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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:761-762 761 SCIENCE ALERT Obésité et flore intestinale Georgia MALAMUT Service d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris. obésité constitue aujourd’hui un problème de santé publique majeur. L’ampleur croissante de ce véritable fléau mondial nécessite, à côté des actions préventives, que les facteurs — à la fois liés à l’hôte et à de l’environnement — qui contribuent à sa survenue, soient identifiés. Bien que le facteur génétique reste incontestable dans le déterminisme du poids, il est également indiscutable que la prévalence de l’obé- sité, toujours croissante au cours de ces 25 dernières années, ne puisse uniquement résulter de la génétique humaine [1]. Ainsi, d’autres facteurs d’obésité ont été identifiés comme l’augmenta- tion de la teneur calorique des aliments ou la réduction de l’acti- vité physique. Pour la majorité d’entre nous, nos apports caloriques excèdent de moins de 1 % nos dépenses énergéti- ques. Ces petites différences peuvent néanmoins s’accumuler au cours du temps et entraîner une augmentation pondérale [1]. La régulation des apports et des dépenses énergétiques est for- tement contrôlée par notre système hormonal. Ainsi, une de nos hormones, la leptine, augmente avec la prise de poids et entraîne une sensation de satiété [2]. Le déficit en leptine conduit chez l’homme comme chez la souris à une augmentation irréfrénable des ingestats alimentaires et à une prise rapide de poids [3]. Plus récemment, les travaux de l’équipe de Gordon ont sug- géré que notre flore intestinale constituait un autre facteur contri- buant aux différences pondérales entre les individus. Ces auteurs ont en particulier montré, en comparant les flores intestinales de souris obèses et de leurs congénères maigres [4], et celles de sujets obèses et minces [5], que les modifications pondérales étaient associées à des modifications quantitatives des deux grou- pes bactériens dominant notre flore intestinale : les Bactéroïdes et les Firmicutes. Dans une étude princeps [4], ces auteurs ont com- paré les séquences d’ARN ribosomal 16s de la flore intestinale distale (cæcale) de souris obèses homozygotes pour la mutation du gène de la leptine (Lep ob/ob), responsable de l’obésité, à celles de souris congéniques non obèses (ob/+) ou (+/+). Chez tous les animaux, les deux groupes bactériens majoritaires de la flore cæcale étaient les Bactéroïdes et les Firmicutes, composant plus de 90 % de tous les types phylogénétiques. Cependant, chez les souris ob/ob, les auteurs notaient une diminution de 50 % de la concentration de Bactéroïdes associée à une augmentation proportionnelle des Firmicutes, ces différences étant indépendan- tes du type d’alimentation. Dans l’étude récente de Ley et al. [5], 12 hommes obèses ont été randomisés pour recevoir soit un régime hypocalorique pau- vre en graisses, soit pauvre en hydrates de carbone. La composi- tion de leur flore intestinale était suivie pendant un an par le séquençage de l’ARN 16s ribosomal du contenu de leurs selles. Les Bactéroïdes et les Firmicutes dominaient la flore intestinale de tous les malades en représentant plus de 92 % de toutes les séquences d’ARN 16s ribosomal. Avant le régime, les malades obèses avaient moins de Bactéroïdes (P < 0,001) et plus de Firmicutes (P = 0,002) que des sujets-contrôles minces. Chez les sujets obèses, quel que soit le régime hypocalorique suivi, la pro- portion des Bactéroïdes augmentait (P < 0,001) et celle des Firmicutes diminuait (P = 0,002) au cours du temps. L’augmenta- tion des Bactéroïdes était positivement corrélée avec le pourcen- tage d’amaigrissement (R 2 = 0,8 et R 2 = 0,5 respectivement avec un régime pauvre en hydrates de carbone et un régime pauvre en graisses ; P < 0,05), mais n’était pas liée à l’apport calorique. Cette corrélation n’était visible qu’après une perte de 6 % de la masse corporelle en cas de régime pauvre en graisses et de 2 % en cas de régime pauvre en hydrates de carbone. Le métagénome humain est un composite des gènes de l’Homo sapiens et des gènes des bactéries présentes dans nos organismes. Nos génomes microbiens (microbiomes) codent pour des capacités métaboliques non codées par notre propre génome. Il inclut des gènes codant pour des enzymes impliquées dans la dégradation de composants normalement non digesti- bles par notre organisme. Ainsi, la colonisation de souris adultes germ-free par des flores intestinales récupérées de souris con- ventionnelles induit une forte croissance de leur masse grasse dans un délai de 10 à 14 jours même avec une diminution de leur consommation alimentaire [6]. Cette croissance pondérale est liée à plusieurs mécanismes très intriqués : — la fermentation microbienne de polysaccharides alimen- taires qui ne peuvent être digérés par l’hôte ; — l’absorption intestinale des monosaccharides et des aci- des gras à chaînes courtes ainsi produits ; — leur conversion en lipides complexes dans le foie ; — la régulation microbienne des gènes de l’hôte qui favori- serait le dépôt des lipides dans les adipocytes. Ces résultats ont conduit Turnbaugh et al. [7] à tester l’hypo- thèse que la flore intestinale des individus obèses pouvait être plus efficace que celle des sujets minces dans l’extraction éner- gétique d’une alimentation donnée. L’étude a porté sur des sou- ris et non chez l’homme pour éviter les facteurs confondants (environnement, régime et génotype). Elle a consisté à caractéri- ser les microbiomes de l’intestin distal (cæcum) des souris obèses ob/ob, des souris ob/+ et des souris normales (minces) +/+ en déterminant la séquence de leurs ADN microbiens. Les ADN étaient extraits du contenu cæcal des souris ob/ob, +/+ et ob/+. Ils étaient ensuite analysés par deux méthodes : le séquençage capillaire (utilisant le clonage) et le séquençage par pyroséquen- ceur (plus de séquences étudiées en évitant les biais du clonage mais produisant des séquences plus courtes). L’analyse des microbiomes montrait une augmentation du ratio Firmicutes/ Bactéroïdes chez les souris obèses comparativement aux minces aussi bien par l’étude des environmental gene tags (EGTs) que par celles des ARN ribosomaux 16s. Les EGTs spécifiques des Tirés à part : G. MALAMUT, Service d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris. E-mail : [email protected] L’

Obésité et flore intestinale

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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:761-762

761

SCIENCEALERT

Obésité et flore intestinale

Georgia MALAMUT

Service d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris.

obésité constitue aujourd’hui un problème de santépublique majeur. L’ampleur croissante de ce véritablefléau mondial nécessite, à côté des actions préventives,

que les facteurs — à la fois liés à l’hôte et à de l’environnement— qui contribuent à sa survenue, soient identifiés. Bien que lefacteur génétique reste incontestable dans le déterminisme dupoids, il est également indiscutable que la prévalence de l’obé-sité, toujours croissante au cours de ces 25 dernières années, nepuisse uniquement résulter de la génétique humaine [1]. Ainsi,d’autres facteurs d’obésité ont été identifiés comme l’augmenta-tion de la teneur calorique des aliments ou la réduction de l’acti-vité physique. Pour la majorité d’entre nous, nos apportscaloriques excèdent de moins de 1 % nos dépenses énergéti-ques. Ces petites différences peuvent néanmoins s’accumuler aucours du temps et entraîner une augmentation pondérale [1].

La régulation des apports et des dépenses énergétiques est for-tement contrôlée par notre système hormonal. Ainsi, une de noshormones, la leptine, augmente avec la prise de poids et entraîneune sensation de satiété [2]. Le déficit en leptine conduit chezl’homme comme chez la souris à une augmentation irréfrénabledes ingestats alimentaires et à une prise rapide de poids [3].

Plus récemment, les travaux de l’équipe de Gordon ont sug-géré que notre flore intestinale constituait un autre facteur contri-buant aux différences pondérales entre les individus. Ces auteursont en particulier montré, en comparant les flores intestinales desouris obèses et de leurs congénères maigres [4], et celles desujets obèses et minces [5], que les modifications pondéralesétaient associées à des modifications quantitatives des deux grou-pes bactériens dominant notre flore intestinale : les Bactéroïdes etles Firmicutes. Dans une étude princeps [4], ces auteurs ont com-paré les séquences d’ARN ribosomal 16s de la flore intestinaledistale (cæcale) de souris obèses homozygotes pour la mutationdu gène de la leptine (Lep ob/ob), responsable de l’obésité, àcelles de souris congéniques non obèses (ob/+) ou (+/+). Cheztous les animaux, les deux groupes bactériens majoritaires de laflore cæcale étaient les Bactéroïdes et les Firmicutes, composantplus de 90 % de tous les types phylogénétiques. Cependant, chezles souris ob/ob, les auteurs notaient une diminution de 50 % dela concentration de Bactéroïdes associée à une augmentationproportionnelle des Firmicutes, ces différences étant indépendan-tes du type d’alimentation.

Dans l’étude récente de Ley et al. [5], 12 hommes obèses ontété randomisés pour recevoir soit un régime hypocalorique pau-vre en graisses, soit pauvre en hydrates de carbone. La composi-tion de leur flore intestinale était suivie pendant un an par leséquençage de l’ARN 16s ribosomal du contenu de leurs selles.Les Bactéroïdes et les Firmicutes dominaient la flore intestinale de

tous les malades en représentant plus de 92 % de toutes lesséquences d’ARN 16s ribosomal. Avant le régime, les maladesobèses avaient moins de Bactéroïdes (P < 0,001) et plus deFirmicutes (P = 0,002) que des sujets-contrôles minces. Chez lessujets obèses, quel que soit le régime hypocalorique suivi, la pro-portion des Bactéroïdes augmentait (P < 0,001) et celle desFirmicutes diminuait (P = 0,002) au cours du temps. L’augmenta-tion des Bactéroïdes était positivement corrélée avec le pourcen-tage d’amaigrissement (R2 = 0,8 et R2 = 0,5 respectivement avecun régime pauvre en hydrates de carbone et un régime pauvreen graisses ; P < 0,05), mais n’était pas liée à l’apport calorique.Cette corrélation n’était visible qu’après une perte de 6 % de lamasse corporelle en cas de régime pauvre en graisses et de 2 %en cas de régime pauvre en hydrates de carbone.

Le métagénome humain est un composite des gènes del’Homo sapiens et des gènes des bactéries présentes dans nosorganismes. Nos génomes microbiens (microbiomes) codentpour des capacités métaboliques non codées par notre propregénome. Il inclut des gènes codant pour des enzymes impliquéesdans la dégradation de composants normalement non digesti-bles par notre organisme. Ainsi, la colonisation de souris adultesgerm-free par des flores intestinales récupérées de souris con-ventionnelles induit une forte croissance de leur masse grassedans un délai de 10 à 14 jours même avec une diminution deleur consommation alimentaire [6].

Cette croissance pondérale est liée à plusieurs mécanismestrès intriqués :

— la fermentation microbienne de polysaccharides alimen-taires qui ne peuvent être digérés par l’hôte ;

— l’absorption intestinale des monosaccharides et des aci-des gras à chaînes courtes ainsi produits ;

— leur conversion en lipides complexes dans le foie ;— la régulation microbienne des gènes de l’hôte qui favori-

serait le dépôt des lipides dans les adipocytes.Ces résultats ont conduit Turnbaugh et al. [7] à tester l’hypo-

thèse que la flore intestinale des individus obèses pouvait êtreplus efficace que celle des sujets minces dans l’extraction éner-gétique d’une alimentation donnée. L’étude a porté sur des sou-ris et non chez l’homme pour éviter les facteurs confondants(environnement, régime et génotype). Elle a consisté à caractéri-ser les microbiomes de l’intestin distal (cæcum) des souris obèsesob/ob, des souris ob/+ et des souris normales (minces) +/+ endéterminant la séquence de leurs ADN microbiens. Les ADNétaient extraits du contenu cæcal des souris ob/ob, +/+ et ob/+.Ils étaient ensuite analysés par deux méthodes : le séquençagecapillaire (utilisant le clonage) et le séquençage par pyroséquen-ceur (plus de séquences étudiées en évitant les biais du clonagemais produisant des séquences plus courtes). L’analyse desmicrobiomes montrait une augmentation du ratio Firmicutes/Bactéroïdes chez les souris obèses comparativement aux mincesaussi bien par l’étude des environmental gene tags (EGTs) quepar celles des ARN ribosomaux 16s. Les EGTs spécifiques des

Tirés à part : G. MALAMUT, Service d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris.E-mail : [email protected]

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bactéries Archea étaient plus fréquents dans le microbiomecæcal des souris ob/ob que dans celui des souris ob/+ et +/+.Le métagénome de ces bactéries augmentait l’efficacité de la fer-mentation bactérienne terminale. L’analyse comparative desmétagénomes montrait que le microbiome des souris ob/ob étaitenrichi en EGTs codant pour des enzymes impliquées dans lesétapes initiales de la digestion des polysaccharides autrementnon digestibles, incluant des enzymes impliquées dans le méta-bolisme des amidons ou des sucres. Parallèlement, l’analyse dugénome de Eubacterium rectale (représentant des Firmicutes)révélait 44 glycoside-hydrolases incluant celles impliquées dansla dégradation des amidons alimentaires. Les microbiomes dessouris ob/ob étaient enrichis en EGTs codant pour des glycosi-dases générant la majorité des produits finaux de la fermenta-tion, butyrates et acétates.

Les capacités d’extraction énergétique prédites par les analy-ses métagénomiques étaient ensuite validées par des essais bio-chimiques et des études de transfert de flore cæcale de sourisminces et obèses chez des souris germ-free. En effet, les analysesbiochimiques montraient que les cæcums des souris ob/obétaient enrichis en produits finaux de la fermentation (butyrate etacétate) par rapport aux souris minces. De plus, l’étude calori-métrique montrait moins d’énergie résiduelle dans les fèces dessouris ob/ob en comparaison avec les souris minces.

Les transferts de flore intestinale consistaient à coloniser dessouris germ-free par une flore recueillie du cæcum de sourisdonneuses obèses (ob/ob) ou minces (+/+). L’abondance enFirmicutes des flores des souris obèses par rapport aux sourisminces était confirmée par l’analyse des séquences d’ARN 16sribosomal. Après le transfert, les souris receveuses de la floreob/ob avaient plus de Firmicutes que les souris ayant reçu laflore des souris minces (P < 0,05). Cette différence était identique15 jours après le transfert alors qu’il n’existait aucune différenceen termes de poids ou de masse grasse entre les deux groupesde souris avant les transferts ni dans les régimes alimentaires aucours l’expérimentation. De plus, les souris colonisées par uneflore de souris ob/ob avaient une plus grande croissance enmasse grasse que les souris colonisées par une flore intestinalede souris minces (+/+).

Conclusion

Ces travaux sont assez surprenants et potentiellement révolu-tionnaires dans notre vision des causes de l’obésité et des inte-ractions que nous entretenons avec notre flore intestinale. Ilssemblent indiquer que cette dernière intervient comme un facteurenvironnemental contribuant, par son activité métabolique, à larégulation de la balance énergétique et par conséquent commeun élément modulant la prise pondérale. Toutefois, il reste sur-prenant que d’aussi faibles modifications dans l’extraction calo-rique intestinale puissent entraîner d’aussi fortes différencespondérales. Une autre inconnue concerne la manière dont laflore intestinale peut être modifiée par le statut pondéral.

Les résultats de ces études, s’ils se confirment et sous réservede mieux comprendre le rôle de la flore dans la régulation de labalance énergétique, ouvrent potentiellement un nouveau champthérapeutique chez les sujets obèses : manipuler la flore intesti-nale dans le but de prévenir ou de traiter l’obésité.

RÉFÉRENCES

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7. Turnbaugh PJ, Ley RE, Mahowald MA, Magrini V, Mardis ER,Gordon JI. An obesity-associated gut microbiome with increasedcapacity for energy harvest. Nature 2006;444:1027-31.