2
Cahiers de nutrition et de diététique (2014) 49, 49—50 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ÉDITORIAL Petit déjeuner et obésité : évidence scientifique ou croyances ? Breakfast and obesity: Scientific evidence or beliefs? Prendre un « bon petit déjeuner », notamment parce que ce comportement matinal pro- tégerait d’une prise de poids excessive, voire aiderait à maigrir, est une recommandation que l’on peut trouver dans presque tous les livres de diététique et qu’un certain nombre de recommandations officielles reprennent à leur compte ; certains osent même en fixer le niveau « optimal » à 25 % de l’apport énergétique journalier. Ce « dogme » est-il fondé sur des preuves indiquant une relation de cause à effet solide- ment démontrée ? Est-ce une croyance qui se serait constituée en raison de la surabondance d’études d’observations sans valeur de preuve (par constitution) et de l’existence de biais introduits dans la fac ¸on dont sont relatés les résultats ? Les raisons qui conduisent souvent à faire passer les croyances bien au-delà des preuves ne sont sans doute pas réservées aux effets du petit déjeuner. Mais c’est au sujet de celui-ci, à titre d’exemple, que A. Brown, B. Brown et D. Allison [1] (Birmingham, Ala- bama) se livrent à une analyse méticuleuse de la littérature et montrent avec alacrité comment l’absence de preuves scientifiques peut être contournée et se transformer en vérité première abusive. Ils constatent d’abord que les études d’interventions (contrôlées), d’ailleurs peu nom- breuses, n’ont jamais montré de relations entre petit déjeuner et poids et que si la présence ou l’absence de petit déjeuner affecte bien la prise alimentaire suivante le total des calories de la journée n’en est pas vraiment affecté. Se tournant ensuite vers un très grand nombre d’études d’observations publiées dans 30 pays des 5 continents depuis 1992, les auteurs constatent, malgré leur hétérogénéité sur la manière d’évaluer l’absence de petit déjeuner et le poids, qu’il est clair qu’il existe une association positive entre présence du petit déjeuner et IMC avec un odd ratio significatif d’environ 1,55. Ce résultat en fait a été acquis dès la 1 re méta-analyse (1994) à partir des 3 premières études (p < 0,05). Dès 1998, à partir de 5 études, l’odd ratio restait constant mais sa significativité atteignait p < 0,001. En cumulant les résultats des études suivantes, dont le nombre a explosé depuis 2006, on ne change en rien l’odd ratio mais on augmente considérablement la significativité (p < 10 42 !!). Ceci conduit à faire croire que la valeur de preuve a augmenté au point d’en faire une certitude. . . alors que pourtant la causalité ne peut être démontrée par les études d’association. Les auteurs plaident pour que l’on cesse ce genre d’études qui n’apportent aucune information supplémentaire aux toutes premières études mais encouragent manifestement des interprétations trompeuses. http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2014.03.004 0007-9960/© 2014 Publi´ e par Elsevier Masson SAS pour la Société française de nutrition.

Petit déjeuner et obésité : évidence scientifique ou croyances ?

  • Upload
    bernard

  • View
    213

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Petit déjeuner et obésité : évidence scientifique ou croyances ?

Cahiers de nutrition et de diététique (2014) 49, 49—50

Disponible en ligne sur

ScienceDirect

www.sciencedirect.com

ÉDITORIAL

Petit déjeuner et obésité : évidence scientifiqueou croyances ?

Breakfast and obesity: Scientific evidence or beliefs?

Prendre un « bon petit déjeuner », notamment parce que ce comportement matinal pro-tégerait d’une prise de poids excessive, voire aiderait à maigrir, est une recommandationque l’on peut trouver dans presque tous les livres de diététique et qu’un certain nombrede recommandations officielles reprennent à leur compte ; certains osent même en fixerle niveau « optimal » à 25 % de l’apport énergétique journalier.

Ce « dogme » est-il fondé sur des preuves indiquant une relation de cause à effet solide-ment démontrée ? Est-ce une croyance qui se serait constituée en raison de la surabondance

d’études d’observations sans valeur de preuve (par constitution) et de l’existence de biaisintroduits dans la facon dont sont relatés les résultats ?

Les raisons qui conduisent souvent à faire passer les croyances bien au-delà des preuvesne sont sans doute pas réservées aux effets du petit déjeuner. Mais c’est au sujet decelui-ci, à titre d’exemple, que A. Brown, B. Brown et D. Allison [1] (Birmingham, Ala-bama) se livrent à une analyse méticuleuse de la littérature et montrent avec alacritécomment l’absence de preuves scientifiques peut être contournée et se transformer envérité première abusive.

Ils constatent d’abord que les études d’interventions (contrôlées), d’ailleurs peu nom-breuses, n’ont jamais montré de relations entre petit déjeuner et poids et que si laprésence ou l’absence de petit déjeuner affecte bien la prise alimentaire suivante le totaldes calories de la journée n’en est pas vraiment affecté.

Se tournant ensuite vers un très grand nombre d’études d’observations publiées dans30 pays des 5 continents depuis 1992, les auteurs constatent, malgré leur hétérogénéité surla manière d’évaluer l’absence de petit déjeuner et le poids, qu’il est clair qu’il existe uneassociation positive entre présence du petit déjeuner et IMC avec un odd ratio significatifd’environ 1,55. Ce résultat en fait a été acquis dès la 1re méta-analyse (1994) à partir des3 premières études (p < 0,05). Dès 1998, à partir de 5 études, l’odd ratio restait constantmais sa significativité atteignait p < 0,001. En cumulant les résultats des études suivantes,dont le nombre a explosé depuis 2006, on ne change en rien l’odd ratio mais on augmenteconsidérablement la significativité (p < 1042 !!). Ceci conduit à faire croire que la valeurde preuve a augmenté au point d’en faire une certitude. . . alors que pourtant la causaliténe peut être démontrée par les études d’association. Les auteurs plaident pour que l’oncesse ce genre d’études qui n’apportent aucune information supplémentaire aux toutespremières études mais encouragent manifestement des interprétations trompeuses.

http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2014.03.0040007-9960/© 2014 Publie par Elsevier Masson SAS pour la Société française de nutrition.

Page 2: Petit déjeuner et obésité : évidence scientifique ou croyances ?

5

rdbt

l

dbl

s

0

Se livrant ensuite à une analyse de la facon dont sontapportés les résultats dans les abstracts ou les conclusionses articles, les auteurs ont recherché un certain nombre deiais qui pourraient manifestement conduire à des interpré-ations erronées.

Ils distinguent :les « interprétations biaisées » : en particulier, les résul-tats positifs sont bien plus souvent mentionnés dans lesrésumés que les résultats négatifs (65 % contre 36 %,p < 0,05) créant ainsi un déséquilibre en faveur des résul-tats positifs ;l’usage « inapproprié » d’expressions indiquant une rela-tion causale : presque la moitié des 42 abstracts étu-diables de ce point de vue faisaient clairement référenceà une causalité alors que les résultats rapportés ne justi-fiaient pas de telles affirmations ;« citations incorrectes » des études antérieures : les résul-tats d’une des premières études contrôlées, de 1992, estainsi citée dans 92 articles de facon incorrecte dans 62 %des cas, presque exclusivement en faveur du petit déjeu-ner ;« abus de langage » dans les citations des autres études :par exemple, sur 72 citations d’un autre article rapportantune relation entre petit déjeuner et obésité, 26 % la décri-vaient comme étant de type causal, 22 % comme étantune association alors que ses auteurs ne la décrivaientque comme une co-occurrence.

Ainsi une sorte de bruit de fond entretenu par’abondance des études et l’usage d’expressions incorrectes

rceeplp

pcal

R

[

Éditorial

onnent l’impression qu’une relation de causalité a été éta-lie, ce dont s’emparent autant le monde de la nutrition quees médias et les autorités.

Une étude d’intervention est en cours dans l’Alabamaous l’égide des auteurs de cet article.

Dans un article récent des Cahiers, sur le quel laédaction avait travaillé (CND 2012,47,S32—38) il avait étélairement souligné qu’une relation de causalité entre poidst petit déjeuner ne pouvait être affirmée, notammentn raison de nombreux facteurs confondants pas vraimentris en compte dans les études d’association, notamment’activité physique et le milieu socioéconomique dont leetit déjeuner est un marqueur.

Nous ne sommes bien évidemment pas hostiles auetit déjeuner qui a des avantages pour la plupart desonsommateurs de tous âges, mais de là à en faire unerdente obligation pour tous dans l’espoir de lutter contre’obésité. . .

éférence

1] Brown A, Brown B, Allison D. Belief beyond the evidence: usingthe proposed effect of breakfast on obesity to show 2 practicesthat distort scientific evidence. Am J Clin Nut 2013;98:1298—308.

Bernard Guy-Grand

Adresse e-mail : [email protected]