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Médecine & Longévité (2011) 3, 108—110 REVUE GÉNÉRALE Perturbateurs endocriniens environnementaux et maladies endocriniennes de l’enfant Environmental endocrine disruptors and endocrine diseases in children C. Sultan a,b,, L. Gaspari a,b , N. Kalfa c , F. Paris a,b a Service de pédiatrie I, unité d’endocrinologie et gynécologie pédiatrique, hôpital Arnaud-de-Villeneuve, CHU de Montpellier, 191, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France b Service d’hormonologie (développement et reproduction), Inserm U540, hormones et cancer, université Montpellier-1, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier, 191, avenue Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier, France c Service de chirurgie infantile, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier, 191, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France Rec ¸u le 12 juillet 2011 ; accepté le 13 juillet 2011 Disponible sur Internet le 15 septembre 2011 MOTS CLÉS Malformations génitales ; Précocités pubertaires ; Perturbateurs endocriniens Résumé De nombreux travaux et études épidémiologiques montrent que les perturbateurs endocriniens environnementaux (PEE), des polluants chimiques qui interfèrent avec le système hormonal, sont omniprésents. Ils ont pour principale caractéristique un effet agoniste avec les estrogènes mais peuvent également avoir un effet anti-androgénique et sont capables de modifier l’expression des gènes. Trois notions essentielles caractérisent leur impact sur la santé : (1) la pollution au stade du développement fœtale engendre des pathologies à l’âge adulte ; (2) l’environnement module l’expression des gènes au cours de la vie fœtale (ex : distilbène) ; (3) les effets induits par les PEE se transmettent sur plusieurs générations. Parmi les PEE, on retrouve les produits pharmaceutiques, les polluants chimiques tels que les pesticides et les plastifiants (BPA, phtalates etc.), les détergents, les PCB, les dioxines, les produits d’incinération, les hydrocarbures aromatiques et les phytoestrogènes. L’impact des PEE dépend de leur nombre ainsi que de la période et de la durée de l’exposition. Outre des effets sur les structures cérébrales, les PEE agissent sur les mécanismes de détoxication hépatique, sur la fonction thyroïdienne, sur la différentiation sexuelle masculine, sur la croissance staturo-pondérale, sur le développement psychomoteur et pubertaire. À cela s’ajoutent certains cancers et une baisse de la spermatogenèse. Les perturbateurs endocriniens (environnementaux) constituent un problème majeur de santé publique que confirme la mobilisation des agences sanitaires internationales. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Article issu d’un colloque sur les perturbateurs endocriniens, organisé par le Réseau environnement santé le 14 septembre 2010. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Sultan). 1875-7170/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mlong.2011.07.004

Perturbateurs endocriniens environnementaux et maladies endocriniennes de l’enfant

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Page 1: Perturbateurs endocriniens environnementaux et maladies endocriniennes de l’enfant

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édecine & Longévité (2011) 3, 108—110

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nvironmental endocrine disruptors and endocrine diseases in children

C. Sultana,b,∗, L. Gaspari a,b, N. Kalfac, F. Parisa,b

a Service de pédiatrie I, unité d’endocrinologie et gynécologie pédiatrique, hôpitalArnaud-de-Villeneuve, CHU de Montpellier, 191, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295Montpellier cedex 5, Franceb Service d’hormonologie (développement et reproduction), Inserm U540, hormones etcancer, université Montpellier-1, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier, 191, avenueDoyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier, Francec Service de chirurgie infantile, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier, 191, avenue duDoyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France

Recu le 12 juillet 2011 ; accepté le 13 juillet 2011Disponible sur Internet le 15 septembre 2011

MOTS CLÉSMalformationsgénitales ;Précocitéspubertaires ;Perturbateursendocriniens

Résumé De nombreux travaux et études épidémiologiques montrent que les perturbateursendocriniens environnementaux (PEE), des polluants chimiques qui interfèrent avec le systèmehormonal, sont omniprésents. Ils ont pour principale caractéristique un effet agoniste avecles estrogènes mais peuvent également avoir un effet anti-androgénique et sont capables demodifier l’expression des gènes. Trois notions essentielles caractérisent leur impact sur la santé :(1) la pollution au stade du développement fœtale engendre des pathologies à l’âge adulte ; (2)l’environnement module l’expression des gènes au cours de la vie fœtale (ex : distilbène) ; (3) leseffets induits par les PEE se transmettent sur plusieurs générations. Parmi les PEE, on retrouveles produits pharmaceutiques, les polluants chimiques tels que les pesticides et les plastifiants(BPA, phtalates etc.), les détergents, les PCB, les dioxines, les produits d’incinération, leshydrocarbures aromatiques et les phytoestrogènes. L’impact des PEE dépend de leur nombreainsi que de la période et de la durée de l’exposition. Outre des effets sur les structurescérébrales, les PEE agissent sur les mécanismes de détoxication hépatique, sur la fonctionthyroïdienne, sur la différentiation sexuelle masculine, sur la croissance staturo-pondérale,sur le développement psychomoteur et pubertaire. À cela s’ajoutent certains cancers et unebaisse de la spermatogenèse. Les perturbateurs endocriniens (environnementaux) constituent

un problème majeur de santé publique que confirme la mobilisation des agences sanitairesinternationales.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

� Article issu d’un colloque sur les perturbateurs endocriniens, organisé par le Réseau environnement santé le 14 septembre 2010.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (C. Sultan).

875-7170/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.mlong.2011.07.004

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Perturbateurs endocriniens environnementaux et maladies endocriniennes de l’enfant 109

KEYWORDSGenitalmalformations;Precocious puberty;Endocrine disruptors

Summary Much research and many epidemiological studies show that environmental endo-crine disruptors (EEDs) — chemical contaminants that interfere with the hormonal system — areubiquitous. They act as estrogen agonists as well as antiandrogens and are able to alter geneexpression. Three key concepts characterize their health impact: (1) pollution during fetaldevelopment stages generates pathologies in adulthood; (2) the environment modulates geneexpression during fetal life (e.g. diethylstilbestrol); (3) the effects induced by EEDs are epige-netic. Among EEDs are pharmaceuticals, chemical pollutants such as pesticides and plasticizers(BPA, phthalates etc.), detergents, PCBs, dioxins, incineration products, aromatic hydrocar-bons and phytoestrogens. The impact of EEDs depends on their number and on the period andduration of exposure. In addition to effects on brain structures, the EEDs also alter liver detoxifi-cation mechanisms, thyroid function, male sexual differentiation, growth in height and weight,psychomotor and puberty development. To this can be added some cancers and a reduction insperm production. Environmental endocrine disruptors are a major public health concern as isconfirmed by the mobilization of international health agencies on the matter.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Les effets de la pollution environnementale sur la santé del’adulte et de l’enfant en particulier, font fait l’objet denombreux travaux de plus en plus nombreux [1,2] et sou-lèvent la crainte et l’inquiétude dans la société, relayéespar les médias.

Ces dernières années, de multiples observations dela faune sauvage (mammifères, oiseaux ou reptiles),de nombreuses études épidémiologiques, de solides tra-vaux expérimentaux comme certaines situations cliniquesprivilégiées ont contribué à faire émerger le conceptde perturbateur endocrinien environnemental, PEE (oud’interrupteur hormonal). Il s’agit de polluants chimiquescontenus dans l’air, l’eau, le sol ou l’alimentation qui inter-fèrent avec la synthèse, le métabolisme, l’action cellulaireet moléculaire des hormones endogènes.

Au-delà de leur impact chez l’homme, les PEE ont contri-bué à faire émerger plusieurs concepts en médecine :• l’impact de la pollution fœtale sur la baisse de la sperma-

togenèse chez l’homme illustre parfaitement le conceptd’origine fœtale d’une pathologie à l’âge adulte [3] ;

• contrairement à certains dogmes bien établis, il estapparu que l’expression des gènes pouvait être modu-lée, pendant la vie fœtale, par l’environnement [4].L’exemple des effets d’un traitement par le distilbènependant la grossesse dont l’expression peut apparaîtreà la puberté chez la fille (adénocarcinome du vagin) estillustrative ;

• la transmission transgénérationnelle de l’impact des pes-ticides (et des PEE en général) bien établi chez l’animalvient d’être démontré chez l’homme. Cette informationessentielle interpelle autant le citoyen que le pédiatresur les risques potentiels des PEE sur plusieurs générations[5].

Face à ces nouveaux paradigmes, le médecin représenteun relais indispensable entre les patients et les politiques : leniveau de son information apparaît déterminant pour être à

même de pouvoir informer les familles sur les risques poten-tiels d’un environnement contaminé.

Il existe deux sortes de perturbateurs endocriniens envi-ronnementaux (PEE) :

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les premiers, constitués de substances chimiques synthé-tiques ;◦ produits pharmaceutiques,◦ polluants chimiques ;les seconds, d’origine naturelle et représentés principa-lement par les phytoestrogènes.

Parmi les produits pharmaceutiques retrouvés dans l’eaues rivières notamment (station d’épuration), figurent lesstrogènes médicamenteux (pilule du lendemain, piluleontraceptive, traitement hormonal de la ménopause, phy-oestrogènes alimentaires).

Les polluants chimiques sont dominés par les pesticidesuxquels s’ajoutent les plastiques (le bisphénol A enduit’intérieur des boites de conserve alimentaire !), les phta-ates, les détergents (contenus dans les peintures, les vernis,es surfactants, les lessives. . .), les PCB (produits chimiquesomposants des cires, d’adhésifs ou composants des trans-ormateurs), les dioxines, produits d’incinération et lesydrocarbures aromatiques, enfin.

Les phytoestrogènes, contenus dans les plantes sonteprésentés par les lignans (lentilles, algues) et les isofla-ones présents dans le soja, notamment.

Les PEE naturels ou synthétiques sont, à l’évidence,biquitaires, le calcul quantitatif de l’exposition est par-iculièrement difficile : la contamination peut se faire par’alimentation, l’eau, l’air inhalé (épandage de pesticidesériens !) ou par voie percutanée (pour les cosmétiques, leshampoings, le bisphénol A. . .).

Les PEE sont capables, selon les substances, de modi-er la synthèse, la libération de stéroïdes sexuels, comme

eur transport et leur clearance. En fait, les PEE peuventctiver ou inhiber l’action hormonale à travers la liaisonormone—récepteur et par la même, l’expression de gènesormono-dépendants. Leur caractéristique principale, c’esteur effet agoniste des estrogènes : en se liant aux récep-eurs des estrogènes (ER� ou ER�), ils accentuent l’activité

ranscriptionnelle induite par les estrogènes endogènesactivation illégitime du récepteur). De plus, les PEE sontapables de modifier l’expression de gènes en aval (de l’AMHhez la fille, de l’INSL-3 chez le garcon ? entre autre).
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Certains d’entre eux comme le lindane sont susceptibles’activer le système aromatase et d’accroître le niveau’estrogènes bio-disponibles.

Cette activité estrogène-like se complète pour plu-ieurs PEE de propriété anti-androgénique : ils sont en effetapables de bloquer les mécanismes de signalisation desndrogènes et de réduire in fine l’activité transcriptionnellendrogéno-dépendante.

Ces mécanismes sont communs aux PEE chimiques ouaturels.

Au-delà de leur capacité d’interagir avec les récepteurses estrogènes et celui des androgènes pour déclencher uneéponse inappropriée dans le temps et dans l’espace, il fautrendre en compte dans l’effet de l’exposition aux PEE :de l’intensité de la contamination ;de la concentration en PEE ;de la durée ;du stade de développement ;de la susceptibilité génétique.

De ce point de vue, les périodes embryonnairesœtales, néonatales et pubertaires sont particulièrementritiques.

Dans la mesure où les PPE chimiques ne sont pasétabolisables, ils vont s’accumuler dans le tissu adi-eux : par exemple, la demi-vie du DDT est de l’ordre de0 ans ! Certains PPE vont connaître un métabolisme quiend les composés plus actifs : par exemple, les métabo-ites de la vinclozoline sont 100 fois plus anti-androgéniqueue le composé-mère. On entrevoit, à travers ces deuxxemples la complexité de l’approche physiopathologiqueutant que celle du screening des effets endocriniens desPE.

Cette difficulté est renforcée par le nombre de PEEont l’activité peut s’additionner, voire se potentialiser.e surcroît, à côté de leur action immédiate activa-rice/inhibitrice des estrogènes ou des androgènes (sur laifférenciation sexuelle fœtale par exemple) s’associe unffet sur l’organisation (de certaines structures cérébrales,otamment) dont l’expression se révèlera à distance (à tra-ers les mécanismes d’empreinte).

Il faut également souligner l’action de certains PPEur les mécanismes de détoxication hépatique dont leetentissement sur la clearance des androgènes est indis-utable.

De plus, l’impact potentiel des PEE sur l’axe gonadotropeœtal ou néonatal ne doit pas être négligé autant d’un pointe vue endocrinien que comportemental.

Enfin, certains PEE sont capables d’altérer la fonctionhyroïdienne, pendant la vie fœtale ou post-natale.

Leur impact sur la différenciation sexuelle masculine6,7], la croissance staturo-pondérale, le développementsychomoteur, le développement pubertaire [8] de la filleéritent une attention particulière. . .

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C. Sultan et al.

Malheureusement, les conséquences de la pollution envi-onnementale ne se limitent pas aux endocrinopathiesédiatriques : de nombreux travaux suggèrent que la baissee spermatogenèse, la plus grande fréquence actuelle deancer du testicule chez l’homme jeune, comme celle duancer du sein chez la femme s’inscrivent dans cette pro-lématique.

Les perturbateurs endocriniens (environnementaux)onstituent un problème majeur de santé publique queonfirment la mobilisation, de l’agence américaine de pro-ection de l’environnement (EPA), de l’OCDE de l’OMS et laise en place très récemment de programmes européens

entrés sur cette thématique. En France, le Plan nationale santé environnment-2 (focalisé sur l’enfant) coordonnees actions principales engagées dans ce domaine.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

1] Sultan C, Jeandel C, Paris F, Balaguer P, Audran F, Sam-paio D, et al. Conséquences endocriniennes de la pollutionenvironnementale chez l’enfant. Mises au point cliniquesd’endocrinologie, nutrition et métabolisme 2003, XXIIIe jour-nées francaises d’endocrinologie clinique, nutrition et méta-bolisme. Paris: Les éditions de médecine pratique; 2004 [p.109—124].

2] Acerini CL, Hughes IA. Endocrine disrupting chemicals: anew and emerging public health problem? Arch Dis Child2006;91(8):633—41.

3] Sultan C, Terouanne B, Balaguer P, Georget V, Paris F, Jean-del C, et al. Environmental xenoestrogens, antiandrogens anddisorders of male sexual differentiation. Mol Cell Endocrinol2001;178:99—105.

4] Kalfa N, Philibert P, Baskin LS, Sultan C. Hypospadias: interac-tions between environment and genetics. Mol Cell Endocrinol2011;335(2):89—95.

5] Kalfa N, Paris F, Soyer-Gobillard MO, Daurès JP, Sultan C. Pre-valence of hypospadias in grandsons of women exposed todiethylstilbestrol during pregnancy: a multigenerational natio-nal cohort study. Fertil Steril 2011;95(8):2574—7.

6] Sultan C, Paris F, Terouanne B, Balaguer P, Georget V, JeandelC, et al. Disorders linked to insufficient androgen action in malechildren. Hum Reprod 2001;7(3):314—22.

7] Paris F, Jeandel C, Servant N, Sultan C. Increased serum estroge-nic bioactivity in three male newborns with ambiguous genitalia:a potential consequence of prenatal exposure to environmental

endocrine disruptors. Environ Res 2006;100(1):39—43.

8] Gaspari L, Paris F, Jeandel C, Sultan C. Peripheral precociouspuberty in a 4-month old girl: role of pesticides? Gynecol Endo-crinol 2011;27(9):721—4.