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NOTE SUR LE TEMPLE DE JÉRUSALEM Author(s): M. de Vogüé Source: Revue Archéologique, Nouvelle Série, Vol. 7 (Janvier à Juin 1863), pp. 281-292 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41734191 . Accessed: 22/05/2014 12:06 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 193.105.154.67 on Thu, 22 May 2014 12:06:16 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

NOTE SUR LE TEMPLE DE JÉRUSALEM

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NOTE SUR LE TEMPLE DE JÉRUSALEMAuthor(s): M. de VogüéSource: Revue Archéologique, Nouvelle Série, Vol. 7 (Janvier à Juin 1863), pp. 281-292Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41734191 .

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NOTE

SUR

LE TEMPLE DE JÉRUSALEM (,)

Messieurs,

Dans une des dernières séances, j'ai eu l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie la collection de dessins que j'ai rapportée de Jérusalem. Je voudrais aujourd'hui résumer en quelques pages ra- pides l'ensemble des faits dont ces dessins sont la constatation et la preuve. Comme vous avez pu le voir, mes conclusions diffèrent sou- vent de celles d'un savant que je considère comme mon maître, et dont les conseils ont dirigé mes premiers pas sur la terre de Syrie. Je lui dois, ainsi qu'à vous, de soumettre au contrôle de votre juge- ment les raisons pour lesquelles j'ai été conduit à me séparer de lui : ces raisons, je me hâte de le dire, sont puisées à un ordre de recherches qui lui a été interdit. C'est en effet l'intérieur du Haram- ech-Chérif qui m'a fourni les éléments d'une étude sérieuse et complète des ruines du temple. Il y a dix ans, aucun chrétien ne pouvait y pénétrer : il est donc facile de comprendre que la science la plus éclairée n'ait pu suppléer à l'insuffisance des renseigne- ments.

Je n'en veux citer ici qu'un exemple : celui de la porte Dorée. Vue du dehors, elle paraît être un débris de l'ancien temple : mais il suffit de pénétrer dans le Haram pour se convaincre du contraire : un simple coup d'œil démontre qu'elle n'a jamais pu faire partie de l'enceinte primitive. En effet, c'est un petit monument complet, orné sur ses quatre façades, c'est-à-dire construit pour être isolé; de

plus, situé à six mètres en contre-bas de la plate-forme qui formait autrefois le parvis extérieur du temple. Il est donc évident qu'il a

(1) Lue à l'Académie des inscrip. et belles-lettre», dans la séance du 27 mars 1863. VII. - Hai 1863. 19

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282 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. été bâti après la destruction de la plate-forme, de la terrasse qui la soutenait à l'est, et des portiques qui la couronnaient. Devant ce fait matériel tombent toutes les tentatives faites pour établir une relation quelconque entre la porte Dorée et le temple de Jérusalem, mais il était impossible de s'en rendre compte sans entrer dans l'enceinte. J'en dirai autant des grandes substructions situées au sud du Haram, et dont le véri table caractère m'a été révélé par la vue de leur dispo- sition intérieure.

Parce qui précède, on voit déjà que c'est l'étude du terrain et des monuments, bien plus que celle des textes, qui m'a fourni les élé- ments d'une discussion nouvelle. Je passerai donc rapidement sur les assertions exagérées et contradictoires de Josèphe, le seul écri- vain qui puisse avoir quelque autorité dans cette question, car je ne saurais accorder aucune valeur archéologique à des vers de Prudence, écrits au ive siècle, en Italie, dans un sens généralement mystique ou figuré, et qui, même en les prenant au propre, ne signifient qu'une chose : c'est qu'à cette époque il restait des débris du temple de Jérusalem, ce que personne ne songe à contester. J'en dirai autant d'Eusèbe, du Pèlerin de Bordeaux, de saint Jérôme. Ils ont vu au ive siècle ce que nous voyons au xix®, les grandes substructions du mont Moriah : ils les ont, ainsi que nous et avec raison, considérées comme les restes du temple, mais ils ne jettent aucune lumière sur la question qui nous occupe, c'est-à-dire sur la question de savoir si ces débris, vus par eux et par nous, proviennent du temple d'Hérode ou de celui de Salomon.

Josèphe seul peut donc nous être utile, parce qu'il a vu les tra- vaux d'Hérode soixante-dix ans environ après leur achèvement, et qu'il a pu constater par ses yeux quelles étaient les portions de l'en- ceinte primitive qui avaient été conservées. Malheureusement ses récits sont empreints d'une grande exagération. Peut-on, en effet, prendre au sérieux des descriptions de murs de trois et quatre cents coudées de haut, bâtis avec des pierres de vingt-cinq coudées de lon- gueur sur douze de hauteur et huit de profondeur? Que si on les prend au sérieux, les contradictions surgissent à chaque ligne. Nous allons Je constater rapidement en les comparant d'abord avec la forme du terrain et la nature des ruines, ensuite en les comparant entre elles.

La hauteur totale du mont Moriah, au-dessus de la vallée orientale, étant, dans sa plus grande profondeur, de soixante-dix mètres envi- ron, on ne comprend pas comment il a fallu entourer le sommet de la montagne d'une terrasse de deux cents mètres de haut. Josèphe

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parle d'un mar construit en blocs gigantesques, reliés par des arma- tures de fer, soutenant un terre-plein massif : or, les substructions encore visibles appartiennent à un mur dont les pierres, excepté dans les angles, n'excèdent pas les dimensions ordinaires du grand appareil gréco-romain, sans armatures de fer, et qui soutient un système de voûtes et de chambres intérieures. Josèphe parle d'une enceinte de quatre stades, c'est-à-dire de moins de huit cents mètres, et celle que nous voyons a plus de quinze cents mètres de circuit.

Comparés entre eux, les textes de Josèphe offrent les mêmes contradictions ; et, en choisissant bien les passages, il ne serait pas impossible de prouver par Josèphe que les substructions du Haram ne peuvent pas être de Salomon. Ainsi, il dit expressément ( B . V, 5, i) que Salomon n'avait fait que commencer la plate-forme du temple et bâtir la terrasse de l'est, laissant les autres faces nues, fopóv; que le reste de l'enceinte fut l'œuvre de longs siècles, et parmi ces siècles il compte celui d'Hérode, car ce passage se trouve dans la description du temple au moment du siège de Titus. (Jn autre passage (A. J., XX, ix, 7), relatif au roi Agrippa, permet une conclusion analogue, tandis que la grande description du onzième chapitre est légitimement invoquée à l'appui d'une opinion contraire.

Le plus sage est donc de ne pas s'appuyer sur des textes qui peu- vent à volonté fournir des arguments si opposés, et de ne leur demander que ce qu'ils peuvent donner, c'est-à-dire des indications générales. La seule chose qui me paraisse pouvoir être tirée de l'ensemble des assertions de Josèphe et de leur comparaison avec les versets 2, 3 et 11 du me chapitre des Actes des Apôtres, c'est la suivante : Dans les grandes démolitions ordonnées par Hérode pour asseoir ses nouvelles constructions, on aurait respecté le mur oriental et son portique, et, après l'achèvement des travaux, Agrippa aurait refusé de le renouveler, comme sans doute on avait renouvelé le reste. Ce mur, débris du temple antérieur à Hérode, portait dans la langue populairô le nom de Salomon, comme aujourd'hui encore toute ruine antique est attribuée par le vulgaire, en Syrie à Salomon, en France à César. La tradition dans ce cas avait-elle raison, avait- elle tort? C'est ce qu'il nous est impossible de décider, car de ce mur oriental il ne reste pour ainsi dire rien. Il est à remarquer que le grand appareil à bossages, si caractéristique, ne se trouve précisé- ment pas sur la face orientale du Haram, si ce n'est aux deux angles extrêmes où il peut être considéré comme le raccordement des nou- veaux travaux avec les anciens. Toute la terrasse intermédiaire n'est qu'un assemblage informe des maçonneries les plus variées, appa-

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284 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. reils de toute nature et de tout âge, élevés sans méthode dans des alignements divers et sans cesse interrompus. Parmi les matériaux de toute provenance dont se compose cette terrasse, se trouvent de grands blocs, grossièrement taillés, et sans aucun rapport avec les belles assises des autres faces. Faut-il les considérer comme provenant de la construction primitive ? Cela n'est pas impossible, quoique pour ma part j'aie de la peine à voir dans ces pierres informes les beaux matériaux mentionnés par la Bible. Toujours est-il que, d'après Josèphe lui-même, c'est là, à l'est, qu'il faudrait cherchér Salomon, et qu'on le trouvera sans doute quand on aura pu fouiller le sol, et découvrir sous la maçonnerie moderne les fondations du temple primitif.

J'ai hâte de revenir sur un terrain plus solide, et de quitter les hypothèses pour les faits. Dans celte voie je n'ai qu'à me laisser guider par M. de Saulcy : avec sa sagacité ordinaire, il a reconnu que les divers appareils du mur d'enceinte étaient superposés chro- nologiquement comme des couches géologiques, et jeté ainsi les bases d'une classification vraiment scientifique. Parmi ces stratifica- tions archéologiques, il a surtout distingué deux systèmes, qui sont en effet les principaux : l'un, le plus ancien, que j'appellerai avec lui le grand appareil; l'autre, le système de la porte Dorée. Ce sont les seuls qui doivent nous occuper ici, car seuls ils constituent un système : les autres appareils sont des raccommodages de toutes les époques, depuis les Romains jusqu'aux Turcs. Je devrais pourtant excepter de cette exclusion le système arabe primitif, contemporain des travaux de la mosquée d'Omar et de la première mosquée El- Aksa: c'est un ensemble très-grand et très-complet, mais dont l'étude nous entraînerait au delà des limites de cette communication. Je dirai, pour ne plus y revenir, qu'il comprend le grand réseau des substructions voûtées de l'angle sud-est, et la plus grande partie du rempart moderne.

Je reviens aux deux ensembles antiques. Le premier est surtout caractérisé par le grand appareil dit à bossage, et déjà si souvent décrit. Je ne puis entrer ici dans tous les détails dont nous avons été obligés de nous rendre compte, afin de bien préciser la nature de cet appareil, et nous permettre de le reconnaître partout où il se ren- contre : mais comme, à mon avis, la cause principale des divergences qui se sont produites réside dans le vague des définitions, je dois donner quelques explications.

Le travail en bossage est, à proprement parler, un moyen rapide et économique d'appareiller un mur, eu laissant brut le champ de la

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pierre et en ne layant que les bords. Ce procédé a été employé de tout temps par les Grecs, les Romains, les Gothiques, les Arabes, les Florentins. Il a surtout été- appliqué aux constructions qui devaient avoir un aspect sévère et offrir à l'esprit une idée de force et de résistance, telles que soubassements, murs de soutène- ment, d'enceinte ou de fortifications. Parmi les monuments grecs où il se rencontre, je citerai particulièrement le soubassement du temple d'Agrigente, celui de la lanterne de Démosthènes, et les murs de la ville de Messène. Le bossage, même quand il n'est destiné qu'à varier la surface d'un mur, a toujours une assez forte saillie, qu'elle soit lisse ou historiée.

Du bossage dérive un motif de décoration auquel les architectes ont donné le nom de refend : c'est une rainure peu profonde qui encadre la pierre uniformément layée, et accuse fortement les lits et joints. Les Romains ont été très-prodigues de ce procédé; ils l'ont appliqué non-seulement au marbre comme dans le temple de Vesta à Rome, mais au stuc comme dans les appareils simulés qui recouvrent les temples et la plupart des maisons de Pompéi.

Cette distinction était nécessaire à établir, car à Jérusalem les deux procédés se trouvent en présence : les murs gothiques, arabes et certains murs romains sont à bossages , mais le grand appareil du Haram est à refends : chaque pierre, layée avec le plus grand soin sur toute sa surface, est entourée d'une rainure de six à dix centi- mètres de largeur sur deux et demi de profondeur. Le champ est donc très-peu saillant, et ce qui le distingue encore, c'est qu'il est entouré d'une ciselure, bande sans profondeur qui a servi à régler le travail du tailleur de pierre. Je dirai en passant que cet appareil est celui dela tour de David, où il est inachevé; de l'enceinte de la

mosquée d'Hèbron, et du mur judaïque que j'ai déblayé à l'est du

Saint-Sépulcre. Le caractère principal du premier système de l'en- ceinte du Haram est donc l'appareil à refends et à ciselures. En outre, dans les portions du mur qui sont en terrasse, les assises ont un

fruit , variable suivant l'effort à supporter, mais qui n'excède pas cinq centimètres (1).

Le second système a pour caractère un appareil moins grand que le précédent, mais grand néanmoins, soigné, sans refends ni cise- lures : dans les portions en terrasse le fruit est plus marqué et varie de quatre à treize centimètres.

(1) Les murs de la tour de David, d'Hébron et le troisième fragment que j'ai cité n'ont pas de fruit : ce ne sont pas des terrasses.

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Le premier système comprend tous les soubassements de la face sud, les angles sud-est et nord-est jusqu'à une certaine hauteur, puis les assises inférieures de la face ouest, depuis l'angle sud-ouest jusques et y compris lemur devant lequel les Juifs vont pleurer. Les chambranles intérieurs de la porte Dorée appartiennent aussi à ce système, s'ils ne sont plus anciens. Trois portes s'ouvrent dans ces substructions et s'accordent avec elles par leur apparence monumen- tale, par le style sévère de leurs baies rectangulaires et de leurs linteaux monolithes. L'une à l'ouest, que nous nommerons la porté occidentale , et qui est située directement sous la porte moderne des Maugrabins; deux au sud, que nous appellerons la double et la triple porte, la première située sous la mosquée El-Aksa, la seconde un peu plus à l'est. Ces portes étaient de plain-pied avec l'extérieur, mais souterraines par rapport au terre-plein intérieur. Après les avoir franchies, on trouvait un vestibule voûté, puis des rampes qui conduisaient à la plate-forme. La porte primitive qui a été remplacée par la porte Dorée était disposée de même, car son seuil est sensi- blement au même niveau que ceux de la double et de la triple porte, c'est-à-dire à six mètres environ en contre-bas de la plate-forme dont la hauteur est indiquée par la surface aplanie du rocher.

Le pont qui reliait le temple au mont Sion appartient au même ensemble : les arrachements de la première arche, engagés dans le grand appareil, font corps avec lui. En développant la courbe, dont l'amorce seule est conservée, on arrive à placer le tablier du pont précisément à la hauteur de la grande plate-forme du rocher. L'espace demeuré vide entre l'extrémité irrégulière du roc et le mur de sou- tènement de la face sud, était rempli par de grandes voûtes construites comme le pont, c'est-à-dire en berceaux formés de très- gros blocs. On voit encore, à l'intérieur de l'angle sud-est, les som- miers de deux étages de ces voûtes; les chambres qu'elles cou- vraient étaient éclairées par des fenêtres disposées absolument comme les portes, c'est-à-dire en baies rectangulaires très-simples, accolées et séparées par des trumeaux unis à l'extérieur, or nés à l'intérieur d'une colonne engagée. En voyant l'aspect sévère et simple de tout ce système, on ne peut s'empêcher de songer à la phrase de Josèphe décrivant l'enceinte bâtie par Hérode : A l'extérieur , dit-il, il n'y avait ni peinture ni sculpture d'aucune espèce.

Le deuxième système comprend la porte Dorée dans sa forme actuelle, le remaniement de la double porte, la belle terrasse qui au sud supporte la mosquée El-Aksa et la mosquée d'Abou-Bekr, les assises qui à l'ouest reposent sur le mur où pleurent les Juifs et qui

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reparaissent encore un peu plus au tiord, près de la porte dite Bab- el-Hadid.

M. de Saulcy a parfaitement reconnu ces deux systèmes, leurs limites et leur succession chronologique; mais, jugeant d'après les éléments qu'il avait à sa disposition que le deuxième était du temps d'Hérode, il était logiquement conduit à considérer le premier comme étant de Salomon, le seul roi qui, avant Hérode, ait fait exécuter un grand travail d'ensemble. Aujourd'hui, les éléments nouveaux que j'apporte m'obligent à changer le point de départ de l'échelle chronologique, en me permettant de démontrer rigoureusement l'âge de la porte Dorée et de tout le système qui s'y rattache.

Ainsi que je l'ai dit plus haut, la porte Dorée est un monument isolé et nécessairement construit après la destruction des terrasses du temple et des portiques du parvis extérieur. De plus, la disposition intérieure est franchement byzantine. Les voûtes sont formées de coupoles sur pendentifs, supportées par des colonnes et des pilastres dont les chapiteaux sont d'un style gréco-romain dégénéré; et quant aux archivoltes extérieures, je ne saurais hésiter sur leur âge depuis que nous avons trouvé dans le nord de la Syrie des centaines de monuments chrétiens, datés, qui offrent le même style et jusqu'aux mêmes détails d'exécution. J'en dirai autant du remaniement de la double porte : l'archivolte extérieure est un placage contemporain de la porte Dorée, tout à fait indépendant de la baie primitive, et ajusté à l'époque où on a recouvert le vestibule intérieur de coupoles byzantines.

Je crois donc pouvoir établir, sans crainte d'être contredit, que tout le second système est de l'époque chrétienne, probablement du vie siècle, de l'empereur Justinien.

Cela posé, il n'y a aucune difficulté historique à attribuer le premier système à Hérode : les données archéologiques confirment entièrement cette attribution. Eneffet, le s formes de l'architecture sont d'un style qui répond à l'idée que nous nous faisons des monuments d'Hérode. Malgré l'immense destruction qui a fait disparaître la plus grande partie du soubassement, il reste assez de fragments pour pou- voir en déterminer le caractère. J'ai déjà dit que les deux vestibules des portes du sud appartenaient au premier système : l'un, celui de la double porte, est presque entièrement conservé ; de l'autre il ne subsiste que les soubassements, mais l'un et l'autre ont un caractère bien défini. Ils se composent d'une salle divisée par des colonnes en autant de nefs que la porte a de baies; aux colonnes correspondent le long des murs des pilastres flanqués de demi-colonnes, ou de

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quarts de colonnes, suivant la place. Les colonnes sont composées de cinq tambours, et surmontées d'un chapiteau à un rang de palmetles, dont le galbe est très-original, mais dont la sculpture est imitée du grec. Les moulures des chapiteaux de pilastres sont d'un profil grec, et pas d'une très-bonne époque : j'en dirai autant de la moulure qui décore extérieurement le pied d'un des jambages de la triple porte : partout ailleurs on n'hésiterait pas à la considérer comme grecque et même gréco-romaine. Tous ces caractères, joints à l'appareil à refends du mur extérieur, excluant nécesairement l'époque de Salomon, nous sommes bien obligés d'attribuer à Hérode tout le système auquel ils appartiennent (1).

Que si nous voulons nous figurer par la pensée le style du temple de Salomon, nous sommes amenés à concevoir des formes bien diffé- rentes. Tout ce que nous savons de la civilisation des Juifs au xi" siè- cle, de celle des peuples de la Syrie, nous les montre principalement empruntées à l'Égypte, surtout en ce qui touche les arts. Les monu- ments phéniciens bien caractérisés commencent à se multiplier dans nos collections : nous avons des pierres gravées, des coupes de métal, des ivoires, des morceaux de sculpture. Ces objets d'art ne remontent certainement pas tous au xie siècle, mais quelques-uns. ne sont pas très-éloignés de cette date, et plus ils s'en approchent, plus le carac- tère égyptien est accusé et plus il est exempt de mélange asiatique. Les ouvriers de Salomon, il ne faut pas l'oublier, étaient phéniciens ; ils construisirent donc et ornèrent le temple suivant les principes égyptiens : le temple proprement dit avait un plan égyptien, M. de Saulcy l'a parfaitement démontré, et la description de la Bible n'est compréhensible que si on la compare à l'un des nombreux sanc-

ii) On peut tirer ,de Josèphe lui-même un dernier argument en faveur de notre thèse. La grosse tour, dite de David, est évidemment une des trois tours Hippicus, Phasaël ou Mariamne, que Titus avait laissées debout après la destruction des rem- parts (B. J ., VII, 1). On s'accorde généralement & la considérer comme la tour Hip- picus, quoique ses dimensions s'accordent mieux avec celles de Phasaël ; mais là n'est pas la question. J'ai déjà dit que l'appareil de cette tour est identiquement celui de l'enceinte du temple, c'est-à-dire à refends et à ciselure; seulement, le travail n'est que dégrossi; on n'en comprend que mieux la manière dont il était conduit. Le refend est terminé, il se faisait sur le chantier ¡ la ciselure n'est que commencée, et le champ de la pierre, qui devait être abattu sur place, est resté brut, laissant encore voir les trous qui servaient à la manœuvre, et que le ravalement devait faire dispa- raître. Les ouvriers qui ont bâti cette tour sont les mêmes que ceux qui ont appareillé le temple. Or Josephe dit expressément que les trois tours ont été élevées par les or- dres d'Hérode: xaTe<Txeuà<r8ïi<xav fatò *Hpó>8ov toû pauiXéuç iv Tip àpyaíw tzíyn (ß. J,t V, iv, 3).

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NOTE SDR LE TEMPLE DE JÉRUSALEM. 289 tuaires de la Thébaïde. Or le style des monuments des xx° et xxi® dy- nasties est aujourd'hui bien connu; en l'appliquant aux détails donnés par les livres saints, aux motifs de décoration propres au génie judaïque ou aux prescriptions mosaïques, nous pouvons nous faire une idée assez exacte de la physionomie du temple primitif. Or, je le demande, ce que nous voyons à Jérusalem est-il conforme à cette idée? Où trouvons-nous en Ëgypte, à cette époque, des appareils à bossages ou à refends, des feuillages traités comme ceux du cha- piteau de la double porte (ou ceux des palmettes du tombeau des rois, qui sont identiques), des moulures composées de doucines, talons, baguettes, etc., etc., des colonnes ou fractions de colonnes engagées dans des pilastres ou des murs? Quant à ce dernier détail, il est caractéristique, car il n'appartient à aucune architecture pri- mitive; c'est par un raffinement relativement moderne que l'on a fait servir à la décoration d'une surface et par voie de placage, un membre qui, dans la conception première des architectes, est et n'a pu être qu'un support isolé.

Ainsi, ce n'est pas en Égypte qu'il faut aller chercher des analogies de style avec les substructions du Haram.

Où donc les trouverons-nous? En Grèce et dansious les pays qui ont subi l'influence des arts helléniques. Gela nous suffit pour placer leur date pendant la période grecque de l'histoire de Syrie. A cela on objecte que le style, jusqu'à présent considéré comme grec, au lieu d'avoir été emprunté par les Juifs aux Grecs, peut aussi bien avoir été emprunté aux Juifs par les Grecs. Quelque étrange au pre- mier abord que paraisse cet emprunt, fait par le peuple le plus artiste que l'humanité ait jamais produit au peuple le moins artiste de la terre, j'accepterais cette proposition si elle était démontrée, mais il faut qu'elle soit rigoureusement démontrée. L'art grec a, comme on dit en jurisprudence, la possession de certaines formes parfaitement définies : ce n'est pas à lui à se défendre, c'est à ceux qui ̂ 'atta- quent de prouver qu'elles se rencontrent dans des monuments non grecs, à date certaine, plus anciens que les plus anciens temples de la Grèce ou de la Sicile. Jusqu'à ce que cette preuve ait été fournie, et elle ne l'a pas encore été, partout où nous rencontrerons ces formes, nous dirons et nous serons en droit de dire qu'elles dé- notent une importation hellénique.

Est-ce à dire pour cela que je veuille placer en Grèce l'origine de tous les arts? Loin de moi cette pensée.

L'art grec est le dernier venu des arts antiques : la Grèce était à peine née quand l'Egypte terminait son rôle, et les puissantes écoles

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290 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. de l'Asie ont devancé de plusieurs siècles celles de l'Attique. Personne aujourd'hui ne conteste les larges emprunts faits par les Grecs aux grandes individualités qui les ont précédés, mais on ne saurait nier aussi qu'ils aient su fondre les éléments d'emprunt et les inspirations de leur propre génie dans un tout harmonieux et profondément original. L'art grec ainsi constitué et parfaitement distinct de ses devanciers, est devenu à son tour créateur ; plus fécond qu'eux, il a conquis tout le monde ancien. Mais les peuples qui l'acceptaient n'abdiquaient ni leurs traditions, ni leur religion, ni leur langue» tout en adoptant les ordres grecs, les moulures grecques, ils les appliquaient suivant leurs propres tendances, leurs habitudes, leurs prescriptions hiératiques, introduisant des éléments particuliers., modifiant le style ou les procédés d'exécution. Ainsi se sont formées des écoles secondaires et locales, quoique procédant de types com- muns. C'est dans ce sens qu'il y a un art judaïque, comme il y a un art étrusque et un art romain.

En Judée, les premières importations helléniques se sont trouvées en face d'un art local profondément imprégné d'égyptien (1), en présence de lois qui interdisaient la reproduction des êtres animés, de traditions qui recommandaient l'ornementation végétale et qui donnaient sans doute à la nature des formes particulièrement con- ventionnelles. La lutte ou plutôt l'union de ces éléments divers a produit les compositions hybrides et le style tout particulier des tom- beaux de Jérusalem, des substructions du temple, que nous ne pouvons plus séparer des tombeaux. Toute cette série de monuments se place donc pour nous dans les trois siècles qui ont précédé l'ère chrétienne. Que si on nous objecte le mélange d'ordres qui se ren- contre dans ces monuments, où la frise dorique se superpose aux colonnes ioniques, où la corniche corinthienne se mêle auxtriglyphes, nous répondrons que cette confusion systématique, loin d'être pour nous uhe difficulté, est au contraire une preuve à l'appui de notre opinion; - qu'elle paraît caractériser les monuments élevés pendant la période qui sépare les belles époques hélléniques de l'invasion du romain officiel. De nombreux exemples ont déjà été signalés dans des contrées fort diverses, et chaque jour on en découvre de nou- veaux ; il me suffira de citer en Sicile le tombeau de Théron et le temple de Sélinonte, en Italie, le petit temple de Pœstum et cer-

(1) Il en reste un intéressant exemple : c'est le petit temple égyptien de Siloâm, qui est sans contredit un des plus anciens monuments de Jérusalem.

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taines décorations de Pompéi (1) ; en Grèce, les propylées d'Eleu- sis (2), et enfin en Palestine, le château d'Araq-el-Emir, dont j'ai eu l'honneur de vous soumettre les dessins. Ce dernier monument est très-important, parce qu'il est à date certaine. En effet, ainsi que je vous l'ai démontré, il a été construit par un juif nommé Hyrcan, mort 176 avant Jésus-Christ. Il est grec, de ce style particulier qui caractérise les tombeaux de Jérusalem, c'est-à-dire avec des colonnes corinthiennes, des frises doriques et des corniches ioniques. De plus, il est construit avec de gros blocs de cinq et six mètres de long, à bossage peu saillant mais irrégulier, formant à l'intérieur de grandes voûtes dans le genre de celles de l'angle du temple. Je ne prétends pas, comme me l'a fait dire à tort la Revue archéologique (3), que ce monument ait servi de modèle au temple de Jérusalem ; mais pour moi il prouve sans réplique que le mélange des ordres grecs, la di- mension des pierres et le bossage, les trois bases du système que je combats, ne sont pas nécessairement des caractères de haute anti- quité, puisqu'on les retrouve réunis dans un monument du h® siècle. Enfin, il prouve que sous les Séleucides, les Juifs, ainsi que les autres peuples de la Syrie, avaient adopté l'architecture grecque plus ou moins influencée par leurs habitudes antérieures.

Quoique obligé par la nature même de cette communication de passer rapidement sur des points qui demanderaient de plus longs développements, j'espère en avoir dit assez pour vous faire apprécier les bases sur lesquelles repose mon opinion. J'ai étudié le monument lui-même, j'ai tâché d'arracher aux pierres mêmes le secret de leur origine. Complétant ainsi les savantes recherches de M. de Saulcy par celles que, plus favorisé que lui, j'ai pu faire àmon.tour; aidé par les lumières de mes compagnons, je suis arrivé, j'espère, à apporter les éléments d'une solution définitive. Je crois pouvoir démontrer aussi rigoureusement qiie proposition archéologique peut l'être, que l'en- ceinte connue sous le nom de Haram-ech-Cherif est identiquement celle du temple de Jérusalem, commencée par Salomon du côté de l'est, continuée par ses successeurs, définitivement achevée par Hé- rode ; - qu'aux quatre angles et sur les faces méridionale et occidentale il reste des portions considérables de la construction hérodienne caractérisée par le grand appareil à refends.

Si j'ai combattu l'opinion généralement admise qui attribue à Salo-

(1) Tous ces monuments sont reproduits par M. Hitiorf, Archit. polychrôme , pl. II, VI, XVII, XVIII. (2) Fr. Lenormant, Recherches à Éleusis, p. 290. (3) Numéro du mois dernier, p. 267.

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292 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. mon ces antiques substructions, et si, sur certains points, je crois l'avoir détruite, s'ensuit-il que j'aie diminué l'intérêt et le respect qui s'attachent à ces ruines vénérables? Ce résultat aurait été bien contraire au but que je me propose, et pour ma part j'éprouve un sentiment bien opposé. Je me sens pltis touehé par la certitude que par l'hypo- thèse, par l'histoire que par la légende. Troublé par les difficultés que je trouvais à l'adoption d'une date plus antique, je pouvais être amené à douter de tout le système : ne reconnaissant pas la main de Salomon dans les formes architecturales, je pouvais refuser de re- connaître le temple lui-même dans l'ensemble auquel elles appar- tiennent ; mais aujourd'hui qu'à mes yeux l'enceinte du temple d'Hérode est bien caractérisée, l'emplacement du temple de Salomon se trouve démontré, car nous savons que l'un a succédé à l'autre, dans le même lieu, et l'émotion que m'inspire la majesté des sou- venirs grandit de tout le respect de ma raison satisfaite. Si ces blocs ne sont pas contemporains de la fondation première, ils ont vu assez de grandes choses pour mériter notre vénération : ils ont vu l'ac- complissement des grandes destinées du peuple juif, entendu la prédication de Jésus, souffert les terribles assauts de Titus. Or, en partant des débris qui subsistent encore, nous pouvons arriver à restaurer presque mathématiquement le théâtre de ces événements. Entrant par les portes que je vous ai décrites, gravissant ces rampes dont l'inclinaison se devine, franchissant ce pont dont la hauteur se calcule, nous arrivons à la plate-forme, c'est-à-dire au parvis dès Gentils, jadis entouré de ces portiques sous lesquels les vendeurs dres- saient leurs tables renversées par le Christ, sous lesquels se pressait la foule pour voir de plus près le boiteux guéri parles apôtres ; - puis, suivant la configuration du rocher, nous arrivons à une seconde plate-forme, la cour des Israélites et des prêtres, à laquelle nous montons avec le Pharisien et le Publicain ; - enfin, continuant à monter, toujours guidés par la forme du rocher et les empreintes qu'il a gardées, nous atteignons le point culminant du mont Moriah, noyau évident du temple d'Hérode, comme du temple de Zorobabel et de Salomon, centre matériel de tout ce grand ensemble architec- tural, centre mystique de l'ancienne loi, ayant partout sur notre route fait parler les pierres et le rocher lui-même, pour témoigner en faveur du caractère historique de nos plus chères traditions.

M. de Vogüé.

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