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Médecine & Longévité (2011) 3, 61—66 REVUE GÉNÉRALE Perturbateurs endocriniens et maladies métaboliques Endocrine disruptors and metabolic diseases R. Barouki a,,b a Inserm UMR-S 747, centre universitaire des Saints-Pères, université Paris Descartes, 45, rue des Saints-Pères, 75270 Paris cedex 06, France b Service de biochimie métabolique, hôpital Necker—Enfants-Malades, 75015 Paris, France Disponible sur Internet le 5 juillet 2011 MOTS CLÉS Dioxines ; Hormones sexuelles ; Toxicologie ; Tissu adipeux ; Obésité Résumé Depuis quelques dizaines d’années, il existe une véritable épidémie de maladies métaboliques, de diabète et d’obésité. Il est généralement admis que la croissance impres- sionnante de ces pathologies est liée à l’alimentation, au mode de vie et au comportement. Cependant, en raison de la concomitance entre la survenue de cette épidémie et l’aggravation de la pollution, de l’utilisation de produits chimiques à différentes fins, de la consommation croissante de médicaments et, enfin, du rôle du système endocrinien dans les régulations du métabolisme et du poids corporel, il était légitime de suspecter l’implication des perturbateurs endocriniens (PE) dans le développement de ces pathologies, de confronter cette hypothèse avec les données épidémiologiques et de la tester par des approches toxicologiques. Des don- nées expérimentales suggèrent un rôle du diéthyl stilbestrol, du bisphénol A et des dioxines/PCB dans la perturbation métabolique et le développement de l’obésité. Ces observations ont mis en évidence l’importance de l’exposition durant des périodes de vulnérabilité comme la période périnatale. Quelques données épidémiologiques sont aussi en faveur d’un rôle de certains de ces polluants dans les maladies métaboliques et le diabète. Par ailleurs, l’obésité modifie la cinétique des polluants organiques persistants comme la dioxine et les PCB. Ces polluants sont stockés dans le tissu adipeux, ce qui dans un premier temps peut constituer une protection d’autres organes plus sensibles. Cependant, en cas d’amaigrissement important, ces polluants sont libérés dans la circulation générale et ont pour effet de retarder l’amélioration des para- mètres métaboliques habituellement entraînée par la perte de poids. Ainsi, certains polluants semblent favoriser le développement des maladies métaboliques et de l’obésité, sans que l’on Article issu d’un colloque sur les perturbateurs endocriniens, organisé par le Réseau Environnement Santé le 14 septembre 2010. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] 1875-7170/$ see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mlong.2011.05.004

Perturbateurs endocriniens et maladies métaboliques

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Médecine & Longévité (2011) 3, 61—66

REVUE GÉNÉRALE

Perturbateurs endocriniens et maladiesmétaboliques�

Endocrine disruptors and metabolic diseases

R. Baroukia,∗,b

a Inserm UMR-S 747, centre universitaire des Saints-Pères, université Paris Descartes, 45, ruedes Saints-Pères, 75270 Paris cedex 06, Franceb Service de biochimie métabolique, hôpital Necker—Enfants-Malades, 75015 Paris, France

Disponible sur Internet le 5 juillet 2011

MOTS CLÉSDioxines ;Hormones sexuelles ;Toxicologie ;Tissu adipeux ;Obésité

Résumé Depuis quelques dizaines d’années, il existe une véritable épidémie de maladiesmétaboliques, de diabète et d’obésité. Il est généralement admis que la croissance impres-sionnante de ces pathologies est liée à l’alimentation, au mode de vie et au comportement.Cependant, en raison de la concomitance entre la survenue de cette épidémie et l’aggravationde la pollution, de l’utilisation de produits chimiques à différentes fins, de la consommationcroissante de médicaments et, enfin, du rôle du système endocrinien dans les régulations dumétabolisme et du poids corporel, il était légitime de suspecter l’implication des perturbateursendocriniens (PE) dans le développement de ces pathologies, de confronter cette hypothèseavec les données épidémiologiques et de la tester par des approches toxicologiques. Des don-nées expérimentales suggèrent un rôle du diéthyl stilbestrol, du bisphénol A et des dioxines/PCBdans la perturbation métabolique et le développement de l’obésité. Ces observations ont mis enévidence l’importance de l’exposition durant des périodes de vulnérabilité comme la périodepérinatale. Quelques données épidémiologiques sont aussi en faveur d’un rôle de certains deces polluants dans les maladies métaboliques et le diabète. Par ailleurs, l’obésité modifie lacinétique des polluants organiques persistants comme la dioxine et les PCB. Ces polluants sont

stockés dans le tissu adipeux, ce qui dans un premier temps peut constituer une protectiond’autres organes plus sensibles. Cependant, en cas d’amaigrissement important, ces polluantssont libérés dans la circulation générale et ont pour effet de retarder l’amélioration des para- mètres métaboliques habituellement entraînée par la perte de poids. Ainsi, certains polluantssemblent favoriser le développement des maladies métaboliques et de l’obésité, sans que l’on

� Article issu d’un colloque sur les perturbateurs endocriniens, organisé par le Réseau Environnement Santé le 14 septembre 2010.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected]

1875-7170/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.mlong.2011.05.004

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puisse évaluer leur contribution par rapport à d’autres facteurs de risque connus. De plus,l’obésité et les épisodes d’amaigrissement modifient la cinétique des polluants et probablementleurs effets toxiques.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSDioxins;Sex hormones;Toxicology;Adipose tissue;Obesity

Summary During the last decades, there has been a dramatic increase in the prevalence ofmetabolic diseases, diabetes and obesity, which may be primarily related to changes in diet,lifestyle and behaviour. However, because of the parallel increase in pollution, in the use ofchemicals for a variety of purposes, in drug consumption and because of additional evidenceshowing the involvement of the endocrine system in the regulation of metabolism and bodyweight, scientists have suspected the implication of endocrine disruptors in the developmentsof these conditions and diseases. Experimental studies have shown a possible role of diethylstilbestrol, bisphenol A and dioxins/PCBs in endocrine disruption and obesity and highlightedthe importance of exposure during vulnerable states such as the perinatal period. Some epide-miological studies also supported the possible role of these pollutants in metabolic diseases andobesity. Obesity is known to alter the kinetics of persistant organic chemicals such as dioxinsand PCBs. These pollutants are stored in the adipose tissue, which may protect other moresensitive organs. However, during drastic weight loss, these pollutants are released in bloodand tend to delay the improvement in metabolic parameters that are usually observed follo-wing weight loss. In conclusion, certain pollutants appear to play a role in the development ofmetabolic diseases and obesity, although their relative contribution as compared to other riskfactor is unknown. In addition, obesity and weight loss alter the kinetics of certains pollutantsand their toxicity.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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u cours de ces dernières années, de nombreuses étudesnt montré que des composés chimiques dont certains sontes médicaments ou des polluants de l’environnement,ais aussi des composés naturels présents dans les plantes,

vaient la capacité de mimer ou de moduler les effets desormones. Ces travaux ont surtout concerné les hormonestéroïdes, principalement les estrogènes et les androgènes,ais la perturbation des systèmes endocriniens concerne

ussi d’autres hormones comme les hormones thyroïdiennest l’insuline. Ces composés, appelés perturbateurs endocri-iens (PE), sont considérés comme étant particulièrementréoccupants pour l’espèce humaine et pour les écosys-èmes. Il est important de signaler que les PE constituentne famille de composés aux structures et aux mécanismes’action très divers et il est important d’étudier les diffé-entes classes de composés et les différentes cibles.

Si les premiers travaux sur les PE se sont surtout foca-isés sur leurs effets sur la reproduction, nous savons àrésent qu’ils sont suspectés de contribuer à d’autres patho-ogies comme les cancers, les maladies cardiovasculaires,es maladies du système nerveux, etc. Dans cette revueynthétique, nous nous focaliserons sur l’implication desE dans les maladies métaboliques et l’obésité. Depuisuelques dizaines d’années, il existe une véritable épidé-ie de maladies métaboliques, de diabète et d’obésité [1].ette épidémie touche aussi les pays en voie de développe-ent, notamment les grandes villes [2]. Il est généralement

dmis que la croissance impressionnante de ces pathologiesst liée à l’alimentation, au mode de vie et au comporte-

ent. Cependant, en raison de la concomitance entre la

urvenue de cette épidémie et l’aggravation de la pollu-ion, de l’utilisation de produits chimiques à différentesns, de la consommation croissante de médicaments et,

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nfin, du rôle du système endocrinien dans les régulations duétabolisme et du poids corporel, il était légitime de sus-ecter l’implication des PE dans le développement de cesathologies, de confronter cette hypothèse avec les don-ées épidémiologiques et de la tester par des approchesoxicologiques.

Avant d’aller plus loin dans cette analyse, il est bone rappeler que la relation entre PE et maladies métabo-iques et obésité n’est pas unidirectionnelle. En effet, si’on peut s’intéresser aux effets obésogènes ou perturba-eurs métaboliques de certains composés chimiques, on peutussi étudier les effets de l’obésité sur la distribution desolluants chimiques et sur leurs effets toxiques.

ffets obésogènes et métaboliques deserturbateurs endocriniens

’implication des PE dans les pathologies humaines ou ani-ales a été analysée par des études épidémiologiques et

oxicologiques qui permettent respectivement de montrer laertinence de la question posée et de tester un lien de cau-alité. Nous ne reviendrons pas sur les mécanismes d’actiones PE qui seront traités ailleurs, mais nous analyserons desxemples typiques et nous en tirerons quelques conclusions.

e diéthyl stilbestrol (DES ou distilbène)

e médicament a été prescrit à de nombreuses femmes

nceintes en raison de ses propriétés estrogénomimétiques.es effets dramatiques sur les enfants de ces femmes, etotamment l’apparition de cancers de la sphère génitale à

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Perturbateurs endocriniens et maladies métaboliques

l’âge adulte, sont bien connus. Sur le plan expérimental, leDES est un PE de référence. Il est emblématique de nouveauxconcepts toxicologiques mettant en avant l’importance desexpositions à certaines périodes de vulnérabilité des orga-nismes, notamment la période fœtale et la petite enfance.Lorsque des souris sont exposées au DES pendant la périodenéonatale, elles développent une obésité importante à l’âgeadulte [3]. Par ailleurs, ces souris souffrent d’un dérègle-ment de l’homéostasie glucidique. Les effets ne sont pastout à fait identiques à faible et à forte dose. En effet,aux doses faibles, le gain de poids apparaît assez rapi-dement et il est continu avec la croissance, alors qu’àforte dose, il y a d’abord un amaigrissement relatif suivid’une prise de poids considérable menant à l’obésité àl’âge adulte. Il est vraisemblable que les mécanismes impli-qués ne sont pas identiques. On peut penser qu’à faibledose, le DES dérègle des circuits hormonaux essentiels aucontrôle du développement du tissu adipeux, alors qu’àforte dose, la prise de poids pourrait être une réactioncompensatrice à l’amaigrissement relatif initial lui-mêmefaisant suite à une toxicité aiguë du produit. Il n’est pasclair à ce stade que les mêmes effets métaboliques seretrouvent chez l’homme, mais cela sera sans doute explorédans l’avenir. Plusieurs enseignements peuvent être tirés deces travaux sur le DES. Ils montrent que des effets toxiquespeuvent être observés à distance de l’exposition, et mêmetrès longtemps après. Cela n’est pas sans conséquences entermes d’évaluation des risques en particulier pour toutesubstance suspectée d’avoir une activité de PE. De plus,ces observations montrent qu’il existe des différences entreles doses utilisées, suggérant l’intervention de plusieursmécanismes selon la dose, ces mécanismes toxiques pou-vant eux-mêmes engendrer des réactions compensatrices del’organisme.

Bisphénol A (BPA)

Le BPA est un PE particulièrement étudié depuis quelquesannées. Il est surtout utilisé comme plastifiant et dansles amalgames dentaires. En réalité, il avait été synthé-tisé initialement dans le but de développer un composéà activité estrogénique, puis ses applications industriellesont été mises en évidence. Notons cependant que ses acti-vités estrogénomimétiques ne sont pas aussi prononcéesque celles du DES. De plus, comme la plupart des PE, sonmécanisme d’action est plus évocateur d’un modulateur desrécepteurs des estrogènes (type SERM) que d’un agonistepur. Il est aussi probable qu’il ait d’autres cibles molécu-laires. Des travaux sur l’exposition périnatale chez l’animalont donné des résultats contradictoires [4] : dans certainesétudes, l’exposition périnatale a conduit à une obésité chezl’adulte, comme dans le cas du DES ; dans d’autres études,le poids a plutôt diminué ou n’a pas varié. Ces observationscontradictoires sont expliquées par des différences entre lesespèces animales, les protocoles de traitement, etc. Ellesrévèlent la subtilité de ces effets, leur dépendance vis-à-vis d’un fond génétique ou de conditions expérimentalesparticulières. Les résultats les plus frappants concernant la

relation entre BPA et maladies métaboliques et cardiovascu-laires ont été obtenus grâce à des études épidémiologiqueschez l’homme. Des travaux réalisés sur une grande cohortede population générale (NHANES) ont permis d’établir

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ne corrélation positive entre les taux de BPA et de sesétabolites dans les urines et la présence de troubles méta-oliques et de maladies cardiovasculaires [5,6]. Si ces résul-ats chez l’homme sont bien impressionnants, ils soulèventéanmoins la question de la relation temporelle. En effet,uelle valeur a un taux urinaire de BPA (qui a une demi-vieelativement rapide) à un temps t si la maladie à laquelle ilst corrélé met des années voire des dizaines d’années à seévelopper ?

Ces travaux sur le BPA soulignent la subtilité des effetsue nous avons souvent à explorer et, en particulier,’importance du fond génétique et de l’état physiolo-ique lors de la contamination. Ils révèlent aussi le rôlees observations humaines et animales et la nécessité’explorer l’ensemble des mécanismes. Il est en effet pro-able que le BPA ait d’autres cibles que les récepteurslassiques de l’estrogène et que ces cibles puissent rendreompte d’une partie de ses effets toxiques. Cette notion

été bien analysée concernant les effets reprotoxiques duPA [7].

ioxines et PCB (polychlorobiphényls)

e nombreuses études épidémiologiques ont été consacrées l’étude des effets d’une surexposition aux dioxines. Desersonnes travaillant dans des usines de produits chimiquesnt été suivies aux États unis et en Allemagne [8,9]. Danses études américaines, une corrélation a été trouvée entree taux sanguin des composés de type dioxine et la pré-ence d’un diabète. Outre ces travaux sur des populationsurexposées, des études en population générale ont étéonduites (doses d’exposition « environnementale »). Danses conditions, les auteurs mettent en évidence une corré-ation dépendante de la dose entre l’incidence du diabètet le taux de polluants persistants comme certains PCB etertains pesticides organochlorés [10,11]. L’augmentatione l’incidence semble claire dès les plus faibles doses.ur le plan biologique, il existe plusieurs arguments allantans le sens d’une possible implication de la dioxine oue polluants apparentés dans les maladies métaboliques.n effet, des études de toxicogénomique ont montré queertains gènes induits par ces polluants pouvaient favori-er l’inflammation et les dérèglements métaboliques [12].’autres travaux vont dans le sens d’un effet biologiquenti-insulinique [13] ou d’effets perturbant le tissu adipeux9]. Nos travaux récents sur les adipocytes indiquent bienn effet de la dioxine et de certains PCB allant dans le sens’une induction de cytokines inflammatoires et de la per-urbation du métabolisme de ces cellules [14]. Enfin, desravaux d’invalidation génique chez la souris ont montré leôle crucial de la protéine ARNT, co-facteur du récepteur dea dioxine, dans le développement du pancréas endocrine15]. Néanmoins, il est important de rester prudent puisqueous les effets répertoriés de la dioxine ne sont pas nécessai-ement en faveur d’un effet obésogène et anti-insulinique.n effet, la dioxine inhibe dans certains modèles la diffé-entiation des adipocytes et la néoglucogenèse hépatique9].

Les enseignements que nous pouvons tirer de ces tra-aux sont nombreux. D’abord, ils montrent l’intérêt desnalyses épidémiologiques et biologiques combinées pouroutenir l’implication probable de polluants chimiques dans

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ertaines pathologies. Bien entendu, cela n’est possibleue parce que les composés en question sont des polluantselativement anciens. Dans le cas de molécules chimiquesouvelles, seule la toxicologie peut être rapidement utile.ar ailleurs, ces travaux montrent aussi que des moléculesomme les dioxines et les PCB peuvent avoir des effets mul-iples, parfois contradictoires et c’est la combinatoire dees effets qui peut conduire à un effet toxique ou pas. Le faitue tous les mécanismes engendrés par un contaminant neoient pas cohérents, n’est pas un argument pour réfuter sonmplication toxique. Enfin, même si les dioxines et les PCB neont pas des PE classiques, ils ont certains effets communsvec les autres PE. D’ailleurs, des travaux récents montrentien que ces composés sont capables de moduler les effetse l’œstradiol d’une manière indirecte particulièrementriginale [16].

ulnérabilité périnatale et effetsransgénérationnels

omme nous l’avons vu, les travaux sur la relationntre PE et maladies métaboliques et obésité mettentn relief l’importance de la période fœtale et péri-atale. Cette notion de vulnérabilité des périodes deéveloppement semble fondamentale en ce qui concernea genèse de l’obésité et des maladies métaboliques, au-elà de la question des expositions chimiques. En effet,e nombreux travaux indiquent que l’état nutritionnel etétabolique de la mère est un facteur critique de sus-

eptibilité à des pathologies métaboliques et à l’obésitéltérieure des enfants [17]. Cette notion est donc assezénérale.

Par ailleurs, des travaux récents suggèrent que desffets transgénérationnels pouvaient être observés suite

l’exposition de fœtus de rongeurs à un PE [18]. Cesbservations expérimentales qui doivent être confirméese concernent pas encore directement les maladies méta-oliques et l’obésité. Néanmoins, elles rappellent desravaux chez l’homme indiquant des effets transgéné-ationnels (deuxième génération) à la suite de déficitsutritionnels pendant la grossesse [19]. En raison de leurmportance, ces notions font l’objet de nombreux tra-aux de recherche pour les confirmer ou les infirmer. Ellesettent en avant le nouveau concept de perturbation

pigénétique.

ffets de l’obésité et du tissu adipeux sure devenir et la toxicité des perturbateursndocriniens

ous avons discuté jusqu’à présent des effets suspectés desE sur le développement des maladies métaboliques et de’obésité. Il est cependant important de prendre en consi-ération l’effet du tissu adipeux et de la masse grasse enénéral sur la cinétique des polluants et sur leur toxicitéventuelle. Cela ne concerne que les polluants lipophiles

ui ont une certaine affinité pour le tissu adipeux. C’est leas de certains PE comme les pesticides organochlorés, lesioxines, les PCB et les composés polyhalogénés polybromésutilisés comme ignifuges et très répandus).

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R. Barouki

ôle protecteur du tissu adipeux et protectionis-à-vis des polluants organiques persistants

ertains polluants et contaminants résistent à la dégrada-ion et à la détoxication habituellement mise en œuvrear les organismes pour se protéger [20]. Ces polluantsersistent donc dans l’environnement et ont une propen-ion à la bioaccumulation le long de la chaîne alimentairepolluants persistants et bioaccumulables). Ils sont dési-nés par le terme de polluants organiques persistants (POPs)t ils ont été répertoriés par la convention de Stockholmui vise à limiter leur production et leur dissémination enaison des risques encourus à long terme [21]. Ces POPse sont pas sujets à une dégradation extensive en partiearce qu’ils sont halogénés. En revanche, ils peuvent se lier’une part à certains récepteurs des xénobiotiques commee récepteur de la dioxine AhR et les activer, d’autre part

des enzymes du métabolisme des xénobiotiques, commee cytochrome P450 1A2, de manière assez stable et sanstre dégradés. On sait aussi que ces molécules très hydro-hobes ont tendance à s’accumuler dans les masses grassese l’organisme et notamment dans le tissu adipeux (ouans le lait chez la femme allaitante). Ainsi, le tissu adi-eux est particulièrement riche en POPs et les concentre’autant plus que l’organisme correspondant est élevé dansa chaîne trophique. La bioaccumulation se manifeste aussiar l’augmentation de la concentration des POPs en fonctione l’âge [22].

On peut penser que l’accumulation de ces composés danse tissu adipeux réduit leur disponibilité pour d’autres tis-us et cellules. Or, dans ces tissus, les POPs pourraient seocaliser dans les membranes cellulaires, ou activer leursécepteurs et se lier à certaines enzymes, provoquant ainsies perturbations toxiques. On peut donc proposer quea distribution des POPs dans le tissu adipeux protège lesutres organes et tissus de l’organisme, du moins dans desonditions d’exposition aiguë. Il existe quelques argumentsndirects en faveur de cette proposition. En effet, des tra-aux datant des années 1980 et 1990 montrent une relationnverse entre la toxicité et la masse grasse de différentesspèces animales. Les auteurs ont comparé la toxicité aiguëtraitement de 30 jours) de la dioxine la plus active (2,3,7,8-etrachlorodibenzodioxine ou TCDD), chez une vingtaine’espèces de mammifères avec l’IMC de ces espèces ; ilsn ont déduit une relation positive entre la masse grasset la DL50 (dose entraînant la mort de 50 % des animauxestés) [23]. Ainsi, les espèces ayant la plus forte masserasse résistent mieux à ce toxique dans ce test précis’intoxication aiguë à forte dose. Cela ne veut pas dire quea masse grasse est le seul facteur différenciant la sensibilitées espèces à la dioxine ; d’autres travaux ont clairementontré le rôle de l’affinité du récepteur AhR pour la dioxineéterminée génétiquement. Malgré tout, les travaux sur lesammifères corroborent d’autres travaux sur les espèces

quatiques qui, elles aussi, mettent en évidence une plusrande résistance en fonction de la masse grasse, condui-ant à la notion paradoxale de « survie du plus fort », fort

tant pris dans le sens d’une plus grande masse adipeuse eton d’une plus grande puissance [24].

Ce concept et ces quelques observations vont dans leens d’un rôle protecteur du tissu adipeux lors d’expositions

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Perturbateurs endocriniens et maladies métaboliques

à certains composés chimiques lipophiles. Il est donc pos-sible que ce tissu ait un rôle toxicologique en plus de sesautres fonctions physiologiques. Il ne s’agit pas au sensstrict d’une détoxication (les composés sont toujours là,mais mis dans un compartiment « dédié »), mais il s’agiraitd’un processus de protection cinétique permettant d’éviterune surexposition de certains tissus sensibles. Comme nousle verrons ci-dessous, cette fonction finit par avoir un coûtpour l’organisme.

Le tissu adipeux comme source d’expositioninterne

La masse grasse constitue le lieu de stockage principaldes POPs en dehors d’épisodes d’exposition aiguë où lefoie joue aussi un rôle important. Or ces polluants sontaussi retrouvés dans le sang et leur concentration y esten relation avec le contenu lipidique de ce compartiment.À partir du sang, ces substances pourraient contaminerd’autres organes. Il est a priori difficile de déterminerl’origine exacte des POPs sanguins qui pourrait être laconséquence d’une libération endogène de toxiques cap-tés et conservés par le tissu adipeux, et/ou la conséquenceimmédiate d’un apport alimentaire récent. Il existe cepen-dant des arguments en faveur de la première hypothèse,ceux-ci provenant d’études chez l’animal et d’études cli-niques chez des personnes obèses. Au cours d’une pertede poids drastique chez des individus obèses, une augmen-tation de la concentration sérique des POPs est observée,alors que le régime alimentaire suivi est plutôt pauvre enmatières grasses et en POPs [25]. Il est vrai que cetteaugmentation des teneurs sanguines s’accompagne d’uneaugmentation de la concentration dans le tissu adipeux,mais cela peut s’expliquer par la réduction du territoireadipeux suivant l’amaigrissement et la recapture des POPslibérés. D’ailleurs, si la charge globale en polluants des per-sonnes obèses est de deux à trois fois supérieure à cellede personnes témoins, cette charge tend à diminuer légère-ment au bout d’un an d’amaigrissement (Kim et al., 2010).

La présence de polluants organiques persistants dansle lait maternel milite en faveur de notre hypothèse. LesPOPs sont retrouvés en quantités significatives dans cettematrice, ce qui fait que les nourrissons allaités représententla partie de la population la plus exposée. Il est probableque ces polluants proviennent d’une redistribution à partirdu compartiment adipeux, bien qu’on ne puisse pas exclureune contamination directe par l’alimentation. Cependant,pendant la période d’allaitement, la charge corporelle glo-bale en dioxines de la mère diminue par élimination dansle lait, suggérant une redistribution à partir des comparti-ments de stockage. De plus, le taux de contamination du laitmaternel diminue progressivement au cours de la périoded’allaitement ; par ailleurs, le lait maternel d’une primipareest plus concentré en polluants que celui d’une multipare,cette diminution étant en relation avec la diminution desréserves en polluants dans le tissu adipeux de ces dernières[26].

Une étude cinétique réalisée avec un POP mar-qué, l’hexachlorobenzène, montre clairement que chezdes rongeurs préalablement traités par ce produit,l’amaigrissement entraîne une augmentation de la quantité

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e ce produit dans le cerveau [27]. Il y a donc bien redistri-ution de ce POP vers des tissus particulièrement sensiblest par ailleurs riches en lipides.

Dans nos propres travaux réalisés chez des femmes ayanterdu 30 à 40 kg de poids après chirurgie bariatrique, nousvons pu corréler les taux sanguins des POPs avec un retardans l’amélioration des paramètres lipidiques et hépa-iques engendrée par l’amaigrissement (Kim et al., 2010).es corrélations entre certains POPs sanguins et d’autresaramètres cliniques, notamment musculaires, ont été sug-érées par les travaux du groupe de Tremblay [28].

Ainsi, ces travaux suggèrent que le compartiment adi-eux capte les POPs puis les libère progressivement vers’autres compartiments par l’intermédiaire de la circula-ion sanguine. Il joue le rôle d’un tampon toxicocinétique.e rôle toxique des POPs libérés à bas bruit ou plus fran-hement au cours des amaigrissements est déduit à partir’analyses de corrélation, mais il est vrai que des preuvesxpérimentales plus directes sont toujours manquantes.

uelques réflexions

es relations entre PE, maladies métaboliques et obésitéllustrent bien les nouveaux concepts qui doivent régir laoxicologie moderne : importance de la dimension tempo-elle puisqu’un effet toxique peut se révéler longtempsprès l’exposition, importance de l’état de la cible etotamment vulnérabilité de certaines phases du développe-ent, multiplicité des mécanismes pour un même toxique

endant les relations entre la dose et l’effet plus sophis-iquées et en tout cas rarement linéaires, importance dea réponse de l’organisme dans les phénomènes toxiques àong terme notamment lorsque des fonctions essentielleslles-mêmes sujettes à de multiples circuits de contrôleont atteintes par les toxiques. On peut aussi constaterue tous les mécanismes déclenchés par un contaminant neont pas nécessairement toxiques, c’est la combinatoire dees mécanismes qui peut se traduire in fine par des effetséfastes pour l’organisme. Par ailleurs, l’état physiologiqueu pathologique peut modifier la cinétique et la toxicitée certains contaminants. Nous l’avons vu clairement danse cas de l’obésité qui révèle la fonction toxicologique duissu adipeux. Ces constats plaident pour une analyse sys-émique de la toxicité et constituent autant de défis auxpproches prédictives qui sont indispensables mais doiventenir compte de cette complexité.

éclaration d’intérêts

’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits’intérêts.

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