquerégénéré,lesPalestinienstouche-ront par avance les dividendes de la paix, ce quilesinciteraàreveniràlatabledesnégociations.Al’avenir,MahmoudAbbas,présidentde l’Autori-tépalestinienne,auraitmoinsdemalà convain-cre son peuple que sa stratégie est porteused’uneaméliorationdeses conditionsdevie.

Il n’est pas sûr que le soda, qui incarne tantl’Amérique et, de facto, son soutien indéfectibleà Israël, soit lemeilleurambassadeurd’unepoli-tique qui ressemble étrangement à celle de la«paix économique»miseenœuvredepuis qua-tre ans par le premierministre israélien, Benya-minNétanyahou,enlieuetplacedetouteconces-sion. Les Palestiniens qui y ont vu une potionanesthésiante destinée à endormir leurs velléi-tés de révolte contre l’occupation israéliennen’ontpastort. Leproblèmec’estque,à leurcorps

défendant, ils ont collaboréà cedessein.Salam Fayyad, le premier ministre palesti-

nien démissionnaire, a été l’artisan d’un déve-loppement économiquede la Cisjordanie portéàboutdebraspar lesbailleursde fonds interna-tionaux.Maislevoletpolitiquen’apasaccompa-gnéseseffortspourremettredelarigueurfinan-cièredans lagestionde l’Autoritépalestinienne.Riend’étonnant siM.Nétanyahoua applaudi leplan de John Kerry: les investissements étran-gers en Cisjordanie, qui économisent un far-deau financierà Israël, sont les bienvenus.

Entrave du carcan sécuritaireEn réalité, la stratégie économique américaine

ne fera pas progresser la solution à deux Etats siWashingtonn’incitepasfermement lesIsraéliensà fairedes concessions. Cequi entrave le dévelop-pement de la Cisjordanie et le processus de paix,c’estmoinsl’absenced’investissementsquelecar-cansécuritaire imposépar l’Etat juif : les entravesà la libertédecirculation, les check-points, lesper-mis de travail en Israël, le tracé du «mur» quiampute les terres agricoles, les destructions demaisons, la colonisation, la répression…

Développer le tourisme, les transports, lesinfrastructures, favoriser les créations d’entre-prises?Les Israéliensassurentavoirtoujoursétépour, à condition de respecter les impératifs desécurité du pays. Le mantra officiel est connu:tout assouplissement des conditions économi-quesayantforcémentunimpactsécuritairedoit

fairel’objetd’unenégociationpolitique.C’estcet-te logique inébranlable que devra affronterJohnKerry. Déjà incertaine, sa croisade ne s’an-nonce pas sous les meilleurs auspices depuisl’annoncedudépartdeSalamFayyad,dontl’inté-gritérisquedefairedéfautaumomentoùl’Auto-ritépalestiniennepourraitbénéficierd’uneman-ne financière.

Lesecrétaired’Etataméricainsaitbienque levolet économique doit aller de pair avec desavancéespolitiques.C’estpourcelaqu’ilaquali-fiéde «très grandpas enavant» le toilettagedel’Initiative de paix arabe de 2002. Las, tout enexprimant immédiatement ses «réserves»,M.Nétanyahou a apporté son soutien à NaftaliBennett,ministredel’économieetchefdupartinationaliste religieux La Maison juive, quidemandequetoutaccorddepaixavec lesPales-tiniens soit sanctionnépar un référendum.

Venant d’un homme qui demande l’an-nexionpureet simplede laCisjordanie, l’objec-tif d’une telle «exigence démocratique» esttransparent: faire capoter tout accord de paix.Après d’autres, John Kerry s’aperçoit qu’Israëls’accommode fort bien d’une situation sanspaix ni guerre. Ce qui l’incite à relativiser lechamp du possible : l’antagonisme israélo-palestinien, a-t-il jugé, est« leplus important, leplus long, le plus compliqué et le plus contra-riantde tous les conflits internationaux». p

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ÉDITORIALNATALIE NOUGAYRÈDE

Gouvernance mondiale : voilà unconceptenvogue,maisdontl’histoi-re est ancienne. Le terme «gouver-

nance» apparaît au XIIIe siècle pour quali-fier l’«art de gouverner les hommes». Etpourquoi pas, idéalement, «tous les hom-mes»? Le philosophe allemand Emma-nuel Kant préconise, en 1795, la créationd’unefédérationd’Etatslibres–une«socié-té des nations». C’est le nomque les vain-queursdelaguerrede1914-1918donnerontà lapremièrealliancedesécurité collectiveà vocation universelle. Les parrains de laSociété des nations (SDN, 1919-1946)auront pour ambition d’assurer la paix etde faciliter la coopérationentreEtats.

La gouvernanceest aujourd’huiunmotfourre-tout.Ceconceptpourraitêtredéfinicomme l’aspiration des nations à gérer etréguler ensemble les problèmes tradition-nelsliésaumaintiendelapaixetceux,plusnouveaux, issus de la mondialisation, cesproblèmes «sans passeport» : la faim, lapauvreté,lespandémies,lechangementcli-matique, la biodiversité, la criminalitétransnationale, la prolifération nucléaireou le terrorisme.

Dansununiversdeplusenplusinterdé-pendant, mais dépourvu de gouverne-ment mondial, la gouvernance impliquel’idée que les multiples acteurs en jeu–Etats, organisations internationales,ONG, entreprises multinationales – peu-vent s’accorder sur ladéfinitiond’objectifscommuns et sur les moyens de les attein-dre.Elles’inscritdansunnouvelordremon-

dial marqué par la montée en puissancedes grands pays émergents (Chine, Russie,Inde,Brésil,AfriqueduSud).

Cet ordre international en mutationrepose sur trois piliers indépendants, lapaix, le développement et les droits del’homme, qui correspondent à trois préoc-cupations: la quête d’une sécurité collecti-ve, la construction d’une économie mon-dialeplusouverteetplusjusteet ladifficilemiseenplaced’une justice internationale.

Comme la SDN, l’ONU, née en 1945, apour principal objectif le maintien de lapaix. Avant même la fin de la secondeguerre mondiale, un nouvel ordre écono-miquemondial s’étaitmis en place à Bret-ton Woods, qui visait à établir entre lesmonnaies des taux de change fixes. Ilconsacrait la suprématie du dollar, seulemonnaie convertible en or. Deux organis-mes étaient la clé de voûte de cet ordre,auquel ilsontsurvécu: leFondsmonétaireinternational (FMI) et laBanquemondiale.

Lamort de ce système incitera les gran-des puissances à renforcer leur concerta-tion, au sein duG6, devenuG7, puisG8. Lebasculement de l’Asie et de l’AmériqueduSuddanslamondialisation,lacrisedessub-primes (2007) et la bonne résistance des

pays émergents accouchent du G20 quiaccorde aux colosses du Sud leur placedans la«cabinedepilotage».

Entre-temps, un autre passage detémoinaeu lieu:entre l’accordgénéral surles tarifs douaniers et le commerce (GATT)et l’Organisation mondiale du commerce(OMC).L’OMCrégit le commercedesbiens,desservicesetdesdroitsdepropriétéintel-lectuelle.Enmarged’unsommetdel’OMC,àSeattle, en 1999,unenouvelle forceappa-raît,quiseveutreprésentativedela«socié-té civile»: l’altermondialisme.

Au lendemain de la guerre de 1939-1945,les Alliés avaient jugé les dirigeants nazis.Un demi-siècle plus tard, après le retour dela barbarie en Europe (Croatie, Bosnie),l’ONU crée une nouvelle juridiction : le Tri-

bunalpénal internationalpourl’ex-Yougos-lavie(TPIY), installéàLaHaye.Samiseenpla-cecorrespondàcelled’unejusticeuniversel-le que l’onne saurait attendredes Etats, soitparce qu’ils sont eux-mêmes responsablesdescrimes,soitparcequ’ilsontd’autresprio-rités. Dans le même esprit, un Tribunalpénal international pour le Rwanda (TPIR)juge les responsables dugénocidede 1994.

LesdeuxTPIont ouvert la voie à la créa-tion,en2002,d’une juridictionpermanen-te, laCourpénaleinternationale(CPI).Fleu-rondelagouvernancemondiale,laCPIdoitcomposer avec les Etats qui lui rappellentsanscessequ’il n’existepasdepolice inter-nationale. Mais ses partisans les plus fer-ventsespèrentqu’elleéviteraaumondedevoir les atrocités du siècle dernier se répé-ter indéfiniment. p

Jean-PierreLangellier

Prochaine parution : Espace, de la Lune à Mars.Sortie jeudi 23mai.

ISRAËLS’ARRANGEFORT BIENDE LA

SITUATIONSANSPAIX NIGUERRE

Monde:àlarecherched’unegouvernanceComprendreunmondequichangeSeizièmevolumede lacollectionpubliéepar«LeMonde»

analyses

Coca-Colaausecoursde laPalestine?

«LeMondeHistoire»sur France Inter

Paix,développementetdroitsdel’homme,

troispilierspourunordreinternationalenmutation

Syrie: le renoncementoccidental

Chaque samedi, France Inter proposeun rendez-vous présenté parJean Lebrun, à 7 h 43, dans lamatinale.En partenariat avec Le Monde, cettechronique est l’occasion de développerles grands thèmes de la collection«LeMondeHistoire. Comprendreunmonde qui change»,avec les auteurs des livres.

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18 0123Vendredi 10mai 2013

Page 19: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

enquête

En 2005, alors qu’il vivait uneannus horribilis, Alex Fergu-sonévoquaunepossiblecessa-tiondesesactivités.Sonautori-té, qu’il avait su imposer avecune poigne de fer sur le banc

de Manchester United (MU pour les inti-mes), était contestée. Les supporteurs desRed Devils, révulsés par une défaite àdomicile face à Blackburn, avaient osé sif-fler l’entraîneur, légende du club si vivan-te qu’elle avait fini par se confondre aveclui.LefierEcossaisenvisageaitsondépart:«Je sais que cela peut survenir n’importequand. Je n’irai pas ailleurs et ce pour uneraison simple : vous ne pouvez pas allerailleurs quandvous avez connu ce club.»

A71 ans, dont vingt-sept passés àMU, lemanageuratenuparoleenannonçantmer-credi8maiqu’il tireraitsarévérenceàlafind’une saison réussie. Les Diables rouges,équipe la plus titrée d’Angleterre, ontrepris lacouronneauxrivauxdeManches-ter City. Pour succéder à «Fergie», le nomd’un autre Ecossais est avancé : DavidMoyes,manageurd’Everton.Mais Sir Alexdevrait rester dans l’organigramme duclubenoccupantdesfonctionsaprioriaus-si imprécisesqu’honorifiquesdedirecteuret d’ambassadeur. Il part après avoir rem-porté 38 trophées, dont treize champion-nats, cinq Coupes d’Angleterre, et deuxLigues des champions. Derrière ce palma-rès ahurissant se cache une satisfactionrégionale, liée à une autre équipe aumaillotrouge.«Monplusgranddéfiestder-rièremoi, c’estd’avoir fait tomberLiverpoolde son putain de piédestal !», confiait-il en2002auquotidienTheGuardian.

L’informationa fait l’ouverturedu jour-nalde laBBC, éclipsant lediscoursde la rei-ne. Et les réactions affluent. Le premierministre,DavidCameron,aestiméquecet-tesagedécisionconstituaitunebonnenou-velle pour son club de cœur, Aston Villa.L’ancien joueur de MU Michael Owen asalué le «meilleur entraîneurde l’histoire».Plus politique, le président de l’UEFA,MichelPlatini,arelevéque«sonCVestpres-que exceptionnel dans une profession quirepose sur le résultat et qui normalementprivilégie les solutions de court terme à lavisiondu long terme».

Carplusquelapaged’unclub,c’estsansdouteunchapitrede l’histoiredu football

quisereferme.L’exceptionnellelongévitéde Ferguson fait figure d’anomalie à uneépoqueoù les entraîneursvalsentdebancen banc. En Premier League, il ne devraitresterqu’unMohican, s’il demeureàArse-nal où il est arrivé en 1996 : l’AlsacienArsèneWenger, son ennemi juré.

Le préretraité a salué Bobby Charlton,hérosdelaCoupedumonde1966puisdiri-geant d’United, qui lui a «offert la confian-ceet le tempsnécessairepour construireunclubde football, et pas seulementune équi-pedefootball».Anoblien1999,SirAlexFer-guson occupe déjà la plus haute place, aucôté d’un autre sir écossais, Matt Busby,dont le magistère s’est exercé du lende-main de la guerre à 1971. Dès novem-bre2012, il avait été canonisé vivant. Unestatueenbronzemassifàsoneffigiefutéle-véeauxabordsdustaded’OldTrafford,voi-sinant avec celles des autres immortels –Busbyet la «sainte trinité» de joueurs queforment Charlton, Dennis Law et GeorgeBest. Lorsdu25e anniversairedesaprisedefonctions, une tribune fut rebaptisée ensonhonneur.EnbattantlerecorddeBusby,Ferguson doutait que «cela se reproduiseun jour», s’estimant «chanceuxd’avoir purester tout ce temps».

La chance y est peut-être pour quelquechose, le caractère plus sûrement. Pourtenir, levétérann’apashésitéàseconduireen parfait autocrate, dépourvu d’étatsd’âme.Taiseuxet hautain avecdesmédiasqu’il abhorre, il a su se faire craindrede sesjoueursqui redoutaient ses coups de sang,surnommés«l’effet sèche-cheveux».

Lorsqu’il en prend les commandes le6novembre 1986,MU semorfond dans sasplendeur passée. L’entraîneur Ron Atkin-son a été renvoyé. D’emblée, son succes-seur s’affirme: il dénonce la déplorablehygiène de vie de quelques piliers de pubde son effectif, dont la star Bryan Robson.La décennie est encore dominée par les«Reds» de Liverpool. Son dessein est d’ymettre fin. Il envoie un premier signal aulendemain de Noël, quand ses hommess’imposentsur lapelousedes rivaux.

Cela ne suffit pas à contenter les fans.Ses troispremières saisons, blanches, sontsanctionnéesparledéploiementàOldTraf-ford d’une banderole exigeant son renvoi.Les journalistesne sontguère impression-nés par son pedigree, pourtant éloquent.Le natif de Govan, banlieue miséreuse deGlasgow, a peu flambé comme attaquanten Ecosse, mais sa jeune carrière d’entraî-

neur compte déjà un titre européen: ladéfunteCouped’Europedesvainqueursdecoupes. A la tête d’Aberdeen, Alex Fergu-sona triomphéduRealMadrid en 1983. En1993, après vingt-sixansdedisette,MUestenfinchampion,aidéparunattaquantpro-videntiel, méridional et ténébreux, EricCantona.Lasaison1999estexceptionnelle,marquéepar un triplé, championnat, Cou-pe et Ligue des champions, grâce à deuxbuts miraculeux, inscrits au BayernMunichdans le tempsadditionnel.

Pendant que les autres clubs insulairesdépensent sans compter en transferts, luipromeut une génération de jeunes coqs,les «Fergie’s Fledglings» (« les oisillons deFergie»),qu’il couveet recouvredesesgrassarcasmes.Parmieux, les frèresNeville.DeGary, ildira:«S’il faisaitdeuxoutrois centi-mètres de plus, ce type serait le meilleurdéfenseur central en Angleterre. Je ne com-prends pas. Son père mesure 1,90m. Je medemandecombienmesurait le laitier.»

Cethumourdepubneravitpas lebour-reau des cœurs de l’équipe, le blondinetDavid Beckham. Avec la nouvelle star duParis-Saint-Germain, les relations seronttenduesjusqu’àlarupture.Conflitdegéné-ration, de cultures. Ferguson, surnommé«The Gaffer» (« le contremaître») incarnelefootballoldschool,unmodèledediscipli-ne exaltant les vertus prolétariennes, l’ef-fort, la sueur.Commele souligne l’essayis-te JohnHarris, «pour les Anglais, Fergusonreprésente un type traditionnel d’Ecossais,le noble représentant d’une classe ouvrièrequi n’existe quasimentplus au suddumurd’Hadrien». Austère et rude, jouantde sonaccentrocailleux,ilnemanquejamaisuneoccasion de rappeler son passé de filsd’ouvrierdeschantiersnavalsdeGlasgow.

Son incompréhensionest totale face auphénomènemétrosexuelqu’estBeckham.«Il n’avait jamais posé de problèmes jus-qu’à ce qu’il se marie», grince le coach. Enéchange, l’épouse, l’ex-Spice Girl Victoria,raille « le plouc». Volontiers homophobe,Alex Ferguson semoque de «la bande des

copainsefféminésdeBeck’s»,àcommencerpar le chanteur Elton John. Entre les deuxhommes,lepointdenon-retourestfranchien février2003. Furieuxde ladéfaite face àArsenal, Ferguson blesse – involontaire-ment,plaidera-t-il–soncapitaineauvisageavec une chaussure, lui entaillant l’arcade.Beckhamrejoindra leRealMadrid.

L e crédit de Fergie est sérieusementécorné lorsque ce turfiste et grandpossesseurdechevauxseretrouveau

cœur d’une rocambolesquequerelle sur lapropriété des saillies d’un pur-sang. Il sechiffonne avec deux éleveurs irlandais,JohnMagnieret J. P.McManus,des«amis»quisetrouventêtrelesactionnairesmajori-taires de United. L’affaire s’envenime aupoint que le tandemexige sa tête. Il la sau-veraenmai2005grâceàl’arrivéed’unnou-vel actionnaire principal, l’hommed’affai-res américainMalcolmGlazer, sitôt honnipar les fans. Le magnat goûte peu le refusde Ferguson de le soutenir face à la plèbequi,desoncôté, luireprocheden’avoirrienfaitpourempêcher cetteprisede contrôle.

Les médias se plaisent alors à dévoilerla duplicité de Ferguson, sa cupidité, sonnépotisme (au profit de son fils Jason,agent de joueurs) et son opportunisme.L’anciensyndicalistes’estaisémentfondudans leNewLabourdeTonyBlair. Ferventsupporteur de l’ancien premier ministreentre1997 et 2007, il l’a même conseillésur la meilleure façon de combattre lestress. Ses techniques de managementsontaujourd’hui enseignéesdans les busi-ness schools du royaume: identificationtotale avec United («Je suis le gardien dutemple»), manipulation de l’information(grâceàsonami,AlastairCampbell,gouroumédias de Tony Blair), mépris des oppo-sants(journalistescommearbitres),intimi-dationduvestiaire,refusdetoutedissiden-ce et sens de la délégation. Ses mots d’or-dre, «contrôler, gérer le changement etobserver», semblent droit sortis d’unefeuillede routeduconsultantMcKinsey.

Cestraitscadrentdavantageaveclaréali-té d’un club coté en Bourse dont le chiffred’affaires atteint unmilliard de livres ster-ling,cequienfaitledeuxièmeplusricheaumonde. Sous Ferguson, Manchester Uni-tedestdevenuunemarquemondialedontlesadorateurssecomptentparmillions,enAsie commeaux Etats-Unis.Wall Street nes’yest pas trompé: l’annoncede sa retraiteaprovoquéunebaissede4,5%del’action.p

AlexFergusonincarneunmodèle

dedisciplineexaltantlesvertusprolétariennes,

l’effort, lasueur

Larévérenced’AlexleRougeBruno Lesprit, avecMarcRoche à Londres

Agauche: Alex Ferguson auxprestigieuses courses hippiquesd’Ascot, en 2002. STEPHENHIRD/REUTERS

Ci-dessous : lors de la victoire deManchester United contre Aston Villa,le 22avril. KENT GAVIN/MIRRORPIX/VISUAL

Aprèsvingt-sixansderègne,AlexFerguson,entraîneurmythiquedeManchesterUnited,aannoncésaretraitemercredi8mai.Anoblipar la reine,le filsd’ouvrierécossais incarnele football«oldschool»dansunclubpourtantcotéenBourse

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Société éditrice du«Monde»SAPrésident dudirectoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirectricedu «Monde»,membre dudirectoire, directrice des rédactionsNatalieNougayrèdeDirecteur déléguédes rédactionsVincentGiretDirecteurs adjoints des rédactionsMichel Guerrin, RémyOurdanDirecteurs éditoriauxGérardCourtois, Alain Frachon, Sylvie KauffmannRédacteurs en chefArnaudLeparmentier, Cécile Prieur, NabilWakimRédactrice en chef «MLemagazine duMonde»Marie-Pierre LannelongueRédactrice en chef «édition abonnés» duMonde.fr Françoise TovoRédacteurs en chef adjoints François Bougon, Vincent Fagot, Nathaniel Herzberg, Damien LeloupChefsde serviceChristopheChâtelot (International), LucBronner (France), VirginieMalingre(Economie), Auréliano Tonet (Culture)Rédacteurs en chef «développement éditorial» Julien Laroche-Joubert (InnovationsWeb),Didier Pourquery (Diversifications, Evénements, Partenariats)Chefd’éditionChristianMassolDirecteur artistiqueAris PapathéodorouPhotographieNicolas JimenezInfographieEric BéziatMédiateurPascal GalinierSecrétaire générale du groupeCatherine JolySecrétaire générale de la rédactionChristine LagetConseil de surveillancePierre Bergé, président. Gilles van Kote, vice-président

Onlescroyait jetésdans lapoubellede laFrançafrique, tous cesprésidentsmalélus, les corrompus, les ex-rebellesdeve-

nusautocrates, les «filsde…»arrivésaupou-voirpar la grâcedesystèmesquasimonarchi-ques. FrançoisHollandeavaitmêmeprononcéleuroraisonfunèbre, le 12octobre2012, à l’As-sembléenationale sénégalaise,puis le lende-maindevantunparterredechefsd’Etat franco-phones réunisàKinshasa.

Leprésidentfrançais foulait alors le sol afri-cainpour lapremière fois etpromettaitde rom-preavec lespratiquesdeNicolasSarkozy,d’enfinir avec les réseauxofficieux, leurs émissairesocculteset leurs tam-tamsbourrésdepetitescoupures livrésnuitamment.M.Hollandeavaitdepluspouratoutunpassénonafricain, sesseulscontacts étantceuxde l’Internationalesocialiste. L’heureétait à la transparence, à laprimedonnéeauxbonsdémocrates. Lesautresne fouleraientplus le tapis rougedéroulé jus-qu’auperronde l’Elysée.

Ali Bongoessuya lesplâtres.Dans les cou-loirsdusommetde la francophoniedeKinsha-sa, leprésidentgabonaisavaitpromenésamau-vaisehumeurfaceà laFrancequi le traitait com-meunprésidentnormal.AParis, quelque

tempsauparavant, il n’avait eudroit àaucuntête-à-têteavecFrançoisHollandealorsquesonpère,OmarBongo, avait côtoyé– si cen’esttutoyé– tous lesprésidents françaisde laVeRépublique.

IdrissDéby, l’ancienchefdeguerredevenu leprésidentduTchadà la forced’unekalach-nikov, avaitpréféréboycotter ce sommetplu-tôtquedesubir lesmêmesoutragesque lepré-sidentduCongo-Brazzaville,Denis SassouNguesso,ou leCamerounaisPaulBiya.

Ceshommes–Déby,Sassou,Biya–cumu-lentàeux troisprèsde soixante-quinzeansdepouvoir sanspartageà la têtede leurpays. Ilsfaisaient les fraisdecette«sincérité»défendueparFrançoisHollandeàDakar.«Cette sincérité,prédisaitalors leprésident français,vautenpar-ticulierpour le respectdes valeurs fondamenta-les: la libertédesmédias, l’indépendancede lajustice, laprotectiondesminorités.»Autantdedomainesdans lesquels lesprésidents suscitésaffichentde tristesbilans.Cela leur fut rappelé.

Et il futpromisqu’iln’y auraitpasde retourenarrière.«Le tempsde la Françafriqueest révo-lu. Il ya laFranceet il y a l’Afrique. Il y a le parte-nariatentre laFranceet l’Afrique,avecdes rela-tions fondées sur le respect, la clartéet la solidari-

té», énonçaitencoreFrançoisHollandeàDakar.C’était il yahuitmois.Depuis,une formede

Realpolitikafricaineest revenues’imposerà ladiplomatiefrançaiseausujetdesesanciennescolonies.Le20avril, PaulBiyaétaitgratifiéd’une«penséeparticulière»parFrançoisHollan-de,qui lui rendaitunhommageappuyépoursonrôle jouédans la libérationdesseptotagesfrançaisde la familleMoulin-Fournierenlevésenfévrierdans lenordduCamerounpardesélé-mentsde la sectenigérianeBokoHaram.

Pour IdrissDéby, c’est la crisemaliennequiestvenue laver sonhonneur.Onne luideman-deplusde comptespour ladisparitiondesesopposants.Leshommesduprésident tchadien– les«hyènesdudésert» commeles surnom-ment lesmilitaires français–ont jouéunrôledéterminantdans la traqueet laneutralisationdesgroupesdjihadistes camouflésdans lessableset les rochersde l’Adrardes IfoghasdanslenordduMali. Lamissiondemaintiende lapaixdesNationsunies auraencorebesoindecesadeptesdes chargesdecavaleriemotoriséesur lesdunesduSahelpour sécuriser cevasteespace inhospitalier.Onditque lesFrançaispousseraientàNewYorkpourque le filsDéby,qui commandait le contingent tchadienauMali, prenne la têtedes casquesbleusquel’ONUdoitdéployerdans cepays.

QuandàSassouNguesso, il a lui aussiprouvésonutilitépour régler laénièmecriseenCentra-frique, concluedébutavril par la chutedeFran-çoisBozizé,présidentcorrompuchassédupou-voirparune rébellionsoutenuepar… le Tchad.

Paris,Déby,Biya, Sassou…LaFrançafriquebougeencore?Quelle rentepolitiquevont-ilstirerde l’aidesollicitéepar la France?Et l’insis-

tancede laFranceà ceque leMali organisedesélectionsaumoisde juillet –«nous seronsintraitables [sur cettedate]»,aaverti FrançoisHollande–ne s’apparente-t-ellepasàde l’ingé-rencedans sonex-colonieoùdemeurerontsta-tionnéspourquelquetempsencoreplusd’unmillierde soldatsetd’officiers français?N’eut-il pasétépréférable, après avoir aidé leMali àrecouvrersa souveraineté face à lamenacedji-hadiste,de laisser sesdirigeantsdécider libre-mentde ladatedesélections, sanspressionniprécipitation?

L’économie, véritable enjeuSi les tempsontvraimentchangé, c’est sur-

toutparcequequandbienmêmelaFranceauraitencoredesvisées«impérialistes» sur lecontinentnoir, ellen’enauraitplus lesmoyens.

Plusdecinquanteans après lagrandevaguedes indépendancesafricaines, la guerred’in-fluencese jouesur le terrainéconomique.Cequeveulent lesEtats africains, ce sontdesinfrastructures,de la technologie,desuniversi-tés, leurpartdansunpartageplus équitabledufruitde l’exploitationde leurs immensesriches-sesminérales.

Cetteguerre-làestouverte. L’époquedesaccèspréférentielsaccordésauxentreprisesfrançaisespardesdispositionssecrètesannexéesaux traitésd’amitiéest, elle, révolue.LaChine,biensûr,maisaussi l’Indeou leBrésil,ainsiquedescompagniesafricainesémergen-tes, sont entrésdeplain-pieddanscettebatailleoùs’exposent les faiblessescompétitivesdel’économiefrançaise. p

[email protected]

INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar Christophe Châtelot

Aubonsouvenirde laFrançafrique

0123

DÉBY, BIYA,SASSOU…QUELLE REN-TE POLITIQUEVONT-ILSTIRER DE

L’AIDE SOLLI-CITÉE PAR LAFRANCE ?

© Gus Powell / M Le magazine du Monde

EN VENTE DÈS DEMAIN

«Rosecelavi»soignepetitsetgrandsbugsdePôleemploi

pTirage duMondedaté jeudi 9mai 2013 : 281 471 exemplaires. 2

D epuis bientôt cinq ans, iln’y a pasune journée sansqueRose-Marie Péchallat

se connecte aumoinsune fois àson site destiné à aider les chô-meurs enprise avecPôle emploi.«Si je ne le fais pas, j’ai ensuitetropdeboulot à rattraper», expli-que cette ancienne conseillèredel’ANPE (ex-Pôle emploi) désor-mais retraitée.Depuis son appar-tement situé sur la colline de laCroix-Rousse, à Lyon, elle réponden continuauxdemandesd’aidesur son forum, baptiséRecours-radiation.

Par l’expertisequ’elle apuacquérir, «Rosecelavi» (sonpseu-dosur le forum)estdevenue laréférencedespetits et desgrandsbugsquepeut connaîtrePôleemploi. C’est ellequi a ainsi alertélapresseaprèsqu’une chômeusefréquentantson forumeut reçuuncourrierdePôle emploi luidonnant22000anspour rem-bourserun trop-perçudeplu-sieursmilliersd’euros. Pôleemploi a ensuite suspenducettedette.C’est encore ellequi amon-tréquedes chômeurs se faisaientparfois radierpourn’avoir simple-mentpas réponduau téléphone.

Leplus souvent, la stratégie deRosecelavi consiste à conseilleraux chômeursd’interpeller leplusdemondepossible avecdescourriersbien argumentés juridi-quement.«Pour la plupart desgensqui viennent sur le forum,cela change d’avoir quelqu’unàleur écoute, alors que Pôle emploiest parfoisunmur», expliqueDavid (qui souhaite rester anony-me), qui a créé le site après quesonparrainait été victimed’uneradiation injustifiée. «Les cour-riers sont souvent incompréhensi-bles et Pôle emploi n’expliquepres-que jamaispourquoi on lui doitde l’argent. C’est inadmissible,c’est commeça qu’un chômeura

fini par s’immoler àNantes»,confirmeRose-MariePéchallat.

Sa grandevictoire a été de fairemodifier les règles de radiationde l’organisme: après denom-breuses alertes, Pôle emploi aacceptédemettreun terme, fin2012, à la rétroactivitédes radia-tions, qui conduisaient certainschômeursà devoir rembourserdes indemnitésdéjà perçues enplusde subir une sanction. Elle sefocalisedésormais sur la récoltedes trop-perçus.«Pôle emploi amis la pressionpour récupérer dessommesqui ne sont la plupart dutempspasdu fait d’une fraude,mais d’une simple erreur dedécla-rationde chômeurs, oumêmepar-fois de Pôle emploi lui-même»,expliqueMmePéchallat, qui esttrès prochedes associationsdechômeursmarquées à gauchecommeAC!.

IrritanteSonactionacharnée irrite au

seindePôle emploi. La directionl’ignore totalement, et lemédia-teur, officiellementchargéde trai-ter des recours adresséspar leschômeurs, la soutient duboutdes lèvres. «Elle travaille sérieuse-ment,mais il faut qu’elle fasseattentionànepas toujours tirerdans tous les sens», lâche Jean-LouisWalter. Il faut dire que sonénervement la poussemêmeàqualifier Pôle emploi «de systè-me totalitaire qui ne justifiejamais ses décisions et qui n’expli-quepas commenty fairerecours».

DerrièreRose-MariePéchallat,uneorchidéeofferte par une chô-meuse reconnaissante.«Mais lesplusbeaux remerciements sontles lettres des chômeurs qui expli-quent que leur combat contre Pôleemploi leur apermis de retrouverleur dignité.» p

Jean-BaptisteChastand

20 0123Vendredi 10mai 2013

Page 21: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

Vendredi 10 mai 2013

LE JAPONAISSONY REPASSEDANS LE VERTAPRÈS QUATREANNÉESDE PERTESLIRE PAGE 6

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Sir SumaChakrabarti,un«gosse duBengale»à la tête de laBERDL’économistesortde l’ombrealorsque laBanqueeuropéennepour la reconstructionet ledéveloppementtiendrasonassembléeannuelleles 10et 11maià Istanbul.LIREPAGE2

La relance européenne,clé de la reprisePour l’économistePierre-CyrilleHautcœur, il fautunifierzoneeuroetUnioneuropéenne.

Londres, Pékin,Tokyo et l’agoniedumultilatéralismeLesEtats sontprêtsà toutaunomde lacompétitivité.LIREPAGE7

LafollecoursedesgéantsduWebchinoisàlaconquêtede564millionsd’internautesLIRE PAGE5

Ferrari

Les industriels du luxeont depuis longtempsdémontré la faussetédu syllogisme selon

lequel «tout ce qui est rare estcher».Poureux, le luxesedéfi-nit par sa qualité et non par saquantité.Unecertitudequiper-met aux géants du secteur, aupremier rang desquels trôneLVMH, d’afficher des croissan-cesdeventesenvolumeà fairementir tous les chiffres deconjoncture. Mais en Italie, ilsont l’exceptionautomobile.

Le président de Ferrari, LucaCordero di Montezemolo, aannoncé mercredi 8mai qu’ilcomptait réduire sa produc-tion. La raison officielle? «Pré-server leconceptd’exclusivitéetdonclavaleurdenosmodèlesetde la marque.» A Maranello,l’usine historique de la mar-que, qui a vendu 7318voituresen2012,ilaprécisévouloirlimi-ter la production à moins de7000exemplairescetteannée.

Pendant que les construc-teurs automobiles, y comprisdans le haut de gamme, s’échi-nent àmiser davantage sur les

modèlesquimarchentlemieux,lacélèbremaisonitaliennejoue-rait-elle les snobs? Ou s’agit-ild’unhabileartificedecommuni-cation pour masquer des pers-pectives de ventes décevantes?Onnepeut rien exclure.

Hausse des bénéficesMais la marque au cheval

cabré a toujours apprécié cettestratégiemalthusienne.Déjà, en2003, il avait été décidé de frei-ner globalement l’usine. Etaujourd’hui, les indicateurs deventesdesvoituresdesportrou-ges sont aubeau fixe.

Ferrari vient de clore lameilleure année de son histoireen soixante-dix ans d’existenceavec un chiffre d’affaires de2,43milliards d’euros (+8%) etun bénéfice net de 244millions(+18%).Ellegénèreplusduquartdes profits du groupe Fiat enreprésentantmoins de 1% de saproduction automobile. Les car-netsde commandessontpleins.

AuSalondeGenève, le 5mars,lanouveauté,baptiséeLaFerrari,a fait un tabac. Cette voiturehybridede 963chevauxest ven-due1milliond’eurospièce,avec,c’estlamoindredeschoses, lesiè-

ge du conducteur fabriqué surmesure en fonction de la mor-phologie du propriétaire. Leconstructeuritalienavaitannon-céqu’ellene seraitproduitequ’à499exemplaires, mais affichaitplus de 700commandes à l’is-suedu Salon.

C’estpourquoidiMontezemo-lo assure que la baisse du nom-bre de voitures produites cetteannée ne remet pas en cause sesprévisions de hausse des bénéfi-ces. Cette rareté entretenue per-metdemaintenirlesprixlesplusélevés du marché, et de générerdes revenus complémentaires.Ferrari est la seulemarque auto-mobile à tirer plus de 100mil-lions d’euros par an de licencespourdesproduitsde luxe.

Pour Fiat, la relative retenuede sa marque emblématiquepeut faire de la place àMaserati,unpeuau-dessousdans l’échelledu luxe. L’italien a investi dansune nouvelle usine d’assembla-ge de moteurs qui devrait per-mettre de monter les ventes deMaserati à 15000unités en2015.LesfrustrésdeFerraripourraienty trouveruneconsolation.p

[email protected]

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS 1,81%J PÉTROLE 103,97 $ LE BARIL

PERTES & PROFITS | par Jean-Baptiste Jacquin

Malthusaupaysdesgrossescylindrées

Deuxansdedélaipourréduire ledéficit:Bruxellesprépare la facturepourParis

j EURO-DOLLAR 1,3152

PLEIN CADRE

IDÉES

j DOW JONES 15 105PTS +0,32%

C’estuncadeauquecertainsjugerontempoisonné. En offrant à la Franceun délai de deux ans pour réduireson déficit, la Commission euro-

péenne a certes donné à Paris une boufféed’oxygène. Mais cet assouplissement, dontbénéficie aussi l’Espagne, «ne va pas sanscontreparties», prévientHermanVan Rom-puy, le président duConseil européen.

Pour l’heure, on ne sait pas ce que serontcescontreparties.Ellesserontl’objetdenégo-ciations serrées entre le gouvernement de

François Hollande et les équipes bruxelloi-ses. Sous l’œil attentif deBerlinqui s’inquiè-tedes failles de l’économie française.

On sait en revancheunpeumieuxcequela Commission attend de la France, mêmes’il faudra attendre le 29mai pour qu’elledétaille ses recommandations. Ces derniè-res,siellesn’ontsurlepapieraucunpouvoircontraignant,n’enserontpasmoinsincitati-ves. Elles concerneront d’abord le systèmefrançais des retraites dont « la durabilité»,dit-onàBruxelles,n’estpas assurée. Lemar-

ché du travail devra aussi être aménagé.Avec un double objectif : alléger le coût dutravail sans toucher aux salaires et réduirele niveau de protection des contrats ainsique de la législation sur les licenciements,jugée «dissuasive»pour les employeurs.

Enfin,laCommissionprôneuneplusgran-de ouverture à la concurrence desmarchés,notammentceuxdel’électricitéoudutrans-port ferroviaire, et de certaines professionscommecellesd’avocatoudevétérinaire.p

LIRE PAGE3

Mardi 6mai, des femmesviennent identifier des victimesde l’effondrementd’un bâtiment survenu prèsdeDacca, le 24avril. I. FERDOUS/AP

La Commission attend une réforme des retraites, dumarché du travail, et une plus grande ouverture à la concurrence

BANGLADESHDACCANE VEUT PASFROISSERLE SECTEURDU TEXTILE

t Lebilande l’effondrement desateliers de confection àDacca s’alourdit. Il étaitde912morts, jeudi9mait Unincendie a ravagé,jeudi, unautre atelierdans la capitale, faisant8morts

t Legouvernementaannoncé,mercredi,la fermeturede 18usinesLIREPAGE4

SOURCE : COMMISSION EUROPÉENNE

Zone euroAllemagneFrance

Dépenses publiquesEN 2012, EN%DU PIB

56,6 49,945

Cahier du «Monde »N˚ 21245 datéVendredi 10mai2013 - Nepeut être vendu séparément

Page 22: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

SirSuma,«ungosseduBengale»àlaBERDCebrillantéconomistedirige l’institutionquitientsonassembléeàIstanbul les 10et 11mai

IL AL’ASSURANCEDE CEUX QUISE SAVENTDÉJÀ ENTRÉSDANS LAPOSTÉRITÉ

plein cadre

LondresCorrespondant

Ilétaitunefoisunjeunediplôméd’Ox-ford et de l’université du Sussexconvaincu de ses dons et n’écoutantque sa rage de réussir. Cet expert del’économie du développement d’ori-

gine indienne obtient très vite les posteslesplusprestigieuxdelahauteadministra-tionbritanniqueetseforge,enunevingtai-ned’années, la réputationméritéede figu-rer parmi les sujets de SaMajesté issus del’immigrationpromisàunecarrièrefulgu-ranteau sommetdeWhitehall.

C’est alors que, contre toute attente, SirSuma Chakrabarti, que personne neconnaissait en dehors de Westminster,s’est fait élire en 2012 à la présidence de laBanque européenne pour la reconstruc-tion et le développement (BERD), l’institu-tion financière chargée d’aider les pays del’ancien bloc soviétique et les nations du«printemps arabe» à passer à l’économiedemarché.

Aujourd’hui,alorsque laBERDtientsonassemblée annuelle vendredi10 et samedi11mai à Istanbul, le quinquagénaire com-mence à sortir de l’ombre, à quitter lesecondplan.

–«Qui êtes-vousmonsieur le Président?– Vous me connaissez bien, Marc, puis-

quevousavezécrità l’issuedemonélectionque j’étais un Anglo-Saxon typique. Ai-jel’aird’unAnglo-Saxon?JenesuispasunBri-tanniquepur sucre. Je suis un représentantdelasociétémulticulturelleavecunfortpro-fil international.»

Notre interlocuteur a émigré au Royau-me-Uni à l’âge de 5ans avec son père, uni-versitaire de haut vol, invité à terminerson doctorat. «Mon histoire est celle d’uneimmigration accidentelle.» L’ex-directeurgénéral du ministère de la justice et l’an-cien collaborateur du premier ministreTonyBlairadécidédeplaire.Toutendemi-sourire, un anglais bien lissé dénué dumoindre accent du sous-continent, cour-tois et à l’écoute. Le geste est enveloppant.Mais attention ! L’œil de velours auxaguets jauge à la seconde si l’interlocuteuraquelquesarrière-pensées.

«Permettez toutefois, monsieur le Prési-dent, que l’on s’attarde sur les conditionscontroverséesdevotreélectiondueà laper-fidiedesBritanniques.Londres,quihébergele siègede laBERD,n’apasrespectésaparo-le donnée lors du lancement de la banque,delaisser laprésidenceàd’autres,alternati-vementauxFrançaisetauxAllemands.»Laréponse du natif du Bengale-Occidentalest bien rodée. Evoquez une trahison duForeignOffice, et la réplique fuse: les diri-geants des institutions internationales,qui prônent la transparence et la bonnegouvernance, ne doivent pas être cooptésencoulisses.

«Le bonhomme est brillant, bosseur etcommuniquefacilement», insiste, impres-sionné, un administrateur de la BERD.«Suma», comme il se fait appeler dans lescouloirsd’ExchangeSquare,n’acertesriendutrapézistehabitédedesseinsambitieuxquefut le Français JeanLemierreauxcom-mandesentre2000et2008.Iln’anilafoliedesgrandeursdufondateur JacquesAttali,ni le sens de la hiérarchiede sonprédéces-seur, le glacial ThomasMirow.

C’est d’abord un gestionnaire, logicienet homme de dossiers, incliné au mani-chéisme une fois sa religion faite.M.Chakrabarti estunspécialistede l’éclec-tisme, un professionnel du changementqui peut-être aussi tranchant, parfois bru-tal, dans ses décisions. Ce charmeur ne

sous-estimepassonintelligence.L’impéra-tif de rendement guide ce dirigeant trèsmarquépar laprimautédutravailenéqui-pe et de la circulation de l’informationcaractérisant la haute administration bri-tannique. Voilà un ex-fonctionnaire aller-gique aux palabres inutiles et aux fioritu-resqui sait déléguer.

Cettebellemachine,d’uneprécisionquifaitoublierqu’ilpeutêtrechaleureux,s’ins-pire–et il lerevendique–delaphilosophiedemanagementdubureaudeconsultantsaméricains McKinsey: «Tout est mesura-ble,toutcequiestmesuréestgérable.»C’estd’ailleurs au sein des commandementsMcKinsey qu’il a trouvé son slogan «OneBank».De l’avisgénéral, l’opérationvisantà casser les baronnies sectorielles et régio-nalesau seinde laBERDaétéun succès.

Trèsmarquéparsonpassageau10Dow-ningStreet, où il était chargéde la réforme

de la fonction publique, il case dans lemoindre de ses propos les mots «objec-tifs», «évaluation», «résultats». Il fautquecela réponde, et vite. Par ailleurs, ce bouli-mique des voyages engloutit les kilomè-trescommeunavaleurdesabres.C’estvraiqu’il aquelquechosedeplénipotentiaireàforce de remettre sa montre à l’heure del’histoireet de la géographie.

Sir Suma fait aussi grand usage d’uneautreméthode apprise aux côtés de TonyBlair, le recours intensif aux «spin doc-tors» (des conseillers en communicationpolitique)chargésdedresserlalisteplétho-riquedesesqualités.Acommencerpardesgoûts simples en privé, la cuisine et laculture indiennes, la musique soul et lefootball…

«Suma, c’est de la nouvelle cuisine. L’as-sietteestbelle,maisonnesaitpassi lanour-riture servie va être bonne» : ceux qui ne

l’aimentpasdénoncentl’absencedevisionstratégique à long terme d’un présidentqui se définit lui-même comme un direc-teurgénéral, un exécutant, pas commeunéchangeur d’idées qui brasse les opinionspartout et tout le temps. Ce fils uniquemarié à une universitaire japonaise restetrèsimprégnédesaformationd’économis-tedudéveloppement,unprofil plus adap-téà laBanquemondialequ’à laBERD,affir-ment ses critiques.

Au reproche de vouloir mettre lesinvestissements en équation, lecapitaine de la BERD répondqu’ilse veut attentif à l’aspect politi-

que autant que financier de son mandat.Ni libéraleni étatiste, la «méthodeSuma»emprunte, commesouvent chez les sujetsdeSaMajesté, la troisièmevoie.

S’ajoute l’inévitable soupçon d’indul-gence envers la mère patrie du «gosse duBengale», comme il s’est présenté dansune interview à un journal indien. Fonda-trice aux côtés de l’Allemagne de la BERD,la France a perdu son influence au seind’une institution désormais dominée parles Britanniques. Albion tient la présiden-ce, la vice-présidence (anglo-américaine)et la communication.

Leprésident,anobliparlareineen2006,insiste: l’excellenceetnonpaslanationali-téaguidélesnominationsauseindel’état-major. L’effetde la crisede lazoneeurosurles pays d’intervention et surtout l’exten-sion des activités à quatre pays (Maroc,Egypte, Tunisie, Jordanie) nécessitent dechoisir lesmeilleurs.

Beaucoup soupçonnent Suma Chakra-barti de se servir de la BERD pour viser ladirection du Cabinet Office, le saint dessaints de la haute fonction publique deWhitehall, ou laBanquemondiale. Il a l’as-surance de ceux qui se savent déjà entrésdans la postérité. N’est-il pas l’hommedespetitspasquimènent loin?p

MarcRoche

Pour SumaChakrabarti,«tout estmesurable,tout ce qui estmesuré estgérable». OLIVIERHOSLET/ EPA/MAXPPP

Entrebanqued’affairesetbanquededéveloppementFONDÉEEN 1991pour aider le secteurpri-védes pays de l’ex-bloc soviétiqueà adop-ter l’économiedemarché après l’effon-drementdu communisme, la Banqueeuropéennepour la reconstructionet ledéveloppement (BERD) a progressive-ment élargi son champd’actionà l’Asiecentrale. L’institution,dont le siège est àLondres, regroupe65 Etats et organisa-tions internationales actionnaires. Leconseil des gouverneursnomme leprési-dent, élupour quatre ans renouvelables.

Lemandatde cette institutionmi-ban-qued’affairesmi-banquededéveloppe-ment est de promouvoir l’investissementet l’initiativeprivés. Les projets doiventêtre commercialementviables. Elle inter-vient sous formedeprêts oudeprises departicipations. La BERDest aujourd’huiactivedans 31 pays. La Russie est le pre-

mierpaysd’intervention, suivie de la Tur-quie et de l’Ukraine.

SumaChakrabarti s’était fixé commeobjectifde sortir duportefeuillede laBERDseptpaysde l’Estmembresdel’Unioneuropéenne,d’ouvrir l’institutionauxpaysarabesetde contenir les effetsde la crisede l’eurodans les Balkans.A cejour, seule laRépublique tchèque, la plusavancée sur leplandes réformes, est sor-tie dugironde labanque.

Par ailleurs, lesquatre «démocratiesarabesémergentes» –Egypte, Tunisie,Marocet Jordanie – sontdesbénéficiairespotentiellesd’uneactionqui sera concen-trée sur le développementdesPME, desmunicipalitéset des infrastructuresdetransportet de fournitured’énergie.Maisle lancementdesprojetsméditerranéenss’estheurté à l’instabilitéde la situation

politiqueet économiqueactuelle et auxdifficultéspratiquesd’installerdeséqui-pes surplace.

Enfin, la banqueadûparer aupluspressédans sa zone «historique». L’éta-blissementd’ExchangeSquare a obtenude ses actionnaires le déblocagede fondsd’urgencepour aider les pays de l’Est etdu Sudeuropéenà faire face à la crise delamonnaieunique. La BERD soutient lesfiliales de banquesgrecques et chypriotestrès actives dans les Balkans.

SaupoudrageEnRussie, la BERDest confrontée aux

difficultésde promouvoir la diversifica-tionde l’économie au-delà de l’énergie etaubénéfice des régionsdéshéritéesdusud et dunord dupays. Sonprésidents’est efforcé – sans grand succès jusqu’à

présent – depersuader les banques com-merciales et les entreprisesoccidentalesdenepas réduire leurs activitésdans lazone en ces tempsde crise.

En 2012, la banquea investi 8,9mil-liardsd’eurosdans 393projets. Les établis-sements financiers sont les premiersbénéficiairesde ses actions, suivis de l’in-dustrie et des services (agroalimentaire,télécommunications, tourisme, immobi-lier) et des infrastructures.

Si la BERDet sonprésident ontplutôtbonnepresse dans la City, des doutes sub-sistentquant à son efficacité sur le ter-rain.«Les actions sont importantes et inté-ressantesmais ona dumal àmesurer leurimpact réel sur une zone géographiquetrop large qui l’oblige à saupoudrer sesmoyens», souligneunobservateur. p

M.R.

2 0123Vendredi 10mai 2013

Page 23: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

économie&entreprise

BruxellesBureau européen

François Hollande a prévenuson gouvernement: le délaide deuxansoffert à la France

pour ramener son déficit en deçàde 3% de son produit intérieurbrut (PIB) d’ici à 2015 ne signifiepas la fin des efforts de redresse-ment esquissés depuis son élec-tion.Au contraire.

Olli Rehn, le commissaire euro-péen chargé des affaires économi-quesetmonétaires,aacceptéd’éta-ler dans le temps les chantiersouverts, en échange d’engage-ments les plus précis possibles deParis en matière de réduction desdépensespubliques, et, surtout,deréformes structurelles.

Cette approche a été agréée,dans ses grandes lignes, avec leministredesfinancesPierreMosco-vici, justeavant l’annoncesurprisedu nouveau délai, vendredi 3mai.Mais les détails seront précisés aufild’undialogue informelqui s’an-noncenourri entreParis etBruxel-les. Le sujet devrait d’ailleurs êtreaumenu de la prochaine visite deM.HollandeàlaCommission,mer-credi 15mai.

Bruxellesdoit,pour sapart, pré-ciser ses attentesdansune série derecommandations détaillées, le29mai. Le nouveau délai devraitensuite, sur cette base, être entéri-né par les ministres des financescourant juillet. «Cela ne va pas

sans contrepartie», prévient Her-manVanRompuy, le président duConseil européen.

Sans plus de précisions,M.Rehn a indiqué qu’il attendaitdumouvementdanstroisgrandesdirections: la réforme des retrai-tes, le marché du travail et uneplus grande libéralisation des ser-vices et desbiens.

De manière générale, on salueàBruxelles lespremièresdécisionsdeParis, sur labasedurapportGal-lois sur la compétitivité,oude l’ac-cordsur lasécurisationdel’emploinégocié par les partenairessociaux. Mais on considère que le«programme national de réfor-me» – un document de plus de80pages envoyé le 30avril par legouvernementfrançais – manquede précisions. «C’est un bon résu-méde cequia été faitdepuisunan,mais cela reste un peu faible sur leplan prospectif», dit-on dans l’en-touragedeM.Rehn.

Assurer un financement péren-ne des retraites Là dessus, aumoins,ParisetBruxellessontd’ac-cord. Mais sur ce dossier explosif,le gouvernement français pré-vient ne pas être enmesure d’êtreplus précis à ce stade, «afin de nepaspréjugerdesmodalitésducom-promis espéré d’ici à l’été entre lessyndicats et le patronat», répètenten chœur les officiels français.

Pour la Commission européen-ne,lamauvaiseconjonctureempê-chera la réforme précédente,menéeparNicolasSarkozy,d’assu-rer, comme prévu à l’origine, leretour à l’équilibre du régime desretraites en 2018. Il reste donc,selon elle, à assurer la «durabilitédu systèmedespensions».

M. Rehn se garde cependantd’indiquer s’il souhaite le relève-ment de l’âge de départ légal dedépart à la retraite à 67 ans, com-medans certainspays européens.

«LaCommissionn’apaslespou-voirs pour cela. Elle identifie lesgrandsenjeux,mais ne fait là com-meailleursaucuneprescriptionsurlesmoyens, observe unproche desdiscussions.C’est une façon pourles gouvernements de s’approprierles réformes.»

Engager la réforme du marchédu travail Celle-ci est destinée àaméliorer la compétitivité desentreprises françaises. C’est uneprioritépour laCommission,maisaussi pour l’Allemagne, où la chu-tedespartsdemarchéde la Franceà l’export est jugée très préoccu-pante. Bruxelles considère que lesdirigeants français doivent, sanstoucher aux salaires, réfléchir àabaisser le coût du travail, en allé-geant les charges, et la fiscalité.

«Le coût du travail est une desclés de la compétitivité», vient derappeler José Manuel Barroso, leprésident de la Commission, dansunentretienàL’Express :«Lespaysoù la dette s’est envolée sont ceuxoù le coût unitaire du travail a leplus augmenté», argue-t-il.

Pour Bruxelles, les jeunes et lesactifs âgés sont de surcroît tropsouvent exclus dumarché du tra-

vail en France. Ce dernier seraitenfin trop segmenté: les chancesde passer d’un contrat précaireàun contrat à durée indéterminée(CDI)ont fortementbaissé cesder-nières années, notait la Commis-sion dans ses précédentes recom-mandations à la France enmai2012. Ellepréconisaitunerévi-sion duhaut niveau de protectiondescontratstemporairesetperma-

nents ainsi que de la législationsur les licenciements, jugée «dis-suasive»pour les employeurs.

Accélérer la libéralisation desmarchés des biens et servicesSur ledossierdelamiseenconcur-rence, laCommissioncomptebienrevenir à la charge. Elle espère lalevéede «restrictions inutiles danslesindustriesderéseau». Sonobjec-tif : permettre l’arrivée de nou-veauxopérateurssur lemarchédel’électricité,dominéparEDF,etsurcelui du transport ferroviaire, oùla SNCF reste toute puissante. Desréformes plus oumoins engagéesen France. Bruxelles vise aussi lesprofessions «excessivement régle-mentées», comme les avocats etles vétérinaires.

Mettre lapressionsur legouver-nement françaisAprès avoir crééla surprise, en proposant d’accor-der deux ans supplémentaires à

Paris,M.Rehnest revenuà la char-ge: la France doit profiter du délaiimpartipour«menerdes réformesstructurelles de grande ampleur.(...)C’est important pour les Fran-çais, pour que la France puissedébloquer son potentiel de crois-sance pour créer des emplois»,a-t-il insisté,mardi7mai, àBruxel-les.

Ce nouveau délai «n’est paspour nous une incitation au relâ-chement,ouà laparesse», a répon-du Pierre Moscovici à Berlin, touten indiquant ne pas vouloir de«surajustement pour notre pays,[ni] de plans d’austérité qui vontplus loinque cequi estnécessaire».A ses côtés, son homologue alle-mand, Wolfgang Schäuble, adit«faire confiance à la Commissionet à la France» pour préciser lafeuille de route en discussion enéchangedusursisdedeuxanspro-posé à Paris. p

PhilippeRicard

Dans un entretien auquotidienrégional allemandWAZ, paru jeu-di 9mai, le président de la Ban-que centrale allemande, JensWeidmann,met en garde la Fran-ce contre son déficit public.«La France a certes réduit sondéficit budgétaire ces dernièresannées», a-t-il relevé. «Maisselon les prévisions de la Com-mission européenne, il sera tou-jours de près de 4% cette année

et va même légèrement augmen-ter l’an prochain», a-t-il rappelé.Dans ce contexte, poursuitM.Weidmann, les efforts enga-gés par Parissont insuffisants :«Pour moi, ce ne sont pas deséconomies.»Pour le dirigeant de la très res-pectéeBundesbank,«la Francea, en tant que poids lourd del’union monétaire, un rôle demodèle».

Les«grèvesd’avertissement»pourleshaussesdesalairesemultiplientenAllemagneSocialDans lamétallurgie, le syndicat IGMetall revendiquedesaugmentationsde5,5%.Plusde390000salariésontdébrayédepuisdébutmai

PourBruxelles: un paysen panne et surendetté

Une croissance en berne(évolutionduPIB)2011: +1,7%2012: 0%2013*: – 0,1%(moyenne zone euro : – 0,4%)2014*: +1,1%

Un chômage qui ne refluepas(en%de la population active)2011: 9,6%2012: 10,2%2013*: 10,6%(moyenne zone euro : 12,2%)2014*: 10,9%

Unedette qui explose(en%duPIB)2011: 85,8%2012: 90,2%2013*: 94%2014*: 96,2%

Undéficit hors des clous(en%duPIB)2011: 5,3%2012: 4,8%2013*: 3,9%2014*: 4,2%*Prévisions

CequelaCommissioneuropéenneattenddeParisRetraites,marchédutravail,ouvertureà laconcurrencesont lesgrandschantiersque laFrancedoitdésormaisengager

BerlinCorrespondant

De toutes les particularitésdu «modèle allemand»,une est rarement mise en

avant par le gouvernement de lachancelièreAngelaMerkel: lesgrè-vesd’avertissement.

Celles-ci ont été bien plus fré-quentesen2012qu’en2011,asigna-lé, début mai, l’Agence pour l’em-ploi. L’année 2013 ne devrait pasfaire exception.

Les syndicats profitent de labonne conjoncture économique,des pénuries d’emploi dans cer-tains secteurs et de la nécessitéreconnueparbeaucoupd’augmen-terlademandeintérieure,pourfai-re monter la pression sur lesemployeurs.

Après la poste et la compagnieaérienne Lufthansa, ce sont lessalariés de lamétallurgie quimul-tiplient les débrayages pour obte-

nir des augmentationsde salaire.Selon les chiffres publiés, mer-

credi 8mai, par le syndicat IGMetall, «plus de 390000salariésdans 1600entreprises ont partici-pé à la grève d’avertissement»depuisdébutmai.

C’estenBavièrequelamobilisa-tion a été la plus forte, avec envi-ron33000grévistesdans72entre-prises, dont 12800débrayages ausein des différentes usines duconstructeurautomobileBMW.

L’IG Metall revendique deshaussesdesalairede5,5%surdou-zemois, alors que le patronat pro-pose2,3%suronzemoisàpartirdejuillet.Autotal,3,7millionsdesala-riés travaillent dans le secteur dela métallurgie, qui donne le tonaux revendications salariales.

Auparavant, les employés de laposte avaient été appelés àdébrayer fin avril. Le 26avril, unaccordaétéconclu,accordant3,1%d’augmentation au 1er août 2013,

puis 2,6% au 1er octobre 2014. L’ac-cord, entré en vigueur en avril,court jusqu’à juin2015.

Si la distribution du courrier aétépeuparalyséepar lagrèvequiaprécédél’accord, iln’enapasétédemême chez Lufthansa, où lesavions sont à nouveau restéscloués au sol le 29avril, après unepremièregrève, finmars.

Hausse du pouvoir d’achatAlors que le syndicat des servi-

ces Verdi réclamait une hausse desalairede5,2%pourtouspourdou-zemois, l’accordannoncé le 1ermaiprévoit une augmentation de 3%pour la maison mère et de 4,7%pour les filiales.

Le personnel de cabine,majori-tairement affilié à un petit syndi-cat, l’UFO, avait obtenuennovem-bre2012 une hausse de 4,6% dessalaires, valable deux ans à comp-ter de janvier2013.

Même si IG Metall, malgré ses

démonstrations de force, prendsoindenepasnuireà la compétiti-vité du site «made in Germany»,le pouvoir d’achat des salariésdevrait augmenter en2013pour laquatrièmeannée consécutive.

Après sept années (2002-2008)marquées par une forte rigueur –le coût unitaire de la main-d’œuvre n’a augmenté que de 2%,contre18%dansl’Unioneuropéen-ne –, les salaires réels ont augmen-téde 1,5%en2010, de 1%en2011 etde0,6%en 2012.

Cette augmentation du pou-voir d’achat des Allemands estexplicitement souhaitée non seu-lement par la France mais aussipar le secrétaire au Trésor améri-cain, Jacob Lew, et par plusieurscommissaires européens.

Le très orthodoxe Olli Rehn,commissaire chargé des affaireséconomiques, jugequ’«unrenfor-cementde lademande intérieure»contribuerait au «rééquilibrage

nécessaire de l’économie de lazoneeuro–dans l’intérêtmêmedel’Allemagne».

Peer Steinbrück, l’adversairesocial-démocrated’AngelaMerkelà l’occasion de l’élection législati-ve du 22septembre, tient désor-mais exactement ce même dis-cours.C’est l’unedes justifications

qu’il donne à sa proposition decréerunsalaireminimumenAlle-magnede 8,5euros de l’heure.

Le gouvernement propose, lui,des salaires minimums selon lesbranches et les régions et resteplus ambigu sur la nécessité desoutenir la demande intérieure. p

Frédéric Lemaître

LaBundesbank tanceParis

PierreMoscovici, leministre de l’économie et des finances (à gauche), et Olli Rehn, le commissaire européen aux affaires économiquesetmonétaires, à Bruxelles, le 4 juin 2012. SÉBASTIEN PIRLET/REUTERS

30123Vendredi 10mai 2013

Page 24: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

Pours’affirmerdanslabiomasse,Séchilienne-SidecdevientAlbiomaEnergieLeproducteurd’électricitévaracheterdescentrales thermiquesauBrésil, exploitéespardesgroupes sucriers

Levoile devait être levé jeudi9mai. Héritier d’une longuetradition industrielle, où se

sontcroisésnotammentAirLiqui-de et Charbonnages de France, legroupe Séchilienne-Sidec changed’identité. Selon une résolutionpubliéejeudi, leproducteurd’élec-tricité proposera à ses actionnai-res, lors de l’assemblée généraledu 30mai, d’adopter un nouveaunom:Albioma.

«C’est une page qui se tourne,souligne Jacques Pétry, le PDG dugroupe, qui ambitionne de deve-nir un leadermondial dans la bio-masse. La décision de prendre unenouvelle identité remonte audébutde [2013], quandnous avonsprésenté notre nouvelle stratégiecentrée sur la biomasse et affichénos ambitions au Brésil», raconteceX-PontspasséparSuezEnviron-nement.

Le groupe a fait travailler pen-dantplusieursmoisdeuxagencesde communication, W et Nomen.Il fallait vérifier que la nouvelleidentité n’était pas déjà utilisée,s’assurer qu’Albioma n’avait pasdedouble sensdansunautrepayset soit prononçable dans la plu-

part des langues, y compris encréole,puisquelegroupeest large-ment implanté outre-mer. Unenouvelle identité visuelle rappe-lant la feuille de canne à sucre aaussi été créée.

Arrivé il y a vingtmois à la têtede Séchilienne-Sidec, M.Pétry

veut progressivement rebâtir lemodèle économique. A ce jour,l’énergie produite par le groupe,installé essentiellement à La Réu-nion, en Guadeloupe et sur l’îleMaurice,provientà89%decentra-les thermiques fonctionnant aucharbon ou à la bagasse, à savoirles résidus de canne à sucre, et à11%du solaire.

«Un acteur unique»Avec ses centrales, le groupe

produit de la chaleur à destina-tion de sucreries qui leur sontadossées et de l’électricité qu’ilrevend à un tarif généralementplus élevé qu’en métropole auxélectriciens locaux.

L’idée des dirigeantsdu groupeest de diminuer progressivementlapartdesénergiesfossilesenaug-mentant celle venant de la bagas-se, etplus largementde labiomas-

se (sciures de bois, paille de riz,déchets issus de l’élevage…).

«Il ne s’agit pas de nous repein-dre artificiellement en vert. Nousconsommons dans nos centralesthermiques deux tiers de charbonet un tiers de bagasse. Nous espé-rons inverser ces ratios d’ici à dixans, ce qui ferait de nous unacteurunique de la valorisation de la bio-masse», plaideM.Pétry.

Troisprojets témoignentdecet-testratégie.Lepremier,Galion2,sesitue en Martinique. Démarré surle schémaclassiqued’une centralefonctionnant avec de la bagasse etducharbon,cesiteserafinalementune centrale entièrement biomas-se. «Durant la campagne sucrière,la centrale, d’une capacité de38mégawatts, brûlera de la bagas-se. Le reste de l’année, elle fonction-nera avec des déchets verts locaux,ouavecdesgranulésdebois impor-

tés du nordduBrésil et d’AmériqueduNord», détailleM.Pétry.

Ledeuxièmeprojets’estconcré-tisé, vendredi 26avril, avec l’inau-guration à Thouars (Deux-Sèvres)d’une centrale de biométhanisa-tionqui produit dubiogaz.

Le troisième projet consiste enune réplication, au Brésil, dumodèle développé outre-mer. Legroupe va racheter des centralesthermiques exploitées par desgroupes sucriers brésiliens et lesadapterpour enaméliorer les ren-dements.

«7%de l’électricitéduBrésilpro-vientdéjà de la bagasse», souligneM.Pétry. Selon lui, le pays cumulelesatouts:gisementsdebiomasse,tarifsderachatdel’électricitéavan-tageux, important tissu industrielet disponibilité d’une dette à longtermeenmonnaie locale.p

AnneEveno

NewDelhiCorrespondance

LeBangladeshaannoncé,mer-credi 8mai, la fermeture dedix-huit usines textiles, sur

les 4500 que compte le pays, pourdes raisons de sécurité, après l’ef-fondrement, il y a près de quin-ze jours, d’un immeuble, le RanaPlaza, qui abritait cinq ateliers deconfectionàSavar,danslabanlieuede Dacca. Confronté au pire acci-dentindustrieldel’histoiredupays– 912 corpsont été retrouvés, selonunbilanprovisoire–, alourdi enco-re par un nouveau drame, l’incen-died’un site de confectionde TungHai Group, dans une zone indus-trielledeDacca, qui a causé lamortdehuitpersonnes, jeudi, legouver-

nement bangladais et les indus-trielsdu secteur sontpressésd’agirpour améliorer les conditions desécuritédes travailleurs.

L’Union européenne a menacédesuspendrele«systèmedespréfé-rences généralisées» dont bénéfi-cie le Bangladesh, grâce auquel sesentreprises ont accès au marchéeuropéen sans quotas ni droits dedouane.

Enfin, la colère monte parmiles rescapés et les familles des vic-times.Commesi lecarnagede l’ac-cident ne suffisait pas, ces der-niers ont dû se battre pour obte-nir des compensations et le rem-boursementde leursfraisd’hospi-

talisation. Ils ont bloqué, mardi,plusieurs artères conduisant aulieududramepour faire entendreleursrevendications,aussimodes-tes soient-elles : quatremois desalaires, soit 200euros pour avoirde quoi vivre en attendant deretrouverun travail. L’associationdes exportateurs et des fabricantsbangladais d’habillement(BGMEA)ne leur a finalementdis-tribué qu’un mois de salaire parannéepassée dans l’usine. Le gou-vernement attend de connaître lebilan définitif de l’accident pourindemniser les familles des victi-mes.

Le gouvernement a-t-il seule-ment la volonté et les moyensd’améliorer les conditions de tra-vail?Interrogéesurlachaîneaméri-caine CNN, la première ministre,Sheikh Hasina, a indiqué que des«accidentspouvaientavoirlieupar-tout dans lemonde», allantmêmejusqu’à affirmer que « le Bangla-desh était maintenant un endroitoùlesbonnesconditionsétaientréu-niespoury investir».

Le gouvernementcraintque lesgrandes chaînes d’habillements’approvisionnent dans d’autrespays, comme le Vietnam, mena-çant un secteur qui représente80% des exportations et emploieprès de la moitié de la main-d’œuvre industrielle.

Dans les jours qui ont suivi l’ef-fondrement du Rana Plaza, uncomité a été chargé d’examiner lescausesde l’accident,maiscommeàchaque lendemain d’incendie, lescomités voient le jour sans que lasituation s’améliore. Les syndicatsindépendants sont toujours inter-dits dans le pays. Trente des plusgrandspropriétairesd’usinestexti-les siègentauParlementdeDacca.

Selon le Centre bangladais pourlasolidaritédestravailleurs,lamoi-tié des députés possèdent directe-ment ou indirectement des usinestextiles.Lepropriétairedel’immeu-

ble qui s’est effondré était l’un desleaders locaux de l’Awami League,leparti aupouvoir.

«Les règles existent. Il faut justequ’elles soient appliquées. Mais legouvernementesttropcorrompuetn’a pas les moyens humains de lesfaire respecter», expliqueA.K.Ena-mul Haque, professeur d’écono-mie à l’université United Interna-tionalde Dacca. En juin2012, leministère du travail ne comptait

que dix-huit inspecteurs pourcontrôler dans la capitale près de100000usines.

Les visites impromptuesmenées par les chaînes d’habille-ment chez leurs fournisseurs nesuffisent pas à éviter les accidents.Lesusinesvisitées, souvent situéesaucœurdezoneséconomiquesspé-ciales, remplissent toutes les nor-mes de sécurité. Les accidents seproduisent ailleurs: dans des ate-

liers qui sous-traitent leur produc-tiondans lespires conditions.

Or, cette cascade de sous-trai-tants est difficile à contrôler. Desvêtements de la marque Walmartont été retrouvés dans les décom-bresd’uneusinequi a pris feu le 24novembre 2012, poussant le géantaméricainde la distributionàmet-tre enplaceunepolitiquede«tolé-rancezéro»vis-à-visdesesfournis-seurs, prévoyant l’annulation des

contrats si ces derniers sous-trai-tent lescommandessans sonauto-risation.«Maisonnepeutpasnousimposer un systèmed’approvision-nement en flux tendu, des bas prixdeproductionetdesnormesdesécu-rité draconiennes», rétorque unindustrielbangladais.

A. K. Enamul Haque ne voitqu’unesolutionpouraméliorer lesconditionsde sécurité: «L’organis-me représentatif des usines textilesdoit réguler le secteur, quitteà créerune autorité indépendante oùseraient aussi représentés salariéset chaînesd’habillement.»

Reste la question des syndicats.Les industriels craignent qu’ilssoient inféodés aux deux grandspartis du Bangladesh, et pertur-bent l’activité des usines en cas detroubles politiques dans le pays. Siun syndicat avait été autorisé dansl’immeuble qui s’est effondré àSavar, l’accident aurait pu être évi-té.A laveilledudrame,des fissuresétaientapparuessurlesmurs,et lesouvriers avaient été obligés dereprendre le travail.

«Cette tragédie montre que ledroit de s’organiser en syndicatsdépasse la seule question des haus-ses des salaires. Il permet de sauverdesvies»,plaideBradAdams,leres-ponsable en Asie de l’ONGHumanRightsWatch.p

JulienBouissou

économie& entreprise

«Onnepeutpasnousimposerunsystèmed’approvisionnementenfluxtendu,desbasprixdeproductionetdesnormesdesécurité

draconiennes»Un industriel bangladais

Peuplessolidairesveutmettreleprêt-à-porterdevantsesresponsabilités

Brésil Inde

Chine

Thaïlande

Autres

PRODUCTIONMONDIALE DE CANNEÀ SUCRE EN 2012, ENMILLIONSDETONNES

ÉVOLUTION DE LAPRODUCTIONENMILLIONS DE TONNES

560 320

100120

600

SOURCES : FAO ; UNICA ; SÉCHILIENNE SIDEC

BRÉSIL RESTE DU MONDE

2012 2020*

180270 290280

* Prévisions

Bagasse

Allemagne

France

Italie

Espagne

Etats-Unis

Portugal

R. tchèque

Turquie

Maroc

Tunisie

Chine

Bulgarie

Inde

Vietnam

Pakistan

Bangladesh

31,323,3

21,9

18,7

17,6

10,2

7,9

4,5

2,9

2,6

2,1

2,0

1,1

0,6

0,6

0,5

SOURCE : FÉDÉRATION DE LA MAILLE ET DE LA LINGERIE, FÉVRIER 2013

Coût horaire dans le secteur textileEN 2011, EN DOLLARSÉVOLUTION DES IMPORTATIONS EUROPÉENNES DE TEXTILE-HABILLEMENT

ENTRE 2010 ET 2012, EN MILLIARDS D’EUROS

France : les vêtements en provenance du BangladeshEN PARTDEMARCHÉ EN 2012

Bangladesh, deuxième fournisseur de l’Europe en 2012

ÉVOLUTION DES IMPORTATIONSAMÉRICAINES DE TEXTILE-HABILLEMENTENTRE 2011 ET 2012, EN MILLIARDS D’EUROS

0369121518212427

0369121518212427

Chine Bangladesh Turquie Inde Tunisie Maroc

Chine Vietnam Indonésie Bangladesh Mexique Inde

21

6,4 6,23,2 1,6 1,5

27

6,5

21,4 % 15% 13% 10,5 %15,1 %20%

4,5 4,2 3,5 2,8

– 10%

– 4%– 17% – 13% – 13%+ 9%

– 2%

– 3% – 1,5 % – 2% – 9%+ 6%

1er importateurde tee-shirts

2e importateurde chemisespour homme

3e importateurde polospour femme

3e importateurde costumes

2e importateurde pull-overs

2e importateurde polospour homme

20122011

20122010

INLASSABLEMENT, l’ONG françai-se Peuples solidaires et le collectifEthique sur l’étiquette, qui appar-tiennentau réseaumondial de250ONG, associationset syndi-cats dugroupededéfensedesouvriers du textile, CleanClothesCampaign (CCC),mettent enlumière les violationsdes entre-prises textiles enmatière de sécu-rité et droit du travail. Et tentedeplacer les géants duprêt-à-porterdevant leurs responsabilités.

A chaquedramedans les ate-liers de confection, l’ONGdénon-ce la négligence criminelle desdonneursd’ordre. Elle lanceparexempleen lignedes pétitions,commecelle contre l’utilisationparH&M,Gap et Levi’s de sous-

traitants qui paient unemisèreleurs salariées auCambodge.

Le 24novembre 2012, quandl’usineTazreenauBangladeshabrûlé et fait 112morts et 120bles-sés, faute d’issue de secours, Peu-ples solidaires a rappeléque «Car-refour, Pimkie, Go Sport, Casino,Auchanet C&A savaient depuisdes années que beaucoupdes usi-nes avec lesquelles ils travaillaientétaient des piègesmortels.»

Fin janvier, après l’incendied’uneautreusine, Smart Export,qui a coûté la vie à huit ouvrières,l’ONGa révélé que des étiquettesdeBershka et Lefties (Inditex), dudiscounterallemandKIK et desmarques françaisesNew look,Scott&Fox et Solo Invest ont été

retrouvées sur les lieux, le lende-maindudrame.

Depuis l’effondrementde l’usi-ne Spectrumen2005, qui avaitcausé lamort de 64 salariés, leCCCa compté 700morts dans lesateliersbangladais, sans compterceuxdudrameduRanaPlaza, il ya prèsde quinze jours.

Drames à répétitionDeuxdesusinesduRanaPlaza

avaientpourtantété certifiéesconformespar laBusinessSocialCompliance Initiative, organismequi réalisedes audits commandi-téspar lesmarquesdeprêt-à-por-ter, expliqueDorothéeKallou,chargéede lamissionDignitéautravaildePeuples solidaires.

«Mais cet auditn’étaitpas com-plet: sesauteursavaientvérifié lesconditionsde travail, pas la soliditédesbâtiments», ajoute-t-elle.

DesétiquettesTex (Carrefour)ontété retrouvéessur les lieuxdudrameet, selonPeuplessolidaires,d’autresmarques françaisescom-meSpilec (E. Leclerc), YvesDorseyet FranceDenimfigurentaussi surla listedes clientsde cesusines.SanscompterC&A, l’américainWalmart, les espagnolsMangoetCorte Ingles, lebritanniquePri-markou le canadienLoblaw.Cesquatrederniersont récemmentannoncé leurvolontéd’indemni-ser lesvictimes.

CleanClothesCampaigna réité-ré sapropositionfaite auxgéants

duprêt-à-porterde signerunaccordquiprévoitdesmesurescontraignantesenmatièredepré-ventiondes incendiesetde sécuri-tédesbâtiments,pourempêchercesdramesà répétition.

Danscettepropositionfigure lefinancementd’unfonds, àhauteurde380000euros,pourmettreenœuvredes audits indépendantsetpublier le résultatde ces inspec-tions. Les signatairesdoiventaussis’engageràpublier la listeexactede leurs fournisseurs. Seuls l’alle-mandTchiboet l’américainPVH(CalvinKleinetTommyHilfiger)l’ontparaphé. LeCCCredouble sapressionpourobtenirdenouvel-les signaturesd’ici au 15mai.p

NicoleVulser

LeBangladeshchercheànepascontrarier lesecteurtextileConfectionAprèsl’effondrementd’unbâtimentabritantdesateliers,Daccaferme18usines,maisnoteque«lesaccidentspeuventavoir lieupartout»

4 0123Vendredi 10mai 2013

Page 25: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

ShanghaïCorrespondance

Quelle date? Quelmontant? Cesont les deux questions qui obsè-dent, en cemoment, les analys-tes chargés de suivre les nouvel-les technologies enAsie. Ellesconcernent l’introduction enBourse du géant du commerce enligneAlibaba.

L’opérationprometde battredes records. Aumoins à l’échellechinoise. Probablement seplace-ra-t-elle juste au-dessousdurecordmondial établi par Face-book, qui avait levé 16milliardsdedollars enmai2012 (12,2mil-liardsd’euros). «Certains évo-quent la secondemoitié de cetteannée, d’autres 2014,mais person-nene peut parler avec certitude»,dit Victor Yip, analyste du fondsUOBKayHian àHongkong.

Crainte de spéculationsLe lieudemeureuneautre

inconnue.Une seule cotationà laBoursedeHongkonga, un temps,été évoquée.Mais, lundi6mai, lemagazineéconomiqueCaixinacitédes actionnairesd’Alibaba,expliquantque le groupeavaitsongéàune introductionparallèledans l’anciennecoloniebritanni-queet àNewYorkavant fin 2013,avantde repousser cette idée.

La probabilité d’unedoublecotationest renforcéeparunerécente rencontre entre des repré-sentants enChine de l’indice amé-ricaindes valeurs technologiques,Nasdaq, et ceuxd’Alibaba.

Le commerce en ligne est unsecteurprometteur enChine.Déjà 1300milliardsde yuans(161milliardsd’euros) ont étédépensés en 2012 sur leWebpar242millions d’usagers, soit 66%deplus qu’en2011 et 6,1%des ven-tes de détail dupays. Leministère

de l’industrie prévoit le quadru-plementde ces volumesentre2011 et 2015.

La positiond’Alibaba est royalepour les investisseursqui vou-draient bénéficierde cetteman-ne: le groupe gèreunpeuplusde71%des ventes auxparticuliers.

D’où la crainte de spéculations.ABloomberg, des sources bieninforméesont expliquéqu’Aliba-ba souhaite éviter l’effet Face-book, une surévaluationquiconduirait à la dégringolade.

Si certainsmisent surunevalo-risationdugroupeautourde100milliardsdedollars, l’agencedepresseaméricainetable sur lamédianedesestimationsdehuitbanquesd’investissementet cabi-netsde recherche:62,5milliardsdedollars.

L’opérationverrait Yahoo! sedébarrasserde ses dernièrespartsdansAlibaba. La société américai-ne avait investi, en 2005, à hau-teurde 40%dans le groupedeJackMa,mais la relationdeconfiance s’était rapidementdégradée.

Enmai2012, les deuxpartiessont convenuesd’unaccord.Aliba-ba reprenait lamoitié des partsdétenuespar Yahoo!, pour 7,1mil-liardsde dollars, et s’engageait àrécupérer le reste en cas d’intro-ductionenBourse.

Audébutde2013, JackMaadivi-sé songroupeen 25 entités, pouren faciliter la gestion. Il a annoncésondépart dupostede directeurgénéralpour réaliser la transitionavant l’entrée sur lemarché.

«Ne vous en faites paspournous, nousgagnonsde l’argent,quandnousprocéderonsà l’intro-ductionenBourse vous connaîtrezles chiffres», s’est amusé JackMalorsd’unede ses rares apparitionspubliques, àHongkong, enmars.p

HaroldThibault

économie& entreprise

Lesmystèresdel’introductionenBoursed’Alibaba

ShanghaïCorrespondance

La guerre entre les grands del’Internet chinois bat sonplein. Au cœur de la bataille,

la conquête des 564millions d’in-ternautes que compte l’empire duMilieu. Au départ, chacun avait saspécialité. Mais, avec l’explosiondes smartphones, les voilà enga-gésdansunecoursequilesvoitsor-tir de leurs prés carrés pour tenterde s’imposer sur tous les métiersduWeb.

Leschosesétaientassezsimplesjusqu’à récemment. Baidu avaitsonmoteur de recherche, Tencentses messageries instantanées, Ali-baba – dont le fondateur et PDG,Jack Ma, abandonne, vendredi10mai, ses fonctions de directeurgénéral pour ne garder que cellesde président – était le championducommerceenligneetSinaoccu-pait le terraindesmicroblogs.

Aujourd’hui, ceux qui ont lessources de revenus – ventes enligne,publicité,résultatsderecher-chesponsorisés–marchentsur lesplates-bandes de ceux qui ont sufidéliserunecommunautéd’inter-nautes–lesmicroblogueursetusa-gers de messageries instanta-nées– mais sans, pour l’heure,avoir pu lamonétiser.

C’est dans cette logique qu’Ali-baba s’est rapproché de Sina. Legéant du commerce en ligne aacquis 18% de son service Weibo,équivalent chinois de Twitter,pour 586millions de dollars(445millionsd’euros), le 29avril.

«Sina a du mal à convertir sonénormetraficenprofits», expliqueDuncan Clark, président de BDA,uncabinet spécialisédans lesnou-velles technologies en Asie, basé àPékin.D’où l’intérêtd’une allianceavecAlibaba.

Ces deux acteurs incontourna-bles coopéreront sur «la connecti-vitédes comptes, l’échangededon-nées, lepaiementenligne, lemarke-

ting,entreautreschoses».Restecet-te équation à résoudre: commentmarier réseaux sociaux et com-merceenligne, le«socialcommer-ce», sans faire fuir l’internaute?

Pour le géant du commerce enligne, l’opération ouvre deux por-tes,celledel’Internetmobileetcel-le des communautés Weibo. Cesont justement ces deux problé-matiquesqui obsèdent JackMa.

Delonguedate, lefondateurd’A-libaba, qui s’apprête à 48ans àprendre ses distances du groupequ’il a construit, est convaincuque l’avenir appartiendra à ceuxqui sauront maîtriser l’ensemblede la chaînede l’Internetmobile.

Alibaba dispose de son propresystème d’exploitation, lancé en2011, qui ne parvient pas à s’impo-ser sur un marché dominé parAndroid. Google avait d’ailleursréussi en 2012 à dissuader le fabri-canttaïwanaisAcerdecréeruntélé-phone fonctionnant sur le systè-me d’Alibaba, alors baptisé Aliyunetdésormais renomméAmos.

Jack Ma n’est pas du genre à sedécourager, et, à lami-avril, Aliba-ba annonçait un accord avec cinqmarques chinoises de smartpho-nesafinqu’elleslancent,encontre-partie de financements, sixmodè-les sous son système d’exploita-tion. Dans cette même logique, legroupe a égalementmis 1milliardde yuans (123,8millions d’euros) àdispositionde développeurs d’ap-plications.

Sur le front des réseauxsociaux,Alibabaavaitlancél’offen-sive en décembre2011, en présen-tant son propre service, LaiWang,qui s’est montré incapable jus-qu’ici de concurrencer les Weibo,les plates-formes de microblogsdeTencent oude Sina.

«Alibaba,Tencent,Baiduse fontune concurrence croissante, àmesure que l’on passe de l’ordina-teur au téléphone portable »,constateM.Clark, également asso-cié au projet China 2.0 de l’univer-sitéde Stanford auxEtats-Unis.

Ainsi, relève-t-il, le moteur derecherche Baidu n’oriente pas sesutilisateurs vers la plate-formed’achatsenligneTaobao,qu’Aliba-baacrééeen2003.Etlegroupepro-pose déjà plusieurs services pro-ches du réseau social comme, parexemple, Tieba, un forum organi-sé autour de mots-clés de recher-che.

Tencentn’est pas en reste. L’en-treprise dit avoir attiré 300mil-lions d’usagers sur WeChat, uneapplication proche de sa concur-rente californienne What’s App,

qui permet l’échangedemessagesvocauxetdetexteentresmartpho-nes par l’intermédiaire d’Internet.Elle a, au passage, suscité l’ire dupremier opérateur mondial,China Mobile, privé d’une sourcede revenus. Comme sur Facebook,les usagers de WeChat publientphotos et autresbillets d’humeur.

CegroupedeShenzhen(provin-ce du Guangdong) s’est, dans unpremiertemps,davantageintéres-séaunombred’usagersqu’aureve-nu qu’il pouvait en tirer. Mais ilcompte bienmaximiser les gains,une fois WeChat devenue incon-tournable.

Il relancedésormais sonservicede paiement en ligne, Tenpay, quidisposait en 2012 de 22% dumar-ché des paiements sécurisés parl’intermédiaire d’un compte tiersenChine, contre 49%pourAlipay,d’Alibaba, selon le cabinet Analy-sys. Ce rapport de force s’inverse-ra-t-il si, comme Tencent l’espère,il réussit à imposer les paiementsen ligne sur l’applicationWeChat?

Cette convergence entreréseaux sociaux, moteurs de

recherche et achats en ligne nour-rit une concurrence acharnéeentre touscesgroupesetdoncunecourseaux talentset à la créativitéqui n’est pas sans rappeler laSiliconValley.

Alibabaaainsi introduitunpro-gramme d’incubateur d’idées ausein duquel ses employés peuventlibrement former des équipes etproposerdenouveauxproduitsoudes améliorations. Ces idées nova-tricessontensuitemisesenconcur-rence avec celles d’autres équipeset présentées devant un comité

d’évaluation interne, avec à la clédes récompenses et la satisfactionde voir sa contribution mise enapplicationsur les sitesd’Alibaba.

«Ce programme nous garantitde bonnes idées et des gens créa-tifs», expliqueTrudyDai,vice-pré-sidente d’Alibaba chargée des res-sources humaines. Le cliché veutpourtant que la créativité ne soitpas le fort de la Chine, mais lestemps changent. «L’innovationest la force motrice sur Internet»,avanceMmeDai.p

HaroldThibault

QuatregroupesincontournablesBAIDU«Le»moteur de rechercheEnChine, 80%des requêtes effec-tuées sur Internet le sont sur lesite blancmarquéde rouge et debleudeBaidu.AvantmêmequeGooglenemènela fronde contre les censeurschinois, Baidu– qui partage lamêmeapparence avec le géantaméricain– était déjà le grandgagnantdesmoteursde recher-che en ligne.L’entreprise, cotée auNasdaq, aenregistréun chiffre d’affaires de3,6milliardsde dollars (2,7mil-lionsd’euros) en 2012, enhaussede 54%.Baidune s’est jamais embarrasséd’éthique. Le groupea supropo-ser des services annexes fidéli-sant les usagers, tels que la lecturedemusique en ligne.Malgré sapositiondequasi-mono-pole sur lemarché chinois, Baidun’est pas à l’abri des défis. Son fon-dateur, Robin Li, a expliquéqueBaidua enmoyenne 100millionsd’usagers sur téléphoneportablechaque jour.Or, ce tournant amalété anticipé.Si 99,7%de ses revenusprovien-nentdumarketing en ligne, le sitea constatéque ses annonceursn’étaientpas encore assez prépa-rés à l’ère du smartphone.Et le groupe reconnuque les deuxprochainesannées seraientunepérioded’ajustement. p

ALIBABALe coin des bonnes affairesCréé en 1999dansunapparte-mentdeHangzhou (est), parunancienprofesseurd’anglais, JackMa,Alibaba.compermetà desmil-lionsd’entreprisesde trouver desfournisseurs aumeilleur prix etdepasser commande. Pourtant,c’est un autre site développéqua-tre ansplus tardqui fait dugrou-peunacteur incontournabledel’économieduWeb chinoise, Tao-baoou«la chasse au trésor». Si,en 2003, eBay détenait 90%dumarché chinois, il a désormaisquasimentdisparu. Taobao estréputépour être sourcede bon-nes affaires, et pour commerciali-ser des contrefaçons.Un troisième site, Tmall, doit per-mettre auxgrandesmarquesdetoucher le consommateurà l’ins-tar d’un centre commercial, tan-dis que sur Taobao le vendeur estsouventun jeuneentrepreneurqui a lancé sa boutiqueen lignedepuis chez lui. Le groupeAlibabaa égalementdéveloppédes servi-cespermettant ces transactions,avec le systèmedepaiementAli-pay, comparable à PayPal.Mais si dixdes seizemillionsdecolis livrés chaque jour enChinesontdes commandespassées surTaobaoouTmall, leurmaisonmère s’est toujours refusée àinvestir dans la chaîne logistique,trop coûteuse. p

TENCENTLamessagerie en ligneAvecun chiffre d’affaires de6,99milliardsde dollars (5,31mil-liardsd’euros) en 2012, enhaussede 54%, Tencent est le premieracteurduWeb enChine. Son servi-cedemessagerie en ligne,QQ,créé en 1999, a été adoptépar lajeunessedupays. Il compte798millionsde comptes d’usa-gers. Il est fréquent qu’unChinoisdonne sonnumérodeQQplutôtque celui de sonportable.Tencent a aussi réussi dans lesjeuxgratuits en ligne, qui sédui-sent enChine, où la plupart desconsolesn’ontpas encore été auto-riséespar le gouvernement.Toutefois, ce service est vieillis-sant. Tencent a lancé, en jan-vier2011,Weixin, une applicationpour smartphones comparable àWhatsApp. Endeuxans, elle a atti-ré plus de 300millions d’usagers.Elle permetdeparler à lamanièred’un talkie-walkie et de partagerphotos et commentaires.Tencent espère être l’un despre-miers acteurs duWeb chinois àréussir à l’étranger, en lançantWeixin, rebaptiséWeChat, sur lesmarchés asiatiques. Le groupes’est targué récemmentde comp-ter 40millions d’usagershors deChine. La censure apparentedesmessages envoyés est toutefoissourcedepolémiquespour Ten-cent à l’étranger. p

Laconvergenceentreréseauxsociaux,

moteursderechercheetachatsenligne

nourrituneconcurrenceacharnée

entreAlibaba,TencentetBaidu

JackMa, fondateur et PDGdu géant chinois du commerce en ligne Alibaba, àHangzhou (Zhejiang), le 23avril. CARLOS BARRIA/REUTERS

LesgrandsacteursduWebenChineselivrentuneguerresansmerciTechnologies Ils cherchent tousàmaîtriserl’ensemblede lachaînede l’Internetmobile

SINALe spécialistedesmicroblogsSina s’est d’abordattiré la fidélitédes internautes chinoispour sonportail d’actualités et dedivertis-sement. La réussite lui a permisd’attirer les annonceurs, de sorteque Sina a rapidementpu créerses propres informations, enplusde celles des agences et grandsjournauxchinois.Le groupepeine toutefois à tirertout le profit de son succès popu-laire, hésitant à imposer davanta-ge depublicité, de craintede fairefuir l’usager.Sina fournit égalementdes servi-ces de boîtesmail gratuites et s’es-saye aux réseaux sociaux.Maisc’est son servicedemicroblogs,Weibo, lancé en août2009, qui luivaut son succès actuel. SinaWei-boa dépassé les 500millionsdecomptes,mêmesi le groupe recon-naît avoir en réalité 46,2millionsd’usagersquotidiens.Il est devenu la source d’informa-tionmajeuredes jeunesurbainsde la petite classemoyenne et dis-poserait aussi d’unepetite arméede censeurs chargésdenettoyerles commentaires critiquespours’assurerque le gouvernementmaintienne le site.Sina, coté auNasdaqdepuis 2000,a réaliséun chiffre d’affairesde482millionsde dollars (366mil-lionsd’euros) en 2011. p

50123Vendredi 10mai 2013

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Unebouffée d’oxygènepourSony. Pour la première foisdepuis quatre ans, le fabri-

cant d’électronique japonais aannoncé,mercredi8mai,desrésul-tats annuels positifs.

En 2012-2013, Sony a réalisé unchiffre d’affaires de 6800mil-liards de yens (52,2milliards d’eu-ros)enhaussede4, 7%par rapportà l’exercice 2011-2012. Longtempsdans la tourmente, l’entreprise asurtout réalisé un bénéficenet de43milliards de yens, contre uneperte de 456,7milliards de yens en2011-2012.

Si le groupe de Tokyo réussit àsortir légèrement la tête de l’eau,c’est d’abord grâce à des gainsexceptionnels. Sur les douze der-niers mois, Sony s’est livré à unesérie de cessions dans différentsdomaines afin de mettre fin, aumoins ponctuellement, à ses per-tes désastreuses.

Soncélèbre siègedeManhattanà New York, a ainsi été vendu. Unmagnifique immeuble situé sur latrès prestigieuseMadisonAvenueet valorisé 1,1milliard de dollars(835,5millionsd’euros).

Sony ne s’est pas arrêté là : il aaussi vendudes bureaux au Japonainsi que des parts dans «M3», untrès rentable site Internet qui gèredes informations pour le corpsmédical.Le tout pour 1,4milliarddedollars.

Cescessionsnesontpasles seu-les responsables de la santé par-tiellement retrouvée du cham-pion nippon. La dépréciation duyen a aussi joué. Longtempsdécriée par les entreprises de l’ar-chipel, car trop cher par rapportau dollar, lamonnaie a affiché uncours plus favorable durant lessix derniersmois. Cela a permis àSony de mieux exporter les 30%

de produits encore fabriqués auJapon.

Mais le coursduyenn’estpas laseule explication, affirme JusyHong,analystechez IHSiSupplienCorée du Sud : «Sony a réduit sespertes dans les téléviseurs et leseffets commencent à se faire unpeu sentir.»

La division téléviseurs, long-temps la fierté du groupe, étaitdevenue son talon d’Achilledepuis quelques années. Confron-tée à l’agressivité des concurrentscoréens, elle n’a cessé deperdre del’argent, grevant les comptes dufabricant japonais.

Aujourd’hui, elle semble enconvalescence: la perte qui étaitde 203,2milliards de yens en 2012,a été réduite à 84,3milliards. Unexploit selon les analystes, tant lasituationétait difficile.

Transition« Ils sont tout simplement en

train de faire la transition vers letrès haut de gamme, avanceM.Hong.Ilsontabandonnélafabri-cation de modèles peu chers oumoyen de gamme pour se concen-trer sur la série Bravia, des écransde très grande qualité. La réputa-tion de Sony est encore très solide.Le groupe peut se permettre de seconcentrer uniquement sur ce seg-ment.»

Pour Nick Dillon, du cabinetOvum, cette transition est à met-treaucréditdeKazuoHirai.Arrivéà la tête de l’entreprise il y a unan,le nouveau PDG a impulsé unenouvelle stratégie : il a réorganiséle groupeen trois divisions (mobi-lité, imagerie et divertissementdomestique),a lourdementinsistésur la montée en gamme des pro-duits et a enjoint aux équipes detravailler ensemble.

«Il fallaitvoir l’organisationpré-cédente! Les équipes pouvaient setirer dans les pattes, travailler demanière concurrente sur lesmêmes projets. Lui, les a forcées àmettre en commun leur savoir-fai-re», s’enthousiasmeM.Dillon.

Dans la division mobile, l’ac-tion deM.Hirai, a été particulière-ment saluée. Bien que Sony soitencore loin derrière Samsung etApple, les derniers smartphoneslancés par la marque ont été dessuccès.L’XperiaZ, fleurondu japo-nais a connu un beau démarrage,se vendant sur le premier moismieuxqu’aucun téléphone Sony.

CependantLewisWard,analysteau cabinet IDC, prévient : «Il fautencoreattendreunanpourvoirsi latendanceseconfirme.Ilnesuffitpasd’avoirdebonspremiersrésultats, ilfautqu’ils consolident leurposition,notammentsur lemobile.»

Idem pour le jeu. Sony qui doitlancer sa PlayStation 4 dans lesmois qui viennent, est attendu autournant. « Ils doivent prouverqu’ils savent encore faire des bloc-kbuster dans tous les domaines!»,conclutM.Ward.p

SarahBelouezzane

Emploi

73,4millions

C’est lenombrede jeuneschômeursdans lemondeattenduen2013, selonun rapport de l’Organisationinternationaledu travail(OIT)publié le 8mai. Il a augmentédeprèsde 3,5millionsdepuis2007. Il ne fautpas espérerd’améliorationàmoyen terme, dit lerapport: le tauxdechômagemondialdes 15-24 ansdevrait s’éta-blir à 12,8%en2018, contre 12,3%en2013.Dans les économiesdéveloppées, ce tauxabondi de24,9%entre2008et 2012, attei-gnant 18,1%en 2012. Il nepasseraitpas sous les 16%avant 2018.

Médias

Lemonde.frpassedevantLefigaro.frSelon les chiffres deMédiamétrieNetRatings, renduspublicsmardi 7mai, le site duMonde est passédevant celui du Figaro,avec9,68millionsde visiteursuniques. Il arrive en tête des sitesd’informationdepresse écrite suivi par Lefigaro.fr et ses 9,46mil-lionsde visiteurs uniques, le site duNouvelObservateur (8mil-lions) et celui du Parisien (8millions). Lefigaro.fr faisait la courseen tête devant Lemonde.fr depuis juillet2008dans le classe-mentdeMédiamétrie.LeMonde aprofité d’une actualité forte enmars, avecnotam-ment l’électiondupape François. Sonaudienceprend en comptecelle duHuffingtonPost français (filiale à 34%duMonde) et dusitepartenaireAujardin.info.De son côté, Le Figaro intègrel’audiencedu site Evene et duConjugueur.p

économie& entreprise

«La zone eurova resteren récessionen 2013»LakshmiMittal, le PDGd’ArcelorMittal, lors de l’assembléegénérale du géant de la sidérurgie, qui s’est tenuemercredi8mai au Luxembourg. Par ailleurs, le patron du groupe ne croitpas à une reprise de la demande d’acier, qui devrait baisser de0,5% à 1,5% dans l’eurozone cette année.M.Mittal aaussiappelé l’Union européenne à réduire les coûts de l’énergie et dutravail afin de rendre plus compétitifs ses sites industriels.

A la suite de l’article «Chas-seurs de fortunesorpheli-nes» (LeMondedu 5février

2013), EricDelangle, directeurgéné-ral de Sogeni, nous écrit :

L’article «Chasseursde fortu-nesorphelines» aborde la ques-tionde fonds endéshérencedansles banques suisses et le proces-susde recherchepar des généalo-gistes successoraux.

Vous indiquezque «laprofes-sionn’apas toujours eubonneréputation»et citez la sociétéSoge-ni en ces termes: «Pendantdesannées, Sogeni avait lemonopoledumarché, n’hésitantpasàdemanderdes commissionsallant jusqu’à 25%du “trésor”.»

Cesdéclarationssont injusti-fiées: s’il est vrai que certainsgénéalogistes successoraux,notammentdans l’Unioneuro-péenne, ontpratiquédans lesannées 1990desniveauxexcessifs

de rémunérationaupourcentage,notammentdans l’affairedesfonds juifs, depuis, la jurispru-dencedes tribunauxallemands,françaisouaméricains a admisdespourcentages jusqu’à 33%.

Sogeniestune sociétéhelvéti-que fondéeen1994,pionnièreenSuisse,qui demeure la référence.Elleapourpolitiquedenepas ren-drepubliquesses relationscontrac-tuelles. Les tauxqu’ellepratiquenesontni excessifsni injustifiés.

Par ailleurs, la duréed’unerecherchequi se conçoit commeunemission très complèteetdocu-mentéevisant àobtenir des résul-tats fiables est deplusieursmois,voiredeplusieursannées. La socié-té est amenéeàdébourserdessommes importantesen assu-mant tous les frais de recherche,avec le risquedenepas trouver leshéritiers, cas oùellen’est pasrémunérée.p

Conjoncture La banque centrale deCorée duSudabaisse son taux directeurLa banque centralede CoréeduSud a annoncé, jeudi 9mai, unebaissede son tauxd’unquart de point (à 2,50%), destinée à com-penser le recul duyen, qui pénalise ses exportations. – (AFP.)

Le taux d’inflation chinois en hausse, à 2,4%Lahaussedes prix à la consommationenChine s’est accéléréeà2,4% surunan en avril, après avoir atteint 2,1% enmars, a rap-porté le Bureaunational des statistiques, jeudi 9mai. – (AFP.)

Les banques lettones inquiètent l’agence FitchLa Lettonie, qui aspire à intégrer la zone euro en2014, est expo-sée à «différents risques bancaires», a commenté,mercredi8mai, l’agencedenotation Fitch.Dans ce pays balte de 2millionsd’habitants,« les dépôts des non-résidents – principalement rus-ses – représentent 49%du total des dépôts (37%àChypre) et sontconcentrésdans les banquesnationales», précise Fitch. – (AFP.)

Lapublicitéàlatélévisions’effondreMédiasSi lapresseécrite souffreausside la frilositédesannonceurs, la radios’ensortmieux

JusticePlainte contre FedEx pour fichage illégalUnancien cadre de FedExa déposéplainte, le 20 avril, àNanterre(Hauts-de-Seine) contreun fichage illégal dupersonnel dugrou-pedemessagerie, indique Le Parisien jeudi 8mai. La directionareconnusonexistence et assurequ’il été aussitôt supprimé.

Réduction de peine pour l’ancien patron d’EnronJeffrey Skilling, ex-directeurgénéral d'Enron, pourrait sortir deprisondix ans avant le termede sa peinedevingt-quatre anspro-noncéeen 2006, selonunaccord trouvé le 8mai avec la justice.

BanqueAccord entre la Société générale etMBIALabanque française renonceauxpoursuitesengagéescontre leréhausseurde crédit américainaprèsune transactionannoncée le8mai. Selon leWall Street Journal,MBIAaurait acceptédeverser350millionsdedollars (265millionsd’euros) à la SociétéGénérale.

TéléphonieSony se classe auseptième rangmondial sur lemar-chédes smartphones, avec4,2%depart demarché, derrière lecoréenSamsung, l’américainApple, le finlandaisNokia, l’améri-cain RIM-BlackBerry, et leschinoisHTCet ZTE. En 2012, legroupe a vendu 30,4millions desmartphonesdans lemonde.

TélévisionDans les écrans LCD

pour téléviseurs, Sony est numé-ro troismondial, derrièreSam-sung et LG, avec 7%depart demarché en2012, contre 10%en2011. Sonydispose aussi de 7%depart demarchédans lesécrans LED.

Jeux vidéoEn2012, Sony a raflé44%dumarché avec saPlaySta-tion 3, devançantNintendoet saWii etMicrosoft et saXbox.

Ledébutd’année a été trèsdif-ficile pour lemarché publici-taire.AupointqueZenithOp-

timedia, l’agencemédiadugroupePublicis, a revu ses prévisions à labaisse débutmai: elle table désor-mais surunebaissede4%dumar-ché en 2013, contre 3% précédem-ment.Aupremiertrimestre,lachu-te a été de 10%.

«Traditionnellement, le débutde l’année est difficile, rappelleDominique Delport, président deHavasMedia France.Mais il y a euun vrai coup de mou en mars. Lemarché est un peu reparti en avril.Tout le monde attend un rebondaudeuxième semestre.»

Cette conjoncture difficile apesé sur les résultats trimestrielsde TF1, dont le chiffre d’affairespublicitaireabaisséde12%aupre-mier trimestre. Le groupe demédias français est tombé dans lerougeavecunepertenetteconsoli-déede4,5millionsd’euros. Ilarévi-séà labaissesonobjectif dechiffred’affaires annuel pour 2013 à2,5milliardsd’euros.

L’effet de la crise économiquese fait sentir. Elle suscite un atten-tisme de la part des annonceurs,quisontpeuenclinsàinvestir.Cet-teconjoncturefrappeparticulière-

ment la presse écrite. Selon l’insti-tut Kantar Media, les recettespublicitaires brutes des journauxet des magazines ont baissé de4,7%aucours desquatrepremiersmois de l’année. Dans le mêmetemps, l’offre s’accroît avec le lan-cement du féminin gratuit Stylistpar le groupeMarieClaire, et bien-tôt l’arrivée du quotidien L’Opi-nion et du mensuel Vanity Fair.

«Le marché est dynamique, maisnous sommes toujours dans unephase de transition vers le numéri-que», noteM.Delport.

La radio s’en tire plutôt bien,selon les experts. «C’est unmédiaque les annonceurs aiment bienpar sa simplicité et sa réactivité,déclare M.Delport. C’est le médiaque l’on écoute en allant vers lemagasin…»

La publicité télévisée est cellequi souffre le plus, en raison d’uncontexte français bien spécifique,qui fait baisser les revenus des

grandes chaînes. « TF1 et M6essaient de récupérer leur part demarché pour préparer la sortie decrise, constate M.Delport. Cela setraduit par une bagarre qui tire lesprixàlabaisse.»Or, lemarchéfran-çaisest encoreunoligopole.A côtédu service public – interdit depublicitéaprès20heures–ilexistedeux grands acteurs privés qui selivrent une guerre sansmerci. TF1et M6 captent à eux seuls 70% dumarchéde la publicité télévisée.

Cependant,l’arrivéedesnouvel-leschaînesdelaTNTestentraindechanger la donne, même si leuraudience reste modeste. Désor-mais les annonceurs ont le choixentre vingt-cinq canaux natio-naux. « Des chaînes commeDirect8,W9,NRJ12rencontrent leurpublic et attirent tous les soirs desaudiences de l’ordre du million detéléspectateurs, souligneM.Delport. Elles constituent unebonne affaire pour les annonceursàuncoûtquirestetrèscompétitif.»

L’essor de la vidéo sur Internetcontribue également à bousculerle marché, qui passe d’une écono-mie de rareté à une économied’abondance.«Aujourd’hui,toutesles campagnespublicitairesaudio-visuelles intègrent la vidéo en

ligne, qui représente environ 5%des budgets », estime PhilippeNouchi, directeur de l’expertisemédiadeVivaki.

Or, cette publicité sur Internetn’est pas captée majoritairementpar les sites des grands groupesaudiovisuels. La part des revenusdigitaux dans les recettes publici-taires de TF1 et de M6 se situeautourde 5% seulement.

Lavidéosur Internetserépartitentre plusieurs canaux de diffu-sion que sont la catch up télévi-sion, les agrégateurs du type You-Tube ou encore les portails tradi-tionnels. «Le marché est en pleinessor, mais il manque encore dematurité, constate M.Nouchi. Enparticulier, nous n’avons pas deretour sur l’efficacité des diffé-rents canaux de diffusion pourl’annonceur.»

SurInternet,lesgrandestendan-ces de l’évolution du marché seconfirment. Les annonceurs sontde plus en plus attirés par le« social média», c’est-à-dire lapublicité sur les réseaux sociauxcomme Facebook, Twitter maisaussi LinkedIn. Ces sites offrentaux marques un ciblage toujoursplus fin des internautes.p

XavierTernisien

CORRESPONDANCEUnelettredeSogeni

Unacteur de poids dans l’électronique

Présentation dunouveau smartphone Xperia Z, étanche, à NewDelhi, le 6mars 2013. SAJJAD HUSSAIN/AFP

Aprèsquatreannéesdepertes,SonyretrouvelechemindesprofitsElectroniqueLe japonaisabénéficiéde l’effetdecessions. Il redresse la têtedans les téléviseurs

TF1etM6captentàeuxseuls70%dumarchédelapublicitétélévisée

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Lacrise européenneactuellevoit invoquer régu-lièrement le spectrede la dépressiondes années1930et de lamontéevers la guerre. Certes, la cri-

se boursièreet bancaire américainede 1929-1932avait été suivie et aggravée, commeaujourd’hui, parune crise résultantdedéséquilibres intra-européens.Mais ceux-ci étaient radicalementdifférents.

Toutd’abord, c’est alors l’économie la plus puis-sante d’Europequi s’effondre et entraîne les autresdans la crise : c’est l’Allemagne, débitrice des répara-tionsde la première guerremondiale,mais aussiemprunteusedurant toutes les années 1920 au lieudemener la politiqued’austérité que la France luidemandealors d’endosser, qui fait défaut en 1933sur sa dette extérieure et rompt toutes ses relationseuropéennes.

Surtout, les Etats européensdans les années 1930voient renaître le conflit nationaliste que les tentati-ves de retour aumonde ouvert de la Belle Epoquen’avaientpu éteindre, sans doute parce que les circu-lations sans frein appelaient en contrepoint cenationalisme.C’est ce conflit qui empêche la résolu-tion coopérativede la crise pendant toutes lesannées 1930.

C’est pour surmonter cette tensionet donner auxEuropéensune capacité à s’insérer sans se dissoudredansunmondeouvert ainsi quedes solutionspourrésoudre leurs conflits internes que l’Union euro-péennea été construite.Aujourd’hui, l’Europeet lazone eurodisposent d’institutions communesapprofondiespendantplusde cinquante ansde coo-pération.

Réalisationmajeure, l’intégrationmonétairede lazone eurova, aujourd’hui, bienplus loin que suppri-mer les tauxde change: elle interdit aussi les dépré-ciationsunilatéralesdes dettes d’unpayspar rap-port auxautres, et renforce ainsi les droits réels desEuropéensque les institutions européennesprotè-gent par ailleurs sur le plan légal.

Toutes ces protections ont surtout bénéficié aux

détenteurs de patrimoines de toute la zone euro,qui tirent en outre avantage de la libre circulationdes capitauxquimet en concurrence fiscale lesEtats. Aujourd’hui, ces détenteurs de patrimoine–Allemands ou non, jeunes ou vieux – doiventaider les emprunteurs et les contribuables ordinai-res à retrouver l’activité nécessaire pour payerleurs dettes et leurs impôts sans sacrifier leurniveau de vie.

Pour une politique économique communePour cela, ils doivent investir en Europe au lieu de

prêterhors d’Europe, commeaujourd’hui, 2,5%duproduit intérieur brut de la zone europar an (l’excé-dentdes paiements courants européens). Fautedecette réorientationmarginale,mais essentielle, del’épargnevers l’investissement en Europe, c’est nonseulement la possibilité d’une relance,mais la viabi-lité de l’unité juridique européenneet de sa protec-tiondespatrimoinesqui sontmenacées, comme lacrise chypriote a commencé à le faire deviner.

Pour relancer l’investissementen Europe, il fautqu’unepolitiqueeuropéennenon contradictoiresoitmenée, c’est-à-direune véritable coordinationde la politiqueéconomiqueauniveaueuropéen.Pour cela, il ne fautpasune «relation franco-alle-mande»maisunevie politiqueeuropéennequidébouche sur ungouvernementcapable deprendredesdécisions.Onnedemandepas à la Californie etauTexas d’être d’accord sur la politique àmenerpour les Etats-Unis.

La chancelièreallemande, AngelaMerkel, et le pré-sidentde la République, FrançoisHollande, appar-tiennentà despartis politiques opposés, et ondoitcesser de lemasquer. Il faut, pour que l’Europe aitunepolitique, unifier zone euro etUnion européen-ne, transférerdes pouvoirs budgétaires réels auniveaueuropéen, et que, enfin, les élections euro-péennesprennent le pas sur les électionsnationales.

Unagenda lourd,mais simple et nécessaire.p

idées

L’ÉCLAIRAGE | CHRONIQUEpar Pierre-Cyrille Hautcœur

Larelanceeuropéenne, cléde lareprise

Trois minirévolutions sontaujourd’hui en cours à Lon-dres, Pékin et Tokyo. Le réfé-rendum sur le «Brixit» (mot-valise composé de Britain etexit) pour décider de la sortie

ou du maintien du Royaume-Uni dansl’Union européenne marque une muta-tiondans l’équilibre des pouvoirs entre leRoyaume-Uni et les pays de la zone euro.Le rééquilibrage de l’économie chinoise,qui aura d’importantes répercussions surl’économie mondiale, vise à passer d’undéveloppementà forte croissance tiréparl’investissementet les exportations àuneéconomie à faible croissance tirée par laconsommation. L’émission massive deliquidités par la Banque du Japon, avecpour objectif d’atteindre une inflation de2% en deux ans, est un virage économi-quemajeur, consistantà inverser lesprio-rités entre croissance et désendettement,et la logique de résorption de la detteaujourd’hui à l’œuvre aux Etats-Unis eten Europe.

Nous assistons, dans les trois cas, àl’abandon de la croyance en un multila-téralisme efficace, et à un retour aux éta-lons décisionnels de l’unilatéralismenational. C’est aussi l’échec des illusionssurlacréationd’unsystèmemondialcohé-rent structuré autour de sous-ensembleshomogènes s’inspirant de manière prag-matique dumodèle de l’Union européen-ne. C’est en effet « l’intérêt national» quidicte, dans les trois cas, les choix d’unepolitiqueéconomique.

Le choix du Royaume-Uni concerne sarelation historique et politique avec l’Eu-rope continentale. Il porte un nom: laréformede l’Unionet la renégociationdestraités.

Il s’appuie sur deux points-clés : ladéfense intransigeante de l’intérêt natio-nal et l’intangibilité du concept de souve-raineté.A ce titre, leRoyaume-Uninepeutadopter l’objectifd’uneplus forte intégra-tion politique, le «plus d’Europe» voulupar la chancelière allemandeAngelaMer-kel. Cet objectif d’une Union de plus enplusintégrée,indispensablepoursurmon-ter la crise de la dette et sauver la zoneeuro, sera donc réglé, à Londres, par lerecours au référendum.

Ce plus d’intégration comporterait eneffet des délégations de pouvoir à Bruxel-les dans des domaines budgétaires que leRoyaume-Uni juge attentatoires à sa sou-veraineté et qui correspondent, selon sesappréciations, à une forme d’idéologie etd’utopie. Les contraintes liées à cet objec-tif (unionbancaireetunionfiscale)provo-queraient un changement de nature del’Union, et donc un déséquilibre de pou-voir entre la zoneeuroet leRoyaume-Uni,marginalisant celle-ci.

Enfin, ce «plus d’Union» lèse le seulgrand intérêt du Royaume-Uni, lemarchéunique,quiconstitueunintérêtvitalpourunenationmarchande,ouverteà l’Europecommeaumonde.

D’où l’intention de renégocier les ter-mes de l’adhésion de 1975, car les nou-veauxéquilibresdepouvoirspenchentendirection de l’Allemagne, dont le Royau-me-Unin’entendpas devenir un Land.

Le premier ministre britannique,David Cameron, et les conservateursentendent donc faire pression sur l’Alle-magne et la France pour que l’Union, à

l’heurede la compétitionplanétaireenga-gée avec la Chine, l’Inde, le Brésil et la Rus-sie, soit«plusouverte,plusconcurrentiel-le et plus flexible».

C’est d’ailleurs à cette compétitionpla-nétaire que se préparent également laChine et le Japon.

La Chine, dont la montée en puissancene cesse d’inquiéter par ses aspects politi-ques et militaires, est en train d’opérerune transition difficile enmatière écono-mique. Elle entend entrer, au cours de laprochaine décennie, dans une nouvellepériode de croissance, caractérisée par ledéclin de l’investissement et l’essor de laconsommation.

Mais les difficultés de cette transition,qui ont déjà fait échouer le Japon dans lesannées1990,sontmultiples.Leralentisse-ment économique, le surinvestissementet ladépendanceà l’exportationontgéné-rédesbullesfinancièresetdeseffetsdesta-gnation.

Il n’est donc pas exclu que, dans unepériodedevieillissementdelapopulationet de pénurie de main-d’œuvre, cettemutation s’accompagne d’une série dedérapages dans le domaine du créditimmobilier, de la solidité du secteur ban-caire oudes inégalités de revenu.

Enfin, la rupture de politiquemonétai-re au Japon, les «Abenomics» [surnomdonné aux réformes engagées par le pre-mier ministre, Shinzo Abe], apparaît com-meun coupdedés. Elle vise unedéprécia-tionduyenetdoncuneplusfortecompéti-tivité internationale de l’économie japo-

naise, tout en mobilisant massivementtous les outils disponibles pour soutenirl’économie. Pour absorber un endette-ment public colossal de l’ordre de 240%duproduitintérieurbrut(PIB),cettevérita-blerévolutionmonétaireconsisteenquel-que sorte à éliminer la dette par l’endette-ment.Cettestratégieest-elleunevraierup-ture, ouparticipe-t-elled’un coupdemar-keting, lesuccèsdépendantendernierres-sort de l’environnement économique etpolitique régional et mondial, et en gran-de partie de l’évolution des tensions géo-politiques avec la Chine et les deuxCorées?Elleestentoutcasradicaleetpour-rait bien inspirer Américains et Euro-péens en quête d’une stratégie de rechan-gepour relancer la croissance.

Mais si la logique de la compétitivitédevaitsetransférerdesproduitsauxmon-naies, la concurrence se déplacerait desbiens et services aux investissementsmonétaires, et la guerre des monnaiesdeviendrait l’arbitrede lamondialisation,condamnant de fait le multilatéralisme àdeveniruneidéologieducommercemon-dial de la fin duXXesiècle…

Enclair, ilnepeutyavoirdemultilatéra-lismeefficace, car ladimension inégalitai-redel’ordreinternationalestdueaupoidsinégal des Etats, produit d’une régulationhiérarchiqueetnaturelledesrelationséco-nomiqueset politiques.p

Les débats actuels sur le budget de l’Unioneuropéenne (UE) et ceux qui suivront aucours de l’année 2013 illustrent parfaite-ment la crise profonde que traverse l’Eu-rope.Touchésdurement,uncertainnom-bre d’Etats européens souhaitent voir

diminuer le budget de l’Union et, par voie de consé-quence, reléguer «auxoubliettes» les projets d’ave-nir, et tout simplement la dynamique européenne.

Rigueur oblige ! Le constat semblerait évident,l’Europeseraitunpostedecoûtsetnonuneperspec-tive d’avenir. Phénomène encore plus accentué parl’idée que se font les Européens d’eux-mêmes et del’image qu’on leur renvoie à tort : l’avenir serait der-rière eux!

La panne que connaît l’Europe ne doit pas mas-quer la responsabilité des Etats qui, ces dernièresannées, se sont révélés dans bien des cas de vérita-blesobstaclesentrelescitoyensetl’UE,faisantdecet-te dernière un bouc émissaire, la cause de tous lesmaux, justifiantmême parfois les échecs des politi-quesnationales.

Le projet d’une Europe unie est en train de s’éro-der faceà l’individualismeet aumanquede solidari-té. Il est urgent de souligner que l’Europe de Schu-man,Monnet, Adenauer, de Gasperi, n’est vraimentplus comprise ni appréciée par la génération néeaprès les années 1970.

Ce n’est pas que cette vision soit désuète. Elle estau contraire toujours pertinente,mais elle doit faireface à un nouveau contexte. La mondialisation aouvert de nouveaux défis pour l’environnement, lapaix et la prospérité. Pour y répondre, l’Europe nedoitpassecontenterdeparlerd’uneseulevoix,maisaller plus loin.

L’heuren’estvraimentplusauxtergiversations! Ilest impératif d’envoyer des signaux forts en faveurdel’intégrationeuropéenneetderappelerquel’Euro-pe est une histoire qui s’écrit au quotidien et ne sau-rait se résumer à une succession de directives et dedécisionstechniques.Nousdevonsrenouvelerlepro-jeteuropéen.Il est impératifderéécrireunenouvelle

dynamique appuyée sur des valeurs communes etsur la basedemesures concrètes, aptes à remobiliserles femmeset les hommesqui incarnent l’Europe.

Le plus urgent est de traiter le déficit démocrati-que.Non seulementpar l’électionduprésident de laCommissioneuropéenne,encombinantcerôleavecla présidenceduConseil,mais aussi en envoyantunmessage symbolique extrêmement fort, en votanttous le même jour lors des élections au Parlementeuropéen.Nousdevonspetitàpetitengagerlesparle-mentsnationauxdansdesdébatsconstructifsetper-manents.Par-dessustout, laclassepolitiquedoitpar-ler aux citoyens des vraiesproblématiquesde l’inté-gration européenne et rendre compte de ses actionset de ses travaux.

Lorsquenous parlons de la nécessité d’une unionpolitiquede l’Europe, nous devons expliquer ce quenousentendonspar là et pourquoi elle est indispen-sable, notamment pour l’avenir de nos enfants.Au-delà de la menace pour notre marché unique,avec sa liberté de circulation desmarchandises, desservices, des personnes et des capitaux, l’échec duprojet européen nous laisserait face à des tensionsinternes terribles et laisserait également chacun denos Etats bien plus démuni pour protéger ses inté-rêts individuellement qu’il n’aurait pu le faire dansunensembleeuropéen, faceàunmondequiconnaîtunemondialisation rapide.

Puissance collectiveIl est également important de mettre en valeur

notre puissance collective. L’Europe, par sa culture,sonhistoire, ses espaces linguistiques (anglophone,francophone,lusophone,hispanophone…)maisaus-si par sa géographie (elle est présente sur les cinqcontinents), a une vocation universelle. L’Europeest, et reste à l’heure actuelle, l’un desmarchés, l’undesespacesdeconsommationlesplusévoluéset lesplus importantsaumonde.C’estaussi,ne l’oublionspas, la première puissance économique mondiale.Ce sont non seulement des opportunités à utilisermais aussi des compétences à mobiliser pour unmeilleuravenircommun.Faisonsensorted’enfaireun atout!

Un travail de refondation a été entrepris, ilconvientdecontinuerladémarche,d’envoyeruncer-tainnombredesignauxforts enpassantpar l’éduca-tion, la démocratisation des processus de prise dedécision, l’économie, la fiscalité…Nous devonsnousconcentrer sur les secteurs où l’Europe peut réelle-mentapporterunevaleurajoutéeetcréerdumieux-être pour les citoyens européens: tout simplementmettre enplace de vraies solidarités concrètes.

Soyons courageux et lucides. Engageons-nouspour une véritablemutualisation des destins natio-naux sanspour autant gommer leursdifférences. p

IrnerioSeminatoreInstitut européen des relationsinternationales de Bruxelles

L’EUROPE,PAR SA

CULTURE ETSON HISTOIRE,

A UNEVOCATION

UNIVERSELLE

LaChineentendentrerdansunenouvellepériodedecroissance,caractérisée

parledéclindel’investissementet l’essor

delaconsommation

¶Irnerio Seminatoreest président de l’Instituteuropéen des relationsinternationales et directeurde l’Academia diplomaticaeuropaea.

Londres,Pékin,Tokyoetl’agoniedumultilatéralismeLesEtatssontprêtsàtoutaunomdelacompétitivité

¶Peter Sutherlandest présidentde la London Schoolof Economics,présidentnon-exécutifde Goldman SachsInternational,représentant spécialdu secrétairegénéral de l’ONUpour les migrations,ancien commissaireeuropéen à laconcurrence, puis àl’éducation

¶Loïc TribotLa Spière estdélégué généraldu Centre d’étudeet de prospectivestratégique (CEPS)

PeterSutherlandLondon School of Economics

LoïcTribotLaSpièreCentre d’étude et de prospective stratégique

Nelaissonspasleprojeteuropéens’éroderIl fautréécrireunenouvelledynamique

D’AUTRESDÉBATSSURLEWEB

a «Emploi des jeunes et stratégie de reprise», LaszloAndor, commissaire européenchargéde l’emploi et des affaires sociales.a «L’action de groupe: unprojet de loi pour rien?», LeilaAïchi, sénatrice (EELV) deParis; Léon-Lef Forster, avocat à la Courde Paris, ancienmembreduConseil de l’ordre;Chantal Jouanno, sénatrice (UDI) de Paris ; Gilles Lacan,magistrat, présidentde l’asso-ciationEcologie sans frontière.

¶Pierre-Cyrille

Hautcœurest directeur

d’études àl’Ecole des

hautes étudesen sciences

sociales (EHESS)et professeur

à l’Ecoled’économie

de Paris

70123Vendredi 10mai 2013

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Depuis le 2mai, l’actionde groupen’estplus l’Arlésiennedudroit de la consom-mation. Leprojet de loi promispar Fran-

çoisHollandea été soumis au conseil desministres.Après trente ans de tergiversations,la procédurequi permet àdes consommateursde se regrouperpour intenterune actionen justice collective, et nonplus individuelle,vient enfindevoir le jour.

Surnotre blog «SOSConso», les internautesse sont réjouisde la nouvelle. Toutefois, au ris-quede jouer les rabat-joie, il convientde tem-pérer les enthousiasmes.Premièrement, l’ac-tionde groupe risqued’êtremort-née si ellen’estpas soutenue financièrement.En effet, lesseize associationsde consommateursnationa-les agrééesqui, seules, aurontqualitépouragir, risquentdenepas avoir les reins assez soli-des pour le faire.

Prenons l’exemplede l’UFC-Quechoisir :lorsqu’en2006elle avait demandé l’indemni-sationdes 12500 clients deBouyguesTélécom,sanctionnépour entente, elle avait dû embau-cher vingt et un juristes, trouverde laplacepour troismètres cubesde dossiers et dépen-ser 500000euros. Cette fois, il faudranon seu-lementque les associationsexaminent le bien-

fondédesdemandes,mais aussi qu’elles sechargentde redistribuer auxvictimes la som-meglobale allouéepar le professionnelcondamné,moyennantdesmilliersde vire-ments sur les comptesbancairesde plaignants.

L’associationTrans EuropeExperts, qui réu-nit desuniversitaires et desprofessionnelsdudroit et qui a été consultéepar laDirectiongénéralede la concurrence,de la consomma-tionet de la répressiondes fraudespendant larédactionduprojet de loi, réclamedoncun sys-tèmede financement. L’unede ses vice-prési-dentes, CatherinePrieto, professeureà l’Ecolededroit de la Sorbonne, l’a rappelédevantBenoîtHamon, leministredéléguéà laconsommation, lors d’un colloqueorganisé àlaMaisondubarreau.«Nous souhaitonsqu’unfondsd’aideaux recours collectifs soit alimentépar les sommesque les victimesn’aurontpasréclamées», a-t-elle dit. Le projet de loi prévoitde restituer ces sommesauprofessionnel.«C’est regrettable, y compris parce que la récu-pérationdes profits illicites annule toute espècededissuasion», indiqueMme Prieto.

La seule solutionpour que l’associationnesoit pas asphyxiée serait que le juge renvoie lesconsommateursversunmandataire,payépar

leprofessionnel, qui se chargede tout. C’estprévudans le textede loi – bienque leMedefs’y soit vigoureusementopposé–,mais ce n’estpas obligatoire.

Deuxièmement, il serait fauxde croire quel’actiondegroupe sera «uneprocédure rapidepour les litiges duquotidien», comme le souhai-teM.Hamon.Prenonsunexemple: troisper-sonnesdécouvrent sur le récapitulatif de leursfrais bancairesune surfacturationde qua-treeuros. Elles transmettent leurspièces àuneassociationde consommateurs,qui décidedesaisir un juge. Il faut attendreunedated’audience (troismois dedélai), des échangesde conclusionset des renvois (septmois).

Si lemagistrat jugeque le banquier a effecti-vementmanquéà ses obligationset que celui-ci le reconnaisse, l’actiondegroupepeut com-mencer.Mais le banquierpeut faire appel etaller en cassation. Comptez alors six ans.

Deux ans d’attente si tout va bienSoyonsoptimistes, et revenonsà la case pré-

cédente. Le jugeordonneque l’association fas-se de la publicité, aux frais dubanquier, invi-tant les consommateursconcernés à se faireconnaître.Comptons troismois. Si 20000per-sonnes répondent à l’appel, à raisondedixminutespar dossier, l’associationdevra consa-crerdeuxansde travail à l’examendubien-fon-déde leurs demandes– troismois, si elle ymetcinqpersonnesàplein-temps.

Unanet demiaprès le point dedépart, donc,l’associationest enmesuredeprésenter lesdemandesd’indemnisationaubanquier.Maisil faut que celui-ci les examineà son tour, dansundélai fixépar le juge –par exemple trois

mois. Il se peut qu’il en conteste certaines.Dans ce cas, l’associationdoit revenir devant

le juge (troismoisdeplus). Celui-ci doit seplon-ger dans les dossiers. Pour 5000dossiers liti-gieux, par exemple, toujoursà raisondedixminutes chacun, il faut compter troismois detravail si le juge est assistéd’une aide. Les asso-ciationsdemandentque lemagistrat classe lesdossierspar groupeset qu’il rendedes juge-mentsau fur et àmesure, sans attendrede lesavoir touspassés en revue.

Une fois reçu le jugementdu tribunal degrande instance, l’associationdoit saisir le jugede l’exécution. Celui-ci lui attribueune sommeglobale, qu’elle devra redistribuer (comptertroismois). Le premier consommateur indem-nisé aura dûattendreplus dedeuxans après lelancementde l’actionde groupepour récupé-rer ses quatre euros. Imaginonsce que l’opéra-tiondonnerait avec 300000 réclamations.Outroismillions…

Onmesure encore la lenteurde la procédu-re, si l’onprendun exemplequi touche audroit de la concurrence: uneassociation saisitun juge, avec trois contratsde trois opérateursde téléphonieprésentant lamêmeclauseabusi-veou lamêmesurfacturation,qui lui font sus-pecterune entente. Le juge saisit l’Autoritédela concurrenceafinqu’elle procèdeaux investi-gationsnécessaires. Il faut attendredix anspourque le contentieuxsoit purgé. C’est seule-ment après que l’actionde groupepeut sedéclencher. Elle risquealors d’être prescrite.Enoutre, nombreuxsont ceuxqui aurontperdu leurs factures.p

http://sosconso.blog.lemonde.fr

Etsi lemondeétaitunhameaude 100âmes?Cetteperspecti-ve, loind’êtremisanthrope,

fut initiéeen1990parDonellaMea-dowsdansunarticle intitulé«Sta-teof theVillageReport», son«villa-ge»étantalorspeuplépar1000habitants.Cetteapprocheestdepuisstatistiquementremiseaugoûtdu jour, et infographiée,par lesitede la Fondation100People: aWorldPortrait (www.100peo-ple.org).«C’estdrôle, et intéressant,à regarder»,écritChristopherChrivsur son«Blogduvoyage».«Dequoialimenteruneconversa-tiondansuneaubergede jeunesseduKirghizistan», commente-t-il,unbrin réducteur.

Leportraitde 100people.orgestceluides 7milliards, etplus,deper-sonnesquipeuplentnotreplanète.Loind’êtredétailliste, il accentuevolontairementlesgrandes lignesdece«visage»etde ses conditionsdevie. Lemondecompteainsiautantd’hommesquede femmes.Unedivisionéquitable…numéri-quementparlant! Suruneéchellede 100individus,74 sontdesadul-tes,dont8ontplusde65ans, et 26sontdesenfants.60sontdesAsiati-ques, 15desAfricains, 14 sontorigi-nairesdesAmériqueset 11 sontdesEuropéens.La languematernellede 12d’entreeuxest le chinois, 5parlent l’espagnolet 5 l’anglais.

Lesdisparitéssontd’autantplusprégnantesqu’elles sont réduitesà

leurplus simpleexpression: 48viventavecmoinsde2dollars(1,53euro)par jour, 23n’ontpasoùse«mettreà l’abriduvent etde lapluie», 17 sontanalphabètes, 13n’ontpasaccèsà l’eaupotableet 15à l’électricité, 1meurtde faim,5sont sous-alimentéstandisque21sontensurpoids.

VisionmanichéenneEnmatièred’équipementstech-

nologiques,25personnesn’ontpasde téléphoneportableet 78nepos-sèdentpasd’ordinateur.«Tuvois,lemondesedivise endeuxcatégo-ries.Ceuxquiontunpistolet chargéet ceuxquicreusent. Toi, tu creu-ses!»Leportraitde 100people.orgpeutreprendreà soncompte larépliquecultedufilmdeSergioLeo-ne,LeBon, laBruteet leTruand(1966).Une«vision trèsbidimen-sionnelle, volontairementmani-chéenne,de la réalité»,écritEricVernaysur le site consacréauciné-maFluctuat.premiere.fr.

Autre initiativestatistiqueet, cette fois, démographiquementexhaustive, le site7billionworld.com,«laplusgrandepaged’Internet», selonses créa-teurs, avecunesurfacede400000m2pouruncodesourcepoidsplumede 13ko, représentechaque individuquecompte lapopulationmondiale.Lamolettedenossourisestbien loindebou-cler sontourdumonde!p

SOS CONSO | CHRONIQUEpar Rafaële Rivais

L’actiondegroupeàl’épreuvedutemps

C’EST TOUT NET ! | CHRONIQUEpar Marlène Duretz

S’iln’enrestequecent

0123

LESASSOCIATIONSHABILITÉESÀAGIR

RISQUENTDENEPASAVOIRLESREINSASSEZSOLIDES

LES GIVRÉS | par Aurel

8 0123Vendredi 10mai 2013

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Laplumedanslebitume

p r i è r e d ’ i n s é r e rAh!Paris ira, Paris ira!Dans«LaFabriqueduParis révolutionnaire», l’historienaustralienDavidGarriochmontrecomment les fortes transformationssocialesdans la capitale, au coursduXVIIIe siècle, rendentpossible 1789

Jean Birnbaum

Antoinede Baecque

Au milieu du XVIIIe siècle, ladescription de Paris, le plusfameux monstre urbain dumoment, est devenue unvéritable genre en soi chezles écrivains, les voyageurs,

les chroniqueurs. Le registre préféré, et leplus parlant, est corporel : Paris est la têtesurdéveloppée d’un corps qui est laFrance; le cœur battant du royaumedontla capitale administrative s’est déplacée,pouréviter les coupsdesang, àVersailles;une bouche qui dévore d’innombrablesmigrants venus de tous les horizons; unestomac qui avale les richesses et les pro-ductionsdes provinces avant de les trans-formerenhumeursnauséabondesrépan-dues dans les ruelles. C’est de ce grandcorpsdeprèsde800000âmesquel’histo-rien australien David Garrioch proposeun magistral récit dans La Fabrique duParis révolutionnaire.

Ilveutcomprendre,à l’aidedeplongéesanthropologiques, démographiques, éco-nomiques, sociologiques et culturelles,comment Paris, la ville par excellence del’Europe monarchique et éclairée, pros-père, raffinée, savante, tolérante, estdeve-nuecettecapitaleintenable,politisée,colé-rique,perpétuellementencrise, enproieàl’agitation,voirelaconvulsion,révolution-naire. Ce n’est pas là une question nou-velle, puisqu’elle est, depuis la Révolutionmême, au centre des interrogations deshistoriens sur lemystèrede ses origines.

Longtemps, la réponse insistait sur lescontrastes: l’excès de luxe, de richesse, depompe, d’absolutisme engendra soncontraire, l’extrémisme de la misère, destensions sociales, de la colère politique etdes révoltes anti-aristocratiques. Plusrécemment, on a mis en avant, dans uneperspective plus tocquevillienne, l’idéed’une dynamique de l’expansion, d’unradicalismede l’essor économique portéspar une classe moyenne de plus en plusnombreuse, influente, revendiquant l’ac-cès aux biens, aux fonctions, à la culture.C’estprécisémentcettepartiedelapopula-tion de Paris qui a dirigé la Révolution.1789neseraitdoncpasunerupturenéedelapauvreté,maisdudésir légitimedepou-voir d’unenouvelle sociologieparisienne.

Garrioch se donne lesmoyens, par uneenquête fouillée, aussi érudite qu’évoca-trice, de mêler les deux hypothèses. C’estsa force: il tient ensemble les travaux deDaniel Roche, Arlette Farge, Robert Darn-ton, Steven Kaplan, Jeffry Kaplow, ColinJones, Haim Burstin, tous ceux que ceParis d’AncienRégimea fascinés.

L’historien démontre que l’écart entreles riches et les pauvres s’est terriblementcreusé à Paris au cours du XVIIIe siècle,engendrant une société aux rivalitésexplosives.Mais il soulignedans lemêmetemps que l’ensemble de la société pari-sienne a changé de monde : l’apparitiondepratiquessociales,économiques,démo-graphiques nouvelles a touché chacun,déliant les anciennes communautés,sapant les attaches aux piliers tradition-nels, confréries, ordres, corps, coutumes,corporations, pour faire naître d’autressolidarités, des changementsprofonds enmatière religieuse, politique, institution-nelle.Unevilleestnée, largementséculari-

sée, égalitaire, impliquéedans les idéesdeprogrès, de mérite, de réussite indivi-duelle, mélangée dans ses engouements,sespeurs commedanssesenviesde lectu-res, de théâtre, de jeux, de plaisirs, maisattachée à l’image fière, indépendante etarrogante qu’elle a collectivement d’elle-même. Une ville d’autant plus révoltéepar ses inégalités qu’elle en a désormaispleinement conscience et qu’elle penseavoir lesmoyens, dumoinsdans ses rêvesfièvreux,d’ymettrefin.Larévolutions’est

doncdéjà faite à Paris avant les échecs desréformeset la convocationdesétats géné-raux, qui lancent le processus politiqueprérévolutionnaire.

Au fil de ces pages portées par uneverve narrative efflorescente, David Gar-riochmontreadmirablementcommentlepeupledeParis,ausens large,desartisans,domestiques, commerçants de tout et derien, ce menu fretin de la «vie fragile»,aux classes moyennes, ces bourgeoisiesintellectuelles de l’office, de la basoche,

avocats, lettrés, journaleux,écrivains,pro-cureurs, médecins, commis, titulaires decharges,employésauxtribunauxetadmi-nistrations, comment tout ce joli mondeensemble s’active, circule, échange, s’em-porte, semobilise, se cultive.

Il se crée ainsi trois espaces d’expéri-mentation d’un nouvel agir en commun:l’opinionpublique,qui s’arroge ledroitdediscuter de tout, la politisation à traversles tensions religieuses, notammentautourdu jansénisme, et la place grandis-sante des femmes, qui exercent leur pou-voir en investissant les sphères de l’infor-mation, des émotions privées et publi-ques,de l’éducation,de l’économieduvoi-sinage et des secours auxpauvres.

Ces évolutions, ici mesurées sur lalongueduréedusiècle, imposentunautresystème urbain, une représentation plusglobale et collective de la ville. «Là où,disait Louis-Sébastien Mercier dans leTableaudeParis, tousparlentde tout et oùtout est vu par tous. » Ce que l’on peutnommer une nouvelle culture politiquemétropolitaine.p

8aLe feuilletonEric Chevillardsalue le regardlucide deJean Rouaud

6aHistoired’un livreUnrenoncement,de Renéde Ceccatty

3

4aLittératureétrangèreGyula Krúdy,Esther Kreitman

10aRencontreRobert Littell,commeChandler

9aFantasyUne couronnepour GeorgeR. R. Martin,créateur duTrône de fer

A ujourd’hui «LeMondedes livres»met à l’honneur l’étude del’historienDavidGarrioch, qui fait

ressurgir un Paris englouti : le Parisbouillonnant, fiévreux, déjà enrévolution, de l’avant-1789. Aumêmemoment, un autre texte, d’une tout autrefacture, arrache également à l’oubli unmoment de la capitale enfoui lui aussi,quoique beaucoupplus récent. IntituléLes Rois du rock (Libertalia, 160p., 8 ¤),ce bref recueil de textes joliment illustrédonneunenouvelle vie à un certainParis des années 1980, celui desprédicateurs rebelles, des tatoueurspunk et des chasseurs de skins.

Son auteur, Thierry Pelletier, est unoriginal : chanteur et travailleur social, ilexerce aujourd’hui enprison après s’êtreoccupéde SDF. Cet autodidacte plutôtlibertaire et carrémentpas commodeaimeà réciter du François Villon ens’accompagnant aubanjo. A le lire, onsaisit d’emblée qu’il porte tout unmondesur ses épaules d’armoire à glace. Unmondebalisé par les squats, les troquetset les salles de concert où l’on entre à l’œilpour écouter Bérurier noir, les Daltonsou lesWampas. Ununivers de vilainstotos surnommésGringo, LudoouRico,quimangent gratis au restoU et gagnentde quoi se saouler en faisant les cobayespour les labos pharmaceutiques. Leurlangue est bien pendue: ils ne disent pas«voler»mais «chouraver», «casser lagueule»mais «refaire le piano», « je necomprends rien»mais «j’entravequeud»… Entre squats ravagés ettroquets paumés, voyouterie assumée etantifascismebordélique, ces drôles degamins composent une faune à laquellele style de Pelletier confère poésie, grâceet dignité. Pleine d’humour, sa littératurede Parigot emporte avec elle les rengainesde Renaud et les polars de Jonquet. Style:«Quand, par hasard et par erreur, je passeaujourd’hui rueOberkampf, le longde cesrades prétentieux, chichiteux, quidégueulent leurs troupeaux de pingouinsconsommateurs de caïpirinha, protégéspar desmolosses à oreillettes, jemedisque (…) c’était le bon temps quandontraînait nos lattes dans cette rue, on yfaisait régner une certaine harmonie avecnos joies simples.»p

7aEssaisBruno Karsentidessine unearchéologie dessciences sociales

2aLa «une»,suiteEntretienDavid Garriochsur le Paris pré-révolutionnaire.EclairageGeorg Simmel:la grande villeet l’individu

5aLittératurefrançaiseMilena Hirsch,Florence Seyvos

La révolution s’est déjàfaite à Paris avantles échecs des réformeset la convocationdes états généraux

La Fabrique duParisrévolutionnaire(TheMakingof RevolutionaryParis),deDavidGarrioch,traduit de l’anglais (Australie)parChristophe Jaquet,LaDécouverte, 386p., 26,50 ¤.

aTraverséeHistoires de fugues,fuites et disparitions

SERGIO AQUINDO

Cahier du «Monde »N˚ 21245 datéVendredi 10mai 2013 - Ne peut être vendu séparément

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Propos recueillis par Julie Clarini

La Fabrique du Paris révolution-naire est le premier livre paruen France de David Garrioch,qui enseigne l’histoire euro-péenne à l’université MonashdeMelbourne,mais cen’estpas

son premier sur la Révolution française,qui l’intéresse principalement. Il compteen effet parmi les nombreux auteursanglo-saxons (tels les Américains StevenKaplanouDavidBell) à renouveler l’histo-riographiede cette période-clé.

Pour comprendre la révolutionpari-sienne, vous brossez unehistoire desrapports sociaux sur un siècle. Sousvotre plume, on voit s’effacer une so-ciété en tièrement fondée sur la cou-tumeet la hiérarchie, etmonter enpuissance les aspirations et les croyan-ces individuelles.Quels sont les élé-ments-clés de cette transformation?

Ils’agitd’unetransformationdanstousles domaines: dans la vie matérielle, reli-gieuse, sociale ; dans lesmanièresdevivreet de travailler, dans les relations familia-les.Bref, c’est lepassaged’unsystèmeàunautre.Bienentendu,lasociétécoutumièreétait loin d’être immobile, mais elle fonc-tionnait suivant des règles reconnues etpartagées.Or, auXVIIIe siècle, les règlesdujeusetransforment.Onvoit,parexemple,le triomphe lent d’uneégalitédevant l’ad-ministration sur laquelle insiste de plusen plus la police parisienne, qui supportemalquelanoblesseyéchappe,carceprivi-lège empêche le bon fonctionnementadministratif. Mais la police n’aime pasnon plus la justice collective, qui repré-sente, pour elle et de plus enplus pour lesbourgeois de Paris, le désordre. Et pour-tant, cettemêmepolice ne peut fonction-nerqu’avec le consentementet l’aidede lacommunauté locale. La transformationd’un système à un autre s’opère lente-mentetinégalement,avecdesconséquen-cesparfois paradoxales.

L’exemple de la policemet l’accent surle rôle et le développementde l’Etat,maisil faut chercher les sources de ce change-ment des rapports sociaux à plusieursniveaux à la fois. Les améliorationsmaté-riellesduXVIIIe siècle (quipermettentauxpauvres de survivre,mais dans lamisère)apportent aux classes moyennes uneaisancecroissante,maispermettentégale-ment aux jeunes ouvriers et à beaucoupd’artisansdebiengagner leurvie. Lesnou-veaux savoirs scientifiques incitent lesgens éduqués – de plus en plus nom-breux – à croirequ’uneaméliorationde lavieestpossible.Celavalorise l’innovation,aumomentoùlecommerceoffredesnou-veautés de toutes sortes. Mais la transfor-mation des rapports sociaux se produitaussi dans l’espace. Le voisinageest le lieuoùdominelaculturecoutumièreetcollec-

tive.Mais lamobilité–réelleet imaginaire–endétruit l’emprise.Oronbougedavan-tage, pour le loisir et pour le travail. Lesnouvellespratiquesurbainesdela lecture,des «sociétés», du théâtre, permettent devoyager aussi dans l’esprit, de découvrir

d’autres formes de légitimation. Dans cesens, la ville est un espace transformateuretnon seulement la scèneoù les choses sepassent. A tous les niveaux, il s’agit d’unetransformation à la foismentale etmaté-rielle.

Vous évoquez l’apparition d’une«culturemétropolitaine» : quel sensdonnez-vous à cette expression?

Il s’agit d’unmodede vivre et de voir lemonde qui se répand au XVIIIe siècle etquepartagentdeplusenplusdeParisienséduqués. Elle est caractérisée par de nou-velles formes de sociabilité basées sur lapolitesse, par un esprit qui se vante d’êtrerationnel et cosmopolite, et par uneculture matérielle qui valorise la nou-veauté. Elle s’oppose à une culture plusancienne, coutumière, et qui ne distinguepas le royaumeduCiel de celui de la terre.J’ai choisi cette expressionenpartie parcequ’elle ne s’attache à aucun groupe socialen particulier – il s’agit d’un phénomènelarge, avec des variantes suivant la ri-chesseet la situationdechacun,mais il y aaussi desnobles et des bourgeois qui ne lapartagent pas. Mais surtout parce qu’elleévoque la ville : c’est une culture urbaine,qui correspond à certains usages de l’es-pacede la cité.

Quelle est la décennie charnière à vosyeux? Peut-ondire que bien avant 1789Paris portait en germe sa révolution?

Les transformations de la société pari-sienne au XVIIIe siècle sont progressives.Si, par rapport à un changement parti-culier, j’ai privilégié un certain moment

– les années 1750 pour de nouvelles ima-gesdelaville, lesannées1770pourlamédi-calisation –, c’est parce qu’on distingueclairement le phénomène à ce moment-là. Mais le changement se fonde le plussouvent sur une évolutionantérieure.

J’ai essayé de tracer les origines de larévolution parisienne, non seulement de1789,mais aussi de celle des années 1790;mais j’ai voulu insister sur le fait qu’àaucun moment cette révolution n’étaitprévisible. Les événements de 1789 ontaidé à façonner la suite, mais dans leslimites tracées par les transformationsantérieures.

La Révolution française fait l’objet denombreux travaux de recherche danslemonde anglo-saxon. Pourquoi cetintérêt sans cesse renouvelé pour cettepériode de l’histoire?

Les raisons ne sont pas partout lesmêmes : le monde anglophone est loind’êtreuniforme. AuxEtat-Unis, la Révolu-tion française est étroitement liée à laRévolution américaine, donc à la fonda-tionde lanation. Certes, on reconnaîtpar-tout l’influence mondiale de la Révolu-tion française.Mais ce qui fascine éternel-lement, c’est la question de savoir s’il estvraiment possible de reconstruire unesociétéde fonden comble.p

e n t r e t i e n

La modernité darde ses pre-miers rayons sur le Paris dela fin du XVIIIe siècle, danslesprémicesd’une«culture

métropolitaine», comme la dési-gne l’historien australien DavidGarrioch, dégageant les individusdes obligations de l’ordre ou de lacommunauté d’appartenance. Enétablissant le lien entre la capitalefrançaise et l’émancipation politi-que,endécrivantlesmétamorpho-ses socialesqui ferontdeParisunefabrique de la Révolution, il se

situe dans une longue traditionqui associe la cité et la liberté, lamétropoleetl’autonomiedel’indi-vidu. Parmi les textes fondateursde cette veine, on trouve Les Gran-des Villes et la vie de l’esprit, deGeorgSimmel,écriten1902,réédi-téaujourd’huiavecunepréfaceduphilosophePhilippeSimay.

Longtemps moins connu enFrance que son collègue et amiMax Weber, Georg Simmel, né en1858 à Berlin et mort soixante ansplus tard à Strasbourg, est consi-déré comme l’un des pères fonda-teurs de la sociologie. Il a produitune œuvre considérable, articleset livres, dont le plus connu,Philo-sophie de l’argent, est publié en

1900. Berlinois de toujours, Sim-mel a vu sa ville se transformersous ses yeux: à la fin du XIXe siè-cle, les activités industrielles yexplosent au point que l’Améri-cain Mark Twain, fasciné par sonanimation, la baptise en 1891 «TheGermanChicago».

FascinantesmétropolesMais, dans ce court texte,Georg

Simmel ne cite pas sa ville natale :ce qui l’intéresse, c’est la grandecitémoderne quelle qu’elle soit etles potentialités de transforma-tion de l’individu qu’elle recèle.Caronnevitpasdanscesmétropo-les fascinantes comme dans la pe-tite ville de l’Antiquité ou du

Moyen Age. Selon Simmel, lesgroupes politiques ou familiaux,les partis, les confréries religieu-ses, toutes ces formations socialescommencent comme des petitscercles, dotés de frontières fermeset d’une unité centripète «et nepeuvent donc donner aucune li-berténiaucunesingularitéaudéve-loppement interne et externe del’individu». Puis, quand l’associa-tion grandit, les barrières s’estom-pent, l’individu acquiert la libertédemouvement.

Ce schéman’est nulle part plusfacile à reconnaître que dans ledéveloppement de l’individua-lisme propre à la vie urbaine. A cetitre, la grande ville possède «une

valeur tout à fait neuve dans l’his-toiremondialedel’esprit» : s’yépa-nouissent les deux tendances del’individualisme, revendicationde l’égalité et de la liberté d’uncôté, désir de se différencier del’autre.

Outre cette dimension nou-velle, c’est aussi une psychologiede l’urbain moderne que Simmelmet au jour. Car la métropolefaçonne une manière inédite depenser, caractérisée par une fortepropension à l’intellectualité :pour se protéger des stimulationstrop nombreuses (rapidité, nou-veauté,diversité), l’individuréagitavec son intellect plutôt qu’avecses affects, d’où, explique Simmel,

«une intensification de la vie ner-veuse». En quelques pages, il offreainsi un parfait concentré d’unepensée originale et nouvelle de lamodernité urbaine qui fera de luiun penseur de la métropole aumêmetitrequeSiegfriedKracauerouWalter Benjamin.p J.Cl.

é c l a i r a g e

LanouvellemodernitéurbaineselonGeorgSimmelEn1902, l’undespèresde lasociologieexaminait ledéveloppementdel’individualismedans lacitédesXVIIIe etXIXesiècles

…à la«une»Pour«LeMondedes livres»,DavidGarriochdétaille lesrèglesdujeusocialquichangentParisauXVIIIesiècleetouvrentlavoieàune«culturemétropolitaine»

«Lavilleestunespacetransformateur»

«CefauxParis»

Paris, la porteSaint-Denis, vers 1750.AKG-IMAGES

Les GrandesVilles etlavie de l’esprit, suivi deSociologiedes sens(DieGroßstädteunddasGeistesleben),deGeorg Simmel,traduit de l’allemandparJean-LouisVieillard-BaronetFrédéric Joly, Payot, «Petitebibliothèque», 110p., 6,60¤.

En lisantRegards sur Paris. His-toires de la capitale, XIIe-XVIIIe siè-cles (Payot, «Histoire», 214p.,21,50 ¤), de lamédiéviste SimoneRoux, onmesure à quel point ontpesé, sur les récits de visite dansla capitale, des exigences littérai-res. Aux louanges adressées à laville des rois succèdentdes textespluspersonnels, parfois critiques.

Le petit pamphlet publié chezAllia,Paris n’existe pas,dupoly-graphebordelais Paul-Ernest deRattier, est un bijoudu genre,bienque plus tardif. Paru en 1858,il prétenddémontrer que le Parismythiquen’existe plus. L’œuvred’Haussmannest loin d’être ache-vée,mais la capitale a beaucoupchangédepuis la fin duXVIIIe siè-cle – et «ce faux Paris plein d’air et

de soleil» l’irrite, comme l’agacecette façond’agencer soigneuse-ment les quartiers quand le vraiParis, étroit et boueux, «aimeàloger lamisère à côté de l’opu-lence, sans aucun souci de la tran-sition littéraire». Comble, faisantmentir sa légende, ce «faux Parisa le bongoût de comprendrequerienn’est plus inutile et plusimmoral qu’une émeute» et nes’occupeplus qued’économie etde littérature. Cité à plusieursreprisesparWalter Benjamin,Paris n’existe pas est unpetit bon-heurde lecture, tout en verve etenoutrance.p J.Cl.

Paris n’existe pas, de Paul-Ernestde Rattier, Allia, «Petite collection»,142p., 6,20 ¤.

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Troisromansmettentenscènedesfuitesenavant,desfuguesinéluctables,deseffacementssilencieux.Commeautantdestratégiespossiblespourretourneràl’humanité

N’importeoùhorsdumonde

Bernadetteadisparu(Where’dYouGo, Bernadette),deMaria Semple,traduitde l’anglais (Etats-Unis)parCarineChichereau,Plon, «Feux croisés», 384p., 21¤.BernadetteBrancha étéune jeune archi-tectebrillante. Et puis, tout amal tourné.Elle a abandonné sonmétier et suivi sonmari, à Seattle, ville qui l’horrifie. Aussine sort-elle plus et s’éloigne-t-ellepeu àpeud’une réalité insupportable. Jusqu’aujour où il n’y auraplus qu’une solutionpour elle : fuir.

LibertédanslamontagnedeMarcGraciano,JoséCorti, 322p., 19,50¤.Unvieil hommeetunepetite fillemar-chentdans lesmontagnes, remontant lecours d’une rivière jusqu’à sa source,objectifmystérieuxd’une fuguequi seconfondavec leur vie. L’époque, sortedeMoyenAgede conte, reste indéfinie. Leurpassé aussi. Ils ne sontque leurmarche àtraversunenature et unehumanité dan-gereusesqu’ils traversent et observent.

FlorentGeorgesco

Parfois, les gens s’en vont, nulne sait où. Combien sont-ils,chaque année? Des milliers,semble-t-il. Le plus souvent,l’affaire se résout en tragédiebanale : on retrouve les corps

des disparus. Mais il y a, dans la masse,tous les autres, ceux qui, précisément,sont devenus autres, et dont la vie,soudainbriséeendeuxpar onnesait queldésir, devient chez ceux qui les ontconnus un objet de rêve, une réalitéirréelle, comme la hantise vague d’êtresfantastiques.

Les romans d’Olivier Sebban, deMariaSemple et de Marc Graciano semblentêtre nés de cette attraction magiquequ’exerce l’absence, romanesque à l’étatde nature qui ne demande qu’à croître.Que devient-on quand on est passé del’autre côté? Enpartantde situations trèsdifférentes et dans des styles qui, sanscette commune fascination, les oppose-rait radicalement, tous trois apportentdes réponses à la même question. Ilstententd’incarner cequi sedérobeet, parlà, donnent figure, couleurs, chair à ladérobademême.

Olivier Sebban, dans Roi mon père,fonde son intrigue sur le cas de ces pèresqui enlèvent leurs enfants parce quequelquechoseamal tournéavec leurfem-me. Le protagoniste, séparé de la sienne,aurait pu, comme il est d’usage, prendreprétexte de gardes refusées.Mais ce textetendu,obsessionnel,rigoureuxparfoisjus-qu’à la sécheresse, ne laisse aucune part àla mauvaise foi de ses personnages. Cen’est pas un usage abusif de la maternitéque le père conteste ici : c’est l’influencematernellemême.Etceseraendernierres-sort,quandlafolieauraachevédesedévoi-ler, l’idée même de mère, l’indépassabledualité originaire.

Or,onlesait, ledésird’unefusionindes-tructible peut être aussi ravageur que lahaine. « Il aimait ses fils par malchance,par malchance et pour leur malheur. »Assez lucide pour savoir que séparer etsacrifiersontdeuxtermesproches, lepèresait que lamort,menace ou fantasme, les

accompagnedans leur fuite.«Il envisageauninstant les corpssansviedeses fils,bala-dés dans le ressac, son propre corps gonfléet pourri rejeté sur l’estran. Un fait divers.Judelefixa. Ilévitasonregard.» Ilneluisuf-fitpasderompreaveccequ’était savie. Enconserver une est une limite finalementinsupportable à sa volonté d’absolu. Aus-si, quand des voisins s’intéressent à eux,fût-ce amicalement, ou amoureusement,ressent-il leur présence comme un dan-ger. Il n’y a pas de refuge sûr tant qu’il y ade l’altérité.

On peut regretter qu’Olivier Sebban nepossède pas toujours les moyens de sesambitions et qu’il peine àmener jusqu’aubout le crescendo que le récit appelle. Iln’empêche: il lemèneassezloinpourcom-muniquerau lecteur le vertigede sonper-sonnage, cet homme seul et qui voudraitl’êtreplus, et fuir encore, ne plus cesser defuir, laisser au loin derrière lui toute tracede réel.

Bernadette, l’héroïne deMaria Semple,est, dans ses relations à la réalité, un per-sonnagedelamêmefamille.Lemondeest

toutensemblepourelleuneoccasiond’an-goisse et une occasion d’ennui, qui fontdeux excellentes raisons de le tenir à dis-tance, programme qu’elle accomplitdepuisdes annéesavecunebelledétermi-nation– jusqu’au jouroùil serévèle insuf-fisant et où elle part se perdre (provisoire-ment) dans l’Antarctique.

Elles’yprendcependantd’unemanièretoute différente. Et surtout la manière dela romancière américaine est toute diffé-rente de celle d’Olivier Sebban. Fuir, chezle personnage, n’est pas se métamorpho-ser en son propre cadavre, c’est un actevital, l’explosiond’uneénergiequelemon-de ne saurait contenir. Moyennant quoi,sa fuiten’estpaspour l’auteurunobjet deméditation, mais l’occasion de déployertoutes les ressources de son art romanes-que, avec une virtuosité constammentréjouissante.

Roman-dossier où, de sa fille à sonmari,enpassantparsesex-confrèresarchi-tectes ou ses voisins, tous ceux qui laconnaissent racontent ce qui l’aura ame-née à disparaître,Bernadette a disparu estune célébration de son personnage. «Peuimporte ce que les gens disent sur elleaujourd’hui, note ainsi sa fille après sondépart, elle savait vraiment rendre la vieamusante.»Et,aupassage, ilsecélèbresoi-même, comme forme accomplie du sim-ple plaisir de raconter – loin de l’austéritévoulueounond’Olivier Sebban.

Les voies romanesques les plus diver-ses peuvent pour autant converger versun même but. Sebban et Semple procè-dent, certes à rebours l’un de l’autre, à undécapage similaire de leurs personnages,multipliant les procédés qui leur permet-

tent,auboutducompte,d’arriverà l’os.Enquittant tout ce qui pouvait encore, mal-gré leur étrangeté, les rendre familiers,semblables à tous, leurs personnages serévèlent, se montrent à nu. Disparaîtrefaitd’euxlescobayesidéauxd’uneanthro-pologieauKärcher:onvoit l’hommecom-me la vie courante ne le donne jamais àvoir.Cequiestaprèstoutunbutraisonna-blepour tout romancier.

Liberté dans la montagne, le premierroman de Marc Graciano, est à cet égardd’uneradicalité incomparable.Guèreplusdessinés que le nom que l’auteur leurdonne, « le vieux» et «la petite» sont uncondensé d’humanité pure, réduite à sesdonnées élémentaires. Demême, l’actiondu roman, marche continue à travers lamontagne,fuitequiaoubliécequ’il s’agis-saitdefuir,estuneépurederécitd’aventu-res, que la langue de l’auteur, à la foisample, symphonique et un peu heurtée,secouéepardesavantesdissonances,trou-ble commeunemain trouble l’eau, créantunecomplexité inquiétante, face à la sim-plicité de tout le reste. Ce livre est un tourde force formel impressionnant, surtout

chezundébutant. Il l’est ausside tenir sonlecteur de bout en bout, avec peu. Ou,mieux encore, d’élever ce peu, par cettesorte de «kärchérisation» au carré, à lahauteur d’unmythe, dont le lecteur s’im-prègneet qu’il n’oublie pas.

Le vieux, enmarchant, parle à la petite(qui, elle, se tait, témoin silencieux qu’unbavard emmène sur les chemins). « Il luiditqu’ilspossédaient le ciel et il luiditqu’ilspossédaient la forêt et il lui dit qu’ils possé-daient l’enchantementchaque jour renou-velé du chemin que tous deux suivaient.»L’enchantement est là en effet, dans unenature éblouissante,mais il ne serait riens’il n’était dit, et c’est ce à quoi se consacrel’auteur,confrontantceshumainsélémen-taires aux éléments naturels, et les fon-dant en eux, mais les en rendant maîtresparleurcapacitédelenommer.Maîtresdefaible puissance, il est vrai. De puissancebrève surtout, tant, chez Marc Graciano,l’horizon paraît se rapprocher sans cesse,et la disparitionde ses deuxpèlerins dansla montagne n’être qu’une initiation à ladisparitiondéfinitive, à l’effacementet ausilence.

Chacundeces livresparaîtensomme,àla lumière du somptueux Liberté dans lamontagne, raconter à samesure le destinle plus universel des hommes : ceface-à-faceavec cequin’est pas eux, qu’ilsveuillent l’abolir, comme le protagonistede Roi mon père, s’en prémunir, persisterautantquepossibledanssonêtre, commela Bernadette de Maria Semple, ou qu’ilsl’acceptentet lecontemplent,émerveillés,commechezMarcGraciano.L’hommequiabandonne ce qui faisait sa vie est unhomme sans masque, et donc davantagehumain.Unêtre fantastique,a-t-ondit. Ceserait ainsi, à en croire nos auteurs, unedéfinition possible de tout homme, telque la littérature le rend parfois à lui-même. p

«Il se réveilla en pleinenuit en sedemandantoù il était. Ses filsdormaient. Il ouvrit et ferma lespaupièresplusieurs fois sur l’obs-curité inchangée, se demanda sisonâmepouvait quitter les limi-tes invisibles de son corps et seperdre, traverser le toit, dériver,gagnerdes cimes. Il songeaàl’âmede ses fils, à leurs cartesd’identité découpées. Il possé-dait d’autres cartes, falsifiées etcachées dans ses papiers. Autantdedoubles, leurres destinés auxétrangers,mensonges, alibisdévolus à leur équipée. Il espé-rait n’avoir pas à les utiliser (…).Onne rétablit pas lesmortsdans leurs habitudes.Unpèredonne le nomqu’il veut à sesfils.»

Roimonpère, page29

« (DeMamanà Paul Jelinek.)Medisputer avec les autresmedon-ne des palpitations. Eviter les dis-putes avec les autresmedonnedes palpitations.Mêmedormirmedonnedes palpitations! Jesuis dansmon lit et ça semet àcogner tout seul, commeunenvahisseur ennemi. C’est unehorriblemasse sombre (…) quientredansmon corps (…). Je sensl’irrationnel et l’angoisse grigno-termon stock d’énergie,me lapomper comme si j’étaisune voi-ture de course sur pile bloquéedans l’angle d’unmur.Or, c’estl’énergiedont j’aurai besoinpourpasser la journéedu lende-main.Mais je reste là immobile,à la regarder se consumer.»

Bernadetteadisparu,

pages157-158

«Le veneur se tut un très longmomentdurant lequel les deuxhommes conservèrent le bustepenché et la tête baissée (…). Puisle veneurdit, et sa voixdevint tel-lementdouce qu’elle semblas’éteindre et qu’elle devint quasiinaudiblepour le vieux, leveneur dit qu’il ne serait bientôtplus qu’un simple vieillard affai-bli. Un simple vieillardusémaisrenduvraiment sagepar la vie.Qui aurait reçu de la vie sonassentiment et qui se découvri-rait savant au soir de son exis-tence.Qui n’aurait plus de che-veuxmais qui porterait une lon-gue barbeblanche (…) et quidéclameraitpour lui tout seul cequevivre veut dire.»

Libertédans lamontagne,

pages249-250

Roimonpèred’OlivierSebban, Seuil, 174p., 17¤.Unpère, séparéde sa femme, ne sup-porteplusde lui laisser leurs jeunes fils,Paul et Jude. Il disparaît avec eux, effa-çant toute tracederrière lui, et les en-traînedansun chalet demontagneoù ilscommencentensembleunenouvellevie,précaire et solitaire.Mais onn’échappepas auxautres, et les rares relationsqu’ilnoueradans le village suffiront à faireéclater lesmuraillesdont il aurait vouluceindre, à jamais, cette communautépar-faite, ce rêve effroyabled’unité absolue.

Extraits

Cet homme seul etqui voudrait l’êtreplus, et fuir encore,ne plus cesser defuir, laisser au loinderrière lui toutetrace de réel

Traversée

MARKOWEN/PLAINPICTURE

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Visite auNigeriaFaire le deuil d’unpère assassiné, envisitant le lieu du crime – leNigeria –à la façond’une routarde: c’est l’aven-turedans laquelle s’est lancée l’unedes filles du journalisteKenSaro-Wiwa,pendu, ennovembre1995,dans la prisonde PortHarcourt.Figuremédiatique, il avait été arrêtéaprès avoir dénoncé la corruption etlesméfaits, écologiques, notamment,dont la régionpétrolifèreduDelta estla victime.NooSaro-Wiwa, installéeenGrande-Bretagne, réussit à trans-former ce retour aupaysnatal,a priori lugubre, enune excursiontouristiquedehaute volée. De Lagos,qu’elle sillonne en okada (taxi-moto),aux statues en terre cuite de la civili-sationNok, enpassant par les filmsduNollywood, les chimpanzésde laCrossRiver ou les «machinesà am-puter» importéesd’Arabie saoudite,l’intrépidevoyageusene revientpasséduite à 100%.Mais la voilà, aumoins, «guérie»de sa «peur dupays». Et nous, ravis d’avoirpudécou-vrir unpeude l’histoire et desmystè-res de cette chaotiquenationd’Afri-quede l’Ouest.pCatherine SimonaTranswonderland. Retour auNigeria(Looking for Transwonderland), deNooSaro-Wiwa, traduit de l’anglais parFrançoise Pertat, Hoëbeke, 288p., 22¤.

Violence à AthènesEnexergue, cette phrasedeWalterBenjamin: «Plus les chocs sont enregis-trés fréquemmentpar la conscience,moinsonpeut enescompteruneinfluence traumatisante.»C’est pourcombattre cettebanalisation insup-portablequeChristosChryssopoulosestdescendudans la rue, àAthènes,un jourdedécembre2011. Laissant enplan le romanqu’il était en traind’écrire, il a ressenti l’urgencede fairesentir«ce qu’il advientd’Athènes ences tempsde crise». Combinant lesmots et les photos, ilmontre cet hom-mecourbéendeuxquidit : «J’aifaim»«commes’il se confessait auxdallesde ciment». Et commesi sonexistencese résumait à cesmots. Par-cequ’il est écrivain, Chryssopoulosmetde la vie là où l’onnevoit plusquede l’actualité – et encore.Misèreet fragilité de tout: auParthénon,untagmontreunearaignéeplanant sur

la ville.«Unpasde tra-vers et n’importe lequeld’entrenouspeut seretrouverprisonnierdeses rets.»p Fl.N.aUne lampe entreles dents, de ChristosChryssopoulos, traduitdugrec par Anne-LaureBrisac, Actes Sud,128p., 16,80 ¤.

Ville intérieureL’hiver 1956, en février, il a neigé surl’île deMajorque. Sous les flocons, Pal-maétait blanche, ses rues, ses jardinset ses toits. Qui s’en rappelle encore?José Carlos Llop est né auprintempsde cette année-là. C’est à Palmaqu’il apassé son enfance et sa jeunesse.C’est là où il vit. C’est là qu’il est deve-nu écrivain.Dans la cité engloutie,avec ses haltes, ses itinéraires et seségarements, est une longueprome-nadedans la ville de sonpassé. Uneville qui n’existe plus, sauf dans lessouvenirs. José Carlos Llopnous faitfermer les yeux et les rouvrir toutgrands sur lesmomentsd’avant.Avec lui, on partage l’intime etl’étonnant. Commedansun récit devoyageà l’intérieurde soi, on décou-vre, d’un détail à une émotion, desépoques et des rêves, des passantsdans l’Histoire.Merveilleux livre des

rebours. La littératureest bienun«testa-mentdu temps».p

XavierHoussinaDans la cité engloutie(En la ciudad sumergida),de José Carlos Llop,traduit de l’espagnol parJean-Marie Saint-Lu,Jacqueline Chambon,320p., 23,50 ¤.

«Ce fut la secondeapparitiondu Juif errant à Eszlár.Alors que le gendarmeà cheval faisaitmarcher

Herskó endirectionde Tisalök se fit entendre en pro-venancede la synagogueunmélangeépouvantablede bruits de coups, de pleurs, de lamentations, lesmêmesqu’aumoment où Eszter Solymosi avaitdisparu. Commesi l’on frappait lesmurs et que l’onbattait le sol, et cette clameur en provenancedesentrailles du temple rappelait une calamité sortie delaBible. Ceux qui l’entendirentprétendirent que cevacarmen’avait pu être provoquépar des êtreshumains et que la synagoguevide résonnait desesprits de l’au-delà.

Lorsqu’on rendit compteau juge d’instructionJózsef Bary du tremblementde terre qui avait eu lieuau temple juif, il ordonnaque la porte du temple (…)fût enlevée pour servir de pièce à conviction et em-portéeau tribunal deNyíregyháza.»

L’Affaire Eszter Solymosi, pages295-296

NicolasWeill

Apremière vue, L’Af-faire Eszter Solymosi–prononcez«choye-mochi» – a tout duroman alimentaireréussi. Gyula Krúdy

(1878-1933), son auteur, l’un desplus grands romanciers hongroisdesontemps, étaitunpeuoubliéàla fin de sa vie. Grand viveur etjoueur,toujoursàcourtd’argent, ilfitparaîtredemarsà juillet1931enfeuilleton, dans un quotidien,cette reconstitution à peineromancée de l’affaire de crimerituelimputéauxjuifsdeTiszaesz-lar. Dans la Hongrie des années1930, sous la dictature du régentHorthy, pionnière en matière delégislation antijuive, revenir surun épisode judiciaire qui avaittournéàlaconfusiondesantisémi-tes allait unpeu à contre-courant.

Ce récit raconte en effet com-mentladisparitiond’unejeunevil-lageoisede14ans,EszterSolymosi,un jour de Pâques 1882, fut, à lasuite de manœuvres policières,transformée en légende de crimerituelcommispar lacommunautéjuive du cru pour confectionnerdu pain azyme avec du sang chré-tien.Cettefablemédiévale,réappa-rue en pleine ère d’industrialisa-tion, devait aboutir à l’incarcéra-tion de treize juifs soupçonnés demeurtre et devenir une affaired’Etat au retentissementmondial.

Mais la machination s’avérabancale: elle ne reposaitque sur letémoignage d’un jeune hommepsychologiquementfragile, filsdubedeau de la synagogue, et sur laréapparitiond’uncorpsde femmedans la rivière Tisza. Le procès de1883 mettra à bas l’unique témoi-gnageàchargeetpermettrad’iden-tifier le corps de la noyée, retrou-vée la gorge intacte de toute mar-que d’un hypothétique couteausacrificiel, commeétant celui de lapauvreEszter.

Vampires et «Rocambole»Ecrite à la manière d’une en-

quêtepolicière,suiviedescènesdeprocès-spectacle, L’Affaire EszterSolymosine renâcle pas devant leseffets pour soutenir l’attention,dans unmélange réussi d’histoirede vampires et de Rocambole.L’évocation répétée du prétendusacrifice humain de la jeune fillesous le porche de la synagoguejoue sur la puissance esthétiquedu mythe, tout en le dénonçant.Les coups de théâtre judiciairessontménagésdechapitreenchapi-tre comme autant de cliffhangersd’une bonne série judiciaire. Lapeinture de la région, le Szabolcs,estdesplusromantiques,et lapré-sence morne et obsédante de laTisza, traverséepar les flotteursdebois ruthènes – qui jouent un rôle

dans l’histoire –, hypnotise le lec-teur, qui ne lâchera, promis !, levolumequ’à la dernièrepage.

Autant par le thème que par lestyle,L’Affaire EszterSolymosi rap-pelle Le Juif errant d’Eugène Sue(1844-1845).A ceciprèsque,dans leroman fleuve de Sue, le « Juiferrant», figure positive, portaitavec lui les promesses du progrès– alorsqu’ici, longtempsaprèsquelesbraisesdu«printempsdespeu-ples» de 1848 se sont éteintes, cepersonnage légendaire a reprisauxyeuxdesclassesmenacéesparla modernisation les traits mena-çants, la barbe rousse et les yeuxperçantsqueluiattribuaitl’antisé-mitismemédiéval. Les espoirs nésdes avancées techniques se dou-blent d’une retombée dans les siè-cles obscurs où règnent fantômes,démons et fanatisme. Dans cettefresque d’un siècle passé, lesHomais de village, les médecinsfrancs-maçons et scientistes, leslibéraux de tout poil hostiles à larésurgence de la fable et défen-seurs des accusés ne manquentpas non plus à l’appel. Malgréleurs ridicules, parfois cruelle-ment soulignés, ils portent le boncombat.

L’écrivain est lui-même issu duSzabolcs, cetteprovincereculéedel’empire de François-Joseph, aunord-est de la Hongrie d’alors. Il a

croisé,enfant,certainsprotagonis-tes de l’affaire. Ses savoureusesdescriptions des mœurs de lanoblesse locale décadente visentjuste. Le personnage du députéGéza Onody en est l’incarnation,nobliau séducteur dont le préjugéantisémite est balancé (ou, quisait?, entretenu) par son attirancesexuelle pour les belles aubergis-tes juives… Il s’agit certes de thè-mes convenus, mais la satire etl’ironie de Krúdy parviennent àéloigner le livre de tout régiona-lismepasséiste.L’écrivainmetplu-tôt en relief la distance qui séparel’universdesajeunesseduprésentdes années 1930. La Hongrie ru-rale, fièredeses traditionsetdesesprivilèges locaux et décidée à enfinir avec les juifs, ne lui inspireaucun regret. Il entrevoit et pro-teste à l’avance contre la renais-sance possible d’une folie collec-tive qui va déployer toutes sespotentialitésmeurtrières.

Mais l’affaire Eszter Solymosin’est toujours pas de l’histoireancienne: le 4avril, dans la Hon-grie de l’Union européenne, undéputéd’extrêmedroitea tenu,auParlement,undiscoursàlamémoi-re de la jeune paysanne, assurantquelesaccusés juifs étaientproba-blementlescoupables,puisqu’Esz-ter avait été vue envie pour la der-nière fois prèsd’une synagogue. p

Sans oublier

FlorenceNoiville

Certains terrains familiauxseraient-ils particulièrementpro-pices à l’éclosion des talents ?Commentexpliquer sinon lephé-

nomèneétonnantque constituent les fra-tries d’écrivains – les Corneille, les Brontë,les James… et ici les Singer? Dans cettefamille juivehassidiquequivit àVarsovieavant la seconde guerre mondiale, troisdes quatre enfants sont très tôt aimantéspar l’écriture. Il y a là Isaac Bashevis(1904-1991), bien sûr, le plus célèbre d’en-tre tous, l’auteur de Shosha et d’Ennemies(Stock) qui se verra en 1978 couronné parle prix Nobel de littérature. Il y a le frèreaîné, Israël Joshua (1893-1944), l’auteur deYoshe le fou et La Famille Karnovski(Denoël), qui sera longtemps «le» Singerconnu, en Pologne puis aux Etats-Unis

–en 1936, son livre Les Frères Ashkenazifigurait à New York parmi les best-sellersavecAutant en emporte le vent…

MaisilyaaussiunesœurdanslafamilleSinger. Hinde Esther Singer (1891-1954),devenueplus tardEstherKreitman,desonnom de femme mariée, est même trèsdouée si l’on en croit l’admiration que luivouent ses frères. Elle vit àVarsovie puis àAnvers et surtout à Londres. Hélas, «pourune femme née en Pologne à la fin duXIXe siècle, dans une famille juive de rab-bins hassidiques, il est impensable d’étu-dier, de se cultiver et moins encore d’avoirde l’ambition, fût-elle ou non littéraire»,rappelle à juste titre Paule-Henriette Levydans la très intéressante préface qu’elleconsacre à Blitz. Ce recueil de nouvellesn’est pas le premier livre d’Esther Kreit-manquiparaîtenfrançais.En1988, lesédi-tionsDes Femmesontpublié LaDansedesdémons. Dans ce premier roman paru àVarsovie en 1936, l’héroïne, une femmepossédée par une soif d’éducation et deculture,ressemblebeaucoupàEstherKreit-manelle-même.Onditmêmequeceserait

elle, Esther, qui aurait inspiré à son frèreIsaac le magnifique personnage de Yentl,immortaliséà l’écranparBarbraStreisand.

Revendication«féministe»Dans Blitz, Esther Kreitman montre

d’abord qu’elle n’est pas seulement la«sœur de…». Comme les autres, elle a lapassiondumot et de la formule. L’art aus-sidecamperunpersonnageentroiscoupsde crayon. CommeReyzel, la nourrice quisort soudain de son corsage «un gros seintout blanc qui ressemble à une boule depâte levée» («Lenouveaumonde»). Com-me ces Londoniens pendant la guerre,«secs, pâles, retenus, renfermés en eux-mêmes» et « rongés par une humiditéconstante» («Blitz»). Ou encore, dans cemême Londres en ruine, ces vieilles, réfu-giées dans le sous-sol d’une église, et qui,installées sur les tombes, ne cessent pourautant leurs travaux d’aiguilles «commesi elles tricotaient des chaussettes et desgantspour lamort» («Les horloges»).

Onest tantôtdans laVarsovie juive, tan-tôt dans l’East End de Londres avec Esther

Kreitman.Maislesthèmessontsouventlesmêmes: l’absence d’avenir et la difficultéd’êtrepour les femmesde sonmilieu et desa génération. Cette revendication «fémi-niste» s’accompagne d’un véritable talentde narration. Un style vif et des dialoguespercutants, souvent drôles, magnifique-ment traduitsduyiddishparGillesRozier.

On sort de ce recueil avec deux interro-gations. Pourquoi Esther était-elle lamal-aiméede la familleSinger–àtelpointque,dès sa naissance, et ne sachant quoi faired’elle, sa mère avait autorisé qu’on placesonberceausousunetable,n’offrantpourtouthorizonàcebébé«qu’unplateaucras-seux plein de toiles d’araignées» ? Et ladeuxième question: comment le dernierfrère,Moshe, le plus petit, a-t-il bien pu sedébrouiller, quant à lui, pour ne pasdeve-nir écrivain?p

En1931, legrandécrivainhongroisGyulaKrúdyromançaitunfaitdiverstragiquequidéchaînalespassionsantisémitesdupaysàlafinduXIXesiècle.Saisissant

LemystèreEszter

DanslafamilleSinger,demandezlasœurIln’yapasqu’IsaacBashevis, lePrixNobel,et Israël Joshua.EstherKreitman, leuraînée,étaitaussiécrivain

Littérature Critiques

Extrait

L’Affaire EszterSolymosi(A tiszaeszláriSolymosi Eszter),deGyulaKrúdy,traduit duhongroisparCatherineFay,AlbinMichel,656p., 24¤.

Blitz et autreshistoires (Yikhes),d’EstherKreitman,traduit du yiddishparGilles Rozier,préfacede Paule-Henriette Levy,Calmann-Lévy, 304p., 19,50¤.

Le supplice d’Eszter Solymosi,d’après une gravure antisémite.

LEEMAGE.COM

4 0123Vendredi 10mai 2013

Page 33: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

Aventuriersde l’étrangeDansunentre-deux-guerresobscur, deuxsavants soucieuxdedécrypter les bizarreriesdumonde arpentent le globe et collectionnentles rencontres fantastiques. Valente, biolo-giste, tente de fixer en six clichés crimes etmétamorphoses; à Timisoara, sur la piste desinges kidnappeursde nourrissonspour lecompted’unbaronmort depuis plus d’un siè-cle, il rencontre ainsi Tirenzio,médecin sou-cieuxd’expérimentation.D’anthropophagieadmise en sommations fatales lancées parune insaisissable chanteusede cabaret, d’orbi-tes vidées pour la satisfactionde collection-neurs insatiables en fleuvedévorateurquidigère son lot de voyageurs, il y a du Lovecraftet de l’EdgarAllan Poe chez JonathanWable etsonvertigineuxpériple scandépar une ving-tained’étapes abominables. Avec le scientis-me serein d’un JulesVernepour tenir un ins-tant l’horreur à distance. Recueil horrifiqued’une rare élégance, ce voyage au cœur del’étrangeet de l’abjectionest d’une culpabili-sante saveur.Un éloge de la suggestionet del’imaginaire le plus radical qui rappelle lesplus belles pages de la littérature de genre duXIXe siècle. p Philippe-JeanCatinchiaSix photos noircies, de JonathanWable,Attila, 200p., 14 ¤.

Anticorps à corpsLes jeunes couplesmisent sur leur futur, lesvieux se raccrochentà leurpassé; quand lespremiers viventd’espoir, les secondsvoientmourir leurs illusions. Si l’on en croit ClaireCastillon, les histoires de couple finissentmal…en général.On connaît cette chanson,mais l’auteurd’Insecte (Fayard, 2006), avecbeaucoupd’énergie, y ajoute quelquesCouplets cinglants. «Le refrainde la vie conju-gale» est, pour elle, une rengaine cruelle.Dans cesnouvelles courtes et souventdrôles,chacundes partenaires, l’un après l’autre etdansdifférentes configurations, prend la pa-role. Tout se passe commesi ClaireCastilloncollectait les confessionsde cobayesqui,pour se supporter, doivent enquelque sorte se«vacciner»: ils fabriquent «l’un contre l’autreet en secret des anticorps».pVincent RoyaLes Couplets, de Claire Castillon,Grasset, 200p., 16,90 ¤.

Amour fortuitJulietteKahaneorganise la collision, dans L’In-connu,dedeuxmondesétanches: celui desmondanités littéraires et celui desmarginauxvivant, leplus souvent, depetits trafics. Cher-chantà éviter sonex-compagnon,arrivé aucocktaild’unemaisond’éditionaubrasde sanouvelle conquête, PénélopeSalt abordeunhommequ’elleprendpourun célèbreécrivainmisanthropeet rebelle. Cen’est qu’après avoirpassé lanuit avec elleque l’homme lui avoues’être retrouvéparhasard, et parcequ’il avaitfaim,dans ce cocktail.De cette rencontre fon-

dée sur lemalentendu, JulietteKahane fait l’occasiond’uneromance improbable etpourtantcrédible,métaphoredu lâcher-priseet de l’ouvertureà l’inconnunécessairespour sortir de la soli-tude ressassantequi guette cha-cunauseinde tout cercle endo-gamique. p Florence BouchyaL’Inconnu, de Juliette Kahane,L’Olivier, 160p., 16!.

«Albert, qui n’a plus de cordes vocalesdepuis des années, s’empared’unpapieretm’écrit : “Joubra, neprendspas ce tra-vail ! Ne va pas te perdre ! (…) Partout etchaque jour des trains transportent,emportent des hommesau travail, éloi-gnent, rapprochent, bouleversent.Qu’est-ce qu’on entend? Toujours ces lettresbrouilléesdumonde, des appels. Desbruits de ferraille, les freins dumétro.Desmusiquesbroyéespardes bombarde-

ments.Unattentat?D’autresmusiquesqui nous enchantent l’âme jusque sousles décombres.Des rires d’adolescentes.La complaintedesmendiants.Dubando-néon, encore ànotre époque tu te rendscompte! Unhommequi tombe, unautre qui se jette? Des femmesamou-reuses…” Je demande: – Ça fait quel bruitune femmeamoureuse?»

LeRêvede l’autre, page12

XavierHoussin

Le vieil homme est ins-tallé chez Lipp, la bras-serie de Saint-Germain-des-Prés. A sa table, tou-jours la même. Il prendun verre de vin, un

repas léger, un café. Autre chose?Le brouhahades conversationsnele dérangepas. Il reste là, rienne lepresse. Il vient ici depuis des lus-tres,maisiln’estpasseulementunhabitué. Ce qui le différencie detousceuxdont ledirecteurdesalleserre lamainet àqui il fait depate-lins sourires, c’est que lui a letemps. Tout le temps.

«Toutema vie, j’ai aimé dormirassis, les yeuxbienouverts, au fonddescafés,au fonddemesbois, dansla ville. Rêver seul dans la foule.Seul accompagné, et aussi seul,seul.» Le Rêve de l’autre,deMilenaHirsch, est un roman qui rend unhommageétonnammentintimeàAlbert Cossery, l’auteur des Fai-néants dans la vallée fertile(Domat, 1948), de Mendiants etorgueilleux (Julliard, 1955) ou desCouleurs de l’infamie (Joëlle Los-feld, 1999).

L’écrivain aurait eu 100anscette année. Mais il n’est pasmortdepuis si longtemps (le 22 juin2008) que cet anniversaire res-semble à une commémorationsolennelle. C’est plutôt comme s’ils’était absenté. S’il avait juste ren-dulaclédelachambre58qu’iloccu-paitdepuis1945àl’HôteldelaLoui-siane,ruedeSeine.Pourunpeu,oncroiraitmême,quelquefois, recon-naître sa silhouette arpentant lequartier, sur le boulevard, du côtédu Flore ou de chez Lipp, juste-ment. Il passe, en fantôme léger.

C’est sa présence discrète queMilena Hirsch nous restitue. Jou-bra, la narratricede ce texte écrit àla première personne, est unejeunefemmeperduedansd’erran-tesobsessionsamoureuses.AlbertCossery l’aide à y débrouiller sonchemin. A trouver les issues.«Nous nous sommes retrouvésrégulièrement,enfinai-jetoutima-giné? Nos rencontres ressemblenttant à des songes. » Commenceavec lui une histoire de conni-vence et de confiance partagéesfaite d’allusions brèves, de bribesde conversations, de momentsd’écoute, de silences.

Cossery parle peu. Il y a desannées, une opération du larynxlui a rentré tous ses mots au fondde la gorge. Il ne lui reste plus

qu’un souffle. Une vocalise inté-rieure, chuintante, qu’il faut saisirau vol. Aussi, souvent, il écrit surdesbilletsqu’il glisseàson interlo-cutrice. Et la conversation prenddes allures de correspondance,avec ses attentes patientes et sesdéchiffrements. «Depuis l’en-fance, lui explique-t-il, je cultiveun attachement pour les choses delamarge. Tu verras, elles apparais-sent toujours par surprise et sem-blent se coopter entre elles. Elles semanifesteront ensemble.»

Et Joubra, quittant les quelquesrues du territoire d’Albert à Saint-Germain-des-Prés, va, étrange-ment,dansParis,traverserunesuc-cession de hasards enchevêtrés.Mais que va-t-elle chercher du

passédesafamilledansunecham-bre d’hôtel proche du Panthéon?Et d’où a-t-elle exhumé ces lettresd’amour passionnées et tragiquesentre ses grands-parents?

Une rassurante résonanceJoubra est dans l’attente d’un

homme,parti au loin.Pas trèssûrequ’ils se retrouvent un jour mal-gré leur désir, leurs promesses.Elle rencontre un typeperdu. S’es-sayeàuneautrehistoire.«Commema grand-mère, et puis ma mère,monpère, j’aipeurdeneplusaimercomme avant, de décevoir, d’êtrefatiguée,d’avoir peurdu réel, deneplus voir venir…même si j’aime.»

Dans son premier roman,L’Ange retardataire (Melchior,

1999), Milena Hirsch exprimaitdéjà cette crainte de la désaffec-tion. Son recueil de nouvelles,Voyageurs éblouis (La Chambred’échos, 2006), parlait de sépara-tions,desolitude.Toutcequestion-nementdifficile trouve iciune ras-suranterésonance. LorsqueJoubrarevientde sesnuits inquiètes, lors-qu’elleperdpiedàforcedetournerenrondaucolin-maillarddesesori-gines,lorsqu’ellesedécourage,Cos-sery est là. «L’ambitionde vivre estsuffisante», lui dit-il simplement.

Le Rêve de l’autre a aussi legrand mérite de nous ramenervers les livres d’Albert Cossery. Il ya embarqué, intacte, l’Egypte desonenfanceetde sa jeunesse.Onytrouve des sans-le-sou, des men-diants, des assassins, des prosti-tuées et de terrifiants dormeurs.Ses Œuvres complètes en deuxtomes sont toujours disponibleschezJoëlleLosfeld.Ceuxquis’inté-ressent à sa vie liront le long récitbiographique que lui a consacréFrédéric Andrau (Monsieur Albert.Cossery, une vie, Editions de Corle-vour, 280p., 19,90¤). Attention, saliberté peut être contagieuse. «J’aitoujours dit que j’écrivais pour quequelqu’un qui vient de me liren’aille pas au bureau le lende-main», répétait-il.p

Sans oublier

Rompusàl’existenceQuoidecommunentreunjeunehandicapéetBusterKeaton?Deuxdestinsconvergentdans lenouveauromandeFlorenceSeyvos

Raphaëlle Leyris

LeGarçon incassable s’ouvre surunescène étrange : une femme fran-çaise,venueàLosAngelessurlestra-ces de Buster Keaton (1895-1966),

pratique un «exercice de convergence».Pour rééduquer ses yeux, qui souffrentd’unstrabismedivergent,elledoitfixerunstylo et le rapprocher lentement de sonnez. L’image finit toujours par se dédou-bler; elle n’apas lapatiencede continuer.

De cetœil droit, qui «dit de plus enplussérieusement merde à l’autre», il ne seraplusquestiondans le roman,pasplusque

des exercices d’orthoptie censés le rame-ner dans la bonne direction.Mais c’est enquelque sorte sur eux que repose tout leroman, histoire de vision double et trou-ble. De convergences étranges.

Le titre, avecsonarticledéfini, annoncepourtant un unique «garçon incassable».Mais ils sont deux – sans douteparce que,à chaque fois que lanarratriceen contem-ple un, l’autre finit par lui apparaître. Legarçon incassable, donc, c’est à la fois Bus-ter Keaton et Henri, le demi-frère handi-capé de la narratrice. D’un côté, le corpsélastique, rompu à toutes les chutes, dumaître du burlesque, celui qui ne prendjamais de doublure «parce qu’un casca-deurn’estpasdrôle».Del’autre, lacarcassesquelettique d’un petit garçon qui vieillitsans grandir vraiment, avance comme«un bulldozer qui aurait perdu une che-

nille», etpasse sesnuits le brasglissédansun tube en plastique pour l’empêcher des’atrophier. Deux vies qui n’ont rien deparallèle, mais qui se répondent par cer-tains aspects, en tout cas aux yeux de lanarratrice.

«Unpetit saligaud»Henri est arrivé dans sa vie à 9 ans,

quand lamèrede l’une l’a emmenée, ainsiquesonfrère,vivreenAfriqueavec lepèrede l’autre. Un père qui a élevé seul le petitgarçon, et qui pense que « les enfants, ilfautlescasser».Alorsils’yemploie,enobli-geant son fils à apprendre à marcher, ouenluifourrantdanslecrânedeslistesd’ex-pressions toutes faites. Mais, dit sa demi-sœur avec une tendresse et une admira-tion infinies, «Henri est un petit saligaudde roseau qui plie mais ne rompt pas» et

qui, toute sa vie, fera en sorte de ne pasrompre.

Buster Keaton, le roi de la chute, a étéprojeté dès son plus jeune âge par sonpère d’un bout à l’autre de toutes les scè-nes des Etats-Unis. Il s’est brisé étonnam-ment peu demembres au cours de sa viepassée à se jeter lui-même «dans les airs,dans le flot d’une cascade, du haut d’unimmeuble, à travers un ouragan, sur unelocomotive, à la poursuite de sa fiancée».Le lien entre les deux hommes, c’est sansaucun doute leur «étrange détermina-tion», qui pousse l’un à vouloir à touteforcemener son existence propre, l’autreàseprendrepourunprojectile, lancéàtra-vers un monde absurde. C’est sans doutelà que gît leur «petit noyau réfractaire»,cette dimension irréfragable de soi, indif-férente au temps qui passe, que Florence

Seyvos traque dans ses (trop rares) livres(Gratia, Les Apparitions et L’Abandon,L’Olivier, 1992, 1995, 2002) comme dansles films qu’elle écrit avec NoémieLvovsky (La vie neme fait pas peur, 1999;Les Sentiments, 2003; Faut que ça danse!,2007; Camille redouble, 2012). Retraçantces deux destins, entre lesquels elle netrace évidemment pas de signe d’égalité,Florence Seyvos marche sur deux fils, leburlesque et le tragique. Henri ne fait pasla différence entre les deux, Buster a tou-jours organisé leur collision, et c’est danscet équilibre, cette double tension, que sedéploie ce texte modeste et gracieux,superbementobstiné. p

Critiques Littérature

Extrait

LeRêvede l’autre,deMilenaHirsch,JoëlleLosfeld,152p.,13,90¤.

LeGarçon incassable,de Florence Seyvos,L’Olivier, 140p., 16¤.

MilenaHirschramènel’écrivainAlbertCossery,morten2008,àlatableducaféqu’ilaffectionnait.Letempsd’unromanétonnammentintime

Rendez-vouschezLipp

La brasserie Lipp, boulevardSaint-Germain à Paris.PATRICK ESCUDERO/HEMIS.FR

50123Vendredi 10mai 2013

Page 34: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

AumiroirdeGretaGarboEnquêtantsur«Unrenoncement»,celuidelastaraucinéma,danslesannées1940,RenédeCeccattys’estinterrogésursonproprerapportàl’expositionmédiatique

Florence Bouchy

Après La Femme auxdeux visages, tournéen 1941 sous la direc-tion de GeorgeCukor, Greta Garbon’est plus apparue

dansaucunfilm.Elle sembles’êtreéloignéeducinéma, à 36ans, com-meonrenonceàsesatisfaired’unevie réduite au jeu des apparences.Malgré sa volonté d’effacement,l’actricea, par sadiscrétionmême,nourri son mythe. Adulée par lepublic, elle a vécu traquée par lespaparazzis jusqu’à sa mort en1990.

Guidé par une «vieille obses-sion»qu’il atoujoursnourriepourGarbo, et par la connaissance desactricesquesesactivitésdedrama-turge (il a beaucoup travaillé avecAlfredo Arias) lui ont permis decôtoyer, René de Ceccatty a voulucomprendre ce qu’il se passe«quand un être dont la spécificitéest d’apparaître continue d’existerdansl’inapparence,dansladispari-tion». C’est l’objet d’Un renonce-ment, le récit biographique qu’ilconsacreà la star.

Mais les livres sur Greta Garbonemanquentpas. Il fautdonctrou-ver un angle original, etmettre aujour des éléments inédits. Commebien souvent, c’est une coïnci-dence qui permet à René de Cec-catty de s’engager dans l’écrituredu livre. L’écrivain a eu, «quatreou cinqans plus tôt», l’occasiondetravailler à un livret d’opéra ins-piré d’un roman de Balzac qu’ilaime particulièrement, La Du-chessedeLangeais.Danscelui-ci, lacoquette Antoinette de Navar-reins choisit, sous la Restauration,de disparaître de la scène pari-sienne pour s’enfermer dans uncouvent espagnol, parce que sonchaste amant, Armand deMontri-veau, n’est pas venu à un rendez-vous qu’elle avait conçu commeunultimatum.

L’opéra ne voit pas le jour maispeuaprès, au détourd’une lecture,René de Ceccatty découvre queGreta Garbo avait justementaccepté de tourner, en 1949, àRome, une adaptation de LaDuchessedeLangeais,produiteparWalterWanger(LaChevauchéefan-tastique, Jeanne d’Arc, L’Invasiondesprofanateursde sépultures…) etréalisée par Max Ophuls. L’échecde ce projet avait désespéré l’ac-trice. «J’ai découvert sur InternetqueWangeravait laissésesarchivesà la bibliothèque de l’université deMadison, dans le Wisconsin. Labibliothécairem’aenvoyélesphoto-copies des documents concernantlesannées1948à1950. Ilyavait tou-teslesversionsduscénario,lacorres-pondance avec Garbo, l’agenda deWanger,etmêmelesnotesd’hôtel.»

De cette mine d’informations,René de Ceccatty retire la certi-tudequ’il estpossiblede«faireunlivre sur ce film qui n’a pas eu lieu,d’enquêter et devoir toute la viedeGarbo et sa carrière à travers cetéchec». Il complète ses recherchespar la lecture des biographiesd’autres acteurs qui, commeKatharine Hepburn, ont bienconnu Garbo. La mise aux enchè-res, en décembre2012, de tous lesobjets ayant appartenu à cettedernière permet à l’écrivain d’ac-céder à la liste des livres de sabibliothèque. Il découvre ainsiqu’elle a lu et annoté Adolphe etdonc envisagé de jouer dans uneadaptation du roman de Benja-minConstant.

«Ne pas céder aux ragots»Avec une personnalité comme

Garbo, la principale difficulté, ditRené de Ceccatty, est «de ne pascéder aux ragots. Elle ne se livraitjamais en public, elle ne se confiaitqu’en tête-à-tête, et l’on ne peutdonc jamais confronter une ver-sionavec celle d’unautre témoin».Le récit observe donc la plusgrande prudence, évalue la vrai-semblance des faits et émet des

doutes quand nécessaire. «Il fauttrouver le ton juste, ajoute-t-il, parrapportà unepersonnalité qui fas-cine des gens très divers. Et aussi,surtout, parce que Garbo ne vou-lait pas qu’on fasse d’investigationsur sa vie. C’est très compliqué,mêmed’unpoint de vuemoral.»

René de Ceccaty le reconnaîtbien volontiers : derrière le por-trait de Garbo et l’analyse de sonangoisse de la publicité, transpa-raît l’écrivain. Les romans qu’ilécrit, notamment le récentRaphaël et Raphaël (Flammarion,2012), relèvent de l’autofiction, et

unessaicommeceluiqu’ilaconsa-cré à l’écrivainViolette Leduc (Elo-gede labâtarde,Stock, 1994) fait lapart belle aux éléments de sa pro-pre vie. « J’ai voulu comprendremonpropre rapport à l’exposition,dit-il,àcequ’impliquelefaitderen-dre publics des éléments d’ordreautobiographique. Il y a toujoursunmalentenduquirésultede touteformedemédiatisation.»

Un renoncement n’est ainsi niune biographie classique ni unevie romancée de Garbo, mais unrécit méditatif tout autant qu’unportrait de l’actrice «à travers dif-férents miroirs», certains intimes,d’autres professionnels. Uneapproche sous plusieurs angles«qui ne sont pas forcément la vé-rité, précise l’écrivain,même si ladémarche est, au départ, parfaite-ment rigoureuse». Est-ce parcequ’elle était trop consciente de ladisproportion entre sa notoriétéet laqualitédeses films,quela stars’est éloignée du cinéma? Est-ceparce que le statut d’icône auquelles films la réduisaient ne lui don-nait pas ce qu’elle espérait de l’art,ou d’elle-même? Est-ce parce queson identité sexuelle ambiguësouffrait de la gloire que lui confé-raient ses rôles de femme fatale?«On peut écrire toutes les biogra-phies que l’on veut, concède Renéde Ceccaty, il y aura toujours untrou noir. Le mal-être de Garboresteunmystère.»p

Roumanie: l’essaiquifaitscandale

Unrenoncement,deRenédeCeccatty,Flammarion, 438p., 21 ¤.

C’est d’actualité

Seretirerdumonde

L’HOMMEa tout l’air d’un aristocrate inof-fensif etmaniéré. Pourtant l’historienLucianBoia est au cœur d’undébat quienflamme lemilieu intellectuel roumain.Sonnouveau livre,Pourquoi la Roumanieest-elle si différente? revisite l’histoiredesonpays etmet àmal unebonnepartie desclichés et des fantasmesde l’historiogra-phie officielle. L’opuscule, publié aux édi-tionsHumanitas ennovembre2012, se litrapidement. Il se vend, surtout, commedespetits pains. «Je suismoi-mêmetrès étonné,confie l’auteur. Le livre a déjà été tiré à40000 exemplaires et continueà se vendre.Je nem’attendaispas à ce qu’il provoqueautant de réactions.»Un tel chiffre faitrêver sur unmarchédu livremorose.D’autantplus que la plupart des Roumainspréfèrentpasser leurs soirées devantuntéléviseur auquel ils consacrent enmoyenne sixheurespar jour –un recordenEurope – qu’avec un livre.

Mais l’essai de LucianBoia semble chan-ger la donne. Tout lemondea uneopinionà son sujet,même ceuxqui ne l’ont paslu. Véritable «livre noir» de l’histoire rou-maine, il ose, pour la première fois, démolirlesmythes et légendesqu’onenseigne– encore – dans lesmanuels scolaires, ren-voyant sanspitié auxRoumains l’imaged’unpeuplequi a fait des erreurs etdesmauvais choix tout au longde sonexistence.

La Roumaniedoit unepart de sa singula-rité à sa positiongéographique, qui la placeau carrefourdes grands empires. Sa partieorientale, laMoldavie, a été dans le girondel’Empire russe. LaValachie, au sud, a évoluésous l’influencede l’Empireottoman, tan-dis que la Transylvanie, au centre et à l’est,a fait partie de l’Empire austro-hongrois.«LaRoumanie est unpays de frontières,expliqueLucianBoia.Dans l’Antiquiténousavons été à lamarge orientalede l’Empireromain, puis dumondebyzantin, et actuel-lement à lamargede l’Occident.D’oùunrésultat paradoxal. D’unepart, un senti-ment d’isolement . D’autrepart, une ouver-ture vers lemonde. La Roumaniepossèdeune extraordinaire capacité d’adaptationàdesmodèles étrangers quant à la formetout en lesmodifiant sur le fond.»

Exemple: la Roumanie a intégré l’Unioneuropéenneen 2007 et adapté sa législationauxnormesenvigueur,mais le pays trouvetoujours lemoyende contourner les règles.Les Roumainsont unemaîtrise inouïe dusystèmeD, qui laisse parfois pantoise l’ad-ministrationbruxelloise. Autre singularité:la dictaturedeNicolaeCeausescuqui aréussi, elle aussi, à se distinguerdans le bloccommunistepar sondegré d’absurdité.Aujourd’hui, la Roumanie s’est ancrée à l’Oc-cident,mais son retard économiqueet sesfractures sociales l’empêchentd’occuper auseinde l’UE la place à laquelle elle aspire.

Une légendeAuteurprolifique, LucianBoia, 73 ans, est

l’historien roumain leplus traduit à l’étran-ger, connu enFrancenotammentpour seslivres d’histoirede l’imaginaire (de l’espace,de la pluie, du climat) ou ses ouvrages surJulesVerne, Napoléon III ou les intellectuelsroumains (Les Pièges de l’histoire,Les BellesLettres, 2013). Doté d’uneplumequepour-raient lui envierbiendes écrivains, il pos-sède cette qualité rare d’expliquerdema-nière simpledes choses compliquées.DansPourquoi laRoumanie est-elle si différente?,rienne lui échappe. Il y dénoncepar exem-ple lemanquede réactivité des intellectuelsface au régimeoppressif de Ceausescu, ainsique l’apathiedesRoumains, qui acceptaientle communismedynastiqueduConduca-tor. Et conclut: «Finalementunpeuple a lesdirigeants qu’ilmérite, n’est-ce pas?»

Ses avis dérangent, suscitent des pas-sions et animentundébat qui va bienau-delàdumonde littéraire. Les nationa-listes l’accusentde «diffamation»,d’autresle considèrent commeun «traître»ouun«provocateur». Ses défenseurs, eux, luisont reconnaissantspour les éclairagesqu’ilprojette sur l’histoiremouvementéede laRoumanie. LucianBoia est devenuunelégende: ses détracteurs et ses thuriférairess’opposent avec ardeur.Mais les grandsgagnantsde cette confrontation intellec-tuelle sont les Roumains, dont beaucoupn’avaientpas ouvert un livre depuislongtemps.p

ÉDITEUR, roman-cier, dramaturge, tra-ducteur, essayiste…RenédeCeccatty adenombreuses cor-des à son arc, et unepassion touteparti-culièrepour les bio-graphiesd’acteurs,surtouthollywoo-

diens, qu’il lit dès qu’il le peut. De cettegrande familiarité avec le cinémaetsesmythes, il a décidéde faire lama-tièred’Un renoncement, le portraitqu’il consacre àGretaGarbo.

Intriguépar la disproportionentrela renomméede l’actrice et la qualité deses films, qu’il jugepour la plupart

médiocres, RenédeCeccatty fait del’échecde l’adaptationd’un romandeBalzac, LaDuchessede Langeais,queGarbodevait tourner en 1949, le pris-meà travers lequel sa vie et sa carrièrepeuvent toutes entières se relire. Lerôlede la duchesse aurait été, selonl’écrivain, idéal pourGarbo, non seule-mentparce que le romanmet en scènele renoncementdéfinitif d’une femmeà la viemondaine,mais aussi parcequ’il évoqueune formedepassionextrêmemais chaste, unehistoired’amourhors normecommetoutesles relations inclassables quen’a cesséde chercher et d’entretenir l’actrice.

Mais riende linéaire dans ce récit devie. Les quatre-vingt-quinzechapitres

du livre sont autant de variations surlesmêmes événements, considéréssousdifférents éclairages. Fort de lalongue recherchedocumentairequ’il amenée, l’écrivain s’autoriseunregard très personnel sur la carrière del’actrice, n’hésitantpas à laisser enten-dre sonhumeuret ses jugements– que l’onpeutparfois juger unpeusévères – sur sa filmographieou sabeauté fanée.Mais c’est précisémentcequi rend saisissant ceportrait d’uneicônebienmoins lissequ’il n’yparaît.p Fl. B.

«Elle abhorrait surtout ce que“GretaGarbo”, ces quatre syllabes,représentaientpour le public (…).Garbo (était)une sorte demétony-mie généralisée de l’actrice, dudésespoir, du renoncement, de lagloireperdue ouau contraire dela gloire absolue, de la solitude, delapassion, de la fuite, de l’indivi-dualisme, de la duplicité ou au

contraire de l’authenticité.Ce renoncementdeMissG. se

“concrétisa”, si l’onpeutuser de ceterme, avec le film impossiblequiaurait racontéun renoncement (…).Que ce seul sujet ait convaincuMissG. n’a riend’étonnant.De cefilm, elle neparlapluspar la suite.»

Unrenoncement, pages100-101

GretaGarbo,fin des années 1930.CLARENCE SINCLAIR BULL/

RUE DES ARCHIVES/BCA

Histoired’un livre

Extrait

Mirel Brancorrespondantà Bucarest

6 0123Vendredi 10mai 2013

Page 35: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

Diderot, penseur jouissifLephilosopheDominiqueLecourt, disciplinedeCan-ghuilhem,est l’undesplus fins et ferventsadmira-teursdeDenisDiderot (1713-1784). Il le prouveànou-veauavec les textes ici rassemblés. S’ydéploientnonseulementunegrande familiarité avec les ouvragesduphilosophedes Lumières,maisuneproximitédecœuret d’esprit, unemêmefaçond’envisager la disci-pline commepratiquede l’interrogation joyeuse,«artdevivre et depenser». Qu’apprend-t-on,par exemple,sur ce tempéramentphilosophique?Que le rationa-lismedeDiderotn’a riendedécharné, commeon l’alongtempscru.Chez lui, écritDominiqueLecourt,«penser, c’est juger, comme le diraKant.Maispenser,c’estaussi jouir; ceque certesn’aurait pasadmis le phi-losophedeKönisberg.Autrementdit, la penséeprendcorps; elle aprise sur les corpsparcequ’elle y est tou-joursdéjàprise, par le plaisir. Il y a ceuxqui savent, et ledisent. Et ceuxdont tout le “savoir” résidedans la ratio-nalisationdes stratégiesqu’ilsmettentenœuvrepourignorer cette vérité. Ceux-là sont dangereux!»Ainsi le

premiermoteurde la raisonpeut être la«déraison», l’«extravagance», commedisaitDiderot. Aucune sensationn’estd’abordsimple, aucune idéenonplus:ellesne ledeviennentqueparabstrac-tion.CeDiderot-là est décidémentbienloindumatérialismemécaniciste auquelona voulu le réduire.Améditer à l’heurede la technoscience.p Julie ClariniaDiderot. Passions, sexe, raison,deDominique Lecourt, PUF, 100p., 13 ¤.

La philosophie et les sciencessociales ne font pas toujoursbonménage, surtout enFrance.Au mieux, elles s’ignorentsuperbement. Au pire, elles seregardent avec suspicion com-

me des concurrentes déloyales. Le travaildu philosophe Bruno Karsenti (né en1956), déjà jalonné de livres importantsconsacrés à de grandes figures de la socio-logie comme Marcel Mauss, EmileDurkheim et Auguste Comte, s’imposecomme une des propositions les plus sti-mulantes, dans le paysage contemporain,pour sortir de cette incompréhensionmutuelle.D’une philosophie à l’autre, sonnouveau livre, recueil d’articles réécritspour l’occasion, permet de prendre lamesurede sonprojet et de saméthode.

LathèsedeKarsenti,déployéemagistra-lement dans une riche introduction, estapparemment simple dans sa radicalité:la naissance puis le développement dessciencessociales constituent le grandévé-nement intellectuel de lamodernité. Pro-fondément liées à l’expériencehistoriquedes sociétés modernes, la sociologie puisl’anthropologie se sont donné pour tâchedecomprendrelaspécificitédecetteexpé-rience. A ce titre, elles sont la forme deréflexivitépropreaux sociétésmodernes.Leurs effets se font profondément sentircar elles modifient, en se diffusant, laconscience de soi des membres de cessociétés. Or, pour le dire d’une phrase, lessciences sociales travaillent inlassable-

ment le paradoxe suivant : s’il n’y a desociété que composée d’individus, il n’y ad’individuque dans lamesure où l’évolu-tion des sociétés modernes a permisl’émergencesocialed’uneconscienceindi-vidualiste de soi. Autrement dit, l’indivi-dualismemoderne doit être étudié à par-tir duparadigmede la société.

Lessciencessocialesseprésententdoncsous la formed’uneautocritiquede l’indi-vidualisme, d’une théorie sociale de l’in-dividu. Il est vain d’en chercher l’originesoit dans l’individualisme des Lumières,soit dans les théories organicistes de lacontre-révolution. Leur force est juste-mentde suspendre cette alternative.

De cette émergence des sciences socia-les, la philosophie ne sort pas indemne.Elle est profondément altérée dans ses

objetsetsondiscours.Ellenesauraitconti-nuer à travailler avec ses concepts et sesautorités traditionnels comme si rien nes’était passé, dans l’ordre du savoir com-me dans l’expérience sociale, depuisPlaton. Une philosophie cohérente de lamodernité, et en particulier une philoso-phiepolitiquedenosdémocratiescontem-poraines, doit impérativement partir dessciences sociales.

Que signifie, pour un philosophe, par-tir des sciences sociales? Il ne s’agit nulle-ment de leur donner des lois, depuis uneposition surplombante, mais bien d’enfaire le terrain propre de sa réflexion, delire philosophiquement les auteurs de

sciences sociales, ou leurs précurseurs,pourmettreenlumièrelesenjeuxconcep-tuels, les contradictions théoriques, lesavancéeset lesaporiesdeleursapproches.Jean-JacquesRousseauet LouisdeBonald,Claude Lévi-Strauss et Auguste Comte,Bourdieu et Boltanski, pour ne citerqu’eux,sontpassésaucribled’une lectureprécise, rigoureuse, parfois difficile, tou-jours féconde,qui s’efforcede les«coincerdans un étau logique», pour reprendreune formuledeMaxWeber.

Comme tout livre composé de chapi-tres écrits dans des contextes différents,cet ouvrage se prête à des lectures multi-ples. On y trouvera la discussion précise,souvent décapante, de quelques grandslivresrécents,aucroisementdelaphiloso-phie et des sciences sociales. On pourra lelire, aussi, comme les fragments d’unegénéalogie du concept moderne de so-ciété,nonsans regretter,parfois, que l’his-toire n’y trouve pas mieux sa place, endépit d’un dernier chapitre consacré aucultedesmorts, où apparaissentMicheletet Fustel de Coulanges. Aussi ancienneque la philosophie, mais depuis long-temps redéfinie par les sciences sociales,appliquant lesmêmes outils aux sociétésanciennes et modernes, l’histoire flottecommeunmystère etundéfi auxmargesdu livre.

L’enjeu essentiel du volume, toutefois,tient à la redéfinition qu’il propose de laphilosophie politique. Celle-ci, une foisqu’elleprendactedelanouvelleconfigura-tion des savoirs qu’imposent les sciencessociales, doit assumer l’obsolescence deses concepts, ceux de souveraineté, de ré-gime représentatif, de contrat et de droitnaturel. Elle se saisitplutôtde lanotiondegouvernementquipermetaumieuxd’ar-ticuler une théorie des relations de pou-voir et une théorie de la société. Dès lors,Karsenti retrouve les intuitionsmajeuresde Michel Foucault, dans ses cours desannées 1970 auxquels deux beaux chapi-tres sont consacrés. Il n’a manqué à Fou-cault, nous dit l’auteur, que d’avoir prisdavantageausérieux les sciencessociales,au lieu de les confondre avec les scienceshumaines dont il avait annoncé le déclin.Une archéologie des sciences sociales ?C’est bien le projet qui se dessine à l’hori-zonde ce livre.p

«Démocratie» en questionL’originalitéde cette histoire dumot «démocratie»tient à ses choix idéologiques: son auteur, univer-sitaire etmilitant anarchiste québecois, part de l’idéeque seule la démocratiedirecte est légitime. Sous ceprismesont reconstitués les débats qui remontentaux révolutionsaméricaine et française, d’essence«antidémocratique». Le terme«démocratie» –le«pouvoir dupeuple»– a d’ailleurs souvent étérejetépar les révolutionnaires commesynonymed’anarchieet de despotismede lamajorité. Les diri-

geants républicains comme JohnAdamsouRobespierre auraient voulu confis-quer le pouvoirpour leur élite. Et si lemot «démocratie» finirapar être adoptépar les groupesdirigeants, expliquel’auteur, ce sera sous la pressionpopu-laire, et pourmieuxperpétuer leurdomination.p Serge AudieraDémocratie. Histoire politique d’unmotaux Etats-Unis et en France, de FrancisDupuis-Déri, Lux, «Humanité», 446p., 22¤.

Le surréalismereconstituéLongtemps,Le Surréalismed’HenriBéharet deMichelCarassou (1984) aoffert lameilleuresynthèsesur cemouvement littéraire et artistique: sesdeuxauteursavaient largement contribuéàen faire l’undes cou-rants lesplusdocumentés. Lanouvelle synthèsedeMichelMurat, professeurà l’Ecolenormale supérieureet à la Sorbonne, représenteun tournant: désormais,le surréalismen’estplusà raconterouàdéfinir; il est àreconstitueren tantqu’histoireau seconddegré. Carsa singularitéest d’avoir été continuellementmisenrécit et théorisépar sesprincipaux intéressés.A com-mencerparAndréBreton,mais aussi par laplupartdeses lieutenants, à la fois jugesetparties (LouisAragon,PhilippeSoupault…),par ses subalternes, souventindisciplinés (MauriceNadeau,AndréThirion…)ou

par seshéritiers, plusoumoins fidèles(JulienGracq, RaymondQueneau…). Ladistancecritiquequ’ilprendavec les stra-tégiesd’autolégitimationdes surréalistespermetàMichelMuratde renouveler laconnaissancede cemouvement,quenouscroyonsbien connaîtrequandseslégendesnousencachent l’extraor-dinaire fécondité.p Jean-Louis JeannelleaLe Surréalisme, deMichelMural, Le Livrede poche, «Références», inédit, 406p., 7,60¤.

LephilosopheBrunoKarsentiutilise lessciencessociales,aucentredesaréflexion,pourarticulerunenouvellethéoriedesrelationsdepouvoir

Redéfinir lapolitique

Unethnologueà vifAlfredMétraux (1902-1963) est une figure singulièrede l’ethnologie française. ElèvedeMarcelMauss, amideGeorges Bataille etMichel Leiris, il a collaboré avecClaudeLévi-Strauss à l’Unesco.Grandvoyageur etobservateur, il a écrit des ouvrages de référence sur levaudouhaïtien, l’île de Pâquesou la civilisation inca.Les textes rassemblés ici permettentdeprendre lamesurede la cohérence et du caractèrepionnier deses analyses sur les sociétésd’Amazonie.Ondécou-vre aussi son engagementpour la défense de cespopulationsmenacées et la réhabilitationde leurssavoirsdénigrés. L’objectivitéminutieusede la des-criptions’accompagned’une sensibilité à vif pourle sort des sociétés observées. p Frédéric KeckaEcrits d’Amazonie. Cosmologies, rituels, guerreet chamanisme, d’AlfredMétraux, CNRS Editions,«Bibliothèque de l’anthropologie», 528p., 27¤.

IdéespourunmondeplusjusteDeuxessaisconstatent les insuffisancesdel’Etatdanslagestiondesrelations internationales

GaïdzMinassian

Dans notre monde globa-lisé, se pourrait-il quel’Etatdisparaisse?C’est àla fois la thèse et le sou-

haitqu’exprimeMoniqueChemil-lier-Gendreau, professeur éméritede droit public, dans son nouvelouvrage,De la guerre à la commu-nauté universelle : «Le monde dessouverainetésest en faillite», écrit-elle.Aujourd’hui, eneffet, les Etatsne proposeraient aucune régula-tionet, au lieud’assurer la paix, ilsattiseraient les conflits et prive-raient les populationsde liberté etde justice sociale. Moins catégori-que, Bertrand Badie, professeur àSciences Po, explique dans sonessai,Quand l’Histoire commence,que ce n’est pas le système inter-étatique qui est à l’agonie, maissonprincipalcourantdepensée, le«réalisme». D’après cette école,les Etats détiennent le monopoledes affaires internationales ; le

droit à la puissance est la seulegarantie d’équilibre et de paixdansunmonde chaotique.Mais siles deux ouvrages se rejoignentpour contester cette vision desrelations internationales, leursapprochesdivergentnéanmoins.

Communautéde valeursLa première, juridique et fidèle

à une vision dite « idéaliste »,passe en revue les défaillances del’ordre étatique, notamment sonimpuissance face à la montée desviolences (guerres, terrorisme,piraterie). SelonMonique Chemil-lier-Gendreau, il faut donc cher-cher une autre forme d’associa-tionpolitiqueque l’Etat; lemondepeut et doit désormais être appré-hendé à travers une communautédevaleursdont lamontéeen forcetranscende les égoïsmes natio-naux et annonce l’avènementd’une démocratie mondialisée.Reste à savoir si la démocratiequ’elle décrit comme «principepolitique universel » est autantdésirée que l’auteur semble lecroireetsid’autresmodèles,extra-occidentaux,nepourraientpas luifaire, aujourd’hui, concurrence.

La seconde approche, celle deBertrand Badie, est plus sociologi-que.Partantduconstatquelamon-dialisationéchappe désormais à ladomination occidentale, l’auteursouligne que l’histoire ne peutplus s’écrire sans la participation

des pays émergents,comme la Chine et leBrésil – en cela iléchappeaureproched’occidentalo-cen-trismequ’onneman-quera pas de faire àMoniqueChemillier-Gendreau. «Nousvivons dans unmon-de interdépendant,souligne-t-il, et noussommespassésd’uneconfrontation interé-tatique à une coexis-tencedesnations.»

Ces deux thèses,qui devraient susci-ter quelques objec-

tionsde l’école«réaliste», courantdominantdanslemondeacadémi-que français, sont assurément sti-mulantes.NotammentquandBer-trand Badie propose, pour attein-dreunmondeplus juste,d’en finir

avec les humiliations infligéesaux peuples et de procéder parinclusion et non exclusion desacteurs non étatiques sitôt qu’unprocessus de résolution d’unconflit se trouve à l’agenda duConseil de sécurité de l’ONU.

Droit et sociologie regardent icidanslemêmesensetappellentà laréhabilitation du politique, àl’émergence des sociétés dans lejeu international et à l’entrée enscène de « l’humanité» dans lechamp institutionnel. MoniqueChemillier-Gendreau et BertrandBadiesontd’ailleursrejointspar lephilosophe Frédéric Ramel,auteur d’un récent ouvrage, L’At-traction mondiale (Presses deSciencesPo, 2012), pourqui existe-rait une dynamique – ou attrac-tionmondiale – qui rassembleraittous les êtres humains autour debiens communs, base d’une nou-velle histoire universelle. Assis-tons-nous, dès lors, au retour deKantavecsonprojetd’Etatuniver-sel et son cosmopolitisme? On enest encore loin, mais ces appro-ches pluridisciplinaires commen-cent à dessiner les contours d’unenouvelle réflexion.p

Sans oublier

«Les sciences sociales sontmodernes à un double titre :au titre de forme de savoir, etau titre d’expérience sociale.Elles sont nées au sein d’un cer-tain type de sociétés, commeun regard que celles-ci ont portésur elles-mêmes – un regard dontla prétention à la neutralité etl’objectivité scientifique ne doitpasmasquer l’expérience socialespécifique qu’elle recouvre. Pour

autant, ce niveau d’expérience estdifficile à saisir et à faire émerger,parce qu’il ne se donne qu’à tra-vers une certaine distance à soi.C’est là sans doute ce qui fait de lamodernité le nomd’un problèmeplutôt que celui, rassurant,d’une identité pleine et entièrequi n’aurait plus qu’à se reprendreet à s’expliciter.»

D’unephilosophieà l’autre, page175

Extrait

Critiques Essais

La philosophie ne sauraitcontinuer à travailler commesi rien ne s’était passé, dansl’ordre du savoir commedans l’expérience sociale

De laguerre àla communautéuniverselle.Entredroitet politique,deMoniqueChemillier-Gendreau,Fayard, 392p., 23 ¤.

Quandl’Histoirecommence,deBertrandBadie,CNRSEditions,«Débats»,64p., 4 ¤.

D’une philosophie à l’autre.Les sciences socialeset la politiquedesmodernes,deBrunoKarsenti,Gallimard, «NRFessais», 356p., 21 ¤.

Antoine Liltihistorien

70123Vendredi 10mai 2013

Page 36: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

OmoplatesdemoutonetavenirdelaChine a15mai:PaulFournelauPetitPalais (Paris)Le romancier et poète Paul Fournel, président de l’Oulipodepuis 2003, revisitera des archives téléviséesde l’Institutnationalde l’audiovisuel autourdu thème, à la fois inattenduet inépuisable, de «l’indicible». «Commentdire? Commentnepasdire?» sont les interrogationsautourdesquelles tourne-ront les séquences choisies. AvecChristine Ferniot, journalisteàTélérama. A l’auditorium,de 13heures à 14h30. Entrée libre.www.m-e-l.fr

aDu16maiau22juin:Maisonde lapoésie2.0Lenouveaudirecteur de laMaisonde la poésie (Paris 3e), OlivierChaudenson, a bâti un projet de lieuplus vivant, réactif à l’ac-tualité et consacréà la «littérature en scène»: rencontres,débats, lectures, concerts littéraires et performancesouverts àtous les registres de la littérature.A découvrir avant l’été.www.maisondelapoesieparis.com

aDu18au20mai:EtonnantsvoyageursDavid Simon,Arnaldur Indridason, IanMcDonald, SaulWilliams, JoannSfar, ScholastiqueMukasonga, PatrickDeWitt,Jean-ClaudeKauffman,RosaMontero,DanyLaferrière,MaryseCondé, JohnConnolly,Gail Carriger,DavidVann fontpartie desinvités de cette 23e éditiondu fameux festival de Saint-Malo(Ille-et-Vilaine). Parmi les événementsmarquants, signalonsun ciné-concert exceptionnelde l’acteur-rappeurSaulWilliamset l’exposition«Lewestern, ungenre dur à cuire», illustréparcinqauteursde bandedessinée (MatthieuBlanchin, FrançoisBoucq, Benoît Sokal, ChristopheBlain, Paul Salomone).www.etonnants-voyageurs.com

AUPREMIERREGARD, rienneper-metd’entrevoir les relationsquepeuvent entretenirde vieillesomoplatesdemoutonavec l’ave-nir de la société chinoise. Pour-tant, ce lien pour lemoins inat-tendudevient lumineuxà la lec-turedu très savant ouvragedeLéonVandermeersch. Ce grandconnaisseurde l’histoire et de laculture chinoises appartient aucercle très étroit des vrais connais-seurs de la protohistoirede l’em-pireduMilieu. L’ouvragequ’ilpublie aujourd’hui, à 85 ans, LesDeuxRaisonsde la pensée chinoi-ses, aboutissementd’une longuevie de recherches et de réflexions,est aussi surprenantquepassion-nant: il bouscule, voire boule-verse, nombred’idées reçues.

Première thèse: l’écritureserait née, enChine, des techni-quesdivinatoires. Pourprédirel’avenir, les chamansobservaient,dans les restes calcinésdes sacrifi-ces, les éclats des os, enparticulier

ceuxdes omoplates deporcoudemouton. Leur technique s’affi-nant, un poinçonchauffé futappliqué sur l’os, afin de scruter ledessindes craqueluresainsi pro-voquées. La singularité chinoise,selonLéonVandermeersch, futd’élaborer, à partir de collectionsdemilliers d’omoplates, conser-vées et annotées, des«équationsdivinatoires». Ces formules abs-traites ont donnénaissanceauxpremiers idéogrammes.

Deuxièmethèse: cette «écri-turegraphique» s’est développéedemanièreautonomesans rela-tionavec la langueparlée! Ellen’arejoint laparole, pour la retrans-crirepartiellement, quedansuneétapeultérieure.Voilàuneaffirma-tion très surprenante, riched’en-seignementsetd’interrogations,car les linguistesécartentgénérale-ment l’idéequ’uneécriturepuisseêtredépourvuede tout lienorigi-naireà l’oralité. Le sinologueaccu-mule ici les preuvesqu’uneévolu-

tion toutedifférentea existé.Danscette singularité s’enracinent,selon lui, les spécificitésde lapen-séechinoise,depuis l’Antiquité jus-qu’ànos jours – spontanément«structuraliste», ellemet l’accentsur les «corrélations»plutôtquesur les «causes», sur le Ciel«quine s’exprimepas»plutôtque surle verbecréateur.

«Socialismesinisé»Troisième thèse: on doit consi-

dérer commeencore vivace le lienprofondqui unit cette histoireantiqueetméconnueavec lescaractéristiquesde la civilisationchinoise et avec sondéveloppe-ment futur.A terme, il serait possi-ble que la Chine, post-occidentaleet post-marxiste, inventeun«socialisme sinisé»,puisant auxsourcesde «l’humanismeconfu-céen, l’écologie taoïste, la compas-sionbouddhiste».

Onauracomprisque cegrandlivrenepeut se schématiseren

quelques lignes.Bienqu’il couvreseulement200pages, ce travailimpressionnantcondenseunefoulededonnéesarchéologiques,d’informationsérudites sur lespra-tiquesrituelleset les textes. Enoutre, LéonVandermeerschnecessedemettre cesavoirenpers-pective,en replaçantconstam-ment les faitsdansdesconfigura-tionsdeplusenplusvastes.Si lepéripleestardu,parfoisaride, le lec-teur tenaceseravite récompensédeseseffortspar ladécouvertedequantitédequestionsetpistesderéflexioninédites. S’yconjuguenthistoireancienneet contempo-raine, linguistiqueetphilosophie,EuropeetAsie,d’unemanièreémi-nemmentpuissanteet rare.p

MarielleMacéchercheuse en littérature et essayiste

Suivrelapisteanimale

Figures libres

A titre particulier

d’Eric Chevillard

Agenda

UnefaçondelutterLe feuilleton

Manifestationdenotredésintérêt,de JeanRouaud,Climats, 56p., 6¤.

Roger-Pol Droit

L’écrivain est un paradoxe in-carné, autant dire un être écar-telé. D’un côté, par son non-conformisme,sesaudacesetsesvisions, il est en avance sur sontempset fâcheunepartiede ses

contemporains qui lui reprochent d’allertrop loin.Mais,de l’autre, il semontresou-vent rétif à toute espècede changement, ildéfendlemondeancienmenacéparlabar-barie du progrès et la vulgarité des dis-coursdelamodernitéauxquellesilopposesa recherche du temps perdu, son scepti-cisme, son ironieet les fastesd’une languequecettemodernitéprofaneetméprise.

Orquitoucheauxmotstoucheauxcho-ses, on le sait, et attente aussi à l’intégritédenosconsciences.Le lexiqueserestreint.L’écrivain devient inintelligible. On leréduit ainsi au silence. Il étouffe. Sonmonde se dérobe sous ses pieds. C’estpourquoi il y a aussi chez (presque) tousles écrivains un réactionnaire qui luttepour sa survie. Cette souffrance n’est pasnécessairement ridicule : des sensationsou des sentiments précieux, des nuancesde pensée pourraient bien disparaîtreavec lesmots qui les nommaient. RenaudCamusouRichardMilletnedisentpasquedes bêtises sur ces questions s’ils se four-voient hélas jusqu’au délire paranoïaquedans leurs analyses des causes et lamédi-cation qu’ils préconisent. On préférera lasubtile résistance de François Bon danssonAutobiographiedesobjets (Seuil, 2012)ou l’ostéopathie prodigieuse de PierreMichon qui, tous les cinq ans, publie unlivre imparable où la langue se refait unesanté, et unebeauté dumêmecoup.

C’en est fini en tout cas de l’écrivain«absolument moderne» selon Rimbaud.La modernité fait trop de dégâts. Elle estdevenue le principe triomphant, unevaleur en soi et, paradoxalement, unprocessus morbide. Comme si, écrit JeanRouauddansManifestationdenotredésin-térêt, elle «avait peur de se poser».

Dans ce court pamphlet, l’écrivainentend contrer l’offensive des marchés,dénoncer ce banditisme à grande échelle,l’hypocrisie des discours, l’ignominie desméthodes, la vacuité des ambitions. Diffi-ciledenepaspartagersacolèreetsondéses-poir,mêmesicespagesontparfoisunpetitcôté Indignez-vousqui peut lui aussi éner-ver et si l’on se prendà rêver en les lisant àune littérature performative qui sauraitréellement bouleverser l’ordre des chosesetne s’en tiendrait pasà ce juste courroux.

Toutefois, le regard lucide de JeanRouaud sur la situation est au moins unexcellent projecteur que l’on ne peut sus-pecter en outre d’être alimenté par Arevaalors que, trop souvent, « les scientifiquescherchent la lumière sous le lampadairefinancé par un généreux sponsor». Lesformules claquent. L’auteur possède unincontestable talent de polémiste que

nous n’aurions pas nécessairement soup-çonnéen lisant sonprécédent livre, lenos-talgiqueUne façon de chanter (Gallimard,2012) – dans lequel, soit dit en passant, ilopposeGeorges Brassens, fastidieux trou-badour selon lui, aux figures prétendu-mentrévolutionnairesdurock,alorspour-tant que le premier fut dans ses chansonscommedans savie l’incarnationde l’hom-me libre, irrécupérable, adepte spontanéde ladécroissance,etque le rockestdepuisbienlongtemps,aveclefoot,leplusconsen-sueldesjeuxdececirquetanthaï, labande-

son saturée du système, la vache à laitmugissante de l’industrie du spectacle etdes technologiesaddictivesqu’ellegénère.

Manifestons notre désintérêt pourcelles-ci, recommande JeanRouaud.Usonsaumoins de cette résistance passive. Frei-nons des quatre fers –même s’il va falloirpourcela trouverd’abordunmaréchal-fer-rant, ce qui n’est pas gagné, les artisanatslesplusnobless’éloignantdel’artpourtom-ber entre lesmainsd’une science vénale etdéshumanisante. Même le garagiste qui,jadis, faisait repartir votremoteur avec unbâtonetunecarottedoitaujourd’hui«ren-

voyer le boîtier bourré d’électronique en segardantbiend’y toucher».

La pertinence du pamphlet se fait plusaiguë dans ces passages où Jean Rouaudstigmatise le cynisme des marques quiprogramment l’obsolescencede leurspro-duits en les sabotant consciemmentou enfrappant elles-mêmes de ringardise leurmerveille technologique de la veille pournousvendrelanouvellebaguettemagiquequi rend pourtant ce monde rien moinsque féerique. Leur stratégie d’asservisse-mentpassenotammentparladématériali-sationdesproduits, laquellenenous laissefinalemententre lesmainsqueduvent.

Dans une deuxième partie, l’écrivainrevient sur la désagréable surprise qui futla sienne en décembre2006, en pleindébat sur l’identité nationale, lorsqu’il setrouva cité par Nicolas Sarkozy, alorsministre en campagne, comme un écri-vainque l’ongagneraità lirepourappren-dre «le courage, le civisme et l’amourde lapatrie». Jean Rouaud, fâché d’être enrôlémalgré lui dans le campdesnationalistes,reproduit sa réponse ironique et offus-quée, mais courtoise, publiée dans LeMondedu30mars2007.Ilpeutcertessem-bler plus facile de récupérer les écrivainsque de recycler les déchets nucléaires,mais l’on s’expose tout de même ce fai-sant à quelques retours demanivelle. Ah,cette bonnevieillemanivelle…p

Chroniques

LesDeuxRaisonsde lapenséechinoise. Divinationet idéographie,de LéonVandermeersch,Gallimard,«Bibliothèquedesscienceshumaines»,206p., 19,50¤.

Le Parti pris des animaux,de Jean-ChristopheBailly,ChristianBourgois, 132p., 9¤.

On se prend à rêver à unelittérature performativequi saurait réellementbouleverser l’ordredes choses

JEAN-CHRISTOPHEBAILLYavait déjà pris le parti desbêtesdans LeVersantanimal (Bayard, 2007), qui s’ouvrait sur lerécit de la poursuited’un chevreuil que les hasardsde sa fuiteavaientpermis à l’écrivain, envoiture, de tenirun instant sousses yeuxdans la lumièredesphares. Bailly avait eu le senti-mentde toucher là, l’espaced’un instant,«une autre tenue, unautre élan et tout simplementuneautremodalité de l’être».Ce côtoiement l’encourageaità suivre le frayagede cet animal(commefaisaient les chasseurs et les dessinateursde Lascaux),àprendreacte de l’idéedevie singulièreque la seule existencede cettebête déployait. Le recueilLe Parti pris des animauxprécise et prolongeun telmouvement, l’engagementdupen-seur sur la pisted’existences tout autres que lesnôtres.

Bailly redit ici «la surprise et la joie que les animauxexis-tent», et donc«l’inquiétude faceà l’hypothèsede ladisparitiond’ungrandnombred’entre eux». Il célèbre lapuissancedudivers (c’est pourquoi sa questionn’est pas celle de l’animalité,maisdes bêtes), la façonagile dont les animaux, chacun selonsa loi, écrivent leurdifférence. Il posemêmeque le traitementde cette diversité a aujourd’hui valeurde «test» politique,«sitant est que lapolitique consistedans lamise à l’épreuvede lacapacitéà installer dans le vivantdes formesd’association sus-ceptiblesde tendredes liens et de fournirdes seuils».

Sortirde l’indifférenceSi les animauxn’ontpas la parole, ils ont pourtant en effet

«des choses à dire» : car unebête est un autre accès au sens– unmondede choses et de gestes quenousne savonspasfaire, pas voir, pas être. Et c’est cette insistancepour sortir del’indifférenceà l’égardde tous cesmondes animauxqui fait labeautéde l’élan deBailly, élanpour «voyager avec les bêtes,dans les bêtes, dans leursmondes, dans leurs bulles». Il nes’agit pas pour cela de leur donner la parole,mais de reconnaî-tre en chaque animalune«pensée»: «Unehirondelle vaut iciunepensée ouest exactement commeunepensée quenousdevrionsavoir. Entre autres.»Unepensée, une idée, unmoded’être. Bailly dit aussi : une phrase. Phrases inédites risquéespar la vie, faites avant tout deverbes car ce sont les verbesque«les animaux conjuguent en silence» – esquiver, se cacher,s’envoler, bramer, feuler,muer…

Cesphrases rejoignent les bruissementsde vie qui attirentpartoutBailly: énoncés que forment les villes et les pas qui lesscandent (La Phraseurbaine, Seuil, «Fiction&Cie», 274p.,21¤), envols qu’il décèle dans tout objet, d’où s’élèveun réci-tatif singulier (la belle édition illustréede Sur la forme,Manuella Editions, 2013, rappelle ce chantdes choses)…Avraidire, je ne lis sansdoutepas bien Le Parti pris des animaux, lelisant ainsi, car je n’orientepas assezma lecture vers les bêtes–mais vers la formule si bien affûtéepar Bailly d’uneatten-tion aux formesqui font le réel, où peut s’entendre toute unemorale. J’y suis certes encouragéepar plusieurspassagesdulivre: le souvenir d’Etre fleuve (cetteœuvredu sculpteurGiu-seppePenonequi reproduit à l’identiqueunepierre rouléepar le torrent); lamentionde l’Encyclopédie de tous les ani-mauxy compris lesminéraux (queBailly a composéeavec sonamipeintreGilles Aillaud); ou encore le rappel des curiositésdePonge, qui souhaitait nous faire sortir de «la rainurehumaine»par tous lesmoyens: avec le bois depin, le cageot,le savon… Ilme faudrait aller davantagevers la présence ani-male. Encoreun effort! Et pourtant c’est unbonheurpour lelecteurque d’éprouverdans sa lecture ses limites, et d’espérerà partir d’elle les pulvériser.p

EMILIANO PONZI

8 0123Vendredi 10mai 2013

Page 37: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

DidierCahen,poète et écrivain

Chut!

Lacrisedelasoixantaine

Trans Poésie

Trois livres depoésie, on vit avec et on choisit des vers.On se laisseporter ; on tresse alors lesœuvrespour composerun tout nouveaupoème.

Descendre/descendre/toujours descendreVers le bas toujoursDescendre

Laisser pisserLemoi/estUnpanier sans fond

Etre là où estL’être – sans le savoir –Dans le sacré sans croire – oui

En 1926, Lucifer au chômage, le premier livred’AleksanderWat(1900-1967), révèle aupublic polonais unovni littéraire! En1959, communiste repenti,Wat choisit de s’installer en France;la poésie devient sonpôlede résistanceunique.

Tout! Guglielmi (né en 1929) aura tout essayé, le jour, la nuit,le sexe et sa grammaire «saké» (sic) sansoublier l’ancragedansles langues étrangères. Parcours enjouépourun jeunehommede84ansqui continued’écrire unepoésie charnelle,gourmandemais apaisée.

DominiqueDou (née en 1965) s’accrocheà l’essentiel : desmotscomptéspour respecter la lettre qui senoie dans le silence, trou-ve son assise en se fondant ainsi. Pas de «qui suis-je», pas d’in-nocencenonplus; un être-là sans l’être, non sansphilosophie.

LesQuatreMurs dema souffrance, d’AleksanderWat,traduit du polonais par Alice-Catherine Carls,LaDifférence, «Orphée», édition bilingue, 124p., 5¤.Qu’unbref regard sous le calmedes cieux,de Joseph Julien Guglielmi, L’Attente, 122p., 14¤.Dans leMorde, deDominique Dou,Dumerchez, 120p., 17¤.

VOUSRÊVEZDECHANGERDEVIE et de tout faire valser? Alorsprécipitez-vous sur LeDémondu soir ou laménopausehéroïque,et vousn’hésiterezplus. Justeune chose: n’oubliezpas, quandvous vivrezdansune cabaneaubordde l’eauà des années-lumièrede votreprécédente existence,d’envoyerune carte postale en guise de remerciement à FlorenceCestac…LeDémondu soirdonc, ou le troisièmevolet de la vie deNoémie, com-mencéeen 1996 avec LeDémondemidi (Dargaud), albumoùelle se fai-sait plaquerpar sonmec enpleine crise de la quarantaine.

Notrehéroïne a désormais 60piges, et tout la gonfle. Sonmari casa-nier et ronchonqui lui fait l’amour trois fois par an sansdéfaire sonpy-jama. Ses collèguesde boulot qui la poussent sur la touche. Sa fillehysté-riquequi la prendpourunebaby-sitter à plein-temps. Samère atteinted’Alzheimer, persuadéed’être Brigitte Bardot. Sans oublier la certitudequ’onne vit qu’une fois, et que la fin approche.Unemammographievachamboulerbiendes choses. Redoutantd’être atteinted’un cancer,Noé-miedécide de tout larguer en apprenantqu’il n’en est finalement rien.Adieumari, boulot, veaux, vaches, cochons…A elle, la dolce vita !

On ignore la part d’autobiographiede ce récitmené tambourbattantet sentant le vécu àpleinnez. Reine des grosnez et du trait caoutchou-teux, FlorenceCestac (63ans)manie commepersonne l’empathie et latendresse. Redoutable traité d’optimisme, son livre donneenvie de faire«le papillon le plus longtempspossible» – les lecteurs comprendront…p

FrédéricPotetaLeDémondu soir ou laménopause héroïque,de Florence Cestac,Dargaud, 56p., 14¤.

Orphée et le roi des animauxC’est un livremerveilleux,pourplusieurs raisons. L’his-toire, contée avec beaucoupde finesse, permetde fairecomprendreauxpetits cequ’estundictateur (le lionimpose ses quatres volontésauxautres animaux) et lesconséquencesde la triche(une activité à laquelle lemême lionn’hésite pas à selivrepour gagner au «jeuma-gik»). Ensuite, parce qu’ins-piréde lamosaïqueantiqueOrphée charmant les ani-maux,visible auMuséed’Ar-les, il permet de se familiari-ser avec cette grande figurede laGrèce antique. Surtout, les enfants adhèrent tout de suiteà cette fable grâce aux traits très expressifs que l’illustratriceJoannaBoillat a prêtés auxanimaux. Et qui sait : peut-êtrequenos chers enfants-rois réfléchiront avantde tricher lors de leurprochainepartie de billes? p Emilie GrangerayaJeumagik, d’Hélène Kérillis et JoannaBoillat,Elan vert, «Pont des arts», 32p., 14,20¤. Dès 5 ans.

«LeTrônedefer»,del’AméricainGeorgeR.R.Martin,estàl’originedelasérietéléviséeàsuccès«GameofThrones».L’hivervient-ilenfin?

DernièresnouvellesdeWesteros

Nicolas Lefort

Davantage qu’un cycle defantasy, Le Trône de ferapparaît comme une sagaromanesque digne desmeilleurs feuilletonistesdu XIXe siècle, une invita-

tion à l’émerveillement et à l’aventure.Narrant les luttes intestines pour le pou-voir que se livrent les grandes familles duroyaume imaginaire deWesteros, la fablede George R.R.Martin doit sa large noto-riété à son excellente transposition ensérie télévisée par la chaîne américaineHBOsous le titre «Gameof Thrones».

Cependant, avant même cette adapta-tion, son succès n’avait cessé de croîtredepuis la publicationdupremier tomeen1996 (1998 en France, chez Pygmalion).Bénéficiant d’un bouche-à-oreille avanta-geux, Le Trône de fer fait partie de ces trèsraresœuvresàavoir su séduireà la fois lesamateurs de fantasy et le grand public. Ilfaut remonter au Seigneur des anneaux,de Tolkien (Pocket), et à L’Assassin royal,de Robin Hobb (J’ai lu), pour trouver unprécédent à ce phénomène. Cette ferveur,partagéepardes lecteursd’ordinairerétifsà la littératuredegenre, s’expliqueenpre-mier lieupar la capacitéde l’auteur à fairenaître une véritable addiction. L’intrigueau long cours de George R. R.Martin, bienque maîtrisée, se déroule d’une manièreimprévisible, créant un suspense ainsiqu’un sentiment de danger permanents.Même le plus charismatique des héros,celui que l’on aura appris à aimer et àconnaître,peutsubirunreversaussi tragi-quequ’inattendu.

Etonnant par la quasi-absence – audébut dumoins – demagie, pourtant cen-

trale dans la fantasy, Le Trône de fermulti-plie les références à une histoire euro-péenne riche en intrigues de cour et enguerres civiles. Rarement depuis la Terredu Milieu, où se déroulent la plupart desrécitsdeTolkien, laplace accordéeà lagéo-graphie et à la géopolitiqueaura été si pré-pondérante. Même le climat («L’hivervient») revêtune importanceconsidérabledans l’équilibre de Westeros. Les cartes etles arbres généalogiques proposés endébut de volume se révèlent donc utiles.Car ici chaque forteresse, chaqueville, cha-quelieuestunmondeensoi.Unmondedetensionspolitiques,derancunesetderivali-tésancestrales,unmondeoù ladiplomatieestun jeuaussinécessairequepérilleux.

L’écrivain et scénariste américain, néen 1948, a reconnu avoir été inspiré parl’épisode britannique de la guerre desDeux-Roses (1455-1485) et influencé parLes Roismaudits (Livre de poche), l’œuvremaîtresse d’un de ses auteurs préférés,Maurice Druon (1918-2009). Son admira-tion pour celui-ci est évidente, l’at-mosphère de complots et demanigancesqui plane sur Le Trône de fer rappelant sacour de France, où chacun était suscepti-ble de trahir ou d’être trahi. L’univers ducycle ne manque d’ailleurs pas de pointscommunsavecleroyaumedeFrancemor-celé par la guerre deCentAns.

Le thème de la frontière, récurrent enfantasy, est ici essentiel. Le «Mur», l’unedes meilleures inventions littéraires deGeorge R. R.Martin, en est l’illustrationparfaite. Cette gigantesque muraille deglace, haute de 2o0 mètres et longue de450km, protège le nord du royaume deWesteros des « sauvageons » et des«autres», créatures surnaturelles issuesdu fond des âges. Lointainement inspirédu mur d’Hadrien, en Ecosse – construitpar les Romains comme frontièrenorddel’empire en «Bretagne» –, ce «Mur» estun rempart censé séparer la civilisationdes barbares. Sa surveillance par uneconfréried’hommesennoir, laGardede laNuit, apparaît de prime abord presqueabsurde. Pourtant, la menace pesant surcette frontière se fait à chaque tome plusoppressante, ajoutant encore à la tensiondansunpays enproie à la guerre civile.

Le quatrième tome de l’intégrale ducycle que propose aujourd’hui Pygma-lion, une réédition opportunément siglée

dulogode la séried’HBO,marque ledébutd’unnouvel arc narratif, où l’auteurdéve-loppe plusieurs personnages emblémati-ques. Jaime Lannister et sa sœur Cerseigagnent ainsi en profondeur et en huma-nité. Reléguée jusqu’ici au second plan,Brienne, une femme d’épée au physiqueingrat, est aussi l’unedes figures centralesdecetimposantvolume.Néanmoins, l’his-toire a tendance à s’étirer, posant la ques-tion de la qualité éditoriale – et non litté-raire – des derniers titres de la série.

Déjà desservi par une traductionmala-droiteetpardesdécoupagesabusifs (l’édi-teur français tronçonne chaque tome ori-ginal en trois, voire quatre romans avantde les rééditer en intégrale), le cycle deGeorge R. R.Martin commence àmontrerquelques signesde fatigue. LenainTyrionLannister, le personnage préféré del’auteur, est paradoxalement absent deces 1200 pages. De même, la Garde de laNuit n’y fait qu’une brève apparition. Ilfaut lire le cinquième tome (paru en troisvolumes)pour les voir réapparaître.

GeorgeR. R.Martin devant encoreécrire lessixièmeetseptième(etdernier?)tomes, et se donnant, au mieux, jusqu’à2020 pour cela, les lecteurs français duTrône de ferdevront donc s’armer de cou-rage et de patience pour connaître le finmot de cette l’histoire aussi palpitanteque foisonnante.p

Enfance

b a n d e d e s s i n é e

f a n t a s y

en partenariat avec

Marc Voinchet et la Rédaction6h30-9h du lundi au vendredi

Retrouvez la chronique de Jean Birnbaumchaque jeudi à 8h50

franceculture.fr

LES MATINS

L’écrivain a reconnuavoir été influencé par«Les Roismaudits», l’œuvremaîtresse deMaurice Druon

Mélangedesgenres

Le Trônede fer. L’intégralevolume4 (A Feast for Crows),deGeorgeR.R.Martin,traduit de l’anglais (Etats-Unis) parJeanSola, Pygmalion, 1194p., 22,90¤.

Cersei Lannister, jouée par LenaHeadeydans la série «Game of Thrones».

HBO

90123Vendredi 10mai 2013

Page 38: Monde1005[WwW.vosbooks.net]

Robert Littell

FranckNouchi

Cemardi 30avril, il fait froid etgris sur Paris. Robert Littellnous a donné rendez-vous àLa Rotonde, place de laBataille-de-Stalingrad. «C’estbien, souligne-t-il, d’avoir

gardé ce nom de Stalingrad, et d’avoirvoulu ainsi rendre hommage au couragedes soldats russes.»

Avec Robert Littell, l’histoire, la grandehistoire, n’est jamais loin. Dans son maî-tre-livre, La Compagnie. Le grand romande la CIA (Buchet-Chastel, 2003), l’ancienjournalistedeNewsweek,autrefoisspécia-lisédans lesaffairessoviétiques,adémon-tré à quel point espionnage et littératurepouvaient faire bon ménage. En 2009, ils’est aventuré loin des services secretsavecunmerveilleuxlivre intituléL’Hiron-delle avant l’orage (Baker Street) consacréau poète russe Ossip Mandelstam(1891-1938). Deux ans plus tard, il est re-venu à «son» sujet, consacrant un livreétonnant à Kim Philby, l’un des cinq«espionsdeCambridge», cegrouped’étu-diants britanniques qui travailla pour lecompte de l’URSS (Philby. Portrait de l’es-pionen jeunehomme,Baker Street).

Et voilà qu’aujourd’hui Littell publieUne belle saloperie,unpolar de facture onne peut plus classique. On lui rappelle cequ’il avait dit un jour à propos de John leCarré : «J’adore ses premiers livres sur laguerre froide, qui est son sujet favori. Sesromans qui ont suivi la chute du commu-nisme, je les trouvemoinspercutants.ToutcommelaCIAaperdusonennemi, leCarréaperdusonsujet.»Lamêmemésaventurene lui serait-ellepasarrivée, expliquantcepassageauromanpolicier? Ilnouscoupe:«Permettez-moi de retirer cette opinion àpropos de John le Carré. J’ai dit cela alorsqu’il était au début d’un nouveau cycle. Jele retire. C’est un grand écrivain de roman,peu importe le sujet. Ses personnages sontincroyables, son écriture superbe.»

Cette précision apportée, la questiondemeure: pourquoi, lorsque l’on est undes maîtres du roman d’espionnage, semettre tout à coupàécrireunromandontle héros est un détective privé? Dans unfrançaispresqueparfait endépitd’un fortaccent américain, Littell explique: «Voussavez, lesAméricainsont inventé trois cho-ses remarquables : la chaise à bascule, lebanjo et le roman policier. Comme Ken-nedy, j’aime les chaises à bascule. J’aimeaussi lamusiquedebanjo.Et commejesuisun écrivain américain, je me suis dit que

j’allais essayer d’écrire dans ce style in-venté par Edgar Allan Poe, puis, un siècleplus tard, parRaymondChandler.Onne serend pas compte, je crois, à quel pointChandler est ungrand écrivain. Il a euplusd’influence qu’Hemingway, que je n’aimepas, et que Fitzgerald, que j’adore.»

Alors, justement, puisqu’il cite Chan-dleretqu’en lisantUnebelle saloperieonya souvent pensé, voyons ce que l’auteurdu Grand Sommeil écrivait à propos deson personnage fétiche, Philip Marlowe:« Je crois qu’il aura toujours un bureauminable, unemaison solitaire, des aventu-resmaispasdeliaisondurable. Jecroisqu’ilsera toujours réveillé à une heure insolitepar des gens insolites pour faire des chosesinsolites. Je crois que c’est sa destinée – pasla plus enviable peut-être, mais c’est lasienne.» «C’est incroyable!, rigole RobertLittell en attrapant mon exemplaire desLettres de Chandler (Christian Bourgois,1980). Il faudra que jeme procure ce livre!Marloweétaitunhommemoralauxprisesavec des situations immorales. LemuelGunn lui ressemblebeaucoup.»

Lemuel Gunn, un drôle de nom, non,pour un détective privé? « Je commencetoujours par nommer mes personnages.Lemuel, ça vient de Jonathan Swift, LesVoyages de Gulliver, un livre que j’aimeénormément. On s’y fait la guerre justeparcequ’un roi a voulu imposer le côtéparlequel devaient être cassés les œufs à lacoque! Il y a chez Lemuel Gulliver quelquechose de l’ordre de la naïveté, de l’inno-cence, que je voulais retrouver chez monpersonnage.» Et Gunn? «C’est l’autre fa-

cette de l’Amérique. La plus violente. Son-gez qu’il y a chez nous 314millions d’habi-tants et autant d’armes à feu (gun, enanglais) !»

Gunn nous fait penser à ce que disaitChandler, encore lui, à propos du détec-tive privé tel qu’il apparaît dans lesromans: «C’est une créature fantastiquequi agit et qui parle comme un hommeréel. Il peut être tout à fait réaliste danstous les sens du terme, sauf un: dans la vie

commenouslaconnaissons,ilneseraitpasdétective privé.» «Au fond, je crois que j’aiessayé d’écrire un roman sous la bonneétoile de Chandler», sourit Littell.

Il raconte comment l’idée d’Une bellesaloperie lui est venue lors d’un voyagedansl’ouestdesEtats-Unisavecsafemme.D’abordà Santa Fepuis quelquepart dansun trou perdu à la frontière du Nevada etde la Californie. Certains détails figurantdans le roman – l’hôtel abandonné, cesimmensestrainsdemarchandisesdeplusde 150wagons, les deux casinos de part etd’autre de la route, paumés en pleindésert – c’est au cours de ce voyage qu’illesarepérés. Ilavait ledécor, restaitàcréerles personnages. «C’est le plus important.

Il faut les suggérer, focaliser sur les détails,demanière à ce que, peu à peu, ils s’instal-lent dans la tête du lecteur. Je pense sou-vent à Fitzgerald, qui disait que pourconstruire un personnage de fiction, il luifallait huit personnages de la vraie vie.Darryl Zanuck, le producteurd’Hollywood,insistait lui sur l’importance cruciale desseconds rôles. “Quand ils apparaissent surl’écran, disait-il, ce sont eux les vedettes dufilm.”»Mais alors, que se passe-t-il quand

un texte est adapté pour lecinéma ou la télévision? RobertLittell, dont la Fox a voulu trans-formerleromanLégendes (Flam-marion, 2005), en série – seul unpilote a été tourné pour lemoment –, est ambivalent : «Jecrois beaucoupà l’idée que le lec-teur devient en quelque sorte lecoauteur du livre qu’il lit. Au ci-

néma, on voit un personnage à l’écran etonn’a aucun travail à faire…»

On n’a pas tous les jours l’occasion deconverseravecRobertLittell.Depuisla lec-turedePhilby. Portraitde l’espionen jeunehomme,unequestionnous taraudait : quiétait vraiment cet Anglais a priori démas-qué comme agent soviétique? Un agentdouble? Un agent triple? «Je ne sais pas…Tout ce que je raconte dans le post-scriptum,àlafindulivre,estexact : les liensentre l’ancien maire de Jérusalem, TeddyKollek, et le chef légendaire du contre-espionnage américain, James Angleton;leur rencontre àWashington, en 1952, et cemoment incroyable où, avant d’entrerdans le bureau d’Angleton, Kollek croisaPhilbydanslecouloir.Angletonavait-ilper-sonnellementretournéPhilby?Philbyétait-il depuis le début un agent britannique selivrantàladésinformationvis-à-visdeMos-cou? Je n’en sais rien…Tout est possible…»

Tout est possible aussi pour son pro-chain livre, à propos duquel Robert Littellne veut rien révéler. Seul indice: Gunnneserapasdelapartie.L’écrivainciteLaTem-pête – «Le passé est un prologue» –, etajoute : «Le plus étonnant, c’est que desgens, après avoir lu Shakespeare, aientencore l’audace d’écrire!» A se demanders’il n’existe pas des romanciers doubles,comme il existedes agents doubles!p

L’écrivainaméricain,célèbreavanttoutpoursesromansd’espionnage,rendhommageàl’undesgrandsdupolarencréant,dans«Unebellesaloperie»,unpersonnagededétectiveprivé

«SouslabonneétoiledeChandler»

Extrait

Unebelle saloperie(ANasty PieceofWork),deRobert Littell,traduit de l’anglais (Etats-Unis) parCécileArnaud, Baker Street, 316p., 21 ¤.

Rencontre

«Les Américainsont inventé trois chosesremarquables : la chaiseà bascule, le banjoet le roman policier»

Unprivéencolère

Parcours

«“(…) La rumeurm’a dit qu’ilvous arrivait d’accepter d’êtrepayé au résultat…

– Et la rumeur vous a dit quoid’autre?

–Quevousaviez l’air jeune,maisparliez commeunvieux.Quevousaviez étéunbrillantenquêteurde labrigadecrimi-nelleduNew Jersey,avantque laCIAnevouspersuadededevenirune sorted’espion.Quevousnevous répandez jamais là-dessus.Quevousavez étéviré sansindemnitéà la suited’un inci-dentenAfghanistanquia étépromptementétouffé.Quevousavezporté le chapeaupouravoirsuivi desordres sanspouvoirprouverqu’ils vousavaientétédonnés.Quevous étiezun fou-teurdemerdedansuneguerredéjàassezmerdique sans vous.Quevousêtes venudans l’Ouestpour travailler commedétective,afindedécouvrir lamanièredevivreà laquelle vousvouliezvoushabituer.Quevous êtesunmalin,undurà cuire, quevousavezdela chanceetne vousdécouragezpas facilement.Quece quevousfaites, vous le faites bien, et quecequevous faitesmal, vousne lefaitespas. End’autres termes,vousêtes contre l’idéeque si unechose sedoitd’être faite, elle sedoitd’êtremal faite. (…)

—Justepar curiosité, vousvou-lezbien identifier la rumeur?”

Ellem’adressaunautre de cesdemi-sourires contrits. “Euh, ilvautmieuxpas. Si je vous ledisais, vous risqueriez dem’en-voyerpromener. C’est ce qu’aaffirmé la rumeur. Elle a dit quevous lui en vouliezd’être tropdis-ponible. Que, psychologique-mentparlant, vous portiez descols empesés et que vous aimiezles femmesqui aimaient leshommesqui leur tenaient laporte. Elle a dit que vous étiez nédans lemauvais siècle.”»

Unebelle saloperie, page22

AGENTDE LACIA enposte enAfghanistan, LemuelGunnest letémoind’atrocités commisespardesmilitaires américains sur descivils afghans.Non seulementper-sonne, àWashington,ne prête lamoindreattention à son rapport,mais, enplus, l’Agencepréfère levirer. «Vous vouliez savoir d’oùvientma colère, elle vient destripes», expliqueGunn.

Le revoilàplus tarddevenudétectiveprivé, sa plaqueapposéesurune caravane tout alu, utiliséedans les années 1930parDouglasFairbanksJr. quand il tournait

LePrisonnierde Zenda. Elle est àprésentgarée àHatch,Nouveau-Mexique. L’histoire commencelorsqueLemuel entraperçoit«unepaire de chevilles nues etbiengalbées»plantéedans lesable devant «Il était un toit»– c’est le nomde sa caravane.

Inutilede raconter la suite, Lit-tell a le savoir-fairedesmeilleursauteursdepolars. Avis tout demêmeauxaficionadosdumaître(américain) de l’espionnage: pas-sez votre chemin si l’idée denepasvous retrouver auxprisesavecunehistoire d’espioncompli-

quéeà souhait vous insupporte.Unebelle saloperieest un exercicede style (réussi), unde ces romanspoliciersd’un grand classicismeque l’ondévore enune journée, letempsde savoir si Gunnparvien-dra à retrouver EmilioGavaquidoit 150000dollars àOrnellaNeppi, une intrigante comtesseauxpiedsnusd’origine corse.

«Nul besoin d’être PhilipMar-lowepour savoir que j’étais dansle pétrin»,ditGunn. Surunair deChandler, voilà bienun romannoir aussi sympathiquequepalpitant.p F.N.

1935Robert Littell naît àNewYork.

1964 Il entre comme journalisteà l’hebdomadaireNewsweek.

1973 Il publie LaBoucle,sonpremier romand’espionnage(Pressesde la Cité, et récemmentréédité chez J’ai lu sous le titreLaDéfectiondeA.J. Lewinter).

2002LaCompagnie. Legrandromande laCIA(Buchet-Chastel, 2003).

2011Philby, portrait de l’espionen jeunehomme (Baker Street). MARCOCASTRO POUR «LE MONDE»

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