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ARTICLE ORIGINAL Nutrition et maladies inflammatoires cryptoge ´ne ´tiques de l’intestin Nutrition and IICD B. Bonaz, N. Mathieu, E. Chambron Re ´sume ´: Si l’e ´tat nutritionnel des patients avec MICI est le plus souvent proche de la normale en dehors des pousse ´es et chez les patients qui n’ont pas subi une re ´section e ´tendue du gre ˆle dans la maladie de Crohn (MC), une de ´nutrition se ´ve `re peut e ˆtre observe ´e au cours des pousse ´es, a fortiori en cas de gre ˆle court (< 1 m) dans la MC. La se ´ve ´rite ´ de cette de ´nutrition de ´pend de plusieurs facteurs (nature, e ´tendue, anciennete ´, dure ´e de la pousse ´e et activite ´ de la MICI ; malabsorption des sels biliaires ; pullulation microbienne du gre ˆle ; fistules ; diminution des apports alimentaires et augmentation des de ´penses e ´nerge ´tiques ; malabsorption intestinale ; ente ´ropathie exsudative ; complications iatroge `nes). Cette de ´nutrition, souvent ignore ´e et qui peut se majorer pendant l’hospita- lisation, doit e ˆtre e ´value ´e de fac ¸on syste ´matique et simple (interrogatoire et examen clinique, poids et calcul de l’indice de masse corporel, bilan biologique, calcul d’indices de de ´nutrition). A ` l’issue de cette e ´valuation nutritionnelle, le traitement de cette de ´nutrition doit e ˆtre discute ´, pouvant aller d’une die ´te ´tique simple plus ou moins associe ´e a ` des comple ´ments nutritionnels hyper- e ´nerge ´tiques et hyperprote ´iques a ` une prise en charge par nutrition artificielle de type ente ´rale (a ` privile ´gier) ou parente ´rale selon la gravite ´ de la de ´nutrition et/ou l’e ´tat clinique. La responsabilite ´ des aliments dans le de ´clen- chement des MICI et la survenue des pousse ´es inflamma- toires n’est pas clairement e ´tablie. Les recommandations die ´te ´tiques au cours de la MC et de la rectocolite sont tre `s proches. Lors des phases aigue ¨s de la maladie, le re ´gime « sans re ´sidus » a pour but de re ´duire les sympto ˆmes digestifs (diarrhe ´es, douleurs abdominales). Une fois la crise passe ´e, la re ´introduction progressive des « fibres tendres » et du lactose (s’il est encore absent) est recommande ´e. Il est conseille ´ de diversifier l’alimentation petit a ` petit, pour tester la tole ´rance digestive et revenir ensuite a ` une alimentation la plus normale et diversifie ´e possible. En cas de corticothe ´rapie prolonge ´e, le re ´gime sans sel strict n’est pas justifie ´. Mots cle ´s : Nutrition, MICI Nutrition ente ´rale Nutrition parente ´rale – Aliments Abstract: If nutritional condition are usually close to normal, apart from attacks, in IBD patients and in patients who have not undergone extensive resection of the small intestine for Crohn’s disease (CD), severe undernourishment can occur during attacks, especially in a short bowel syndrome (< 1 m) in CD. The severity of this malnutrition depends on several factors (type, extent, history, duration of the attack and IBD activity; poor absorption of biliary salts; small bowel bacterial over- growth, fistulas; reduction in nutritional supply and increase in energy consumption; poor intestinal absorp- tion; exsudative enteropathy and iatrogenic complica- tions). This malnutrition, which is often ignored and which can worsen during hospitalisation, must be syste- matically assessed (interview and clinical examination, weight and calculation of body mass index, biological tests, calculation of undernourishment index). After this nutri- tional assessment, treatment for the undernourishment must be taken in account, ranging from a simple diet combined with hyperenergetic and hyperprotidic enteral feeding supplements to enteral-type (to be preferred) or parenteral artificial nutrition depending on the severity of the malnutrition and/or clinical condition. The role of food in triggering IBD and the onset of inflammatory attacks have not been clearly established. Dietary recommenda- B. Bonaz (*) N. Mathieu Clinique universitaire d’he ´patogastroente ´rologie ho ˆpital Albert-Michallon, BP 217, F-38043 Grenoble cedex 09, France E-mail : [email protected] E. Chambron Service de die ´te ´tique, ho ˆpital Albert-Michallon BP 217, F-38043 Grenoble cedex 09, France J Afr Hepato Gastroenterol (2007) 3-4: 136–140 © Springer 2007 DOI 10.1007/s12157-008-0029-x

Nutrition et maladies inflammatoires cryptogénétiques de l’intestin

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ARTICLE ORIGINAL

Nutrition et maladies inflammatoires cryptogenetiques de l’intestin

Nutrition and IICD

B. Bonaz, N. Mathieu, E. Chambron

Resume : Si l’etat nutritionnel des patients avec MICI est leplus souvent proche de la normale en dehors des pousseeset chez les patients qui n’ont pas subi une resectionetendue du grele dans la maladie de Crohn (MC), unedenutrition severe peut etre observee au cours despoussees, a fortiori en cas de grele court (< 1 m) dans laMC. La severite de cette denutrition depend de plusieursfacteurs (nature, etendue, anciennete, duree de la pousseeet activite de la MICI ; malabsorption des sels biliaires ;pullulation microbienne du grele ; fistules ; diminutiondes apports alimentaires et augmentation des depensesenergetiques ; malabsorption intestinale ; enteropathieexsudative ; complications iatrogenes). Cette denutrition,souvent ignoree et qui peut se majorer pendant l’hospita-lisation, doit etre evaluee de facon systematique et simple(interrogatoire et examen clinique, poids et calcul del’indice de masse corporel, bilan biologique, calculd’indices de denutrition). A l’issue de cette evaluationnutritionnelle, le traitement de cette denutrition doit etrediscute, pouvant aller d’une dietetique simple plus oumoins associee a des complements nutritionnels hyper-energetiques et hyperproteiques a une prise en charge parnutrition artificielle de type enterale (a privilegier) ouparenterale selon la gravite de la denutrition et/ou l’etatclinique. La responsabilite des aliments dans le declen-chement des MICI et la survenue des poussees inflamma-toires n’est pas clairement etablie. Les recommandationsdietetiques au cours de la MC et de la rectocolite sont tresproches. Lors des phases aigues de la maladie, le regime

« sans residus » a pour but de reduire les symptomesdigestifs (diarrhees, douleurs abdominales). Une fois lacrise passee, la reintroduction progressive des « fibrestendres » et du lactose (s’il est encore absent) estrecommandee. Il est conseille de diversifier l’alimentationpetit a petit, pour tester la tolerance digestive et revenirensuite a une alimentation la plus normale et diversifieepossible. En cas de corticotherapie prolongee, le regimesans sel strict n’est pas justifie.

Mots cles : Nutrition, MICI – Nutrition enterale –Nutrition parenterale – Aliments

Abstract: If nutritional condition are usually close tonormal, apart from attacks, in IBD patients and inpatients who have not undergone extensive resection ofthe small intestine for Crohn’s disease (CD), severeundernourishment can occur during attacks, especially ina short bowel syndrome (< 1 m) in CD. The severity of thismalnutrition depends on several factors (type, extent,history, duration of the attack and IBD activity; poorabsorption of biliary salts; small bowel bacterial over-growth, fistulas; reduction in nutritional supply andincrease in energy consumption; poor intestinal absorp-tion; exsudative enteropathy and iatrogenic complica-tions). This malnutrition, which is often ignored andwhich can worsen during hospitalisation, must be syste-matically assessed (interview and clinical examination,weight and calculation of body mass index, biological tests,calculation of undernourishment index). After this nutri-tional assessment, treatment for the undernourishmentmust be taken in account, ranging from a simple dietcombined with hyperenergetic and hyperprotidic enteralfeeding supplements to enteral-type (to be preferred) orparenteral artificial nutrition depending on the severity ofthe malnutrition and/or clinical condition. The role of foodin triggering IBD and the onset of inflammatory attackshave not been clearly established. Dietary recommenda-

B. Bonaz (*)

N. MathieuClinique universitaire d’hepatogastroenterologie

hopital Albert-Michallon, BP 217, F-38043 Grenoble cedex 09, France

E-mail : [email protected]

E. Chambron

Service de dietetique, hopital Albert-MichallonBP 217, F-38043 Grenoble cedex 09, France

J Afr Hepato Gastroenterol (2007) 3-4: 136–140

© Springer 2007

DOI 10.1007/s12157-008-0029-x

tions for CD and for rectocolitis are very similar. Duringthe acute phases of the disease, a ‘‘residue-free’’ diet isintended to reduce digestive symptoms (diarrhoea, abdo-minal pain). Once the attack has ended, gradual reintro-duction of ‘‘soft fibres’’ and lactose (if still absent) isrecommended. It is recommended to vary food little bylittle, to test digestive tolerance and return to a normal andvaried diet as much as possible. In the event of prolongedcorticotherapy, a strict salt-free diet is not justified.

Keywords: Nutrition – IICD – Nutrition enteral nutrition –Parenteral nutrition – Food

Les maladies inflammatoires cryptogenetiques de l’intestin(MICI) comprennent la rectocolite hemorragique (RCH) etla maladie de Crohn (MC). Il s’agit d’affections inflamma-toires chroniques atteignant le tube digestif, en particulierl’intestin grele et/ou le colon-rectum. Elles ont uneprevalence estimee en France a 110/100 000 habitants.Ces affections debutent souvent de facon precoce, entre15 et 30 ans, et evoluent par poussees entrecoupees deperiode de remission dont la duree est variable. Ellesexposent peu a un risque vital mais elles alterent fortementla qualite de vie. A ce jour, il n’existe pas de traitementmedical susceptible de les guerir, mais seulement destraitements suspensifs, dont le but est de raccourcir laduree des poussees et/ou a prevenir les rechutes.

Etat nutritionnel et MICI

L’etat nutritionnel des patients avec MICI est le plussouvent proche de la normale en dehors des poussees etchez les patients qui n’ont pas subi une resection etenduedu grele dans la MC. Toutefois, une denutrition severe peutetre observee dans les poussees de MICI et chez les patientsavec resection etendue du grele, a fortiori en cas de grelecourt (< 1 m) dans la MC. La severite de la denutritiondepend de plusieurs facteurs tels que :

– la nature de la MICI (la denutrition est plus frequentedans la MC), son extension au grele et/ou au colon, sonactivite, la duree de la poussee et l’anciennete de lamaladie, la malabsorption des sels biliaires en cas deresections du grele (a l’origine de diarrhee aux sels biliaireset de steatorrhee), les phenomenes de pullulation micro-bienne du grele (en particulier dans la MC), les fistulesgrelogreliques-enterocoliques-enterocutanees dans la MC,la precocite du diagnostic et du traitement ;

– la diminution des apports alimentaires, volontaire ouconsecutive a l’anorexie, aux nausees-vomissements et auxdouleurs abdominales occasionnes par les poussees etaggraves par les phenomenes stenotiques lies a la MCnotamment. Les cytokines pro-inflammatoires, et notam-ment le TNFa, ont un role favorisant l’anorexie ;

– l’augmentation des depenses energetiques au coursdes poussees liee a la fievre, a l’inflammation, aux

complications de la maladie (notamment infectieuses), austress chirurgical et aux complications postoperatoires ;

– la malabsorption intestinale, notamment en casd’atteinte de l’intestin grele dans la MC, responsable decarences vitaminiques (folates, vitamine B12, a l’origined’hyperhomocysteinemie favorisant les thromboses vei-neuses/arterielles decrites dans les MICI) et en oligoele-ments (zinc, cuivre, selenium) ;

– les phenomenes d’enteropathie exsudative lies al’atteinte ulceree du grele et/ou du colon et les saignementsaigus/chroniques lies aux ulcerations, a l’origine d’hypo-protidemie, de carence martiale, d’anemie ;

– sans oublier les complications iatrogenes de lamaladie et notamment therapeutiques liees aux corticoıdesen particulier. Dans des etudes anciennes, la prevalence dela denutrition proteinoenergetique etait estimee entre 25 et85 %, mais les progres de la prise en charge de ces patients,notamment de par l’apport des therapies immunosup-pressives et/ou biologiques (anti-TNFa) et nutritionnelles,ont reduit les hospitalisations et transforme la prise encharge des MICI.

Appreciation de la denutrition

En pratique clinique, cette denutrition, souvent ignoree etqui peut s’aggraver durant l’hospitalisation, doit etreevaluee de facon systematique et de facon simple :

– interroger le patient sur une estimation de la pertede poids et sa rapidite (notamment la perte de 5-10 % dupoids du corps en moins d’un mois releve theoriquementd’une prise en charge nutritionnelle) ;

– peser les patients et les mesurer pour calculer l’indicede masse corporel (IMC) selon la formule : IMC = poids(en kg) / taille (m2), compris normalement entre 18,5 et 25.On parlera de denutrition probable quand l’IMC estinferieur a 18,5 ;

– examiner les patients a la recherche de signes dedeshydratation, d’œdemes, de troubles des phaneres ;

– realiser un bilan biologique avec un ionogrammesanguin (protidemie, electrolytes, fonction renale), unenumeration de formule sanguine (anemie, macrocytose),un dosage de l’albumine (demi-vie de 20 jours) et desproteines a demi-vie courte (plus fiables) telles que laprealbumine, la transferrine, la retinol-binding protein(RBP), des dosages vitaminiques simples tels que folates,vitamine B12 et un bilan martial (fer serique, ferritinemie)et un TP (diminue en cas de carence en vitamine K). Il estpossible de calculer des indices de denutrition, tels quele NRI (indice de Buzby) = 1,519 � albuminemie (g/l) +0,417 poids actuel / poids usuel � 100. Normal : > 97,5 %,denutrition moderee : 83,5 a 97,5 % ; denutrition severe :< 83,5 %.

A l’issue de cette evaluation nutritionnelle, doit etrediscute le traitement de cette denutrition qui peut aller

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d’une dietetique simple plus ou moins associee a descomplements nutritionnels hyper-energetiques et hyper-proteiques, dont le gout et la tolerance ont ete bienameliores, a une prise en charge par nutrition artificielle detype enterale (a privilegier) ou parenterale selon la gravitede la denutrition et/ou l’etat clinique.

Indications et modalites de la nutritionartificielle au cours d’une poussee de MICI

Indications

La nutrition enterale (NE) doit etre preferee a la nutritionparenterale pour des raisons de moindre risque et demoindre cout. Elle est par ailleurs plus proche desconditions physiologiques. La nutrition parenterale nedoit etre reservee qu’aux rares contre-indications de la NE(occlusion en particulier), aux grandes denutritions, aumegacolon toxique, et aux complications chirurgicales dela MC (perforation notamment). Les donnees de lalitterature montrent que la nutrition parenterale n’est,par ailleurs, pas superieure a la NE dans le traitement de lapoussee de MC, elle a cependant une action plus rapide.

Dans la MC, la NE a un double interet : a la foisnutritionnel mais egalement therapeutique alors qu’elle estpurement nutritionnelle dans la RCH. Pour la MC, la NEest efficace dans environ 60 % des cas dans le traitementde premiere intention, au bout de trois a six semaines detraitement. La NE dans la MC est, selon les meta-analyses,moins efficace que la corticotherapie (60 vs 80 %respectivement). On peut noter toutefois, qu’une efficacitede 60 % de la NE est deux a trois fois plus que ce que l’onobserve avec le placebo dans la litterature (20-30 %). LaNE n’a, par ailleurs, pas les effets secondaires de lacorticotherapie, ce qui fait tout son interet dans ce type depathologie, a fortiori chez les enfants dont on connaıt leretentissement staturoponderal des corticoıdes. Elle peutetre proposee en alternative a la corticotherapie conven-tionnelle, a fortiori chez des patients qui sont de plus enplus reticents aux corticoıdes, du fait de leurs effetssecondaires bien connus. La limite de la NE vient surtoutdu fait qu’elle n’est pas toujours bien acceptee/toleree parles patients du fait des contraintes d’utilisation et souventde l’effet visuel de la sonde, meme si son utilisationdiscontinue nocturne peut faciliter les choses. Il y a doncun probleme de compliance non negligeable.

Il n’y a pas de difference d’efficacite entre lesformulations elementaires, semi-elementaires et polymeri-ques ; ces dernieres, qui sont par ailleurs moins onereuses,doivent donc etre privilegiees.

La NE (polymerique a faible debit), tout comme lanutrition parenterale, peut etre envisagee dans le traite-ment de la poussee de MC corticodependante ou cortico-resistante, avec une possibilite d’obtenir une remissionde la maladie ou un sevrage de la corticotherapie dans

environ 70 % des cas. Dans la MC corticoresistante,l’utilisation de l’anti-TNFa (infliximab) a modifie lerecours a la NE ou parenterale, qu’il remplace aujourd’huile plus souvent. Dans la corticodependance, la NE peutavoir un interet pour servir de passerelle a la therapeutiqueimmunosuppressive, qui est plus longue a se mettre enplace (trois mois en moyenne pour l’azathioprine), encoreque la egalement, l’infliximab a montre son interet et sonefficacite.

La NE peut etre envisagee dans le traitement des fistulesdigestives, sauf en cas de fistule haute a debit eleve, defistule avec lesion etendue du grele ou associee a unemalnutrition severe. Toutefois, elle est egalement sup-plantee dans ce type d’indication par le traitement anti-TNFa.

La NE, toute comme les therapeutiques conventionnel-les, a un effet purement suspensif dans le cours evolutif dela MC, chez l’adulte, elle ne maintient pas la remission etun taux de rechute d’environ 60 a 70 % est observe apresNE. Elle ne modifie donc pas l’histoire naturelle de lamaladie. Par contre, les etudes menees chez l’enfant et chezl’adolescent montrent qu’une nutrition enterale cycliquenocturne, avec poursuite d’une nutrition orale permet demaintenir en remission la maladie dans environ 60 % descas a un an. L’utilisation plus large des immunosuppres-seurs chez l’enfant diminue toutefois, l’interet d’untraitement au long cours par NE. Chez l’adulte, il n’y aactuellement pas d’indication pour une NE au long cours,a fortiori en cas d’intolerance ou de resistance auximmunosuppresseurs ou le traitement anti-TNFa a toutesa place.

Chez l’enfant, l’effet deletere de la corticotherapie sur lacroissance et le developpement pubertaire place la NE enposition privilegiee dans le traitement de premiereintention lors d’une premiere poussee ou lors d’unerechute de la maladie. La NE est meme aussi efficace(meta-analyse) que la corticotherapie dans le traitementdes poussees chez l’enfant. Un solute de nutrition enteralea boire (Modulen IBD®, Nestle), riche en TGFb2, cytokineaux proprietes anti-inflammatoires, a montre son interetdans une seule etude non controlee chez l’enfant. Sa placeexacte reste donc a demontrer chez l’enfant, et a fortiori,chez l’adulte.

Modalites

La NE est administree, le plus souvent, de facon exclusiveavec la possibilite pour le patient de boire de l’eau adlibitum, une tasse de the et/ou de cafe par jour. La voied’administration preferentielle est la voie nasogastrique,au moyen de sondes fines (charriere la plus petitepossible ; 8 ou 9 par exemple) en silicone ou en polyure-thane avec mandrin pour la mise en place de la sonde. Labonne position de la sonde, en situation antrale prepylo-rique, doit etre verifiee radiologiquement par un abdomen

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sans preparation avant toute utilisation. La fixation de lasonde doit etre realisee en deux endroits distincts auniveau de l’aile du nez et sur la joue avec realisation d’unecourbe harmonieuse au-dessus de l’oreille. Une marqueindelebile doit etre placee sur la sonde a 2-3 cm de l’aile dunez (verification par l’infirmiere avant infusion desproduits d’alimentation).

La NE continue a ete supplantee par la NE cyclique, enparticulier nocturne, qui presente de nombreux avantagesphysiologiques et psychologiques. Les melanges de typepolymerique sont les plus utilises, de type isocalorique(1 kcal/ml) voire hypercalorique (1,5 kcal/ml) permettantde diminuer le volume d’infusion. Les apports energeti-ques sont en general de 1500 a 2000 kcal/j. Les nutrimentssont administres a l’aide d’une pompe avec regulateur dedebit, sur une periode de 12 a 14 heures. Il n’est passouhaitable de depasser un debit de 3 ml/min. Uneaugmentation progressive des apports energetiques, afortiori chez des patients denutris, est souhaitable(500 ml pendant 24 a 48 heures puis 1 l voire 1,5 l enfonction). La tubulure doit etre rincee systematiquementavec de l’eau tiede (50 ml environ), a l’aide d’une seringue,avant et apres usage. Les medicaments peuvent etreadministres per os, voire ecrases ou dilues a l’aide d’uneseringue directement dans la sonde. La NE cyclique permetau mieux le maintien d’une activite physique dans lajournee, voire d’une activite professionnelle.

La NE est mise en place a l’hopital, ce qui permetd’evaluer sa tolerance et son efficacite et egalementd’eduquer le patient qui pourra ensuite poursuivre la NEa domicile, pour une duree globale de trois a quatresemaines. En France, des prestataires de service prennentactuellement ces patients en charge a domicile, dans lecadre de la prise en charge complete et globale du patienten NE a domicile, et permettent de faire le lien entre lemedecin traitant et le patient qui est revu systematique-ment en consultation apres trois semaines a un mois de NEpour juger de l’efficacite globale et interrompre la NE.Le sevrage de la NE doit etre progressif sur au moins48 heures avec reintroduction progressive de l’alimen-tation orale.

La NE est en general bien toleree, on peut observerparfois une diarrhee, souvent amelioree par une diminu-tion du debit, parfois des nausees, voire des vomissementsqui necessitent de controler la bonne position de la sonde.Les pneumopathies d’inhalation sont exceptionnelles(preconiser la position semi-assise du patient enpreventif).

Sur le plan symptomatique, l’efficacite de la nutrition sejuge sur l’evolution de la diarrhee, des douleurs abdomi-nales, de l’etat general et le poids du patient. Le suivi del’evolution des marqueurs de l’inflammation (CRP), et lesproteines a demi-vie courte telles que la prealbumine sontaussi preconises.

Aliments et MICI : recommandations-conseilsau patient

La responsabilite des aliments dans le declenchement desMICI et la survenue des poussees inflammatoires n’est pasclairement etablie. Il se pourrait que l’augmentation de laconsommation des sucres raffines, la diminution de laconsommation de fibres, de vitamines, de sels mineraux etd’acides gras essentiels jouent un role, mais rien n’estprouve. Aucun regime alimentaire n’est actuellementcapable de prevenir les MICI et leurs poussees. Le regime,qui repose essentiellement sur le regime sans residus, auniquement pour but de diminuer ou de faire disparaıtrecertains symptomes de la maladie (diarrhee, douleursabdominales). Il est donc important, en dehors despoussees, de conserver une alimentation aussi procheque possible de la normale en retenant qu’aucun alimentn’est veritablement dangereux ou interdit ; chaque patientdoit « sentir » ce qui lui convient.

Les recommandations dietetiques au cours de la MC etde la RCH sont tres proches. Lors des phases aigues de lamaladie, l’alimentation a plusieurs objectifs. Le premier estde reduire les symptomes digestifs (diarrhees, douleursabdominales) par un regime « sans residus ». Dans unregime sans residus :

– les aliments suivants sont interdits : legumes verts etlegumes secs ; fruits frais, secs ou oleagineux ; paincomplet ; cereales completes ; fromages fermentes ; jus defruits ; epices, poivre, piments, condiments, ail, oignon ;

– les aliments suivants sont permis : pates, riz, semouleet derives, polenta ; biscottes, pain grille ; viandes, poissons,œufs, charcuterie ; lait et laitages (selon la tolerance),fromage a pate cuite ; biscuits secs ; chocolat noir, pate defruits, gelee de fruit, miel ; beurre, huiles�

La tolerance des laitages est variable d’un malade a l’autreet depend de leur teneur en lactose, qui est elevee surtoutdans le lait, mais beaucoup moins dans les fromages a patescuites. Leur consommation est recommandee pour eviter ladecalcification (osteopenie, osteoporose), frequente danscette maladie, de par la liberation de cytokines pro-inflammatoires et aggravee par les traitements corticoıdes.En cas de diarrhee, il ne faut pas reduire les boissons, maisalterner boissons sucrees et boissons salees (potages decereales par exemple) prises a temperature normale (jamaisglacees), a raison d’au moins deux litres de liquide par jour.D’autre part, il n’existe aucun argument objectif pourconseiller l’eviction des allergenes alimentaires comme legluten et les proteines de lait de vache. Le deuxieme objectifest de maintenir ou de restaurer un bon etat nutritionnelgrace a des apports suffisants en proteines en particulier,mais aussi en vitamines, en sels mineraux et en oligoele-ments. En cas d’amaigrissement, il faut mettre en placeune alimentation hypercalorique et hyperprotidique etremplacer les gros repas par des repas plus frequents et

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moins abondants. La tolerance a un aliment donne varie eneffet avec la quantite consommee en une fois. Il vaut mieuxprivilegier les cuissons simples.

Une fois la crise passee, on recommande la reintroduc-tion progressive des « fibres tendres » (certains legumescuits, les fruits cuits) et du lactose s’il est encore absent(dans les purees, la bechamel, le lait, les laitages, lesentremets�). Il est conseille de diversifier l’alimentationpetit a petit, a raison d’un seul aliment nouveau par jour,pour tester la tolerance digestive. On peut ensuite revenir aune alimentation la plus normale et diversifiee possible, enevitant l’exces d’alcool et de mets trop epices. En cas decorticotherapie prolongee, le regime sans sel strict n’estpas justifie (en dehors de facteurs de risque particuliers),il suffit en general d’eviter les exces de sel.

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