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Rubrique proposée par Gérard Guez, avocat à la Cour - [email protected] 108 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE - N°407 Management Nouvelles méthodes, nouvelles pratiques La biologie aborde certainement le cap le plus difficile de son histoire. Des mutations en profondeur vont s’accomplir. Le social, l’organisation et les relations humaines catalysent toute l’énergie et l’anxiété induites par ces changements. Un nouveau type de direction, de mana- gement des organisations, s’appuyant sur un changement des systèmes de relations et de valeurs, est indispensa- ble pour aborder ce cap historique, au niveau fonctionnel et associatif comme au niveau hiérarchique. Les formes pyramidales de pouvoir, où la fonction de direction consiste à com- mander, corriger et contrôler, doivent absolument laisser la place à des struc- tures souples, légères et très mobiles, où les talents requis seront, en plus du savoir et du savoir-faire, le faire-savoir et le savoir-être ; où la communication, la transparence de l’information, les échan- ges, la participation, l’adhésion, le travail en équipe seront les mots clés, et où le verbe manager signifiera aussi clarifier, construire et coopérer. Sous peine de ne pas répondre à ce défi, les organisations traditionnelles prennent le risque de voir leurs projets voués à l’échec. Vision et anticipation : deux objectifs clés du changement (figure 1) Le dire c’est bien, organiser et maîtri- ser cette mutation, c’est beaucoup plus difficile. Nous passons d’une société à vocation industrielle, essentiellement organisée sur un mode scientifique et rationnel, avec la primauté déterminante du critère économique, à un nouveau type de société : la société de services. De quoi s’agit-il ? De la mise en œuvre d’un projet à haut degré de complexité, parce qu’il est multiparamétrique. Qu’est-ce que cela signifie ? Un simple parallèle, en contre- point, des mots-clés que nous venons d’évoquer pour la société industrielle, illustrera la difficulté de la tâche qui nous attend et la mutation des enjeux dans ce changement de société. Et d’abord, clarifions un point essentiel : il ne saurait être question d’opposer les deux types de société entre elles. Il ne s’agit pas de faire le choix pour un type contre l’autre. Le passage à une société de services correspond à l’adjonction d’une nouvelle dimension à la société industrielle, qui ne nie pas sa réalité et son existence. Il doit lui permettre, au contraire, en intégrant de nouveaux critères en complément de ceux déjà utilisés, de mieux s’adapter aux évolutions de l’environnement. C’est d’ailleurs bien là l’origine du chan- gement de contenu demandé à la poli- tique. Il manque dans tous les projets une vision politique, qui n’existera que par la prise en compte formelle de trois nouveaux paramètres. C’est tout l’enjeu du passage à la société de services : mettre l’accent dans la mise en œuvre pratique du changement sur les mutations de relations et de compor- tements, qui ne pourront se faire sans l’intégration capitale de trois nouveaux paramètres : l’humain, l’irrationnel, le social. Nature des enjeux : pouvoir et communication Dans les sociétés de type industriel, l’or- ganisation s’est toujours fondée sur le savoir et le savoir-faire, d’où la primauté accordée à un système pyramidal du pou- voir et l’importance prise par la hiérarchie, puis par la spécialisation, encore accrue par les phénomènes d’automatisation. La responsabilité est liée à la place de l’individu dans l’organisation. Sa fonction de manager consiste alors avant tout, à commander, corriger et contrôler. Dans les sociétés à vocation de services, il s’agit d’inventer de nouvelles formes d’organisation fondées sur le travail en équipe et en réseau. Les structures doi- vent être souples, légères et très mobiles. Les talents requis, en plus du savoir et du savoir faire, répétons-le, sont le faire- savoir et le savoir-être. D’où la primauté accordée à un système de type biologi- que, où interaction et interdépendance sont la règle. Dans le passage à la société de services, l’interrelation sera donc déterminante, la communication devenant prépondérante par rapport au pouvoir. Le défi collectif, introduisant la notion nouvelle de respon- sabilité collective, devient la clé de voûte de tout projet. Un projet qui ne comportera pas, dès la mise en œuvre, un fort degré d’adhésion et de participation, s’exposera au minimum au risque d’avortement, au pire à l’échec. Manager dans ces condi- tions, ce ne sera plus seulement comman- der, corriger et contrôler ; ce sera aussi clarifier, construire et coopérer. Que conclure de ce changement, si ce n’est aujourd’hui la nécessité de revoir nos modes de management de façon générale, notamment et plus particuliè- rement la conduite des projets. Nous étudierons dans les prochains numéros la conduite d’un projet, les éta- pes et les dimensions de ce projet, la communication paradoxale, et comment maîtriser le changement. Société industrielle Société de services Valeurs clés MATERIEL Sciences exactes. HUMAIN Sciences inexactes Organisations RATIONNEL Le chiffre et le résultat sont prioritaires. IRRATIONNEL La motivation, la communication, l’adhésion le changement, ne s’imposent pas. Plus on impose, moins on obtient de résultat. Critères ECONOMIQUE Efficacité et performance sont les buts. Le court terme prévaut. SOCIAL Implication et valeur ajoutée sont les buts. Il faut du temps et de la persévérance. Figure 1 – Le changement de société

Nouvelles méthodes, nouvelles pratiques

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Rubrique proposée par Gérard Guez, avocat à la Cour - [email protected]

108 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE - N°407

Management

Nouvelles méthodes, nouvelles pratiquesLa biologie aborde certainement le cap le plus difficile de son histoire. Des mutations en profondeur vont s’accomplir. Le social, l’organisation et les relations humaines catalysent toute l’énergie et l’anxiété induites par ces changements.

Un nouveau type de direction, de mana-gement des organisations, s’appuyant sur un changement des systèmes de relations et de valeurs, est indispensa-ble pour aborder ce cap historique, au niveau fonctionnel et associatif comme au niveau hiérarchique.

Les formes pyramidales de pouvoir, où la fonction de direction consiste à com-mander, corriger et contrôler, doivent absolument laisser la place à des struc-tures souples, légères et très mobiles, où les talents requis seront, en plus du savoir et du savoir-faire, le faire-savoir et le savoir-être ; où la communication, la transparence de l’information, les échan-ges, la participation, l’adhésion, le travail en équipe seront les mots clés, et où le verbe manager signifiera aussi clarifier, construire et coopérer.

Sous peine de ne pas répondre à ce défi, les organisations traditionnelles prennent le risque de voir leurs projets voués à l’échec.

Vision et anticipation : deux

objectifs clés du changement

(figure 1)

Le dire c’est bien, organiser et maîtri-ser cette mutation, c’est beaucoup plus difficile. Nous passons d’une société à vocation industrielle, essentiellement organisée sur un mode scientifique et rationnel, avec la primauté déterminante du critère économique, à un nouveau type de société : la société de services. De quoi s’agit-il ?

De la mise en œuvre d’un projet à haut degré de complexité, parce qu’il est multiparamétrique. Qu’est-ce que cela signifie ? Un simple parallèle, en contre-point, des mots-clés que nous venons d’évoquer pour la société industrielle, illustrera la difficulté de la tâche qui nous attend et la mutation des enjeux dans ce changement de société.

Et d’abord, clarifions un point essentiel : il ne saurait être question d’opposer les deux types de société entre elles. Il ne s’agit pas de faire le choix pour un type contre l’autre.

Le passage à une société de services correspond à l’adjonction d’une nouvelle dimension à la société industrielle, qui ne nie pas sa réalité et son existence. Il doit lui permettre, au contraire, en intégrant de nouveaux critères en complément de ceux déjà utilisés, de mieux s’adapter aux évolutions de l’environnement.

C’est d’ailleurs bien là l’origine du chan-gement de contenu demandé à la poli-tique. Il manque dans tous les projets une vision politique, qui n’existera que par la prise en compte formelle de trois nouveaux paramètres.

C’est tout l’enjeu du passage à la société de services : mettre l’accent dans la mise en œuvre pratique du changement sur les mutations de relations et de compor-tements, qui ne pourront se faire sans l’intégration capitale de trois nouveaux paramètres : l’humain, l’irrationnel, le social.

Nature des enjeux : pouvoir et communicationDans les sociétés de type industriel, l’or-ganisation s’est toujours fondée sur le savoir et le savoir-faire, d’où la primauté accordée à un système pyramidal du pou-

voir et l’importance prise par la hiérarchie, puis par la spécialisation, encore accrue par les phénomènes d’automatisation.

La responsabilité est liée à la place de l’individu dans l’organisation. Sa fonction de manager consiste alors avant tout, à commander, corriger et contrôler.

Dans les sociétés à vocation de services, il s’agit d’inventer de nouvelles formes d’organisation fondées sur le travail en équipe et en réseau. Les structures doi-vent être souples, légères et très mobiles. Les talents requis, en plus du savoir et du savoir faire, répétons-le, sont le faire-savoir et le savoir-être. D’où la primauté accordée à un système de type biologi-que, où interaction et interdépendance sont la règle.

Dans le passage à la société de services, l’interrelation sera donc déterminante, la communication devenant prépondérante par rapport au pouvoir. Le défi collectif, introduisant la notion nouvelle de respon-sabilité collective, devient la clé de voûte de tout projet. Un projet qui ne comportera pas, dès la mise en œuvre, un fort degré d’adhésion et de participation, s’exposera au minimum au risque d’avortement, au pire à l’échec. Manager dans ces condi-tions, ce ne sera plus seulement comman-der, corriger et contrôler ; ce sera aussi clarifier, construire et coopérer.

Que conclure de ce changement, si ce n’est aujourd’hui la nécessité de revoir nos modes de management de façon générale, notamment et plus particuliè-rement la conduite des projets.

Nous étudierons dans les prochains numéros la conduite d’un projet, les éta-pes et les dimensions de ce projet, la communication paradoxale, et comment maîtriser le changement.

Société industrielle Société de services

Valeurs clés MATERIEL Sciences exactes. HUMAIN Sciences inexactes

Organisations RATIONNEL Le chiffre et le résultat sont prioritaires. IRRATIONNEL

La motivation, la communication, l’adhésion le changement, ne s’imposent pas. Plus on impose, moins on obtient de résultat.

Critères ECONOMIQUE Efficacité et performance sont les buts. Le court terme prévaut. SOCIAL Implication et valeur ajoutée sont les buts. Il faut du

temps et de la persévérance.

Figure 1 – Le changement de société