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Paradigme et définition Author(s): Frédéric François Source: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 2 (1974), pp. 25-36 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248250 . Accessed: 16/06/2014 05:03 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.49 on Mon, 16 Jun 2014 05:03:16 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Paradigme et définition

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Paradigme et définitionAuthor(s): Frédéric FrançoisSource: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 2 (1974), pp. 25-36Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248250 .

Accessed: 16/06/2014 05:03

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PARADIGME ET DIFINITION

par Frideric FRAN9OIS

A l'occasion d'une question particulibre : << Que fait-on et plus specialement que font les enfants de divers Ages lorsqu'ils defi- nissent ? >>, << Peut-on, dans ce cas, parler de comportements syn- tagmatiques et de comportements paradigmatiques ? >>, on voudrait proposer quelques remarques sur la relation entre les concepts qui permettent de d6crire une structure linguistique et ceux dont on doit se servir pour analyser un comportement linguistique.

Souvent, il y a eu extension immediate des procedures de des-

cription aux processus supposes d'utilisation ou d'acquisition du langage. Ainsi, lorsqu'on est passe d'une analyse distributionnelle a l'affirmation selon laquelle les sujets apprenaient la grammaire sous forme de probabilit6s de transition de classe grammaticale B classe successive dans la chaine.

Ou bien lorsqu'on a deduit, de la possibilit6 de d6crire des structures derivees les unes des autres, l'idee que le cerveau contien- drait une << machine a transformer>> fonctionnant dans un sens pour engendrer des phrases complexes, dans l'autre pour comprendre. Ou encore, dans la perspective fonctionaliste, lorsqu'on est passe de la n6cessaire mise en 6vidence des rapports paradigmatiques pour dicrire le systhme d'une langue ta leur traduction sous forme de << choix du locuteur >>.

Non qu'il ne doive pas y avoir de relation entre la nature du

systhme linguistique et la faqon dont il est acquis et utilise. On peut meme dire qu'il y a eu une longue miconnaissance de la << valeur

comportementale >> des concepts linguistiques; ainsi dans les

ouvrages traditionnels qui decrivent l'apparition des << sons >> ou des << mots >> sans s'occuper de leurs valeurs oppositionnelles. Reste

que le mode de demonstration n'est pas le meme dans les deux cas. Dans un cas il s'agit de mettre en evidence un systdme commun aux diff6rents usagers. Dans l'autre de d6montrer que des compor-

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26 FR.DtRIC FRANO0IS

tements doivent etre expliques dans leur apparition selon les

concepts qui servent a dicrire ce systdme. Ainsi, on doit d'une part analyser une langue en distinguant traits phonetiques et traits

phonologiques definis par leur fonction ind6pendamment des variations contextuelles, voire sociolectales. C'est autre chose de montrer que dans l'acquisition d'une langue etrangere, on peut avoir acquis les differences phonologiques, mais non les qualitis phonetiques particulieres : < On a un accent etranger. > C'est encore autre chose de chercher un equivalent de la methode

d'analyse du linguiste dans le comportement du sujet qui n'a pas besoin d'avoir resolu le probleme du statut phonologique du << e muet>> pour l'employer.

Dans d'autres cas, on peut demontrer que le sujet tient compte de l'identite semantique de formes diff6rentes par exemple dans la reprise : est-ce que tu vas ? - Oui, j'irai, ce qui n'est pas psycho- logiquement equivalent a la prise de conscience explicite que manifesterait la possibilitd de reciter le futur du verbe aller.

On peut meme ajouter qu'il est ndcessaire qu'il y ait une diff6- rence entre la description de la langue par les linguistes et la gram- maire implicite, si toutefois elle constitue un ensemble homo-

gene, qu'on doit supposer chez le sujet parlant. Ainsi la grammaire du grammairien constitue-t-elle forcement, meme si elle est fondde sur un seul corpus, un << systhme maximum>> qui ne peut tenir

compte de l'ensemble des facteurs extra-linguistiques utilisis dans la communication. De meme, il est evident que plusieurs orga- nisations du systeme peuvent correspondre 'a un meme compor- tement et qu'il n'y a pas 1It non plus traduction comportementale d'une grammaire. Sans parler de I'ordre ndcessaire de l'expose (regles gindrales et rbgles particulibres, syntaxe puis semantique) qui caracterisent une theorie exprimde et non un comportement.

Dans d'autres cas enfin, il est difficile d'imaginer une procedure experimentale qui departagerait les tenants des diverses hypo- th6ses. Comme nous parlons toujours sous forme de mots et non de rlgles, comment dipartager ceux qui decrivent la syntaxe sous forme d'extensions analogiques ou sous forme de comportement obeissant A des regles ?

Qu'en est-il des rapports paradigmatiques entre unites signi- ficatives ? Disons tout d'abord que l'idee d'un equivalent compor-

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PARADIGME ET D.VINITION 27

temental du systeme paradigmatique est sdduisante. D'abord parce qu'elle n'a rien de neurologiquement invraisemblable. Tout

comportement ne peut-il tre considdrd comme un ensemble de

sdlections d'une part, de sdquences de l'autre ? D'o'i sans doute le succes de la presentation jakobsonienne en aphasiologie. De meme 6tait-il tentant, face 't la diversitd sdmantique des associations verbales, de poser un principe unificateur : associations de type syntagmatique (clair-soleil) et de type paradigmatique (clair- sombre). Enfin, cela permet de faire une hypoth6se : l'enfant ne pourrait acqudrir directement les rapports oppositionnels non manifestes. Ce serait par des relations syntagmatiques variables, directes : c'est pas bon, c'est mal ou indirectes : petit garfon... grand garfon que les rapports paradigmatiques seraient

acquis et tendraient peu a peu t l'emporter dans les taches d'associationx.

Une telle hypothese est sdduisante. Elle permet de ne pas ddcrire seulement l'acquisition comme un progr6s quantitatif du nombre des unites disponibles ou de la longueur moyenne de

l'dnoncd mais comme une variation structurale. Ainsi pourrait-on parler d'un usage rdfdrentiel, celui ofi petit ne joue son rble qu'en fonction d'un contexte et d'une situation, oih il se trouve limitd chez l'enfant et comme rdcepteur et comme dmetteur h un petit nombre de champs d'emploi oppose a un moment ou un signifid oppositionnel comme tel apparait corrdlatif d'une ouverture de la combinatoire syntagmatique. De meme on peut caractdriser un certain nombre d'usages du langage de l'enfant par la prevalence des systames binaires, dlargis ensuite 'a des systhmes lexicaux plus larges (petit-moyen-grand) ou plus complexes (comparatifs, etc.). Cela permet de donner une figure precise a ce qu'on peut entendre

par p61e actif de l'acquisition linguistique, celui de la restructura- tion par rapport 'a celui du rdemploi. Cela permet dgalement de

comprendre les mdcanismes de l'dchange linguistique entre sujets ayant des systhmes diffirents, en particulier enfants et adultes, qui peuvent soit grace a la situation soit grace au contexte s'accorder

ndanmoins. Cependant, il nous semble que cette idde de constitution pro-

gressive de systemes oppositionnels, sous reserve de verification

I. S. ERVIN, Changes with age in the verbal determinants of word association, American Journal of Psychology, 1961.

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28 MFRiDiRIC FRANgOIS

expirimentale2 ne peut &tre admise que si l'on se livre A une double clarification. Tout d'abord, il faut rappeler quelques caracteris-

tiques de ces rapports oppositionnels : si etre en opposition c'est

pouvoir etre dans le meme contexte et apporter une diffirence de sens, il n'y a pas de rapport simple entre appartenance A la meme classe grammaticale et appartenance " la meme classe opposition- nelle. Bien evidemment parce que le sens des unites qui peuvent se trouver dans le meme contexte n'est pas conditionne directe- ment par l'appartenance . cette classe. C'est particulibrement clair

pour les contextes ouverts du typej'ai trouve un... Le sens des termes n'est pas affecte par des oppositions, qui, par le fait meme qu'elles constituent un ensemble ouvert, ne concernent que leur valeur refirentielle. Inversement appartiennent au meme systhme oppo- sitionnel des unites ou des syntagmes qui n'appartiennent pas au

mrme systtme syntaxique. Cela peut se manifester dans la langue de l'enfant par exemple au niveau des taches de completement de

phrases : je l'aime parce que -* joli, # -* beaux habits # -* court vite. Chez l'adulte normal l'acquisition posterieure des contraintes

grammaticales permettra de faire entrer des unites diff6rentes syn- taxiquement dans le meme cadre, par exemple des phrases ver- bales : il estjoli # il a de beaux habits. Il nous semble necessaire ici de tenir compte de deux donnees partiellement opposees. D'une

part apprendre une langue n'est pas apprendre uniquement des signifiants. Et comme on n'apprend pas des signifies au sens d'autre rdalite, image mentale ou quoi que ce soit, la metaphore du dicoupage reste la moins mauvaise pour rendre compte de ce

que c'est qu'un syst6me signifid par opposition a une rif6rence ou a une << idle >>. De ce point de vue, ii y a bien une parents entre les

diff~rents rapports de synonymie, de contradiction, de super- ou subordination : se difinir non directement par rif6rence t l'objet designd mais indirectement par une relation a d'autres signes, ce

qui expliquerait que chez l'enfant il y ait anteiriorite du rapport in

praesentia : un chien c'est fa ou un chien fa aboie sur le rapport in absentia : un chien c'est un animal. Mais en meme temps il y a asym&- trie entre les acquisitions d'unitis liees A la loi de la discretion et

2. NOIZET et PICHEVIN, Organisation syntagmatique et paradigmatique du discours, Annie Psychologique, 1966 : les auteurs obtiennent des risultats opposes : primat des rap- ports oppositionnels chez les sujets les plus jeunes et inversion ensuite. Mais il s'agit de comparer des enfants de 10-12 ans ' des adultes et ce dans une situation d'association a choix force. Cette experience ne semble donc pas pertinente ici.

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PARADIGME ET DEFINITION !9

celle des systemes simantiques qui ne sont pas ndcessairement stables ni d'un interlocuteur

.. l'autre ni d'un contexte h l'autre.

(D'oh chez les linguistes deux tendances opposees : dcarter la consi-

ddration de ces paradigmes sdmantiques comme variables ou appli- quer des methodes par exemple empruntees au domaine phonolo- gique et leur attribuer une rdaliti qu'ils n'ont pas.) C'est une raison

suppl6mentaire de supposer ici des comportements qualitativement diff6rents. L'enfant passerait par un stade de rdponses variables non conditionnees syntaxiquement et dipendant etroitement des conditions particulieres d'apprentissage : associations libres en ce sens. En un second moment les associations seraient a dominance

syntagmatique; en un troisieme les systemes clos paradigmati- ques lexicaux l'emporteraient. Et ce n'est qu'ensuite qu'apparai- trait la possibilitd de rdponses diversifides oh la combinatoire

syntaxique modifie les paradigmes pricodds a la disposition des interlocuteurs.

Cependant une diff6rence fondamentale avec le niveau phono- logique est qu'ici les unites n'entrent pas en un point donnd de la chaine, dans des rapports ou paradigmatiques ou syntagmatiques. Les rapports syntagmatiques manifestent soit explicitement, dans le cas par exemple de la coordination, soit implicitement dans le cas des rdponses

' des questions des rapports paradigmatiques. On

peut donc noter que les relations d'association nom-nom l'empor- tent peu a peu sur les relations nom-adjectif ou nom-verbe. Mais cette relation intraclasse ne peut etre considerde automatiquement comme une relation oppositionnelle, d'autant plus que les noms, polyfonctionnels, sont aisement en relation syntagmatique. De meme, on peut considdrer la plupart des procedures de mise en correspondance entre structures (nominalisation, relativisa- tion, etc.) comme des moyens d'introduire des relations opposi- tionnelles non precoddes dans le lexique : ce qui importe ce n'est

pas la relation de un garfon mechant ' un garcon qui est michant mais

la possibilit6 de pouvoir ainsi associer michant au paradigme des valeurs temporelles verbales et inversement de pouvoir faire entrer mechant dans un paradigme syntaxiquement diff6rent (qui est mcchant - qui me fait peur).

Inversement, et ceci nous mane a des considerations d'utili- sation du langage, la conduite de sdrie (reciter les noms de nombre, dire j'ai vu un chien, un chat, un lion, etc.) doit-elle etre obligatoire- ment considdrie comme une actualisation de rapports signifies

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30 FRAD.RIC FRAN9OIS

paradigmatiques ? Bien evidemment, une serie peut &tre rdpitae a vide sans fonctionner oppositionnellement.

Autrement dit, il est preferable de distinguer des rapports para- digmatiques en reservant le nom aux termes qui appartiennent & une meme classe definie par son identit6 grammaticale et des rapports d'opposition qui dans une circonstance donnee permettent de mettre en evidence une organisation signifide. Ces rapports d'opposition pouvant ou non etre institutionnalises dans la langue, en particulier dans les systemes clos. Ajoutons enfin qu'on ne peut mettre en ividence leur existence que dans certains comporte- ments syntagmatiques : question-reponse, coordination, etc., la non-actualisation du systeme oppositionnel dont un des termes seulement est exigi par la situation &tant la regle : nous disons je quand il le faut sans nous occuper de tu, de il, ou de nous), ce qui permet normalement a la langue de fonctionner comme si la valeur r'ferentielle suffisait, comme si la relation oppositionnelle n'exis- tait pas. C'est ce qui autorise tous les malentendus, mais aussi la communication de significations nouvelles par des moyens lin- guistiques qui restent stables (les signifiants restent les memes) alors que les relations signifides, par l'intermidiaire de ce qui est actualise dans des syntagmes diffirents, varient.

De ce point de vue il semble normal d'utiliser la tache de defi- nition ou plut6t de reponse a la question qu'est-ce que c'est ? ou

qu'est-ce que fa veut dire ? pour essayer de mettre en evidence la diversite des rapports signifies. C'est en tout cas un meilleur instru- ment que les taches tres artificielles d'association de mots ou de

compl6tement de phrases qui font fonctionner le langage a vide ou que l'Ptude du seul usage r'fdrentiel du langage oui, normale- ment, le rapport oppositionnel ne s'actualise pas. Ceci & quelques conditions : tout d'abord il ne s'agit pas directement ici de mesurer une acquisition cognitive : le signifid d'une phrase 6quative : courir c'est..., n'est pas l'Cquivalent de l'ensemble des relations

que l'on doit definir comme << concept de course >>. D'autre part, il n'est pas nicessaire de supposer une evolution de la mentalite enfantine, sorte de vision du monde qui se traduirait dans la structure linguistique utilisde qui ne serait qu'un effet. On ne gagne rien & difinir un comportement, par exemple l'utilisation generale de pour (une chaise c'est pour s'asseoir, un medecin c'est pour soigner, une maman c'est pour embrasser) comme relevant du finalisme ou de

l'6gocentrisme enfantins. D'une part, il y a un certain nombre de

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PARADIGME ET D.EFINITION 31

r6alites qu'on ne peut que difficilement definir autrement que par leur finalit6 (ne serait-ce que l'ensemble des objets fabriques). D'autre part, ces definitions ne disparaissent pas : d'autres indi- quant la classe, la circonstance, etc., leur sont ajouties. Dbs trois ans enfin, d'autres types de definitions sont utilises : qu'est-ce que c'est qu'une montre ? j'en ai une, ou la reaction normale B l'amission d'un verbe d'action : mimer l'action correspondante : comporte- ments precoces, mais qu'on n'a pas de raisons de considerer comme inadequats.

On ne peut decrire de fagon univoque ce developpement sous forme de stades psychologiques tels qu'ils sont annonces dans les tests d'intelligence du type Binet-Simon : d'abord definitions par pour, ensuite autres types de definitions. Ce d6veloppement est

plut6t conditionn6 par des facteurs qualitativement diffirents. Tout d'abord, il depend de ]a nature de l'expirience extra-linguis- tique (traduite plus ou moins nettement mais pas forcement direc- tement dans le comportement syntagmatique). Ainsi pompier ren- verra tout d'abord B l'experience de la voiture de pompier, ce qui se traduira sur le plan linguistique par : un pompier c'est une voiture. De meme directeur sera d'abord directeur d'ecole. De meme, les termes potentiellement gendriques machine ou vaisselle n'existeront en fait que dans les syntagmes machine ai laver ou faire la vaisselle, qui ne donneront pas l'occasion d'actualiser leurs relations d'in- clusion 'a d'autres designations d'objets.

D'autre part, l'organisation meme de la langue privilkgie cer- tains rapports linguistiques. Ainsi les adjectifs les plus frequents entrent dans des couples d'opposes alors que les adjectifs plus rares se definiront, de faqon moins preddterminee, par leurs conditions d'utilisation : horrible c'est quand on a tres peur : il serait assez ridicule de considerer qu'un de ces comportements est par nature superieur a l'autre. De meme on voit mal comment un nom de couleur pourrait se definir autrement que par une relation rouge, c'est comme... Au contraire, ce sont les verbes beaucoup plus que les adjectifs ou les noms qui permettent une definition par rappro- chement et modification (courir c'est marcher tres vite ou par equiva- lent approximatif : dire c'est parler, bavarder, discuter, causer)... Enfin, c'est seulement dans certains cas que la relation du genre a l'espbce est rapidement induite, ainsi dans le cas des noms d'animaux.

Autrement dit, il y a des precodages lexicaux : adjectifs opposes, noms inclus, verbes equivalents qui apparaissent t6t dans la langue

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32 FRADERIC FRAN9OIS

de l'enfant et pour lesquels il ne saurait y avoir nettement de pro- grbs. On ne saurait en particulier poser que la relation d'inclusion est le signe specifique d'un approfondissement du maniement lin- guistique. La realite est plus complexe.

En effet, dans les cas favorables, une telle relation apparait tres t6t, d'is 3 ans quand il s'agit de definir le chien comme animal. Ce qui ne signifie 6videmment pas que la riversibilit6 des relations entre quelques et tous, individus et genre est acquise : de toute

faqon les conditions normales de la communication n'exigent gend- ralement pas que l'on precise que tous les chiens sont quelques animaux. Il s'agit seulement de noter que ce rapport paradigma- tique (s'il l'est) n'est pas acquis plus tardivement qu'un autre. Mais surtout, y a-t-il moins relation d'inclusion dans une banane c'est pour manger que dans un chien c'est un animal ? La seule diffirence est que depuis Aristote la classification des animaux est plus insti- tutionnalisie que celle du mangeable et d'autre part qu'elle s'ex- prime en termes syntaxiquement homogenes, appartenant a la meme classe. Elle n'est pas pour autant plus reellement classifi- catoire. Il sera d'ailleurs facile de retrouver, par exemple dans le dialogue, cette identite de comportement :

c'est un animal? oui c'est un chien c'est pour manger ? oui c'est une banane.

En cela les signes manifestes de l'inclusion ne sont pas pour autant des preuves ividentes de saut qualitatif. Y a-t-il un progrbs quand on passe de un mddecin c'est pour soigner a un mddecin c'est un monsieur qui soigne ? Il n'y a pas de << meilleures >> difinitions qui par leur seule forme actualiseraient les concepts. D'autant plus que meme si on ne peut opposer absolument maniement courant de la langue et discours scientifique, il reste que le maniement ordi- naire de sel n'a pas, pour reprendre l'exemple de Bloomfield, a se ref6rer 'a CINa ni celui de courir aux muscles de la jambe. Une definition ne vise pas n6cessairement un concept, ne serait-ce que parce que dans un grand nombre de cas les definitions tendent plut6t a d6signer une realit6 extralinguistique : des grattons c'est ce que tu as vu chez la charcutiare a cotd. Si l'on peut parler d'un usage courant du langage c'est bien en ce qu'il ne constitue pas un ensemble clos, suffisant, qui manifesterait en lui-meme la rdalite.

Il nous semble bien prfi6rable de considdrer qu'il y a des conduites linguistiques acquises avant tout au niveau du precodage

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PARADIGME ET D'FVINITION 33

social, dont les dichotomies paradigmatiques chaud-froid, gentil- mechant constituent sans doute l'exemple le plus frappant. A l'op- pos' il y a toutes les utilisations du code linguistique conditionnoes

par une experience particulibre, utilisations non directement dic- tees par le code lui-meme et eventuellement << naivement >> dictees

par les conditions particulibres de l'experience : une montre, fa se remonte, fa a un bracelet en cuir : toutes determinations non necessaires et qui done devraient ' la rigueur etre exclues d'une < bonne defi- nition >>, mais qui sont en fait ce qui est le plus evolutif dans le

developpement du maniement du langage : c'est avant tout I'ac- croissement des determinations, des circonstants qui distingue les definitions donnees par I'enfant de 12 ans de celles donnies par celui de 6 ans. Ajoutons que c'est bien cette possibilit6 de coder une realite particuliere qui constitue a nos yeux l'indice reel du

progrbs linguistique beaucoup plus que la richesse lexicale ou la

complexite syntaxique telle qu'on la mesure habituellement, par exemple en comptant le nombre de syntagmes par phrase qui peuvent evidemment tourner a vide et/ou fonctionner comme

signes de reconnaissance, d'appartenance A la classe des gens cultives; ce qui n'exclut evidemment pas que ce codage d'une

experience particulibre doive se faire en fonction de termes plus ou moins generaux. On ne cherche pas a surivaluer le particulier comme tel mais le codage par opposition a la reutilisation seule du pricodi.

En se rif'rant A une etude rccente non publiee, dont les

exemples precedents sont extraits3, itude faite sur 288 enfants appartenant

' 8 classes d'age de 3 I1I ans et poursuivie dans trois milieux sociaux diffirents, dans le 13e, le I6e arrondissements de Paris ainsi qu'a Saint-Germain, on peut bien voir comment d'abord dans certains cas la nature de ce qui est a difinir condi- tionne davantage le comportement que ne le ferait un passage suppose par des stades de developpement. Ainsi pour les objets (marteau, crayon, montre, etc.) l'enfant de 3 ans les definit par pour, une classe d'age (36 enfants) ayant a definir deux animaux utilise Io fois la rep&tition, 6 fois la qualification, 9 fois l'action faite, 5 fois la description (traits corporels), 5 fois les circonstances, Io fois la categorie, 3 fois l'onomatopee, ce qui montre que d'une

3. P. COLLETTE, M. H. BESNAULT et B. LIzoT, Acquisition du lexique et son utilisation chez les enfants de 3 a ii ans, m6moire pour le certificat de capacitt d'orthophoniste, Paris, 1973-

LA LINGUISTIQUE, 2 2

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34 FRDDARIC FRAN gOIS

part le comportement d'equivalence paradigmatique peut &tre pre- coce, d'autre part qu'il y a 1, sans pricodage obligatoire, de mul-

tiples comportements linguistiques possibles. A l'interieur meme d'un type d'objets particuliers, celui des

objets artificiels, certains favorisent, comme on pouvait s'y attendre, le comportement c'est pour : marteau pour taper, crayon pour ecrire, chaise pour s'asseoir, mais d'autres comme la montre favorisent d6s 5-6 ans l'apparition de termes << semi-6quivalents >> : c'est un bijou, ou de << descriptions >> : il y a un bracelet, des aiguilles, un cadran.

Lorsqu'il y a evolution, il n'est pas certain qu'on puisse l'inter- preter sur le moddle syntagme-paradigme, ainsi pour parler le

module prif6rentiel est d'abord

on parle i quelqu'un on parle avec la bouche

sur le module frequent repetition + expansion ensuite c'est quand on dit des mots c'est pour dire quelque chose. Ce comportement peut-il &tre classe comme substitutif paradigmatique ou simplement conditionne par l'usage dominant : ne pas utiliser parler avec un complement direct ?

De toute fagon, A 5 ans pour travailler la moitid des sujets rdpon- dent par un equivalent du type fa veut dire qu'on e'crit ou c'est ce

qu'on fait en classe, l'explication qu'on pourrait appeler moins paradigmatique l'emportant ensuite :

c'est pour gagner de l'argent c'est pour apprendre des choses.

En fait, les formules de base precodees subsistent comme la d6finition par l'usage et l'indice le plus ivolutif est celui du nombre de caractares utilises pour definir un terme donne. Ainsi, pour definir les objets (definition plus 6volutive que celle des verbes) on a les resultats suivants :

Age

Lieu scolaire 3 ans 6 ans 8 ans to ans

3e1............. I Y,14 1,41 1,97

17e............. I 2 2,14 2,70 Saint-Germain .. 1,o09 1,59 2,43 2,77

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PARADIGME ET Dh~INITION 35

(les chiffres indiquent le nombre de syntagmes par definition). On ne considere pas ici l'aspect socio-linguistique, les effectifs &tant sans doute trop faibles et l'enqu&te insuffisamment precise sur ce

point; ce qui importe, c'est la rigularite de la progression. Si l'on considbre les grands types de syntagmes par definition

on a les resultats suivants qui font apparaitre le maintien des definitions par I'usage et la croissance corrdlative des definitions

par la classe (paradigmatiques ou intralinguistiques ?) et par les circonstants et descriptions (syntagmatiques ou experimentales ?) :

Groupe Cir- Descrip- Cat6-

Age scolaire Exemple Usage constant tion gorie

3 ans I o 24 2 o o 2 6 25 o 5 o 3 4 31 I 5 o

6 ans I I 34 2 5 8 2 I 43 6 14 24 3 4 39 5 19 5

8 ans I I 37 2 5 20 2 3 45 12 18 20

3 6 30 8 15 15

io ans I o 40 2 10 40 2 8 41 1I 36 27 3 12 43 zo 35 32

De telles etudes sont certainement a reprendre en precisant en particulier les types de conduites linguistiques favorisdes par la pedagogie; elles permettent, croyons-nous, des maintenant de mettre en cause une description fondee purement et simplement sur la dichotomie paradigme-syntagme.

Essayons donc de faire le point : on n'a pas eu la pr&tention de vouloir ici resoudre la question de la nature des rapports oppo- sitionnels, on a simplement voulu negativement montrer que tant en ce qui concerne l'Ptude du systhme de la langue que celle de son maniement et de son apprentissage par les sujets, on ne gagne rien "a vouloir les faire entrer de force dans le seul cadre de la dichotomie en question.

Sur le plan du systame, outre la difference entre paradigme grammatical et paradigme simantique il semble necessaire de dis-

tinguer rapport oppositionnel pricod6 comme celui des adjectifs opposes et rapports etablis au moment de la communication.

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36 FREDiRIC FRANqOIS

D'autre part chacun de ces rapports peut &tre actualise par un

rapport syntagmatique :

c'est chaud? non c'estfroid c'est chaud? non tu peux boire

ou chez un meme locuteur dans la coordination en particulier4 mais aussi bien dans la simple succession sans aucune marque particulibre.

De meme, en ce qui concerne l'acquisition ne peut-on valider

l'hypothese pricidente du passage de la relation syntagmatique a la relation paradigmatique comme modble g6neral d'acquisition du langage, ni penser que les rapports d'opposition ou d'inclusion constituent quelque chose de plus noble, de plus proche de la < pensde >> que de signaler qu'une fourchette c'est pour manger ou que qa a des dents.

4. F. FRANgOIS, Coordination, negation et types d'oppositions significatives, Journal de Psychologie normale et pathologique, janv.-juin I973.

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