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La généalogie de la Morale (3e édition) Frédéric Nietzsche ; traduit par Henri Albert Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Nietzsche Généalogie de La Morale

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Oeuvre publiée en 1887 complétant Par-delà bien et mal.Nietzsche enquête ici sur la naissance de la moralité.

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  • La gnalogie de laMorale (3e dition)Frdric Nietzsche ;

    traduit par Henri Albert

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Nietzsche, Friedrich (1844-1900). La gnalogie de la Morale (3e dition) Frdric Nietzsche ; traduit par Henri Albert. 1900.

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    PAGES CHOISIES, publies par HENRI ALBERT, avec uneprface; portrait de Frdric Nietzsche, grav surbois par JULIEN TINA*RE; un vol. in-18 3 fr. 5o

    HUMAIN, TROP HUMAIN"^* partie), traduit par A.M.DES-ROUSSEAUX; 1 vol. in-18 3 fr. 50

    LA GNALOGIE DELA MORALE, traduit par IltNHlALDERT;i vol. iti-18 3 fr. 50

    LE CRI' PUSCULE DES IDOLES, Le Cas Wagner, Nietzschecontre Wagner, L'Antchrist, traduits par HENRIALBERT; un vol. iu-18... 3 fr. 50

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    Doute exemptaites sur papier de Hollande,numrots de i a la

    JUSTIFICATION DU TIRAGE :

    2050

    tijoils de liodtfclion et de lepioduclioti ris.cm's pour tous \nysty fcoopr*. lu Sude, la Nonge et le Daneuuik.

  • OEUVRES COMPLTES DB FRDRIC NIETZSCHEPUBLIES SOUS LA DIRECTION DE HENRI ALBERT

    FRDRG 'NIETZSCHE

    La

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    PARISSOCIT DV MERCVUE DE FRANCE

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    MCM

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    Par del le Bien et le Mal

    et en accentuer la porte.

  • AYANT -PROPOS

    i.

    Nous ne nous connaissons pas, nous qui cher-chons la connaissance; nous nous ignorons nous-mmes : et il y a une bonne raison pour cela. Nousne nous sommes jamais cherchs,

    comment doncse pourrait-il que nous nous dcouorions un jour?On a dit justement : L o est votre trsor, laussi est 'otre coeur; et noire trsor est l obourdonnent les ruches de notre connaissance.C'est vers ces ruches que nous sommes sans cesseen chemin, en vrais insectes ails qui butinent lemiel de l'esprit, et, en somme, nous n'avons coeurqu'une seule chose

    rapporter quelque butin.En dehors de cela, pour ce qui concerne la vie etce qu'on appelle ces vnements

    qui de noussrieusement s'en proccupe? Qui a le temps de

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE

    s'en proccuper? Pour de telles affaires jamais, jele crains, nous ne sommes vraiment notreaffaire ; nous n'y avons pas notre coeur,

    nimme notre oreille! Mais plutt, de mme qu'unhomme divinement distrait, absorb en lui-mme,aux oreilles de qui l'horloge vient de sonner, avecrage, ses douze coups de midi, s'veille en sursautet s'crie : Quelle heure vient-il donc de sonner? de mme, nous aussi, nous nous frottons parfoisles oreilles aprs coup et nous nous demandons,tout tonns, tout confus : Que nous est-il doncarriv ? Mieux encore : Qui donc sommes-nousen dernire analyse? Et nous les recomptonsensuite, les douze coups d'horloge encore frmis-sants de notre pass, de notre vie, de notre tre

    hlas! et nous nous trompons dans notre compte...C'est que fatalement nous nous demeurons tran-gers nous-mmes, nous ne nous comprenons pas,il faut que nous nous confondions avec d'autres,nous sommes ternellement condamns subircette loi : Chacun est le plus tranger soi-mme , l'gard de nous-mmes nous ne som-mes pointde ceuxqui cherchent la connaissance...

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE

    O.

    Mes ides sur Yorigine de nos prjugs mo-raux

    car tel est le sujet de cette oeuvre de pol-mique

    ont trouv leur premire expression laco-nique et provisoire, dans ce recueil d'aphorismesqui porte le titre : Humain, trop humain. Un livrepour les esprits libres. J'ai commenc l'crire Sorrente,'au cours d'un hiver o il me fut donn dem'arrter, comme s'arrte le voyageur, pour em-brasser d'un coup d'oeil tout ce pays vaste et dan-gereux, parcouru par mon esprit. Cela se passaitpendantl'hiverdei876 1877; lesides elles-mmessont de date plus ancienne C'taient dj, dans lesgrandes lignes, les mmes ides que je reprendsdans les prsents traits :

    esprons que ce longintervalle leur aura profit, qu'elles auront gagnen maturit, en clart, en solidit, en perfection JLe fait que je m'en tiens encore elles, que depuislors elles se sont resserres toujours davantage,jus-qu' se fondre et s'enchevtrer, ce fait fortifie enmoi la joyeuse assurance qu'elles n'ont pas prisnaissance d'une faon isole, au gr du hasard,sporadiquement, mais qu'elles ont pouss d'une

  • LA GLNL\LOGIE DE LA MORALE

    souche commune, d'une volont fondamentale de laconnaissance, qui commande aux forces les plusintimes, parle un langage toujours plus net, exigedes concepts toujours plus prcis. Car c'est l laseule faon de penser digne d'un philosophe. Nousn'avons pas le droit de rester isols en quoi que cesoit : il ne nous est pas plus permis de nous tromperque de rencontrer la vrit d'une faon fortuite. Quedis-je ! De mme qu'il est de toute ncessit qu'unarbre porte ses fruits, nos ides sortent de nous-mmes, nos valuations, nos oui , nos non ,nos raisons et nos causes se dveloppent tousparents et en relation les uns avec les autres,comme autant de tmoignages d'une volont, d'untat de sant, d*un terroir, d'un soleil.

    Seront-ils votre got, ces fruits de notre jardin?

    Mais qu'importe cela aux arbres? Que/iowsimporte, nous autres philosophes 1...

    3.

    Grce un scrupule qui m'est propre et que jen'aimepas avouercar il se rapporte \a. morale

    %

    tout ce que Ton a exalt jusqu' prsent sous lenom de morale,

    un scrupule qui surgit dans

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE

    ma vie si tt et d'une faon si inattendue, avec uneforce irrsistible, tellement en contradiction avecmon entourage, ma jeunesse et mon origine, si peuen rapport avec les exemples que j'avais sous lesyeux, que j'aurais presque le droit de l'appeler mona priori,

    ma curiosit aussi bien que mes soup-ons durent s'arrter temps devantcette question : Quelle origine doit-on attribuer en dfinitive nos ides du bien et du mal? Et, de fait, j'taisencore un enfant de treize ans que dj le problmede l'origine du mal me hantait : c'est lui, qu' unge o Dieu et les jeux de l'enfance se partagentle coeur , je consacrai dj mon premier enfantil-lage littraire, mon premier exercice de calligraphiephilosophique.

    Et, pour ce qui en est de la solution du problme que je proposais alors, ilva de soi qu'elle fut l'honneur de Dieu dont jefaisais h pre du mal. Etait-ce mon a priori qui exigeait de moi pareille conclusion? Ce nouvel a priori immoral ou du moins immoraliste etson expression, cet impratifcatgorique , hlas!si anti-kantien, si nigmatique, quoi, sur cesentrefaites, j'ai toujours davantage prt l'oreilleet non seulementl'oreille?,. Heureusement j'apprisbientt distinguer le prjug thologque du pr-

  • 12 L\ GLM-ALOGIE DL LA MORALE

    jug moral et je ne cherchai plus l'origine du malau del du monde. Quelque ducation historiqueet philologique, non sans un tact inn, dlicat l'endroit des questions psychologiques en gnral,transformrent promptement mon problme en cetautre : Dans quelles conditions l'homme s'est-ilinvent son usage ces deux valuations : le bienet le mal : Et quelle valeur ont-elles par elles-mmes? Ont-elles jusqu' prsent enray ou favo-ris le dveloppement de l'humanit? Sont-elles unsymptme de dtresse, d'appauvrissement vital, dedgnrescence? Ou bien trahissent-elles, jau con-traire, la plnitude, la force, la volont de vivre,le courage, la confiance en l'avenir de la vie ?

    A cela je trouvai en moi et je risquai maintesrponses, j'tablis des distinctions entre les temps,les peuples, le rang des individus; je spcialisaimon problme ; les rponses se transformrent ennouvelles questions, recherches, conjectures, pro-babilits, jusqu' ce que j'eusse enfin conquis unpays, un sol qui me ft propre, tout un mondeignor, florissant et en pleine croissance, semblable un jardin secret dont personne ne devait mmesouponner l'existence... Ah! qu nous sommesheureux, nous qui cherchons la connaissance,

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE

    condition que nous sachions nous taire assez long-temps!..,

    4-

    Ce qui me poussa d'abord faire connatrequelques-unes de mes hypothses sur l'origine de lamorale fut la lecture d'un petit livre clair, propre!,sagace et mme d'une sagacit vieillotte, d'un livrequi me prsenta nettement, pour la premire fois,un genre d'hypothses gnalogiques rebours cld'essence perverse, genrevraimentanglais. Ce petitlivre m'attira avec cette force attractive que possdetout ce qui nous est oppos, tout ce qui est nosantipodes.ils'intitulait De l'Origine des Sentimentsmoraux, il avait pour auteur le Dr Paul Re elparut en 1877. Peut-tre n'ai-je jamais rien lu quiveillt m moi la contradiction avec autant d'ner-gie, phrase parphrase, de conclusion en conclusion :toutefois ce fut sans aucune amertume, sans lamoindre impatience.Dans l'ouvi gedjmentionn,et que je prparais alors, je fis allusion tout pro-pos et hors de propos aux thses de ce livre, nonpour les rfuter qu'ai-je me mlerde 1 futalions !

    mais, ainsi qu'il convient un esprit positif,

  • \f\ L/V GNALOGIE DE LA MORALE

    pour remplacer l'invraisemblable par je vraisem-blable, et, suivant les circonstances, une erreurpar une autre. C'est alors, je le rpte, que je mispour la premire fois en pleine lumire ces hypo-thses sur les origines qui sont le sujet de ces dis-sertations, d'une faon maladroite sans doute, jesuis le dernier me le dissimuler, sans avoir encoreni la libert, ni le langage propre ce domainespcial, avec maintes dfaillances et des fluctuationsmultiples. Pour les dtails, que l'oncomparc ce queje dis dans Humain, trop humain, aphorisme 45,sur la double origine du bien et du mal (c'est--dire que ces concepts sont diffrents suivant qu'ilssont ns de la sphre des matres ou de celle desesclaves); de mme, mes ides sur la valeur etl'origine de la morale asctique (aph. i36 et suiv.);puis sur la moralit des moeurs (aph. 96,99,

    vol.II aph. 89), ce genre de morale beaucoup plus an-cien, plus primitif, qui diffre toto coelo de l'va-luation altruiste (o le Dr Re voit, comme tous lesgnalogistes anglais de la morale, l'valuation mo-rale en soi); enfin aph. 92.

    Voyez encore dansle Voyageur et son ombre, aph. 26

    Aurore,aph. 112, mes thories sur l'origine de la justiceconsidre comme un accord pass entre des puis-

  • LA GLNL-VLOGIE DE L\ MORALE

    sants peu prs gaux (l'quilibre comme condi-tion premire de tous les contrats, parlant du droittout entier); de mme sur l'origine du chtiment,le Voyageur et son ombre, aph. 22, 33, du ch-timent qui n'a pas pour caractre essentiel et pri-mordial l'intention d'inspirer la terreur (comme lecroit le Dr Re :

    ce but lui a plutt t adjointaprs coup^ dans des circonstances dtermines, ettoujours comme quelque chose d'accessoire, d'ad-ditionnel).

    5.

    Au fond, ce que j'avais alors coeur, c'taitquelque chose de beaucoup plus important qu'unmonde d'hypothses, propre ou tranger, sur l'ori-gine de la morale (ou plus exactement : ce n'taitl qu'une des voies multiples o je m'engageaispour parvenir un but). Il s'agissait pour moi dela valeur de la morale

    et sur ce point je n'avais m'expliquer presque exclusivement qu'avec monillustre matre Schopenhauer, qui s'adressait celivre,comme un contemporain,ce livre, avec toutesa passion et sa secrte opposition( car Humain,trop humain tait aussi un crit polmique ). Il

  • LA GNALOGIE DE LA MORAIT.

    s'agissait, en particulier, de la valeur du non-gosme, des instincts de piti, de renoncement,d'abngation que Schopenhauer prcisment avaitsi longtemps enjolivs nos yeux diviniss etlevs aux rgions de l'au del, tant qu'enfin ilsdemeurrent pour lui les valeurs en soi et qu'ilse basa sur eux pour sa ngation de la vie et de lui-mme. Mais c'est justement contre ces instincts ques'levait en moi une dfiance de plus en plus fonda-mentale,un scepticisme dejour enjour plusprofond!En eux je voyais prcisment le grand cueil del'humanit, la tentation et la sduction suprmequi la conduirait... o donc?... Au nant? Jevoyais l le commencement de la fin, l'arrt dansla marche, la lassitude qui regarde en arrire, lavolont qui se retourne contre la vie, la derniremaladie s'annonant par des symptmes de ten-dresse et de mlancolie: je comprenais que celle

    ^morale de compassion qui s'tendait toujours plusautour d'elle, qui atteignait mme les philosopheset les rendait malades, tait le symptme le plusinquilant de notre culture euiopenne, inquitanteelle-mme, son dtourversun nouveau bouddhisme!vers un bouddhisme europen ! vers

    le nihi-lisme!, t. Chez les philosophes, celte prfrence*

  • L\ GIJM \LOGIE DE L\ MOn \T,E

    cette estimation exagre et toute moderne de lapiti est, en effet, quelque chose de nouveau: jus-qu' prsent c'tait prcisment sur la*valeur nga-tive de la piti que les philosophes taient tombsd'accord. Qu'il me suffise de nommer Platon,Spinoza, La Rochefoucauld et Kant, ces quatreesprits aussi diffrents que possible l'un de l'autre,mais unis sur un point : le mpris de la piti.

    6.

    Ce problme de la valeur de la piti et de lamorale altruistc(je suis un adversaire de la hon-teuse cffminalion du sentiment qui a cours aujour-d'hui ), ce problme ne parat tre tout d'abord,qu'une question isole, un point d'interrogationunique et part; mais celui qui s'arrtera ici uneseule fois, celui qui apprendra interroger, il luien adviendra comme il m'en est advenu :

    uneperspective nouvelle, immense, s'ouvriradevant lui,la vision d'une possibilit le saisira comme un ver-tige, toutes espces de mfiances," de soupons,d'apprhensions se feront jour, la foi en la morale,en toute morale chancellera,

    enfin une exigencenouvelle lvera la voix. Enonons-la, ceiiaexigence

  • lS |.A GM'AIOGIE Dr A MORALE

    nouvelle ; nous avons besoin d'une critique des va-leurs morales, et la valeur de ces valeurs doit toutd'abord tre mise en question

    et, pour cela, ilest de loule ncessit de connatre les conditions etles milieux qui leur ont donn naissance, au seindesquels elles se sont dveloppes et dformes (lamorale en lantque consquence,symptme,masque,tartuferie, maladie ou malentendu; mais aussi lamorale en tant que cause, remde, stimulant,entrave, ou poison), connaissance telle qu'il n'y ena pas encore eu de pareille jusqu' prsent, tellequ'on ne la recherchait mme pas. On tenait la va-leur de ces valeurs pour donne, relle, au delde toute mise en question ; et c'est sans le moindredoute et la moindre hsitation que l'on a, jusqu'prsent, attribu au bon une valeur suprieure celle du mchant , suprieure au sens du pro-grs, de l'utilit, de l'influence fconde pour ce quiregarde le dveloppement de l'homme en gnral(sans oublier l'avenir de l'homme). Comment? Queserait-ce si le contraire tait vrai? Si,dans l'homme

    bon , il y avait un symptme de recul, quelquechose comme un danger, une sduction, un poison,un narcotiquequi faitpeut-trevivre1 le prsentauxdpens de l'avenir ? d'une faon plus agrable, plus

  • LA GESLMOGIE DE L\ MOnALE IQ

    inoffensive,peut-tre, mais aussi dans un style plusmesquin,plus bas?.,. En sorte que, si le plus hautdegr depuissance et de splendeur du type homme,possible en lui-mme, n'ajamais t atteint, la fauteen serait prcisment la morale ! En sorte que,entre tous les dangers, la morale serait le dangerpar excellence?...

    7-

    Qu'il me suffise d'ajouter que moi-mme, depuisque cette perspective s'est ouverte moi, j'ai eumes raisons pour chercher des collaborateurs ru-dits, audacieux et travailleurs (et aujourd'hui j'encherche encore). Il s'agit de parcourir,en posantquantit de problmes nouveaux, et comme avecdes yeux nouveaux, l'norme, le lointain et le simystrieux pays de la morale

    de la morale qui avraiment exist et qui a t vritablement vcue:n'est-ce pas l presque dcouvrir ce pays?... Si,entre autres personnes, j'ai pens au Dr Re, c'estque je ne doutais nullement qu'il ne ft pouss,par la nature mme des problmes qu'il se posait, une mthode plus rationnelle pour les rsoudre.Me suis-je tromp en cela? Mon dsir a t, en tout

  • LA GfM ALOGIE DE .A MORALE

    cas, de donner un regard aussi pntrant et aussiimpartial une direction meilleure, la direction versune vritable Histoire de la morale et de le mettreen garde, lorsqu'il en, est temps encore, contre unmonde d'hypothses anglaises bties dans le vide,dans l'azur. Il est clair que pour le gnalogiste dela morale il y a une couleur cent fois prfrable l'azur: je veux dire le gris, j'entendspar l tout cequi repose sur des documents,ce que l'on peut vrai-ment tablir ce qui a rellement exist, bref, toutle long texte hiroglyphique, laborieux dchiffrer,du pass de la morale humaine!

    le Dr Re ne leconnaissait pas; mais il avait lu Darwin :

    et voilpourquoi, dans ses hypothses, on voit, d'unefaon pour le moins divertissante,la brute humainede Darwin tendre gentiment la main l'humbleeffmin de la morale, cration toute moderne qui ne mord plus , mais qui rpond cette gracieu-set avec un visage empreint d'une certaine indo-lence dbonnaire et gracieuse, quoi se mle ungrain de pessimisme et de lassitude, comme s'il nevalait vraiment pas la peine de prendre si fort coeur toute celle affaire

    c'est--dire le problmede la morale. Pour moi, il me semble au contraire1qu'il n'y a rien au inonde qui ne mrite aulanld'tre

  • L\ GENEALOGIE DE LA MORALE

    pris au srieux; on mritera peut-tre alors unjour d'avoir le droit de le prendre aisment. Eneffet, la gaiet, ou pour parler mon langage le gaisavoir, est une rcompense : la rcompense d'uneffort continu, hardi, opinitre, souterrain, qui, vrai dire, n'est pas l'affaire de tout le monde. Maisau jour o nous pourrons nous crier : En avant!Notre vieille morale, elle aussi, rentre dans ledomaine de la comdie ! , nous aurons dcouvert,pour le drame dionysien de la Destine de l'me,une nouvelle intrigue, une nouvelle possibilit

    et l'on pourrait gager qu'il en a dj tir parti, lui,le grand, l'antique, l'ternel pote des comdies denotre existence!...

    8.

    Si d'aucuns trouvent cet crit incomprhensible,i l'oreille est lente en percevoir le sens, la faute,me semble-t-il, n'en est pas ncessairement moi.Ce que je dis est suffisamment clair, supposer, etje le suppose, que l'on ait lu, sans s'pargner quel-que peine, mes ouvrages antrieurs : car, en effet,ceux-ci ne sont pas d'un abord trs facile. Pour cequi en est, par exemple, de mon Zarathoustra, je

  • LA GLNI ALOGIE DE LA MORALE

    ne veux pas que l'on se vante de le connatre si l'onn'a pas t quelquejour profondmentbless, puis,au contraire, secrtement ravi par chacune de sesparoles: car, alors seulement, on jouiradu privilgede participer l'lment alcyonien d'o cette oeuvreest ne, on se sentira de la vnration pour saresplendissante clart, son ampleur, sa perspectivelointaine, sa certitude. Dans d'autres cas la formeaphorislique de mes crits offre une certaine dif-ficult : mais elle vient de ce qu'aujourd'hui l'on neprend pas celle forme assez au srieux, Un apho-risme dont la fonte et la frappe sont ce'qu'ellesdoivent tre n'est pas encore dchiffr parcequ'on l'a lu; il s'en faut de beaucoup, car Yinter-prtalion ne fait alors que commencer et il y a unart de l'interprtation. Dans la troisime disser-tation du prsent volume,j'ai donn un exemple dece que j'appelle en pareil cas une interprtation :

    cette dissertation est prcde d'un aphorismedont elle est le commentaire.II est vrai que,pourlever ainsi la lecture la hauteur d'un art, il fautpossder avant tout une facult qu'on a prcis-ment le mieux oublie aujourd'hui

    et c'est pour-quoi il s'coulera encore du temps avant que mescrits soient lisibles

    ,d'une facult qui exi-

  • LA GNALOGIE PL LA MORALE 23

    grait presque que l'on ait la nature d'une vacheet non point, en tous les cas, celle d'un hommemoderne : j'entends la facult de ruminer,.,

    Sils-Mavia, Haute-Engadine.

    Juillet 1887,

  • PREMIRE DISSERTATION

    BIEN ET MAL , BON ET MAUVAIS

  • I.

    Ces psychologues anglais qui nous sommesredevables des seules tentatives faites jusqu' pr-sent pour constituer une histoire des origines de lamorale

    nous prsentent en leur personne unenigme qui n'est pas ddaigner; j'avoue que, parcela mme, en tant qu'nigmes incarnes, ils ontsur leurs livres un avantage capital

    ils sont eux-mmes intressants ! Ces psychologues anglaisque veulent-ils en somme? On les trouve toujours,que ce soitvolontairement, ou involontairement, oc-cups la mme besogne, c'esl--dire mettre envidente la partie honteuse de notre monde int-rieur et chercher le principe actif, conducteur,dcisif au point de vue de l'volution, prcismentl o l'orgueil intellectuel de l'homme tiendrait lemoins le trouver (par exemple dans la vis iner-lioe de l'habitude, ou bien dans la facult d'oubli,ou encore dans un eiicholreinenl et un engre-

    3

  • 28 LA GNALOGIE DE I A MORALE

    nage aveugle et fortuit d'ides, ou enfin dans jene sais quoi de purementpassif, d'automatique,derflexe, de molculaire et de foncirement stupi-de)

    qu'est ce donc a;u juste qui pousse toujoursles psychologues dans cette direction? Serait-cequelque instinct secret et bassement perfide derapetisser l'homme, instinct qui n'osa peut-tre pass'armer lui-mme ? Ou serait-ce, par hasard, unsoupon pessimiste, la mfiance de l'idaliste dsil-lusionn et assombri, devenu tout fiel et venin ?Oubien une petite hostilit souterraine contre le chris-tianisme (et Platon), une rancune qui peut-tren'A pas encore pass le seuil de la conscience? Oubien encore un got pervers pour les bizarreries,les paradoxes douloureux, les incertitudes et lesabsurdits de l'existence ? Ou enfin

    un peu detout cela, un peu de vilenie, un peu d'amertume,un peu d'anli-christianisme,un peu de besoind'tremoustill et de got pour le poivre?... Mais onm'assure que ce sont tout simplement de vieillesgrenouilles visqueuses cl importunes qui rampentet sautillent autour de l'homme, qui s'battentmme dans son sein comme si elles taient l dansleur lment, c'est--dire dans 1 un bourbier. Jem'lve contre celle ide avec dgot, je^ lui

  • L\ GLNEALOGIE DE LA MORALE 2Q

    refuse mme toute crance; et s'il est permis d'-mettre un voeu, lorsqu'on ne peut pas savoir, jesouhaite de tout coeur qu'en ce qui les concerne cesoit tout le contraire,

    que ces chercheurs quitudient l'me au microscope soient au fond descratures vaillantes, gnreuses et fires, sachanttenir en bride leur coeur comme leur rancoeur etayant appris sacrifier leurs dsirs la vrit, toute vrit, mme la vrit simple, pre, laide,rpugnante, anti-chrtienne et immorale... Car detelles vrits existent.

    2.

    Honneur donc aux bons gnies qui veillent peut-tre sur ces historiens de la morale! Il est mal-heureusement certain que Yesprit historique leurfait dfaut et qu'ils ont t abandonns justementpar tous les bons gnies de l'intelligence du pass.Ils ont tous, selon la vieille tradition des philo-sophes, une faon de penser essentiellement anti-hislorique : on ne saurait en douter. La niaiseriede leur gnalogie de la morale apparat ds lepremier pas, ds qu'il s'agit de prciser l'originede la notion et du jugement bon :

    A l'oii-

  • 30 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    gine, dcrtent-ils, les actions non-gostes ont tloues et rputes bonnes, par ceux qui ellestaient prodigues, qui elles taient utiles ; plustard on a oubli l'origine de cette louange et l'ona simplement trouv bonnes les actions non-go-les, parce que, par habitude, on les avait toujoursloues comme telles comme si elles taient bon-nes en soi. Voil qui est clair : cette premiredrivation prsente dj tous les traits typiques deTidiosyncrasie des psychologues anglais,

    nous

    y trouvons l'utilit , l'oubli , l'habitude et finalement l'erreur ; tout cela pour servir debase une apprciation dont, jusqu' prsent,l'homme suprieur avait t fier, comme d'unesorte de privilge de l'homme suprieur en gn-ral. Cette fiert doit tre humilie,cctte apprciationdoit lre dprcie : ce but a-t-il t atteint ?..Pour moi il apparat d'abord clairement que celtethorie recherche et croit apercevoir le vritablefoyer d'origine du concept bon un endroito il n'est pas : le jugement bon n'manenullement de ceux qui on a prodigu la bont ICesont bien plutt les

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE

    vation d'me qui se sont eux-mmes considrscomme bons , qui ont jug leurs actions bon-nes , c'est--dire de premier ordre, tablissantcette taxaiion par opposition tout ce qui tait bas,i..esquin, vulgaire et populacier. C'est du haut dece sentiment de la distance qu'ils se sont arrog ledroit de crer des valeurs et de les dterminer: queleur importait l'utilit! Le point de vue utilitaire esttout ce qu'il y a de plus tranger et d'inapplicableau regard d'une source vive et jaillissante de suprmes valuations, qui tablissent et espacent lesrangs : ici le sentiment est prcisment parvenu l'oppos de cette froideur qui est la condition detoute prudence inlresse, de tout calcul d'utilitet cela, non pas pour une seule fois, pour uneheure d'exception, mais pour toujours. La con- 1science de la supriorit et de la distance, je lerpte, le sentiment gnral, fondamental, durableet dominant d'une race suprieure et rgnante, enopposition avec une race infrieure, avec un bas-fond humain

    voil l'origine de l'antithseentre bon et mauvais . (Ce droit de matreen vertu de quoi on donne des noms va si loin quel'on peut considrer l'origine mme du langagecomme un acte d'autorit manant de ceux qui

  • 32 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    dominent. Ils ont dit : ceci est telle et telle chose ,ils ont attach un objet et un fait tel vocable,et par l ils se les sont pour ainsi dire appropris.)C'est grce cette origine que de prime-abord lemot bon ne s'attachepoint ncessairement auxactions

    non-gostes : comme c'est le prjug deces gnalogistes de la morale.C'est bien plutt surle dclin des valuations aristocratiques que l'an-tithse goste et dsintresse (non-gos-te ) s'empare de plus en plus de la consciencehumaine.

    C'est, pour me servir de mon langage,Yinstinct de troupeau qui, dans celle oppositionde termes, finit par trouver son expression* Etmme alors il se passe encore beaucoup de tempsjusqu' ce que cet instinct devienne matre, aupoint que l'valuation morale reste prise et enlisedans ce contraste (comme c'est par exemple le casdans l'Europeactuelle,o leprjugqui lientles con-cepts moral , non-goste , dsintress pour quivalents rgne dj avec la puissance d'une

    ide fixe el d'une affection crbrale).

    3.

    Mais, en second lieu, et abstraction fate de ce

  • LA GNALOGIE DE I A MORALE 33

    quecetlehypothse surl'originedujugement bon n'est pas historiquement soulenable, elle souffre enelle-mme d'unecontradictionpsychologique. L'uti-lit de l'acte non-goste aurait t d'aprs elle l'o ri-gine de la louange dont cet acle a t l'objet, puison aurait oubli celte origine : commentun pa-reil oubliserait-il possible? L'utilitde pareils actesaurait-ellejamaiscessd'exislei^Bien au contraire :celte utilit est plutt l'exprience quotidienne detous les temps, quelque chosequi devrait donc sanscesse tre soulign nouveau; par consquent,au lieu de disparatre de la conscience, de pouvoirsombrer dans l'oubli, elle devait se graver dansla conscience en caractres de plus en plus appa-rents. Combien plus logique est la Uiorie con-traire (sans tre plus vraie pour cela),

    celle quepar exemple Herbert Spencer a prsente ! Ilrattache le concept bon et le concept utile , opportun comme choses d'essence semblable,de sorte que l'humanit aurait, par les jugements

    bon et mauvais , rsum cl sanctionn pr-

    cisment ses expriences inoublies et inoubliablessur ce qui est utile et opportun, ou bien inutile etinopportun. D'aprs cette thorie, est bon ce qui,de tous temps, s'est rvl utile; c'est pourquoi

  • 34 LA GNALOGIE DE LA MORALE,

    cette chose bonne et utile peut prtendre autitre de valeur de premier rang , de valeuressentielle. Cette tentative d'explication, commeje l'ai dit, est galement errone, mais l'explicationest du moins sense par elle-mme et soulenablepsychologiquement.

    4.

    L'indication de la vritable mthode suivrem'a l donne par cette question: Quelest exacte-ment, aupointde vue tymologique, le sens des d-signationsdu mot bon dans les diverses langues?C'est alors queje dcouvrisqu'elles drivent toutesd'une mme transformation d'ides, que partoutl'ide de distinction , de noblesse , au sensdu rang social, est l'ide mre d'o nat et se dve-loppe ncessairement l'ide de bon au sens

    distingu quanta l'me , et celle de noble au sens de ayant une me d'essence suprieure,

    privilgi quant l'me. Et ce dveloppementesttoujours parallle celui qui finit par transformerles notions de vulgaire , plbien , bas en celle de mauvais . L'exemple le plus frappantde celte dernire mtamorphosec'est le mol aile-

  • LA GNALOGIE DE LA MORALE 35

    mand schlecht (mauvais) qui est identique

    schlicht (simple)

    comparez schlechtweg (simplement), schlechterdings (absolument)

    et qui, l'origine, dsignait l'homme simple,l'homme du commun, sans quivoque et sansregard oblique, uniquement en opposition avecl'homme noble. Ce n'est que vers l'poque de laguerre de Trente ans, assez lardivementeomme onvoit, que ce sens, dtournde sa source, est devenucelui qui est aujourd'hui en usage.

    Voil uneconstatation qui me parat tre essentielle au pointde vue de la gnalogie de la morale ; si elle a tfaite si tard> la faute en est l'influence enrayantequ'exerce au sein du mondemoderne, le prjugd-mocratique, mettant obstacle toute recherche lou-chant la question des origines. Et cela, jusquedansle domaine qui semble le plus objectif, celui dessciences naturelles et de la physiologie,un tait queje me contenterai d'indiquer ici. Mais pourjuger dudsordre que ce prjug, une fois dchan jusqu'la haine, peut jeter en particulier dans la moraleel dans l'lude de l'histoire, il suffira d'examiner lecas trop fameux de Buckle; hplbisme de l'espritmoderne qui est d'origine anglaise fil ruption unefois encore sur son sol natal, avec la violence d'un

    4

  • 3G LV GNVLOGIE DE LA MORALE

    volcan de boue et avec cette faconde sale, tapa-geuse et vulgaire qai a toujours caractris lesdiscours des volcans.

    ' 5.

    En ce qui concerne noire problme qui peut treappel, bon droit, un problme intime et qui, depropos dlibr, ne s'adresse qu' l'oreille du petitnombre, il est du plus haut intrt d'tablir que,frquemment encore, travers les mots elles raci-nes qui signifient bon , transparat la nuanceprincipale grce laquelle les nobles se sen-taient hommes d'un rang suprieur. Ilest vrai que,peut-tre dans la plupart des cas, ils tirent simple-ment leur nom de la supriorit de leur puissance(soit les puissants , les matres , les chefs ),ou des signes exliieurs de celle supriorit, parexemple

    les riches , les possesseurs (tel estle sens de arya, sens qui se retrouve dans legroupe ranien et slave). Pourtant pal fois un iraittypique du caractre dtermine l'appellation, etc'est le cas qui nous intresse ici. Us se nommentpar exemple les viidques : et c'est en premierlieu la noblesse grecque qui se dsigne ainsi par la

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE 37

    bouche du pote mgarien Thogonis. Le motcOXc, form cet usage, signifie d'aprs sa racinequelqu'un qui est, qui a de la ralit, qui est rel,qui est vrai; puis,pai une modification subjective,le vrai devient le vridique : cette phase de latransformation de l'ide nous voyons le terme quil'exprime devenir le mot d'ordre et le signe deralliement de la noblesse, prendre absolument lesens de noble ,par opposition l'homme men-teur du commun, tel que Thogonis le conoit etle dpeint,

    jusqu' ce qu'enfin, aprs le dclin dela noblesse, le mot ne dsigne plus que la noblessed'me et prenne, en mme temps, le sens de quel-que chose de mri et d'adouci. Le mot de y.ayicomme celui de ostXc (qui dsigne le plbien paropposition l'ya05) souligne la lchet: voil qui.indiquera pcul-lre dans quelle direction il fautchercher l'lymologie du mot ycrMq, qu'on peutinterprter de plusieurs manires. Le latin malus(que je mets en regard deuiXa, noir) pourrait avoirdsign l'homme du commun d'aprs sa couleurfonce, et surtout d'aprs ses cheveux noirs (hicniger est), l'autochtone pr-aryen du sol italique sedistinguant le plus clairement par sa couleur som-bre de la race dominante, de la race des conque-

  • 38 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    ranls aryens aux cheveux blonds. Du moins legalique m'a fourni une indication absolument simi-laire:

    c'est le mot fin (par exemple dans Fin-Gai), le terme dislinctif de la noblesse, en dernireanalyse le bon, le noble, le pur, signifiait l'ori-gine: la tte blonde, en opposition l'autochtonefonc aux cheveux noiis. Les Celtes, soit dit enpassant, taient une race absolument blonde; quant ces zones de populations aux cheveux essentiel-lement foncs que l'on remarque sur les cariesethnographiques de l'Allemagne faites avec quelquesoin, on a tort de les attribuer une origine celti-que et un mlange de sang celte, comme faitencore Virchow : c'est plutt la population pr-aryenne de l'Allemagne qui perce dans ces rgions.(La mme observation s'applique presque toutel'Europe : en fait, la race soumise a fini par y re-prendre la prpondrance, avec sa couleur, la formeraccourcie du crne et peut-tre mme les instinctsintellectuels et sociaux i qui nousgarantit que ladmocratie moderne, l'anarchisme encore plus mo-derne cl surtout cette tendance la Commune, laforme sociale la plus primitive, chre aujourd'hui tous les socialistes d'Europe, ne soient pas, dansl'essence, un monstrueux effet d'atavisme1et que

  • L\ GAVLOGIE DE LA MORALE 3()

    la race des conqurants et des matres, celle desaryens, ne soit pas en train de succomber mmephysiologiquement?...) Je crois pouvoir interprterle latin bonus par le guerrier : en supposantqu'avec raison je ramne bonus sa forme plusancienne de duonus (comparez: bellum=cluellum=duen-lum, o ce duonus me parat tie conserv).D'aprs cela, le bonus serait l'homme du duel, dela dispulc (duo), le guerrier : on voit donc ce quiconstituait la bont d'un homme de la Romeantique. Notre mot allemand gut (bon) lui-mmene devait-il pas signifier der Goettliche (le divin),l'homme d'extraction divine? Et ne serait-il passynonyme de Goth, le nom d'un peuple, mais pri-mitivement d'une noblesse seulement? Les raisonsen faveur de celle hypothse ne peuvent tre expo-ses ici.

    6.

    Si la transformation du concept politique de laprminence en un concept psychologique est largle, ce n'est point par une exception cette rgie(quoique toute rgle donne lieu des exceptions)que la caelc la plus haute forme en mme temps la

  • /|0 LA GNAIOdlL DE LA MORALE

    caste sacerdotale et que par consquentelle prfre,pour sa dsignation gnrale, un titre qui rappelleses fonctions spciales. C'est l que par exemple lecontraste entre purw'ct impur sert pour lapremire fois la distinction des castes ; et l en-core se dveloppe plus tard une diffrence entre bon et mauvais dans un sens qui n'est pluslimit la caste. Du reste qu'on se garde bien deprter de prime-abord ces concepts de pur etd'

    impur un sens trop rigoureux, trop vaste,

    Yoire mme un sens symbolique : tous les conceptsde l'humanit primitive ont commenc par trepris un degr que nous n'imaginons point, dans unsens grossier, brut, sommaire, born, et surtout etavant tout dans un sens non-symbolique. Le pur est d'abord simplement un homme qui se lave, quis'interdit certains aliments provoquant des maladiesde la peau, qui ne cohabite pas avec les femmesmalpropres dubas peuple, qui a l'horreur du sang,

    et rien de plus, ou en tous les cas peu de choseen plus! D'aulre part,les procds particuliers auxaristocraties sacerdotales font comprendre pour-quoi c'est prcisment ici que les contrastes d'va-luation ont pu se spiritualiser et s'accentuer trsvile. Et, de fait, ce sont elles qui ont fini par creuser

  • I V OI'M'AIOGIL DE I \ MORALE f\\

    entre les hommes des abmes que mme un Achilledpense libre ne saurait franchir sans frissonner.Il y a, ds le principe, quelquechosede morbide dansces aristocraties sacerdotalesel dans leurs habitudesdominantes,hostiles l'action, voulant que l'hommetantt couve ses songes, tantt soit boulevers pardes explosions de sentiments,la consquence pa-rat en tre cette dbilit intestinale et cette neuras-thnie presque fatalement inhrentes aux prtres detous les lemps. El le iemde prconis par euxcontrecet tat morbide, comment ne pas affirmer qu'en finde compte il s'est trouv cent fois plus dangereuxencore que la maladie dont il s'agissaitde se dbar-rasser? L'humanit tout entire souffre encore dessuites de ce traitement naf, imagin parlesprlrcs.Il suffira de rappelercertaines particularits du r-gime dittique (privation de viande), le jene, lacontinence sexuelle, la fuite dans le dsert (l'iso-lement la WeirMitchell, bien entendu sans lacured'engraissement et de suralimentation qui le suitet qui constitue le remde le plus efficace contretoute hystrie de l'idal asctique). Joignez celala mtaphysique sacerdotale hostile aux sens, quii end paresseux et raffin, l'hypnotisme par auto-suggestion que pratiquent les prtres la manire

  • /|2 IA GNAIOGir DP LA MORAIKdes fakirs et des brahmanes Brahma tenant lieude bouton de cristal ou d'ide fixe et la satituniverselle et finale, bien comprhensible d'ailleuisavec la cure radicale du-prlre, le nant (ou Dieu:

    car l'aspiration une union mystique avec Dieun'est que l'aspiration du bouddhiste au nant, auNirvana

    et pas autre chose!) C'est que, chez leprtre, tout devientplu s dangereux, non seulementles traitements et les thrapeutiques, mais encorel'orgueil, la vengeance, la perspicacit, la dbauche,l'amour, l'ambition, la vertu, la maladie ;

    avec

    un peu d'quit, on pourrait, il est vrai, ajouterquec'est surle terrain mme de celle forme d'existenceessentiellement dangereuse, la sacerdotale, quel'homme a commenc devenir un animal intres-sant; c'est ici que, dans un sens sublime, l'mehumaine a acquis laprofondeuret la mchancetcl certes ce sont l les deux attributs capitaux quiont assur jusqu'ici l'homme la suprmatie sur lereste du rgne animal!...

    7-

    On devine avec combien de facilit la faond'apprcier propre au prtre se dtachera de celle

  • L\ GM'MOGIE Dr LA MORAI E /|3de l'aristocratie guerrire, pour se dvelopper enune apprciation tout fait contraire; le terrainsera surtout favorable au conflit lorsque la castedes prtres et celle des guerriers se jalouserontmutuellement et n'arriveront plus s'entendre surle rang. Les jugements de valeurs de l'aristocratieguerrire sont fonds sur une puissante constitu-tion corporelle, une sant florissante, sans oublierce qui est ncessaire l'entretien de cette vigueurdbordante : la guerre, l'aventure, la chasse, ladanse, les jeux et exercices physiques et en gn-ral tout ce qui implique une activit robuste, libreet joyeuse. La faon d'apprcier de la haute classesacerdotale repose sur d'autres conditions premi-res : tant pis pour elle quand il s'agit de guerre.Les prtres, le fait est notoire, sont les ennemisles plus mchants

    pourquoi donc? Parce qu'ilssont les plus incapables. L'impuissance fait crotreen eux une haine monstrueuse, sinistre, intellec-tuelle et venimeuse. Les grands vindicatifs, dansl'histoire, ont toujours t des prtres, comme aussiles vindicatifs les plus spirituels :

    auprs de l'es-prit que dploie la vengeance du prtre tout autre

    tesprit entre peine en ligne de compte. L'histoirede l'humanit serait vrai dire une chose bien

    4.

  • t[l\ LA GI'N'MOGJE DE LA MORME

    inepte sans l'esprit dont les impuissants l'ont ani-me. Allons droit l'exemple le plus saillant. Toutce qui sur terre a t entrepris contre les nobles ,les puissants ,les matres , le pouvoir ,n'entre pas en ligne de compte, si on le compare ce que les Juifs ont fait : les Juifs, ce peuple sacer-dotal qui a fini par ne pouvoir trouver satisfactioncontre ses ennemis et ses dominateurs que par uneradicale transmutation de toutes les valeurs, c'est--dire par un acte de vindicte essentiellement spi-rituel. Seul un peuple de prtres pouvait agirainsi, ce peuple qui vengeait d'une faon sacerdo-tale sa haine rentre. Ce sont cls Juifs, qui, avecune formidable logique,'ont os le renversement del'aristocratique quation des valeurs (bon, noble,puissant, beau, heureux, aim de Dieu). Ils ontmaintenu ce renversementavec l'acharnementd'unehaine sans borne (la haine de l'impuissance) et ilsont affirm : Les misrables seuls sont les bons;les pauvres, les impuissants, les petits seuls sontles bons; ceux qui souffrent, les ncessiteux, lesmalades, les difformes sont aussi les seuls pieux,les seuls bnis de Dieu; c'est eux seuls qu'appar-tiendra la batitude

    par contre, vous autres,vous qui tes nobles et puissants, vous tes de

  • i v OM'UOGIE ni: i v MOiwrr If)

    toute ternit les mauvais, les cruels, les avides,lesinsatiables, les impics, et, ternellement, vous de-meurerez aussi les rprouvs, les maudits, les dam-ns! ... On sait qui a recueilli l'hritage de cettedpicialion judaque,.. Je rappelle, proposde 1'iniliative monstrueuse et nfaste au del detoute expression que les Juifs ont prise par cettedclaration de guerre radicale entre loules, la con-clusion laquelle je suis arriv en un autre endroit(Par del le bien et le mal, aph. 196).

    Je veuxdire que c'est avec les Juifs que commence le sou-lvement des esclaves dans la morale : ce soulve-ment qui trane sa suite une histoire longue devingt sicles et que nous ne perdons aujourd'huide vue que parce qu'il a t victorieux...

    8.

    *Mais vous ne comprenez pas? Vous n'avez pas

    d'yeux pour une chose qui a eu besoin de deuxmille ans pour triompher?

    ...

    Il n'y a pas lieu des'en tonner : tout ce qui est long est difficile voir, embrasser d'un coup d'oeil. Or, voici ce quis'est pass : sur le tronc de cet arbre de la ven-geance et de la haine, de la haine judaque

    .

    la

  • ffi LA GI'NAIOGIE DE LA MORAIE

    plus profonde et la plus sublime que le monde aitjamais connue, de la haine cratrice de l'idal,de lahaine qui transmue les valeurs, une haine qui n'eutjamais sa pareille sur ]a terre de cette haine sor-tit quelque chose de non moins incomparable, unamour nouveau, la plus profonde et la plus sublimede toutes les formes de l'amour ;

    et d'ailleurssur quel autre tronc cet amour aurait-il pu s'pa-nouir?... Mais que l'on ne s'imagine pas qu'il sedveloppa sous forme de ngation de cette soif devengeance, comme antithse de la haine judaque!

    SNon, tout au contraire. L'amour est sorti de celte'haine, s'panouissantcomme sa couronne, une cou-ronne triomphante qui s'largit sous les chaudsrayons, d'un soleil de puret, mais qui, dans cedomaine nouveau, sous lergnede la lumire et dusublime, poursuit toujours encore les mmes butsque la haine : la victoire, la conqute, la sduction,tandis que les racines de la haine pntraient,avides et opinitres,dans le domaine souterrain destnbres et du mal. Ce Jsus de Nazareth, cet van-gile incarn de l'amour, ce Sauveur qui appor-tait aux pauvres, aux malades, aux pcheurs, lab'^titude et la victoire

    n'tail-il pas prcis-ment la sduction dans sa forme la plus sinistre et

  • LA GNl'\LOGIK DE LA MORALE Itf

    la plus irrsistible, la sduction qui devait menerpar un dtour ces valeurs judaques, ces rno-vations de l'idal? Le peuple d'Isral n'a-t-il pasatteint, par la voie dtourne de ce Sauveur, de cetapparent adversaire qui, semblait vouloir disperserIsral, le dernier but de sa sublime rancune? N'est-ce pas par l'occulte magie noire d'une politiquevraiment grandiose de la vengeance, d'une ven-geance prvoyante, souterraine, lente saisir et calculer ses coups, qu'Isral mme a d renier etmettre en croix, la face du monde, le vritableinstrument de sa vengeance, comme si cet instru-ment tait son ennemi mortel, afin que le mondeentier , c'est--dire tous les ennemis d'Isral,eussent moins de scrupules mordre cet appt?Pourrait-on d'ailleurs s'imaginer, en s'aidant detous les raffinements de l'esprit, un appl plus dan-gereux encore? Quelque chose qui galerait par sapuissance de sduction, par sa force de leurre etd'tourdissement ce symbole de la sainte croix ,cet horrible paradoxe d'un Dieu mis en croix ,ce mystre d'une inimaginable et dernire cruaut,la cruaut folle d'un Dieu se crucifiant lui-mmepour le salut de Vhumanit?,,. Il est du moinscertain qu'avec sa vengeance et sa transmutation

  • /|8 LA GI'NAIOGIE DE LA MORALEde toutes les valeurs, Isral a toujours triomphdo nouveau sub hoc signo, de tout autre idal, detout idal plus noble.

    r

    Mais que nous parlez-vous encore d'un idal

    plus noble! Inclinons-nous devant le fait accompli :c'est le peuple qui l'a emport

    ou bien les es-claves , ou bien la populace , ou bien le trou-peau , nommez-les comme vous voudrez

    ,si

    c'est aux Juifs qu'on le doit, eh bien! jamais peuplen'a eu une mission historique plus considrable.Les matres sont abolis; la morale de l'hommedu commun a triomph. Libre vous de comparercette victoire un empoisonnement du sang (elle aopr le mlange des races)

    je n'y contredispas; mais il est indubitable que cette intoxicationa russi. La rdemption ou la dlivrance dugenre humain (je veux dire l'affranchissement dujoug des matres ) est en excellente voie; toutse judase, ou se christianise, ou se voyoucratise vue d'oeil (que nous importe les mots!). Les progrsde cet empoisonnement de l'huiraiiil par tout lecorps semblent iirsislibles, son allure et sa mar-

  • LV ONAIOfiJE on 1 \ MORAIE /|Q

    che pourront mme ds aujourd'hui se ralentirtoujours davantage,devenir toujours plus dlicates,plus imperceptibles,plus rflchiesona du tempsdevant soi... L'glise a-t-ellc encore dans cettesphreune tchencessaire remplir? a-t-elle,d'unefaon gnrale,encorcun droit l'cxistcnccOubienpourrait-on s'enpasscr?0a?/'///'.Il semble qu'elleentrave et relarde celle marche plutt que de l'ac-clrer? Eh bien ! voil qui pourrait constituer pr-cisment son utilit,.. Assurment, elle a quelquechose de grossier et de rustique qui rpugne uneintelligence un peu dlicate et un got vraimentmoderne. Ne devrait-elle pas, pour le moins, ga-gner un peu en raffinement?.. Elle repousse aujour-d'hui plus qu'elle ne sduit... Qui de nous voudraittre libre-penseur si l'glise n'existait pas? L'-glise nous rpugne, mais non pas son poison...Mettez de ct l'glise, et nous aimerons aussi lepoison...

    Tel fut l'pilogue que fit mon dis-cours un libre-penseur , un honnte animal,comme il l'a surabondamment prouv, et de plusun dmocrate ; il m'avait cout jusque-l, maisil ne put pas supporter mon silence. Or, en cetendroit j'ai beaucoup de choses taire.

  • LV GMAIOGIE DE LA MORAIE

    10,

    La rvolte des esclaves dans la morale com-

    mence lorsque le ressentiment lui-mme devientcrateur et enfante des valeurs : le ressentiment deces tres, qui la vraie raction, celle de l'action,est interdite et qui ne trouvent de compensationque dans une vengeance imaginaire. Tandis quetoute morale aristocratique nat d'une triomphaleaffirmation d'elle-mme, la morale des esclavesoppose ds l'abord un non ce qui ne.fait paspartie d'elle-mme, ce qui est diffrent d'elle, ce qui est son non-moi : et ce non est son actecrateur. Ce renversement du coup d'oeil appr-ciateur

    ce point de vue ncessairement inspirdu monde extrieur au lieu de reposer sur soi-mme

    appartient en propre au ressentiment :la morale des esclaves a toujours et avant toutbesoin, pour prendre naissance, d'un inonde oppo-s et extrieur : il lui faut, pour parler physiologi-quement, des stimulants extrieurs pour agir sonaction est foncirement une jaction. Le contrairea lieu, lorsque l'apprciation des valeurs est celledes matres : elle agit et crot spontanment, elle

  • IA GJNMLOGIE DE L\ MORALE

    no cherche son antipode que pour s'affirmer soi-mme avec encore plus de joie et de reconnais-sance,

    son concept ngatif bas , commun ,

    mauvais n'est qu'un ple contrast n tardi-vement en comparaison de son concept fondamen-tal, tout imprgn de vie et de passion, ce conceptqui affirme nous les aristocrates, nous les bons,les beaux, les heureux ! Lorsque le systme d'ap-prciation aristocratique se mprend et pche con-tre la ralit, c'est dans une sphre qui ne lui estpas suffisammentconnue, unesphre qu'il se dfendmme avec ddain de connatre tel qu'elle est: il luiarrive donc de mconnatreJa sphre qu'il mprise,celle de l'homme du commun, du bas peuple. Quel'on considred'autrepartque l'habitudedu mpris,du regard hautain, du coup d'oeil de supriorit, supposer qu'elle fausse l'image du mpris, restetoujours bien loin derrire la dfiguralion violente laquelle la haine rentre et la rancune de l'impuis-sant se livreront

    en effigie bien entendu

    surla personne de l'adversaire. De fait, il y a dans lempris trop de ngligence et d'insouciance, tropde joie intime et personnelle pour que l'objetdu mpris se transforme en une vritable cari-cature, en un monstre. Qu'on ne perde pas de

  • LA 01 M AL0GIL 1)1 L\ MORALE

    vue les nuances presque bienveillantes dont l'aris-tocratie grecque, par exemple, pare tous les motsqui lui servent tablir la distinction entreelle et le bas peuple ; il s'y mle constamment lemiel d'une sorte de piti, d'gard, d'indulgence,au point que presque lotis les mots qui dsignentl'homme du communont fini par devenir synonymesde malheureux , digne de piti (comparez :CO., os'Xcio, W/JGO, iJo/G/jp, ces deux derniersvoulant caractriser l'homme du commun en tantqu'esclave de son labeur et ble de somme).

    11

    faut songer d'autre part que les termes mauvais, bas , malheureux produisaient toujours surl'oreille grecque une tonalit o dominait la nuance malheureux; tout cela n'est que l'hritage duvieux systme d'valuation aristocratique plus dis-tingu, qui ne se dmentit mme pas dans l'art dempriser ( i appelons aux philologues le sens osont employs les mots : oiupo, u-ioi&c, iXr^wv,cutu/ev, ^u\izopx). Les hommes de haute nais-sance avaient le sentiment d'tre les heureux >;ils n'avaient pas besoin de construire artificiel-lement leur bonheur en se comparant leursennemis, en s'en imposant ,eux-mmes (coirmcfont tous les hommes du ressentiment); et de mme

  • I\ GLNMOGIL DE LA MORAI L 53

    en leur qualit d'hommes complets, dbordants devigueur et, par consquent, ncessairement actifs,ils ne savaient pas sparer le bonheur de l'action,

    .

    chez eux, l'activit tait ncessairement mise aucompte du bonheur (de l l'origine de l'expressions3 Trpscrceiv).

    Tout cela est en contradiction pro-fonde avec le bonheur tel que l'imaginent lesimpuissants, les opprims, accabls sous le poidsde leurs sentiments hostiles et venimeux, chez quile bonheur apparat surtout sous forme de stup-fiant, d'assoupissement, de repos, de paix, de sabbat , de relchement pour l'esprit et le corps,bref sous sa forme passive. Tandis que l'hommevit plein de confiance et de franchise envers lui-mme (YevvaTc, n noble , souligne la nuance de franchise et peut-tre celle de navet ),'l'homme du ressentiment n'est ni fianc, ni naf, niloyal envers lui-mme. Son me louche, son espritaime les recoins, les faux-fuyants et les portes dro-bes, tout ce qui se drobe le charme, c'est l qu'ilretrouve son monde, sa scurit, son dlassement;il s'entend garder le silence, ne pas oublier, allendre, se rapetisser provisoirement, s'humi-lier. Une telle race compose d'hommes du ressen-timent finira ncessairementpar tre plus prudente

  • 54 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    que n'importe quelle race aristocratique, aussihonorera-t-elle la prudence en une toute autremesure : elle en fera une condition d'existence depremier ordre, tandis que chez les hommes de dis-tinction la prudence prend facilement un certainvernis de luxe et de raffinement:

    c'est qu'ici ellea une importance bien moindre que la compltesarcl dans le fonctionnement des instincts rgu-lateurs inconscients, ou mme qu'une certaineimprudence, par exemple la tmrit irrflchie quicourt sus au danger, qui se jette sur l'ennemi, oubien encoreque cette spontanit enthousiaste dansla colre, l'amour, le respect, la gratitude et la vcn-

    'geancc, quoi les mes de distinction se sont recon-nues de tout temps Et mme le ressentiment,lorsqu'il s'empare de l'homme noble, s'achve ets'puise par une raction instantane, c'est pour-quoi il n'empoisonne pas : en outre, dans des castrs nombreux, le ressentiment n'clate pas du tout,lorsque chez les faibles et les impuissants il seraitinvitable Ne pas pouvoir prendre longtemps ausrieux ses ennemis, ses malheurs et jusqu' sesmfaits c'est le signe caractristique des naturesforles, qui se trouvent dans la, plnitude de leurdveloppement et qui possdent une surabondance

  • LV GENEALOGIE DE LA MORALE

    de force plastique, rgnratrice et curalive qui vajusqu' faire oublier. (Unbon exempledans cegenre,pris dans le inonde moderne, c'est Mirabeau, quin'avaitpas la mmoire des insultes,des infamies quel'on commettait son gard, et qui ne pouvait paspardonner, uniquement parce qu'iloubliait). Untel homme, en une seule secousse, se dbarrassede beaucoup de vermine qui chez d'autres s'installe

    1 demeure ; c'est ici seulement qu'est possible le

    1vritable amour pour ses ennemis , supposerqu'il soit possible sur terre Quel respect de sonennemi a l'homme suprieur!

    et un tel respectest dj la voie toute trace vers l'amour... Sinoncomment ferait-il pour avoir son ennemi lui, un

    ennemi qui lui est propre comme une distinction,I car il ne peut supporter qu'un ennemi chez qui ili n'y ait rien mpriser et beaucoup vnrer! Par contre, si l'on se reprsente l'ennemi tel que leI conoit l'homme du ressentiment,

    on constaterai que c'est l son exploit, sa cration propre : il af conu l'ennemi mchant , le malin en tanti "que concept fondamental, et c'esl ce concept qu'il

    ,

    imagine une antithse le bon ,qui n'est autre que

    lui-mme.,.

  • 56 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    II.

    Nous ne rencontrons donc ici que des procdsopposs ceux de l'homme noble qui, aprs avoir

    ,

    conuspontanment et par anticipation, c'est--diretir de son propre moi , l'ide fondamentale de

    bon , n'arrive crer la conception du mau-vais

    qu'en partant de cette ide. Ces deux termes,

    ce mauvais d'origine aristocratique et ce m-chant distill dans l'alambic de la haine insa-tiable

    le premier une cration postrieure, un

    accessoire, une nuance complmentaire, le second,au contraire, l'ide originale, le commencement,l'acte par excellence dans la conceptiond'une moraledes esclaves

    quel contraste n'offrent-ils pas, cesdeux termes mauvais et mchant , tousdeux opposs en apparence au concept unique :

    bon . Mais le concept bon n'estpas unique;pour s'en convaincre qu'on se demande plutt cequ'est en ralit le mchant au sens del moraledu ressentiment. La rponse rigoureusement exactela voici : ce mchant est prcisment le bon del'autre morale, c'est l'aristocrate, le puissant, ledominaieur, mais noirci, vu ot pris rebours par

  • LA GN.ALOGIE DE LA MORALE 5^

    le regard venimeux du ressentiment. Il est ici unpoint que nous serons les derniers vouloir con-tester: celui qui n'a connu ces bons que commeennemis n'a certainement connu que des ennemismchants, car ces mmes hommes qui, inter pares,sont si svrement tenus dans les bornes par lescoutumes, la vnration, l'usage, la gratitude etplus encore par la surveillance mutuelle et la jalou-sie

    et qui d'autre part, dans leurs relationsentre eux se montrent si ingnieux pour tout ce quiconcerne les gards, l'empire sur soi-mme, la dli-catesse, la fidlit, l'orgueil et l'amiti,

    ces mmeshommes, lorsqu'ils sont hors de leur cercle, l o%commencent les trangers ( Ytranger ), ne valentpas beaucoup mieux que des fauves dchans.Alors ils jouissentpleinement de l'affranchissementde toute contrainte sociale, ils se ddommagentdans les contres incultes de la tension 'que faitsubir toute longue rclusion, tout emprisonnementdans la paix de la communaut, ils retournent, )asimplicit de conscience du fauve, ils redeviennentdes monstres triomphants, qui sortent peut-tred'une ignoble srie de meurtres, d'incendies, deviols, d'excutions avec autant d'orgueil et de sr-nit d'me que s'il ne s'agissait que d'une escapade

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE

    d'tudiants, et persuads qu'ils ont fourni aux po-tes ample matire chanter et clbrer. Au fondde toutes ces races aristocratiques il est impossi-ble de ne pas reconnatre le fauve, la superbe bruteblonde rdant en qute de proie et de carnage ; cefond de bestialit cache a besoin, de temps entemps, d'un exutoire, il faut que la brute se montrede nouveau, qu'elle retourne sa terre inculte;

    aristocratie romaine, arabe, germanique ou japo-naise, hros homriques, vikings Scandinaves

    tous se valent pour ce qui est de ce besoin. Ce sontles races nobles qui ont laiss l'ide de barbare sur toutes les traces de leur passage; leur plushaut degr de cultureen trahit encore la conscienceet mme l'orgueil ( par exemple quand Pricls dit ses Athniens dans sa fameuse Oraison funbre :

    Notre audace s'est fray un passage par terreet par mer, s'levant partout d'imprissables mo-numents, en bien et en mal. Cette audace des races nobles, audace folle, absurde, spon-tane; la nature mme de leurs entreprises, im-prvues et invraisemblables

    Pricls clbresurtoutla py.0uj/(a desAthniens

    ; leur indiffrenceet leur mpris pour toutes les scurits du corps,pour la vie, le bientre; la gaiet terrible et la joie

  • LA GLNLALOGIE DE LA MORALE 59

    profonde qu'ils gotent toute destruction, tou-tes les volupts de la victoire et de la cruaut :

    tout cela se rsumait pour ceux qui en taient lesvictimes, dans l'image du

    barbare , de l'enne-

    mi mchant , de quelque chose comme le Van-dale . La mfiance profonde, glaciale, que l'Alle-mand inspire ds qu'il arrive au pouvoir

    et ill'inspire une fois dplus de nos jours est encorelin contre-coup de celte horreur insurmontable quependant des sicles l'Europe a prouve devant lesfureurs de la blonde brutegermanique ( quoiqu'ilexiste peine un jrapport de catgories, et encoremoinsune consanguinitentre les anciens Germainsel les Allemands d'aujourd'hui). J'ai dj attirl'attention sur l'embarras d'Hsiode lorsqu'il ima-gina la succession des ges de la civilisation el cher-cha les reprsenter par l'or, l'argent et l'airain;il ne put chapper autrement la contradiction quelui offrait le monde homrique, aussi magnifiquequ'horrible et brlai, qu'en divisant un ge en deuxparties qu'il fit se succder l'une l'autre :

    d'abordl'ge des hros et des demi-dieux de Troie et deTlibcs, tel que ce monde tait demeur dans l'ima-gination des races aristocratiques qui voyaientdansces hros leurs propres aeux ; ensuite, l'ge d'ai*

  • Oo LA GNALOGIE DE LA MORALE

    rain, c'est--dire le mme monde, tel qu'il appa-raissait aux descendants des opprims, des dpouil-ls, des violents, de ceux qu'on avait emmens etvendus comme esclaves : certes un ge d'airain,dur, froid, cruel, insensible, sans conscience, cra-sant tout et couvrant toutde son sang. Si l'on admetcomme vrai, ce qui aujourd'hui est tenu pour tel,que le sens de toute culture soit justement dedomestiquer le fauve humain , pour en faire, parl'levage,un animal apprivois el civilis, on devraitsans aucun doute considrer comme les vritablesinstruments de la culture tous ces instincts de rac-tion et de ressentimentpar quoi les races aristo-cratiques, tout comme leur idal, ont t, enfin decompte, humilies et domptes'; il est vrai que cecine signifierait pas encore que les reprsentants deces instincts fussent en mme temps ceux de la cul-ture Le contraire me parat aujourd'hui non seu-lement vraisemblable, mais vident. Ce sont ces hros des instincts d'abaissement et de haine,

    1 hritiers de tout ce qui en Europe o ailleurs taitn pour l'esclavage, ces rsidus d'lments pr-aryens en particulier

    ce sont eux qui reprsen-

    tent le recul do l'humanit 1 Ces instruments de laculture sont la honte de l'homme ils font mettre

  • L\ GNALOGIE DE LA M0RALL 6l

    en suspicion la culture mme et fournissent unargument contre elle. Il se peut qu'on ait parfaite-ment raison de ne pas cesser de craindre la bruteblonde qui est au fond de toutes les Taces aristo-cratiques et de se mettre en garde contre elle, maisqui n'aimerait pas cent fois mieux trembler de peurs'il peut admirer eh mme temps, que de n'avoirrien craindre, mais d'tre abreuv de dgot auspectacle d l'abtardissement, du rapetissement,de l'tiolemeiit, de l'intoxication quoi l'oeil nepeut se soustraire ? El n'est-ce pas l ce qui nousattend fatalement ? Qu'est-ce qui produit aujour-d'hui notre aversion pour l'homme ?

    Ciarl'homme est pour nous une cause de souffrance,cela n'est pas douteux.

    -

    Ce n'est pas la crainte,c'est bien plutt le fait que chez l'homme rien'nenous inspire plus la crainte ; que la basse vermine homme s'est mise en avant, s'est mise pullu-ler; que l'homme domestiqu , irrmdiable-ment mesquin et dbile, a dj commenc seconsidrer comme terme et expiession dfinitive,comme sens de l'histoire, comme homme sup-rieur

    ;

    oui) et encore qu'il ait un certain droit " se considrer comme tel en prsence de l'normeabtardissement, de la maladie, de lu lassitude, de

  • Cr> LA GNALOGIE DE LA MOnALE

    la snilit qui se sont mis gangrener l'Europe, se croire un tre relativement robuste, au moinsencore apte vivre et affirmer la vie..

    .

    12.

    Je ne puis ici touffer un soupir et refoulerun dernier espoir. Qu'est-ce donc qui m'est tout fait insuppoitable, particulirement moi? Dequoi ne puis-je absolument pas venir bout?Qu'est-ce qui me suffoque et m'abat ? Air vici 1 airvici ! Quelque chose de mal venu s'approche demoi ; faut-il que je respire les entrailles d'une memanque ?...Que ne supporle-t-on pas en fait demisres, de privations, d'intempries, d'infirmits,de soucis et d'isolements ? Au fond, nous pouvonsvenir bout de tout cela, tels que nous sommes,ns pour une existence souterraine, pour une vie decombat; on finit toujours par revenir la lumire,l'on a toujours son heure dore de victoire,

    etl'on se dresse alors, tel qu'on est n, infrangible,l'esprit tendu, prt atteindre des buts nouveaux,des buts plus difficiles, plus lointains, tenducomme un arc que l'eflorl ne fait que tendre davan-tage.

    Mais de temps en temps accordez-moi

    si du moins vous existez, par del le bien et le mal,

  • L4. GNALOGIE DE LA MORALE 03

    protectrices divines!

    accordez-moi un regard,que je puisse jeter sur quelque tre absolumentcomplet, russi jusqu'au bout, heureux, puissant,triomphant, de la part de qui il y ait encore quel-que chose craindre ! Un regard sur un hommequi justifie l'homme, sur un coup de bonheur quiapporte l'homme son complment et son salut,grce auquel on pourrait garder sa foi en l'hom-me !... Car voici ce qui en est : le rapetissement etle nivellement de l'homme europen cachent notreplus grand danger, ce spectacle rend l'me lasse...Nous ne voyons aujourd'hui rien qui permette dedevenir plus grand, nous pressentons que tout vaen s'abaissant, pour se rduire de plus en plus, quelque chose de plus mince, de plus iiioffensf, deplus prudent, de plus mdiocre, de plus indiffrentencore, jusqu'au superlatif des chinoiseries et desvertus chrtiennes,

    l'homme, n'en doutons pas,devient toujours meilleur ... Oui le destin fatalde l'Europe est l

    ayant cess de craindre l'hom-me, nous avons aussi cess de l'aimer, de le vnrer,d'esprer en lui, de vouloir avec lui, L'aspect del'homme nous lasse aujourd'hui,

    Qu'est-ce quele nihilisme, si ce n'est cette lassitude-l ?. Noussommes fatigus de Yliomme,*,

  • 64 LA GNALOGIE DL LA M0RALL

    i3.

    Mais revenons notre sujet : le problme deVautre origine du concept bon, du concept bon telque l'homme du ressentiment se l'est forg, attendune solution concluante. Que les agneaux aientl'horreur des grands oiseaux deproie, voil qui n'-tonnera personne : mais ce n'est point une raisond'en vouloir aux grands oiseaux de proie de cequ'ils ravissent les petits agneaux Et si les agneauxse disent entre eux : Ces oiseaux de proie sontmchants; et celui qui est un oiseau de proie aussipeu que possible, voire mme tout le contraire, unagneau

    celui-l ne serait-il pas bon?

    Iln'y aura rien objecter celte faon d'riger unidal, si ce n'est que les oiseauxde proie lui rpon-dront par un coup d'oeil quelque peu moqueur etse diront peut-tre : Nous ne leur en voulons pasdu tout, ces bons agneaux, nous lesaimons mme:rien n'est plus savoureux que la chair tendre d'unagneau, Exiger del force qu'elle ne se mani-feste pas comme telle. qu'elle ne soit pas une vo-lontde terrassereld'assujetlh\ue soifd'ennemis,de rsistance cl de triomphes, c'est tout aussi insen-

  • LA GNALOGIE DE L\ MORAI E 65

    sque d'exiger de la faiblessequ'elle manifestedelforce.Unejquantit de force dtermine rpond exac-tement la mme quantit d'instinct, de volont,d'action

    bien plus, la rsultante n'est pas autrechose que cet instinct, cette volont, cette actionmme, et il ne peut eu paratre autrement que grceaux sductions du langage (et des erreurs fonda-mentalesde la raison qui s'y sontfiges) qui tiennenttout effet pour conditionn parune cause efficiente,par un sujet etse mprennentencela.Demme,eneffet, quelepetiple spare la foudre de sonclatpourconsidrer l'clair comme une action particulire,manifestation d'un sujet qui s'appelle la foudre, demme la morale populaire spare aussi la force desellels de la force, comme si derrire l'homme fort,,il y avait Un slibstratum neutre qui serait libre demanifester la force ou non. Mais il n'y a point desubstratum de ce genre, il n'y a point d' tre derrire l'acte, l'effet et le devenir ; l'acteur n'at qu'ajout l'acte

    l'acte est tout. Le peupleddouble en somme l'effet d'un effet : il tient lemme phnomne d'abordpour une cause et ensuitepour l'effet de celte cause. Les physiciens ne fontpas mieux quand ils disent que laforceaclioiine,que la force produit Ici ou tel effet , et ainsi de

  • 66 LA GLNI ALOGIE DE LA MORALE

    suite ;

    noire science tout entire, malgr sonsang-froid, son absence de passion, se trouveencoresous le charme du langage et n'a pas pu se dbar-rasser de ces espaces de petits incubes imaginairesqui sont les sujets (l'atome est,par exemple, unde ces incubes, de mme la chose en soi deKanl).Quoi d'tonnant si les passions rentres couvantsous la cendre, si la soif de vengeance et la haineutilisent cette croyance leur profit, pour soutenir,avec une ferveur toute particulire, ce dogme quiaffirme qu'il est loisible au fort de devenir faible, l'oiseau de proie de se faire agneau :, on s'arrogeainsi le droit de demander compte l'oiseaude proiede ce qu'il est oiseau de proie... Lorsque les oppri-ms, les crass, les asservis, sous l'empire de laruse vindicative de l'impuissance, se mettent dire: Soyons le contraire des mchants, c'est--direbons! Estbon quiconquene fait violencepersonne,quiconque n'offense, ni n'attaqup, n'use pas de re-prsailles et laisse Dieu le soin de la vengeance,quiconque se tient cach comme nous, vite la ren-contre du mal et du reste attend peu de chose de lavie, comme nous, les patients, les humbles el lesjustes. Tout celaveut dire en somme, l'couterfroidement et sans parti pris : Nous les faibles.

  • LA GNALOGIE DE LA MORALE C'J

    nous sommes dcidment faibles ; nous ferons doncbien de ne rien faire de tout ce pour quoi nous nesommespas assez forts.

    Mais celte constata-lion amre, cetteprudence de qualit trs infrieureque possde mme l'insecte (qui, en cas de granddanger, fait le mort, pour ne rien faire de trop),grce ce faux monnayage, cette impuissantedu-perie de soi, a pris les dehors pompeux de la vertuqui sait attendre, qui renonce et qui se tait, commesi la faiblesse mme du faible

    c'est--dire sonessence, son activit, toute sa ralit unique, invi-table et indlbiletailunaccomplissementlibre,quelque chose de volontairement choisi, un actede mrite. Cette espce d'homme a un besoin de foiau sujet neutre, dou du libre-arbitre, et celapar un instinct de conservation personnelle,d'affir-mation de soi, par quoi lotit mensonge cherched'ordinaire se justifier Le sujet (ou, pour parlerle langage populaire, Yume) est peut-tre rest jus-qu'ici l'article de foi le plus inbranlable, par cetteraison qu'il permet lagrandemajoiitdesmorlels,aux faibles et aux opprims de toute espce, cettesublime duperie de soi qui consiste tenir lafaiblesse elle-mme pour une libert, tel on teltat ncessaire pour un mrite

  • 68 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    i4.

    Quelqu'un veut-il plonger son regard jusqu'aufonddu mystre,o secache \afabricationdel'idalsur la terre ? Qui donc en aura le courage !

    Ehbien, regardez ! Voici une chappe sur celle tn-breuse usine. Mais attendez encore un moment,Monsieur le tmraire: il faut d'abordque votre oeils'habitue cefaux jour, cette lumirechangeante...Vous y tes ! Bon! Parlez maintenant! Quesepasse-l-il dans ces profondeurs? Dites-moi ce que vousvoyez, homme des plus dangereuses curiosits !

    C'est moi maintenant qui vous coute

    Je ne vois rien, mais je n'entends quemieux... C'est une rumeur circonspecte, un chu-chotement peine perceptible, un murmure sour-nois qui part de tous les coins cl les recoins. Il mesemble qu'on ment ; une douceur mielleuse engluechaque son. Un mensonge doit transformer la fai-blesse en mrite, cela n'est pas douteux -il en estcomme vous l'avez dt >

    Aprs !

    Et l'impuissance qui n'use pas de reprsail-les devient, par un mensonge, la bont ; la

  • LA GNALOGIE DE LA MORALE 69

    craintive bassesse, humilit ; la soumission ceux qu'on hait, obissance (c'est--dire l'obis-sance quelqu'un dont ils disent qu'il ordonnecelte soumission,

    ils l'appellent Dieu). Ce qu'ily a d'inoffensif chez l'tre faible, sa lchet, cettelchet dont il est riche et qui chez lui fait anti-chambre, et attend -la porte, invitablement, cettelchet se pare ici d'un nom bien sonnant et's'ap-pelle patience , parfois mme vertu , sansplus ; ne pas pouvoir se venger devient ne pasvouloir se venger et parfois mme le pardon desoffenses ( car ils ne savent pas ce qu'ils font

    nous seuls savons ce qu'ils font ! ) On parle ausside l'amour de ses ennemis

    et l'on suc grosses gouttes.

    Aprs !

    Ils sont misrables, sans doute, tous cesmarmotteurs de prires, tons ces faux monnayeurs,quoiquetapis au fond de leurs recoins,ils selicnnentchaud;

    mais ils prtendent que Dieu les a dis-tingus et lus grce leur misre; ne fouaille-t-onpas les chiens que l'on aime le plus? Peut-tre cettemisre est-elle aussi une prparation, un temps d'-preuve, unenseigiiemenl, peut-tre davantageencore

    quelque chose qui trouvera un jour sa compen-

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE

    salion, qui sera rendu au centuple, un taux nor-me, en or, non ! en bonheur. C'est ce qu'ils appel-lent la flicit ternelle .

    Aprs!

    Maintenant ils me donnent entendre que

    non seulementils sontmeilleursquelespuissants,lesmatres du mondedont ils doivent lcher les crachats(non pas par crainte, oh ! point du tout par crain-te ! mais parce que Dieu ordonne d'honorer toutesles autorits)

    , que non seulement ils sont meil-leurs, mais encore que leur part est meilleure ou dumoins qu'elle le sera un jour. Mais assez 1 assez !Je n'y tiens plus. De l'air! De l'air!' Cette officineo l'on fabrique l'idal, il me semble qu'elle sentle mensonge plein nez.

    Halle | Un instant encore ! Vous n'avezrien dit encore de ces virtuoses de-la magie noirequi savent ramener le noir le plus pais la blan-cheur du lat cl de l'innocence :

    n'avez-vous

    pas remarqu ce qui fait leur perfection dans leraffinement, leur louche d'arliste la plus hardie, laplus subtile, la plus spirituelle, la plus menson-gre ? Prenez-y bien garde I Ces lrcs souterrainsgonlls de vengeance et de haine

    que font-ilsde celle vengeance el de celle haine? Avcz-vous

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE 71

    jamais entendu un pareil langage ? A n'en croireque leurs paroles, vous seriez-vous dout que vousvous trouviez au milieu de tous ces hommes duressentiment?...

    Je vous entends et j'ouvre de nouveau lesoreilles (hlas ! trois fois hlas! et me voil derechefoblig de me boucher le nez !) Ce n'est qu' prsentque je saisis ce qu'ils ont rpt tant de fois:* Nousautres bons nous sommes les justes ce qu'ilsdemandent, ils ne l'appellent pas reprsailles, maisbien

    le triomphe de la justice ; ce qu'ils has-sent, ce n'est pas leur ennemi, non! ils hassentl' injustice , l' impit ; ils croient et esprent,non pas en la vengeance, en l'ivresse de la doucevengeance ( plus douce que le miel , disaitdj Homre), mais bien en la victoire de Dieu,du Dieu de justicesur les impies;ce qu'il leur reste aimer sur terre, ce ne sont pas leurs frres dansla haine, mais, ce qti^ils disent, leurs frres enamour , tous les bons el les justes de la terre.

    Etcomment appellent-ils cequileursertdefichede consolation dans toules les peines de l'existence

    leur fantasmagorie elleur anticipation de la ba-titude venir ?

    Comment ? Est-ce que j'ai bien entendu? Ils6

  • 7^ LA GENLALOGIE DE LA MORALE

    appellent cela le jugement dernier ,la venue deleur rgne, du rgne de Dieu

    mais, en atten-dant, ils vivent dans la foi , l'esprance et la charit .

    Assez ! Assez !

    i5.

    Dans la foi en quoi ? Dans l'amour, dans l'esp-rance de quoi ?

    Ces faibles, eux aussi, veu-

    lent tre quelque jour les forts, il n'y a pas endouter, leur

    rgne doit aussi venir quelquejor

    c'est ce qui chez eux, rptons-le, s'appelle toutsimplement

    le rgne deDieu :ils sontsi humbles

    en toutes choses ! Rien que pour voir cela, pourvivre cela, il est ncessaire de vivre long temps, pardel la mort,

    oui, il faut la vie ternelle, afinqu'on puisse se ddommager ternellement, dans le rgne de Dieu,decetle existence terrestre passedans la foi,l'esprance et la charit. Se ddom-mager de quoi et par quoi ? Le Dante s'est, cequ'il me semble, grossirement mpris, lorsque,a\ec une ingnuit qui fait frissonner, il grava au-dessus de la porte de son enfer cette inscription :

    Moi aussi, l'amour ternel m'a cr

    Aii'des-

  • LA GNALOGIE DE LA MORALE 73

    sus de la porte du paradis chrtien et de sa ba-titude ternelle , on pourrait crire, en tous lescas meilleur droit: Moi aussi, la haine ternellem'a cr

    en admettantqu'unevrit puissebril-ler au-dessus de la porte qui mne un mensonge !Car qu'est-ce doncque labatitude de ceparadis?...Peut-tre pourrions-nous dj le deviner ; niais ilvaut mieux donner la parole une indiscutable au-torit en telle matire, au grand matre saint Tho-mas d'Aquin. Beati in regno coelesti, dit-il avecla douceur d'un agneau, videbunt poenas damna-torum, ut beatitudo illis magis complaceat. Oubien veut-on entendre quelque chose d'un ton plusviolent, la parole d'un pre de l'glise triomphantqui dconseillait ses fidles les volupts cruellesdes spectacles publics?

    > et pourquoi ? La foi,dit-il, De speclac. c,2g ss,

    ,la foi nous offre bien

    davantage, quelque chose de beaucoup plus fort;grceau salut parleChristnous avons notre portedes joies bien suprieures; en place des athltesnous avons nos martyrs ; nous faul^il du sang, ehbien! elcelui du Christ?. Mais qu'est tout cela cl de ce qui nous attend le jour de son retour, lejour de son triomphe ?

    Et voil ce visionnaireexlalique qui continue

    .

    Ai enim supersunt ala

  • 74 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    spectacula, ille ultimus et perpetuus judicii dies,ille nationibus inspiratus, ille derisus, cum tantasoeculi vetustas et tt ejus nativitates uno ignhaurientur. Quoe tune spectaculi latitudot Quidadmirer ! Quid rideam! Ubi gaudeam! Ubi exul-tem, spectans tt et tantos reges, qui in coelumrecepti nuntiabantur, cum ipso Jove et ipsi suistestibus in imis tenebris congemescentes ! Itemproesides (les gouverneurs des provinces)persecu-tores dominici nominis soevioribus quant ipsi

    flammis soevierunt insultantibus contra Ghristia-nos liquescentes! Quos proeterea sapientes, illosphilosophos coram discipulis suis una conflagrdn-ius erubescentes, quibus nihil at deum pertineresuadebant, quibus animas aut nullas aut non inprislina corpora redituras affirmabant! Etiampo'tas non ad Rhadamanti neo ad Minois, sed adinopinali Ghristi tribunalpalpitantes ! Tummagistragoedi audiendi, magis scilicet vocales (mieuxen voix, braillardsencore plus terribles)m suapro-pria calamitate; tune histriones cognoscendi, so-lutiores mullo per ignem ; tune spectandus atlrigainflammea rota totusrubens^luncxystici contem-platidi non ingymnasiis,sed injgnejacutali,nisiquod ne tune quidem illos velim vivos^ul qui ma-

  • LA GNLAI0G1E DE LA MORALE 76

    Uni ad eospotius conspectuminsatiabilemconferre,qui indominumdesoevierunt. Hic est ille, dicam,fabn aut quoestuarioefilius ( partir de cet endroitTertullien entend parler des Juifs comme le prouvetout ce qui suit et en particuliercette dsignation dela mre deJsus, connue d'aprsle Talmud),sa66afr:destructor, Samarites et doemonium habens. Hicest, quem a Juda redemistis, hic est ille arundineet colaphis diverberatus, spuntamentis dedecora-tus,felle et aceto potatus. Hic est, quem clam dis-centes subripuerunt, ut resurrexisse dicatur velhortulanus detraxit, ne lactacoe suoe frequentiacommeantium loederentur, Ut talia specteS) uttalibus exultes, quis tibi proetor aut consul autquoestor aut sacerdos de sua liberalitale proesta-bit ? Et tamen hoec jam habemus quodammbdoperfidemspiritu imaginantereprssentata,Ceterumqualia illa sunt,quoe necoculusvidit nec auris au-divit nec incorhominisascenderunt? (I, Cor. 11.9)"Gredo circo et utraque cavea (premire et deu-xime galerie, ou, selon d'autres, la scne comiqueet la scne tragique) etomni stadio gratiotru Perfidem : car ainsi il est crit.

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    l6.

    Ai rivons notre conclusion. Les deux valeursopposes bon et mauvais , bien et mal sesont livr en ce monde, pendantdes milliersd'annes,un combat long et terrible ; et bien que depuislongtemps la seconde valeur l'ait emport, aujour-d'hui encore il ne manque pas d'endroits o la luttese poursuit avec des chances diverses. On pourraitmme dire que, depuis lors, elle a t porte toujoursplushautet que, parce fait, elle est devenuetoujoursplus spirituelle : en sorte qu'il n'y a peut-tre pasaujourd'hui de signe plus distinclif pour reconna-tre une nature suprieure,une naturede haute intel-leclualll que la rencontre de celte antinomie dansces cerveaux qui prsentent pour de telles ides unvritable champde bataille. Le symbole de celle luttetrace dans des caractres rests lisibles au-dessusde toute l'histoire de l'humanit c'est Rome con-tre la Jude, la Jude contre Rome .

    Il n'yeut point jusqu' ce jour d'vnement plus consi-drable que cette lutte, cette mise en question, ceconflit mortel. Rome sentait dans le Juif quelquechose comme une nature oppose la sienne, un

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE 77

    monstre plac son antipode ; Rome, on consi-drait le Juif comme un tre convaincu de hainecontre le genre humain : avec raison, si c'estavec raison qui l'on voit le salut et l'avenir de l'hu-manit dans la domination absolue des valeursaristocratiques, des valeurs romaines. Quels senti-ments prouvaient par contre les Juifs l'gard deRome ? Mille indices nous permettent de le devi-ner, mais il suffit de se remettre en mmoire l'Apo-calypse de saint Jean, le plus sauvage des atten-tais crits que la vengeance ait sur la conscience.(11 ne faudrait d'ailleurs pas estimer trop bas lalogique profonde de l'instinct chrtien pour avoirassoci prcisment ce livre de haine au nom dudisciple d'amour, ce mme disciple quion attribuala paternit de l'vangile d'amoureuse exaltation

    il y a l une part de vrit, quelle que soit d'ail-leurs l'normil de la falsification littraire miseen oeuvre pour atteindre ce but.) Les Romainstaient les forts et les nobles, ils l'taient un pointque jamais jusqu' prsent sur la terre il n'y a euplus foi t et plus noble, mme en rve ; chaque ves-tige de leur domination,jusqu' la moindre inscrip-tion, procure du ravissement, en admettant que l'onsache deviner quelle main tait l'oeuvre. Les

  • 7 LA GLNLALOGIE DE LA MORALE

    Juifs, au contraire, taient ce peuple sacerdotal duressentiment par excellence, un peuple qui poss-dait dans la morale populaire une gnialil qui n'apas son gale : il suffira de comparer aux Juifs despeuples dous de qualits voisines, comme parexemple les Chinois et les Allemands, pour discer-ner ce qui est de premier ordre et ce qui est decinquime ordre. Lequel des deux peuples a vaincuprovisoirement, Rome ou la Jude ? Mais la r-ponse n'est point douteuse ; que l'on songe pluttdevant qui aujourd'hui, Romemme, on se courbecomme devant le substratum de toutes les valeurssuprieures- cl non seulement Rome, mais sur'toute une moiti de la terre, partout o l'hommeest domestiqu ou tend l'tredevant trois Juifson ne l'ignore pas, el devant unejuive (devant Jsusde Nazareth, devant le pcheur Pierre, devantPaul qui faisait des tentes et devant la mre dususdit Jsus, nomme Marie) Voil un fait bienremarquable : sans aucun doute, Rome a t vain-cue. Il est vrai qu'il y a eu pendant la Renais-sance un i veil superbe et inquitant de l'idalclassique, de l'valuation noble de toutes choses :la Rome ancienne, elle-mme,, se met s'agitercomme si elle se i veillait d'une lthargie, crase,

  • LA GENEALOGIE DE LA MORALE 79

    comme elle l'tait, par une Rome nouvelle, cetteRome judase, difie sur des ruines,qui prsentaitl'aspect d'une synagogue oecumnique et que l'onappelait glise : mais aussitt la Jude se mit triompher de nouveau, grce ce mouvement deressentiment (allemand et anglais) foncirementplbien que l'on "appelle la Rforme, sans oublierce qui devrait en sortir, la restauration de Fglise,

    et aussi le rtablissement du silence de tombeausur la Rome classique. Dans un sens plus dcisif,plus radical encore, la Jude remporta une nouvellevictoire sur l'idal classique, avec la Rvolutionfranaise

    : c'est alors que la dernire noblesse poli-tique qui subsistait encore en Europe, celle des dix-septimeet dix-huitime sicles franais, s'effondrasous le coup des instincts populaires du ressenti-ment,

  • 80 LA GNALOGIE DE LA MORALE

    en face du mot d'ordre mensonger du ressentimentqui affirme la prrogative du plus grand nombre,en face de la volont de l'abaissement, de l'avilis-sement, du nivellement et de la dchance, en facedu crpuscule des hommes, le terrible et enchan-teur mot d'ordre contraire de la prrogative dupetit nombre! Comme une dernire indication del'autre voie apparut Napolon, homme unique eltardif si jamais il en fut, et par lui le problmeincarn de Yidal noble par excellence

    qu'onrflchisse bien au pioblme que cela est : Napo-lon, celle synthse de Yinhumain et du sur-humain /,..

    I7-

    C'en tait-il fait partir de celte poque? Celteantithse dans l'idal, grandiose cnlrc toutes, fut-elle pour jamais relgue ad acta? ou bien ajour-ne une poque lointaine ?., Ne verra-t-on pasquelque jour le vieil incendie se ranimer avecplus de violence encore parce qu'il al si longtempscontenu? Bien plus: ne devons-nous pas dsirer celade toutes nos forces ? le vouloirmme ? Ne devons-nous pas y contribuer?... Celui qui, en cet endroit1,

  • LA GNALOGIE DE LA MORALE 8l

    se met rflchir, comme font mes lecteurs, appro-fondir sa pense, aura de la peine en venir bout;

    c'est pour moi une raison suffisante pour en finirmoi-mme, car j'aime croirequedepuis longtempson a devin ce que je veux, ce que j'entends parcemot d'ordre dangereux que j'ai mis en tte de mondernier ouvrage: "Par del le Bien et le Mal ...Cela ne veut du moins pas dire Par del le Bonet le Mauvais .

    REMARQUE.

    Je saisis l'occasion que m'offrecette premiredis-sei talion pour exprimer publiquement el foimellcmenlun voeudontjusqu' prsent je n'ai fait part qu' quelqnes savants, ail hasarddes convelsalions. Il serait dsirable qu'une facilit de philosophie,par une srie de concours acadmiques, se rendt utile la propaga-tion des tudes d'histoire de la morale.1 peut-tre ce livre sciu'ra-t-il donner une impulsion rigoureuse dans celle direction, En pi-\ibion del ralisation de ce \oe\i, je propose la question suhante(elle mritel'attention des philologues et des histoiens, non moinsque celle des philosophes de profession) :

    Quelles indications nous sont fournies, par la linguis-tique et tout pditietihremeiit par les recherches tljmolo-gques,pourlMistoircdel'\o)ulion des conceptsmoraux?

    D'autre part il serait non moins ncessaire de gagner l'tudede ces problmes lapai ticipalion des physiologistes eldis mdecins(je \eu.\ dire les pioblmes del valeur desappiteialions qiionleucours jusqu'ici). Dans ce easpailiculier,comme dan>-d'aulrts cas, onpouira laisser jouer aux philosophes de mtier le lole de polie pa-oles et de mtdiateuts, apns qu'ils ont itussi tiansfoimei lesappoits pleins de mfiance qui existaient eiilte la philo*-o| liic, laphj biologie et la mdecine en un sjmpathique tt liuctueux (.changed'ides, lin ellet, il faudrait, aralil loul, que toulis lis tables des\alours,, tous les iinpiiatifs, dont pailent Ihsloiieet lis itudes

  • LA CKMAIOG DE LA MORAIE

    ethnologiques, fussent cclaiis el expliques par leur ct physiolo-gique a\anl qu'on essaie de les interprter par la psychologie ; ils'agirait en outie de les soumettre un ex